Lettre à l'inconnu
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Lettre à l'inconnu
6 Mars 2020
Idée idiote, assurément. Mais pour une fois que je me sens l'envie de réaliser quelque chose jusqu'au bout,voyons où elle me mènera. Je vais même éteindre la télévision où passe un film d'espionnage stupide, vu et revu : un James Bond ou consort présente un iris (bien entendu contrefait) devant un poste de contrôle. Voilà le déclic de la porte aux mystères qui résonne. Il est entré au même moment dans cette ville où vous habitez, que je ne verrai jamais. Partout, des milliers de gens le voient entrer, sachant fort bien que cela ne changera rien au bout de nougat que réclame encore et encore la petite dernière en pignant à larmes forcément chaudes et qui finira sous un fauteuil du salon, sur le tapis ou dans la cage du cacatoès, au pied du perchoir parce que, bien sûr, c'est de meilleur goût qu'un bête serin jaunasse. Tous, ce soir, dans cette ville, vous avez mis vos ordures jaunes, vertes ou grises en sages containers devant vos portes. Moi je le ferai demain et vous savez bien que cela ne modifiera en rien nos vies respectives. Terrifiant. On pourrait, à l'infini, décalquer chaque existence sur une autre : rien ne changerait . Rien ne changerait vraiment : toutes pitoyables et semblables tristement, au nanomètre près jusqu'à l'urne dernière dont seulement changera la forme, la couleur peut-être, le prix assurément.
En souvenir de l'enfant ébouriffé que vous avez été, que je me souviens vaguement avoir rêvé d'être, moi dont les sanctions scolaires accumulées ont fait un nain, un bon à rien, un croquant lamentable, en souvenir de cet enfant-là, croyez- moi si vous pouvez. J'ai longtemps voulu défendre la veuve et l'orphelin, brandir des oriflammes, inventer des mondes enfin habitables où l'uranium n'aurait pas frauduleusement franchi les frontières pour enrichir des trafiquants revendeurs du bloc de l'Est. Je serais parti en Afrique ou en Asie sauver les derniers éléphants; j'aurais vu dans les déserts du Kalahari scintiller des étoiles inconnues de notre hémisphère. Me voilà coincé dans une H.L.M au bord d'un périphérique. Avant de délirer dans la lettre que je vous envoie, je me suis fait une inhalation. Espérons que je n'ai pas contracté ce nouveau et couronné virus exotique. Une chauve-souris ou un pangolin chinois l'auraient hébergé! Mais non, je me connais bien : si j'ai, à mon habitude, les naseaux qui coulent, c'est seulement qu'ils suintent, comme toujours, pleins de l'horreur d'exister. J'ai pris votre adresse au bout d'un stylo planté au hasard dans l'annuaire.
Dominique, êtes-vous un homme, une femme, un cheval qui souffre peut-être autant que moi? Suis-je fou, irrémédiablement? Il est idiot d'écrire à un inconnu, à une inconnue; encore plus idiot d'attendre une réponse. Aimerais-je vous connaître? Je n'en suis pas sûr, plus sûr du tout. Mettons que je sois fou, complètement. J'ai voulu écrire, avec un stylo, à un être humain. En suis-je encore un?
Merci de m'avoir lu. Ou pas. Mon adresse est au revers de l'enveloppe. Je me laisse quelques jours, peut-être quelques semaines d'espoir, d'illusion.
P.S.: Nous sommes le 20 ou le 21 mars. Nous sommes le printemps! Je profite d'une dernière sortie "liée à l'activité physique individuelle des personnes" pour envoyer cette lettre; peut-être la dernière. Je tousse beaucoup et ma fièvre est légèrement montée. De toute façon, ne m'écrivez pas. J'ai l'âme trop fragile ; espérer n'est pas bon.
Sur l'enveloppe, j'ai mis un timbre lent que je n'ai pas léché. Soyez sans crainte. Ni les chauve-souris ni les pangolins baveux ni moi-même ne pourrons vous contaminer. Je n'ai plus qu'une seule requête : vivez une vie heureuse je l'espère.
Je veux rester pour toujours un être humain....
Près des larmes, Dominique demeura sous le silence; retourna la si mince feuille bleutée tirée de l'enveloppe, craignant, dans sa joie d'avoir reçu une lettre, en ces temps pénibles de confinement, d'avoir déchiré l'adresse d'un homme. Non, aucune déchirure; tout était net, presque tranché malgré son doigt négligent qui avait fourragé sous le rabat, rompu le papier. On distinguait bien les traces d'une adresse, d'un nom. Hélas inutilisables: ils avaient disparu sous un trait de stabilo noir qui avait coulé, longuement, sous la pluie entêtée d'avril.
obi- Nombre de messages : 576
Date d'inscription : 24/02/2013
Re: Lettre à l'inconnu
Quand des circonstances hors du commun poussent l'homme à modifier ses habitudes, on peut à la fois tout craindre et tout espérer... mais il faut écrire au stylo bille ou à l'encre de chine ( non, non, pas l'encre de Chine, on ne sait jamais !)
J'aime bien
J'aime moins le début
Et à mon sens ça digresse trop ( ok, c'est pas correct comme formulation !)
Et je voudrais bien qu'il ne pleuve pas en avril...
J'aime bien
entre ces deux phrases il y a une sorte de contradiction très humaine ett très touchante.Avant de délirer dans la lettre que je vous envoie, je me suis fait une inhalation. a écrit:De toute façon, ne m'écrivez pas. J'ai l'âme trop fragile ; espérer n'est pas bon. a écrit:
J'aime moins le début
Pas compris : voient entrer qui ?Partout, des milliers de gens le voient entrer, sachant fort bien que cela ne changera rien au bout de nougat() a écrit:
Et à mon sens ça digresse trop ( ok, c'est pas correct comme formulation !)
Et je voudrais bien qu'il ne pleuve pas en avril...
coline dé- Nombre de messages : 353
Age : 25
Date d'inscription : 24/12/2019
Re: Lettre à l'inconnu
Décidément je n’aime pas les nouvelles qui se terminent par une « chute », j’y trouve presque toujours quelque chose d’une coquetterie artificielle, loi du genre en quelque sorte.
Et je ne suis pas convaincue non plus ici par le style, qui semble suivre la pensée de l’auteur sans censure mais qui donne une impression de relâchement. J’imagine que tu as voulu tenter une expérience intéressante mais il me semble qu’il faudrait paradoxalement plus travailler le texte pour que ce soit « beau et vrai ».
Recevoir une vraie lettre en ce temps de confinement...oui, ce serait comme un signe difficile à décrypter. Un rappel de quelque chose d’oublié ?
Et je ne suis pas convaincue non plus ici par le style, qui semble suivre la pensée de l’auteur sans censure mais qui donne une impression de relâchement. J’imagine que tu as voulu tenter une expérience intéressante mais il me semble qu’il faudrait paradoxalement plus travailler le texte pour que ce soit « beau et vrai ».
Recevoir une vraie lettre en ce temps de confinement...oui, ce serait comme un signe difficile à décrypter. Un rappel de quelque chose d’oublié ?
Re: Lettre à l'inconnu
bon, à la relecture, je change d'idée. La chute n'en est pas une, elle est au contraire l'aboutissement logique d'un texte saturé du dégoût de soi, et qui effectivement assassine l'espoir à la fin. Et le relâchement du style qui semble dégouliner par endroits, est tout à fait en accord.
Toutes mes excuses maître obi.
Toutes mes excuses maître obi.
reprise
Merci à vous, valeureux padawans Coline et Seyne, pour vos commentaires qui m'ont fait réfléchir.
Coline : il me semblait que c'était à peu près clair : le narrateur, déjà bien entamé physiquement et mentalement (puisque isolé, peut-être contaminé et fiévreux) regarde un film à la T.V et lorsqu'il voit Bond, James Bond, entrer dans la pièce, dans son écran de télévision, à des centaines de mètres ou des milliers de kilomètres de là, tous les gens qui regardent la même chaîne de T.V, au même moment, le voient entrer dans la pièce, dans leur propre écran de T.V mais cela ne changera rien. Chacun dans son cube! Vies très semblables mais très séparées, reproduites à l'infini et télévision qui, en cherchant à distraire les gens de leur quotidien (mais par millions, avec le même programme) les enfonce dans la même (ir)réalité, séparés/séparant à l'infini.
Seyne: j'ai relu le texte. Je pense (peut-être à tort) qu'il se défend.
Style relâché: c'est celui de la débandade/ panique du contaminé/ désespéré dont la fièvre (propre ou figurée) monte.
Je comprends ce que tu veux dire : "travailler plus le texte" afin qu'il soit beau et vrai.
Mais comme il est écrit en caméra subjective, c'est difficile. On ne peut objectivement faire du beau lorsque l'on crève de trouille. Encore que, ça pourrait se défendre aussi, un chant du cygne....
Bref, j'ai relu, essayé de préciser le début et de reprendre la chute par trop larmoyante et racoleuse.
Ceci vous convient-il mieux? :
Lettre à l'inconnu
6 Mars 2020
Idée idiote, assurément. Mais pour une fois que je me sens l'envie de réaliser quelque chose jusqu'au bout,voyons où elle me mènera. Je vais même éteindre la télévision où passe un film d'espionnage stupide, vu et revu : un James Bond ou consort présente un iris (bien entendu contrefait) devant un poste de contrôle. Voilà le déclic de la porte aux mystères qui résonne. L'agent au service de Sa Majesté et du M. I. 6 est entré au même moment dans cette ville où vous habitez, que je ne verrai jamais. Partout, des milliers de gens le voient entrer, sachant fort bien que cela ne changera rien au nougat que réclame encore et encore la petite dernière en pignant à larmes forcément chaudes et qui finira sous un fauteuil du salon, sur le tapis ou dans la cage du cacatoès, au pied du perchoir parce que, bien sûr, c'est de meilleur goût qu'un bête serin jaunasse. Tous, ce soir, dans cette ville, vous avez mis vos ordures jaunes, vertes ou grises en sages containers devant vos portes. Moi je le ferai demain et vous savez bien que cela ne modifiera en rien nos vies respectives. Terrifiant. On pourrait, à l'infini, décalquer chaque existence sur une autre : rien ne changerait . Rien ne changerait vraiment : toutes pitoyables et semblables tristement, au nanomètre près jusqu'à l'urne dernière dont seulement changera la forme, la couleur peut-être, le prix assurément.
En souvenir de l'enfant ébouriffé que vous avez été, que je me souviens vaguement avoir rêvé d'être, moi dont les sanctions scolaires accumulées ont fait un nain, un bon à rien, un croquant lamentable, en souvenir de cet enfant-là, croyez- moi si vous pouvez. J'ai longtemps voulu défendre la veuve et l'orphelin, brandir des oriflammes, inventer des mondes enfin habitables où l'uranium n'aurait pas frauduleusement franchi les frontières pour enrichir des trafiquants revendeurs du bloc de l'Est. Je serais parti en Afrique ou en Asie sauver les derniers éléphants; j'aurais vu dans les déserts du Kalahari scintiller des étoiles inconnues de notre hémisphère. Me voilà coincé dans une H.L.M au bord d'un périphérique. Avant de délirer dans la lettre que je vous envoie, je me suis fait une inhalation. Espérons que je n'ai pas contracté ce nouveau et couronné virus exotique. Une chauve-souris ou un pangolin chinois l'auraient hébergé! Mais non, je me connais bien : si j'ai, à mon habitude, les naseaux qui coulent, c'est seulement qu'ils suintent, comme toujours, pleins de l'horreur d'exister. J'ai pris votre adresse au bout d'un stylo planté au hasard dans l'annuaire.
Dominique, êtes-vous un homme, une femme, un cheval qui souffre peut-être autant que moi? Suis-je fou, irrémédiablement? Il est idiot d'écrire à un inconnu, à une inconnue; encore plus idiot d'attendre une réponse. Aimerais-je vous connaître? Je n'en suis pas sûr, plus sûr du tout. Mettons que je sois fou, complètement. J'ai voulu écrire, avec un stylo, à un être humain. En suis-je encore un?
Merci de m'avoir lu. Ou pas. Mon adresse est au revers de l'enveloppe. Je me laisse quelques jours, peut-être quelques semaines d'espoir, d'illusion.
P.S.: Nous sommes le 20 ou le 21 mars. Nous sommes le printemps! Je profite d'une dernière sortie "liée à l'activité physique individuelle des personnes" pour envoyer cette lettre; peut-être la dernière. Je tousse beaucoup et ma fièvre est légèrement montée. De toute façon, ne m'écrivez pas. J'ai l'âme trop fragile ; espérer n'est jamais bon.
Sur l'enveloppe, j'ai mis un timbre lent que je n'ai pas léché. Soyez sans crainte. Ni les chauve-souris ni les pangolins baveux ni moi-même ne pourrons vous contaminer. Je n'ai plus qu'une seule requête : vivez une vie heureuse je l'espère.
Je voudrais rester pour toujours un être humain....
Perplexe, Dominique demeura sous le silence, le grand soleil froid du printemps capricieux; retourna la mince feuille bleutée, puis l'enveloppe. En ces temps de confinement extrême, la joie d'avoir reçu une lettre manuscrite le disputait à la crainte d'avoir déchiré l'adresse d'un homme. Non, la fente était nette, presque tranchée malgré son doigt négligent qui, fourrageant sous le rabat, avait rompu le papier. On y devinait à grand peine quelques lettres d'un patronyme , quelques restes d'une impasse, d'une rue , dernières traces résolument noyées par une averse.
obi- Nombre de messages : 576
Date d'inscription : 24/02/2013
Re: Lettre à l'inconnu
Bien que tu n'aies pas changé grand chose au début, l'agent de SM me parait plus clair que le " il" du premier texte ( ou alors je suis mieux réveillée !!!)
Pour ce qui est de la fin, effectivement, " perplexe "me parait mieux venu que " près des larmes", même si le confinement exacerbe les sensibilités.
En revanche, j'aimais bien " la pluie entêtée d'avril".
Pour ce qui est de la fin, effectivement, " perplexe "me parait mieux venu que " près des larmes", même si le confinement exacerbe les sensibilités.
En revanche, j'aimais bien " la pluie entêtée d'avril".
coline dé- Nombre de messages : 353
Age : 25
Date d'inscription : 24/12/2019
Re: Lettre à l'inconnu
Je n'aurais pas changé grand chose au style. Je comprends comment tu positionnes celui qui écrit, et cette écriture est juste. Où je diverge, c'est sur le début. Le film à la télé et ta digression autour. Peut-être parce que c'est pas dans mes habitudes surtout s'il y a du rugby. Mais tu m'as rattrapé en sortant les poubelles. Les vertes, les noires, les grises, ça je connais. Et la suite glisse. On sent qu'il a choisi d'écrire une lettre et que ce n'est pas dans ses habitudes, mais que ce soir c'est important. Et non seulement ça glisse mais plus ça va, moins il n'arrive à se raccrocher (c'est bien mieux que James Bond).
La lecture de Dominique ? Peut-être pas des larmes, mais plus que de la perplexité. Secoue-le, ça mérite mieux que ça. Ou alors tu as choisi un dur, non représentatif du téléspectateur vulgum pecus moderne.
La lecture de Dominique ? Peut-être pas des larmes, mais plus que de la perplexité. Secoue-le, ça mérite mieux que ça. Ou alors tu as choisi un dur, non représentatif du téléspectateur vulgum pecus moderne.
'toM- Nombre de messages : 289
Age : 69
Date d'inscription : 10/07/2014
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