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Pris dans la Toile

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silene82
bertrand-môgendre
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conselia
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Message  conselia Dim 18 Oct 2009 - 11:41

De feu et de sang. La toile bouleversait l’œil de Ferdinand ; les rouges le disputaient aux noirs et aux jaunes vifs pour suggérer les flammes et les fumées de l’enfer. Les contrastes suggéraient mille tourments subis par les formes fluettes, mais si évocatrices dans leurs subtils mouvements, qui parsemaient le fond d’ondes obscures et rougeoyantes !
La toile le regardait et il s’en était senti pénétré dès qu’il avait franchi la porte de l’atelier de Szabo. Ferdinand avait vendu plusieurs des toiles récentes de l’artiste dans sa galerie du faubourg, mais celle-ci tranchait si violement avec le style et le thème de tout ce qu’avait produit le peintre jusqu’alors qu’il la crût tout d’abord l’œuvre d’un autre. Mais la signature était bien là où Szabo la peignait d’ordinaire, s’inscrivant délicatement dans un détail du coin supérieur gauche de la toile.
Stupéfait par la force de l’évocation et perdu en conjectures quant aux motivations du peintre, il n’entendit pas ce dernier s’approcher de lui et sursauta lorsqu’arrivé dans son dos il agrippa ses deux épaules d’une poigne ferme et s’exclama : « pas celle-là, Ferdinand ! »
Se retournant d’un bond, tant pour se dégager de l’étreinte que pour faire face à Szabo, il fit de son mieux pour toiser le peintre qui le dépassait d’une tête au moins.
- Et quoi ! Tu disparais pendant deux semaines, tu t’enfermes pour peindre cette merveille et tu ne veux pas que je la vende ?
- Je te le dis, Ferdinand, pas celle-là. Tu ne vendras pas celle-là !
- Et pourquoi, je te prie ? Outre que c’est ce que tu as fait de mieux depuis bien longtemps, je te rappelle que le coût de tes lubies et tes frasques ne te permettent pas de faire le difficile… Attends, ne me dis pas que tu ne veux pas que moi, je la vende. Tu as trouvé un nouvel agent, c’est ça ?
- Mais non, pauvre fou. Ta paranoïa me fatigue. Je ne peux pas le vendre et je n’ai pas l’intention de t’expliquer pourquoi, alors laisse choir et prends plutôt un verre avec moi.
Son penchant pour l’alcool ne semblait pas nuire à son talent, mais ce vice n’était que le moindre de ceux qu’il revendiquait nécessaires à la création artistique. Toutes ces toiles jusqu’alors étaient empreintes de cet appétit d’ivresse et de stupre, pleines de courbes féminines enchâssées dans des volutes brunes et bleutées, heurtées par endroit par des formes oblongues tantôt couvertes de teintes métalliques, tantôt boisées, souvent partiellement enveloppées d’un pelage ou d’un plumage.
Le caractère sournoisement pornographique des ses œuvres lui avait rapidement valu la curiosité de quelques collectionneurs discrets, puis de galeristes conscients de l’adéquation de ses toiles avec l’air du temps. Mais Ferdinand avait su le convaincre que la dispersion et la surproduction étaient contraires à ses intérêts économiques et l’avait astucieusement enfermé dans un contrat d’exclusivité avec sa propre galerie, qui n’exposait qu’au compte-goutte les peintures de Szabo.
La cote de l’artiste avait profité de cette rareté programmée, et les apparitions du peintre étaient l’objet d’une mise en scène aussi travaillée que l’exposition de ses toiles. Il avait ainsi acquis une réputation sulfureuse, propice au marketing dont Ferdinand avait appris les subtilités dans une vie antérieure, entretenue par de savantes indiscrétions révélées par de fugaces conquêtes, lorsqu’elles n’étaient inventées de toutes pièces par Ferdinand lui-même.
Mais la toile que le marchand découvrait aujourd’hui n’était pas de cette veine, et sa force sombre et malveillante était plus fascinante encore que l’érotisme de toute son œuvre passée.
A proprement parler, il ne pouvait être tiré de réel plaisir de son observation, car un puissant malaise envahissait le cœur - ou était-ce l’âme ? - de celui qui posait les yeux sur ces silhouettes tourmentées. Incapable de s’en détourner, Ferdinand avait en un sens béni l’apparition de Szabo, en cela qu’elle l’avait soustrait à l’emprise de ces taches de couleurs déroutantes et à l’agitation croissante qu’elles instillaient dans tout son être.
- Allez, ne fais pas l’enfant et dis-moi quand je pourrai l’exposer, dit-il après avoir vidé le verre que lui avait servi le peintre.
- Tu n’écoutes rien, lui répondit Szabo, tu ne sais rien et tu ne comprends rien. Cette toile reste dans l’atelier et point final, mon ami.
Son accent trahissait son origine, mais en cet instant il s’était teinté d’une détermination jusqu’alors inconnue de Ferdinand, qui renonça à tenter une fois encore de convaincre l’artiste. Il le salua en bougonnant et rentra chez lui.
La nuit qui suivit fut pleine de cauchemars et de sueurs froides. Ferdinand se retournait sans cesse dans le grand lit, au grand dam de son épouse qui finit par lui intimer l’ordre d’aller dormir dans la chambre d’amis.
Il prit une douche, mangea le reste du gâteau qu’elle lui avait amoureusement préparé la veille, fuma deux cigarettes coup sur coup, puis se glissa dans les draps de la chambre du fond. Rien n’y fit ; il ne trouvait le sommeil que pour en être tiré quelques minutes plus tard par des visions pires encore que celles que lui procuraient les mauvais alcools dont il abusait parfois en compagnie de Szabo.
Des flammes y dansaient autour de corps dégingandés, aux visages tordus d’une douleur atroce. Mais ce qui troublait Ferdinand et ajoutait à son insomnie était la certitude qui le gagnait qu’il lui fallait cette toile.
Au matin, il décida de faire le siège de l’atelier du peintre jusqu’à ce qu’il la lui eût confiée, mais en vain. Au bout de trois jours d’arguties et de palabres, ponctuées par des nuits agitées de rêves de plus en plus incohérents, mais tous inspirés par l’œuvre de Szabo, les deux amis en étaient à arrivés à se fâcher.
Le peintre avait jeté dehors Ferdinand, quant celui-ci, à bout d’arguments, l’avait menacé de lui réclamer l’argent qu’il lui avait avancé. Pendant les semaines qui suivirent cet esclandre, ils ne se virent ni n’échangèrent un mot au téléphone. Mais Ferdinand était rongé par un mal inconnu, qui lui ôtait le sommeil et le rendait irritable au point que sa femme décida de séjourner chez sa mère jusqu’à ce qu’il eût recouvré ses esprits.
Seul dans la demeure, il marchait de long en large tout le jour durant, incapable de se rendre à la galerie ni où que ce fût, obnubilé par l’idée de posséder le chef-d’œuvre de Szabo.
Une nuit, n’y tenant plus, il traversa la ville à pied, ourdissant quelque sombre plan pour dérober ce que son ami d’alors ne voulait lui remettre. Piètre cambrioleur, il escalada malgré tout la grille du jardin qui entourait l’atelier du peintre et brisa une vitre pour s’y introduire.
Planté devant la toile, dont il avait retiré le voile qui la recouvrait, il resta un long moment sans bouger, se laissant gagner par les ondes brûlantes que sa contemplation déclenchait en lui. Bien qu’il n’eût pas disposé d’autant de temps lorsqu’il l’avait découverte un mois plus tôt, il lui sembla que quelque chose de nouveau s’y trouvait.
Parmi les silhouettes qui se détachaient sur le fond sinistre, il distingua bientôt ce qui n’y figurait pas alors ; il y en avait alors cinq, elles étaient maintenant six, et ce personnage peint depuis lui sembla curieusement familier. S’en rapprochant autant que sa vue défaillante le permit, il comprit que ces traits de feu et de sang, pour incertains et esquissés qu’ils fussent, ne pouvaient représenter autre chose que lui-même, tourmenté par les flammes de l’enfer.
Une fois encore, il fut surpris par la poigne de Szabo lorsque ce dernier le prit par les épaules et lui susurra à l’oreille : « je ne peux pas le vendre, je te l’ai dit, c’est une commande. »
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Message  Invité Dim 18 Oct 2009 - 12:30

Une idée sympa, je trouve (bien que la chute soit assez facile), mais le texte ne m'a pas convaincue, je ne saurais trop dire pourquoi. Le dialogue du début entre le peintre et son agent m'a paru artificiel, raide, et puis, dans la suite du texte, je n'ai pas vraiment senti la montée de l'angoisse... Par ailleurs, le résumé de la carrière du peintre ne m'a guère intéressée ; je n'ai pas trop vu à quoi il servait dans l'économie du récit.

Remarques :
“celle-ci tranchait si violemment avec le style et le thème de tout ce qu’avait produit le peintre jusqu’alors qu’il la crut (et non “crût”, il ne faut pas de subjonctif ici) tout d’abord l’œuvre d’un autre”
“Le caractère sournoisement pornographique de (et non “des”) ses œuvres”
“Quand celui-ci, à bout d’arguments”
“et ce personnage peint depuis (peu ?) lui sembla curieusement familier”

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Message  Ba Lun 19 Oct 2009 - 15:35

Difficile d'aborder le thème du " moi " dans la peinture sans tout de suite évoquer Wilde.
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Message  Invité Lun 19 Oct 2009 - 20:10

Comme d'habitude, c'est très bien écrit, un vrai régal à lire. Je trouve toutefois que le récit s'étire inutilement, j'ai l'impression que l'on peut très bien lire certains passages en diagonale sans perdre le fil de l'histoire ; peut-être qu'il serait plus percutant s'il était plus ramassé.

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Message  bertrand-môgendre Jeu 22 Oct 2009 - 5:56

Le texte se lit bien, certes, mais la fin n'est pas à la hauteur de toute cette préparation. Ou alors, elle mérite une tournure plus dramatique (à mon sens).


...mais celle-ci tranchait si violemment avec le style et le thème de tout ce qu’avait produit le peintre jusqu’alors qu’il la crût tout d’abord l’œuvre d’un autre... la formulation pèse lourd.
...je te rappelle que le coût de tes lubies et de tes frasques...le de en plus non ?
...Mais Ferdinand avait su convaincre que la dispersion et la surproduction étaient contraires à ses intérêts économiques et l’avait astucieusement enfermé dans un contrat d’exclusivité avec sa propre galerie, qui n’exposait qu’au compte-goutte les peintures de Szabo. ... Pourquoi cette précision ? ses peintures aurait suffi, non ? En fait, je trouve que la phrase n'est pas claire.
...A proprement parler...À

...Mais ce qui troublait Ferdinand et ajoutait à son insomnie était la certitude qui le gagnait qu’il lui fallait cette toile...
Pour mettre en valeur sa décision, j'ose proposer, suggérer :
Mais ce qui troublait Ferdinand et ajoutait à son insomnie était la certitude qui le gagnait : il lui fallait cette toile.

...les deux amis en étaient à arrivés à se fâcher...
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Message  silene82 Jeu 22 Oct 2009 - 6:52

Pour mon goût, c'est du bon boulot, malgré que des dialogues un peu plus typiques de l'origine culturelle du peintre eussent pu être appropriés.
Personnellement, le fait que le récit s'étire et se déploie sans se concentrer autour de la chute, prévisible dès la première phrase -peut-être parce que dans notre monde judéo-chétien, l'enfer tient une grande place-, ne me gêne pas, et promène très agréablement tout en construisant le récit.
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Message  lillith Jeu 22 Oct 2009 - 22:42

J'aime beaucoup la forme, un style très soigné et beau, mais suis par contre un peu septique sur le fond... Je n'accroche pas plus que ça...
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Message  Sahkti Ven 30 Oct 2009 - 15:50

Hmmm, j'ai bien aimé cette histoire! Et cette dernière phrase, qui claque et résume bien le récit. Pas mal du tout.
Il y a bien quelques longueurs et le rythme du texte mériterait sans doute d'être davantage secoué, pour sortir d'une routine qui rend certains éléments prévisibles, mais dans l'ensemble, l'idée m'a séduite.
Je pense qu'alléger un peu l'insistance sur les tourments du galériste devrait renforcer le texte, surtout si en parallèle tu insistes que l'apsect plus mystérieux du tableau et des événements qu'il produit. Une évocation plutôt qu'une explication en fait.
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Message  Rebecca Ven 30 Oct 2009 - 16:37

Quelle facilité d'écriture, quelle aisance! Te lire est toujours un étonnement et une détente.
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Message  mentor Ven 30 Oct 2009 - 20:27

les 3 derniers mots sont terrifiants, même si on s'attend plus ou moins à une chute dans le genre
belle écriture et sujet traité avec brio
bravo

(un iota sur l'expression du peintre quand il s'adresse à Ferdinand : pas très réaliste)

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