Ecrire III

Je travaille sur un nouveau projet. Des minis histoires. Des petites nouvelles de dix à vingt lignes. Il m’en faut beaucoup.
Il y en a qui viennent facilement et que j’écris tout de suite.
Il y en a d’autres qui viennent facilement et que je n’arrive pas à faire miennes. J’ai une idée mais je n’arrive pas à ressentir ce que pourraient ressentir les personnages. Ou bien je ne les aime pas assez.
Il y en a qui viennent facilement mais que je n’écris pas tout de suite. Ces histoires là finissent par m’échapper. Je me concentre, je fais tous les efforts possibles, mais elles ne me reviennent pas en mémoire. Je suis là, à essayer de les rattraper comme on essaie de se souvenir d’un rêve. Et puis, un jour, comme ça, il y en a qui réapparaissent. Je suis toute contente. Comme si je revoyais quelqu’un que je n’ai pas vu depuis longtemps.





Il y a des textes que j’écris parce qu’ils me semblent intéressants.
Et puis il y a des textes où je cherche d’abord à me faire du bien, à me vider, à mettre des mots sur ce qui me préoccupe.
Ce sont des textes défouloirs.








Il y a des textes défouloirs que j’ai dans la tête. Sous forme de lettres (de fausses lettres), au voisin, à la dame qui m’a dit des choses désagréables dans le train, à ma prof de danse, etc…
Au moment de les écrire, dans un cahier, je n’y arrive pas. Ça me gêne. Je me trouve méchante et mesquine. Il faudrait que je les écrive directement sur l’ordinateur. Ça me gênerait moins. Ce ne serait pas ma graphie.








Ecrire sur mon mari, sur mes relations conjugales. Ça me ferait du bien. Ce serait un vrai texte défouloir. J’ai même le titre en tête.
Mais je ne peux pas. Le texte ne vient pas. Même pas en pensée.
J’ai l’impression de commettre une trahison.







J’ai écrit toute une série de fragments que je ne montrerai jamais à personne. Sur ma mère, sur mon enfance, sur mes difficultés présentes avec elle. J’ai tout dit, même ce qui ne se dit pas, et j’ai protégé mon document avec un mot de passe.
Pourtant, j’ai écrit ces fragments en imaginant un lecteur. J’ai cherché à me faire comprendre, à montrer plus qu’à dire, à décortiquer le réel. Ce lecteur imaginaire m’a aidée. Au lieu de me morfondre, j’ai pris du recul.






Une amie a écrit un livre. Publié. Elle y parle de sa mère, morte alors. Avec beaucoup de pudeur et de retenue. Un beau portrait de femme.
Je discute avec mon amie. Je lui dis :
- C’est difficile d’écrire sur les gens qui nous entoure…
- Non… dit mon amie. Tu vois… après la sortie de mon livre, mon père était très fâché contre moi…
- Pourquoi ?
- Parce que j’avais écrit sur ma mère, ça ne lui plaisait pas…
- Ah bon…?
- Non… Mais ça n’avait pas d’importance… Quand on a quelque chose à écrire, il faut l’écrire… Tu ne dois pas te poser de questions.






Je travaille sur un nouveau projet. Des minis histoires. Des petites nouvelles de dix à vingt lignes. Il m’en faut beaucoup.
Je cherche l’inspiration. Je regarde un objet. Une boîte. Un chapeau. Un stylo. Ça pourrait faire le début d’une histoire. Un objet, ça peut servir d’incipit.
Mais ça ne marche pas. Rien ne vient. Rien du tout.
L’inspiration vient quand je ne la cherche pas. Je suis dans un train, au parc, sur la plage. Je vois quelqu’un. Et je bâtis toute une histoire.
Pour trouver l’inspiration, les objets ne servent à rien. J’ai besoin de personnes, d’êtres humains, en chair et en os. Mes histoires peuvent alors s’incarner.







Pathétique.
C’est un mot de ma mère. Elle trouve plein de choses et de gens pathétiques. Elle ne m’a jamais associée à ce mot mais je l’ai fait toute seule. Je me suis battue avec cette idée. Suis-je pathétique ? Ma vie est-elle pathétique ? Mes velléités d’écriture sont-elles pathétiques ?

Maintenant que j’ai pris de la distance avec elle (avec ma mère), je suis beaucoup plus sereine. Et même si je passe ma vie à n’écrire que pour moi, qu’est-ce que ça peut faire ?
C’est déjà beaucoup, écrire pour soi.






Je reçois un message sur Internet.
Travaille comme si tu n’avais pas besoin d’argent.
Aime comme si tu n’avais jamais été blessé.
Danse comme si personne ne te regardait.
Chante comme si personne ne t’écoutait.
Vis comme si le ciel était sur Terre.
Je voudrais rajouter un vers :
Ecris comme si…
Comme si quoi ?

... comme si tu voulais te surprendre, étonner le lecteur qui sommeille en toi. Tiens, c'est moi qui ai écrit ça?

Je suis toujours touchée par l'apparente naïveté de ces textes Ecrire, Anne, qui disent tellement plus que leurs mots minuscules.

Je n'ai pas de suite pour ce vers que tu voudrais rajouter, je viens juste dire, enfin écrire, que j'ai beaucoup aimé ce texte, plus que les autres ECRIRE, celui là m'a vraiment touché. A chaque fois ta démarche est sincère, ça se voit, mais je trouve qu'ici il y a plus de..je ne sais quoi, je m'en vais relire les autres.

Ecris comme si... comme si tu n'avais aucune chance d'être lue

et là, ce sera vraiment sincère ;-)

Bonjour à tous!

Mentor : "Ecris comme si... comme si tu n'avais aucune chance d'être lue

et là, ce sera vraiment sincère ;-)"

Il me semble que ce serait plutôt une occasion de ne plus écrire du tout, non? La reconnaissance est ce qui fait le mouvement même de l'écriture; je crois. Même une personne qui n'écrit que pour elle-même est lue, c'est l'autre qui est en elle qui lit, d'ailleurs petit coup de coeur pour cette phrase :"Pourtant, j’ai écrit ces fragments en imaginant un lecteur. J’ai cherché à me faire comprendre, à montrer plus qu’à dire, à décortiquer le réel. Ce lecteur imaginaire m’a aidée. Au lieu de me morfondre, j’ai pris du recul."
L'écriture est avant tout la satisfaction d'un désir, pas un devoir, alors pourquoi devrions-nous être sincères ?

Anne : joli texte, à la fois simple et profond. J'en veux encore.^^

mentor a écrit:Ecris comme si... comme si tu n'avais aucune chance d'être lue

et là, ce sera vraiment sincère ;-)

Bonjour Mentor,
J'ai essayé de trouver une réponse intelligente ou drôle ou les deux... Mais je n'y suis pas arrivée... ;-) ça me viendra peut-être plus tard...

Merci pour vos commentaires.
Ca veut dire quoi ^^ (ce n'est pas la première fois que je vois ces signes et, à chaque fois, je me le demande...)

Ce qui serait bien ce serait de donner un fil directeur à ces fragments. Je pensais que ce serait le cas avec la réitération de l'expression "textes défouloirs" mais cela n'est pas assez marqué. Ce que je retiens de tout ce que tu as écrit jusqu'à présent c'est l'authenticité de tes questionnements, un côté ingénu rafraîchissant, le sentiment d'avoir affaire à quelqu'un de très honnête, et ça, ça fait du bien !

^^ est censé représenter la forme des yeux lors d'un sourire. C'est juste un signe de bonne humeur.

Oui, l'ingénuité, l'authenticité, l'honnêteté...rafraîchissant comme tu dis Island mais sommes-nous tenus d'être sincères en écriture?
C'est une question très ambigüe que pose Emil
C'est Giono qui disait : «Pour bien mentir il faut beaucoup de sincérité !» ;-)

"Et tout le reste est littérature" comme disait le grand V.

- Et oui et oui parfaitement Thierry
- Oui en effet comme disait le grand V.
- Mais quoiqu'il en soit je suis d'accord, mais alors tout à fait d'accord, avec l'opinion de Mentor.
- Oui Jean-Luc sa sentence est on ne peut plus perspicace.
- Et puis comme disait Paul Valéry "l'artiste vit dans l'intimité de son arbitraire et dans l'attente de sa nécessité". Mais Thierry qu'est-ce que cela signifie?
- Je ne sais pas Jean-Luc, je ne suis pas payé pour avoir de l'esprit.
- Je ne sais pas non plus mais je crois que ça touche un peu le personnage d'Anne Veillac.
- Oui vous avez peut-être raison. En tout cas j'aime beaucoup ce qu'elle écrit.
- Oui moi aussi. Ces courts essais qui racontent un instant présent - ou plutôt passé à l'heure où on les lit - les angoisses d'auteur face à sa page blanche qui n'attend que d'être noircie, les élucubrations et billevesées couchées par les mots en deux ou trois phrases puis mises bout à bout pour former ce petit tout de pensées instantanées spontanément offertes au lecteur qui est véritablement pris à témoin comme dans un dialogue entre deux personnes physiques.
- Oui tout à fait Jean-Luc vous avez peut-être raison enfin là moi je ne vous suis plus du tout mais si vous le dites alors je ne vais pas vous contredire.
- Après tout vous n'êtes pas payé pour ça Thierry.
- Non en effet, pour cela je ne vous contredirai pas non plus.

Merci pour tous vos commentaires.
Merci Chako Noir pour ton texte, j'ai pris beaucoup de plaisir à le lire.

Mentor a raison. Mais écris aussi pour te faire plaisir.
Duras n'avait-elle pas travaillé là-dessus ? À lire.

Anne Veillac a écrit:Merci Chako Noir pour ton texte, j'ai pris beaucoup de plaisir à le lire.

De même que moi pour le tien ^^ Et j'ai pris pas mal de plaisir à l'écrire aussi, car au fond c'est là l'essentiel, non?

Des fragments tels que ceux-ci peuvent être plaisants, parce qu'ils respirent la naïveté, la fraîcheur et une certaine forme de spontanéité. C'est quelque chose qui peut faire du bien, de la littérature de l'éphémère.
Toutefois, à plus forte dose, se suivant les uns les autres, ça risque de lasser et de se transformer en littérature de l'anodinerie, tel que peut le faire Philippe Delerm par exemple. Agréable (enfin ça dépend pour qui, je sais) à très petites doses, mais pas vraiment sur du long terme ou en grande quantité.
Je prends donc tes textes plutôt comme la réflexion du jour, une phrase pour chaque matin et voilà, je peux en profiter autrement de la sorte. Sans me poser de questions sur l'écriture, le style, les richesses et les faiblesses.

Vraiment chouette! J'adore beaucoup vraiment. Moi plus de mot beaucoup.