APPEL A TEXTES : 1500 - Quelques grammes de poésie dans...

Quelques grammes de poésie dans cette usine de merde

"La marquise sortit à cinq heures, tenant mon cœur en laisse,
Apogée grise..."
- Masculin ou féminin, apogée ? Il oubliait toujours. Féminin, ça l'aurait bien arrangé.

La buée dessinait des haleines aux réverbères.
Sur le formica jaune pisseux, une mouche suçotait une tache sucrée, datant d'un précédent client.
Quand le rire tonitrua tout contre sa chaise, Claude la regarda s'envoler.
Les mouches ont de la chance.
" Po-èmes " lut le grand Francis, remontant à deux mains son bleu qui glissait. Il se moucha d'un revers excessif et, filant une grande claque amicale à Claude, se tourna vers ses potes :
- Eh, les gars, on a un écrivain ! Qu'est-ce que je dis, un écrivain : un Pouête ! Si qu'on aurait cru ça !
Gêné, Claude tentait mollement de récupérer son cahier qui passait de main en main, il court le furet. Les tronches hilares, les voix qui montaient dans l'aigu, les rires grasseyants, les déhanchements lui annonçaient un quart d'heure difficile.
- T'as des vers ? Faut te purger, mon gars ! Robert, tu mettras un calva à Mamzelle Claude!
- Heu, merci, je ne...
- Ah, fiston, tu voudrais pas me fâcher ? T'oublies que je suis ton supérieur hiéra… hiérarchique ? Allez, bois !
Fallait pas compter sur les collègues de l'atelier, qui, goguenards, renchérissaient, pour se faire bien voir, tournée sur tournée.

Tournent, tournent, les yeux cruels, la ruelle noire, les souffles rauques, les précieux mots salis : " La marquise sortit à cinq heures…"

Claude, lui, rentra beaucoup plus tard.

1517 signes espaces comprises

Beaucoup trop facile à mon goût, et bêbête : oh, le pauvre albatros que ses ailes de géants gnagnagna !

Pour faire de la provoc : bien fait pour lui, à ce con de Claude. Il est au bistrot, en fin de journée, puisque les mecs ont le loisir de se payer tournée sur tournée. Qu'est-ce qui l'empêche, sa journée finie, de rentrer tranquillo chez lui ou d'aller sur un banc, seul, pour se colleter avec sa marquise ? Qu'est-ce qu'il s'imagine, à faire le kéké au milieu des autres avec son carnet de poèmes ?

Ça arrive même aux plus grands... et puis tout le monde ne peut pas recueillir des mots dans les territoires aux fumerolles de sa mémoire grimoire, genre de phrase qui me fait rire, personnellement.
Moralité : un instantané d'une scène douloureuse qui a dû arriver souvent et qui sied bien à ce genre d'exercice.

On ne régresse la grasse connerie qu'en allant au charbon.
s'entre-causer entre "culturels" n'est que branlette d'entretien à côté!
demandez aux curés, Témoins et autres marchands d'aspirateurs:
Ils vous diront.

Ce n'est pas original comme sujet. Déjà traité 10 fois.

Peut-être pas innovant mais moi il me touche ce texte, et je ne dis pas ça pour être gentille. Il me touche parce qu'il est humain, il parle de l'humain, des petites misères et mesquineries de l'être, de la connerie humaine, de l'aspiration à autre chose aussi. Claude, je le connais, il fait partie de mon univers. Le grand con qui lui sert de patron aussi, je le rencontre tous les jours, hélas. Faut savoir s'élever au-dessus de ce que mon-amie-qui- se- reconnaîtra nomme la masturbation de ciboulot. Et toc !

Qui n'a pas senti l'ironie indulgente des sourires qui vous clouent quand vous avouez " écrire des poèmes" ne peut comprendre le cauchemar de ce pauvre Claude !
C'est le bec du vilain petit canard qu'il doit se sentir pousser plutôt que celui de l'albatros !
Mais que diable allait-il faire en cette galère ? On n'a pas toujours le choix des rameurs qui vous entourent ...
Toute ma tendresse, Claude et mon admiration pour ta ténacité à garder intacte ta marquise parmi la fange des lazzis.

PS : Je suis allée vérifier le sexe d'apogée ... Ah les masculins en ée sournois, je vous dis !

Je trouve que c'est bien écrit et touchant.
On s'en fout un peu que ce sujet aie déjà été traité...je ne sais pas quel sujet ne l'a jamais été anyway...

tellement vrai qu'il est difficile de ne pas s'y reconnaître quelque part.
cela m'a renvoyée à quelque souvenir triste. Mais bon, on a grandi un peu depuis !
Bien traité et ficelé.
Merci

Oui, ce texte est vrai.
A ma famille, mes proches, mes amis et collègues, j'ai caché pendant 25 ans ma passion de l'écriture. Seules deux amies étaient au courant...
J'ai détruit 99% de mes textes. Le milieu dans lequel je vis est trop pragmatique. Depuis, j'ai imposé ma passion...

Alors, ton texte, Coline, je l'ai aimé !

J'aime beaucoup
ça me rappelle l'univers de Yali : un écrivain dans un bistrot, manque juste la fille en mini-jupe qui passe furtivement ;-)
oui, beaucoup apprécié

Le thème ne me gène pas du tout, au contraire.
Tous les défenseurs de la poésie sont les bienvenus, elle en a besoin croyez-moi.
Maintenant, dans la manière de le traiter je dois avouer n'avoir pas été complètement convaincue mais je ne pense pas non plus que l'intention était de convaincre, alors je reste sur une impression positive.

C'est curieux de lire qu'un thème est éculé, comme s'ils ne l'étaient pas tous ? Bien sûr que l'histoire de ce môme qui se fait chiper sa casquette qui passe de mains en mains sans qu'on veuillent bien la lui rendre parce que simplement il y tient ou parce que il va se faire engueuler s'il revient à la maison sans, c'est pas tout neuf. Ben non. Mais n'est pas plus neuve l'histoire de cette humanité projetée quelques milliers d'années plus tard et qui doit son salut à l'invention fabuleuse qu'est le spacioprismevascularomainteneur à champs magnétiques croisés et nuagesinterdiférentiels cosmiques, par exemple. Mais c'est infiniment plus difficile de poser des mots sur la frustration, sur le malaise intime, sur ces petites choses qui nous composent que d'inventer des univers où un oiseau thermoplastifié se mettrait à causer à un spacioprismevascularomaintenuenvie. Y a pas d'effet de surprise, pas d'artifice, y a pas de renoncements d'aucune sorte, pas de ceux qui font qu'on préfère parler d'autre chose ou éviter nombre de sujets parce que finalement ça nous gène d'être seulement ça. Mais au fait, n'est-ce pas ça écrire : dire et ne pas raconter ?
Intro mise à part, sur ce sujet-là, coline tu peux faire mieux, beaucoup mieux !

Le thème ne m'a pas gêné mais son traitement ne m'a pas semblé abouti. Pas en regard de ce que j'ai déjà lu de toi, colline.

J'aime bien ce texte, je le trouve concis et efficace, bien écrit aussi et puis ça raconte une histoire du quotidien d'une manière qui me fait sentir ce bonhomme assez proche, touchant aussi.

l'obligation de rentrer dans le moule, de faire comme tout le monde pour se sentir accepté
J'ai bien aimé (OK pas très constructif mais ça a le mérite d'être dit)

C'est très bon, la scène est parfaitement saisie, oui Claude est un nigaud qui en est encore à chercher la fraternité où elle ne sera pas, comme Solal soliloquant dans son délire juvénile.
Et j'adore ton écriture, chère Coline, vive et enjouée comme la gerbille que tu es, et pourvue de tiroirs nombreux qui en découvrent d'autres. Merci pour ce sketch, je le trouve dense, riche, et réussi. Comme nombre de tes textes.

coline Dé a écrit:
La buée dessinait des haleines aux réverbères.

J'ai un peu de mal avec cette phrase. Sinon, on peut aller boire un coup !

Dans un bar sordide, un peu de poésie. L’art est un voile de beauté jeté sur une réalité grise et prosaïque. Comment Claude pourrait-il supporter le monde qui l’environne sans cette part de beauté qu’il crée pour le voiler ?
Il n’est pas là par hasard, Claude. Il est là où il fait gris et noir. Il est là au milieu d’ouvriers, de producteurs, et lui se fait créateur, artiste, poète.
A son interrogation sur le sexe ambigu d’un mot, apogée : masculin ou féminin ? on répond par l’ambiguïté du sien. Un poète : forcément une
« Mamzelle », forcément une pédale ! D’ailleurs son nom se prête au double sexe : Claude !
Il faut le ramener parmi les hommes, l’égaré poète. Un calva, pour le poète, c’est viril, le calva, boisson pour les hommes. Des vers, il faut le ramener aux verres. De l’apogée, le ramener en bas, sur terre, dans ce bar crasseux.
La platitude triviale résiste. Ne pas s’écarter du travail quotidien, ne pas se désolidariser du monde laborieux résigné à son sort.
Et puis on oublie tout dans la multiplicité des verres, plus facilement que dans l’élaboration créatrice des vers. C’est au fond du verre que l’on trouve l’oubli de la réalité morne et banale.
Mais on se trompe, le poète ne cherche pas l’oubli, il ne s’évade pas dans les rêves, il voile et il révèle à la fois, il cherche la beauté et le vrai. Les ouvriers se divertissent, se détournent du réel, dans l’ailleurs des effluves alcoolisées. Le poète, lui, ne se divertit pas, il reste dans le réel qu’il rend plus vivable par la beauté, il révèle un réel moins étriqué que la salle de ce bar.
Mais on ne le comprend pas. Sort de tout poète qui dit non à une réalité étriquée et sordide.
C’est un beau texte, Coline.

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Ce texte me rappelle le film "La chienne" que j'adore...
Le personnage principal qui, parce qu'il évolue dans un milieu qui lui est décidément inférieur (la banque), passe auprès de ses collègues pour un parfait imbécile.
Difficile de ne pas éprouver de compassion pour Claude : il n'a pas encore conscience d'entrer dans un univers où ses collègues ne le suivront pas...
Joli texte...