AVENT : Comptoir de Noël
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AVENT : Comptoir de Noël
Que le lecteur entende bien ce que notre héros avait en tête, ce 24 décembre, alors qu’il avançait péniblement, bringuebalé par un vent violent qui gémissait comme un cri de douleur dans le goulot étroit de cette ruelle grisâtre fraîchement repeinte de neige. Que le lecteur comprenne son désarroi tandis qu’il trimbalait sa solitude ordinaire, en ce jour comme une tache sur le calendrier, et répétait, sans trop y croire : "Noël est un jour comme les autres, pas plus, pas moins. Tu n’es pas plus seul aujourd’hui qu’hier. Ce n’est qu’une autre nuit."
Tel était son état d’esprit quand il vit, au loin, l’enseigne d’un café qui colorait dans la nuit les flocons serrés.
À travers les vitres opaques, embuées par la chaleur des respirations, des silhouettes floues, comme des ombres chinoises sur un écran mal tendu, lui ouvraient les bras et l’attiraient à l’intérieur. La main sur la poignée de cuivre du bistrot, poussé par une bourrasque soudaine, Il se fraya un chemin dans le tintamarre de rires affables et de complaintes joyeuses, ferma la porte au nez du vent qui siffla par une fente invisible, doucement, comme pour lui dire "à tout à l’heure".
Afin de se donner bonne contenance, il scruta les consommateurs figés devant ; tantôt une liqueur orangée ; tantôt un café fumant, le regard fiévreux, éclairé par les mille reflets dansants de l'étagère à bouteilles.
Il remarqua une femme, l’air absorbé, les joues colorées et le cheveu en bataille, les doigts enveloppés de mitaines d'un gris sombre, qui bousculait le fin papier d'argent d’un chocolat d'agrément pour lui donner l'aspect d'un sapin de Noël.
Animé du courage de celui qui n’attend rien de la vie, notre héros s’installa près d’elle.
- Vous allez avoir du mal à y mettre les guirlandes!
- Pardon?
- Le sapin! Vous allez avoir du mal à le décorer.
- Ah oui!... Non! Celui-là c’est un sapin sauvage dans une forêt. Pas de place pour la crèche et l'enfant Jésus. Je n'aime pas les décorations. Quand Jésus est né, les boules et les crèches en plastique n'existaient pas.
- Le boeuf et l'âne, vous les avez envoyés à l'abattoir?
Il lui sourit. Elle leva la tête, l’observa un moment, pour la première fois. Elle hésita, sourit légèrement, à son tour, et se lança dans un discours fébrile.
- C'est compliqué, vous savez, je me suis brouillée avec mon fils, il va falloir que je m'habitue à l’idée ; je l'ai fichu dehors... Enfin, quand je dis dehors ; il est retourné chez son père qui habite à 5 mètres de chez moi. Je n'ai pas la patience avec les hommes en fait et celui-là n’a que sept ans. C'est peut-être parce que je veux corriger mes défauts à travers lui que ça merde…
Mais pourquoi je vous parle de tout ça ?
- Peut-être parce que je connais un peu ça, aussi, comme tout le monde. Être dérouté, c’est souvent la voie pour devenir parent. Tiens ! Par exemple, quand je veux donner des conseils à mes filles, je me souviens de moi et je ricane.
Aujourd’hui, pour la première fois, elles passent Noël en famille, loin de moi, et je suis seul.
- Je suis seule aussi.
- Vous avez votre sapin en alu.
- Oui, c'est vrai, je me fais ma petite fête de Noël sans les artifices.
- Juste les paradis artificiels, dit-il en pointant les verres vides posés devant elle.
- Oh, ça! C’est juste un verre par roi mage, un pour Jésus et un pour moi!
- Et Marie n'a pas le droit au plaisir, comme d'habitude.
Elle sourit, éleva son verre d'un geste mal assuré et l'adressa au ciel. Son bras s’évanouit dans le coton gris de l’épaisse fumée de cigarettes.
- Par Jésus! Vous êtes arrivé au bon moment! Honorez Joseph pendant que je rends grâce à Marie. Patron!
- Je prendrai une bénédictine ou une absinthe.
Ensemble ils attaquèrent cette boule glacée au ventre que seul l’alcool sait faire fondre. Ils parlaient beaucoup, souriaient souvent, riaient de temps en temps. Être triste à deux c’est parfois faire un pas vers la joie. Le temps passait et leurs rires étaient depuis longtemps mêlés à ceux des autres clients du café, notes harmonieuses dans cette cacophonie joyeuse.
Repu de parapluies volés et de valses de feuilles mortes, jusque-là épargnées par un automne clément, le vent, dehors, était tombé et les flocons dansaient légèrement, satisfaits d’avoir couvert en partie, déjà, les trottoirs et les rues. Noël prenait place peu à peu.
- Vous n’avez pas envie d'aller récupérer votre fils?
- Non, pas vraiment. Ça lui donnera l'occasion de passer du temps avec son père et demain, je sais qu'il sera là.
- En gros, vous aimez la sécurité.
- Comme vous. Sinon vous seriez dans un bar à discuter avec une femme seule qui a un peu trop bu.
- J’aime l’idée.
- Vous aimez Noël?
- Je ne sais pas. Peut-être ! Comment sait-on si on aime Noël?
- On se sent bien.
- Alors, j'aime Noël. Je me sens bien, là, maintenant.
Ils parlèrent de tout, surtout de riens. La porte s’ouvrit plusieurs fois pour laisser passer un homme, une femme, et chaque fois rafraîchir l’atmosphère enfumée. Les reflets de l'étoile de minuit plein les yeux, la jeune femme oublia quelques instants la présence de son compagnon d'infortune et, se pencha, silencieuse, pour contempler le fond de son verre désormais dépourvu de tout liquide euphorisant. La crainte de la perdre glaça le sang de notre homme. Il choisit, dès lors, de capter à nouveau, d'une quelconque manière, son attention.
- Vous lisez l'avenir?
- Je pensais au passé. À Noël. À l'enfance. À ce qu'on nous enseigne. C'est beau Noël, c'est magique, on aime tout le monde.
- C'est pas obligé...
- Si. Enfin presque. On va pas taper sur la gueule des gens un soir de Noël. Même les armées font la trêve. C'est bizarre tout ça. Pourquoi à Noël. Juste à Noël. Seulement à Noël...
- Vous redevenez mélancolique. Patron, un autre verre pour la petite dame!
- Non, mais sérieusement. On fait la paix pour fêter la date de naissance d'un sauveur et à la date de sa mort, on se gave d'oeufs en chocolat. Il y a des destinées qui m'échappent. Vous pensez qu'Il nous regarde depuis là-haut et qu'Il se demande ce qu'on a fait de ce qu'il nous a donné?
- Patron, ce verre, vite, apportez la bouteille!
- Vous me trouvez ennuyeuse?
- Non. Enfin si ! Oui. Non. Je sais pas.
- Embrassez-moi !
- Je ne vous ai pas encore dit que vous aviez de beaux yeux.
- Pas grave. Embrassez-moi. Ce sera notre cadeau de Noël
Il l’observait en admirant la lumière de ses yeux, il ne savait que dire. Les secondes piétinèrent sur place, le temps d'un nouveau regard.
- Ça y est ! Je sais ! Vous êtes un fantôme de Noël. Je vais vous embrasser et vous allez m’embarquer autre part, dans le passé, me donner une leçon, un truc qui me changera à jamais, qui me rendra sinon bon, au moins un peu meilleur. Où sont les autres ?
Interloquée, elle se perdit dans ses sourires et sa mine réjouie.
Il se tourna vers la salle. Agrippa l’épaule d’un homme qui passait.
"Monsieur, vous êtes un esprit ? C’est moi, Scrooge!"
Elle riait tandis qu’il gesticulait, courait dans le café, embrassait les gens pour leur demander s’ils étaient "les esprits", s’ils lui rendraient le cœur, le vrai, le beau. Chacun y allait de son bon mot, chacun riait plus fort encore, la bonne humeur trouvait terreau fertile à la chaleur de ce lieu, en ces visages qui se fendaient de sourires honnêtes. Pas seulement parce qu’il était "le jour de rire" - comme on dit : "l’heure de dormir" - mais pour autre chose, beaucoup plus. Une chose que notre ami et sa nouvelle compagne ignoraient, imbibés qu’ils étaient, et qu’ils ignoreraient encore demain quand ils redeviendraient eux-mêmes.
Notre homme revint vers elle, suivi de plusieurs. Il l’embrassa et ses suiveurs applaudirent en les serrant tous deux dans leurs bras. Dans tous les yeux des étoiles, aucune à suivre aveuglément, mais des constellations de sentiments brillants. D’autres s’embrassèrent à leur tour, et tous les gens présents semblaient satisfaits comme amants pendant l’amour. Les secondes s’étiraient pour préparer les heures à durer plus longtemps, à savourer, à se poser un peu.
Dans la liesse lénifiante, un vieil homme apparut, tenant à bout de bras un téléphone qui sonnait un chant de Noël. Il se fraya un chemin au milieu de la joyeuse assemblée.
- C’est pour vous, Madame!
Elle prit le téléphone et l’observa sans sembler savoir trop qu’en faire. Le vieil homme posa un doigt sur une touche et souleva la main de la femme jusqu’à ce qu’elle atteigne son oreille. Il s’écarta un peu quand elle chuchota dans l’appareil et, tel un prestidigitateur, fit apparaître un autre téléphone qui chantait le même air que le précédent.
- Pour vous, Monsieur!
Notre homme n’eût pas l’esprit plus vif que sa compagne. Il la regardait sourire aux anges. Le vieil homme le pressait de répondre. Il répondit sans mot dire et reconnut les petites voix qui chahutaient à son oreille.
- Papa, on t’aime!
La femme murmurait de son côté: "Moi aussi, je t’aime, mon poussin, je t’aime plus que tout au monde."
Elle leva ses yeux, chatoyants comme mille lunes sur un océan tranquille, lui sourit et lui tendit une main, il hurla son amour dans le téléphone, tous deux riaient. Quand ils raccrochèrent, en même temps, les gens, qui plus tôt les entouraient, chantaient bruyamment tout en communiant avec leurs verres. Le vieil homme avait disparu. Mais ils n’avaient plus besoin de lui, ils avaient l’essentiel. Ils chantèrent à leur tour en riant aux éclats. La nuit de Noël s'étira entre sourires et chants, joyeux, comme devraient l’être les lendemains.
De Paris à New York, en passant par Liège ou Aurillac, il existera toujours de ces moments d’exception banale, ces moments où le cœur danse sans orchestre ni flonflons.
Peut-être ont-ils imaginé cela. Peut-être n’y a-t-il eu aucun vieillard. Peut-être aucun coup de fil ne fut passé. Peut-être encore ont-ils eux-mêmes appelé ceux qu’ils aimaient. Mais qu’importe ! Peut-être était-il simplement le jour, l’heure de croire, de ne plus penser, de ne plus juger, de ne plus se croire ceci ou cela. Il était le moment d’Être, simplement, de partager, de donner, de recevoir. Être soi et l’être avec les autres. Pas seulement parce que c’était Noël, même si ce jour mène à l'allégresse en préparant les cœurs, mais parce qu’il existe des moments de félicité banale comme celui-ci, des instants sur lesquels nous devrions nous arrêter avant que le temps ne les emporte. Des moments que nous devrions choyer et - sans essayer à tout prix de les retrouver - en garder l’esprit au quotidien, rester soi et pas celui que nous voudrions que les autres voient ; devenir sourd aux quolibets des conformés ; refuser d’être de ceux qui ne croient plus aux bonheurs simples, ceux qui se retournent trop tard, amers, sur leurs souvenirs, quand ils n’ont plus d’avenir.
Tel était son état d’esprit quand il vit, au loin, l’enseigne d’un café qui colorait dans la nuit les flocons serrés.
À travers les vitres opaques, embuées par la chaleur des respirations, des silhouettes floues, comme des ombres chinoises sur un écran mal tendu, lui ouvraient les bras et l’attiraient à l’intérieur. La main sur la poignée de cuivre du bistrot, poussé par une bourrasque soudaine, Il se fraya un chemin dans le tintamarre de rires affables et de complaintes joyeuses, ferma la porte au nez du vent qui siffla par une fente invisible, doucement, comme pour lui dire "à tout à l’heure".
Afin de se donner bonne contenance, il scruta les consommateurs figés devant ; tantôt une liqueur orangée ; tantôt un café fumant, le regard fiévreux, éclairé par les mille reflets dansants de l'étagère à bouteilles.
Il remarqua une femme, l’air absorbé, les joues colorées et le cheveu en bataille, les doigts enveloppés de mitaines d'un gris sombre, qui bousculait le fin papier d'argent d’un chocolat d'agrément pour lui donner l'aspect d'un sapin de Noël.
Animé du courage de celui qui n’attend rien de la vie, notre héros s’installa près d’elle.
- Vous allez avoir du mal à y mettre les guirlandes!
- Pardon?
- Le sapin! Vous allez avoir du mal à le décorer.
- Ah oui!... Non! Celui-là c’est un sapin sauvage dans une forêt. Pas de place pour la crèche et l'enfant Jésus. Je n'aime pas les décorations. Quand Jésus est né, les boules et les crèches en plastique n'existaient pas.
- Le boeuf et l'âne, vous les avez envoyés à l'abattoir?
Il lui sourit. Elle leva la tête, l’observa un moment, pour la première fois. Elle hésita, sourit légèrement, à son tour, et se lança dans un discours fébrile.
- C'est compliqué, vous savez, je me suis brouillée avec mon fils, il va falloir que je m'habitue à l’idée ; je l'ai fichu dehors... Enfin, quand je dis dehors ; il est retourné chez son père qui habite à 5 mètres de chez moi. Je n'ai pas la patience avec les hommes en fait et celui-là n’a que sept ans. C'est peut-être parce que je veux corriger mes défauts à travers lui que ça merde…
Mais pourquoi je vous parle de tout ça ?
- Peut-être parce que je connais un peu ça, aussi, comme tout le monde. Être dérouté, c’est souvent la voie pour devenir parent. Tiens ! Par exemple, quand je veux donner des conseils à mes filles, je me souviens de moi et je ricane.
Aujourd’hui, pour la première fois, elles passent Noël en famille, loin de moi, et je suis seul.
- Je suis seule aussi.
- Vous avez votre sapin en alu.
- Oui, c'est vrai, je me fais ma petite fête de Noël sans les artifices.
- Juste les paradis artificiels, dit-il en pointant les verres vides posés devant elle.
- Oh, ça! C’est juste un verre par roi mage, un pour Jésus et un pour moi!
- Et Marie n'a pas le droit au plaisir, comme d'habitude.
Elle sourit, éleva son verre d'un geste mal assuré et l'adressa au ciel. Son bras s’évanouit dans le coton gris de l’épaisse fumée de cigarettes.
- Par Jésus! Vous êtes arrivé au bon moment! Honorez Joseph pendant que je rends grâce à Marie. Patron!
- Je prendrai une bénédictine ou une absinthe.
Ensemble ils attaquèrent cette boule glacée au ventre que seul l’alcool sait faire fondre. Ils parlaient beaucoup, souriaient souvent, riaient de temps en temps. Être triste à deux c’est parfois faire un pas vers la joie. Le temps passait et leurs rires étaient depuis longtemps mêlés à ceux des autres clients du café, notes harmonieuses dans cette cacophonie joyeuse.
Repu de parapluies volés et de valses de feuilles mortes, jusque-là épargnées par un automne clément, le vent, dehors, était tombé et les flocons dansaient légèrement, satisfaits d’avoir couvert en partie, déjà, les trottoirs et les rues. Noël prenait place peu à peu.
- Vous n’avez pas envie d'aller récupérer votre fils?
- Non, pas vraiment. Ça lui donnera l'occasion de passer du temps avec son père et demain, je sais qu'il sera là.
- En gros, vous aimez la sécurité.
- Comme vous. Sinon vous seriez dans un bar à discuter avec une femme seule qui a un peu trop bu.
- J’aime l’idée.
- Vous aimez Noël?
- Je ne sais pas. Peut-être ! Comment sait-on si on aime Noël?
- On se sent bien.
- Alors, j'aime Noël. Je me sens bien, là, maintenant.
Ils parlèrent de tout, surtout de riens. La porte s’ouvrit plusieurs fois pour laisser passer un homme, une femme, et chaque fois rafraîchir l’atmosphère enfumée. Les reflets de l'étoile de minuit plein les yeux, la jeune femme oublia quelques instants la présence de son compagnon d'infortune et, se pencha, silencieuse, pour contempler le fond de son verre désormais dépourvu de tout liquide euphorisant. La crainte de la perdre glaça le sang de notre homme. Il choisit, dès lors, de capter à nouveau, d'une quelconque manière, son attention.
- Vous lisez l'avenir?
- Je pensais au passé. À Noël. À l'enfance. À ce qu'on nous enseigne. C'est beau Noël, c'est magique, on aime tout le monde.
- C'est pas obligé...
- Si. Enfin presque. On va pas taper sur la gueule des gens un soir de Noël. Même les armées font la trêve. C'est bizarre tout ça. Pourquoi à Noël. Juste à Noël. Seulement à Noël...
- Vous redevenez mélancolique. Patron, un autre verre pour la petite dame!
- Non, mais sérieusement. On fait la paix pour fêter la date de naissance d'un sauveur et à la date de sa mort, on se gave d'oeufs en chocolat. Il y a des destinées qui m'échappent. Vous pensez qu'Il nous regarde depuis là-haut et qu'Il se demande ce qu'on a fait de ce qu'il nous a donné?
- Patron, ce verre, vite, apportez la bouteille!
- Vous me trouvez ennuyeuse?
- Non. Enfin si ! Oui. Non. Je sais pas.
- Embrassez-moi !
- Je ne vous ai pas encore dit que vous aviez de beaux yeux.
- Pas grave. Embrassez-moi. Ce sera notre cadeau de Noël
Il l’observait en admirant la lumière de ses yeux, il ne savait que dire. Les secondes piétinèrent sur place, le temps d'un nouveau regard.
- Ça y est ! Je sais ! Vous êtes un fantôme de Noël. Je vais vous embrasser et vous allez m’embarquer autre part, dans le passé, me donner une leçon, un truc qui me changera à jamais, qui me rendra sinon bon, au moins un peu meilleur. Où sont les autres ?
Interloquée, elle se perdit dans ses sourires et sa mine réjouie.
Il se tourna vers la salle. Agrippa l’épaule d’un homme qui passait.
"Monsieur, vous êtes un esprit ? C’est moi, Scrooge!"
Elle riait tandis qu’il gesticulait, courait dans le café, embrassait les gens pour leur demander s’ils étaient "les esprits", s’ils lui rendraient le cœur, le vrai, le beau. Chacun y allait de son bon mot, chacun riait plus fort encore, la bonne humeur trouvait terreau fertile à la chaleur de ce lieu, en ces visages qui se fendaient de sourires honnêtes. Pas seulement parce qu’il était "le jour de rire" - comme on dit : "l’heure de dormir" - mais pour autre chose, beaucoup plus. Une chose que notre ami et sa nouvelle compagne ignoraient, imbibés qu’ils étaient, et qu’ils ignoreraient encore demain quand ils redeviendraient eux-mêmes.
Notre homme revint vers elle, suivi de plusieurs. Il l’embrassa et ses suiveurs applaudirent en les serrant tous deux dans leurs bras. Dans tous les yeux des étoiles, aucune à suivre aveuglément, mais des constellations de sentiments brillants. D’autres s’embrassèrent à leur tour, et tous les gens présents semblaient satisfaits comme amants pendant l’amour. Les secondes s’étiraient pour préparer les heures à durer plus longtemps, à savourer, à se poser un peu.
Dans la liesse lénifiante, un vieil homme apparut, tenant à bout de bras un téléphone qui sonnait un chant de Noël. Il se fraya un chemin au milieu de la joyeuse assemblée.
- C’est pour vous, Madame!
Elle prit le téléphone et l’observa sans sembler savoir trop qu’en faire. Le vieil homme posa un doigt sur une touche et souleva la main de la femme jusqu’à ce qu’elle atteigne son oreille. Il s’écarta un peu quand elle chuchota dans l’appareil et, tel un prestidigitateur, fit apparaître un autre téléphone qui chantait le même air que le précédent.
- Pour vous, Monsieur!
Notre homme n’eût pas l’esprit plus vif que sa compagne. Il la regardait sourire aux anges. Le vieil homme le pressait de répondre. Il répondit sans mot dire et reconnut les petites voix qui chahutaient à son oreille.
- Papa, on t’aime!
La femme murmurait de son côté: "Moi aussi, je t’aime, mon poussin, je t’aime plus que tout au monde."
Elle leva ses yeux, chatoyants comme mille lunes sur un océan tranquille, lui sourit et lui tendit une main, il hurla son amour dans le téléphone, tous deux riaient. Quand ils raccrochèrent, en même temps, les gens, qui plus tôt les entouraient, chantaient bruyamment tout en communiant avec leurs verres. Le vieil homme avait disparu. Mais ils n’avaient plus besoin de lui, ils avaient l’essentiel. Ils chantèrent à leur tour en riant aux éclats. La nuit de Noël s'étira entre sourires et chants, joyeux, comme devraient l’être les lendemains.
De Paris à New York, en passant par Liège ou Aurillac, il existera toujours de ces moments d’exception banale, ces moments où le cœur danse sans orchestre ni flonflons.
Peut-être ont-ils imaginé cela. Peut-être n’y a-t-il eu aucun vieillard. Peut-être aucun coup de fil ne fut passé. Peut-être encore ont-ils eux-mêmes appelé ceux qu’ils aimaient. Mais qu’importe ! Peut-être était-il simplement le jour, l’heure de croire, de ne plus penser, de ne plus juger, de ne plus se croire ceci ou cela. Il était le moment d’Être, simplement, de partager, de donner, de recevoir. Être soi et l’être avec les autres. Pas seulement parce que c’était Noël, même si ce jour mène à l'allégresse en préparant les cœurs, mais parce qu’il existe des moments de félicité banale comme celui-ci, des instants sur lesquels nous devrions nous arrêter avant que le temps ne les emporte. Des moments que nous devrions choyer et - sans essayer à tout prix de les retrouver - en garder l’esprit au quotidien, rester soi et pas celui que nous voudrions que les autres voient ; devenir sourd aux quolibets des conformés ; refuser d’être de ceux qui ne croient plus aux bonheurs simples, ceux qui se retournent trop tard, amers, sur leurs souvenirs, quand ils n’ont plus d’avenir.
Sahkilltou- Nombre de messages : 4
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: AVENT : Comptoir de Noël
Une idée de départ simple mais très bien menée. Vous êtes parvenus à créer deux personnages forts tout en laissant flotter l’anonymat autour d’eux. L’atmosphère électrique entre les protagonistes est bien rendue. Parfois on frôle le sentimentalisme facile (« Être triste à deux c’est parfois faire un pas vers la joie » « de partager, de donner, de recevoir », et tout le passage du vieil homme avec ses téléphones) mais votre jolie pirouette narrative (« Peut-être ont-ils imaginé cela. Peut-être n’y a-t-il eu aucun vieillard… » vous offre une belle issue et puis après tout c’est Noël !!!
C’était un plaisir de vous lire, vraiment.
C’était un plaisir de vous lire, vraiment.
Re: AVENT : Comptoir de Noël
Lu et relu. Un vrai conte de Noël fait de petites choses et de beaux sentiments. C'est pas de trop temps en temps de remettre les aiguilles sur minuit ! Les deux personnages sont attachants vraiment. Ils sont au diapason du récit. Quand aux trouvailles, j'ai relevé le vent qui siffle "à tout à l'heure" et évidemment le succulent "Marie n'a pas le droit au plaisir comme d'habitude". Merci pour ce beau texte à tous les deux.
Zou- Nombre de messages : 5470
Age : 62
Localisation : Poupée nageuse n°165, Bergamini, Italie, 1950-1960
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: AVENT : Comptoir de Noël
J'ai bien aimé. Ca parait si simple comme histoire, mais c'est peut-être ça son charme.
Invité- Invité
Re: AVENT : Comptoir de Noël
de Mentor (sur CL)
10 décembre 2005 @ 14:00
Très très très très très beau!!!
Bravo vous deux, le style est parfait, l'histoire est forte, les réflexions profondes, les ambiances réalistes, on entend les bruits, on sent la fumée, on ressent la solitude et la détresse de ces 2 là, pris individuellement, et on se réjouit ensuite du rapprochement, des rires, des embrassades, qui font "boule de neige", et enfin de ce Père-Noël furtif qui apporte la touche finale des 2 téléphones un peu anachroniques mais si efficaces!! ;-)
Peut-être que les tirades finales auraient pu être un peu simplifiées, mais ça ne nuit pas à l'ensemble.
Chapeau!
10 décembre 2005 @ 14:00
Très très très très très beau!!!
Bravo vous deux, le style est parfait, l'histoire est forte, les réflexions profondes, les ambiances réalistes, on entend les bruits, on sent la fumée, on ressent la solitude et la détresse de ces 2 là, pris individuellement, et on se réjouit ensuite du rapprochement, des rires, des embrassades, qui font "boule de neige", et enfin de ce Père-Noël furtif qui apporte la touche finale des 2 téléphones un peu anachroniques mais si efficaces!! ;-)
Peut-être que les tirades finales auraient pu être un peu simplifiées, mais ça ne nuit pas à l'ensemble.
Chapeau!
Re: AVENT : Comptoir de Noël
Merci à vous deux.
C'est beau, c'est grand, sensible et non, pas gnan-gnan pour deux sous.
C'est beau, c'est grand, sensible et non, pas gnan-gnan pour deux sous.
Kilis- Nombre de messages : 6085
Age : 78
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: AVENT : Comptoir de Noël
"Être triste à deux c’est parfois faire un pas vers la joie". Rien que pour cette phrase, si belle, déjà merci. Oui c'est simple comme un petit bonheur, oui c'est beau. Ca remue retourne, ça touche. Ces deux personnages , je crois que je les ai reconnu mais là n'est pas le plus important. Ces deux personnages nous transmettent un message, une recette, facile à faire. Pas sûr ! Mais qui vaut en tous cas la peine d'être tentée.
Nothingman- Nombre de messages : 747
Age : 44
Localisation : diabolo menthe
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: AVENT : Comptoir de Noël
Ben voilà, suis de bonne humeur pour la journée. C'est un conte, un vrai, comme ceux que la vraie vie vous dépose quelquefois entre les doigts. Sourire donc.
Yali- Nombre de messages : 8624
Age : 60
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: AVENT : Comptoir de Noël
(Je relis, aime toujours autant, je reposte le même commentaire, pas par paresse, mais seulement parce que je n'ai rien à y ajouter :0)
Superbe texte, on relit avec plaisir vos deux écritures qui se mêlent
parfaitement, trés beau. On est dans une atmosphére plutôt triste, les larmes montent un peu parfois, et puis l'humour, excellent, bien placé, touchant, et bref, j'adore quand un texte est construit comme ça. J'aime beaucoup les dialogues, surtout ce passage :
Et Marie n'a pas le droit au plaisir, comme d'habitude.
Et celui là :
Je ne vous ai pas encore dit que vous aviez de beaux yeux.
J'aime beaucoup cet humour un peu
décalé et touchant. (2 fois mais je ne trouve pas d'autres mots)
La fin dénote un peu, mais je ne trouve pas ça génant, on se demande du coup s'ils ont
halluciné ou non.
Voilà, autrement quelques perles par ci par là, au
détour d'une phrase, j'en note quelques unes pour le plaisir :
fraîchement repeinte de neige.
comme des ombres chinoises sur un écran mal tendu
comme pour lui dire "à tout à l’heure".
Les secondes piétinèrent sur place
la bonne humeur trouvait terreau fertile à la chaleur de ce lieu
Dans tous les yeux des étoiles, aucune à suivre aveuglément, mais des constellations de sentiments brillants.
Bon, je trouve ça excellent, j'espère (trés fort !) relire encore Sahkilltou, et en attendant je me l'imprime :0)
(Et je disais, plus loin, que j'étais toujours fière de maman et papa :0)
Superbe texte, on relit avec plaisir vos deux écritures qui se mêlent
parfaitement, trés beau. On est dans une atmosphére plutôt triste, les larmes montent un peu parfois, et puis l'humour, excellent, bien placé, touchant, et bref, j'adore quand un texte est construit comme ça. J'aime beaucoup les dialogues, surtout ce passage :
Et Marie n'a pas le droit au plaisir, comme d'habitude.
Et celui là :
Je ne vous ai pas encore dit que vous aviez de beaux yeux.
J'aime beaucoup cet humour un peu
décalé et touchant. (2 fois mais je ne trouve pas d'autres mots)
La fin dénote un peu, mais je ne trouve pas ça génant, on se demande du coup s'ils ont
halluciné ou non.
Voilà, autrement quelques perles par ci par là, au
détour d'une phrase, j'en note quelques unes pour le plaisir :
fraîchement repeinte de neige.
comme des ombres chinoises sur un écran mal tendu
comme pour lui dire "à tout à l’heure".
Les secondes piétinèrent sur place
la bonne humeur trouvait terreau fertile à la chaleur de ce lieu
Dans tous les yeux des étoiles, aucune à suivre aveuglément, mais des constellations de sentiments brillants.
Bon, je trouve ça excellent, j'espère (trés fort !) relire encore Sahkilltou, et en attendant je me l'imprime :0)
(Et je disais, plus loin, que j'étais toujours fière de maman et papa :0)
Re: AVENT : Comptoir de Noël
Superbe histoire pleine de trouvailles, dont j'épingle quelques-unes :
"Ensemble ils attaquèrent cette boule glacée au ventre que seul l’alcool sait faire fondre. "
"Ils parlèrent de tout, surtout de riens. "
"Les secondes s’étiraient pour préparer les heures à durer plus longtemps, à savourer, à se poser un peu."
Et puis, bien sûr, ce dernier paragraphe, cette morale "gnangnan" si on veut, mais à Noël on veut bien du "gnangnan", on en redemande de ces mots : "Peut-être était-il simplement le jour, l’heure de croire, de ne plus penser, de ne plus juger, de ne plus se croire ceci ou cela. Il était le moment d’Être, simplement, de partager, de donner, de recevoir. Être soi et l’être avec les autres. Pas seulement parce que c’était Noël, même si ce jour mène à l'allégresse en préparant les cœurs, mais parce qu’il existe des moments de félicité banale comme celui-ci, des instants sur lesquels nous devrions nous arrêter avant que le temps ne les emporte. Des moments que nous devrions choyer et - sans essayer à tout prix de les retrouver - en garder l’esprit au quotidien, rester soi et pas celui que nous voudrions que les autres voient ; devenir sourd aux quolibets des conformés ; refuser d’être de ceux qui ne croient plus aux bonheurs simples, ceux qui se retournent trop tard, amers, sur leurs souvenirs, quand ils n’ont plus d’avenir."
On se demande aussi pourquoi cette vision des choses serait réservée à Noël, la fête de la naissance. Pourquoi on ne naîtrait pas chaque jour en gommant ses souvenirs, en évitant de penser à l'avenir. Avec juste l'envie de vivre un peu maintenant. Et un sourire en poche pour nos proches et les autres...
"Ensemble ils attaquèrent cette boule glacée au ventre que seul l’alcool sait faire fondre. "
"Ils parlèrent de tout, surtout de riens. "
"Les secondes s’étiraient pour préparer les heures à durer plus longtemps, à savourer, à se poser un peu."
Et puis, bien sûr, ce dernier paragraphe, cette morale "gnangnan" si on veut, mais à Noël on veut bien du "gnangnan", on en redemande de ces mots : "Peut-être était-il simplement le jour, l’heure de croire, de ne plus penser, de ne plus juger, de ne plus se croire ceci ou cela. Il était le moment d’Être, simplement, de partager, de donner, de recevoir. Être soi et l’être avec les autres. Pas seulement parce que c’était Noël, même si ce jour mène à l'allégresse en préparant les cœurs, mais parce qu’il existe des moments de félicité banale comme celui-ci, des instants sur lesquels nous devrions nous arrêter avant que le temps ne les emporte. Des moments que nous devrions choyer et - sans essayer à tout prix de les retrouver - en garder l’esprit au quotidien, rester soi et pas celui que nous voudrions que les autres voient ; devenir sourd aux quolibets des conformés ; refuser d’être de ceux qui ne croient plus aux bonheurs simples, ceux qui se retournent trop tard, amers, sur leurs souvenirs, quand ils n’ont plus d’avenir."
On se demande aussi pourquoi cette vision des choses serait réservée à Noël, la fête de la naissance. Pourquoi on ne naîtrait pas chaque jour en gommant ses souvenirs, en évitant de penser à l'avenir. Avec juste l'envie de vivre un peu maintenant. Et un sourire en poche pour nos proches et les autres...
Lucien- Nombre de messages : 19
Localisation : Ici et maintenant.
Date d'inscription : 13/12/2005
Re: AVENT : Comptoir de Noël
Pour chipoter, je dirais que j'ai trouvé les phrases du début (avant l'entrée dans le bar) un tout petit peu trop longue et que la morale de la fin aurait pu être plus courte, moins appuyée ... Mais je n'ai pas envie de chipoter, juste envie de dire que c'était beau, émouvant à lire. Je l'ai senti l'esprit de Noël en vous lisant.
beaucoup aimé également.
beaucoup aimé également.
Charles- Nombre de messages : 6288
Age : 49
Localisation : Hte Savoie - tophiv@hotmail.com
Date d'inscription : 13/12/2005
Re: AVENT : Comptoir de Noël
tiens !
on avait écrit ça sakhti et moi
si j'avais pas peur de ressortir des vieilleries, je m'en serais bien servi pour l'appel à texte ; c'était plutôt édifiant
on avait écrit ça sakhti et moi
si j'avais pas peur de ressortir des vieilleries, je m'en serais bien servi pour l'appel à texte ; c'était plutôt édifiant
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: AVENT : Comptoir de Noël
Ha oui, me souviens bien de ce texte et de quand on l'a écrit!
Edifiant, oui.
Edifiant, oui.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
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