AVENT : Le petit Kafka Noël

Le petit Kafka Noël

Un matin, au sortir d'un rêve agité, Nicolas Santa s'éveilla transformé dans son lit en un véritable Père Noël. Il était couché sur le dos, un dos dur comme une cuirasse, et en levant un peu la tête, il s'aperçut qu'il avait un gros ventre, un manteau rouge et une barbe blanche. « Que m’est-il arrivé ? » pensa t-il. Il n’y avait que le gros ventre qu’il reconnaissait.
La hotte qu’il portait l’empêchait de se lever, le ramenant chaque fois à sa position initiale par un mouvement de balançoire, et dans un crissement d’osier. Il n’avait plus qu’une solution : se jeter littéralement du lit. Ca fit un gros boum. Il se remit le bonnet d’aplomb et se toucha le pompon afin de vérifier que tout était en place.
- Pour une veille de Noël, ça commence fort !

Nicolas Santa entra dans la cuisine d’où s’échappait déjà l’odeur du café que sa femme avait préparé et il s’apprêtait à dire :
- Bonjour chérie ! Bonne nuit ? Suis pas trop en retard ? Tu me sers du café mamour ?
Mais à sa grande stupéfaction il s’entendit prononcer :
- Hô ôhô ! J’ai fort envie de lait et de pain d’épices ! Ohô ôhô ! La nuit sera longue !
Et sans s’étonner davantage, sa femme lui servit du lait, du pain d’épices, et lui fit un bisou sur la joue en ajoutant :
- Tu piques, t’es pas rasé !
Ca y est, dès le matin, elle commence à lui faire un procès ! Bon dieu, il l’aimait, mais quel caractère... On a pas idée non plus de raser le Père Noël. Et en bougonnant, il se goinfra d’un gros morceau de pain d’épices dont les miettes tombèrent dans sa barbe.
- Bonne journée chéri ! Rentre pas trop tard, n’oublie pas que c’est Noël ce soir.
- Oui, oui, mamour…
- Et fais pas de bruit en claquant la porte, tu vas réveiller la choupinette.

Nicolas Santa sortit doucement, pour ne pas réveiller sa choupinette. Il se sentait léger, léger, parce qu’après tout c’était la veille de Noël, et parce que dans sa vie, il en avait vu d’autres. Ainsi, il mit plus d’un quart d’heure à se rendre compte de la chose : s’il se sentait si léger, c’est que sa hotte était vide.
Il avait toujours pensé qu’on ne devenait pas Père Noël impunément, et un Père Noël sans cadeau, c’était comme un Père Noël sans rennes. Il n’avait pas de rennes non plus.
Ici, le lecteur doit savoir qu’à ce moment, Nicolas Santa proféra une quantité d’injures que nous ne pouvons reproduire dans un conte de Noël, injures qui impliquaient des femmes de mauvaise vie, des lieux de mauvaise fréquentation, des parties génitales, ainsi que « sa mère », notamment.

Il arriva devant un grand magasin. Il pensait, bien qu’il n’eût aucun sou en poche : puisque je suis le Père Noël, ils vont bien me filer deux ou trois trucs; et aussi : quelle misère de pas avoir le don d’ubiquité, je serais allé faire un tour dans les cabines d’essayage de sous-vêtements…
- Vous, le rigolo, vous dégagez, on en a déjà un de clown à l’intérieur.
- Mais… Mais je suis le vrai Père Noël !!!
Si les gens ne croyaient plus au Père Noël, c’est pas qu’il existait pas, c’est que si ça se passait comme ça à chaque fois, fallait pas s’étonner qu’à force les parents se soient résignés à offrir les cadeaux eux-même.
- Ecoutez, c’est marqué : entrée du Père Noël !
- Je sais. J’ai pas le droit de vous laisser entrer.
- Mais vous comprenez pas, moi je suis le vrai Père Noël !
- Je sais. Vous l’avez déjà dit. De toutes façons, je ferme la porte et je m’en vais.
Dire qu’on payait des pauvres gars pour rester devant des portes et pour ne laisser rentrer personne... Bon, on allait pas en faire une exégèse non plus. Et il se remit en route.

Dans la rue, un petit garçon vint à sa rencontre et lui tendit une lettre. Sur l’enveloppe il y avait écrit : « Lettre à mon Père noël ». La mère du petit lui fit un clin d’œil complice. Quand ils furent hors de vue, il lut la liste :
- Un château de plaie-mobile.
- Un singe en peluche.
- Une boîte de pyrogravure.
- Une panoplie de Franz Kafka ("Franz Kafka" rayé, remplacé par "Zorro" - après tout, même couleur, même chapeau...)
Encore une mission qu’il allait laisser aux parents. Il n’avait même pas de quoi acheter quoi que ce soit pour sa choupinette... Il continuait à broyer du noir, traînant ses bottes dans les rues enneigées. Quand tout à coup, une enseigne attira son regard : « Le pays des jouets »

« Guiling, Guiling, Guiling ! »
La clochette retentit dès qu’il entra. Il vit le mec arriver sur lui, un pantin ridicule, à cheval sur une voiturette rouge et jaune, son bonnet à clochette faisant office de klaxon. Manquait plus que ça, un malade mental.
- Vous allez bien, vous êtes sûr ?
- Guiling ! Bienvenue au pays des jouets ! Guiling, guiling !
- Laissez moi deviner... Vous aviez la gueule de bois hier ?
- Non, guiling, mais ce matin, guiling, si.
- Un rêve agité, c'est ça ?
- Guiling...
Ouais, Ouais. Ca, si ce matin Nicolas Santa ne s'était pas réveillé en Père Noël, il aurait eu du mal à le croire, mais au point où il en était...
- Vous pensez que je pourrais vous offrir comme cadeau ?
- Guiling, guiling ! Mais ça va pas ! Faut pas abuser non plus ! Guiling !
Il faisait oui avec la tête, mais il faisait non avec son cœur.

Lorsque Nicolas Santa sortit, la nuit allait tomber. Triste nuit de Noël. Quand soudainement :
- Eh, mec, t'as les boules ? Ta hotte vide, t'en a plein le dos ? Tu vas te faire enguirlander ? arf arf arf !
Il se retourna, même pas étonné. C'était un chien qui lui parlait.
- T'as pas une clope ? Une paire, c'est noël ! arf arf arf !
- Vous aussi vous avez fait un rêve agité ou quoi ?
- Non mec, je suis un chien, un clebs quoi.
- Un chien qui parle ?
- Arf, toi t'es bien le Père Noël, tu vas pas me faire chier non plus ?
Ca alors. Demain, oui, demain tout sera fini, et ça sera pas plus mal, ça commençait à être fatigant. Le hic, c'est que ça ne lui faisait pas grand chose à ramener à la maison. Encore un Noël pourri. Au fond du ventre, comme une envie de dinde, mais s'il rentrait sans cadeau, il allait plutôt recevoir des marrons.

Alors, il eut une idée, un trait d'esprit de Noël :
- Ca te dirait pas que je t'invite à la maison ?
- Tu veux me présenter ta dinde, mec ?
Décidément, il n'avait jamais rencontré un chien qui fasse d'aussi mauvais calembours.
- Oui... Enfin, voilà on peut même t'adopter. Seulement... seulement si tu décides de la fermer, parce que pour l'éducation de la choupinette...
- Arf !
Le chien fit frétiller sa queue en guise d'acquiescement. Nicolas Santa prit donc le chemin du retour, portant fièrement l'animal dans la hotte.
- Tu t'appelles comment au fait lui demanda t-il sur la route.
- Je sais pas mais les gens m'appellent souvent Kafcouille...
- Euh... Ca te dérange si on t'appelle juste Kaf ?
- Arf !

Quand il arriva chez lui, Nicolas Santa vit dans les yeux de sa petite famille qu'il avait eu une bonne idée. Les meilleurs cadeaux sont probablement ceux qui ne s'achètent pas. Même si pour les obtenir, il fallait avoir trimé toute la journée. Comme un chien !

Ah les trouvailles de Loup!! J'adore!
La rencontre avec Oui-Oui et sa "gueule de bois"! :-))))
L'explication pour le vrai père Noël: les parents y croient eux aussi mais s'il font tout eux-mêmes c'est parce que les grands magasins en ont chacun un faux! Fallait la trouver la raison! Très plausible!
Et la comparaison avec Kafka!
Et encore plein d'autres petits détails croustillants: les "plaie"-mobiles, les pensées lubriques du père Noël par rapport aux cabines d'essayage, ses jurons intérieurs...
Tout est marrant d'un bout à l'autre et cela constitue un ensemble homogène avec une jolie morale de fin, de happy-fin.
Bravo pour ce conte de Noël bien hilarant, Loup!
;-)

C'est tout bonnement génial, Loup, cette idée que tu as d'adapter la métamorphose à ton conte de noel, ça lui donne une originalité insoupçonnée et une saveur nouvelle. Et puis, y a de petites perles comme cette phrase-là:
"injures qui impliquaient des femmes de mauvaise vie, des lieux de mauvaise fréquentation, des parties génitales, ainsi que « sa mère », notamment."
Cette phrase, c'est du génie!

C'est tout bon, Loupbleu ! Tu t'es surpassé : un conte marrant pour bien terminer cette série brillantissime de contes de Noël.
Enfin, le Père Noël, le vrai, a rendu visite à notre Oui-Oui bien aimé. Et il a fallu attendre le dernier jour, mais au moins, Oui-Oui n'a pas été oublié !
Beaucoup de trouvailles et d'imagination comme toujours et ça finit même comme un vrai conte, tout en douceur !

Dans l'ensemble, cette série de contes, bien qu'un peu chahutée, nous aura bien divertis.
Personnellement, j'ai trouvé très amusant de retrouver un peu de la personnalité de chacun des auteurs dans son conte de Noël.
Et comme toujours, la qualité et la bonne humeur ont été au rendez-vous.

Aussi, c'est sur un air d'un conte que je vous souhaite à tous un vrai joyeux Noël.

Encore beaucoup d'esprit et de finesse dans ce texte Loup! Quand tu revisites La Métamorphose ça donne quelque chose de très drôle, très juste aussi avec toujours ce fond de tendresse qui donne beaucoup d'humanité à tes lignes.
Tu es le maître du calembourg Loup, j'ai juste parfois l'impression que la recherche du bon mot nuit un peu à l'instauration d'un vrai climat. C'est presque comme si le lecteur attendait le prochain, le sourire au lèvre, en passant un peu à coté du reste...
Mais un très bon conte, vraiment.

C'est un vrai plaisir de te lire !
Une histoire menée de main de maître, tordante du début à la fin Et justement, une fin de Noël tout à foit mignonne mais qui pourtant ne détonne pas ! Loup, J'ADORE !!

PS : ça faisait longtemps qu'on n'avait pas parlé de Oui-Oui !

Avant tout un vrai conte de Noël truffé de références et de bons mots et bourré de tendresse. Mais "Choupinette", c'est dans la Métamorphose ça ?;-))))) Encore bravo Loup.

Hahahaha! Pôv' Kafka :))) Finalement, c'est peut-être comme ça que tu le rendras plus digeste aux yeux d'étudiants qui en ont marre de le lire (hein Lyrette!).
Beaucoup de jeux de mots, de bons tours, de trouvailles, ça regorge d'idées. Un peu trop peut-être. Par moments, j'ai l'impression qu'il y a course à l'échalotte et qu'on a a peine le temps d'en avaler un que le suivant fait déjà surface. Mais bon, pourquoi s'en priver, puisque c'est si drôle?

J'ai bien aimé cette "morale" à la fin... trimer comme un chien. Le nom du chien "Kaffcouilles" m'a fait sourire aussi.

Très bon texte Loup! Toujours plein de trouvailles et de drôlerie, de la tendresse aussi. Moi qui croyait avoir laissé ma gueule de bois au premier janvier, fallait qu'on retrouve celle de ce bon vieux Oui-Oui -)).

J'ai souri mais, je l'avoue, moins que d'habitude. Je t'ai trouvé en petite forme sur celui-ci qui reste malgré tout, distrayant.

Ahhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh ! Pour une fois que je comprends une partie des réfèrences, je suis heureuse :0))
J'aime beaucoup Loup, trés original ce conte, je me suis bien marrée, et c'est vrai que reconnaître des clins d'oeil, c'est quand même trés agréable (faut que je lise tous les classiques !! :0)

Donc j'ai bien aimé ça :
dès le matin, elle commence à lui faire un procès !
je ferme la porte et je m’en vais.
Comme un chien !
Parce que trés bien placé et que ça me rapelle le procés ;0)

Et puis sinon, beaucoup d'humour tout du long, je relève quelques phrases :
Hô ôhô ! J’ai fort envie de lait et de pain d’épices ! Ohô ôhô ! La nuit sera longue !
M'a bien fait marrer cette phrase :0))
Arf, toi t'es bien le Père Noël, tu vas pas me faire chier non plus ?
J'adore ton sens de la répartie !
Je sais pas mais les gens m'appellent souvent Kafcouille...
Parce que fallait le trouver et le faire ! :0)

Donc trés sympa, le fait que tu ais réussi à caser une histoire au milieu de tout ça, comme si tu jouais sur plusieurs tableaux tout en faisant qu'ils soient reliés, c'est vraiment bien réussi, par exemple l'idée du chien que l'on ramène avec finalement une morale qui s'ensuit (parce que c'est un conte hein !) c'était bien pensé, oui, trés chouette !

up
trop bien, trop rigolo...ça vaut le détour !

Reb dépoussière VE
bon courage ;-)

Oh oui que oui !!! Merci Reb !!! Bravo Loup !!! Arf :-)

J'ai A D O R E ! Les images se bousculaient devant mes yeux z'ébahis !
Merci.

Ben moi, je n'ai pas aimé, désolée. Il faut dire que les histoires de Noël, je suis à peu près allergique... Ce que je reproche au texte, c'est le fait que l'idée de départ ne mène à rien, finalement. Le type est devenu le vrai Père Noël, et puis après ? Ben rien. Il se fait jeter, n'arrive à rien, tombe sur un chien qui parle... le tout me paraît décousu, et je préfère ne rien dire de la morale de fin. En gros, l'histoire aurait été exactement la même si Nicolas Santa était resté Nicolas Santa, je ne vois pas ce qu'apporte la précision qu'il est le vrai Père Noël. Ou c'est juste histoire de dire, alors, en fait il ne l'est pas ?
Bref, je suis passée complètement à côté.