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Arielle
outretemps
Kash Prex
apoutsiak
Leila Zhour
9 participants
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En attendant la suite de Watertown, je vous propose autre chose, car il n'y a pas que le courrier dans la vie, que diable !
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Si je devais choisir un mot, un verbe, pour le garder seul et nu, un peu à la manière dont on choisit une pierre pour la monter en solitaire, il me semble qu'aller aurait l'exclusivité de mon attention.
C'est un mouvement. La racine du mouvement. D'autres verbes indiquent d'autres mouvement : "faire", l'action faite verbe, d'autres encore la manière même d'aller. Nous avons donc monter, courir, descendre, boiter, traîner etc. Même venir, ce proche cousin de l'aller, ce point de vue de destination, appartient encore au mouvement premier du verbe aller.
Aller n'est pas non plus un mot soumis. Avec son allure rassurante de verbe du premier groupe, il a pourtant l'irrégularité insidieuse et tenace dès le présent de l'indicatif. C'est un original qui, au futur, à la fantaisie de reprendre son radical originel ir- et sa racine n'apparaît que dans le mouvement à venir…
C'est un astucieux qui trompe sans qu'on s'en rende compte. On l'emploie tant qu'on finit par oublier sa finesse. On n'y prend plus garde.
Aller est donc mouvement. Même sa conjugaison bouge, fluctue, et tout l'esprit s'engage en direction de l'allant, celui qui va, tendu que l'on est, sans cesse, vers cela, là-bas, innommé la plupart du temps.
Je vais vers demain.
Je vais aveuglément, je tâtonne donc.
Pour ne pas trébucher, je cherche des lumières, l'intérieur de soi où l'on chemine sans cesse. J'explore les strates des silences, c'est une étrange spéléologie dans l'opacité de l'âme. C'est descendre encore, s'absorber.
Je vais vers lui aussi, proche et lointain. C'est demain, un autre lendemain. Je me mets nue pour lui. C'est effrayant, certes, mais c'est toujours ce geste vers, cet élan qui va, qui me pousse. "Aller", c'est donner, c'est recevoir.
Je vais, et l'incessante marche épuise tout comme elle ressuscite. Mon souffle jongle, fait danser les émois, ivre de vie. "Aller" me dit et me contient, je vais, j'irai et quand, dans un terme dont je ne sais rien encore, le mouvement cessera, quand je n'aurai plus pour l'instant à venir ce regard où l'intérieur se libère dans l'extérieur, ce sera un "aller" encore, un aller simple et je l'apprivoise à travers chaque geste.
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Si je devais choisir un mot, un verbe, pour le garder seul et nu, un peu à la manière dont on choisit une pierre pour la monter en solitaire, il me semble qu'aller aurait l'exclusivité de mon attention.
C'est un mouvement. La racine du mouvement. D'autres verbes indiquent d'autres mouvement : "faire", l'action faite verbe, d'autres encore la manière même d'aller. Nous avons donc monter, courir, descendre, boiter, traîner etc. Même venir, ce proche cousin de l'aller, ce point de vue de destination, appartient encore au mouvement premier du verbe aller.
Aller n'est pas non plus un mot soumis. Avec son allure rassurante de verbe du premier groupe, il a pourtant l'irrégularité insidieuse et tenace dès le présent de l'indicatif. C'est un original qui, au futur, à la fantaisie de reprendre son radical originel ir- et sa racine n'apparaît que dans le mouvement à venir…
C'est un astucieux qui trompe sans qu'on s'en rende compte. On l'emploie tant qu'on finit par oublier sa finesse. On n'y prend plus garde.
Aller est donc mouvement. Même sa conjugaison bouge, fluctue, et tout l'esprit s'engage en direction de l'allant, celui qui va, tendu que l'on est, sans cesse, vers cela, là-bas, innommé la plupart du temps.
Je vais vers demain.
Je vais aveuglément, je tâtonne donc.
Pour ne pas trébucher, je cherche des lumières, l'intérieur de soi où l'on chemine sans cesse. J'explore les strates des silences, c'est une étrange spéléologie dans l'opacité de l'âme. C'est descendre encore, s'absorber.
Je vais vers lui aussi, proche et lointain. C'est demain, un autre lendemain. Je me mets nue pour lui. C'est effrayant, certes, mais c'est toujours ce geste vers, cet élan qui va, qui me pousse. "Aller", c'est donner, c'est recevoir.
Je vais, et l'incessante marche épuise tout comme elle ressuscite. Mon souffle jongle, fait danser les émois, ivre de vie. "Aller" me dit et me contient, je vais, j'irai et quand, dans un terme dont je ne sais rien encore, le mouvement cessera, quand je n'aurai plus pour l'instant à venir ce regard où l'intérieur se libère dans l'extérieur, ce sera un "aller" encore, un aller simple et je l'apprivoise à travers chaque geste.
Re: Aller
Très belle, cette unité poético-philosophico-métaphysique, c'est comme un oeil nouveau sur une chose ancienne et très usée.
Re: Aller
Oui, c'est beau, et cela m'ouvre des horizons, mais (l'avouerai-je ? Oui, bien sûr) j'y ai trouvé quelques longueurs dommageables, cela va, pour moi, d'un train de sénateur...
Invité- Invité
Re: Aller
Pas du tout d'accord, si le train du sénateur ressemble à une micheline poussive : C'est très bon de goûter à cette lenteur. J'ai pensé à la musique de Garbarek, pour ceux qui connaissent.
Re: Aller
Très bon ça, très bien vu...C'est un original qui, au futur, à la fantaisie de reprendre son radical originel ir- et sa racine n'apparaît que dans le mouvement à venir…
Globalement, un texte dont j'aime le ton et la démarche. Jolie réflexion =)
Re: Aller
C'est très beau et profond. J'aime bien comme t'aime les mots.
outretemps- Nombre de messages : 615
Age : 77
Date d'inscription : 19/01/2008
Re: Aller
C'est rigolo, j'expliquais ce matin à un écrivain en herbe de 12 ans que les verbes comme aller et faire manquent un peu de précision et méritent qu'on se creuse la cervelle pour les mettre en vacances et leur trouver des synonymes plus appropriés, moins usés... Quand je lis ton texte, Leila, j'ai presque envie de revenir sur ce que j'ai dit ;-)
Re: Aller
voici des commentaires qui incitent à ... aller de l'avant !
socque : je suis Escargot ascendant Tortue, faut me pardonner....
Apoustiak : Garbarek. je vais chercher.
socque : je suis Escargot ascendant Tortue, faut me pardonner....
Apoustiak : Garbarek. je vais chercher.
Re: Aller
c'est vraiment excellent, je l'ai lu plusieurs fois, les mots s'enchaînent avec frénésie et beauté
marilyn- Nombre de messages : 82
Age : 57
Date d'inscription : 27/12/2007
Re: Aller
c'est vrai que je vais-j'allais-j'irai, y en a pas beaucoup des comme ça à part les 2 auxiliaires, et toi tu le décortiques si bien que ça donne envie de faire pareil pour tous les autres
j'aime beaucoup ce "travail", comme "embrasser" dans ton texte LE BAISER
un joli sujet pour une courte thèse ;-)
j'aime beaucoup ce "travail", comme "embrasser" dans ton texte LE BAISER
un joli sujet pour une courte thèse ;-)
Re: Aller
Et tu nous le tailles ici en bien beau cabochon, il brille de mille éclats.Leila Zhour a écrit:Si je devais choisir un mot, un verbe, pour le garder seul et nu, un peu à la manière dont on choisit une pierre pour la monter en solitaire,
Aller chercher le diamant dans sa gangue, c'est tout l'art.
à tchaoum- Nombre de messages : 612
Age : 75
Date d'inscription : 06/05/2007
Re: Aller
Belle démarche avec non seulement un travail de recherche mais aussi d'assemblage sur fond poétique. Tu ne te limites pas à disserter sur le sens du mot aller ni à lancer une discussion métaphysique ou philosophique, tu arrives à glisser des éléments personnels, des réflexions et des pensées qui donnent à son texte sa personnalité propre dépassant la leçon de choses et je trouve ça bien!
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
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