La marche
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La marche
Un petit one-shot qui m'est venu comme ça. Ça faisait longtemps que j'avais pas pondu de quoi (soupir).
***
« M… Meurs… » souffle le mourant avant de lâcher prise.
L’étendard pourpre gît sur le sol boueux. Il repose sans tombe, sans gloire, près d’un corps sans vie aux mains décharnées. C’est sur cet être aux yeux laiteux, à la pâleur et raideur cadavérique que débute notre histoire. Plus rien ne bouge sur le champ de bataille, pas même les nuages de mouches et les hordes de charognards. Le seul son perceptible, c’est celui des pas humides s’approchent lentement de la défunte bannière. Un pied botté patauge dans la gadoue luisante de reflets carnés… L’eau reflète un ciel dur et d’acier et frétille; ce sont les corneilles qui raillent en fuyant la scène d’un furtif battement d’ailes. Une main agrippe la hampe visqueuse, élève la pièce d’étoffe dans l’air glacial du petit matin. Le drapeau claque, flappe et flotte au gré des vicieuses caresses de la brise.
Résolu, Il marche avec les matines et un régiment entier. Ensemble, ils entrent dans le tableau au son des tambours, à la cadence des harangues et des cliquetis des baïonnettes.
-Au pas de bataille, les gars! ordonne un officier.
Les soldats avancent sur les restes de tranchées et d’os gris dormant sous leurs pieds. Ils gravissent bute sur bute sans regarder les cadavres songeurs qui les observent sans dire mot. De grands murs se dessinent alors face aux troupes. Comme un laquais, la dense brume se prosterne pour laisser passer les fusiliers. Ils marchent dans leurs uniformes noirs, coiffés de tricornes et de mitres. Ils marchent avec les fanions rouges en tête. Ils marchent sans résistance et sans obstacle vers la forteresse qui se dresse devant eux. L’impétueux bastion gruyèré de mitraille impose une atmosphère glauque et étouffante. Encore quelques derniers instants lourds comme le monde à supporter et ce serait l’assaut. Ce serait l’ultime avancée, celle qui mettrait fin au cauchemar interminable. Ce serait la victoire totale; celle du peuple des Angles.
L’Homme brandit l’étendard avec orgueil et crainte. Il a froid, il a peur.
« Premier rang, en joue ! » hurle une voix. C’est la stupeur chez les Angles : l’ordre vient d’en face. Ceux qui ne figent pas sur place nagent dans la tempête orageuse du cœur qui cherche désespérément son courage. « Tirez ! » L’ennemi fait feu. La rafale fumante déchire les manteaux noirs, hache l’officier menu et perce les chairs comme de vulgaires sacs de sable. Tout gicle de partout, le sang coule des blessures, l’eau s’affole lorsqu’un corps y danse la mort en suffoquant. Les plus hardis des Angles ripostent, envoyant à leur tour une volée vers les silhouettes tordues. Les balles s’engouffrent aveuglément dans la bataille.
« Deuxième rang! En joue! » crie à nouveau la voix de l’ennemi fantomatique. Cette fois-ci, les soldats semblent trop occupés à se faire tuer pour y prêter attention. La grêle métallique fauche une nouvelle fois son lot d’assaillants malheureux. C’est le carnage, le ballet macabre. Les grenades pleuvent de tous bords tous côtés, les membres aussi. « Ils nous encerclent! » hurle l’un. « Avancez, nom de Dieu! » râle un autre. « Sauvez-moi, par pitié! » geint un dernier avant de se faire scier les jambes par le fer. Ils s’effondrent presque tous, tous ces hommes habillés d’un noir qui vire à l’écarlate. L’homme à l’étendard, lui, s’affale au sol, happé par il-ne-sait-quoi. Il réalise soudainement sa chance : il est touché au cœur. « Ce sera rapide. » pense-t-il avant de sentir sa bouche se gorger de sang bilieux. Il courbe le dos, trop fier pour s’abandonner aux hurlements de ses camarades d’hécatombe qui luttent sans espoir. Il serre les dents, endure la souffrance qui lui broie le crâne. Les défenseurs rugissent, savourant leur triomphe précaire. L’homme, quant à lui, rampe vers un trou d’obus encore fumant qui lui servira de tombe. L’oriflamme tombe au sol, plaqué contre la terre morte et putride.
Les rangs des Angles tombés au combat reposent par terre, leurs yeux clos rivés vers les murs cannoneux du Fort de l’Épicentrée. Les fortifications, hérissées de dizaines de gueules d’acier, tonnent les hostilités en crachant leurs boulets. Les bombardements reprennent, infatigables. L’écho des canons retentit dans les montagnes grouillantes de lacs, de chutes, de falaises, de neiges fondantes, de pins et de frênes nus. Puis, le sourd chant de la guerre se perd enfin dans le décor féérique du Nouveau-Monde qui s’éveille.
L’aube se lève; le matin sauvage, or et sang.
.
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« M… Meurs… » souffle le mourant avant de lâcher prise.
L’étendard pourpre gît sur le sol boueux. Il repose sans tombe, sans gloire, près d’un corps sans vie aux mains décharnées. C’est sur cet être aux yeux laiteux, à la pâleur et raideur cadavérique que débute notre histoire. Plus rien ne bouge sur le champ de bataille, pas même les nuages de mouches et les hordes de charognards. Le seul son perceptible, c’est celui des pas humides s’approchent lentement de la défunte bannière. Un pied botté patauge dans la gadoue luisante de reflets carnés… L’eau reflète un ciel dur et d’acier et frétille; ce sont les corneilles qui raillent en fuyant la scène d’un furtif battement d’ailes. Une main agrippe la hampe visqueuse, élève la pièce d’étoffe dans l’air glacial du petit matin. Le drapeau claque, flappe et flotte au gré des vicieuses caresses de la brise.
Résolu, Il marche avec les matines et un régiment entier. Ensemble, ils entrent dans le tableau au son des tambours, à la cadence des harangues et des cliquetis des baïonnettes.
-Au pas de bataille, les gars! ordonne un officier.
Les soldats avancent sur les restes de tranchées et d’os gris dormant sous leurs pieds. Ils gravissent bute sur bute sans regarder les cadavres songeurs qui les observent sans dire mot. De grands murs se dessinent alors face aux troupes. Comme un laquais, la dense brume se prosterne pour laisser passer les fusiliers. Ils marchent dans leurs uniformes noirs, coiffés de tricornes et de mitres. Ils marchent avec les fanions rouges en tête. Ils marchent sans résistance et sans obstacle vers la forteresse qui se dresse devant eux. L’impétueux bastion gruyèré de mitraille impose une atmosphère glauque et étouffante. Encore quelques derniers instants lourds comme le monde à supporter et ce serait l’assaut. Ce serait l’ultime avancée, celle qui mettrait fin au cauchemar interminable. Ce serait la victoire totale; celle du peuple des Angles.
L’Homme brandit l’étendard avec orgueil et crainte. Il a froid, il a peur.
« Premier rang, en joue ! » hurle une voix. C’est la stupeur chez les Angles : l’ordre vient d’en face. Ceux qui ne figent pas sur place nagent dans la tempête orageuse du cœur qui cherche désespérément son courage. « Tirez ! » L’ennemi fait feu. La rafale fumante déchire les manteaux noirs, hache l’officier menu et perce les chairs comme de vulgaires sacs de sable. Tout gicle de partout, le sang coule des blessures, l’eau s’affole lorsqu’un corps y danse la mort en suffoquant. Les plus hardis des Angles ripostent, envoyant à leur tour une volée vers les silhouettes tordues. Les balles s’engouffrent aveuglément dans la bataille.
« Deuxième rang! En joue! » crie à nouveau la voix de l’ennemi fantomatique. Cette fois-ci, les soldats semblent trop occupés à se faire tuer pour y prêter attention. La grêle métallique fauche une nouvelle fois son lot d’assaillants malheureux. C’est le carnage, le ballet macabre. Les grenades pleuvent de tous bords tous côtés, les membres aussi. « Ils nous encerclent! » hurle l’un. « Avancez, nom de Dieu! » râle un autre. « Sauvez-moi, par pitié! » geint un dernier avant de se faire scier les jambes par le fer. Ils s’effondrent presque tous, tous ces hommes habillés d’un noir qui vire à l’écarlate. L’homme à l’étendard, lui, s’affale au sol, happé par il-ne-sait-quoi. Il réalise soudainement sa chance : il est touché au cœur. « Ce sera rapide. » pense-t-il avant de sentir sa bouche se gorger de sang bilieux. Il courbe le dos, trop fier pour s’abandonner aux hurlements de ses camarades d’hécatombe qui luttent sans espoir. Il serre les dents, endure la souffrance qui lui broie le crâne. Les défenseurs rugissent, savourant leur triomphe précaire. L’homme, quant à lui, rampe vers un trou d’obus encore fumant qui lui servira de tombe. L’oriflamme tombe au sol, plaqué contre la terre morte et putride.
Les rangs des Angles tombés au combat reposent par terre, leurs yeux clos rivés vers les murs cannoneux du Fort de l’Épicentrée. Les fortifications, hérissées de dizaines de gueules d’acier, tonnent les hostilités en crachant leurs boulets. Les bombardements reprennent, infatigables. L’écho des canons retentit dans les montagnes grouillantes de lacs, de chutes, de falaises, de neiges fondantes, de pins et de frênes nus. Puis, le sourd chant de la guerre se perd enfin dans le décor féérique du Nouveau-Monde qui s’éveille.
L’aube se lève; le matin sauvage, or et sang.
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Charly_Owl- Nombre de messages : 66
Age : 34
Localisation : Montréal, Québec (au Canada, bande de moules)
Date d'inscription : 31/08/2008
Re: La marche
Beaucoup, beaucoup d'allure ! D'ordinaire les récits de combat m'indiffèrent profondément, mais celui-ci a vraiment de la gueule. Bravo.
La concomitance de tricornes et de grenades m'étonne, mais je ne suis pas très versée en histoires des armements (c'est le moins qu'on puisse dire).
Quelques remarques :
"Le seul son perceptible, c’est celui des pas humides s’approchent (s'approchant ou qui s'approchent) lentement de la défunte bannière."
"Ils gravissent butte sur butte sans regarder les cadavres songeurs qui les observent sans dire mot." (très belle phrase, soit dit en passant)
"Ceux qui ne figent pas sur place nagent dans la tempête orageuse du cœur qui cherche désespérément son courage." (la phrase me paraît trop chargée, alambiquée, pas assez directe dans la brutalité générale du texte)
La concomitance de tricornes et de grenades m'étonne, mais je ne suis pas très versée en histoires des armements (c'est le moins qu'on puisse dire).
Quelques remarques :
"Le seul son perceptible, c’est celui des pas humides s’approchent (s'approchant ou qui s'approchent) lentement de la défunte bannière."
"Ils gravissent butte sur butte sans regarder les cadavres songeurs qui les observent sans dire mot." (très belle phrase, soit dit en passant)
"Ceux qui ne figent pas sur place nagent dans la tempête orageuse du cœur qui cherche désespérément son courage." (la phrase me paraît trop chargée, alambiquée, pas assez directe dans la brutalité générale du texte)
Invité- Invité
Re: La marche
Ce genre de récit ne rencontre pas normalement mes faveurs mais celui-ci est bien tourné, riche, outre les erreurs relevées. Il t'est vraiment "venu comme ça" ce texte ?!!
Invité- Invité
Re: La marche
Merci beaucoup, socque et Easter!
----Socque: Pour les fautes, oups donc. Je les corrige à l'instant. La concommitence entre les tricornes et les grenades est justifiée. Il y avait dse grenades à cette époque, allumée avec une petite mèche qui avait la taille et la forme d'une balle de baseball en fer. C'était néanmoins très instable et avait un haut pourcentage d'exploser dans la gueule du grenadier en tant que tel... mais bon, je m'égare.
----Easter: Ouaip, il m'est venu "comme ça". J'ai eu une première version, qu'un ami a qualifié d'horrible, j'ai retravaillé un peu et voilà ce que cela donne. Je suis très heureux que ça plaise malgré le sujet un peu lourd et peu joyeux.
----Socque: Pour les fautes, oups donc. Je les corrige à l'instant. La concommitence entre les tricornes et les grenades est justifiée. Il y avait dse grenades à cette époque, allumée avec une petite mèche qui avait la taille et la forme d'une balle de baseball en fer. C'était néanmoins très instable et avait un haut pourcentage d'exploser dans la gueule du grenadier en tant que tel... mais bon, je m'égare.
----Easter: Ouaip, il m'est venu "comme ça". J'ai eu une première version, qu'un ami a qualifié d'horrible, j'ai retravaillé un peu et voilà ce que cela donne. Je suis très heureux que ça plaise malgré le sujet un peu lourd et peu joyeux.
Charly_Owl- Nombre de messages : 66
Age : 34
Localisation : Montréal, Québec (au Canada, bande de moules)
Date d'inscription : 31/08/2008
Re: La marche
Bon, j'apprécie toujours autant de te lire, cependant, je me permets de relever ton premier paragraphe, riche en images, mais un peu lourd par moment (tant de détails qu'on s'y perd) :
Bon voilà, ce ne sont que de petits détails, mais ça m'a vraiment sauté aux yeux à la lecture.
Ensuite l'expression "au pas de bataille" m'a paru malheureuse, je le verrais plutôt dire "au pas de charge", ;-)
Voili voilou pour mes petits commentaires. Globalement, je trouve ce texte un peu moins bons que d'autres que j'ai lu de toi, la façon dont tu traites le sujet ayant aussi quelque chose de moins original... et fait attention aux adjectifs, tu aurais vraiment tendance à en rajouter.
Amicalement,
Ruin.
les deux premiers "sans" créent du rythme et un côté tragique, le dernier est lourd.L’étendard pourpre gît sur le sol boueux. Il repose sans tombe, sans gloire, près d’un corps sans vieaux mains décharnées.
mal dit je trouve...C’est sur cet être aux yeux laiteux, à la pâleur et raideur cadavérique que débute notre histoire.
beaucoup d'adjectifs et de complément du nom dans cette phrasePlus rien ne bouge sur le champ de bataille, pas même les nuages de mouches et les hordes de charognards. Le seul son perceptible, c’est celui (je ne sais pas si le son en "ss" répété est voulu...) des pas humides qui s’approchent lentement de la défunte bannière.
j'aime cette phrase mais je déplore encore un nombre trop important d'adjectifs (+ les répétitions un peu maladroite en gras). Par ailleurs, l'expression "un pied botté" me semble un peu enfantine, sans parler du rapprochement que l'on peut faire avec le "chat botté" qui ne tombe pas vraiment à pic dans cette ambiance...Un pied botté patauge dans la gadoue luisante de reflets carnés… L’eau reflète un ciel dur et d’acier et frétille; ce sont les corneilles qui raillent en fuyant la scène d’un furtif battement d’ailes.
pas mal, mais l'adjectif vicieux me parais excessif, surtout par rapport à l'idée de douceur à laquelle les expressions "au gré de la brise" et "caresse" peuvent nous renvoyer...Une main agrippe la hampe visqueuse, élève la pièce d’étoffe dans l’air glacial du petit matin. Le drapeau claque, flappe et flotte au gré des vicieuses caresses de la brise.
Bon voilà, ce ne sont que de petits détails, mais ça m'a vraiment sauté aux yeux à la lecture.
Ensuite l'expression "au pas de bataille" m'a paru malheureuse, je le verrais plutôt dire "au pas de charge", ;-)
Voili voilou pour mes petits commentaires. Globalement, je trouve ce texte un peu moins bons que d'autres que j'ai lu de toi, la façon dont tu traites le sujet ayant aussi quelque chose de moins original... et fait attention aux adjectifs, tu aurais vraiment tendance à en rajouter.
Amicalement,
Ruin.
Loreena Ruin- Nombre de messages : 1071
Age : 35
Localisation : Nancy
Date d'inscription : 05/10/2008
Re: La marche
Re-salut Loreena! Excuse-moi, j'avais pas vu ton comm'!
D'abord, 100 % pour toutes tes observations (je veux pas partir dans un mode quotewars, hé hé). Peut-être juste un petit mot sur ce "au pas de bataille" qui semblait te chicoter. En fait, c'est de la marche rapide, et non un "pas de charge". Tu les vois arrêter au beau milieu d'une course pour tirer? Il vont se foncer dessus que ce sera même pas drôle!
Sinon, c'est possible que tu aimes moins ce texte, j'en conviens. Et tu sais pourquoi? Parce que j'essaie constamment de faire du nouveau, que ce soit bon ou mauvais. Les thèmes reviennent constamment, comme tu vois. Je vais néanmoins t'avouer que j'adore les personnes qui, comme toi, remarquent les erreurs et font ainsi grandement progresser le style de l'auteur (car si, si, ça a beaucoup d'importance pour moi et je corrige au fur et à mesure).
Tout ça pour te dire... j'apprécie énormément que tu sois passée faire un petit tour! Merci énormément encore pour le commentaire, j'ai d'ailleurs changé plusieurs trucs en prenant compte de tes suggestions.
Et... ah, oui. Une suite s'en vient bientôt.
*musique de suspense*
Au fait, je vais jeter un autre coup d'oeil sur Chimères quand j'aurai enfin fini ma session d'examens (ça prendra environ 2 semaines, quoi). Ça fait longtemps que j'ai rien lu de toi.
D'abord, 100 % pour toutes tes observations (je veux pas partir dans un mode quotewars, hé hé). Peut-être juste un petit mot sur ce "au pas de bataille" qui semblait te chicoter. En fait, c'est de la marche rapide, et non un "pas de charge". Tu les vois arrêter au beau milieu d'une course pour tirer? Il vont se foncer dessus que ce sera même pas drôle!
Sinon, c'est possible que tu aimes moins ce texte, j'en conviens. Et tu sais pourquoi? Parce que j'essaie constamment de faire du nouveau, que ce soit bon ou mauvais. Les thèmes reviennent constamment, comme tu vois. Je vais néanmoins t'avouer que j'adore les personnes qui, comme toi, remarquent les erreurs et font ainsi grandement progresser le style de l'auteur (car si, si, ça a beaucoup d'importance pour moi et je corrige au fur et à mesure).
Tout ça pour te dire... j'apprécie énormément que tu sois passée faire un petit tour! Merci énormément encore pour le commentaire, j'ai d'ailleurs changé plusieurs trucs en prenant compte de tes suggestions.
Et... ah, oui. Une suite s'en vient bientôt.
*musique de suspense*
Au fait, je vais jeter un autre coup d'oeil sur Chimères quand j'aurai enfin fini ma session d'examens (ça prendra environ 2 semaines, quoi). Ça fait longtemps que j'ai rien lu de toi.
Charly_Owl- Nombre de messages : 66
Age : 34
Localisation : Montréal, Québec (au Canada, bande de moules)
Date d'inscription : 31/08/2008
Re: La marche
Je ne ferais pas de commentaire si je ne pensais pas que ça en valait la peine... ;-)Tout ça pour te dire... j'apprécie énormément que tu sois passée faire un petit tour! Merci énormément encore pour le commentaire, j'ai d'ailleurs changé plusieurs trucs en prenant compte de tes suggestions.
Et merci pour l'explication sur le pas de bataille, j'avoue de toute façon ne rien y connaître, j'ai beaucoup de chose à apprendre de toi là-dessus... J'ai aussi des problèmes en stratégie militaire (j'essaye actuellement d'y pallier en lisant notamment L'Art de la Guerre de Sun Tzu, ça me donne de l'inspiration).
Je suis toujours gênée quand tu me dis que tu vas te replonger dans Chimères, car je vois bcp de chose à changer, à retravailler (surtout dans les premiers chapitres, qui ont grandement évolué depuis que je les ai posté)... J'ai un peu honte de te laisser lire mes pattes de mouche... d'autant que Sahkti vient récemment de commenter l'intégralité de ce que j'ai posté, pointant du doigt plein de choses que j'aimerais retoucher rapidement...
En tout cas, j'attends ta suite ;-) !
Loreena Ruin- Nombre de messages : 1071
Age : 35
Localisation : Nancy
Date d'inscription : 05/10/2008
Re: La marche
"J'ai un peu honte de te laisser lire mes pattes de mouche... "
Envoie-moi ça par mail si ça te met plus à l'aise. ^^
Envoie-moi ça par mail si ça te met plus à l'aise. ^^
Charly_Owl- Nombre de messages : 66
Age : 34
Localisation : Montréal, Québec (au Canada, bande de moules)
Date d'inscription : 31/08/2008
Re: La marche
Volontier, cela me permettra de te passer une version plus récente ! Mais je n'ai point ton mail, peux-tu me l'indiquer ? Merci (et désolé de faire remonter le texte pour cela).
Loreena Ruin- Nombre de messages : 1071
Age : 35
Localisation : Nancy
Date d'inscription : 05/10/2008
Re: La marche
Beaucoup aimé ce texte et la tension perpétuelle qui s'en dégage.
isa- Nombre de messages : 559
Age : 33
Localisation : Elbonerg
Date d'inscription : 08/04/2009
Re: La marche
Mais euh... ils sont doués, nos jeunes ! Dis donc, j'ai eu beau regarder des films et lire des bouquins sur la guerre, la guerre, la guerre (bon ça m'est passé, hein, mais quand même) je n'aurais jamais été capable de pondre un texte pareil, je parie.
Il y a sans doute des incohérences, c'est possible mais bon, ce n'est pas moi qui vais les remarquer, j'ai jamais fait la guerre. Enfin pas celle-là.
Sur le plan de l'écriture, ce qui me gêne un peu est par exemple la tournure de : au gré des vicieuses caresses de la brise.
J'aurais plutôt inversé comme ceci : au gré des caresses vicieuses de la brise.
Voilà. Surtout ce genre d'inversions, tu vois ?
Il y a sans doute des incohérences, c'est possible mais bon, ce n'est pas moi qui vais les remarquer, j'ai jamais fait la guerre. Enfin pas celle-là.
Sur le plan de l'écriture, ce qui me gêne un peu est par exemple la tournure de : au gré des vicieuses caresses de la brise.
J'aurais plutôt inversé comme ceci : au gré des caresses vicieuses de la brise.
Voilà. Surtout ce genre d'inversions, tu vois ?
Re: La marche
Merci beaucoup de ta lecture, isa! Toi de même, Romane!
Pour l'inversion Loreena me l'a également fait remarquer. Je l'ai d'ailleurs changé dans la version bêta. Observation très pertinente, et je crois surtout que c'est juste comme Loreena le disait: Les caresses "vicieuses", ça marche pas. J'ai tout simplement reformulé.
Pour l'inversion Loreena me l'a également fait remarquer. Je l'ai d'ailleurs changé dans la version bêta. Observation très pertinente, et je crois surtout que c'est juste comme Loreena le disait: Les caresses "vicieuses", ça marche pas. J'ai tout simplement reformulé.
Charly_Owl- Nombre de messages : 66
Age : 34
Localisation : Montréal, Québec (au Canada, bande de moules)
Date d'inscription : 31/08/2008
Re: La marche
Exact, et j'étais en train de me poser la question quand tu as posté. Une brise, c'est pas la rafale qui te prend par surprise, donc vicieuse pourquoi ? Parce qu'elle est le paradoxe entre la caresse et la guerre ? la caresse et la brutalité de la guerre ? J'en étais là.
Re: La marche
Ploup ploup, la première partie d'une petite suite.
****************
« J’ai peur… ‘fait trop noir, chuchota une voix enfantine.
-Tais-toi. Je sais ce que je fais. » se fit-elle répondre par une silhouette dans la pénombre. Le ton était dur et cassant. L’écho lugubre percuta les parois de la mine, jetant un froid. Dollard agissait ainsi, toujours à demander le silence pour penser, réfléchir. C’était son arme à lui, l’astuce qui le maintenait en vie à chaque journée, à chaque danger qui rôde dans le vaste monde. Son ton restait durement forgé et froid, soit, mais cela ne représentait qu’une maigre facette d’un Dollard dans sa plus pure vingtaine. L’on entendit un soupir, puis son visage s’éclaira à la lueur vorace des flammes de la torche.
« Allez, suivez-moi. Ça me revient. » fit-il en agitant la main. « Ils » suivirent sans dire mot; soit une petite trentaine de villageois apeurés de l’inconnu des profondeurs terrestres. Leurs pas incertains crissèrent sur le roc tapissé de sable. Ces pas n’étaient rien de moins que le dernier signe de volonté apparente du groupe, celui-ci ayant bravé les tourments pullulant d’une contrée mise à feu et à sang. Ils fuyaient la guerre, les patrouilles de manteaux noirs et, pire encore, la racaille autochtone qui chassait femmes et enfants comme du gibier. Leur seul échappatoire, c’était Dollard et son regard empli de malice.
Il s’avança plus loin encore dans le tunnel, guidé par un son qui lui chatouillait les tympans depuis quelques temps. Il se souvenait du silence irréel du puits de surface menant à l’entrée des vieilles mines désaffectées, mais ce bruit, surtout en profondeur, le fascinait. L’on aurait dit à la fois un gargouillis sourd et un râle plaintif. Les minutes s’écoulèrent, languissantes. Chaque enjambée devenait plus excitante, plus inconnue, plus risquée.
Plic!
Il figea net, stupéfait.
« Qu’est-ce qui se passe? demanda le petit Tom en lui tirant la manche de sa chemise.
-Chut. Écoute attentivement, ne fais pas de bruit, répondit-il en plaquant son oreille contre le mur mousseux. On dirait… on dirait de l’eau! » Le sourire émincé qui trônait sous son nez cassé s’évapora à l’instant. Il ne se rappelait pas d’une rivière souterraine, pas ici. Cela faisait-il si longtemps depuis la dernière fois qu’il avait visité les lieux? Dollard se sentit soudainement horriblement vieux.
Plouc!
Pourtant, la rivière était bien là, glougloutant calmement sous un pont de pierre sculpté au piolet. Au plafond avaient germés de longues stalactites d’où coulaient de fines gouttelettes d’eau. Dollard suait à grosses gouttes, incertain du chemin à suivre. Il ne se souvenait pas d’un cours d’eau… Il ne se souvenait pas d’un tunnel si long, depuis le temps où son frère et lui-même avaient exploré les galeries. Il doutait. Aller de l’avant, vers l’inconnu qui pourrait coûter la vie aux rescapés qui avaient accepté de le suivre vers Fort Épicentrée? Ou reculer, vers les manteaux noirs et leurs fusils? Le jeune homme se tortilla les mains, sentant la brûlure du feu de la torche contre son bras. Que faire? Quoi choisir? Quel serait le prix d’un échec, d’un seul faux pas? « Allez, on avance. » décida-t-il à voix haute. Celle-ci tremblait.
Tic… Tic… Tic…
Maintenant, il était sûr de ne pas halluciner ce son. Il l’entendait depuis un moment déjà, ce petit martèlement qui lui chatouillait les tympans. Quelqu’un creusait, plus loin dans la galerie. Ou plutôt, ce quelqu’un frappait contre le roc. Dollard fit signe au groupe d’arrêter. Trop tard. Des pas résonnèrent dans le couloir dangereusement étroit. Des cris vrillèrent les profondeurs du noir. « Des ordres, devant. En Anglois… Oh non. Ils sont déjà là! » songea-t-il en courant à toute allure vers le petit pont de pierre. Il fallait fuir, fuir avant de se faire capturer! Les minutes s’égrenèrent, trop rapides pour être réelles. Glacé par la peur, de la sueur perla de son front, puis une détonation l’arrêta net. Le petit Tom, d’habitude si bavard et joyeux, fut pris d’une figette en début de file. Il restait debout, fixant l’eau trouble qui défilait devant lui, les yeux hypnotisés. Il ne bougeait pas, paralysé. Son corps ne répondait plus à rien, rien hormis ses doigts qui semblaient parcourus de spasmes nerveux. Il plongea vers les flots tumultueux, le crâne percé de part en part. Le canon de l’arme du soldat angle luisit dans l’obscurité.
« Ça s’arrête ici pour vous. » ricana le colosse. Tout était bloqué. Plus d’issue, plus de plan, une trentaine d’âmes sur la conscience ou encore un séjour dans l’enfer des mines de sel angles. Pas de choix, rien du tout. Dollard réprima un hurlement de rage, serrant son poing impuissant. Une dizaine de fusils étaient braqués sur lui et ses compagnons de fuite. Et ils devraient tous payer pour son manque de discernement. « Pas de chance, la prison saura bien vous dompter. » continua l’Angle, très calme.
« Jamais! » beugla l’un des paysans, plus brave et plus grand que les autres. Il se précipita sur le chef des tuniques noires, lui asséna un violent coup de poing qui lui fracassa le nez. Le sang coula à flots, laissant la condamnation à mort s’épandre sur le grès. Ce fut la stupéfaction chez Dollard car les coups de feu ne vinrent pas. Indécises, les gâchettes hésitaient. Elles hésitaient entre la pitié et l’ordre qui ne venait pas. Malheureusement, l’ordre vint par un autre coup de feu qui embrasa la scène. Dans leur combat acharné, le paysan avait arraché un sac à la taille du soldat. Furieux, il avait commencé à lui marteler le visage avec. Dégainant son pistolet, le soldat fit feu dans le poitrail de son assaillant. Le sac s’éventra, laissant rouler au sol une dizaine de grenades… dont une des mèches brûlait. Ils observèrent tous la scène avec incrédulité, horrifiés par la mort explosive et colorée qui se préparait immanquablement.
La mèche crépita lentement, irrigant les parois d’une lueur blafarde.
La sourde explosion souffla de nombreux corps sur son passage, le tunnel s’effondra, et la rivière souterraine engloutit ce qui restait des traces d’un combat rapide et inégal. Les cavernes grondèrent, puis le vacarme se tut enfin. Bientôt, l’on n’entendit plus que ce même son intermittent. Tic. Tic. Tic.
***
-Tu crois qu’elle viendra encore ce soir? murmura Saguenay à Saint-Just.
-On ne sait jamais, caporal. répondit le médecin au soldat. Elle n’est pas encore venue cette semaine. Ce soir, peut-être? suggéra-t-il.
-La journée a été meurtrière. Les Angles ont mordu la poussière, et pas à peu près, soupira Saguenay. Elle viendra. Je le sais.
-Toute cette histoire commence à t’obséder, caporal. Tu devrais te reposer, suggéra Saint-Just en plissant les yeux.
-Me reposer? Avec ce machin qui brûle comme de la chaux sur le bras?
-Dans le jargon scientifique, on appelle cela un onguent, ricana l’autre en esquissant un rare sourire. Tes plaies se sont déjà beaucoup infectées. »
La mine de Saguenay s’assombrit, subitement plus consciente. Ses grands yeux noirs fixèrent la lune cuivrée qui s’élevait dans le ciel fumant. Il avait eu de la chance, plus de chance que bien des Francs. Son bras le faisait horriblement souffrir, mais il n’osait plus revoir ce ramassis de coutures noires emmêlées de chairs encore mi-ouvertes. Il sembla momentanément soulagé de voir cette rassurante écharpe blanche couvrant ses blessures. Il aurait pu mourir, comme à chaque jour, chaque bataille, chaque instant. C’était comme ça depuis le siège du fort.
Du haut des murs de l’Épicentrée, les deux compagnons observèrent les restes du champ de bataille bordant la forteresse. Les manteaux noirs gisaient ça et là, un peu comme si Dieu les avait éparpillé comme de vulgaires poupées de chiffon. Sans dire mot, ils attendirent. Chaque soir, ils espionnaient les buttes grouillantes de tranchées, de baïonnettes tranchantes, de corps et de parfums pestilentiels. C’était presque devenu une tradition, une sorte de pacte non-écrit. Le soldat et le médecin ne croyaient pas réellement en l’amitié, mais plutôt en une certaine forme de loyauté. Grand, baraqué et peu maniéré, Saguenay ressemblait d’une façon imperceptible au premier coup d’œil à Saint-Just. En fait, tout les distinguait physiquement; ils n’avaient que cette même lueur riante au creux des yeux, comme une alchimie fraternelle fermentant depuis l’enfance. Alors que l’homme fort avait décidé de prendre le fusil, son ami plus maigre et sec avait choisi d’étudier l’anatomie. Saint-Just s’accouda contre le revêtement d’une meurtrière en bois, puis se permit un soupir las.
-Nous sommes ridicules, chuchota-t-il discrètement. Les anges n’existent pas, Saguenay. Je perds mon temps.
-Tu devrais arrêter de croire en rien, quelques fois, répliqua l’autre. Ton cousin m’a juré l’avoir vu. Il a parlé d’une cape blanche, d’un teint pâle, d’une silhouette qui erre la nuit…
-Tais-toi, rien qu’une fois.
-Tu crois personne, de toute façon. T’es salement… de mauvaise foi, Saint-Just.
-Je suis de mauvaise foi parce qu’il est mort, le cousin! s’offusqua le médecin, la jugulaire bleutée.
-Écoute… » Il marqua une lourde pause. Il avait fini par deviner que son compagnon parlait plus par le silence que par les mots. « Il me l’a dit. C’est tout. C’est comme ça. »
Saint-Just sentit la nausée lui monter à la tête. Il n’aimait pas la direction vers laquelle cette discussion se dirigeait. Encore une fois, il avait sous-estimé les capacités du militaire. Ce n’était pas la première fois non plus, et il s’en voulut. L’amitié apportait souvent cette vision parfois trop limpide de l’autre; un outil dangereux. De douloureux souvenirs lui vrillèrent le crâne, comme une bouffée de vapeurs toxiques et asphyxiantes.
Le cousin… La famille, ce qu’il en reste. Il se souvint de son râle dur, de sa mine fantomatique et du cliquetis des éclats de grenade sanguinolents tombant sur le plateau de fer. « Reste calme, ‘vieux. » se ré-entendit-il dire. Son cœur battait à s’en défoncer les artères. Le mourant frissonnait de partout, la plupart de ses membres meurtris par le froid mordant d’une nuit passée à crever au-dehors, oublié. Saint-Just se souvint de son haleine fétide et bilieuse en plus de ses dents jaunes. Il avait un sourire dément peint sur ses lèvres. « Elle est venue me voir… j’agonisais, elle… l’Ange m’a béni, Saint-Just. Je ne vais pas mourir, je ne vais pas mourir… J’ai vu, j’ai vu ses yeux, sa main douce… l’Ange brillait dans la neige. Je vais vivre, je vais vivre, je vais… » avait-il répété sans cesse. Il avait raconté son histoire à tous les blessés, à tous les mourants qui comme lui expiaient leurs derniers instants. La légende de l’Ange des neiges de l’Épicentrée était ainsi née dans les murmures des casernes pourries du fort. Le cousin, lui, y avait cru jusqu’à la fin, l’âme aveugle et en paix.
-Je m’en rappelle… vaguement, mentit-il en haussant les épaules.
-Allez, on a trop attendu. De toute façon, il n’y a plus personne qui respire là-bas. On rentre, conclut Saguenay sans insister.
Ils marchèrent ensemble vers le Canal du fort, l’endroit où les soldats avaient le luxe de pouvoir se laver à chaque dimanche.
****************
-Chapitre I-
-Les rescapés de Quart-de-Tour-
-Les rescapés de Quart-de-Tour-
« J’ai peur… ‘fait trop noir, chuchota une voix enfantine.
-Tais-toi. Je sais ce que je fais. » se fit-elle répondre par une silhouette dans la pénombre. Le ton était dur et cassant. L’écho lugubre percuta les parois de la mine, jetant un froid. Dollard agissait ainsi, toujours à demander le silence pour penser, réfléchir. C’était son arme à lui, l’astuce qui le maintenait en vie à chaque journée, à chaque danger qui rôde dans le vaste monde. Son ton restait durement forgé et froid, soit, mais cela ne représentait qu’une maigre facette d’un Dollard dans sa plus pure vingtaine. L’on entendit un soupir, puis son visage s’éclaira à la lueur vorace des flammes de la torche.
« Allez, suivez-moi. Ça me revient. » fit-il en agitant la main. « Ils » suivirent sans dire mot; soit une petite trentaine de villageois apeurés de l’inconnu des profondeurs terrestres. Leurs pas incertains crissèrent sur le roc tapissé de sable. Ces pas n’étaient rien de moins que le dernier signe de volonté apparente du groupe, celui-ci ayant bravé les tourments pullulant d’une contrée mise à feu et à sang. Ils fuyaient la guerre, les patrouilles de manteaux noirs et, pire encore, la racaille autochtone qui chassait femmes et enfants comme du gibier. Leur seul échappatoire, c’était Dollard et son regard empli de malice.
Il s’avança plus loin encore dans le tunnel, guidé par un son qui lui chatouillait les tympans depuis quelques temps. Il se souvenait du silence irréel du puits de surface menant à l’entrée des vieilles mines désaffectées, mais ce bruit, surtout en profondeur, le fascinait. L’on aurait dit à la fois un gargouillis sourd et un râle plaintif. Les minutes s’écoulèrent, languissantes. Chaque enjambée devenait plus excitante, plus inconnue, plus risquée.
Plic!
Il figea net, stupéfait.
« Qu’est-ce qui se passe? demanda le petit Tom en lui tirant la manche de sa chemise.
-Chut. Écoute attentivement, ne fais pas de bruit, répondit-il en plaquant son oreille contre le mur mousseux. On dirait… on dirait de l’eau! » Le sourire émincé qui trônait sous son nez cassé s’évapora à l’instant. Il ne se rappelait pas d’une rivière souterraine, pas ici. Cela faisait-il si longtemps depuis la dernière fois qu’il avait visité les lieux? Dollard se sentit soudainement horriblement vieux.
Plouc!
Pourtant, la rivière était bien là, glougloutant calmement sous un pont de pierre sculpté au piolet. Au plafond avaient germés de longues stalactites d’où coulaient de fines gouttelettes d’eau. Dollard suait à grosses gouttes, incertain du chemin à suivre. Il ne se souvenait pas d’un cours d’eau… Il ne se souvenait pas d’un tunnel si long, depuis le temps où son frère et lui-même avaient exploré les galeries. Il doutait. Aller de l’avant, vers l’inconnu qui pourrait coûter la vie aux rescapés qui avaient accepté de le suivre vers Fort Épicentrée? Ou reculer, vers les manteaux noirs et leurs fusils? Le jeune homme se tortilla les mains, sentant la brûlure du feu de la torche contre son bras. Que faire? Quoi choisir? Quel serait le prix d’un échec, d’un seul faux pas? « Allez, on avance. » décida-t-il à voix haute. Celle-ci tremblait.
Tic… Tic… Tic…
Maintenant, il était sûr de ne pas halluciner ce son. Il l’entendait depuis un moment déjà, ce petit martèlement qui lui chatouillait les tympans. Quelqu’un creusait, plus loin dans la galerie. Ou plutôt, ce quelqu’un frappait contre le roc. Dollard fit signe au groupe d’arrêter. Trop tard. Des pas résonnèrent dans le couloir dangereusement étroit. Des cris vrillèrent les profondeurs du noir. « Des ordres, devant. En Anglois… Oh non. Ils sont déjà là! » songea-t-il en courant à toute allure vers le petit pont de pierre. Il fallait fuir, fuir avant de se faire capturer! Les minutes s’égrenèrent, trop rapides pour être réelles. Glacé par la peur, de la sueur perla de son front, puis une détonation l’arrêta net. Le petit Tom, d’habitude si bavard et joyeux, fut pris d’une figette en début de file. Il restait debout, fixant l’eau trouble qui défilait devant lui, les yeux hypnotisés. Il ne bougeait pas, paralysé. Son corps ne répondait plus à rien, rien hormis ses doigts qui semblaient parcourus de spasmes nerveux. Il plongea vers les flots tumultueux, le crâne percé de part en part. Le canon de l’arme du soldat angle luisit dans l’obscurité.
« Ça s’arrête ici pour vous. » ricana le colosse. Tout était bloqué. Plus d’issue, plus de plan, une trentaine d’âmes sur la conscience ou encore un séjour dans l’enfer des mines de sel angles. Pas de choix, rien du tout. Dollard réprima un hurlement de rage, serrant son poing impuissant. Une dizaine de fusils étaient braqués sur lui et ses compagnons de fuite. Et ils devraient tous payer pour son manque de discernement. « Pas de chance, la prison saura bien vous dompter. » continua l’Angle, très calme.
« Jamais! » beugla l’un des paysans, plus brave et plus grand que les autres. Il se précipita sur le chef des tuniques noires, lui asséna un violent coup de poing qui lui fracassa le nez. Le sang coula à flots, laissant la condamnation à mort s’épandre sur le grès. Ce fut la stupéfaction chez Dollard car les coups de feu ne vinrent pas. Indécises, les gâchettes hésitaient. Elles hésitaient entre la pitié et l’ordre qui ne venait pas. Malheureusement, l’ordre vint par un autre coup de feu qui embrasa la scène. Dans leur combat acharné, le paysan avait arraché un sac à la taille du soldat. Furieux, il avait commencé à lui marteler le visage avec. Dégainant son pistolet, le soldat fit feu dans le poitrail de son assaillant. Le sac s’éventra, laissant rouler au sol une dizaine de grenades… dont une des mèches brûlait. Ils observèrent tous la scène avec incrédulité, horrifiés par la mort explosive et colorée qui se préparait immanquablement.
La mèche crépita lentement, irrigant les parois d’une lueur blafarde.
La sourde explosion souffla de nombreux corps sur son passage, le tunnel s’effondra, et la rivière souterraine engloutit ce qui restait des traces d’un combat rapide et inégal. Les cavernes grondèrent, puis le vacarme se tut enfin. Bientôt, l’on n’entendit plus que ce même son intermittent. Tic. Tic. Tic.
***
-Tu crois qu’elle viendra encore ce soir? murmura Saguenay à Saint-Just.
-On ne sait jamais, caporal. répondit le médecin au soldat. Elle n’est pas encore venue cette semaine. Ce soir, peut-être? suggéra-t-il.
-La journée a été meurtrière. Les Angles ont mordu la poussière, et pas à peu près, soupira Saguenay. Elle viendra. Je le sais.
-Toute cette histoire commence à t’obséder, caporal. Tu devrais te reposer, suggéra Saint-Just en plissant les yeux.
-Me reposer? Avec ce machin qui brûle comme de la chaux sur le bras?
-Dans le jargon scientifique, on appelle cela un onguent, ricana l’autre en esquissant un rare sourire. Tes plaies se sont déjà beaucoup infectées. »
La mine de Saguenay s’assombrit, subitement plus consciente. Ses grands yeux noirs fixèrent la lune cuivrée qui s’élevait dans le ciel fumant. Il avait eu de la chance, plus de chance que bien des Francs. Son bras le faisait horriblement souffrir, mais il n’osait plus revoir ce ramassis de coutures noires emmêlées de chairs encore mi-ouvertes. Il sembla momentanément soulagé de voir cette rassurante écharpe blanche couvrant ses blessures. Il aurait pu mourir, comme à chaque jour, chaque bataille, chaque instant. C’était comme ça depuis le siège du fort.
Du haut des murs de l’Épicentrée, les deux compagnons observèrent les restes du champ de bataille bordant la forteresse. Les manteaux noirs gisaient ça et là, un peu comme si Dieu les avait éparpillé comme de vulgaires poupées de chiffon. Sans dire mot, ils attendirent. Chaque soir, ils espionnaient les buttes grouillantes de tranchées, de baïonnettes tranchantes, de corps et de parfums pestilentiels. C’était presque devenu une tradition, une sorte de pacte non-écrit. Le soldat et le médecin ne croyaient pas réellement en l’amitié, mais plutôt en une certaine forme de loyauté. Grand, baraqué et peu maniéré, Saguenay ressemblait d’une façon imperceptible au premier coup d’œil à Saint-Just. En fait, tout les distinguait physiquement; ils n’avaient que cette même lueur riante au creux des yeux, comme une alchimie fraternelle fermentant depuis l’enfance. Alors que l’homme fort avait décidé de prendre le fusil, son ami plus maigre et sec avait choisi d’étudier l’anatomie. Saint-Just s’accouda contre le revêtement d’une meurtrière en bois, puis se permit un soupir las.
-Nous sommes ridicules, chuchota-t-il discrètement. Les anges n’existent pas, Saguenay. Je perds mon temps.
-Tu devrais arrêter de croire en rien, quelques fois, répliqua l’autre. Ton cousin m’a juré l’avoir vu. Il a parlé d’une cape blanche, d’un teint pâle, d’une silhouette qui erre la nuit…
-Tais-toi, rien qu’une fois.
-Tu crois personne, de toute façon. T’es salement… de mauvaise foi, Saint-Just.
-Je suis de mauvaise foi parce qu’il est mort, le cousin! s’offusqua le médecin, la jugulaire bleutée.
-Écoute… » Il marqua une lourde pause. Il avait fini par deviner que son compagnon parlait plus par le silence que par les mots. « Il me l’a dit. C’est tout. C’est comme ça. »
Saint-Just sentit la nausée lui monter à la tête. Il n’aimait pas la direction vers laquelle cette discussion se dirigeait. Encore une fois, il avait sous-estimé les capacités du militaire. Ce n’était pas la première fois non plus, et il s’en voulut. L’amitié apportait souvent cette vision parfois trop limpide de l’autre; un outil dangereux. De douloureux souvenirs lui vrillèrent le crâne, comme une bouffée de vapeurs toxiques et asphyxiantes.
Le cousin… La famille, ce qu’il en reste. Il se souvint de son râle dur, de sa mine fantomatique et du cliquetis des éclats de grenade sanguinolents tombant sur le plateau de fer. « Reste calme, ‘vieux. » se ré-entendit-il dire. Son cœur battait à s’en défoncer les artères. Le mourant frissonnait de partout, la plupart de ses membres meurtris par le froid mordant d’une nuit passée à crever au-dehors, oublié. Saint-Just se souvint de son haleine fétide et bilieuse en plus de ses dents jaunes. Il avait un sourire dément peint sur ses lèvres. « Elle est venue me voir… j’agonisais, elle… l’Ange m’a béni, Saint-Just. Je ne vais pas mourir, je ne vais pas mourir… J’ai vu, j’ai vu ses yeux, sa main douce… l’Ange brillait dans la neige. Je vais vivre, je vais vivre, je vais… » avait-il répété sans cesse. Il avait raconté son histoire à tous les blessés, à tous les mourants qui comme lui expiaient leurs derniers instants. La légende de l’Ange des neiges de l’Épicentrée était ainsi née dans les murmures des casernes pourries du fort. Le cousin, lui, y avait cru jusqu’à la fin, l’âme aveugle et en paix.
-Je m’en rappelle… vaguement, mentit-il en haussant les épaules.
-Allez, on a trop attendu. De toute façon, il n’y a plus personne qui respire là-bas. On rentre, conclut Saguenay sans insister.
Ils marchèrent ensemble vers le Canal du fort, l’endroit où les soldats avaient le luxe de pouvoir se laver à chaque dimanche.
Charly_Owl- Nombre de messages : 66
Age : 34
Localisation : Montréal, Québec (au Canada, bande de moules)
Date d'inscription : 31/08/2008
Re: La marche
Je crois vraiment que vous tenez quelque chose, Charly_Owl ! Le ton est juste, ces scènes picorées dans une ambiance guerrière passionnantes... J'aime énormément. Peut-être vous attardez-vous un poil trop sur des considérations psychologiques à propos de l'amitié entre Saint-Just et Saguenay : en tant que lecteur, je préfère que ce genre de choses transparaisse dans le texte plutôt qu'elles soient explicitées.
En tout cas, vos descriptions sont très convaincantes ! Bravo.
Une remarque :
"Aller de l’avant, vers l’inconnu qui pourrait coûter la vie aux rescapés qui avaient accepté de le suivre vers Fort Épicentrée ?" me paraît lourde, à cause des deux relatives imbriquées introduites par "qui".
En tout cas, vos descriptions sont très convaincantes ! Bravo.
Une remarque :
"Aller de l’avant, vers l’inconnu qui pourrait coûter la vie aux rescapés qui avaient accepté de le suivre vers Fort Épicentrée ?" me paraît lourde, à cause des deux relatives imbriquées introduites par "qui".
Invité- Invité
Re: La marche
Bon... Je n'ai plus qu'à raccrocher ma plume après avoir lu ça ! C'est parfait à tout point de vue, construit, bien écrit : j'ai l'impression de lire un auteur disons "professionnel" (et un bon, hein) quand je parcours ces lignes-là.
Quelques détails :
Dans la deuxième partie, je trouve admirable que les personnages prennent un telle dimension sympathique, en si peu de temps.
Alala... que dire de plus ? Je vais de suite acheter une corde... XD
Quelques détails :
pourquoi ce nom, qui rappelle tristement la monnaie des USA ? Sinon, j'ai trouvé par moment un vrai Gandalf dans ce personnage, le passage dans les galeries rappelant quelques moments disons "clefs" dans la Moria. Je ne me souviens plus exactement des répliques du livre, j'avoue, mais l'ambiance est exactement la même et je crois que c'était voulu, donc chapeau pour ça ! C'est sans doute ce qui me frustre le plus ...!Dollard
Dans la deuxième partie, je trouve admirable que les personnages prennent un telle dimension sympathique, en si peu de temps.
Alala... que dire de plus ? Je vais de suite acheter une corde... XD
Loreena Ruin- Nombre de messages : 1071
Age : 35
Localisation : Nancy
Date d'inscription : 05/10/2008
Re: La marche
"poil trop sur des considérations psychologiques à propos de l'amitié entre Saint-Just et Saguenay"
1) Pourquoi me parler au vous? XD J'suis un jeune merdeux, moi.
2) Très juste. J'ai beaucoup de difficulté à impliciter certaines parties. C'est surtout le fait que je suis peu familier avec l'écriture en 3eme personne. J'imagine que je me trouverai un bon pli à un moment donné.
Loreena: Pourquoi Dollard? Ahhh, vous les français. Vous associez souvent ce mot aux amerloques, hein? (no préjudice avant de me faire poursuivre, eh). En fait j'ai basé ce nom sur un pseudo-héros québécois que les anglais nous ont un peu "inventé", histoire qu'on s'emmerde pas trop. M'enfin, longue histoire. Ce type s'appellait Dollard-des-Ormeaux. J'ai cru qu'inclure un nom québécois pourrait rendre un certain style unique au texte. D'ailleurs, Saguenay est également un nom québécois: c'est la région d'où une partie de ma famille vient.
M'enfin j'en chierai pas un roman sur les noms. Je travaille sur la suite, donc.
1) Pourquoi me parler au vous? XD J'suis un jeune merdeux, moi.
2) Très juste. J'ai beaucoup de difficulté à impliciter certaines parties. C'est surtout le fait que je suis peu familier avec l'écriture en 3eme personne. J'imagine que je me trouverai un bon pli à un moment donné.
Loreena: Pourquoi Dollard? Ahhh, vous les français. Vous associez souvent ce mot aux amerloques, hein? (no préjudice avant de me faire poursuivre, eh). En fait j'ai basé ce nom sur un pseudo-héros québécois que les anglais nous ont un peu "inventé", histoire qu'on s'emmerde pas trop. M'enfin, longue histoire. Ce type s'appellait Dollard-des-Ormeaux. J'ai cru qu'inclure un nom québécois pourrait rendre un certain style unique au texte. D'ailleurs, Saguenay est également un nom québécois: c'est la région d'où une partie de ma famille vient.
M'enfin j'en chierai pas un roman sur les noms. Je travaille sur la suite, donc.
Charly_Owl- Nombre de messages : 66
Age : 34
Localisation : Montréal, Québec (au Canada, bande de moules)
Date d'inscription : 31/08/2008
Re: La marche
Charly_Owl a écrit:(...)
1) Pourquoi me parler au vous? XD J'suis un jeune merdeux, moi.
(...)
Eh bien, parce que je n'impose pas ma familiarité que j'estime malvenue à des gens que je n'ai jamais vus... et j'espère la réciproque de leur part. Merci d'avance !
Invité- Invité
Re: La marche
Là je ne te suis pas du tout... Comme tu dis, tu ne feras pas un roman sur des noms... et le style "unique" d'un texte ne repose pas là-dessus.J'ai cru qu'inclure un nom québécois pourrait rendre un certain style unique au texte.
- Spoiler:
En revanche, le nom a clairement pour moi une portée sur le personnage que tu créés avec lui : il contient une grande part de son identité, ne serait-ce que parce que tu as choisi ce nom et pas un autre, et qu'aucun autre nom ne semble pouvoir le remplacer. En arabe les noms ont ainsi tous une signification dans la langue parlée, j'ai un ami qui s'appelle Aymen, ce qui signifie : "Celui qui marche droit". Les parents mettent toujours une intention, plus ou moins forte, dans le nom qu'ils choisissent, et cela est déjà, un peu, un reflet de comment ils imaginent leur enfant, de comment ils veulent l'éduquer... Du coup on retrouve parfois d'étranges similitudes entre la signification (ou les origines) d'un nom et la personnalité de son possesseur.
Tout cela pour dire que personnellement, lorsque je donne un nom a un personnage, il porte pour moi tout un univers de références, même juste au niveau des sonorités, qui fait que, une fois le nom trouvé, le personnage peut se construire presque entièrement autour...
Bon c'est bien sûr ma façon de fonctionner, mais je voulais te montrer qu'on pouvait quand même construire pas mal de chose autour des noms et de leur évocation...(donc attention aussi à la polysémie, en ce qui concerne le lecteur !)
D'ailleurs on remarque la même chose en poésie : si tu dis "Rome" tu ne parles pas seulement de la ville actuelle mais aussi de toute la mythologie qui se trouve derrière, les ruines etc... ce qui rend le nom en lui-même poétique (après tout dépend du contexte ;-)).
J'ai un peu développé mais je trouvais important d'en parler, suite à ce que tu as expliqué sur Dollard.
Loreena Ruin- Nombre de messages : 1071
Age : 35
Localisation : Nancy
Date d'inscription : 05/10/2008
Re: La marche
Chapitre I (suite et fin)
***
L’Épicentrée eut plusieurs noms par le passé. Certains indigènes l’appelaient le Roc Sanglant, en raison de la richesse en cuivre de la montagne. D’autres la surnommaient le Mont de la Vie, en raison de ses grands arbres plusieurs fois centenaires qui poussaient en lisière du plateau. Les explorateurs venus de l’Ancien-Monde, eux, furent plutôt ébahis par la vertigineuse falaise qui déchirait le sommet du mont. Le nom de « Grand-Plongeon » résista aux épreuves de quelques décennies, et cela jusqu’à sa colonisation définitive par les Francs. Les métaux furent extraits durant des années par les colons pour en faire des armes, et les arbres furent abattus pour créer un fort défendant l’accès au fleuve coulant aux pieds de la falaise. Fort Épicentrée s’éleva ainsi sur le plateau comme un éclair déchirant un ciel violacé. Les murs furent construits de troncs d’arbres gigantesques, l’Église fut bâtie d’un marbre scintillant et un système de grottes souterraines fut découvert, puis aménagé par la suite. Reliant les eaux sombres du fleuve aux hauteurs asséchées du plateau, ces grottes évoluèrent en d’ingénieux systèmes d’écluses, de moulins à eau et de bains thermaux. Dès lors, ce qu’on appela plus tard le Canal put subvenir aux besoins en eau des soldats comme des paysans. Et tout cela grâce au génie des maçons d’antan.
-Le plancher est vraiment glacial! maugréa Saguenay en grelottant.
-Fillette, l’agaça Saint-Just en se débarrassant de son caleçon.
Un faisceau de lumière effleura l’eau brillante des bains, provenant d’un large orifice de lumière bleutée sculpté à-travers le plafond de granit.
-Tu sais qu’ils ont pris deux années entières pour construire ça? lança le caporal en se dévêtant avec une extrême lenteur pudique.
-Quoi, ça? Le petit lac?
-Non, ça. » Saguenay pointa du doigt la grande fenêtre donnant vue sur le ciel. « Mon père me disait qu’ils avaient dû tailler ce trou à même le piolet.
-C’est fragile, une montagne, dis-donc, sourit le médecin en plongeant dans le bassin.
-Espérons que tu aies tort, Saint-Just. » renchérit une autre voix, grave et lointaine.
Les deux hommes se retournèrent vers le capitaine Jean-Mars Torrieux. Ce dernier sortit de l’eau pour se couvrir le bassin d’une vieille serviette en cuir séché.
-Capitaine, salua le caporal.
-Des nouvelles de Quart-de-Tour, Saguenay? demanda le commandant.
-Pas encore, malheureusement. Hier, par-contre, un éclaireur a entrevu un groupe de fuyards qui marchait vers les vieilles mines désaffectées.
-Celles d’Or-Puits?
-Non, plus à l’Ouest. Buzard les a vus aux alentours de Creux-au-Grisou, rectifia Saguenay.
Le capitaine Torrieux resta silencieux quelques instants. Son regard s’enflamma un bref instant, pour ensuite se faufiler furtivement derrière son éternel air serein. Il marmonna quelque chose à lui-même, comme si personne ne pouvait l’entendre. Mais personne ne broncha, ce tic du commandant étant presque devenu une habitude pour les hommes du fort. « Mauvais, ça. Je croyais que Quart-de-Tour tiendrait encore au moins deux semaines. » songea-t-il. Il enfila rapidement sa chemise et noua ses cheveux noirs en catogan avec sa broche régimentaire. Comme l’exigeait le protocole, toujours le protocole. À croire que les officiers ne servaient qu’à cela. Contrairement au faciès parfaitement entretenu du capitaine, celui de Saguenay avait bien piètre allure. Sa courte chevelure rouille frisait avec l’humidité et une mince barbe de négligence avait germé sur son visage. Et les poux, bien sûr, mais personne ne parlait des poux. Personne, hormis les femmes.
Les rires de celles-ci retentirent dans l’énorme caverne. Au-delà d’un petit muret de liège flottant, elles se lavaient avec gaieté. Par pur souci d’intimité, le bassin était réparti en deux sections distinctes. D’un côté les hommes et leur silence austère, de l’autre les femmes, les enfants et leur vivacité criarde. Saguenay entrevit quelques ombres aux courbes alléchantes serpenter sur les parois, puis il se permit de rêver à ce que la vie militaire lui avait toujours refusé : la chair. Il lança un regard envieux au-delà du damné muret, puis éclata de rire en remarquant la mine amusée de Saint-Just.
-Ne vas pas croire que les médecins ont plus de chance! blagua-t-il.
Le capitaine Torrieux, quant à lui, était déjà tout habillé. Sa tunique d’un blanc grisonnant, sa rapière bien ancrée dans son fourreau en frêne et sa tricorne écornée avaient fini par lui valoir une certaine majesté bâtarde chez ses hommes. Rien n’importait plus que le respect aux yeux de Jean-Mars. Dût-il être mortel.
Plouf!
-Mais qu’est-ce que c’est que ça? Oh mon Dieu! hurla avec horreur une femme.
En deux temps trois mouvements, Saint-Just, Saguenay et Jean-Mars accoururent vers la section interdite. L’un l’épée à la main, les deux autres le membre à l’air. Horrifié, Jean-Mars réalisa enfin ce qui se passait. Six macchabés flottaient tranquillement sur l’eau.
-Saguenay! Rends-toi utile, bon dieu! Va chercher les infirmiers! ordonna le capitaine avant de plonger pour ensuite traîner les corps vers les bords sablonneux du petit lac souterrain.
Saint-Just commença les manœuvres de réanimation. Il sentit ses muscles électrisés par une force surnaturelle, et effectua contractions sur contractions. Les minutes passèrent. Sans résultat. Le médecin poussa un effroyable cri de rage, impuissant. Il continua à masser avec furie et violence, encore et encore. Toujours aucun résultat.
Il ignorait qui étaient ces gens, ni même par quelle sorcellerie ils avaient pu se retrouver ici. La seule chose qu’il savait, c’est qu’il allait les perdre.
***
***
L’Épicentrée eut plusieurs noms par le passé. Certains indigènes l’appelaient le Roc Sanglant, en raison de la richesse en cuivre de la montagne. D’autres la surnommaient le Mont de la Vie, en raison de ses grands arbres plusieurs fois centenaires qui poussaient en lisière du plateau. Les explorateurs venus de l’Ancien-Monde, eux, furent plutôt ébahis par la vertigineuse falaise qui déchirait le sommet du mont. Le nom de « Grand-Plongeon » résista aux épreuves de quelques décennies, et cela jusqu’à sa colonisation définitive par les Francs. Les métaux furent extraits durant des années par les colons pour en faire des armes, et les arbres furent abattus pour créer un fort défendant l’accès au fleuve coulant aux pieds de la falaise. Fort Épicentrée s’éleva ainsi sur le plateau comme un éclair déchirant un ciel violacé. Les murs furent construits de troncs d’arbres gigantesques, l’Église fut bâtie d’un marbre scintillant et un système de grottes souterraines fut découvert, puis aménagé par la suite. Reliant les eaux sombres du fleuve aux hauteurs asséchées du plateau, ces grottes évoluèrent en d’ingénieux systèmes d’écluses, de moulins à eau et de bains thermaux. Dès lors, ce qu’on appela plus tard le Canal put subvenir aux besoins en eau des soldats comme des paysans. Et tout cela grâce au génie des maçons d’antan.
-Le plancher est vraiment glacial! maugréa Saguenay en grelottant.
-Fillette, l’agaça Saint-Just en se débarrassant de son caleçon.
Un faisceau de lumière effleura l’eau brillante des bains, provenant d’un large orifice de lumière bleutée sculpté à-travers le plafond de granit.
-Tu sais qu’ils ont pris deux années entières pour construire ça? lança le caporal en se dévêtant avec une extrême lenteur pudique.
-Quoi, ça? Le petit lac?
-Non, ça. » Saguenay pointa du doigt la grande fenêtre donnant vue sur le ciel. « Mon père me disait qu’ils avaient dû tailler ce trou à même le piolet.
-C’est fragile, une montagne, dis-donc, sourit le médecin en plongeant dans le bassin.
-Espérons que tu aies tort, Saint-Just. » renchérit une autre voix, grave et lointaine.
Les deux hommes se retournèrent vers le capitaine Jean-Mars Torrieux. Ce dernier sortit de l’eau pour se couvrir le bassin d’une vieille serviette en cuir séché.
-Capitaine, salua le caporal.
-Des nouvelles de Quart-de-Tour, Saguenay? demanda le commandant.
-Pas encore, malheureusement. Hier, par-contre, un éclaireur a entrevu un groupe de fuyards qui marchait vers les vieilles mines désaffectées.
-Celles d’Or-Puits?
-Non, plus à l’Ouest. Buzard les a vus aux alentours de Creux-au-Grisou, rectifia Saguenay.
Le capitaine Torrieux resta silencieux quelques instants. Son regard s’enflamma un bref instant, pour ensuite se faufiler furtivement derrière son éternel air serein. Il marmonna quelque chose à lui-même, comme si personne ne pouvait l’entendre. Mais personne ne broncha, ce tic du commandant étant presque devenu une habitude pour les hommes du fort. « Mauvais, ça. Je croyais que Quart-de-Tour tiendrait encore au moins deux semaines. » songea-t-il. Il enfila rapidement sa chemise et noua ses cheveux noirs en catogan avec sa broche régimentaire. Comme l’exigeait le protocole, toujours le protocole. À croire que les officiers ne servaient qu’à cela. Contrairement au faciès parfaitement entretenu du capitaine, celui de Saguenay avait bien piètre allure. Sa courte chevelure rouille frisait avec l’humidité et une mince barbe de négligence avait germé sur son visage. Et les poux, bien sûr, mais personne ne parlait des poux. Personne, hormis les femmes.
Les rires de celles-ci retentirent dans l’énorme caverne. Au-delà d’un petit muret de liège flottant, elles se lavaient avec gaieté. Par pur souci d’intimité, le bassin était réparti en deux sections distinctes. D’un côté les hommes et leur silence austère, de l’autre les femmes, les enfants et leur vivacité criarde. Saguenay entrevit quelques ombres aux courbes alléchantes serpenter sur les parois, puis il se permit de rêver à ce que la vie militaire lui avait toujours refusé : la chair. Il lança un regard envieux au-delà du damné muret, puis éclata de rire en remarquant la mine amusée de Saint-Just.
-Ne vas pas croire que les médecins ont plus de chance! blagua-t-il.
Le capitaine Torrieux, quant à lui, était déjà tout habillé. Sa tunique d’un blanc grisonnant, sa rapière bien ancrée dans son fourreau en frêne et sa tricorne écornée avaient fini par lui valoir une certaine majesté bâtarde chez ses hommes. Rien n’importait plus que le respect aux yeux de Jean-Mars. Dût-il être mortel.
Plouf!
-Mais qu’est-ce que c’est que ça? Oh mon Dieu! hurla avec horreur une femme.
En deux temps trois mouvements, Saint-Just, Saguenay et Jean-Mars accoururent vers la section interdite. L’un l’épée à la main, les deux autres le membre à l’air. Horrifié, Jean-Mars réalisa enfin ce qui se passait. Six macchabés flottaient tranquillement sur l’eau.
-Saguenay! Rends-toi utile, bon dieu! Va chercher les infirmiers! ordonna le capitaine avant de plonger pour ensuite traîner les corps vers les bords sablonneux du petit lac souterrain.
Saint-Just commença les manœuvres de réanimation. Il sentit ses muscles électrisés par une force surnaturelle, et effectua contractions sur contractions. Les minutes passèrent. Sans résultat. Le médecin poussa un effroyable cri de rage, impuissant. Il continua à masser avec furie et violence, encore et encore. Toujours aucun résultat.
Il ignorait qui étaient ces gens, ni même par quelle sorcellerie ils avaient pu se retrouver ici. La seule chose qu’il savait, c’est qu’il allait les perdre.
***
Charly_Owl- Nombre de messages : 66
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Date d'inscription : 31/08/2008
Re: La marche
Plus court, je sais. Je compte retravailler le chapitre I mais j'avais envie de lancer le chapitre II un jour. ^^
Charly_Owl- Nombre de messages : 66
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Date d'inscription : 31/08/2008
Re: La marche
Toujours bien. J'ai aimé notamment "Son regard s’enflamma un bref instant, pour ensuite se faufiler furtivement derrière son éternel air serein." C'est historique, le coup des bains souterrains en-dessous du fort ?
Invité- Invité
Re: La marche
Je reprends le train en marche.
Beaucoup de plaisir à lire cette écriture très juste (ce n'est pas si courant) qui m'a convaincue d'aller jusqu'au bout des 3 extraits postés.
Beaucoup de plaisir à lire cette écriture très juste (ce n'est pas si courant) qui m'a convaincue d'aller jusqu'au bout des 3 extraits postés.
Invité- Invité
Re: La marche
--Soque:
Merci encore de votre lecture attentive. Ça me touche que la forme ne vous incommode pas trop. En fait le coup des bains souterrains est à-moitié vrai. Je me suis partiellement inspiré de la cité juive de Massada ( voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Massada ) qui a eu une histoire très intéressante. Cette cité était réputée pour être imprenable car elle pouvait apporter tout pour survivre: de la nourriture en quantité suffisante (légumes et élevage de bétail), de l'eau à cause de rivières souterraines. Elle aurait pu, théoriquement, soutenir un siège infini.
--Easter:
Je suis bien heureux que cela t'ait plu! J'ai fait beaucoup d'efforts pour garder une certaine structure, moi qui souffre habituellement de graves problèmes de structuration (quel mot?!) de textes.
Merci encore de votre lecture attentive. Ça me touche que la forme ne vous incommode pas trop. En fait le coup des bains souterrains est à-moitié vrai. Je me suis partiellement inspiré de la cité juive de Massada ( voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Massada ) qui a eu une histoire très intéressante. Cette cité était réputée pour être imprenable car elle pouvait apporter tout pour survivre: de la nourriture en quantité suffisante (légumes et élevage de bétail), de l'eau à cause de rivières souterraines. Elle aurait pu, théoriquement, soutenir un siège infini.
--Easter:
Je suis bien heureux que cela t'ait plu! J'ai fait beaucoup d'efforts pour garder une certaine structure, moi qui souffre habituellement de graves problèmes de structuration (quel mot?!) de textes.
Charly_Owl- Nombre de messages : 66
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Date d'inscription : 31/08/2008
Re: La marche
Massada ? J'ai vu un reportage sur Arte là-dessus (La Bible dévoilée, si je me rappelle bien), c'était vraiment intéressant. Ce qui m'intrigue un peu, c'est cette idée de bains publics au, quoi, XVIème/XVIIème siècle chez des colons français aux Amériques, j'ai l'impression que ce n'était pas trop dans leur culture... Sinon, mon pseudonyme, c'est socque et non Soque.
Invité- Invité
Re: La marche
Mille excuses, socque.
Sinon, ben c'est une fiction, quoi. La Bible Dévoilée a été l'un des reportages des plus intéressants que j'aie vu à la télévision, directement après celui d'études de la vie microbactériologique éventuelle sur Mars.
Sinon, ben c'est une fiction, quoi. La Bible Dévoilée a été l'un des reportages des plus intéressants que j'aie vu à la télévision, directement après celui d'études de la vie microbactériologique éventuelle sur Mars.
Charly_Owl- Nombre de messages : 66
Age : 34
Localisation : Montréal, Québec (au Canada, bande de moules)
Date d'inscription : 31/08/2008
quelques propositions...
Je trouve le texte interessant...
Juste quelques imperfections...
Je te fais quelques propositions...
« M… Meurs… » souffle le mourant avant de lâcher prise.
L’étendard pourpre gît sur le sol boueux. Il repose sans tombe, sans gloire, près d’un corps sans vie aux mains décharnées. C’est sur cet être aux yeux laiteux, à la pâleur et raideur cadavérique que débute notre histoire. Plus rien ne bouge sur le champ de bataille, pas même les nuages de mouches et les hordes de charognards. Le seul son perceptible, c’est celui des pas humides QUI s’approchent lentement de la défunte bannière. Un pied botté patauge dans la gadoue luisante de reflets carnés… L’eau reflète un ciel dur et d’acier et frétille; ce sont les corneilles qui raillent en fuyant la scène d’un furtif battement d’ailes. Une main agrippe la hampe visqueuse, élève la pièce d’étoffe dans l’air glacial du petit matin. Le drapeau claque, FRAPPE et flotte au gré des vicieuses caresses de la brise.
Résolu, Il marche avec les matines et un régiment entier. Ensemble, ils entrent dans le tableau au son des tambours, à la cadence des harangues et des cliquetis des baïonnettes.
-Au pas de bataille, les gars! ordonne un officier.
Les soldats avancent sur les restes de tranchées et d’os gris dormant sous leurs pieds. Ils gravissent bute sur bute sans regarder les cadavres songeurs [les cadavres sont rarement songeurs… tu peux dire « sans un regard songeur pour les cadavres mais moi j’enlèverais juste « songeur »] qui les observent sans dire mot. De grands murs se dessinent alors face aux troupes. Comme un laquais, la dense brume se prosterne pour laisser passer les fusiliers. Ils marchent dans leurs uniformes noirs, coiffés de tricornes et de mitres. Ils marchent avec les fanions rouges en tête. Ils marchent sans résistance et sans obstacle vers la forteresse qui se dresse devant eux. L’impétueux bastion gruyèré de mitraille impose une atmosphère glauque et étouffante. Encore quelques derniers instants lourds comme le monde à supporter et ce serait l’assaut. [ je supprimerais le second Ce serait] L’ultime avancée, celle qui mettrait fin au cauchemar interminable. Ce serait la victoire totale; celle du peuple des Angles.
L’Homme brandit l’étendard avec orgueil et crainte. Il a froid, il a peur.
« Premier rang, en joue ! » hurle une voix. C’est la stupeur chez les Angles : l’ordre vient d’en face. Ceux qui ne SE figent pas sur place nagent dans la tempête orageuse du cœur qui cherche désespérément son courage. « Tirez ! » L’ennemi fait feu. La rafale fumante déchire les manteaux noirs, hache l’officier menu et perce les chairs comme de vulgaires sacs de sable. Tout gicle de partout, le sang coule des blessures, l’eau s’affole lorsqu’un corps y danse la mort en suffoquant. Les plus hardis des Angles ripostent, envoyant à leur tour une volée vers les silhouettes tordues. Les balles s’engouffrent aveuglément dans la bataille.
« Deuxième rang! En joue! » crie à nouveau la voix de l’ennemi fantomatique. Cette fois-ci, les soldats semblent trop occupés à se faire tuer pour y prêter attention. La grêle métallique fauche une nouvelle fois son lot d’assaillants malheureux. C’est le carnage, le ballet macabre. Les grenades pleuvent de tous bords, tous côtés, les membres aussi. « Ils nous encerclent! » hurle l’un. « Avancez, nom de Dieu! » râle un autre. « Sauvez-moi, par pitié! » geint un dernier avant de se faire scier les jambes par le fer. Ils s’effondrent presque tous, tous ces hommes habillés d’un noir qui vire à l’écarlate. L’homme à l’étendard, lui, s’affale au sol, happé par il-ne-sait-quoi. Il réalise soudainement sa chance : il est touché au cœur. « Ce sera rapide » pense-t-il avant de sentir sa bouche se gorger de sang bilieux. Il courbe le dos, trop fier pour s’abandonner aux hurlements de ses camarades d’hécatombe qui luttent sans espoir. Il serre les dents, endure la souffrance qui lui broie le crâne. Les défenseurs rugissent, savourant leur triomphe précaire. L’homme, quant à lui, rampe vers un trou d’obus encore fumant qui lui servira de tombe. L’oriflamme tombe au sol, plaqué contre la terre morte et putride.
Les rangs des Angles tombés au combat reposent par terre, leurs yeux clos rivés vers les murs cannoneux du Fort de l’Épicentrée. Les fortifications, hérissées de dizaines de gueules d’acier, tonnent les hostilités en crachant leurs boulets. Les bombardements reprennent, infatigables. L’écho des canons retentit dans les montagnes grouillantes de lacs, de chutes, de falaises, de neiges fondantes, de pins et de frênes nus. Puis, le sourd chant de la guerre se perd enfin dans le décor féérique du Nouveau-Monde qui s’éveille.
L’aube se lève; le matin sauvage, or et sang.
Juste quelques imperfections...
Je te fais quelques propositions...
« M… Meurs… » souffle le mourant avant de lâcher prise.
L’étendard pourpre gît sur le sol boueux. Il repose sans tombe, sans gloire, près d’un corps sans vie aux mains décharnées. C’est sur cet être aux yeux laiteux, à la pâleur et raideur cadavérique que débute notre histoire. Plus rien ne bouge sur le champ de bataille, pas même les nuages de mouches et les hordes de charognards. Le seul son perceptible, c’est celui des pas humides QUI s’approchent lentement de la défunte bannière. Un pied botté patauge dans la gadoue luisante de reflets carnés… L’eau reflète un ciel dur et d’acier et frétille; ce sont les corneilles qui raillent en fuyant la scène d’un furtif battement d’ailes. Une main agrippe la hampe visqueuse, élève la pièce d’étoffe dans l’air glacial du petit matin. Le drapeau claque, FRAPPE et flotte au gré des vicieuses caresses de la brise.
Résolu, Il marche avec les matines et un régiment entier. Ensemble, ils entrent dans le tableau au son des tambours, à la cadence des harangues et des cliquetis des baïonnettes.
-Au pas de bataille, les gars! ordonne un officier.
Les soldats avancent sur les restes de tranchées et d’os gris dormant sous leurs pieds. Ils gravissent bute sur bute sans regarder les cadavres songeurs [les cadavres sont rarement songeurs… tu peux dire « sans un regard songeur pour les cadavres mais moi j’enlèverais juste « songeur »] qui les observent sans dire mot. De grands murs se dessinent alors face aux troupes. Comme un laquais, la dense brume se prosterne pour laisser passer les fusiliers. Ils marchent dans leurs uniformes noirs, coiffés de tricornes et de mitres. Ils marchent avec les fanions rouges en tête. Ils marchent sans résistance et sans obstacle vers la forteresse qui se dresse devant eux. L’impétueux bastion gruyèré de mitraille impose une atmosphère glauque et étouffante. Encore quelques derniers instants lourds comme le monde à supporter et ce serait l’assaut. [ je supprimerais le second Ce serait] L’ultime avancée, celle qui mettrait fin au cauchemar interminable. Ce serait la victoire totale; celle du peuple des Angles.
L’Homme brandit l’étendard avec orgueil et crainte. Il a froid, il a peur.
« Premier rang, en joue ! » hurle une voix. C’est la stupeur chez les Angles : l’ordre vient d’en face. Ceux qui ne SE figent pas sur place nagent dans la tempête orageuse du cœur qui cherche désespérément son courage. « Tirez ! » L’ennemi fait feu. La rafale fumante déchire les manteaux noirs, hache l’officier menu et perce les chairs comme de vulgaires sacs de sable. Tout gicle de partout, le sang coule des blessures, l’eau s’affole lorsqu’un corps y danse la mort en suffoquant. Les plus hardis des Angles ripostent, envoyant à leur tour une volée vers les silhouettes tordues. Les balles s’engouffrent aveuglément dans la bataille.
« Deuxième rang! En joue! » crie à nouveau la voix de l’ennemi fantomatique. Cette fois-ci, les soldats semblent trop occupés à se faire tuer pour y prêter attention. La grêle métallique fauche une nouvelle fois son lot d’assaillants malheureux. C’est le carnage, le ballet macabre. Les grenades pleuvent de tous bords, tous côtés, les membres aussi. « Ils nous encerclent! » hurle l’un. « Avancez, nom de Dieu! » râle un autre. « Sauvez-moi, par pitié! » geint un dernier avant de se faire scier les jambes par le fer. Ils s’effondrent presque tous, tous ces hommes habillés d’un noir qui vire à l’écarlate. L’homme à l’étendard, lui, s’affale au sol, happé par il-ne-sait-quoi. Il réalise soudainement sa chance : il est touché au cœur. « Ce sera rapide » pense-t-il avant de sentir sa bouche se gorger de sang bilieux. Il courbe le dos, trop fier pour s’abandonner aux hurlements de ses camarades d’hécatombe qui luttent sans espoir. Il serre les dents, endure la souffrance qui lui broie le crâne. Les défenseurs rugissent, savourant leur triomphe précaire. L’homme, quant à lui, rampe vers un trou d’obus encore fumant qui lui servira de tombe. L’oriflamme tombe au sol, plaqué contre la terre morte et putride.
Les rangs des Angles tombés au combat reposent par terre, leurs yeux clos rivés vers les murs cannoneux du Fort de l’Épicentrée. Les fortifications, hérissées de dizaines de gueules d’acier, tonnent les hostilités en crachant leurs boulets. Les bombardements reprennent, infatigables. L’écho des canons retentit dans les montagnes grouillantes de lacs, de chutes, de falaises, de neiges fondantes, de pins et de frênes nus. Puis, le sourd chant de la guerre se perd enfin dans le décor féérique du Nouveau-Monde qui s’éveille.
L’aube se lève; le matin sauvage, or et sang.
boc21fr- Nombre de messages : 4770
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Localisation : Grugeons, ville de culture...de vin rouge et de moutarde
Date d'inscription : 03/01/2008
Re: La marche
Plop. Voilà la première partie du chapitre 2.
***************************************
Une épaisse bruine perlait des tristes cieux de l’Épicentrée lorsque Dollard sentit un courant d’air frisquet lui caresser le visage.
Contre toute attente, la vie paraissait couler à nouveau dans ses veines, mais par intermittence. Un peu à la façon d’un fleuve qui enjambe une vieille digue. La gorge enflammée de crampes et de boursoufles, il tenta de parler. Le seul son atteignant le bout de sa langue fut un couinement vaincu. Ses yeux, encore prisonniers de la noirceur, refusèrent également de sortir de leur torpeur. Néanmoins, les doigts de Dollard, plus aventureux que le reste, palpèrent instinctivement l’air ambiant. Ils effleurèrent quelque chose de doux et plissé, puis ensuite un matériau strié évoquant vaguement du bois. « Un lit. » songea-t-il.
-Il s’éveille, Capitaine.
-Contentez-vous de le garder éveillé, cette fois.
-Où est passée la pommade de guaranade?
-Vous, là, aidez-le à chercher!
-Il étouffe, faites place!
-Bon dieu, fermez cette fenêtre! La bruine rentre de partout!
-Il bleuit, Saint-Just!
-C’est pas vrai!
-Dépêchez!
-La barbe!
-Ah? Ah?
-Oui!
Plusieurs voix tourbillonnèrent dans sa tête, et ce avec une extrême lourdeur. Soudainement, la lumière fut. Il sentit le monde se reconnecter à son âme et quelque délicieuse énergie fourmiller au bout de ses doigts. Son front brûla, ses yeux pleurèrent, son torse se gonfla… Et il revint enfin à la vie. Un cri de victoire assourdissant résonna au même moment dans la grande salle en pierre. Sur le coup, chaque sensation lui parut étonnamment claire et subtile. La main qui se tendait vers lui, par exemple, était recouverte d’un gant de cuir légèrement usé sur les jointures et humide. La poigne qui releva son corps en entier lui sembla solide, franche et surtout hâtive.
-Vous êtes en sécurité, maintenant, lui dit l’homme d’un ton faussement rassurant.
-Où suis-je exactement? demanda Dollard en toussant.
-Vous êtes derrière les murs de Fort Épicentrée.
-Vraiment?
Son interlocuteur haussa un sourcil durant un presqu’instant pour ensuite continuer, d’un ton plus froid.
-Qui êtes-vous?
-Je m’appelle Dollard. Vous sauriez… Vous savez qui a…? Mes compagnons? Où sont-ils?
-Dollard, c’est un nom franc, si je ne m’abuse, s’interrogea le capitaine Torrieux d’un air désintéressé. Votre accent me rappelle également celui du Nord du fleuve. Est-ce que je me trompe?
-Nous ne venons pas du Nord, monsieur. Où sont les autres, s’il-vous-plaît? Ils vont bien?
-Ils se reposent. Je comprends votre désarroi, mais sachez que je m’en moque éperdument. Répondez, cette fois. D’où… venez… vous? s’enquit Jean-Mars d’un ton moins patient.
-La plupart des gens de mon groupe venaient de Quart-de-Tour et de Ville-Marine, monsieur, avoua Dollard en baissant les yeux.
L’officier s’empourpra sur-le-champ. Le paysan remarqua immédiatement le choc que sa nouvelle venait d’apporter. Nerveusement, il observa l’intégralité de la pièce tout en restant accroupi sur son lit. Il reconnut chacun des cinq autres visages de son groupe.
-Il n’y avait que nous six?
-Six personnes, oui! l’informa Saint-Just en s’essuyant les mains sur son sarreau rapiécé; sarreau de différentes couleurs évoquant une longue et pénible carrière de boucher ou autre. Encore heureux, parce que le reste a eu moins de chance. Nos conduites d’eau n’ont pas vraiment été conçues pour filtrer les macchabées, souligna candidement le médecin.
C’en était trop pour Dollard. Il fulminait, bouillait d’une folle envie d’écraser quelque chose. Déjà quelques mots d’échangés, et il méprisait ce maigrelet désagréable et odieusement incapable de compassion. Il s’en détourna poliment pour faire face à Jean-Mars qui l’observait avec son regard noir et analytique. Dollard y vit au premier coup d’œil une maligne pellicule d’intelligence. À lui, il pourrait lui dire. Lui, il le croirait, il pourrait faire quelque chose. « Oui. » se dit-il. Il pourrait lui faire confiance.
-Capitaine. Il faut également que… J’ai quelques des informations importantes à vous livrer, proposa le réfugié.
Le capitaine Torrieux resta de marbre. Jamais Dollard n’avait vu un homme si imposant. Non pas qu’il fut plus grand ou costaud que les autres, bien loin de là. Il semblait tout simplement forgé de la chair dont on fait les héros. Le menton épais et volontaire, son visage aux contours durs et secs témoignait d’une volonté, d’une grandeur magnétique qui saurait toujours souder les hommes entre eux. Ses yeux reflétaient une profonde connaissance du monde, et un flegme typique d’un homme de guerre efficace. Sa posture rigoureusement droite et solide, quant à elle, en disait long sur l’importance qu’il misait sur la discipline. Malgré son manque de grâce apparente, l’officier restait avant tout un guerrier redoutable : avec son pistolet en bandoulière sous l’aisselle, et sa rapière ternie par l’oxydation tanguant lascivement dans son fourreau. Quelques longs instants sentencieux s’écoulèrent goutte à goutte, puis Jean-Mars prit enfin une décision.
-Suivez-moi, seul, fit-il sans laisser paraître son inquiétude le moindrement du monde.
***
-J’ai entraîné mes hommes à ignorer la peur, dit le capitaine Torrieux en refermant la porte derrière lui. Néanmoins, j’ai cette fâcheuse impression que ce que vous avez à me dire me fera trembler d’effroi ou mourir de rire.
Dollard resta muet, et jeta un regard curieux vers l’unique fenêtre de la pièce où il venait tout juste de mettre les pieds. La vue était spectaculaire du haut de cette gigantesque tour en rondin de bois. Les autres pics des monts épicentreux perçaient l’épaisse nappe de brume couvrant les alentours, y compris le camp des Angles. Le brouillard se dissipa peu à peu, écrasé par le crachin qui se virait progressivement en pluie. Glacé par le vent des altitudes qui sifflait par la fenêtre, Dollard se décida à parler.
-Les Angles se préparent à vous attaquer, se risqua-t-il sans savoir pourquoi il avait tant de difficulté à s’exprimer.
-C’est tout? Faites-moi au moins le plaisir de m’étonner!
-Ce n’est pas tout, monsieur. Notre groupe s’est enfui par les mines désaffectées, comme vous le savez. Cependant, nous n’étions pas seuls. Nous avons été attaqués par des patrouilles angles.
-Les escarmouches entre milices ne m’intéressent que très peu, mon cher. Vous voyez cette pluie? C’est la première pluie de printemps depuis un hiver anormalement long cette année. Vous savez ce qu’elle signifie? Cela signifiera la mise sur pied d’un cessez-le-feu durant au moins une semaine, surtout si la tempête a l’ampleur habituelle.
-Pourquoi un cessez-le-feu? posa le paysan en se grattant la tête.
-L’air devient tellement humide à cette période de l’année que les armes à feu ont de la difficulté à s’enclencher. Mais continuez. La météorologie ne me concerne pas plus que vous.
-La sape.
-Pardon?
-Les Angles veulent faire une sape de votre Fort. Ou le miner, je ne sais pas. Je n’étais pas sûr avant, mais maintenant j’ai la certitude d’avoir entendu des travaux de miniers dans les caves de Creux-au-Grisou.
-Et vous êtes sûr de ce que vous avancez?
-Sûr, conclut Dollard, vidé.
Silence.
-Alors, selon vos dires, Fort Épicentrée est perdu. Je vois, murmura le capitaine. Vous pouvez prendre congé, vous reposer. Vous êtes en sécurité pour l’instant.
Jean-Mars Torrieux n’eut pas à le dire deux fois. L’informateur se faufila à toute vitesse pour prendre congé de cette discussion horriblement tendue. Jamais le capitaine n’avait eu si peur de l’avenir. Cette fois-ci, il ne contrôlait plus rien. Tout sembla le dépasser, jusqu’à ses fonctions de commandant-en-chef. Il médita sur la situation quelques secondes. Puis des minutes, et enfin deux bonnes heures. Son sang-froid reprit tranquillement le dessus, et la solution s’offrit à lui comme un fruit mûr.
***
***************************************
-Chapitre II-
Prières Nocturnes
Prières Nocturnes
Une épaisse bruine perlait des tristes cieux de l’Épicentrée lorsque Dollard sentit un courant d’air frisquet lui caresser le visage.
Contre toute attente, la vie paraissait couler à nouveau dans ses veines, mais par intermittence. Un peu à la façon d’un fleuve qui enjambe une vieille digue. La gorge enflammée de crampes et de boursoufles, il tenta de parler. Le seul son atteignant le bout de sa langue fut un couinement vaincu. Ses yeux, encore prisonniers de la noirceur, refusèrent également de sortir de leur torpeur. Néanmoins, les doigts de Dollard, plus aventureux que le reste, palpèrent instinctivement l’air ambiant. Ils effleurèrent quelque chose de doux et plissé, puis ensuite un matériau strié évoquant vaguement du bois. « Un lit. » songea-t-il.
-Il s’éveille, Capitaine.
-Contentez-vous de le garder éveillé, cette fois.
-Où est passée la pommade de guaranade?
-Vous, là, aidez-le à chercher!
-Il étouffe, faites place!
-Bon dieu, fermez cette fenêtre! La bruine rentre de partout!
-Il bleuit, Saint-Just!
-C’est pas vrai!
-Dépêchez!
-La barbe!
-Ah? Ah?
-Oui!
Plusieurs voix tourbillonnèrent dans sa tête, et ce avec une extrême lourdeur. Soudainement, la lumière fut. Il sentit le monde se reconnecter à son âme et quelque délicieuse énergie fourmiller au bout de ses doigts. Son front brûla, ses yeux pleurèrent, son torse se gonfla… Et il revint enfin à la vie. Un cri de victoire assourdissant résonna au même moment dans la grande salle en pierre. Sur le coup, chaque sensation lui parut étonnamment claire et subtile. La main qui se tendait vers lui, par exemple, était recouverte d’un gant de cuir légèrement usé sur les jointures et humide. La poigne qui releva son corps en entier lui sembla solide, franche et surtout hâtive.
-Vous êtes en sécurité, maintenant, lui dit l’homme d’un ton faussement rassurant.
-Où suis-je exactement? demanda Dollard en toussant.
-Vous êtes derrière les murs de Fort Épicentrée.
-Vraiment?
Son interlocuteur haussa un sourcil durant un presqu’instant pour ensuite continuer, d’un ton plus froid.
-Qui êtes-vous?
-Je m’appelle Dollard. Vous sauriez… Vous savez qui a…? Mes compagnons? Où sont-ils?
-Dollard, c’est un nom franc, si je ne m’abuse, s’interrogea le capitaine Torrieux d’un air désintéressé. Votre accent me rappelle également celui du Nord du fleuve. Est-ce que je me trompe?
-Nous ne venons pas du Nord, monsieur. Où sont les autres, s’il-vous-plaît? Ils vont bien?
-Ils se reposent. Je comprends votre désarroi, mais sachez que je m’en moque éperdument. Répondez, cette fois. D’où… venez… vous? s’enquit Jean-Mars d’un ton moins patient.
-La plupart des gens de mon groupe venaient de Quart-de-Tour et de Ville-Marine, monsieur, avoua Dollard en baissant les yeux.
L’officier s’empourpra sur-le-champ. Le paysan remarqua immédiatement le choc que sa nouvelle venait d’apporter. Nerveusement, il observa l’intégralité de la pièce tout en restant accroupi sur son lit. Il reconnut chacun des cinq autres visages de son groupe.
-Il n’y avait que nous six?
-Six personnes, oui! l’informa Saint-Just en s’essuyant les mains sur son sarreau rapiécé; sarreau de différentes couleurs évoquant une longue et pénible carrière de boucher ou autre. Encore heureux, parce que le reste a eu moins de chance. Nos conduites d’eau n’ont pas vraiment été conçues pour filtrer les macchabées, souligna candidement le médecin.
C’en était trop pour Dollard. Il fulminait, bouillait d’une folle envie d’écraser quelque chose. Déjà quelques mots d’échangés, et il méprisait ce maigrelet désagréable et odieusement incapable de compassion. Il s’en détourna poliment pour faire face à Jean-Mars qui l’observait avec son regard noir et analytique. Dollard y vit au premier coup d’œil une maligne pellicule d’intelligence. À lui, il pourrait lui dire. Lui, il le croirait, il pourrait faire quelque chose. « Oui. » se dit-il. Il pourrait lui faire confiance.
-Capitaine. Il faut également que… J’ai quelques des informations importantes à vous livrer, proposa le réfugié.
Le capitaine Torrieux resta de marbre. Jamais Dollard n’avait vu un homme si imposant. Non pas qu’il fut plus grand ou costaud que les autres, bien loin de là. Il semblait tout simplement forgé de la chair dont on fait les héros. Le menton épais et volontaire, son visage aux contours durs et secs témoignait d’une volonté, d’une grandeur magnétique qui saurait toujours souder les hommes entre eux. Ses yeux reflétaient une profonde connaissance du monde, et un flegme typique d’un homme de guerre efficace. Sa posture rigoureusement droite et solide, quant à elle, en disait long sur l’importance qu’il misait sur la discipline. Malgré son manque de grâce apparente, l’officier restait avant tout un guerrier redoutable : avec son pistolet en bandoulière sous l’aisselle, et sa rapière ternie par l’oxydation tanguant lascivement dans son fourreau. Quelques longs instants sentencieux s’écoulèrent goutte à goutte, puis Jean-Mars prit enfin une décision.
-Suivez-moi, seul, fit-il sans laisser paraître son inquiétude le moindrement du monde.
***
-J’ai entraîné mes hommes à ignorer la peur, dit le capitaine Torrieux en refermant la porte derrière lui. Néanmoins, j’ai cette fâcheuse impression que ce que vous avez à me dire me fera trembler d’effroi ou mourir de rire.
Dollard resta muet, et jeta un regard curieux vers l’unique fenêtre de la pièce où il venait tout juste de mettre les pieds. La vue était spectaculaire du haut de cette gigantesque tour en rondin de bois. Les autres pics des monts épicentreux perçaient l’épaisse nappe de brume couvrant les alentours, y compris le camp des Angles. Le brouillard se dissipa peu à peu, écrasé par le crachin qui se virait progressivement en pluie. Glacé par le vent des altitudes qui sifflait par la fenêtre, Dollard se décida à parler.
-Les Angles se préparent à vous attaquer, se risqua-t-il sans savoir pourquoi il avait tant de difficulté à s’exprimer.
-C’est tout? Faites-moi au moins le plaisir de m’étonner!
-Ce n’est pas tout, monsieur. Notre groupe s’est enfui par les mines désaffectées, comme vous le savez. Cependant, nous n’étions pas seuls. Nous avons été attaqués par des patrouilles angles.
-Les escarmouches entre milices ne m’intéressent que très peu, mon cher. Vous voyez cette pluie? C’est la première pluie de printemps depuis un hiver anormalement long cette année. Vous savez ce qu’elle signifie? Cela signifiera la mise sur pied d’un cessez-le-feu durant au moins une semaine, surtout si la tempête a l’ampleur habituelle.
-Pourquoi un cessez-le-feu? posa le paysan en se grattant la tête.
-L’air devient tellement humide à cette période de l’année que les armes à feu ont de la difficulté à s’enclencher. Mais continuez. La météorologie ne me concerne pas plus que vous.
-La sape.
-Pardon?
-Les Angles veulent faire une sape de votre Fort. Ou le miner, je ne sais pas. Je n’étais pas sûr avant, mais maintenant j’ai la certitude d’avoir entendu des travaux de miniers dans les caves de Creux-au-Grisou.
-Et vous êtes sûr de ce que vous avancez?
-Sûr, conclut Dollard, vidé.
Silence.
-Alors, selon vos dires, Fort Épicentrée est perdu. Je vois, murmura le capitaine. Vous pouvez prendre congé, vous reposer. Vous êtes en sécurité pour l’instant.
Jean-Mars Torrieux n’eut pas à le dire deux fois. L’informateur se faufila à toute vitesse pour prendre congé de cette discussion horriblement tendue. Jamais le capitaine n’avait eu si peur de l’avenir. Cette fois-ci, il ne contrôlait plus rien. Tout sembla le dépasser, jusqu’à ses fonctions de commandant-en-chef. Il médita sur la situation quelques secondes. Puis des minutes, et enfin deux bonnes heures. Son sang-froid reprit tranquillement le dessus, et la solution s’offrit à lui comme un fruit mûr.
***
Charly_Owl- Nombre de messages : 66
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Re: La marche
au fait, merci boc21fr des propositions! Je n'avais pas vu encore ton message. Désolé d'avoir tardé. J'aime les propositions, elles corrigent quelques petites imperfections (comme tu le dis) que Loreena (bah, oui) m'avait également fait remarquer.
Merci encore, boc21!
Merci encore, boc21!
Charly_Owl- Nombre de messages : 66
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Re: La marche
C'est marrant qu'un sujet qui d'ordinaire m'indiffère autant m'intéresse ici ! Cela tient à votre manière vive de raconter, je pense, et aussi au dépaysement du lieu et de la période.
Quelques maladresses, oui, pas tellement selon moi. Ceci m'a heurtée :
"J’ai quelques des informations importantes"
"Non pas qu’il fût plus grand"
Quelques maladresses, oui, pas tellement selon moi. Ceci m'a heurtée :
"J’ai quelques des informations importantes"
"Non pas qu’il fût plus grand"
Invité- Invité
Re: La marche
J'ai eu plus de facilité à lire ce début de chapitre 2 que le premier, pour une raison qui m'échappe un peu.
J'ai vraiment aimé l'ambiance dans laquelle tu nous plongeais, ton style bien à toi, foisonnant de détails sans être étouffant. Je trouve que tu construis bien tout cela, qu'il y a une progression rapide dans l'intrigue (peut-être un tout petit peu trop rapide d'ailleurs... Dollard vient de se réveiller, il était à moitié mort et voilà qu'il suit limite en courant le capitaine...) et malgré cette vitalité dans le récit, tu parviens à poser l'ambiance (ah! la bruine, le brouillard ! j'aime ça !) et même à donner de la personnalité à tes personnages, quoique la description du capitaine me semble un peu trop ramassée (ça fait vraiment "il faut que je le décrive")... et puis j'éviterai peut-être ce genre de remarques :
A bientôt pour la suite de ces aventures !
J'ai vraiment aimé l'ambiance dans laquelle tu nous plongeais, ton style bien à toi, foisonnant de détails sans être étouffant. Je trouve que tu construis bien tout cela, qu'il y a une progression rapide dans l'intrigue (peut-être un tout petit peu trop rapide d'ailleurs... Dollard vient de se réveiller, il était à moitié mort et voilà qu'il suit limite en courant le capitaine...) et malgré cette vitalité dans le récit, tu parviens à poser l'ambiance (ah! la bruine, le brouillard ! j'aime ça !) et même à donner de la personnalité à tes personnages, quoique la description du capitaine me semble un peu trop ramassée (ça fait vraiment "il faut que je le décrive")... et puis j'éviterai peut-être ce genre de remarques :
un peu trop cliché... en plus, je doute qu'un paysan puisse repérer ce genre de chose au premier coup d'oeil... à la limite, tu peux dire que le capitaine correspond à l'image que Dollard se fait d'un homme de guerre, mais de la à parler de "héros"...)Il semblait tout simplement forgé de la chair dont on fait les héros
A bientôt pour la suite de ces aventures !
Loreena Ruin- Nombre de messages : 1071
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Re: La marche
-socque: C'est noté! Re-merci pour votre lecture! Ça fait toujours énormément plaisir que cette histoire puisse rejoindre un public autre que "moi-même".
-Loreena: Pour la énième fois, bien vu! Pour l'action qui vient trop vite... j'essaierai de doser mais je voulais pas vraiment m'attarder sur des détails trop vite. Je sais pas si tu pourrais m'expliquer sur MSN ce que tu veux dire par "trop rapide", ça m'éclairerait énormément.
-Loreena: Pour la énième fois, bien vu! Pour l'action qui vient trop vite... j'essaierai de doser mais je voulais pas vraiment m'attarder sur des détails trop vite. Je sais pas si tu pourrais m'expliquer sur MSN ce que tu veux dire par "trop rapide", ça m'éclairerait énormément.
Charly_Owl- Nombre de messages : 66
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Re: La marche
-Chapitre II-
(suite et fin)
(suite et fin)
L’étalon noir du capitaine hennit avec fougue, affolé par les éclairs qui zébraient le ciel d’anthracite.
-Vous avez maintenant vos ordres. Vous êtes l’élite des commandos marins, donc… faites-vous honneur. Praesto et persto, dit Torrieux solennellement.
« Praesto et persto », répondirent en chœur et sans cérémonie les soldats du petit peloton avant de disparaître dans l’obscurité étouffante de la nuit. Le tonnerre fracassa les profondeurs du ciel, laissant une lueur blafarde ramper sur le visage de l’officier. Les gouttes de pluie s’écrasaient sur son tricorne pour ensuite serpenter sur les épaules de son manteau gris épuré d’ornements. Sa main gauche tenait fermement les rênes de son cheval alors que sa droite reposait délicatement sur le pommeau de sa rapière Brunante, prête à répondre sur-le-champ. Sa posture était rigide et inflexible, tout comme son plan. C’était tout le contraire du fleuve qui coulait devant lui. Le Meuron défilait à toute allure, sauvage et hérissé de vaguelettes dangereusement imprévisibles.
Les trois gardes du capitaine, quant à eux, restaient hypnotisés par les flots. « Nous passerons par le Gué de Noeudy. L’eau y est moins profonde et le débit moins important. » expliqua Jean-Mars. « À cheval, nous devrions arriver à traverser avant d’alerter les sentinelles angles. Ne craignez pas les vagues, voyez-les plutôt comme des alliées. Elles masqueront notre avancée, tout comme le vent qui étouffera le bruit. Rappelez-vous que sur l’autre rive, c’est chacun pour soi. Ne vous retournez sous aucun prétexte, et foncez. Notre mission est de la plus grande importance, et l’échec signera l’arrêt de mort de toute la région de l’Épicentrée. Et peut-être même de bien plus encore. » Les trois gardes, accoutrés d’épaisses tuniques grises comme leur capitaine, continuèrent d’observer les vagues avec un mauvais pressentiment. Après tout, bien que moins bien gardée que le plateau du Roc Sanglant, la rive-Nord du Meuron restait étroitement surveillée par les tuniques noires ainsi que leurs alliés indigènes. Les trois hommes avaient déjà les plumes, les hachettes volant dans l’invisible nuit noire et les cris de guerre terrifiants en tête.
-La lutte, si elle a lieu, sera féroce… voire suicidaire. Ne m’abandonne pas, susurra un des cavaliers à l’oreille de son destrier. Capitaine, je peux vous poser une question qui nous brûle tous les lèvres ? se risqua-t-il à voix haute.
-Que voudrais-tu savoir de plus que ce que je vous ai tous parfaitement bien résumé ? ironisa ce dernier.
-Comment feront les « autres » pour traverser s’ils n’ont pas de chevaux ? Le courant pourrait facilement les emporter, non ?
-Plutôt impertinente, comme question.
-Juste. Mais nous voulons la vérité, rétorqua sèchement le garde-du-corps.
La foudre frappa un arbre au loin, qui se scinda en deux grandes lanières de bois incandescent. Cet arbre passa néanmoins inaperçu au vu des quatre paires de yeux qui se défiaient mutuellement. L’officier, sentant l’insécurité s’immiscer dans le cœur de ses hommes, obtempéra de mauvaise grâce.
-Vous accordez beaucoup trop d’importance au doute. Je peux bien vous faire grâce de ce fardeau, mais ce sera la dernière fois.
-Vous faites donc confiance à ce point aux franc-marins ? demanda une autre silhouette encapée.
-Je leur fait plus que confiance. Les compagnies marines sont entraînées pour braver les mers comme les océans, et ces hommes ne vivent que pour vaincre l’adversité des Angles et de la nature. Sachez, mes amis, qu’ils n’ont pas plus peur de la mort que de Dieu. Ils deviennent presque tous des légendes, inconnues pour la plupart. Et c’est en ces soldats que j’ai placé le sort de notre traversée.
-Leur mission sera difficile, mais pas impossible, conclut le dernier membre du groupe, placé plus en retrait.
C’est sur cette remarque du garde à la longue chevelure noire que s’évaporèrent les peurs futiles. Ce qui arriverait arriverait, et Dieu le voudrait ainsi. Jean-Mars empoigna Brunante, sa fidèle rapière, sa vieille compagne dans l’aventure comme la mort. Il toisa l’en-avant-toute, droit vers l’immensité des ombres du camp angle qu’ils s’apprêtaient à charger.
-Impossible… C’est ce que nous verrons, Stradacona. Allez, en avant ! Y’ah !
***
Lord Rougeous York détestait la pluie. Il détestait la boue, les remugles de l’infecte cuisine des soldats, la cacophonie chaotique des orages… Mais il n’exécrait rien autant que cette immense forteresse impétueusement dressée devant lui. « Fort Épicentrée, ou le plus grand affront jamais fait à une armée angle. » ragea-t-il un bref instant. Quand ce n’étaient pas les mines qui s’écroulaient, c’étaient les assauts frontaux tournant à la catastrophe ou encore les canonnades qui n’ébranlaient rien du tout. Bientôt, très bientôt ce calvaire prendrait fin. Ce ne serait qu’une question de semaines, voire de jours avec un peu de chance.
-Vous comptez veiller encore toute la nuit, mon général ? lui reprocha un de ses officiers en étouffant un rire.
-Bien sûr, Howe. Les Francs ne sont pas stupides, surtout pas lorsqu’ils sont menés comme ils le sont présentement, le « rassura » Lord York.
-Et les pluies n’arrangeront rien… J’ai fait mettre les armes au sec, comme vous me l’aviez demandé, sourit timidement le major Howe.
-Bon travail. Les assiégés peuvent attaquer n’importe où, n’importe quand. Je préfère prendre mes précautions avec eux. Il faut être prêt à toute éventualité.
Silence. Les deux hommes gelaient dans leurs manteaux ébène. Ils se frottèrent les paumes silencieusement, maudissant ce climat si froid, même après cet hiver inhumainement glacial. Ce quart de nuit, quant à lui, ne disait franchement rien qui vaille.
-Le fleuve est étrange, ce soir. Tu ne trouves pas? fit le major sur un ton plus familier.
-Comment?
-Son niveau est plus bas que d’habitude.
-Ah…
-Nous pourrions tenter de traverser la rive, non? suggéra Howe en laissant une poignée de sable lui filer entre les doigts.
-Tu veux vraiment tenter une telle escapade en pleine nuit? Risquer de perdre tant de matériel? Et les noyades, les anicroches, les pépins, les embuscades… Crois-moi, ils nous attendent sûrement de pied ferme, en-face. Allez, fais doubler la garde pour ce soir et allons dormir.
Le major ajusta méticuleusement son tricorne sur sa tête avant de faire dos au Meuron et à cette crampe d’estomac inexpliquée. Lord York l’observa, amusé de voir son vieil ami si attaché à un bête bout de feutre cartonné. Leur ronde finit ainsi sur les bords du fleuve, frappés par les bourrasques torrentielles du Gué de Noeudy. Les minutes passèrent tranquillement, en attente de la relève. Lorsqu’enfin deux hommes arrivèrent en courant, manifestement au courant de leur retard, Lord York se permit un soupir de soulagement. Rougeous salua les deux soldats se précipitant vers eux, criant : « Vous êtes en retard! »
-‘…erre! hurla l’une des deux ombres.
-Qu’est-ce qu’ils disent ? s’interrogea Howe. Ils agitent les bras, comme…
-A…’vert ! renchérit celle-ci.
-Je ne comprends pas un fichu mot ! Fichtre, vous y comprenez quelque chose, Général ?
-À… À terre ! À couvert ! rugirent-t-ils en cœur, braquant leur fusil sur les deux officiers.
Howe n’eut d’ailleurs jamais le temps d’y entendre quoique ce soit. À peine s’était-il retourné que le fleuve s’éveilla brutalement à la façon d’un titan. Un assaillant jaillit de l’eau à une vitesse foudroyante, catapulté par une puissante vague fluviale. Deux longues dagues scintillantes émergèrent de l’immense mâchoire aux crocs écumeux. L’assassin vola un bref instant dans les airs, propulsé tel un aigle marin qui pique vers sa proie. Tout se passa à une telle rapidité que le major Howe n’eut qu’à peine le temps de sentir les deux lames brûlantes s’enfoncer dans sa poitrine. Son corps s’effondra avec lourdeur sur le sol inondé, encore parcouru de spasmes désespérés. Sans perdre une seule seconde, le franc-marin encagoulé dégaina immédiatement une nouvelle paire de dagues du repli de ses manches trempées. Horrifié, Lord York dégaina immédiatement sa lame et se rua sur ce guerrier couvert de sang angle.
À la grande surprise du commando, l’officier chargea comme seul un lion aurait pu le faire. Son épée fendit l’air et dévia avec violence sur une des gardes du spadassin forcené. Dès lors, un furieux duel éclata entre les trois fers. Estoc, repli. Frappé droit, baisse, frappé gauche, parade. Fendu, redoublement, frappe, frappe, frappe. Repli. La technique de Rougeous restait impeccable, gardant en respect les attaques vives et traîtres du franc-marin. Les métaux crissèrent, l’acier fendit l’air et goûta le sang à maintes reprises. Le Franc avança progressivement, gagnant du terrain. Toujours déchaîné, il enchaîna les bottes les plus audacieuses, allant du plongeon-avant aux ripostes les plus vicieuses. Les dagues croisèrent incessamment la rapière, pourtant Rougeous tint bon à chaque coup.
D’autres silhouettes bondirent des remous du gué, engageant la plupart des sentinelles sur place en des combats rapides et sans merci. Des coups de feu retentirent à quelques dizaines de mètres de là, puis plusieurs cris d’agonie déchirèrent le gracieux chant du fer. Dans une ultime feinte suivie d’un coup du tranchant de l’épée, Lord York taillada le visage de son adversaire. L’homme hurla de douleur, plaquant son poing contre son front dégoulinant d’un pourpre visqueux. Courroucé jusqu’aux tréfonds de son être, le Franc lacéra à son tour le flanc exposé de l’officier angle. Tous deux titubèrent vers l’arrière, ignorant le combat qui rageait autour d’eux. Les fusillades éclatèrent de plus belle en redoublant d’intensité. Puis, d’une théâtrale charge finale dans la boue et les tripes du major Howe, le fer de Rougeous faucha enfin le cou du commando qui ne trouva qu’un gargouillis macabre à offrir comme dernière parole.
Lord York, éreinté, eut grand-peine à remarquer ces quatre cavaliers qui, de la façon la plus irrationnelle qui soit, attaquaient de front les flots tumultueux du fleuve Meuron. L’un d’entre eux sombra dans l’eau, happé par une rafale meurtrière. « Buzard ! Buzard ! » s’écria l’une des tuniques blanches ou grises. Au moment où leurs montures épuisées atteignirent contre toute attente la grève sablonneuse, un autre mourut écrasé sous le poids sa propre monture effarouchée et criblée de balles. C’est à ce moment précis que les doigts du général trouvèrent par miracle le fusil du défunt Howe. « Chargé. Le diable est avec moi. » songea-t-il en mettant l’un des deux chevaliers en joue. Le chien de l’arme hésita durant ce qui sembla une éternité au soldat angle. Il visa le plus imposant des deux survivants; celui menant son étalon massif et noir vers une mort certaine. Rougeous appuya sur la détente, sentit le canon vibrer sous la puissance de la poudre qui explose. La balle fonça à toute allure, déchirant l’atmosphère électrifiée du cœur de la bataille.
Le cheval continua sa course au grand galop, manquant de peu d’écraser le général qui s’affala au sol. L’officier se releva péniblement, tournant son regard vers l’animal affolé qui fuyait au-delà de la portée de ses hommes victorieux. Un sourire narquois naquit sur les lèvres de l’Angle.
Au loin, il ne voyait plus qu’un étalon sans maître, et un cadavre pendant à un étrier de sa selle.
Charly_Owl- Nombre de messages : 66
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Localisation : Montréal, Québec (au Canada, bande de moules)
Date d'inscription : 31/08/2008
Re: La marche
Un rythme toujours bien enlevé, un récit intéressant... Vous avez l'art, en quelques mots, de faire vivre un personnage, même quand il va disparaître un peu plus tard (Howe).
Une remarque :
"Les trois hommes avaient déjà les plumes, les hachettes volant dans l’invisible nuit noire et les cris de guerre terrifiants en tête." : je pense que le "en tête", rejeté en fin de phrase, est trop loin de ce à quoi il se rapporte.
Une remarque :
"Les trois hommes avaient déjà les plumes, les hachettes volant dans l’invisible nuit noire et les cris de guerre terrifiants en tête." : je pense que le "en tête", rejeté en fin de phrase, est trop loin de ce à quoi il se rapporte.
Invité- Invité
Re: La marche
Bravo pour tes descriptions. Je suis restée scotchée à ceci :
Bon sinon, tes scènes sont incroyablement vivantes, comme tes personnages... l'ambiance orageuse (pourquoi les combats se passent toujours par temps de pluie ? XD) posée dès le début est maintenue avec brio tout du long. On croirait vraiment les entendre, tes personnages, lorsqu'ils crient en vain dans la tourmente...
Un détail, mais en même temps je ne suis pas sure que tu puisses y faire grand chose : tes personnages, très humains, sont aussi très nombreux. Pour l'instant je me perd littéralement au milieu de tout ces noms et j'ai du mal à savoir sur quel(s) personnage(s) l'histoire va se centrer, ou même si tu as l'intention de centrer l'histoire sur l'un ou sur l'autre. Ce n'est pas vraiment gênant, mais saches que le lecteur a du coup l'impression d'être le témoin de l'action et de la vie de personnages, mais sans se sentir vraiment "impliqué" : un peu comme s'il regardait une fresque historique... ce n'est pas à proprement parler un défaut, cela dépend juste de ce que toi tu veux faire...
Sinon j'ai lu quelque part "quatre paires de yeux", ça m'a fait bizarre, c'est pas plutôt "quatre paires d'yeux" ?
Voilà... en attendant la suite ;-).
magnifique.Le tonnerre fracassa les profondeurs du ciel, laissant une lueur blafarde ramper sur le visage de l’officier. Les gouttes de pluie s’écrasaient sur son tricorne pour ensuite serpenter sur les épaules de son manteau gris épuré d’ornements.
Bon sinon, tes scènes sont incroyablement vivantes, comme tes personnages... l'ambiance orageuse (pourquoi les combats se passent toujours par temps de pluie ? XD) posée dès le début est maintenue avec brio tout du long. On croirait vraiment les entendre, tes personnages, lorsqu'ils crient en vain dans la tourmente...
Un détail, mais en même temps je ne suis pas sure que tu puisses y faire grand chose : tes personnages, très humains, sont aussi très nombreux. Pour l'instant je me perd littéralement au milieu de tout ces noms et j'ai du mal à savoir sur quel(s) personnage(s) l'histoire va se centrer, ou même si tu as l'intention de centrer l'histoire sur l'un ou sur l'autre. Ce n'est pas vraiment gênant, mais saches que le lecteur a du coup l'impression d'être le témoin de l'action et de la vie de personnages, mais sans se sentir vraiment "impliqué" : un peu comme s'il regardait une fresque historique... ce n'est pas à proprement parler un défaut, cela dépend juste de ce que toi tu veux faire...
Sinon j'ai lu quelque part "quatre paires de yeux", ça m'a fait bizarre, c'est pas plutôt "quatre paires d'yeux" ?
Voilà... en attendant la suite ;-).
Loreena Ruin- Nombre de messages : 1071
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Date d'inscription : 05/10/2008
Re: La marche
Un bon mélange de maîtrise de la langue et d'érudition dénuée d'hermétisme pour un texte qui dès lors peut s'adresser à un public de non-initiés. Je suis admirative.
Invité- Invité
Re: La marche
socque: Vous m'honorez, vraiment! Comme à l'habitude, la remarque est très juste et je modifie à l'instant. Votre lecture attentive m'encourage beaucoup à continuer, mais malheureusement ma seule crainte est d'en arriver à vous ennuyer à la longue. J'espère que ce ne sera pas le cas et que je saurai maintenir ce niveau qui semble (je crois) ne pas vous laisser indifférente. Merci encore, j'espère bien vous divertir à nouveau.
Loreena: Pour les quatre paires d'yeux, je t'avoue sur ce coup-là que j'ai hésité grandement. Je distingue parfois difficilement le style oral du style écrit, étant moi-même quelqu'un d'atteint de cette damnée maladie de la parlotte excessive. Je vérifie à l'instant pour être sûr. Sinon, merci pour le compliment. Je suis ravi que ta lecture soit agréable et pas trop alambiquée comme j'ai la fâcheuse habitude de le faire.
EasterIsland: Grands dieux! Que d'éloges! Vous me faites rougir, allez! Votre commentaire me laisse dans une grande joie et c'est surtout votre remarque par-rapport au fait que ce texte peut s'adresser à un public de non-initiés qui me touche énormément. C'est effectivement ce qui m'a toujours manqué dans mes textes, et je mets beaucoup d'efforts pour éviter d'entrer dans des technicalités inintéressantes et complexes. Je suis flatté, et vous suis même redevable d'avoir des encouragements aussi positifs que les vôtres. Je vous remercie de votre lecture et du temps que vous avez consacré à bien vouloir glisser les yeux sur mon modeste scribouillis.
Loreena: Pour les quatre paires d'yeux, je t'avoue sur ce coup-là que j'ai hésité grandement. Je distingue parfois difficilement le style oral du style écrit, étant moi-même quelqu'un d'atteint de cette damnée maladie de la parlotte excessive. Je vérifie à l'instant pour être sûr. Sinon, merci pour le compliment. Je suis ravi que ta lecture soit agréable et pas trop alambiquée comme j'ai la fâcheuse habitude de le faire.
EasterIsland: Grands dieux! Que d'éloges! Vous me faites rougir, allez! Votre commentaire me laisse dans une grande joie et c'est surtout votre remarque par-rapport au fait que ce texte peut s'adresser à un public de non-initiés qui me touche énormément. C'est effectivement ce qui m'a toujours manqué dans mes textes, et je mets beaucoup d'efforts pour éviter d'entrer dans des technicalités inintéressantes et complexes. Je suis flatté, et vous suis même redevable d'avoir des encouragements aussi positifs que les vôtres. Je vous remercie de votre lecture et du temps que vous avez consacré à bien vouloir glisser les yeux sur mon modeste scribouillis.
Charly_Owl- Nombre de messages : 66
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Date d'inscription : 31/08/2008
Re: La marche
Je ne suis vraiment pas sûr de l'utilité ou de la consistance de ce chapitre. J'hésite toujours à le garder, mais j'ai décidé de vous faire partager la première partie. Il se peut également qu'il y ait quelques problèmes de synonymes. J'y travaille présentement.
Enjoy, si possible.
***
Saguenay était un homme simple. Du moins, simple sauf lorsque venait le temps de se nourrir. Ainsi, chaque repas distribué dans les étroites casernes du fort représentait une véritable aubaine pour user de ses talents de négociateur et de dissimulateur averti. Ce midi, l’heure était à l’étude approfondie de la nature d’un potage de légumes.
-La soupe est froide, déclara-t-il à voix haute.
Le drame était on-ne-peut-plus émouvant. La cuillère en bois reposait entre les doigts de sa main valide, tremblante de colère. « La soupe est froide. » songea-t-il de nouveau, fataliste. Son ventre, outré d’une telle offense portée contre son organe, protesta à son tour. Saguenay enfourna une bouchée et grimaça. Pouah ! Immangeable, infect, poison ! Une vive crampe au ventre lui tordit les tripes, sans qu’il sache pourquoi ni comment. Était-ce bien ce plat si répugnant qui lui faisait cet effet ? Courroucé, il se leva brusquement dans l’intention d’aller rosser le cuisiner, dût-il user de ses bottes pour assouvir la révolte grandissante de son estomac. Il se dirigea vers les portes rouillées de la cuisine, lorsque soudain une délicieuse odeur l’accrocha au passage. Ses narines humèrent avec envie le subtil fumet, puis par la suite des flots de salive irriguèrent immédiatement sa gueule pâteuse.
-Ça sent bon, avoua-il à un homme aux cheveux d’un blond vénitien qui sirotait sa soupe encore fumante. Vous vous y connaissez en soupe ?
-Non. Mais je m’y connais en épices, lui répondit aimablement son interlocuteur avec un sourire en coin.
Sans plus attendre, Saguenay s’assit en face de ce visage plus ou moins familier. Enfin il trouvait quelqu’un qui puisse comprendre la science de la bonne chère.
-Pourtant, des épices, on met ça sur la viande, ou pour assécher le poisson…
-Vous connaissez la fleur de vertubreuille ?
-Heu, vaguement.
-Et la feuille de marpaulite ?
-Ça oui, par-contre ! On ne s’en sert pas pour les maux de ventre ? s’égaya Saguenay, trop fier de montrer qu’il pouvait retenir quelque chose des pseudo-leçons de médecine de Saint-Just.
-Très juste. Votre soupe en aurait peut-être besoin.
-Et j’aurais une soupe aussi appétissante que… ? Allons donc ! Excusez-moi, mais je doute, clama le soldat.
-C’est pourtant le cas.
-Écoutez, une soupe, ça se dilue, ça s’épaissit, ça se refroidit… ça se jette, à la limite, mais jamais j’ai connu une façon de la réchauffer autre que de la mettre sur le feu !
L’homme blond éclata de rire, alors que Saguenay continuait son fastidieux argumentaire.
-Vous plaisantez, j’espère ! De plus, la marpaulite a un goût tout bonnement affreux !
-Qui vous parle de la croquer ? s’étonna le connaisseur. Ces deux plantes ont une caractéristique bien particulière : elles dégagent de la chaleur lorsqu’elles sont en infusion entre elles. C’est une sorte de réaction naturelle. Tenez, j’en ai trouvé dans les cuisines. Essayez !
Saguenay observa la main tendue devant lui dans laquelle reposaient quelques feuilles fripées, vertes et brunâtres. La curiosité l’emporta sur la prudence, et il les laissa tomber dans l’eau claire où flottaient encore quelques petits pois et un navet solitaire. L’eau entra en ébullition, et cette même odeur alléchante émergea du potage littéralement ressuscité par les herbes.
-Vous êtes un érudit, le complimenta le caporal d’un ton inhabituellement articulé. Même plus, vous avez un goût exquis en ce qui est matière de potage. Vous ne pouvez donc pas être quelqu’un de forcément mauvais, j’imagine. Tiens, je me présente. Mes amis m’appellent Saguenay.
-Dollard, enchanté, lui répondit poliment ce dernier en lui serrant la main.
Dès lors, le souvenir du visage du jeune homme lui sauta à l’esprit. Il revit sur-le-champ ses doux yeux bleus qui le fixaient dans l’eau glacée du Canal.
-Tu n’es pas d’ici, n’est-ce pas ? lança le caporal d’un ton plus familier.
-J’ai fui Quart-de-Tour avec ce que j’ai pu…
-J’ai entendu dire par Saint-Just que tes amis allaient mieux. La plupart se sont réveillés, à ce qu’il m’a dit.
-Enfin ! Enfin ! s’écria Dollard, subitement ragaillardi par la nouvelle.
-Tu pourrais même les amener à la Place d’Armes, tu sais ? On fête aujourd’hui la première pluie de…
Mais Saguenay n’eut pas le temps de finir sa phrase, Dollard s’étant déjà précipité à toute vitesse vers l’Hôpital du fort. Il haussa les épaules, finit tranquillement son repas à la santé de ce bien étrange personnage, puis se décida à le rejoindre.
***
-Encore vous… accueillit Saint-Just d’un ton glacial un Dollard tout en sueurs.
-Écartez-vous ! Où est-elle, pour l’amour de Dieu ? Ah !
Dollard s’agenouilla auprès d’un lit placé en retrait, près d’une fenêtre donnant sur la Place d’Armes du fort. Ses yeux azurins pétillèrent d’une rare joie, d’un bonheur qu’il avait cru oublié depuis bien longtemps. Lentement, comme pour savourer chaque précieux moment de cette scène, ses doigts tremblotants s’approchèrent près du visage de la jeune femme étendue sur les draps de coton. Puis, incertains, ils caressèrent une jolie mèche de cheveux bruns bouclés. Dollard sentit son cœur battre à un rythme effréné, puis le doux contact de la peau caramel. Ses doigts sillonnèrent délicatement un petit nez finement sculpté, des lèvres fragilement dessinées, et effleurèrent à peine une de ces oreilles tendrement ciselées. Les paupières de la belle créature papillonnèrent quelques instants, pour ensuite laisser deux grands yeux verts reconnaître le visage familier du paysan.
-Dollard, murmura-t-elle.
-Camélie, je suis là, fit-il à son tour.
Ils parlèrent tranquillement, comme s’ils avaient tout le temps du monde. Leur amitié se ressouda instantanément à chaque son, chaque mot et chaque phrase qu’ils s’échangèrent. Les souvenirs ressurgirent avec nostalgie, puis souffrance à la nouvelle de la mort du petit Tom. Camélie pleura son frère, lui qui avait eu ce tempérament si rieur, obstiné et charmant par le passé. Dollard s’improvisa protecteur, et l’enlaça dans ses bras musclés par le travail de la terre. Elle s’y blottit honteusement, ravalant ses larmes, son chagrin, et sa peur d’avoir perdu tout ce qu’elle avait connu auparavant. « Moi, je resterai là… tout près. Il y a des soldats pour te protéger, cette fois. » la réconforta-t-il. Saint-Just, de son côté, nettoyait ses instruments sans trop prêter attention à ces touchantes retrouvailles.
-C’est une bien vilaine blessure… remarqua le paysan en voyant une série de sutures sur l’avant-bras de sa protégée.
-C’est le médecin qui a pris soin de moi, expliqua-t-elle en pointant Saint-Just du doigt.
Celui-ci ne prit pas même la peine de se retourner. Il ne se contenta que de maugréer quelque chose ressemblant à « C’est mon devoir » ou à « C’est mon travail ». C’est alors que Saguenay fit son entrée, comme un cheveu sur la soupe.
-Ah, Dollard ! Je te cherchais !
-Vous vous connaissez ? demanda Saint-Just d’un air circonspect.
-Depuis maintenant une bonne heure, je crois ! dit Dollard sans sourciller le moins du monde.
Soudain, un couinement au timbre unique et d’une incongruité frappante résonna à-travers l’entièreté du fort. Ce son, aussi horrible à l’oreille put-il être, rappelait un égorgement de bête sauvage.
-Ah, voilà le vieux Barras qui accorde sa mélodimuse ! sourit Dollard.
-Mais ce son est inhumain ! s’affola Dollard.
-Bien sûr, qu’il est inhumain ! Presque animal, même. Cet instrument est en fait conçu de peau de…
-Qu’importe, vous trouvez cela vraiment agréable à entendre ? demanda Camélie de sa voix de fausset ; celle-ci charma immédiatement Saguenay qui n’eut d’yeux que pour sa beauté vivace et sauvage.
-Ma foi, c’est la tradition, heu… heu… Votre nom, madame ?
-Camélie, l’informa hâtivement son compagnon de Quart-de-Tour en se plaçant devant elle.
-Eh bien, venez, venez à la Place d’Armes ! Vous verrez, la fête du printemps, même en temps de guerre, sait raviver la joie et… même les plus nobles sentiments, ne put s’empêcher d’ajouter le soldat en plantant son regard noir de jais dans celui de Camélie.
***
La mélodimuse barrit à la façon d’un pachyderme, son gros sac de cuir de … gonflé d’air. Manquant de s’étouffer, le vieux Barras botta l’instrument encore bouin’ant d’un coup de pied rageur, comme il le faisait à chaque année. Une fois de plus encore, il ne pourrait malheureusement pas jouer de son instrument saboté par quelques philistins de la musique. Des rires éclatèrent dans la foule, composée en majeure partie de soldats francs ainsi que de la populace que protégeaient les murs du fort. Hommes, femmes, jeunes et vieux, forts et faibles, malades et autres ; tous y étaient. Les nuages, quant à eux, semblaient cléments pour les prochaines heures.
-Chante-nous quelque chose, Dollard ! J’ai entendu dire que vous aviez de belles chansons à Quart-de-Tour ! lui suggéra un Saguenay tout excité.
Il hésita pendant quelques moments, malaisé de se voir accorder tant d’attention. « J’y vais, mais seulement si Camélie m’accompagne à la flûte », décida-t-il. La timide Camélie rougit alors, un peu à la façon de son compatriote. Un gamin lui prêta une minuscule flûte en bois qui ne manqua cependant pas de grâce ni de finesse. Elle apporta l’embouchure de l’instrument à ses lèvres, prenant une profonde inspiration. Dollard commença d’une aria lente et apaisante, seul. Les mots coulèrent avec suavité, en attente des caresses musicales de la flûte. La chanson, bien que placide et sobre dans ses paroles, était si joliment truffée d’archaïsmes et de nostalgie que certaines femmes en versèrent une larme d’émotion.
Dollard s’arrêta un instant, les paupières closes. La foule, en pleine attente, tendit ses oreilles envoûtées. Silence.
Silence, toujours.
Puis quelques trilles de notes flûtées parfumèrent l’air, comme un vent de fraîcheur balayant la guerre des coeurs comme des mémoires.
***
Enjoy, si possible.
***
-Chapitre III-
-Quand lui défia la Vièle-
-Quand lui défia la Vièle-
Saguenay était un homme simple. Du moins, simple sauf lorsque venait le temps de se nourrir. Ainsi, chaque repas distribué dans les étroites casernes du fort représentait une véritable aubaine pour user de ses talents de négociateur et de dissimulateur averti. Ce midi, l’heure était à l’étude approfondie de la nature d’un potage de légumes.
-La soupe est froide, déclara-t-il à voix haute.
Le drame était on-ne-peut-plus émouvant. La cuillère en bois reposait entre les doigts de sa main valide, tremblante de colère. « La soupe est froide. » songea-t-il de nouveau, fataliste. Son ventre, outré d’une telle offense portée contre son organe, protesta à son tour. Saguenay enfourna une bouchée et grimaça. Pouah ! Immangeable, infect, poison ! Une vive crampe au ventre lui tordit les tripes, sans qu’il sache pourquoi ni comment. Était-ce bien ce plat si répugnant qui lui faisait cet effet ? Courroucé, il se leva brusquement dans l’intention d’aller rosser le cuisiner, dût-il user de ses bottes pour assouvir la révolte grandissante de son estomac. Il se dirigea vers les portes rouillées de la cuisine, lorsque soudain une délicieuse odeur l’accrocha au passage. Ses narines humèrent avec envie le subtil fumet, puis par la suite des flots de salive irriguèrent immédiatement sa gueule pâteuse.
-Ça sent bon, avoua-il à un homme aux cheveux d’un blond vénitien qui sirotait sa soupe encore fumante. Vous vous y connaissez en soupe ?
-Non. Mais je m’y connais en épices, lui répondit aimablement son interlocuteur avec un sourire en coin.
Sans plus attendre, Saguenay s’assit en face de ce visage plus ou moins familier. Enfin il trouvait quelqu’un qui puisse comprendre la science de la bonne chère.
-Pourtant, des épices, on met ça sur la viande, ou pour assécher le poisson…
-Vous connaissez la fleur de vertubreuille ?
-Heu, vaguement.
-Et la feuille de marpaulite ?
-Ça oui, par-contre ! On ne s’en sert pas pour les maux de ventre ? s’égaya Saguenay, trop fier de montrer qu’il pouvait retenir quelque chose des pseudo-leçons de médecine de Saint-Just.
-Très juste. Votre soupe en aurait peut-être besoin.
-Et j’aurais une soupe aussi appétissante que… ? Allons donc ! Excusez-moi, mais je doute, clama le soldat.
-C’est pourtant le cas.
-Écoutez, une soupe, ça se dilue, ça s’épaissit, ça se refroidit… ça se jette, à la limite, mais jamais j’ai connu une façon de la réchauffer autre que de la mettre sur le feu !
L’homme blond éclata de rire, alors que Saguenay continuait son fastidieux argumentaire.
-Vous plaisantez, j’espère ! De plus, la marpaulite a un goût tout bonnement affreux !
-Qui vous parle de la croquer ? s’étonna le connaisseur. Ces deux plantes ont une caractéristique bien particulière : elles dégagent de la chaleur lorsqu’elles sont en infusion entre elles. C’est une sorte de réaction naturelle. Tenez, j’en ai trouvé dans les cuisines. Essayez !
Saguenay observa la main tendue devant lui dans laquelle reposaient quelques feuilles fripées, vertes et brunâtres. La curiosité l’emporta sur la prudence, et il les laissa tomber dans l’eau claire où flottaient encore quelques petits pois et un navet solitaire. L’eau entra en ébullition, et cette même odeur alléchante émergea du potage littéralement ressuscité par les herbes.
-Vous êtes un érudit, le complimenta le caporal d’un ton inhabituellement articulé. Même plus, vous avez un goût exquis en ce qui est matière de potage. Vous ne pouvez donc pas être quelqu’un de forcément mauvais, j’imagine. Tiens, je me présente. Mes amis m’appellent Saguenay.
-Dollard, enchanté, lui répondit poliment ce dernier en lui serrant la main.
Dès lors, le souvenir du visage du jeune homme lui sauta à l’esprit. Il revit sur-le-champ ses doux yeux bleus qui le fixaient dans l’eau glacée du Canal.
-Tu n’es pas d’ici, n’est-ce pas ? lança le caporal d’un ton plus familier.
-J’ai fui Quart-de-Tour avec ce que j’ai pu…
-J’ai entendu dire par Saint-Just que tes amis allaient mieux. La plupart se sont réveillés, à ce qu’il m’a dit.
-Enfin ! Enfin ! s’écria Dollard, subitement ragaillardi par la nouvelle.
-Tu pourrais même les amener à la Place d’Armes, tu sais ? On fête aujourd’hui la première pluie de…
Mais Saguenay n’eut pas le temps de finir sa phrase, Dollard s’étant déjà précipité à toute vitesse vers l’Hôpital du fort. Il haussa les épaules, finit tranquillement son repas à la santé de ce bien étrange personnage, puis se décida à le rejoindre.
***
-Encore vous… accueillit Saint-Just d’un ton glacial un Dollard tout en sueurs.
-Écartez-vous ! Où est-elle, pour l’amour de Dieu ? Ah !
Dollard s’agenouilla auprès d’un lit placé en retrait, près d’une fenêtre donnant sur la Place d’Armes du fort. Ses yeux azurins pétillèrent d’une rare joie, d’un bonheur qu’il avait cru oublié depuis bien longtemps. Lentement, comme pour savourer chaque précieux moment de cette scène, ses doigts tremblotants s’approchèrent près du visage de la jeune femme étendue sur les draps de coton. Puis, incertains, ils caressèrent une jolie mèche de cheveux bruns bouclés. Dollard sentit son cœur battre à un rythme effréné, puis le doux contact de la peau caramel. Ses doigts sillonnèrent délicatement un petit nez finement sculpté, des lèvres fragilement dessinées, et effleurèrent à peine une de ces oreilles tendrement ciselées. Les paupières de la belle créature papillonnèrent quelques instants, pour ensuite laisser deux grands yeux verts reconnaître le visage familier du paysan.
-Dollard, murmura-t-elle.
-Camélie, je suis là, fit-il à son tour.
Ils parlèrent tranquillement, comme s’ils avaient tout le temps du monde. Leur amitié se ressouda instantanément à chaque son, chaque mot et chaque phrase qu’ils s’échangèrent. Les souvenirs ressurgirent avec nostalgie, puis souffrance à la nouvelle de la mort du petit Tom. Camélie pleura son frère, lui qui avait eu ce tempérament si rieur, obstiné et charmant par le passé. Dollard s’improvisa protecteur, et l’enlaça dans ses bras musclés par le travail de la terre. Elle s’y blottit honteusement, ravalant ses larmes, son chagrin, et sa peur d’avoir perdu tout ce qu’elle avait connu auparavant. « Moi, je resterai là… tout près. Il y a des soldats pour te protéger, cette fois. » la réconforta-t-il. Saint-Just, de son côté, nettoyait ses instruments sans trop prêter attention à ces touchantes retrouvailles.
-C’est une bien vilaine blessure… remarqua le paysan en voyant une série de sutures sur l’avant-bras de sa protégée.
-C’est le médecin qui a pris soin de moi, expliqua-t-elle en pointant Saint-Just du doigt.
Celui-ci ne prit pas même la peine de se retourner. Il ne se contenta que de maugréer quelque chose ressemblant à « C’est mon devoir » ou à « C’est mon travail ». C’est alors que Saguenay fit son entrée, comme un cheveu sur la soupe.
-Ah, Dollard ! Je te cherchais !
-Vous vous connaissez ? demanda Saint-Just d’un air circonspect.
-Depuis maintenant une bonne heure, je crois ! dit Dollard sans sourciller le moins du monde.
Soudain, un couinement au timbre unique et d’une incongruité frappante résonna à-travers l’entièreté du fort. Ce son, aussi horrible à l’oreille put-il être, rappelait un égorgement de bête sauvage.
-Ah, voilà le vieux Barras qui accorde sa mélodimuse ! sourit Dollard.
-Mais ce son est inhumain ! s’affola Dollard.
-Bien sûr, qu’il est inhumain ! Presque animal, même. Cet instrument est en fait conçu de peau de…
-Qu’importe, vous trouvez cela vraiment agréable à entendre ? demanda Camélie de sa voix de fausset ; celle-ci charma immédiatement Saguenay qui n’eut d’yeux que pour sa beauté vivace et sauvage.
-Ma foi, c’est la tradition, heu… heu… Votre nom, madame ?
-Camélie, l’informa hâtivement son compagnon de Quart-de-Tour en se plaçant devant elle.
-Eh bien, venez, venez à la Place d’Armes ! Vous verrez, la fête du printemps, même en temps de guerre, sait raviver la joie et… même les plus nobles sentiments, ne put s’empêcher d’ajouter le soldat en plantant son regard noir de jais dans celui de Camélie.
***
La mélodimuse barrit à la façon d’un pachyderme, son gros sac de cuir de … gonflé d’air. Manquant de s’étouffer, le vieux Barras botta l’instrument encore bouin’ant d’un coup de pied rageur, comme il le faisait à chaque année. Une fois de plus encore, il ne pourrait malheureusement pas jouer de son instrument saboté par quelques philistins de la musique. Des rires éclatèrent dans la foule, composée en majeure partie de soldats francs ainsi que de la populace que protégeaient les murs du fort. Hommes, femmes, jeunes et vieux, forts et faibles, malades et autres ; tous y étaient. Les nuages, quant à eux, semblaient cléments pour les prochaines heures.
-Chante-nous quelque chose, Dollard ! J’ai entendu dire que vous aviez de belles chansons à Quart-de-Tour ! lui suggéra un Saguenay tout excité.
Il hésita pendant quelques moments, malaisé de se voir accorder tant d’attention. « J’y vais, mais seulement si Camélie m’accompagne à la flûte », décida-t-il. La timide Camélie rougit alors, un peu à la façon de son compatriote. Un gamin lui prêta une minuscule flûte en bois qui ne manqua cependant pas de grâce ni de finesse. Elle apporta l’embouchure de l’instrument à ses lèvres, prenant une profonde inspiration. Dollard commença d’une aria lente et apaisante, seul. Les mots coulèrent avec suavité, en attente des caresses musicales de la flûte. La chanson, bien que placide et sobre dans ses paroles, était si joliment truffée d’archaïsmes et de nostalgie que certaines femmes en versèrent une larme d’émotion.
Dollard s’arrêta un instant, les paupières closes. La foule, en pleine attente, tendit ses oreilles envoûtées. Silence.
Silence, toujours.
Puis quelques trilles de notes flûtées parfumèrent l’air, comme un vent de fraîcheur balayant la guerre des coeurs comme des mémoires.
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Charly_Owl- Nombre de messages : 66
Age : 34
Localisation : Montréal, Québec (au Canada, bande de moules)
Date d'inscription : 31/08/2008
Re: La marche
C'est vrai, ça, le coup des plantes qui chauffent en présence l'une de l'autre ? Se non è vero, è bene trovato !
J'aime toujours beaucoup votre manière de camper les personnages et de faire vivement avancer l'action.
Une ou deux maladresses toutefois :
"Ainsi, chaque repas distribué dans les étroites casernes du fort représentait une véritable aubaine pour user de ses talents de négociateur et de dissimulateur averti." : cette phrase me paraît obscure, pourquoi quelqu'un de pinailleur sur sa nourriture serait-il "négociateur" ou "dissimulateur" ?
"Dollard sentit son cœur battre à un rythme effréné, puis le doux contact de la peau caramel." : Dollard "sent" deux choses trop différentes pour qu'on les juxtapose ainsi, sauf à vouloir un effet burlesque, ce qui me paraît déplacé dans cette scène émouvante (un poil gnangnan, d'ailleurs ; si vous avez voulu placer cette phrase bizarre pour contrebalancer ce que la situation pourrait avoir de mièvre, à mon avis ça ne marche pas, le contraste est trop violent).
"Un gamin lui prêta une minuscule flûte en bois qui ne manquait (l'imparfait s'impose ici) cependant pas de grâce ni de finesse." (D'ailleurs je ne vois pas en quoi le fait que la flûte est minuscule l'empêcherait de présenter de la grâce et de la finesse, alors pourquoi ce "cependant" ?)
J'aime toujours beaucoup votre manière de camper les personnages et de faire vivement avancer l'action.
Une ou deux maladresses toutefois :
"Ainsi, chaque repas distribué dans les étroites casernes du fort représentait une véritable aubaine pour user de ses talents de négociateur et de dissimulateur averti." : cette phrase me paraît obscure, pourquoi quelqu'un de pinailleur sur sa nourriture serait-il "négociateur" ou "dissimulateur" ?
"Dollard sentit son cœur battre à un rythme effréné, puis le doux contact de la peau caramel." : Dollard "sent" deux choses trop différentes pour qu'on les juxtapose ainsi, sauf à vouloir un effet burlesque, ce qui me paraît déplacé dans cette scène émouvante (un poil gnangnan, d'ailleurs ; si vous avez voulu placer cette phrase bizarre pour contrebalancer ce que la situation pourrait avoir de mièvre, à mon avis ça ne marche pas, le contraste est trop violent).
"Un gamin lui prêta une minuscule flûte en bois qui ne manquait (l'imparfait s'impose ici) cependant pas de grâce ni de finesse." (D'ailleurs je ne vois pas en quoi le fait que la flûte est minuscule l'empêcherait de présenter de la grâce et de la finesse, alors pourquoi ce "cependant" ?)
Invité- Invité
Re: La marche
Elle me semble bienvenue cette "parenthèse" à ce point du récit, j'ai trouvé de la délicatesse dans les descriptions et d'agréables petites pointes d'humour. Je conserverais ce chapitre.
Invité- Invité
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