Exo en direct le dimanche 21 février 2010

Clara se réveilla avec une migraine insupportable. La lumière du plafond, orange vive, lui vrillait les yeux. Elle avait le sentiment qu'on lui avait enfoncé des clous dans le crâne. En voulant passer la main dans ses cheveux pour apaiser la douleur, elle réalisa qu'elle était attachée. Elle tenta de tourner la tête, de se relever mais rien à faire, pieds et poings étaient solidement liés et un bandeau métallique lui ceinturait le front. Aucun mouvement n'était possible, la souffrance devenait intolérable. Clara se mit à hurler mais au moment où le premier son franchit sa gorge, elle se rendit compte qu'elle poussait un cri de canard. Elle réessaya, rien à faire, seuls de timides coin-coin remplirent la pièce. Les larmes inondèrent son visage, sa gorge lui faisait mal, encore plus que le reste de son corps.

C'est alors qu'elle entendit un rire, aigü, acéré, puis qu'elle devina une présence à ses côtés. On lui enfonçait quelque chose dans le bras tout en lui caressant les doigts. Une forme monstrueuse se pencha au-dessus d'elle, elle eût envie de hurler mais encore et toujours surgirent ces stupides cancanements. Un ogre à la peau grasse la regardait avec, elle l'aurait juré, de la tendresse dans les yeux. Il avait l'air triste. Elle l'implora silencieusement de l'aider mais l'énorme masse haussa légèrement les épaules, soupira avant de s'éloigner.

Le rire avait fait place à quelques borborygmes qui se rapprochaient d'elle. Etait-ce du sanskrit? De l'hébreu peut-être, Clara ne connaissait pas cette langue mais il lui semblait l'avoir déjà entendue dans un documentaire à la télé.
Elle ne put s'empêcher de crier –coincointiser pour être précis- lorsqu'elle vit à qui appartenait ce rire agaçant. Un homme, grand, revêtu d'une blouse blanche et d'une tête de chevreuil. Etait-ce un masque? Clara n'en était pas si sûre, les mouvements paraissaient très naturels et la bouche s'ouvrait quand il parlait.
Un ogre. Un homme-chevreuil. Une lumière orange. Elle attachée sur une table... Clara ferma les yeux, pensant être dans un mauvais rêve mais tout était là quand elle les rouvrit.

L'homme-chevreuil lui injecta quelque chose dans le ventre à l'aide d'une énorme seringue. Il semblait satisfait. Clara voulut parler mais aucun son ne sortit de sa bouche, même pas un petit cri animal. Surpris, l'homme la regarda, maugréa quelque chose puis donna des ordres à l'ogre, qu'elle ne comprit pas. Ce dernier prit un air penaud, fit non de la tête, ce qui eût pour résultat de provoquer la fureur du chevreuil. L'ogre se voûta, partit au fond d'une pièce et revint en tenant deux souris blanches. Il effleura leurs poils avec douceur, leur murmura quelque chose à l'oreille puis les plaça sur un plateau métallique. L'homme-chevreuil inocula un produit de couleur verte dans le dos de la première, attendit quelques secondes puis lui tira violemment la queue. L'animal poussa un cri...de vache.
Clara ouvrit de grands yeux, elle n'en revenait pas. Le chevreuil rit, content des résultats et renvoya l'autres souris dans sa cage. L'ogre parut soulagé.

Le pseudo-scientifique revint vers Clara et lui administra à son tour la substance verdâtre dans les intestins. Son sang ne fit qu'un tour, une nausée violente s'empara d'elle et au moment d'ouvrir la bouche, c'est un meuglement qui prit la place de ses tripes.
L'homme-chevreuil jubilait, en se tapant sur les cuisses. Il continuait à marmonner tout seul dans son coin, des phrases incompréhensibles, aucun mot connu. Il dit quelque chose à l'ogre qui libéra la tête de Clara de son étau de fer. Elle put enfin orienter son visage à gauche et à droite, tenter de deviner où elle était. Elle vit la baie de San Francisco, crut qu'il s'agissait d'une grande porte vitrée donnant sur le lieu avant de réaliser que ce n'était qu'un immense poster.
Dans un coin de la pièce, un téléviseur d'un autre âge n'arrêtait pas de répéter: "je suis le débilitron, la boîte à conneries, tout le monde me regarde et personne ne m'aime". L'ogre s'approcha de la boîte parlante, tapota le dessus tout en l'embrassant du bout des lèvres, lui murmurant quelques mots. Il sembla à Clara que la télévision soupira.

Les heures passèrent – ou ce qui semblait être des heures pour Clara. L'ogre était assis près de la télévision, la consolant entre deux séances d'origami. Fascinée, Clara regardait ces gros doigts boudinés plier le papier et donner naissance à des arbres, des oiseaux ou d'étranges créatures. L'ogre vit qu'elle l'observait, il esquissa un sourire puis s'attela à une mission qui paraissait délicate. Clara le voyait se mordre la langue, plisser les yeux, grogner... avant qu'il ne brandisse, victorieux, une silhouette blanche. Clara. Il déposa le pliage sur son ventre, avant de regagner sa place. La jeune femme se perdit entre un sourire et des larmes.

Le temps s'écoula, interminable. De temps à autre, Clara émettait un son. Tantôt un canard, une vache, un léopard... la galerie était variée et si la douleur n'avait pas été si forte, elle en aurait conçu quelque amusement. Mais la souffrance était là, intenable, prenant possession de chaque partie de son corps et la poussant à haïr de tout son être cet homme-chevreuil qui avait fait d'elle une boîte à cri. La mort, elle lui souhaitait une mort affreuse; Des images emplirent sa tête, qu'elle secoua dans tous les sens en hurlant autant qu'elle le pouvait...


– Madame ? Clara ? Docteur, elle se réveille !
– Que se passe-t-il ? Où suis-je ?
– Vous êtes à l'hôpital Madame, vous avez eu un grave accident de voiture et on vous a transportée ici, votre mari est dans le couloir
– Mon mari ? Et l'ogre ? Où est l'ogre ?
– L'Ogre ? Quel ogre, Madame ? Vous êtes à l'hôpital, on vient de vous opérer mais tout va bien maintenant
– Et le chevreuil? Le chevreuil qui parle hébreu ?
– Il n'y a pas de chevreuil, Madame. Ne vous en faites pas, ce doit être un effet de l'anesthésie, ça va passer.

Après quelques instructions donnés à une infirmière qui regardait bizarrement Clara, le médecin partit vaquer à ses occupations tandis qu'on changeait la patiente de chambre.
Clara soupira, se disant que tout ceci n'était qu'un rêve. Elle fit mentalement le tour de la pièce aseptisée, observa les murs nus, la télé muette et puis la table de nuit.
Sur laquelle était posée une silhouette de papier blanc représentant une jeune femme. Qui ressemblait étrangement à Clara...