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Hommage à ce que nous aimons

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Message  Raoulraoul Mer 13 Fév 2019 - 10:03

Hommage à ce que nous aimons

L’heure va bientôt arriver. Elvino, depuis le matin, s’y est préparé, comme d’ailleurs tous les matins du même jour de chaque semaine. Il sait que ce jour là ne sera pas pareil aux autres. Malgré la répétition hebdomadaire de cette heure dans son emploi du temps, il ne s’en lasse pas. Quand qu’il sent venir cette heure, ses mouvements dès le lever sont plus légers, il s’interroge sur les vêtements qu’il mettra pour être à la hauteur de l’heure, lui faire honneur, lui être agréable et digne pour que l’heure se déroule dans les conditions les meilleures, faire bonne figure à ce temps offert, bien que voulu et organisé depuis de longue date et au prix d’effort dont il apprécie à l’évidence recueillir les résultats comme une récompense.

Elvino, sait qu’il devra être à l’heure au rendez-vous en prenant sa voiture. Sa vieille 2CV gris horizon même si la carrosserie est des plus fatiguée et usée, l’intérieur étonne par sa propreté, fruit d’un entretien et d’une vigilance constante dès qu’un caoutchouc ou une housse de protection montrent les premiers signes de vétusté, pas question que boue ou feuilles mortes souillent le plancher de la désuète guimbarde, il astique tout ce qui peut briller, dépoussière tout ce qui peut s’accumuler sur tableau de bord, poignets, recoins malicieux entre les sièges, rainures qui bordent les portes ou vitres, revisse tout ce qui peut se déglinguer par les vibrations, change les pièces que l’humidité et le temps corrodent sans pitié. Bref, l’intérieur de la 2CV doit être aussi nickel et disponible que son conducteur au volant qui se rend au point de rendez-vous avec l’heure qui serait intraitable si on ne répondait pas à son exigence, elle se chargeant au vivant de leur dispenser le plaisir. Car durant cette heure il est bien question en effet de jouissance. Elvino sait que ce temps est rare, qu’il lui est donné par une grâce dont il ne peut expliquer l’origine. Si parfois, il s’en doute un peu, il ne veut pas la sonder davantage, elle perdrait alors son attraction, l’intensité qui meut quiconque se livre à son envoûtement.

Au volant de sa guimbarde, Elvino regarde défiler les façades des immeubles, il imagine que derrière les fenêtres personne ne réalise l’effervescence qui anime celui qui se rend à l’heure. C’est durant ce trajet qu’Elvino goûte son bonheur et le privilège qui le distingue alors qu’il n’en tire aucun bien visible. Au contraire, c’est dans sa 2CV pourrie qu’il s’élève au rang le plus royal. Il atteint des sommets d’autant plus salvateurs que son carrosse est amoché, comme son existence d’ailleurs. Elvino est manutentionnaire dans un magasin d’outillage, ses émoluments lui permettent juste de vivre dans un meublé dans un bourg de la campagne creusoise, où en dehors de la superette du coin rien ne lui est accessible. Sauf cette heure hebdomadaire, après six heures du soir, où il crée ce que le monde lui refuse, lui interdit, lui assène comme des coups de semonce avec la stridence des sirènes de la culpabilité lui rappelant  que se rendre à ce moment là dans cet endroit là, est d’une inutilité monstrueuse qui le précipitera un jour dans les abîmes de l’autodestruction.

Mais qu’importe. Elvino est vainqueur dans cet instant. Il existe plus qu’ailleurs. Quand il gare sa 2CV sur le parking du bâtiment qui a été rénové, justement pour que les adeptes de l’endroit bénéficient du meilleur, Elvino aime être en avance. Il observe la paix des jardins, les allées finement recouvertes de graviers sur lesquels quand on marche nos pas se signalent par un subtil tintement annonçant « voilà j’arrive », d’autres gens garent leur voiture toujours plus rutilante que celle d’Elvino, Elvino s’amuse à décrypter les visages de leur propriétaire. Aucun ne semble aussi heureux que le sien. Pourtant il doit se rendre à l’évidence que toute personne qui franchit le porche de cet endroit, comme lui-même dans quelques minutes le franchira, vient partager avec lui l’inimaginable activité. Toujours à celle-ci les femmes sont plus nombreuses que leur homologue masculin. Elles se présentent avec leur sac chic, leur coiffure odorante et laquée, leurs vêtements aux couleurs variées qui confèrent à l’activité son petit air de divertissement.

Mais la minute arrive où Elvino doit s’éjecter de la carlingue protectrice de sa 2CV           pour se mêler aux participants qu’il ne serait pas convenable d’espionner plus longtemps. Elvino alors rentre dans la bâtisse, emprunte couloir neuf, foule carrelage à damier, attend devant la porte dont la vitre supérieure teintée permet de l’extérieur de deviner qu’il y a du monde sans savoir exactement qui. Faut-il penser que l’activité qui s’exerce ici ne souffre aucun regard ? Les participants dans l’attente que s’ouvre la porte échangent des mots aimables, font des allusions à leur semaine écoulée, par leurs œillades bienfaisantes on comprend que chacun se reconnaît par le désir commun qui les réunit tous ici à l’heure idoine.

Mais Elvino garde ses distances. Il tortille sa mince moustache qu’il s’est laissé pousser ces derniers temps pour se donner un peu d’allure, dont il se sent souvent déficitaire. Il ne sourit pas, déjà concentré sur ce qui l’attend derrière la porte. Quelqu’un enfin dans la pièce ouvre l’accès, le groupe se répand aussitôt avec un vif soulagement qu’on retient par discrétion et politesse. Tous s’installent selon ses habitudes. On se met à l’aise. Une chaleur, tous les radiateurs sont poussés à leur maximum, s’exhale entre les quatre murs du local spacieux. Celui qui semble être l’ordonnateur des lieux parle d’abord longuement, toujours trop longuement de point de vue d’Elvino.

Et enfin, le silence venu, autour de la grande table, chacun se penche sur ce qu’il ne sait comment commencer. Elvino, sans hésitation, sur la page à petits carreaux de son bloc note à spirale format A4, avec son stylo feutre Pilot à pointe moyenne, écrit en rapides caractères nerveux, « L’heure va bientôt arriver, Elvino, depuis le matin s’y est préparé, comme d’ailleurs tous les matins du…. »  La suite il la connaît, puisqu’avec elle il avait rendez-vous, et que maintenant elle est véritablement là. Toujours à l’heure comme il se doit ; l’heure de l’écriture.
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Message  isa Sam 21 Sep 2019 - 15:33

Le principe du texte est génial, depuis le titre jusqu'à la chute (je laisse régner le suspense pour ceux qui auraient, comme moi, la malheureuse habitude de lire les commentaires avant le texte) mais il m'a fallu du temps avant de le réaliser.

J'ai trouvé que le texte avait des longueurs, qui m'ont fait sauter plusieurs passages pour sauter directement à la fin et revenir savourer ensuite certains paragraphes avec un œil différent.

Certaines phrases sont, selon moi, vraiment trop longues ce qui en rend la lecture vraiment laborieuse comme:
Sa vieille 2CV gris horizon même si la carrosserie est des plus fatiguée et usée, l’intérieur étonne par sa propreté, fruit d’un entretien et d’une vigilance constante dès qu’un caoutchouc ou une housse de protection montrent les premiers signes de vétusté, pas question que boue ou feuilles mortes souillent le plancher de la désuète guimbarde, il astique tout ce qui peut briller, dépoussière tout ce qui peut s’accumuler sur tableau de bord, poignets, recoins malicieux entre les sièges, rainures qui bordent les portes ou vitres, revisse tout ce qui peut se déglinguer par les vibrations, change les pièces que l’humidité et le temps corrodent sans pitié. a écrit:

Peut-être qu'un style plus "percutant" aurait mieux desservi le texte?
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Message  Narbah Ven 6 Déc 2019 - 16:50

Je vais vous faire un beau compliment que vous ne méritez peut-être pas : votre texte me semble chercher quelque chose comme un texte datant de l'époque (révolue) du nouveau roman. Comme le texte par exemple de l'Année Dernière à Marienbad d'Alain Resnais. Vous avez probablement peiné pour mettre tout cela en place. Vous n'avez pas me semble-t-il la facilité de plume nécessaire pour réussir convenablement cette entreprise. MAIS J'ADMIRE LA VOLONTÉ D'Y PARVENIR, JE PENSE RECONNAÎTRE LE TRAVAIL. Ceci dit, la mise en abîme du travail d'écriture est en soit très seventies.

Un homme et un femme sans nom et sans visage devisent dans la propriété somptueuse de Marienbad…c'est l'homme qui parle d'abord (musique et images panoramiques défilent)…
- Le jardin comme tout le reste était désert (...) C'était l'année dernière. Un an déjà. Vous du moins vous n'avez pas changée. Vous avez toujours les mêmes yeux absents, même sourire, même rire.
(…)
- Souvenez-vous, c'était dans le jardin .
(…)
- Vous vous teniez sur une balustrade de pierres, sur laquelle votre main était posée.
(…)
- Vous m'avez demandé le nom des personnages. Je vous ai répondu que ça n'avait pas d'importance.
(…)
- Vous n'étiez pas de cet avis et vous vous êtes mise à leur donner des noms. Je vous ai dit que c'était vous et moi ou n'importe qui. Venez.
- Non je n'ai pas envie c'est trop loin.
- Je vous en prie
-Je vous répète que c'est impossible...
- Bien c'était ailleurs…ou même ici dans ce salon, vous m'avez suivi jusqu'à ce que je vous montre cette image.
- Pardonnez-moi cher Monsieur, je crois que je peux vous renseigner de façon plus précise. Cette statue représente Charles III et son épouse mais ne date pas de cette époque...

Votre 2CV est comme la citrouille de Cendrillon, elle doit se transformer en carrosse à la pointe de votre stylo… J'aime bien votre texte dans son imperfection.



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Message  seyne Ven 6 Déc 2019 - 20:51

Suivant depuis longtemps les écrits de Raoul Raoul je suis convaincue que les « imperfections » sont tout à fait délibérées et travaillées.
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Message  Narbah Sam 7 Déc 2019 - 12:28

seyne a écrit:Suivant depuis longtemps les écrits de Raoul Raoul je suis convaincue que les « imperfections » sont tout à fait délibérées et travaillées.
Donc des imperfections parfaites ? Peut-être que j'ai lu trop rapidement. mais c'est le privilège inaliénable du lecteur que de ressentir à sa façon. Mais je ne nie nullement qu'il puisse se tromper. Peut-être après avoir lu beaucoup de Raoul Raoul vais-je changer d'avis. Mais surtout, ce qui me plairait, c'est d'avoir son avis à lui.
Pouvoir discutter d'un texte avec son auteur est la seule vraie motivation pour écrire des commentaires. Si vous avez peurque ça fasse remonter les textes, prévoyer un fil spécial pour les commentaires. c'est un peu lourd, mais ça permet de gérer ça.
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Message  seyne Sam 7 Déc 2019 - 14:21

oui, bien sûr ce n’est aussi que mon sentiment et on n’est pas dans les sciences exactes :-)
Une méthode intéressante et qu’autorisent les fonctions de ce forum c’est d’aller chercher les autres textes de Raoulraoul pour se faire une idée plus globale de son style et de ses thèmes de prédilection.
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