Nocturne

il m’arrive d’écrire encore, car rien ne remplace pour moi ces lettres, leur voix intérieure, leur appel vide. et rien ne remplace l’attente vide, sa puissante densité.
je ne les envoie pas, il n’en est plus question.
ce serait absurde et je suis allée loin dans le beau pays de l’absurdité, allée et revenue.
et je me repose dans l’oubli de cette question. dans ma patrie non-absurde.

mais je suis amputée, c’est évident, du membre fantôme
irrigué de ce courant-là.

je suis dans cette pièce où quelqu’un dort. la ville est tout autour – après la pluie, la nuit. tous ces kilomètres que je fais, pour voir mes enfants, mes amis.

j’ai moi-même fermé la frontière trouble
pour le temps de cette vie.
je ne reverrai plus jamais la maison des origines
ni les longs jeux dans le soir
ni ceux que j’ai suivis, d’île en île boueuse, et sans me laisser voir
ni la voix qu’appelaient ces lettres.

ça me touche beaucoup

un texte d'une rare densité, qui me parle... il est des textes dont vous ne saisissez pas entièrement le sens mais qui vous touche... comme une corde qui vibre... et résonne en vous...
il m’arrive d’écrire encore,
quelle belle entame, je la garde...
la strophe finale dégage une force lucide comme si rien ne pouvait en être autrement... c'est ainsi...
une mélancolie aussi...
j'aime !

merci à vous deux, je n'ai rien à dire de plus que vos deux commentaires...Sinon que ce poème s'est écrit "tout seul".

Peut-être ces grands J'eux de lettres, jeux de l'être, ont-ils assouvi pour un temps ce miroir féroce qui dévore l'entour de soi...
Peut-être suffira-t-il d'un autre lieu, d'un autre rythme, des yeux de chair, pour que tes mots s'incarnent, ou s'effeuillent.


Je suis quant à moi, touchée par cette solitude qui se dit, pudiquement, herbe parmi les herbes, pierre parmi les pierres.

merci de la finesse de ton commentaire, Polixene.
C'est très compliqué la solitude, surtout quand on n'est plutôt pas assez seul.
En commencant à écrire j'ai découvert à l'intérieur de moi un lieu désertique qui cherchait un habitant.