Personnage en haine d'auteur

Avec le sourire ...


Je suis un personnage, un chiffon de papier
Qu'on agite en tous sens,
Qu'on étire et qu'on traîne,
Enchaîné à ses lignes, un forçat de l'intrigue
Et des trames perverses.

Je suis un personnage qu'on a déshabillé
Qui grelotte tout nu,
Est à tous exposé.
Trituré, exploré, on m'a volé mon âme
En l'offrant en pâture à des lecteurs infâmes
S'égayant à me lire
En proie à mes délires,
En train de me débattre,
En voie de me détruire.

Je suis un personnage aux mains de mon démiurge,
Cet être veule et lâche,
Vissé à son clavier,
Ancré à son stylo,
Sa rame de papier,
Ce mollusque accroupi au creux de sa coquille
Me chargeant à sa place
D'affronter les courants.
Alizés, mers de glace,
Antarctique ou Antilles,
Tout est bon pour tremper sa plume dans mon sang!

Tandis qu'il se prélasse, le cul dans son fauteuil,
Moi, je vais au charbon, turbine à fond de cale.
Il m'étreint, me bouscule
Et d'écueil en écueil
Pour tout salaire, enfin, au suicide m'accule
En m'offrant le mot FIN.
Je n'ai plus qu'à me taire…
Ni larmes ni fureur,
N'y changeront plus rien,
Je n'ai aucun recours contre cet imposteur
Qui vit de mes tourments
Puisque c'est Lui
L'Auteur!

Le début me paraît un peu convenu, j'ai par contre particulièrement apprécié la dernière strophe, beaucoup plus vivante et "humaine"
Un joli clin d'oeil à Pirandello ;-)

Je vous le volerais bien, celui-ci, pour l'afficher... où vous savez, hélas, dans "mon" café...

pierre-henri a écrit:Je vous le volerais bien, celui-ci, pour l'afficher... où vous savez, hélas, dans "mon" café...

Mais faites donc, cher ami, je serais enchantée si je pouvais être d'une quelconque utilité aux fervents usagers de vos lieux d'aisance.

Tristan a écrit:Le début me paraît un peu convenu, j'ai par contre particulièrement apprécié la dernière strophe, beaucoup plus vivante et "humaine"
Un joli clin d'oeil à Pirandello ;-)

J'ai du rater quelque chose, d'où la difficulté d'être mal instruit.

pandaworks a écrit:

Tristan a écrit:Le début me paraît un peu convenu, j'ai par contre particulièrement apprécié la dernière strophe, beaucoup plus vivante et "humaine"
Un joli clin d'oeil à Pirandello ;-)

J'ai du rater quelque chose, d'où la difficulté d'être mal instruit.

Pirandello, 6 personnages en quête d'auteur

pierre-henri a écrit:Je vous le volerais bien, celui-ci, pour l'afficher... où vous savez, hélas, dans "mon" café...

J'ai dû rater un épisode (ça ne fait pas si longtemps que je suis sur ce forum). C'est quoi ton café ? Et pourquoi ce hélas ?
Moi, si j'avais un café, je l'afficherai bien aussi ce poème. Ou bien, je le vois bien dans le métro. J'adore ces poèmes du métro, ça égaille tellement nos voyages.
Bref, j'aime beaucoup. Ca m'a fait sourire. J'ai trouvé ça à la fois vrai et léger. J'aime bien la légèreté.

Avec Arielle, je me suis senti infâme.
Lecteur, quelle vie !
Le texte est bon.

Merci, Arielle, pour ce texte, je le trouve drôle et étonnant : l'auteur que tu es qui parle par l'intermédiaire de son personnage qui fustige l'auteur que tu es... Si tu n'avais pas précisé "Avec le sourire", j'aurais pensé qu'il s'agissait d'autoflagellation !
En tous cas je me méfierai désormais de mes personnages, surtout s'ils m'en veulent autant ! :-))

Il me manque un petit quelque chose mais je n'arrive pas précisément à identifier ça :-(
Je trouve à ton texte un rythme entêtant, des sonorités agréables, c'est presque musicale.
J'aime aussi l'idée, même si déjà vue.
Toutefois, difficile à expliquer comme il se doit, je n'arrive pas à donner complètement vie à ce personnage. Tu le présentes comme une marionnette dotée de pensée et d'âme mais rien à faire, quelque chose ne colle pas à mes yeux.
J'y reviendrai plus tard, afin d'y voir plus clair :-)

Me rappelle l'idée principale d'un roman à quatre mains qui n'a jamais pu se faire, faute de deux autres mains évanouies que je ne désespère pas de retrouver. Pauvres petits personnages : comme ils doivent souffrir, parfois.
Souvent.

Sahkti a écrit: Tu le présentes comme une marionnette dotée de pensée et d'âme mais rien à faire, quelque chose ne colle pas à mes yeux.

Oui, moi aussi j'ai cette impression là.. cela dit j'ai bien aimé mais il manque tout de même ce quelque chose. Peut-être un personnage un peu plus agressif, moins "gentil", plus rebel, un poème moins "rangé",..je ne sais pas trop.
Peut-être que ton titre en dit trop aussi.

Plaisant ;-)

ça monte, ça monte... Le début est loin au dessous de la fin, assez convenu comme dit Tristan, mais au moins on entre dans le vif du sujet dès le premier vers. Pour la suite la trame de la dérive et de la divagation, du bonhomme d'encre qui trime contre son gré mais ne peut lever l'ancre et quitter la page, monte petit à petit au thermomètre de l'agréable, chaque tournure le rehaussant d'un degré.

Je reviens jeter un coup d'œil sur le site après un très long temps et je ne le regrette pas.
Je trouve ce texte sensationnel.
Il y a un tempo, une cadence, un rythme, une sonorité... Tout !
C'est juste bien dosé entre hargne et sourire avec tous ces beaux mots qui claquent...
J'imagine un Pierrot qui récite ça sur une scène avec une voix bien timbrée...
Oui, pour moi, c'est superbe !

J'ai remplaçé le H du titre par un L.
C'est coton.

Bonjour Arielle, tout d’abord je tiens à préciser que je trouve votre texte bien sympathique.

La rythmique des deux premiers versets me rappelle étrangement l’Homme pressé de Noir Désir, et la lecture m’en fut subséquemment très agréable : les sonorités sont judicieusement travaillées – j’ai un coup de cœur particulier pour les vers 8, 9, et 10 où les labiales et les dentales font redondance à ce « chiffon de papier/ Qu’on agite en tout sens », ce qui rend votre texte particulièrement oral et mouvementé.

Pour ce qui est du troisième verset, je le trouve en revanche moins fluide que le reste, je ne sais s’il s’agit d’une coquille, mais le vers « Je suis un personnage aux mains de mon démiurge » me gêne, ne l’est-il pas plutôt « aux mains de son démiurge » ? Par ailleurs le démonstratif qui suit ce vers me semble alourdir le tout – ce n’est évidemment qu’une analyse personnelle de la chose. La métaphore du mollusque y est ceci dit très plaisante, amusante, et bien moins convenue que celle de la plume trempée dans le sang.

Enfin le quatrième verset est une apothéose, il est littéralement chantant ! Seul petit bémol peut-être, cette insistance sur le mot « Auteur » en lui consacrant un vers, ce qui est un peu trop « old school » à mon goût.

Bref mes compliments pour cette jolie mise en abîme – et cette inversion des rôles avec le personnage qui devient auteur –, j’ai pu un instant retrouvé le plaisir autrefois éprouvé à la lecture du Vol d’Icare de Queneau que je vous conseille grandement si vous ne l’avez déjà lu.

Merci à tous pour vos différentes lectures de ce petit texte écrit "avec le sourire" et que je ne m'attendais guère à voir aussi abondamment commenté.
Inspiré par ce pauvre Jehan des Grèves que je torture à plaisir, ce personnage était, pour moi, plus une boutade qu'un texte travaillé et réfléchi. Peut-être mériterait-il un peu plus de peine et vos réflexions m'aideront à le peaufiner si je m'y remets un jour.

Bienvenue à EmilSaintclair dont je retiens la proposition aux mains de son démiurge et qui me rappelle très judicieusement le vol d'Icare de Queneau que j'avais oublié.

J'ai beacoup aimé.
A ma lecture, chaque vers apporte quelque chose. Beaucoup d'images m'ont plu, voire enchanté.
Un point de vue très intéressant, plein d'humour !