Sa voix.

Bonjour. Je suis aveugle. Je ne vois rien. Enfin si, le noir, plus pur que tout ce que vous pouvez imaginer. Vous pourriez m’envier, si vous ne me plaigniez pas autant. D’un certain côté, je l’aime, ce noir. Il a toujours été là pour moi. Protecteur, il m’empêche de connaître certaines immondices dont vous avez le secret.

Mais je n’ai jamais pu voir ton sourire, admirer le bleu de tes yeux. Je ne sais même pas ce que c’est qu’une couleur.

Mon noir est comme un voile. Il cache tout ce qui m’entoure. Je suis né avec. Je suis né pour être en partie séparé du monde. Je serai toujours en retrait, jamais je n’aurais votre impulsivité. J’appréhende toujours un peu plus que vous autres. Je ne me lance jamais dans le vide, j’évite les risques. Après tout, ils me seraient facilement fatals !

Il y a peu, j’ai appris à jouer du piano, sous tes encouragements. Bien sûr, pour moi, toutes les touches sont noires. Mais on m’a dit que j’avais une bonne oreille. Cela m’a fait sourire.

Petit, j’aurais voulu peindre, comme les autres. On s’était moqué. Qu’est-ce qu’un aveugle pourrait-il bien dessiner ? Mais je ne voulais pas reproduire ce que vous voyez vous, mais simplement vous montrer tout ce que je pouvais imaginer. Tant pis, je suis certain que tu me trouveras d’autres crayons un jour.

J’ai un avantage sur les autres handicapés. Je ne connais pas le regard que les gens normaux posent sur moi, au quotidien. J’entends parfois des enfants parler trop fort, mais cela ne me blesse pas plus que nécessaire. Il faut bien qu’ils apprennent. Toi, visiblement, on ne t’avait jamais rien appris. C’est d’ailleurs ce qui m’a séduit. Tu avais la fougue que je n’osais avoir. Je me souviendrai jusqu’à la fin de ce jour où tu es venue me voir, sur mon banc, et que tu m’as dit :
-Laissez-moi vous dire, Monsieur, puisque que vous ne devez pas le savoir, que vous êtes très beau.

Et là, comme ma faiblesse bouleverse le monde, ta voix a renversé ma vie.