C’est jour du poisson

C’est jour du poisson

……Me dis-je. Et si je m’écrivais un texte finissant en queue de. Un joli petit texte bourré de non sens et qui, tel l’écaillé suscité, nagerait dans les profondeurs aqueuses d’une littérature bouleversée, à défaut d’être bouleversante.
……Voyons.
……Quelque part dans l’immensité d’un océan, un poisson attend sa poissonne. Autour de lui, quantité de coraux silencieux et immobiles font ce qu’ils font à chaque instant de leur vie, c’est-à-dire que, micromillimètre après micromillimètre, ils s’appliquent à se construire une barrière. À vue de poisson, la progression du grand œuvre des coraux est insignifiante. Passerait-il une vie, toujours à attendre sa poissonne dans son petit périmètre d’eau salée, à tourner en rond ou à observer lesdits coraux dans le blanc des zooxanthelles, qu’il ne verrait aucune différence au bout du compte. Leur poserait-il des questions, essaierait-il d’entamer une discussion histoire de passer le temps, d’agrémenter son attente, que la réponse viendra si tard qu’il y aura belle lurette que notre poisson ne sera plus de cet océan, belle lurette qu’il aura fini dans le ventre d’une assiette de fin de semaine, parce que les coraux, comme déjà dit il y a de cela quelques mots, vivent à allure réduite alors que les poissons eux, vivent comme vous et moi ou à peu près.
……Par exemple, vous attendez une fille tel le poisson attendant sa poissonne et au même endroit encore. Eh bien, dussiez-vous attendre une vie entière que jamais le corail ne mettra de barrière entre elle et vous, et dussiez-vous en watt millions de mots raconter votre déception à ne jamais la voir venir cette fille-là, que jamais le corail n’interrompra votre plainte.
……— Ce que j’en dis, c’est que le corail est le compagnon idéal des chagrins d’amour, je lui fais.
……Il reste dubitatif, perdu quelque part sur l’accotement de ma répartie, puis il hausse les épaules, un peu vexé on dirait. Faut dire qu’il a attendu une fille qui n’est jamais venue, qu’il l’avait invitée au restaurant et qu’il me raconte tout ça la larme à l’œil, me précisant même « Que c’est bien dommage, parce qu’il avait fait gaffe a sélectionner LE restaurant. » Pour finir, il a réglé son verre et, la mort dans l’âme, il s’est tiré sans dîner tellement ça lui a coupé l’appétit.
……— Quel genre de restaurant ?
……— Le plus chic de la ville : spécialité poisson !
……Ce qui fait que je respire à mon aise, la poissonne de mon histoire a sans doute réchappé au pire, soit aux filets des pêcheurs et aux couteaux des cuisiniers, et si elle est en retard, c’est sûrement qu’elle cherche dans sa garde-robe la tenue écaillée adéquate pour séduire son patient poisson.
……Celui là même qui attend dans le silence des coraux.

J'aime ce genre de textes joueurs, surtout lorsque comme ici ils sont agrémentés de petites pointes humoristiques. Un petit texte sympathique qui fait sourire =)

C'est un pied-de -Nez. Je n'aime pas, mais il n'est pas écrit pour être aimé alors quelle importance?

J'aime beaucoup la sûreté narrative du texte : on est très bien baladé d'une idée à l'autre pour revenir au point de départ. J'ai trouvé cela très agréable.

Le ton alerte et vif est très plaisant lui aussi.

J'ai un bémol sur la phrase "Leur poserait-il des questions, essaierait-il d’entamer une discussion histoire de passer le temps, d’agrémenter son attente, que la réponse viendra si tard qu’il y aura belle lurette que notre poisson ne sera plus de cet océan, belle lurette qu’il aura fini dans le ventre d’une assiette de fin de semaine, parce que les coraux, comme déjà dit il y a de cela quelques mots, vivent à allure réduite alors que les poissons eux, vivent comme vous et moi ou à peu près." que je trouve trop lourde, notamment à cause de sa suite de subordonnées introduites par "que"...

rien que pour ça :
"il y aura belle lurette que notre poisson ne sera plus de cet océan"
le genre de jolie phrase à la Zou qui parsème un texte léger et virevoltant comme la jupette d'une fille au vent d'été observée d'une terrasse de bistrot :-)))
du Yali pur océan, j'aime beaucpup

Moi chtrouve ça presque suave, quelque part entre sucré et amer avec une pointe d'acidulé, c'est un plaisant cocktail.
Et bien entendu, c'est un poisson clown...

à tchaoum
df

Ah, que c'est goûteux !
Yali qui fait du Yali, tout comme j'aime. Un récit fignolé, noué de barbes en queue.
De ce poisson, je m'en ressers, avec... un petit Sancerre peut-être?

Savoureux: "Il reste dubitatif, perdu quelque part sur l’accotement de ma répartie, (...)"

Frais et léger, éphémère certes, mais... frétillant :-)

je trouve ce texte très bien tourné et j'aime bien cette alternance de phrases recherchées, longues, comme une ballade au gré courants d'un récifs coraliens, et les petites incisions courtes, presque lapidaires.

le tout bien balancé, comme une jolie fille un jour de printemps, yep !

C'est un texte oui qui frétille, sinueux, à contre-courant.

Il y a tout du long comme un jeu de dissimulation, par l'humour, l'écriture en creux procédés sous-marins pour arriver à faire surgir l'image poétique finale. Bref, procédé que tu maîtrises toujours avec autant de bonheur et d'inventivité.

A noter le style "marqué" par certaines expressions (lesdits, watt millions), par le jeu sur le niveau de langage d'impression parlé, mais fort structuré finalement. Il y a une souplesse qui permet de mettre en valeur l'élément recherché, de caser "zooxanthelles" au détour d'une phrase et qu'on trouve ça beau.

Te connaissant, je trouve que tu appliques ici une "recette" éprouvée (ou autrement dit que tu as au sens fort un style), et que ça a toujours aussi bon goût ! Bref, que tu as encore des choses à dire et à faire dans cette façon.

nagerait dans les profondeurs aqueuses d’une littérature bouleversée
Joli! Et la phrase relevée par Pili aussi

J'ai bien aimé ce petit texte, pour ses images colorées, et pour ce parallèle que tu instaures entre poisson et passion

un petit goût d'évasion qui me plait bien en ce lundi matin blème ;-)

Et pis, Pili, un p'tit poisson avec du Sancerre, je suis partant aussi ;-)

C'est jour de poisson. D'un couteau soigneux, elle dégage l'arête centrale, en admire les dentelles raides, pense au poissonnier.
Malik.
Souvent elle regarde ses mains, il ne porte pas de gants.
Elle sourit au citron. Il l'a cueilli pour elle, sur une moraine de glace pilée. Les citrons s'accordent bien à la couleur de sa peau ; une bouffée de soleil monte dans les reins de Lou. La peau est enlevée délicatement ; c'est bon, la peau du rouget, mais Lou adore voir la chair , blanc opaque, et, avec un soin méticuleux, elle détache un à un les métamères, ces petits segments qui composent une géométrie en harmonie avec le dessin des arêtes.
Métamères.
Elle rit tout haut, en pensant à Malik. Il ignore sûrement qu'il manipule des injures !

Oups, Mentor, voudrais-tu bien mettre mes métamères au masculin STP ?

coline Dé a écrit:C'est jour de poisson. D'un couteau soigneux, elle dégage l'arête centrale, en admire les dentelles raides, pense au poissonnier.
Malik.
Souvent elle regarde ses mains, il ne porte pas de gants.
Elle sourit au citron. Il l'a cueilli pour elle, sur une moraine de glace pilée. Les citrons s'accordent bien à la couleur de sa peau ; une bouffée de soleil monte dans les reins de Lou. La peau est enlevée délicatement ; c'est bon, la peau du rouget, mais Lou adore voir la chair , blanc opaque, et, avec un soin méticuleux, elle détache une à une les métamères, ces petits segments qui composent une géométrie en harmonie avec le dessin des arêtes.
Métamères.
Elle rit tout haut, en pensant à Malik. Il ignore sûrement qu'il manipule des injures !

Coline ;-)

merci.

Parce que je n'ai rien à dire, je m'autorise cette petite dérive (le message pourra s'autodétruire avec le concours d'un modérateur, si la vague amère de cette pollution t'est insupportable).

...À vue de poisson, la progression du grand œuvre des coraux est insignifiante... Je ne suis pas d'accord avec cette vérité.

Pourquoi ? Bonne question. Si le repère d'une unité de temps fait référence à notre structure mentale découpée en tranche horaire, la poissonne possède la vision d'avenir la plus élaborée qui soit, justifiant sa capacité de projection autant sur le plan virtuel que sur le plan de la table inclinée du poissonnier sur laquelle elle offrira sa chair aux voraces qui attendent, tous numérotés.
C'est dire combien elle ressent cette insignifiance comme une constante mouvance formidablement évolutive. Comment le sais-je ? Je fraye avec l'une d'elles.

Je dis pareil que les autres... (ceux qui ont aimé).
Et puis aussi que c'est bien les deux premières phrases. Elles donnent une tonalité au texte. Elles nous disent à nous, lecteurs, comment on doit lire la suite.