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Nous sommes passés, nous n'avons fait que ça

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Nous sommes passés, nous n'avons fait que ça Empty Nous sommes passés, nous n'avons fait que ça

Message  boudi Sam 24 Sep 2011 - 1:50

Sans réclamer une indulgence particulière, j'ai écrit ce texte malgré moi. Il est longtemps que je ne parviens plus à écrire et celui-ci finalement sorti de cette longue gestation a des airs de prématuré. Il est maladroit et ne ressemble à aucun de ses aînés. Je n'ai jamais écrit de cette voix de n'avoir jamais été vieux. Pourtant, sous ce ciel-là, dans cette obscurité je crois à mon ton discerner des accents graves. Ceux peut-être que la ride fait.



Tous ces prénoms grotesques je les ai sur la peau gribouillés et pourquoi sinon que m'en faire une stèle de chair et de voix. Cette effluve incolore d'amours qui n'en furent pas. Ces idées trop mal-élevées pour sortir de la rue.

J'ai vieilli et je croyais dans les joues des filles mettre par mes dents, ma vie, je croyais par mes actes mettre deux fois mon nom dans l'Histoire. Être certain d'avoir été. Rien. Rien. Rien. Et trois fois ce mot revient dans la marée. Rien. Rien. Rien. L'eau se fiche de tout ça. Les gloires suffoquent là-bas dans le large, le phare les ignore. La mer les couvrira de ses baisers pâles, de ses langes de deuil. Rien. Rien. Rien. Nous n'avons rien été.

Déjà il est très tard dans ma vie, et derrière moi qui peut dire ce passé ? Mes yeux se sont usés sur ces corps balbutiants le plaisir et le courage. Il fait si noir qu'on ne trouve déjà plus la trace de ma vie, mes souvenirs. Il reste l'éclairage public, la mémoire publique, et tous ces corps qu'interroge la froideur du regard. Qu'est ce que je fus ?qui peut le dire, mon corps est trop vieux, mon cou est trop dur, je ne peux déjà plus me retourner. Quelle certitude d'avoir été, quand la jeunesse est un mirage. Quand mes vingt ans sont un regret. Ce n'est plus ma rue ; ce n'est déjà plus ma vie. Et ce chemin ne se fait qu'en un sens qui vous courbe le cœur.

Tout le long de la course nous entendions rire des ombres. Et la vie, et la fête, et nos semelles en voilaient l'obscurité . Nos pas ont ralenti ; Nos rires ont baissé. Tous, moins nombreux.
Ces ombres suivent ma solitude. Je ne comprends pas leurs yeux. Ils sont incrustés, joyau maudit, dans mon souvenir.

Que reste-t-il de nos rages ? Des yeux aveugles, des mains fébriles, et la peur quand le vent ridé secoue nos volets. Le silence ne sursaute plus à notre passage. Nous étions fiers ; nous sommes misérables. Que s'est il passé ? La vie, la vie, la vie. Trois fois, et ce n'était pas assez que vivre si fort.

Ce n'était donc que ça d'avoir des idées, que ça que d'agir. De se rendre là-bas, sans jamais se rendre. Nulle part, nulle part, nulle part. Et c'est pour ce devenir là que nous avions serrés nos poings, barricadés nos joies ? Et pour nos songes combien de larmes, combien de crimes pour un seul rêve, pour un matin qui n'était qu'un soupir, qui n'était qu'un répit. Pour devenir de cet âge là, immobiles dans la nuit.

J'ai couru dans la vie, et ma course renversait les petites filles fragiles, les joues de porcelaine, combien j'ai rué pour arriver là où je suis aujourd'hui presque de l'autre côté de la vie, à l'autre extrémité du silence, où la nuit se racle la gorge et apprend son texte.

Et nous avions des voix je crois. La vie nous les a prises. Reste ce murmure, cette bouche morte, ces lèvres fines, diminuées, de tous les cris poussés. Ce cri devenu le gémissement, gémissement et c'est tout notre corps qui te traîne. Nos genoux, nos lèvres, nos paupières et nos doigts te récitent. C'est mon avenir que tu entends se rompre quand une syllabe monte plus haut qu'une autre. Nous avons fini de croire. Je plie le genou. Tu entends un crépitement. Nos espoirs brûlés.
Que reste-t-il ? Le sang à nos paumes même s'efface...l'encre de nos idées est toute bue. Il nous fallait une dernière ivresse. A Grenade, à Paris, dans nos cafés, dans nos chambres, sous nos uniformes, nous l'avons bue et nos lèvres pourtant n'ont pas changé de couleur . Nous avons attendu une longue nuit que le soleil de la victoire nous éblouisse. Nous avons attendu d'être aveugles. Et nous le sommes devenus. La nuit a posté son ombre alentour de nous. Nous tremblons sans plus l'excitation de nos premiers périls, nous tremblons de cette nuit, de son gros doigt posé sur nos bouches tombantes. Qu'il est triste d'avoir cru, qu'il est triste de ne plus croire. Demain se fera avec d'autres idées, d'autres révoltes, et ceux-là encore attendront ce soleil que nous ne vîmes pas, et ceux-là encore ne pourront tourner la tête à l'heure noire. Nous ne serons pas là pour leur dire qu'il est vain d'attendre, nous ne leur pourrons rien transmettre de n'avoir été rien.

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Message  Invité Sam 24 Sep 2011 - 11:59

Ça ne peut que me faire penser à Land & Freedom de Ken Loach.

Et sinon, je ne sais que dire... C'est presque émouvant, je veux dire, l'émotion n'est pas loin, avec certains passages forts, poétiques ("Que reste-t-il de nos rages ? Des yeux aveugles, des mains fébriles, et la peur quand le vent ridé secoue nos volets. Le silence ne sursaute plus à notre passage. Nous étions fiers ; nous sommes misérables. Que s'est il passé ? La vie, la vie, la vie. Trois fois, et ce n'était pas assez que vivre si fort." ; "combien j'ai rué pour arriver là où je suis aujourd'hui presque de l'autre côté de la vie, à l'autre extrémité du silence") ; il me semble qu'il suffirait de pas grand-chose ou pas énormément pour que ce texte passe à l'étape au-dessus, celle où il deviendrait vraiment intéressant. Cela passe à mon avis par un travail de forme (voir ci-dessous) et peut-être un resserrement du texte qui me semble tourner en rond quelque peu, se répéter.

La syntaxe est discutable à certains endroits :
-"pourquoi sinon que m'en faire une stèle de chair " "sinon pour" normalement)
-"je croyais dans les joues des filles mettre par mes dents," (même en admettant que le complément de la phrase soit : "mon nom dans l'Histoire.", la structure est bancale, le complément trop éloigné et la préposition très certainement erronée).
-"Pour devenir de cet âge là," (on en peut pas "devenir de qch")
"La nuit a posté son ombre alentour de nous." ("alentour" s'utilise seul, sans complément)
"Nous tremblons sans plus l'excitation de nos premiers périls" ("plus" est superflu, incorrect)

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Message  Soliflore Sam 24 Sep 2011 - 12:44

Une sincérité dans l’écriture qui soulève l’émotion à son paroxysme.

La mise en route du texte est un peu laborieuse à cause de tournures lourdes telles « Ce n'était donc que ça d'avoir des idées, que ça que d'agir" et encore: "je croyais dans les joues des filles mettre par mes dents, ma vie, je croyais par mes actes mettre deux fois mon nom dans l'Histoire" qui rendent la lecture laborieuse, mais passé cet échauffement, nous sommes happés par le propos qui nous interpelle (seriez-vous là pour nous rappeler la vanité de toutes choses et de tous actes, c'est en tout cas ce que je ressens?), le tout dans un style personnel aux couleurs grises et à la voix presque d'outre-tombe dont le linceul de métaphores est très beau.

Merci pour ce bon moment de lecture qui donne tant à penser.
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Message  Janis Sam 24 Sep 2011 - 13:27

et bien pour ma part, je l'ai lu un peu vite sans doute, sans m'attacher aux petites fautes ou défauts, et j'ai été emportée par ce mélange d'amertume et d'énergie : ça bouge encore ! a-t-on envie de dire. C'est une houle qui roule, un flux de mots qui disent, certes, la perte, mais aussi ia vie.
J'aime ici le style généreux et ténébreux, j'aime même l'emphase, le trop, les maladresses.
Bref, c'est oui.
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Message  boudi Sam 24 Sep 2011 - 14:51

Easter a écrit:-"pourquoi sinon que m'en faire une stèle de chair " "sinon pour" normalement)
-"je croyais dans les joues des filles mettre par mes dents," (même en admettant que le complément de la phrase soit : "mon nom dans l'Histoire.", la structure est bancale, le complément trop éloigné et la préposition très certainement erronée).
-"Pour devenir de cet âge là," (on en peut pas "devenir de qch")
"La nuit a posté son ombre alentour de nous." ("alentour" s'utilise seul, sans complément)
"Nous tremblons sans plus l'excitation de nos premiers périls" ("plus" est superflu, incorrect)
Chacune des choses ici relevées m'ont fait pareillement tressaillir au moment de l'écrire. Mais. Je ne sais pas, je préférais ces formulations ou courageuses ou maladroites. Je ne les crois pas incorrectes. Le sens se laisse très bien faire même sous ce couvert là, ces robes à tournures passées de mode si tant est qu'elles furent d'une époque.
Devenir de est en effet étrange, mais je ne sais pas, ça me faisait quelque chose de le formuler sous ce tour là, ça allait avec le propos d'ensemble.

Easter a écrit:"-"je croyais dans les joues des filles mettre par mes dents," (même en admettant que le complément de la phrase soit : "mon nom dans l'Histoire.", la structure est bancale, le complément trop éloigné et la préposition très certainement erronée)."
Ici le complément est "ma vie" c'est "ma vie" que par mes dents je veux inscrire dans ces joues énoncées. Il manque clairement la ponctuation, j'aurais du écrire "J'ai vieilli et je croyais, dans les joues des filles, mettre par mes dents, ma vie,"

Pour alentour je dois par contre vous contredire, cet emploi est correct. Si peut-être certains puristes tiqueront c'est une formulation déjà employée, Mauriac n'écrivait-il pas "et alentour ce remous d'agents, de rôdeurs". Ce sont des formulations, celle-ci comme toutes les autres, que j'aime pour leur légèreté sonore. Si le sens s'en trouve compliqué à l'infini je crois l'oreille assez charmée pour lui dire plutôt le chant que la signification.

"Nous tremblons sans plus l'excitation de nos premiers périls"
Incorrect ? Je ne sais pas, il ne me semble pas, c'est encore pour le rythme de ma phrase, qu'elle épouse ces pulsations que je retrouve à mes doigts comme des bagues...

Merci à vous tous pour votre lecture.

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Message  Invité Sam 24 Sep 2011 - 15:40

Boudi, je n'ai pas la prétention d'être poète et de jouer avec les mots ; je suis juste technicienne de la langue et surtout je n'affirme jamais rien sans être sûre. Alors, lorsque je te signale des incorrections de langue, des impropriétés, c'est dans un esprit pédagogique. Après, chacun peut choisir de se forger un style, d'inventer un langage, un idiome, au besoin en déstructurant la langue, ça ne me gêne pas, je n'ai d'ailleurs pas dit être gênée, j'ai dit que les formulations étaient discutables. Une fois encore, les remarques sont d'ordre pédagogique, et du respect de la langue. Il est tellement facile - et je ne dis pas que ce soit le cas ici - de torturer la syntaxe et l'orthographe sous couvert de créativité.

A propos de "alentour" j'accepte ton explication même si l'exemple de Mauriac est mal choisi puisqu'il n'utilise de fait pas la préposition "de", contrairement à ta propre phrase. Dans "alentour ce remous d'agents, de rôdeurs" la préposition "de" dans "de rôdeurs" réfère au "remous" : "ce remous [...] de rôdeurs", pas "alentour [...] de rôdeurs".

Cela dit, je fais confiance au CNRTL qui indique un usage "vieux ou littéraire" de alentour de :
− Vx. ou littér. [En emploi prép.] Alentour de. Autour de :
4. Toute cette illumination répandait une lueur alentour du café, ...
G. de Maupassant, Contes et nouvelles, t. 1, La Femme de Paul, 1881, p. 1226.
5. Tout alentour de la rue Montmartre, les voies étaient noires de piétons. La circulation était interrompue.
R. Martin du Gard, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, p. 552.
Rem. Noté vieilli par Ac. 1835-1932, cf. toutefois Littré : ,,L'Académie dit que alentour de, préposition, a vieilli. Mais il a pour lui de bons auteurs, il se comprend bien et pourrait s'employer.``

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Message  midnightrambler Sam 24 Sep 2011 - 20:42

Bonsoir,

Un souffle poétique qui transporte l'émotion et balaye (plutôt, à mon goût, que "balaie") au loin les maladresses ...
J'ai beaucoup aimé.

Amicalement,
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Message  Rebecca Sam 24 Sep 2011 - 21:39

La vie cette tragédie. Il y a quelque chose qui, malgré certaines maladresses ( je nomme maladresse ce qui risque de faire quitter le cours du texte pour s'interroger sur sa forme), incontestablement percute et atteint sa cible. La force de l'émotion.
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Message  Sweet Heart Dim 25 Sep 2011 - 3:26

Le titre m'a guidé sur votre page et je ne suis pas déçue...Les questionnements que vous vous posez, que l'on se pose tous à un moment donné, avec cette réponse sans appel...Nous ne faisons que passer...
Dès lors, il faut trouver un sens à la vie, la croquer, la dévorer pour ce qu'elle est et rien de plus, rien.

J'ai aimé les émotions qui se sont invitées à ma lecture de ton texte.

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Message  Sahkti Ven 15 Juin 2012 - 18:07

Enormément de poésie dans ce texte, de l'amertume aussi, de la désillusion, encore, et ce mélange donne un récit qui me paraît particulièrement réussi tant il se dégage des émotions subtiles et nuancées de tout ce qui est exprimé ici.
Au début de la lecture, j'ai craint un effet répétitif, voire ampoulé, pour exprimer les sentiments vécus mais cela est rapidement balayé par la sincérité touchante de ce qui suit, cette mise à nu qui nous rappelle notre propre vie dans tout ce qu'elle a de vulnérable (et d'éphémère).
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Message  lol47 Dim 17 Juin 2012 - 6:34

Le hasard (ou peut-être pas...) m'a conduit jusqu'ici.
Et le hasard fait toujours bien les choses. Pas déçu.
Mon empathie est très forte avec ce texte.
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Message  chris Dim 17 Juin 2012 - 15:02

boudi a écrit:Sans réclamer une indulgence particulière, j'ai écrit ce texte malgré moi. Il est longtemps que je ne parviens plus à écrire et celui-ci finalement sorti de cette longue gestation a des airs de prématuré. Il est maladroit et ne ressemble à aucun de ses aînés. Je n'ai jamais écrit de cette voix de n'avoir jamais été vieux. Pourtant, sous ce ciel-là, dans cette obscurité je crois à mon ton discerner des accents graves. Ceux peut-être que la ride fait.

Perso, ce n'est pas une ride que je vois, plutôt une interrogation sincère sur un bout de chemin dans lequel tu délaisses le je pour donner de la place au nous et écris de telle sorte à ce que le lecteur t'accompagne.

j'aime bien ce texte poétique porté par une sensibilité personnelle mais communicatrice.


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