Cent coups
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elea
mentor
lol47
Yellow_Submarine
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Cent coups
Un début que vous reconnaître peut-être (l'amour hémophile) retravaillé pour un autre but/sujet...Un début de toute manière, à suivre.
Il y a quelques minutes à peine, enfoncée sous la couette, elle tentait de prolonger la torpeur de la nuit, juste avant que sa conscience ne s’allume d’un seul coup et que les rouages de ses pensées ne se mettent en route, ne lui laissant aucun repos. Elle se prélassait dans un demi-sommeil, à cet instant précis où elle pouvait s’imaginer être n’importe qui, se trouver n’importe où. En l’occurrence, une autre, ailleurs. Mais à peine s’était-elle réveillée que ces trois mots avaient éclaté comme des bulles de savon, juste devant ses yeux, les larmes étaient venues d’un coup.
« C’est fini ». Elle avait prononcé ces trois mots à voix basse, le jour ne s'était pas levé, son corps marquait le matelas de son empreinte, et ses paupières étaient lourdes de sommeil inachevé. Et pourtant ces trois mots résonnaient aussi clairement que si elle les avait prononcés à voix haute. Son époux dormait à ses côtés, sa respiration calme, à peine ponctuée de ronflements sporadiques, rythmait les minutes. Un répit avant la sonnerie du réveil. Elle était bien éveillée à présent, son esprit martelait cette phrase sans relâche « C’est fini ».
Sa vie n’était pas insupportable, loin de là. Mais la lassitude s'était installée inexorablement, elle avait construit son nid et le travail achevé, s’y était lovée pour ne plus le quitter. Chaque matin, elle parvenait encore à effectuer les gestes du quotidien, à déposer les tranches de pain dans le toaster, à verser le café dans les porcelaines précieuses, à afficher le sourire de circonstance et à faire mine de ne pas voir les miettes sur la table. Et jour après jour, cela lui demandait un effort surhumain. Pourtant, elle continuait, sous peine de voir la façade se lézarder. Les années s'étaient accumulées en couches successives et avaient fini par former une gangue qui alourdissait sa silhouette et raidissait tous ses mouvements. Récemment, elle avait croisé son reflet dans une vitrine, elle s'en était effrayée. Etait-ce elle, cette femme au dos vouté? Les premières strates pourtant étincelaient. Son mariage, la naissance de Chloé. Des pépites. Elle eut un rire amer . Elle avait cru être tombé sur un véritable filon de bonheur. Vite enseveli par les absences répétées de Paul, des croûtes de boue de plus en plus épaisses, à la mesure de sa solitude, s'étaient accumulées.
Et ce matin. Trois mots, trois malheureux mots. Elle fixait le réveil, trente minutes de rémission encore avant qu'elle ne soit obligée d’endosser le masque habituel. Elle passa en revue ce que cette journée pourrait bien avoir d’inhabituel et qui marquerait ainsi son esprit. Mais rien ne la frappe, la litanie des doléances, conjoint, voisins, quémandeurs confondus. L’une ou l’autre œuvre de bienfaisance, elle ne travaillait pas. Ou bien alors bénévolement, charitablement comme il sied à l’épouse d’un fonctionnaire en représentation dans une région qui n’est pas la sienne et dont il sent confusément qu’elle est indigne de lui. Elle est présente, bienveillante, transparente, et elle transmet, si elle le juge nécessaire, aux oreilles de Monsieur son Epoux. Elle arbitre. Incontournable donc. En apparence.
Mais aujourd’hui, c’est fini. Elle s'est perdue. Hors de question de passer le reste de sa vie à se réveiller avec ces trois mots en tête. Elle allait devenir totalement cinglée sinon, et jusqu’à preuve du contraire, c'était peut-être ce qui s'était déjà produit. Elle fixe le plafond, les yeux grand ouverts et les minutes s’égrènent, digitales. En finir, soit, mais comment? Malheureusement, elle n'est pas malade et on vit vieux dans sa famille. Quant au suicide, elle y a déjà songé mais c'est une froussarde, elle a peur de souffrir. Alors quelle est cette solution qui lui permettrait de disparaître, sans culpabilité face aux survivants, sans heurts ? Un jour, je suis, un jour je ne suis plus. Trop facile. Pas de pilule bleue non plus, simulacre de la félicité. Elle arbore un masque suffisamment béat comme cela, pensa-t-elle. Elle vit huit heures s’afficher sur le réveil et son conjoint s’extirper avec difficulté de la couette et pensa une fois de plus « C’est fini ». Quoi, comment, elle n'en a aucune idée. Mais une seule certitude : elle ne pourra pas continuer comme cela indéfiniment. Ni même temporairement. Il en allait du salut de son âme, tout du moins de sa santé mentale. Et à cela, elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux.
Trois semaines s'étaient écoulées, trois semaines que Chloé n'était pas rentrée chez elle. De toute manière selon toute vraisemblance, la maison serait vide, son père ne quittait quasiment plus son bureau. Auparavant déjà, il appelait régulièrement pour se décommander « encore une réunion qui traîne en longueur » disait-il « impossible de me désister ». C'était devenu une habitude. Chloé mangeait en tête-à-tête avec sa mère qui finissait toujours par vider le reste de son assiette à la poubelle. « Il n'a même pas pensé à allumer le chauffage », Chloé s'est installée sur le canapé et s'est enveloppée dans le plaid que sa mère, frileuse, gardait en permanence à portée de la main. Il fait froid en ce début d'octobre. Passés les premiers moments d'agitation, les interrogatoires, les allées et venues des policiers, le calme était revenu. Une maison silencieuse, c'est ce que Chloé avait toujours connu. Et ce qu'elle avait absolument tenu à éviter. Durant trois semaines, elle avait squatté la chambre de l'une ou l'autre copine de fac, elle ne voulait pas se retrouver seule. Son père ne lui avait même pas téléphoné pour savoir comment elle allait ni où elle était. S'était-il d'ailleurs seulement rendu compte qu'elle n'était pas là? Mais elle n'arrêtait pas d'y penser, elle n'arrivait plus à se concentrer sur ses cours et plus elle y réfléchissait, moins elle comprenait. Elle n'avait aucune idée de ce qui était vraiment arrivé à sa mère. Les policiers parlaient de disparition volontaire, rien n'indiquait que sa mère était morte. Elle n'avait pas laissé de lettre, aucun mot d'explication. Aucune dispute qui ait pu provoquer son départ. D'ailleurs, ses parents ne se disputaient jamais, ils ne se parlaient pas, voilà tout. Un vague avis de recherche avait été placardé mais il s'agissait d' une procédure de pure forme. Les policiers s'étaient voulu rassurants. La majorité des personnes qui disparaissaient volontairement finissaient par regagner le domicile. Son père avait pris cette affirmation pour argent comptant et s'était refusé à effectuer une demande de recherche dans l'intérêt des familles. Sa réputation était bien trop précieuse et il tenait à garder « l'incident caché ». Pourtant, cela ne tenait qu'à lui, son poste de fonctionnaire haut-placé lui permettait de recourir à des moyens inaccessibles pour le commun des mortels. Mais il s'y refusait catégoriquement. Chloé s'était heurtée à un mur lorsqu'elle avait voulu aborder le sujet. Finalement, l'absence de son père à la maison était un soulagement. Chloé était revenue dans le seul but d'essayer de découvrir pourquoi sa mère s'était volatilisée sans laisser de traces. Pourquoi elle l'avait abandonnée? Chloé culpabilisait, sa rentrée à l'école vétérinaire avait monopolisé toute son attention et son énergie, elle ne se rappelait même plus la dernière fois où elle avait appelé sa mère. Mais lui aurait-elle parlé, cela aurait-il fait une quelconque différence? Sous son apparente énergie, sous son inaltérable sourire, Chloé avait toujours perçu chez sa mère une certaine mélancolie, une distance.
Chloé ramassa le sac à main qui trainait au pied du canapé. Celui de sa mère que les policiers avaient rapporté après en avoir confisqué le téléphone portable et photocopié toutes les pages de l'agenda. Un beau sac en cuir fauve, un sac de marque, cadeau de son père pour Noël. Chloé était surprise que sa mère ne l'ait pas emporté, elle qui le trimballait partout. Mais sa mère n'avait rien emmené, aucun vêtement, pas même son chéquier ni ses cartes bancaires. Les policiers avaient vérifié les comptes, aucun retrait suspect n'avait eu lieu. Chloé décida de répertorier le contenu du sac. Toute petite déjà, elle aimait farfouiller dans les affaires de sa mère, en cachette. Elle empocha le tube de gloss, sa mère les collectionnait. C'était le seul maquillage qu'elle s'autorisait. Des stylos, des tickets de supermarché, la dernière note du coiffeur (Chloé se souvint des critiques de son père à ce sujet), l'agenda où sa mère notait consciencieusement les dates d'anniversaire, les rdv chez le médecin ou chez le dentiste, une petite bouteille de parfum à l'odeur de violette, une liste de courses, un paquet de mouchoirs en papier, de la monnaie, des serviettes hygiéniques...Chloé s'attendait presque à se faire gronder pour sa curiosité. Elle se sentait à la fois mal à l'aise d'être aussi indiscrète et attristée par la banalité de son inventaire. La seule fantaisie qu'elle dénicha dans une trousse était une clé usb en forme de canette de bière. Un pied-de-nez aux origines belges de sa mère et pure provocation envers son père qui considérait la bière comme une boisson pour prolétaires. Dans sa cave, que des grands crus! C'est sur cette clé que sa mère stockait les musiques qu'elle aimait. Elle était branchée en permanence dans la voiture, la trouver dans son sac constituait une surprise en soi. Chloé alluma l'ordinateur, les policiers en avaient déjà certainement examiné les différents fichiers mais elle décida de les vérifier à son tour. Musiques des années 80, de Peter Gabriel à David Bowie en passant par Depeche Mode. Au grand désespoir de Chloé qui les trouvait ringards, même si elle faisait une exception pour U2. De la chanson française, le dernier album d'Angus & Julia Stone que sa mère écoutait en boucle pendant les vacances. Une pop douce et nostalgique qui, songea Chloé, devait correspondre parfaitement à son état d'esprit. Un fichier excel intitulé « Cent coups ». Un fichier incongru dont ce n'était pas la place. Chloé, intriguée, cliqua pour l'ouvrir et vit s'afficher une liste incompréhensible.
Il y a quelques minutes à peine, enfoncée sous la couette, elle tentait de prolonger la torpeur de la nuit, juste avant que sa conscience ne s’allume d’un seul coup et que les rouages de ses pensées ne se mettent en route, ne lui laissant aucun repos. Elle se prélassait dans un demi-sommeil, à cet instant précis où elle pouvait s’imaginer être n’importe qui, se trouver n’importe où. En l’occurrence, une autre, ailleurs. Mais à peine s’était-elle réveillée que ces trois mots avaient éclaté comme des bulles de savon, juste devant ses yeux, les larmes étaient venues d’un coup.
« C’est fini ». Elle avait prononcé ces trois mots à voix basse, le jour ne s'était pas levé, son corps marquait le matelas de son empreinte, et ses paupières étaient lourdes de sommeil inachevé. Et pourtant ces trois mots résonnaient aussi clairement que si elle les avait prononcés à voix haute. Son époux dormait à ses côtés, sa respiration calme, à peine ponctuée de ronflements sporadiques, rythmait les minutes. Un répit avant la sonnerie du réveil. Elle était bien éveillée à présent, son esprit martelait cette phrase sans relâche « C’est fini ».
Sa vie n’était pas insupportable, loin de là. Mais la lassitude s'était installée inexorablement, elle avait construit son nid et le travail achevé, s’y était lovée pour ne plus le quitter. Chaque matin, elle parvenait encore à effectuer les gestes du quotidien, à déposer les tranches de pain dans le toaster, à verser le café dans les porcelaines précieuses, à afficher le sourire de circonstance et à faire mine de ne pas voir les miettes sur la table. Et jour après jour, cela lui demandait un effort surhumain. Pourtant, elle continuait, sous peine de voir la façade se lézarder. Les années s'étaient accumulées en couches successives et avaient fini par former une gangue qui alourdissait sa silhouette et raidissait tous ses mouvements. Récemment, elle avait croisé son reflet dans une vitrine, elle s'en était effrayée. Etait-ce elle, cette femme au dos vouté? Les premières strates pourtant étincelaient. Son mariage, la naissance de Chloé. Des pépites. Elle eut un rire amer . Elle avait cru être tombé sur un véritable filon de bonheur. Vite enseveli par les absences répétées de Paul, des croûtes de boue de plus en plus épaisses, à la mesure de sa solitude, s'étaient accumulées.
Et ce matin. Trois mots, trois malheureux mots. Elle fixait le réveil, trente minutes de rémission encore avant qu'elle ne soit obligée d’endosser le masque habituel. Elle passa en revue ce que cette journée pourrait bien avoir d’inhabituel et qui marquerait ainsi son esprit. Mais rien ne la frappe, la litanie des doléances, conjoint, voisins, quémandeurs confondus. L’une ou l’autre œuvre de bienfaisance, elle ne travaillait pas. Ou bien alors bénévolement, charitablement comme il sied à l’épouse d’un fonctionnaire en représentation dans une région qui n’est pas la sienne et dont il sent confusément qu’elle est indigne de lui. Elle est présente, bienveillante, transparente, et elle transmet, si elle le juge nécessaire, aux oreilles de Monsieur son Epoux. Elle arbitre. Incontournable donc. En apparence.
Mais aujourd’hui, c’est fini. Elle s'est perdue. Hors de question de passer le reste de sa vie à se réveiller avec ces trois mots en tête. Elle allait devenir totalement cinglée sinon, et jusqu’à preuve du contraire, c'était peut-être ce qui s'était déjà produit. Elle fixe le plafond, les yeux grand ouverts et les minutes s’égrènent, digitales. En finir, soit, mais comment? Malheureusement, elle n'est pas malade et on vit vieux dans sa famille. Quant au suicide, elle y a déjà songé mais c'est une froussarde, elle a peur de souffrir. Alors quelle est cette solution qui lui permettrait de disparaître, sans culpabilité face aux survivants, sans heurts ? Un jour, je suis, un jour je ne suis plus. Trop facile. Pas de pilule bleue non plus, simulacre de la félicité. Elle arbore un masque suffisamment béat comme cela, pensa-t-elle. Elle vit huit heures s’afficher sur le réveil et son conjoint s’extirper avec difficulté de la couette et pensa une fois de plus « C’est fini ». Quoi, comment, elle n'en a aucune idée. Mais une seule certitude : elle ne pourra pas continuer comme cela indéfiniment. Ni même temporairement. Il en allait du salut de son âme, tout du moins de sa santé mentale. Et à cela, elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux.
Trois semaines s'étaient écoulées, trois semaines que Chloé n'était pas rentrée chez elle. De toute manière selon toute vraisemblance, la maison serait vide, son père ne quittait quasiment plus son bureau. Auparavant déjà, il appelait régulièrement pour se décommander « encore une réunion qui traîne en longueur » disait-il « impossible de me désister ». C'était devenu une habitude. Chloé mangeait en tête-à-tête avec sa mère qui finissait toujours par vider le reste de son assiette à la poubelle. « Il n'a même pas pensé à allumer le chauffage », Chloé s'est installée sur le canapé et s'est enveloppée dans le plaid que sa mère, frileuse, gardait en permanence à portée de la main. Il fait froid en ce début d'octobre. Passés les premiers moments d'agitation, les interrogatoires, les allées et venues des policiers, le calme était revenu. Une maison silencieuse, c'est ce que Chloé avait toujours connu. Et ce qu'elle avait absolument tenu à éviter. Durant trois semaines, elle avait squatté la chambre de l'une ou l'autre copine de fac, elle ne voulait pas se retrouver seule. Son père ne lui avait même pas téléphoné pour savoir comment elle allait ni où elle était. S'était-il d'ailleurs seulement rendu compte qu'elle n'était pas là? Mais elle n'arrêtait pas d'y penser, elle n'arrivait plus à se concentrer sur ses cours et plus elle y réfléchissait, moins elle comprenait. Elle n'avait aucune idée de ce qui était vraiment arrivé à sa mère. Les policiers parlaient de disparition volontaire, rien n'indiquait que sa mère était morte. Elle n'avait pas laissé de lettre, aucun mot d'explication. Aucune dispute qui ait pu provoquer son départ. D'ailleurs, ses parents ne se disputaient jamais, ils ne se parlaient pas, voilà tout. Un vague avis de recherche avait été placardé mais il s'agissait d' une procédure de pure forme. Les policiers s'étaient voulu rassurants. La majorité des personnes qui disparaissaient volontairement finissaient par regagner le domicile. Son père avait pris cette affirmation pour argent comptant et s'était refusé à effectuer une demande de recherche dans l'intérêt des familles. Sa réputation était bien trop précieuse et il tenait à garder « l'incident caché ». Pourtant, cela ne tenait qu'à lui, son poste de fonctionnaire haut-placé lui permettait de recourir à des moyens inaccessibles pour le commun des mortels. Mais il s'y refusait catégoriquement. Chloé s'était heurtée à un mur lorsqu'elle avait voulu aborder le sujet. Finalement, l'absence de son père à la maison était un soulagement. Chloé était revenue dans le seul but d'essayer de découvrir pourquoi sa mère s'était volatilisée sans laisser de traces. Pourquoi elle l'avait abandonnée? Chloé culpabilisait, sa rentrée à l'école vétérinaire avait monopolisé toute son attention et son énergie, elle ne se rappelait même plus la dernière fois où elle avait appelé sa mère. Mais lui aurait-elle parlé, cela aurait-il fait une quelconque différence? Sous son apparente énergie, sous son inaltérable sourire, Chloé avait toujours perçu chez sa mère une certaine mélancolie, une distance.
Chloé ramassa le sac à main qui trainait au pied du canapé. Celui de sa mère que les policiers avaient rapporté après en avoir confisqué le téléphone portable et photocopié toutes les pages de l'agenda. Un beau sac en cuir fauve, un sac de marque, cadeau de son père pour Noël. Chloé était surprise que sa mère ne l'ait pas emporté, elle qui le trimballait partout. Mais sa mère n'avait rien emmené, aucun vêtement, pas même son chéquier ni ses cartes bancaires. Les policiers avaient vérifié les comptes, aucun retrait suspect n'avait eu lieu. Chloé décida de répertorier le contenu du sac. Toute petite déjà, elle aimait farfouiller dans les affaires de sa mère, en cachette. Elle empocha le tube de gloss, sa mère les collectionnait. C'était le seul maquillage qu'elle s'autorisait. Des stylos, des tickets de supermarché, la dernière note du coiffeur (Chloé se souvint des critiques de son père à ce sujet), l'agenda où sa mère notait consciencieusement les dates d'anniversaire, les rdv chez le médecin ou chez le dentiste, une petite bouteille de parfum à l'odeur de violette, une liste de courses, un paquet de mouchoirs en papier, de la monnaie, des serviettes hygiéniques...Chloé s'attendait presque à se faire gronder pour sa curiosité. Elle se sentait à la fois mal à l'aise d'être aussi indiscrète et attristée par la banalité de son inventaire. La seule fantaisie qu'elle dénicha dans une trousse était une clé usb en forme de canette de bière. Un pied-de-nez aux origines belges de sa mère et pure provocation envers son père qui considérait la bière comme une boisson pour prolétaires. Dans sa cave, que des grands crus! C'est sur cette clé que sa mère stockait les musiques qu'elle aimait. Elle était branchée en permanence dans la voiture, la trouver dans son sac constituait une surprise en soi. Chloé alluma l'ordinateur, les policiers en avaient déjà certainement examiné les différents fichiers mais elle décida de les vérifier à son tour. Musiques des années 80, de Peter Gabriel à David Bowie en passant par Depeche Mode. Au grand désespoir de Chloé qui les trouvait ringards, même si elle faisait une exception pour U2. De la chanson française, le dernier album d'Angus & Julia Stone que sa mère écoutait en boucle pendant les vacances. Une pop douce et nostalgique qui, songea Chloé, devait correspondre parfaitement à son état d'esprit. Un fichier excel intitulé « Cent coups ». Un fichier incongru dont ce n'était pas la place. Chloé, intriguée, cliqua pour l'ouvrir et vit s'afficher une liste incompréhensible.
Yellow_Submarine- Nombre de messages : 278
Age : 53
Localisation : Fougères
Date d'inscription : 08/01/2010
Re: Cent coups
Lu et relu, et malgré mes aller-retour je crains de ne pas avoir tout compris.
Dans tous les cas, j'ai aimé.
Un peu d'inventivité dans le vocabulaire et la construction syntaxique n'auraient pas été de trop pour me plaire.
Dans tous les cas, j'ai aimé.
Un peu d'inventivité dans le vocabulaire et la construction syntaxique n'auraient pas été de trop pour me plaire.
Re: Cent coups
Si ce n'est pas clair, ce n'est pas bon. Que n'as-tu pas compris, Lol47?
< On évite, svp, de réagir à chaque commentaire, pour la suite des interventions, merci.
La Modération >
.
< On évite, svp, de réagir à chaque commentaire, pour la suite des interventions, merci.
La Modération >
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Yellow_Submarine- Nombre de messages : 278
Age : 53
Localisation : Fougères
Date d'inscription : 08/01/2010
Re: Cent coups
Je me rappelle le texte que vous reprenez ici ; je n'ai pas lu cette nouvelle version, puisque je connaissais déjà l'histoire, mais je me rappelle que l'ancienne m'avait intéressée. Je lirai la suite avec plaisir.
Invité- Invité
Re: Cent coups
Modération, c'est la dernière fois que je réagis sur mon texte, veuillez m'en excuser. Je voulais juste signaler à socque que les 2 derniers paragraphes sont nouveaux.
< Pas de souci, merci de votre compréhension.
La Modération >
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Yellow_Submarine- Nombre de messages : 278
Age : 53
Localisation : Fougères
Date d'inscription : 08/01/2010
Re: Cent coups
Je les ai lus et trouve le dernier trop détaillé ; il annonce un avancement de l'action mais traîne un peu, à mon avis.
Invité- Invité
Re: Cent coups
C'est chiant que l'auteur ne puisse jamais répondre.
Sans qu'il soit accusé de faire un up.
Dans ce cas-là, (jeu de maux) personne ne commente plus personne et tout le monde se fait chier.
Sans qu'il soit accusé de faire un up.
Dans ce cas-là, (jeu de maux) personne ne commente plus personne et tout le monde se fait chier.
Re: Cent coups
pour ça que tu viens juste de le faire pour ton dernier texte ?lol47 a écrit:C'est chiant que l'auteur ne puisse jamais répondre.
Sans qu'il soit accusé de faire un up.
Dans ce cas-là, (jeu de maux) personne ne commente plus personne et tout le monde se fait chier.
sympa
on en parle assez ces derniers temps pour que, justement, chacun reste discret
sans forcément "se faire chier"
Désolé, Yellow, de ces apartes incongrus derrière ton texte
Re: Cent coups
Je ne me souviens pas avoir lu quelque chose de ressemblant, et ce début m'intéresse.
Oui, la suite serait bienvenue, tu tiens sans doute quelque chose ;-)
Quelques remarques sur la forme :
"Elle avait cru être tombé" : tombéE
"Les policiers s'étaient voulu rassurants" : vouluS ? (pas sûr)
"haut-placé" : je ne mettrais pas de trait d'union, moi
"Mais sa mère n'avait rien emmené" : "emporté" serait plus judicieux
Et puis je trouve qu'il y a beaucoup d'adverbes en -ment, non ? Je les remarque car c'est (c'était) aussi un de mes propres défauts ;-)
Quelques soucis dans les temps trop changeants des verbes, je trouve. On passe parfois du présent au passé - et inversement - sans bonne raison
Oui, la suite serait bienvenue, tu tiens sans doute quelque chose ;-)
Quelques remarques sur la forme :
"Elle avait cru être tombé" : tombéE
"Les policiers s'étaient voulu rassurants" : vouluS ? (pas sûr)
"haut-placé" : je ne mettrais pas de trait d'union, moi
"Mais sa mère n'avait rien emmené" : "emporté" serait plus judicieux
Et puis je trouve qu'il y a beaucoup d'adverbes en -ment, non ? Je les remarque car c'est (c'était) aussi un de mes propres défauts ;-)
Quelques soucis dans les temps trop changeants des verbes, je trouve. On passe parfois du présent au passé - et inversement - sans bonne raison
Re: Cent coups
L'histoire est intéressante et donne envie d'en savoir plus mais parfois le traitement fait un peu décrocher. C'est une question de goût mais je pense que l'idée gagnerait en densité et en force en resserrant un peu le texte. Et je rejoins ce qui a été dit sur les changements de temps, en particulier dans le dernier paragraphe concernant les pensées de la mère.
A suivre !
A suivre !
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Cent coups
Eh bien j' ai l'impression d'être dans un roman. On prend le temps de dire, de décrire, je trouve les nouveaux paragraphes réussis. En tout cas, j'ai trouvé frustrant de devoir arrêter déjà ma lecture ce qui est signe que je ne m'ennuie pas. Hâte d'en savoir plus sur ces personnages ces évènements et sur ce suspense !
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Cent coups
Autant j'avais apprécié le début de ce texte, autant j'ai peiné à lire la suite que je trouve dense, bien trop explicative. Avec une forme de prévisibilité de l'expression et du contenu qui ne me convainc pas (pas encore, peut-être ?).
Invité- Invité
Re: Cent coups
Reprise, modifications et ajouts
A cent pas du bonheur
7 septembre
Manon
Il y a quelques minutes à peine, enfoncée sous la couette, elle tentait de prolonger la torpeur de la nuit, juste avant que sa conscience ne s’allume d’un seul coup et que les rouages de ses pensées ne se mettent en route, ne lui laissant aucun repos. Elle se prélassait dans un demi-sommeil, à cet instant précis où elle pouvait s’imaginer être n’importe qui, se trouver n’importe où. En l’occurrence, une autre, ailleurs. Mais à peine s’était-elle réveillée que ces trois mots avaient éclaté comme des bulles de savon, juste devant ses yeux, les larmes étaient venues d’un coup.
« C’est fini ». Elle avait prononcé ces trois mots à voix basse, le jour ne s'était pas levé, son corps marquait le matelas de son empreinte, et ses paupières étaient lourdes de sommeil inachevé. Et pourtant ces trois mots résonnaient aussi clairement que si elle les avait prononcés à voix haute. Son époux dormait à ses côtés, sa respiration calme, à peine ponctuée de ronflements sporadiques, rythmait les minutes. Un répit avant la sonnerie du réveil. Elle était bien éveillée à présent, son esprit martelait cette phrase sans relâche « C’est fini ».
Sa vie n’était pas insupportable, loin de là. Mais la lassitude s'était installée inexorablement, elle avait construit son nid et le travail achevé, s’y était lovée pour ne plus le quitter. Chaque matin, elle parvenait encore à effectuer les gestes du quotidien, à déposer les tranches de pain dans le toaster, à verser le café dans les porcelaines précieuses, à afficher le sourire de circonstance et à faire mine de ne pas voir les miettes sur la table. Et jour après jour, cela lui demandait un effort surhumain. Pourtant, elle continuait, sous peine de voir la façade se lézarder. Les années s'étaient accumulées en couches successives et avaient fini par former une gangue qui alourdissait sa silhouette et raidissait tous ses mouvements. Récemment, elle avait croisé son reflet dans une vitrine, elle s'en était effrayée. Etait-ce elle, cette femme au dos voûté? Les premières strates pourtant étincelaient. Son mariage, la naissance de Chloé. Des pépites. Elle eut un rire amer. Elle avait cru être tombée sur un véritable filon de bonheur. Vite enseveli par les absences répétées de Paul, des croûtes de boue de plus en plus épaisses, à la mesure de sa solitude, s'étaient accumulées.
Et ce matin. Trois mots, trois malheureux mots. Elle fixait le réveil, trente minutes de rémission encore avant qu'elle ne fut obligée d’endosser le masque habituel. Elle passa en revue ce que cette journée pourrait bien avoir d’inhabituel et qui marquerait ainsi son esprit. Mais rien ne la frappa, la litanie des doléances, conjoint, voisins, quémandeurs confondus. L’une ou l’autre œuvre de bienfaisance, elle ne travaillait pas. Ou bien alors en bénévole, charitablement comme il sied à l’épouse d’un fonctionnaire en représentation dans une région qui n’est pas la sienne et dont il sent confusément qu’elle est indigne de lui. Elle était présente, bienveillante, transparente, et elle transmettait, si elle le jugeait nécessaire, aux oreilles de Monsieur son Epoux. Elle arbitrait. Incontournable donc. En apparence.
Mais aujourd’hui, elle avait décidé que c’était terminé. Elle s'était perdue. Hors de question de passer le reste de sa vie à se réveiller avec ces trois mots en tête. Elle allait devenir totalement cinglée sinon, et jusqu’à preuve du contraire, c'était peut-être ce qui s'était déjà produit. Elle fixait le plafond, les yeux grand ouverts et les minutes s’égrenaient, digitales. En finir, soit, mais comment? Elle n'était pas malade et on vivait vieux dans sa famille. Quant au suicide, elle y avait déjà songé mais elle était bien trop froussarde, elle avait peur de souffrir, peur de se rater. Alors quelle était cette solution qui lui permettrait de disparaître, sans culpabilité face aux survivants, sans heurts ? Un jour, je suis, un jour je ne suis plus. Trop facile. Pas de pilule bleue non plus, simulacre de la félicité. Elle arborait un masque suffisamment béat comme cela, pensa-t-elle. Elle vit huit heures s’afficher sur le réveil et son conjoint s’extirper avec difficulté de la couette et pensa une fois de plus « C’est fini ». Quoi, comment, elle n'en avait aucune idée. Mais une seule certitude : elle ne pourrait pas continuer comme cela indéfiniment. Ni même temporairement. Il en allait du salut de son âme, tout du moins de sa santé mentale. Et à cela, elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux.
4 octobre
Chloé
Trois semaines s'étaient écoulées, trois semaines que Chloé n'était pas rentrée chez elle. De toute manière selon toute vraisemblance, la maison serait vide, son père ne quittait quasiment plus son bureau. Auparavant déjà, il appelait régulièrement pour se décommander « encore une réunion qui traîne en longueur » disait-il « impossible de me désister ». C'était devenu une habitude. Chloé mangeait en tête-à-tête avec sa mère qui finissait toujours par vider le reste de son assiette à la poubelle. « Il n'a même pas pensé à allumer le chauffage », Chloé s’était installée sur le canapé et enveloppée dans le plaid que sa mère, frileuse, gardait en permanence à portée de la main. Il faisait froid en ce début d'octobre. Passés les premiers moments d'agitation, les interrogatoires, les allées et venues des policiers, le calme était revenu. Une maison silencieuse, c’était ce que Chloé avait toujours connu. Et ce qu'elle avait absolument tenu à éviter. Durant trois semaines, elle avait squatté la chambre de l'une ou l'autre copine de fac, elle ne voulait pas se retrouver seule. Son père ne lui avait même pas téléphoné pour savoir comment elle allait ni où elle était. S'était-il d'ailleurs seulement rendu compte qu'elle n'était pas là? Mais elle n'arrêtait pas d'y penser, elle n'arrivait plus à se concentrer sur ses cours et plus elle y réfléchissait, moins elle comprenait. Elle n'avait aucune idée de ce qui était vraiment arrivé à sa mère. Les policiers parlaient de disparition volontaire, rien n'indiquait que sa mère était morte. Elle n'avait pas laissé de lettre, aucun mot d'explication. Aucune dispute qui ait pu provoquer son départ. D'ailleurs, ses parents ne se disputaient jamais, ils ne se parlaient pas, voilà tout. Un vague avis de recherche avait été placardé mais il s'agissait d'une procédure de pure forme. Chloé avait vu l’affichette, elle n’avait pas reconnu sa mère sur la photo, ni dans son signalement « Disparue, Manon, 45 ans, cheveux bruns mi-longs ». Les policiers s'étaient voulus rassurants. La majorité des personnes qui disparaissaient volontairement finissaient par regagner le domicile. Son père avait pris cette affirmation pour argent comptant et s'était refusé à effectuer une demande de recherche dans l'intérêt des familles. Sa réputation était bien trop précieuse et il tenait à garder « l'incident caché ». En soi, l'absence de son père à la maison constituait un soulagement. Chloé ne se sentait pas la force de lui parler. Elle était revenue dans le seul but d'essayer de découvrir pourquoi sa mère s'était volatilisée sans laisser de traces. Pourquoi elle l'avait abandonnée? Chloé culpabilisait, sa rentrée à l'école vétérinaire avait monopolisé toute son attention et son énergie, elle ne se rappelait même plus la dernière fois où elle avait appelé sa mère. Mais lui aurait-elle parlé, cela aurait-il fait une quelconque différence? Sous son apparente énergie, sous son inaltérable sourire, Chloé avait toujours perçu chez sa mère une certaine mélancolie, une distance.
Chloé ramassa le sac à main qui traînait au pied du canapé. Celui de sa mère que les policiers avaient rapporté après en avoir confisqué le téléphone portable et photocopié toutes les pages de l'agenda. Un beau sac en cuir fauve, un sac de marque, cadeau de son père pour Noël. Chloé était surprise que sa mère ne l'ait pas emporté, elle qui le trimballait partout. Mais sa mère n'avait rien emmené, aucun vêtement, pas même son chéquier ni ses cartes bancaires. Chloé décida de répertorier le contenu du sac. Toute petite déjà, elle aimait farfouiller dans les affaires de sa mère, en cachette. Elle empocha le tube de gloss, sa mère les collectionnait. C'était le seul maquillage qu'elle s'autorisait. Des stylos, des tickets de supermarché, la dernière note du coiffeur (Chloé se souvint des critiques de son père à ce sujet), l'agenda dans lequel sa mère notait consciencieusement les dates d'anniversaire, les rendez-vous chez le médecin ou chez le dentiste, une petite bouteille de parfum à l'odeur de violette, une liste de courses, un paquet de mouchoirs en papier, de la menue monnaie...Chloé s'attendait presque à se faire gronder pour sa curiosité. Elle se sentait à la fois mal à l'aise d'être aussi indiscrète et attristée par la banalité de son inventaire. La seule babiole qu'elle dénicha dans une trousse était une clé usb en forme de canette de bière. Un pied-de-nez aux origines belges de sa mère et pure provocation envers son père qui considérait la bière comme une boisson pour prolétaires. Dans sa cave, que des grands crus! C'est sur cette clé que sa mère stockait les musiques qu'elle aimait. Elle était branchée en permanence dans la voiture, la trouver dans son sac constituait une surprise en soi. Chloé alluma l'ordinateur, les policiers en avaient déjà certainement examiné les différents fichiers mais elle décida de les vérifier à son tour. Musiques des années 80, de Peter Gabriel à David Bowie en passant par Depeche Mode. Au grand désespoir de Chloé qui les trouvait ringards, même si elle faisait une exception pour U2. De la chanson française, le dernier album d'Angus & Julia Stone que sa mère écoutait en boucle pendant les vacances. Une pop douce et nostalgique qui, songea Chloé, devait correspondre parfaitement à son état d'esprit. Un fichier excel intitulé « Cent coups ». Un fichier incongru dont ce n'était pas la place. Chloé, intriguée, cliqua pour l'ouvrir et vit s'afficher une liste incompréhensible.
Une liste. Chloé la parcourut avec une incrédulité croissante. Elle crut tout d’abord que c’était sa mère qui l’avait rédigée. Il s’agissait de ce genre de listes « Cent choses à faire avant de mourir » qu’on trouve sur Internet et qui font rêver. Ce n’était pourtant pas le genre de Manon de perdre son temps en vaines illusions. Chloé avait toujours pensé que sa mère était l'incarnation même du pragmatisme, c'était plutôt elle la rêveuse, « sa Majesté des Mouches » comme la surnommait sa mère pour la taquiner. Mais après tout, pourquoi pas? Sa mère avait peut-être voulu échapper un moment à la monotonie pesante du quotidien en imaginant des voyages de rêve : Kuala Lumpur, La Paz, Bilbao...Mais au fur et à mesure de sa lecture, Chloé se mit à douter de son hypothèse « regarder un film X ensemble », « te choisir de la belle lingerie », « faire une sieste crapuleuse avec toi », « te voir saoule »...Qui avait bien pu envoyer un tel programme à sa mère? Chloé écarta son père d'emblée. La simple idée qu'il ait pu rédiger ces projets fantaisistes était totalement inconcevable. Elle se sentit gagnée d'un rire nerveux. Mais qui alors? Un amour de jeunesse? Un amant? Sa mère avait-elle une liaison adultère? Cela expliquerait sa disparition. Chloé consulta la date de création de la liste, le sept septembre, soit quelques jours avant que sa mère ne s'évanouisse dans la nature. Pourquoi les policiers n'avaient-ils pas approfondi cette piste? Ils avaient dû penser qu'il s'agissait des élucubrations d'une femme seule. C'est ce qu'elle, sa propre fille, avait cru de prime abord. Raison de plus qu'eux-mêmes en soient convaincus, d'autant qu'ils se fiaient à la description que son père en avait fait, celui d'une femme terne, effacée, sans grande passion. L'idée que sa mère ait pu connaître le bonheur dans les bras d'un autre homme, loin de choquer Chloé, la séduisait. Elle s'était depuis bien longtemps rendu compte que ses parents n'étaient plus que des étrangers l'un pour l'autre. Sa mère avait dû être aimée par cet étranger, elle avait dû être heureuse, il suffisait de parcourir la liste pour s'en rendre compte. Tendresse, fantaisie, désir, douceur, passion, la promesse d'un avenir serein et fou à la fois. Chloé l'enviait d'avoir vécu un tel amour. Elle songea aussi que sa mère possédait une personnalité bien plus complexe qu'il n'y paraissait. Le portrait que son père en avait brossé était injuste et erroné, Chloé pouvait y apporter plus de nuances mais il demeurait incomplet, une simple esquisse. Il était temps pour elle de partir à la recherche de sa mère, de suivre les traces de Manon, cette inconnue.
5 octobre, Carnets de Chloé
La discussion s’est déroulée comme je le redoutais. Aucun hurlement, il n’a même pas haussé le ton. Papa ne crie jamais, c’est totalement inutile. Par un curieux phénomène, sous l’effet de la colère, sa voix se métamorphose, se transforme. Elle prend des inflexions métalliques. Elle se solidifie littéralement pour acquérir la dureté et le tranchant incomparable des Haikus Itamae, ces couteaux japonais fabriqués par les descendants des artisans qui étaient réputés pour forger autrefois les sabres des samouraïs dans l’acier le plus pur, le plus noble, le plus affûté. Le fil aiguisé de son indignation vous hache en deux, comme un vulgaire poulet.
Cela n’a pas loupé. J’avais à peine terminé de lui expliquer mon intention de prendre une année sabbatique afin de retrouver maman qu’il m’a interrompue. Il ne m’a pas demandé comment j’allais procéder, ni même quelle était cette piste que la police avait négligée et que j’avais décidé de poursuivre, bille en tête. Son timbre acéré a fauché mes derniers mots « N’imagine pas un seul instant recevoir mon soutien financier dans cette aventure ! » Puis il a relevé l’écran de son ordinateur « Laisse-moi Chloé maintenant. J’attends un autre rendez-vous. » Pas un seul instant il n’a exprimé son inquiétude et moins encore son désir de voir maman réapparaître et il m'a encore moins laissé le temps de lui crier ma propre colère face à son indifférence. De toute manière, à quoi bon. Son attitude ne change en rien mes projets. Je dispose d’un petit pécule que m’a légué ma grand-mère à sa mort. Elle serait heureuse de voir à quelle fin je le consacre. J’ai donc quitté son bureau et me voilà de retour à la maison. Je parcours une fois de plus cette satanée liste. Mais que t’est-il donc passé par la tête, maman ? J’ignore totalement comment je vais m’y prendre, je ne sais pas par quel bout commencer. L’ordre de la liste a-t-il une quelconque importance ? Et pourquoi ne pas commencer par le plus simple, le plus évident ? Le gros avantage d’habiter Paris, c’est qu’il est possible de réaliser la grande majorité des résolutions énumérées dans cette liste sans quitter la ville. Prenez celle-ci par exemple.
1.Manger avec des baguettes chez Vong
Chez Vong est une institution parisienne. Vous trouverez le meilleur restaurant chinois de la capitale caché derrière une façade sans prétention en plein cœur de Paris. Cette banale maison du quartier des Halles abrite un décor somptueux et raffiné de bambous, de vases et de sculptures auxquelles la pénombre ambiante ajoute une touche de mystère et de dépaysement. Avec maman, nous y mangeons depuis de nombreuses années et toujours avec autant de délectation. L'imposant bouddha de beurre de cent kilos que Monsieur Vong a sculpté à l'occasion d'une soirée de gala du festival de Cannes et qu'il protège comme la prunelle de ses yeux dans une châsse de verre à l'entrée du restaurant m'est aussi familier que l'ours en peluche qui trône dans ma chambre depuis ma naissance. A qui voulait-elle donc faire découvrir ce temple culinaire ? Pourquoi ne pas m’y rendre dès ce soir ?
A cent pas du bonheur
7 septembre
Manon
Il y a quelques minutes à peine, enfoncée sous la couette, elle tentait de prolonger la torpeur de la nuit, juste avant que sa conscience ne s’allume d’un seul coup et que les rouages de ses pensées ne se mettent en route, ne lui laissant aucun repos. Elle se prélassait dans un demi-sommeil, à cet instant précis où elle pouvait s’imaginer être n’importe qui, se trouver n’importe où. En l’occurrence, une autre, ailleurs. Mais à peine s’était-elle réveillée que ces trois mots avaient éclaté comme des bulles de savon, juste devant ses yeux, les larmes étaient venues d’un coup.
« C’est fini ». Elle avait prononcé ces trois mots à voix basse, le jour ne s'était pas levé, son corps marquait le matelas de son empreinte, et ses paupières étaient lourdes de sommeil inachevé. Et pourtant ces trois mots résonnaient aussi clairement que si elle les avait prononcés à voix haute. Son époux dormait à ses côtés, sa respiration calme, à peine ponctuée de ronflements sporadiques, rythmait les minutes. Un répit avant la sonnerie du réveil. Elle était bien éveillée à présent, son esprit martelait cette phrase sans relâche « C’est fini ».
Sa vie n’était pas insupportable, loin de là. Mais la lassitude s'était installée inexorablement, elle avait construit son nid et le travail achevé, s’y était lovée pour ne plus le quitter. Chaque matin, elle parvenait encore à effectuer les gestes du quotidien, à déposer les tranches de pain dans le toaster, à verser le café dans les porcelaines précieuses, à afficher le sourire de circonstance et à faire mine de ne pas voir les miettes sur la table. Et jour après jour, cela lui demandait un effort surhumain. Pourtant, elle continuait, sous peine de voir la façade se lézarder. Les années s'étaient accumulées en couches successives et avaient fini par former une gangue qui alourdissait sa silhouette et raidissait tous ses mouvements. Récemment, elle avait croisé son reflet dans une vitrine, elle s'en était effrayée. Etait-ce elle, cette femme au dos voûté? Les premières strates pourtant étincelaient. Son mariage, la naissance de Chloé. Des pépites. Elle eut un rire amer. Elle avait cru être tombée sur un véritable filon de bonheur. Vite enseveli par les absences répétées de Paul, des croûtes de boue de plus en plus épaisses, à la mesure de sa solitude, s'étaient accumulées.
Et ce matin. Trois mots, trois malheureux mots. Elle fixait le réveil, trente minutes de rémission encore avant qu'elle ne fut obligée d’endosser le masque habituel. Elle passa en revue ce que cette journée pourrait bien avoir d’inhabituel et qui marquerait ainsi son esprit. Mais rien ne la frappa, la litanie des doléances, conjoint, voisins, quémandeurs confondus. L’une ou l’autre œuvre de bienfaisance, elle ne travaillait pas. Ou bien alors en bénévole, charitablement comme il sied à l’épouse d’un fonctionnaire en représentation dans une région qui n’est pas la sienne et dont il sent confusément qu’elle est indigne de lui. Elle était présente, bienveillante, transparente, et elle transmettait, si elle le jugeait nécessaire, aux oreilles de Monsieur son Epoux. Elle arbitrait. Incontournable donc. En apparence.
Mais aujourd’hui, elle avait décidé que c’était terminé. Elle s'était perdue. Hors de question de passer le reste de sa vie à se réveiller avec ces trois mots en tête. Elle allait devenir totalement cinglée sinon, et jusqu’à preuve du contraire, c'était peut-être ce qui s'était déjà produit. Elle fixait le plafond, les yeux grand ouverts et les minutes s’égrenaient, digitales. En finir, soit, mais comment? Elle n'était pas malade et on vivait vieux dans sa famille. Quant au suicide, elle y avait déjà songé mais elle était bien trop froussarde, elle avait peur de souffrir, peur de se rater. Alors quelle était cette solution qui lui permettrait de disparaître, sans culpabilité face aux survivants, sans heurts ? Un jour, je suis, un jour je ne suis plus. Trop facile. Pas de pilule bleue non plus, simulacre de la félicité. Elle arborait un masque suffisamment béat comme cela, pensa-t-elle. Elle vit huit heures s’afficher sur le réveil et son conjoint s’extirper avec difficulté de la couette et pensa une fois de plus « C’est fini ». Quoi, comment, elle n'en avait aucune idée. Mais une seule certitude : elle ne pourrait pas continuer comme cela indéfiniment. Ni même temporairement. Il en allait du salut de son âme, tout du moins de sa santé mentale. Et à cela, elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux.
4 octobre
Chloé
Trois semaines s'étaient écoulées, trois semaines que Chloé n'était pas rentrée chez elle. De toute manière selon toute vraisemblance, la maison serait vide, son père ne quittait quasiment plus son bureau. Auparavant déjà, il appelait régulièrement pour se décommander « encore une réunion qui traîne en longueur » disait-il « impossible de me désister ». C'était devenu une habitude. Chloé mangeait en tête-à-tête avec sa mère qui finissait toujours par vider le reste de son assiette à la poubelle. « Il n'a même pas pensé à allumer le chauffage », Chloé s’était installée sur le canapé et enveloppée dans le plaid que sa mère, frileuse, gardait en permanence à portée de la main. Il faisait froid en ce début d'octobre. Passés les premiers moments d'agitation, les interrogatoires, les allées et venues des policiers, le calme était revenu. Une maison silencieuse, c’était ce que Chloé avait toujours connu. Et ce qu'elle avait absolument tenu à éviter. Durant trois semaines, elle avait squatté la chambre de l'une ou l'autre copine de fac, elle ne voulait pas se retrouver seule. Son père ne lui avait même pas téléphoné pour savoir comment elle allait ni où elle était. S'était-il d'ailleurs seulement rendu compte qu'elle n'était pas là? Mais elle n'arrêtait pas d'y penser, elle n'arrivait plus à se concentrer sur ses cours et plus elle y réfléchissait, moins elle comprenait. Elle n'avait aucune idée de ce qui était vraiment arrivé à sa mère. Les policiers parlaient de disparition volontaire, rien n'indiquait que sa mère était morte. Elle n'avait pas laissé de lettre, aucun mot d'explication. Aucune dispute qui ait pu provoquer son départ. D'ailleurs, ses parents ne se disputaient jamais, ils ne se parlaient pas, voilà tout. Un vague avis de recherche avait été placardé mais il s'agissait d'une procédure de pure forme. Chloé avait vu l’affichette, elle n’avait pas reconnu sa mère sur la photo, ni dans son signalement « Disparue, Manon, 45 ans, cheveux bruns mi-longs ». Les policiers s'étaient voulus rassurants. La majorité des personnes qui disparaissaient volontairement finissaient par regagner le domicile. Son père avait pris cette affirmation pour argent comptant et s'était refusé à effectuer une demande de recherche dans l'intérêt des familles. Sa réputation était bien trop précieuse et il tenait à garder « l'incident caché ». En soi, l'absence de son père à la maison constituait un soulagement. Chloé ne se sentait pas la force de lui parler. Elle était revenue dans le seul but d'essayer de découvrir pourquoi sa mère s'était volatilisée sans laisser de traces. Pourquoi elle l'avait abandonnée? Chloé culpabilisait, sa rentrée à l'école vétérinaire avait monopolisé toute son attention et son énergie, elle ne se rappelait même plus la dernière fois où elle avait appelé sa mère. Mais lui aurait-elle parlé, cela aurait-il fait une quelconque différence? Sous son apparente énergie, sous son inaltérable sourire, Chloé avait toujours perçu chez sa mère une certaine mélancolie, une distance.
Chloé ramassa le sac à main qui traînait au pied du canapé. Celui de sa mère que les policiers avaient rapporté après en avoir confisqué le téléphone portable et photocopié toutes les pages de l'agenda. Un beau sac en cuir fauve, un sac de marque, cadeau de son père pour Noël. Chloé était surprise que sa mère ne l'ait pas emporté, elle qui le trimballait partout. Mais sa mère n'avait rien emmené, aucun vêtement, pas même son chéquier ni ses cartes bancaires. Chloé décida de répertorier le contenu du sac. Toute petite déjà, elle aimait farfouiller dans les affaires de sa mère, en cachette. Elle empocha le tube de gloss, sa mère les collectionnait. C'était le seul maquillage qu'elle s'autorisait. Des stylos, des tickets de supermarché, la dernière note du coiffeur (Chloé se souvint des critiques de son père à ce sujet), l'agenda dans lequel sa mère notait consciencieusement les dates d'anniversaire, les rendez-vous chez le médecin ou chez le dentiste, une petite bouteille de parfum à l'odeur de violette, une liste de courses, un paquet de mouchoirs en papier, de la menue monnaie...Chloé s'attendait presque à se faire gronder pour sa curiosité. Elle se sentait à la fois mal à l'aise d'être aussi indiscrète et attristée par la banalité de son inventaire. La seule babiole qu'elle dénicha dans une trousse était une clé usb en forme de canette de bière. Un pied-de-nez aux origines belges de sa mère et pure provocation envers son père qui considérait la bière comme une boisson pour prolétaires. Dans sa cave, que des grands crus! C'est sur cette clé que sa mère stockait les musiques qu'elle aimait. Elle était branchée en permanence dans la voiture, la trouver dans son sac constituait une surprise en soi. Chloé alluma l'ordinateur, les policiers en avaient déjà certainement examiné les différents fichiers mais elle décida de les vérifier à son tour. Musiques des années 80, de Peter Gabriel à David Bowie en passant par Depeche Mode. Au grand désespoir de Chloé qui les trouvait ringards, même si elle faisait une exception pour U2. De la chanson française, le dernier album d'Angus & Julia Stone que sa mère écoutait en boucle pendant les vacances. Une pop douce et nostalgique qui, songea Chloé, devait correspondre parfaitement à son état d'esprit. Un fichier excel intitulé « Cent coups ». Un fichier incongru dont ce n'était pas la place. Chloé, intriguée, cliqua pour l'ouvrir et vit s'afficher une liste incompréhensible.
Une liste. Chloé la parcourut avec une incrédulité croissante. Elle crut tout d’abord que c’était sa mère qui l’avait rédigée. Il s’agissait de ce genre de listes « Cent choses à faire avant de mourir » qu’on trouve sur Internet et qui font rêver. Ce n’était pourtant pas le genre de Manon de perdre son temps en vaines illusions. Chloé avait toujours pensé que sa mère était l'incarnation même du pragmatisme, c'était plutôt elle la rêveuse, « sa Majesté des Mouches » comme la surnommait sa mère pour la taquiner. Mais après tout, pourquoi pas? Sa mère avait peut-être voulu échapper un moment à la monotonie pesante du quotidien en imaginant des voyages de rêve : Kuala Lumpur, La Paz, Bilbao...Mais au fur et à mesure de sa lecture, Chloé se mit à douter de son hypothèse « regarder un film X ensemble », « te choisir de la belle lingerie », « faire une sieste crapuleuse avec toi », « te voir saoule »...Qui avait bien pu envoyer un tel programme à sa mère? Chloé écarta son père d'emblée. La simple idée qu'il ait pu rédiger ces projets fantaisistes était totalement inconcevable. Elle se sentit gagnée d'un rire nerveux. Mais qui alors? Un amour de jeunesse? Un amant? Sa mère avait-elle une liaison adultère? Cela expliquerait sa disparition. Chloé consulta la date de création de la liste, le sept septembre, soit quelques jours avant que sa mère ne s'évanouisse dans la nature. Pourquoi les policiers n'avaient-ils pas approfondi cette piste? Ils avaient dû penser qu'il s'agissait des élucubrations d'une femme seule. C'est ce qu'elle, sa propre fille, avait cru de prime abord. Raison de plus qu'eux-mêmes en soient convaincus, d'autant qu'ils se fiaient à la description que son père en avait fait, celui d'une femme terne, effacée, sans grande passion. L'idée que sa mère ait pu connaître le bonheur dans les bras d'un autre homme, loin de choquer Chloé, la séduisait. Elle s'était depuis bien longtemps rendu compte que ses parents n'étaient plus que des étrangers l'un pour l'autre. Sa mère avait dû être aimée par cet étranger, elle avait dû être heureuse, il suffisait de parcourir la liste pour s'en rendre compte. Tendresse, fantaisie, désir, douceur, passion, la promesse d'un avenir serein et fou à la fois. Chloé l'enviait d'avoir vécu un tel amour. Elle songea aussi que sa mère possédait une personnalité bien plus complexe qu'il n'y paraissait. Le portrait que son père en avait brossé était injuste et erroné, Chloé pouvait y apporter plus de nuances mais il demeurait incomplet, une simple esquisse. Il était temps pour elle de partir à la recherche de sa mère, de suivre les traces de Manon, cette inconnue.
5 octobre, Carnets de Chloé
La discussion s’est déroulée comme je le redoutais. Aucun hurlement, il n’a même pas haussé le ton. Papa ne crie jamais, c’est totalement inutile. Par un curieux phénomène, sous l’effet de la colère, sa voix se métamorphose, se transforme. Elle prend des inflexions métalliques. Elle se solidifie littéralement pour acquérir la dureté et le tranchant incomparable des Haikus Itamae, ces couteaux japonais fabriqués par les descendants des artisans qui étaient réputés pour forger autrefois les sabres des samouraïs dans l’acier le plus pur, le plus noble, le plus affûté. Le fil aiguisé de son indignation vous hache en deux, comme un vulgaire poulet.
Cela n’a pas loupé. J’avais à peine terminé de lui expliquer mon intention de prendre une année sabbatique afin de retrouver maman qu’il m’a interrompue. Il ne m’a pas demandé comment j’allais procéder, ni même quelle était cette piste que la police avait négligée et que j’avais décidé de poursuivre, bille en tête. Son timbre acéré a fauché mes derniers mots « N’imagine pas un seul instant recevoir mon soutien financier dans cette aventure ! » Puis il a relevé l’écran de son ordinateur « Laisse-moi Chloé maintenant. J’attends un autre rendez-vous. » Pas un seul instant il n’a exprimé son inquiétude et moins encore son désir de voir maman réapparaître et il m'a encore moins laissé le temps de lui crier ma propre colère face à son indifférence. De toute manière, à quoi bon. Son attitude ne change en rien mes projets. Je dispose d’un petit pécule que m’a légué ma grand-mère à sa mort. Elle serait heureuse de voir à quelle fin je le consacre. J’ai donc quitté son bureau et me voilà de retour à la maison. Je parcours une fois de plus cette satanée liste. Mais que t’est-il donc passé par la tête, maman ? J’ignore totalement comment je vais m’y prendre, je ne sais pas par quel bout commencer. L’ordre de la liste a-t-il une quelconque importance ? Et pourquoi ne pas commencer par le plus simple, le plus évident ? Le gros avantage d’habiter Paris, c’est qu’il est possible de réaliser la grande majorité des résolutions énumérées dans cette liste sans quitter la ville. Prenez celle-ci par exemple.
1.Manger avec des baguettes chez Vong
Chez Vong est une institution parisienne. Vous trouverez le meilleur restaurant chinois de la capitale caché derrière une façade sans prétention en plein cœur de Paris. Cette banale maison du quartier des Halles abrite un décor somptueux et raffiné de bambous, de vases et de sculptures auxquelles la pénombre ambiante ajoute une touche de mystère et de dépaysement. Avec maman, nous y mangeons depuis de nombreuses années et toujours avec autant de délectation. L'imposant bouddha de beurre de cent kilos que Monsieur Vong a sculpté à l'occasion d'une soirée de gala du festival de Cannes et qu'il protège comme la prunelle de ses yeux dans une châsse de verre à l'entrée du restaurant m'est aussi familier que l'ours en peluche qui trône dans ma chambre depuis ma naissance. A qui voulait-elle donc faire découvrir ce temple culinaire ? Pourquoi ne pas m’y rendre dès ce soir ?
Yellow_Submarine- Nombre de messages : 278
Age : 53
Localisation : Fougères
Date d'inscription : 08/01/2010
Re: Cent coups
Moins convaincue par cette suite que je trouve clichéteuse, j'ai un peu l'impression de lire un bouquin de la série des Alice (Caroline Quine, dont j'apprends à ma grande horreur, en vérifiant l'orthograhe du nom, qu'il s'agissait d'un pseudo collectif !) qui a bercé ma jeunesse.
Mes remarques :
La Paz, Bilbao...Mais au fur et à mesure de sa lecture, Chloé se mit à douter de son hypothèse « regarder un film X ensemble », « te choisir de la belle lingerie », « faire une sieste crapuleuse avec toi », « te voir saoule »...Qui avait bien pu envoyer : typographie, une espace après les points de suspension
« Mais après tout, pourquoi pas? »
« un tel programme à sa mère? »
« Mais qui alors? Un amour de jeunesse? Un amant? Sa mère avait-elle une liaison adultère? »
« n'avaient-ils pas approfondi cette piste? » : les conventions typographiques françaises veulent une espace avant le point d’interrogation
« sa voix se métamorphose, se transforme. Elle prend des inflexions métalliques » : cliché, ça, je trouve
a fauché mes derniers mots « N’imagine pas un seul instant
l’écran de son ordinateur « Laisse-moi Chloé maintenant. : manque un signe de ponctuation avant la citation
« moins encore son désir de voir maman réapparaître et il m'a encore moins laissé le temps »
« un décor somptueux et raffiné de bambous, de vases et de sculptures auxquelles la pénombre ambiante ajoute une touche de mystère et de dépaysement » : cliché, pour moi ; de guide gastronomique
Mes remarques :
La Paz, Bilbao...Mais au fur et à mesure de sa lecture, Chloé se mit à douter de son hypothèse « regarder un film X ensemble », « te choisir de la belle lingerie », « faire une sieste crapuleuse avec toi », « te voir saoule »...Qui avait bien pu envoyer : typographie, une espace après les points de suspension
« Mais après tout, pourquoi pas? »
« un tel programme à sa mère? »
« Mais qui alors? Un amour de jeunesse? Un amant? Sa mère avait-elle une liaison adultère? »
« n'avaient-ils pas approfondi cette piste? » : les conventions typographiques françaises veulent une espace avant le point d’interrogation
« sa voix se métamorphose, se transforme. Elle prend des inflexions métalliques » : cliché, ça, je trouve
a fauché mes derniers mots « N’imagine pas un seul instant
l’écran de son ordinateur « Laisse-moi Chloé maintenant. : manque un signe de ponctuation avant la citation
« moins encore son désir de voir maman réapparaître et il m'a encore moins laissé le temps »
« un décor somptueux et raffiné de bambous, de vases et de sculptures auxquelles la pénombre ambiante ajoute une touche de mystère et de dépaysement » : cliché, pour moi ; de guide gastronomique
Invité- Invité
Re: Cent coups
Je lis sans déplaisir. Mais je ne varie pas dans ma critique d'une écriture trop sage, et d'un ensemble dense, trop descriptif, explicatif...
Invité- Invité
Re: Cent coups
quelques remaniements et clin d'oeil à socque
1.Manger avec des baguettes chez Vong
Chez Vong est une institution. Vous trouverez le meilleur restaurant chinois de la capitale caché derrière une façade sans prétention en plein cœur de Paris. Les guides gastronomiques mentionnent : « Cette banale maison du quartier des Halles abrite un décor somptueux et raffiné de bambous, de vases et de sculptures auxquelles la pénombre ambiante ajoute une touche de mystère et de dépaysement. » Dieu quel horrible cliché! Ils n'ont pas tout à fait tort mais peinent néanmoins à décrire l'atmosphère empreinte de recueillement qui y règne. Il faut dire que la cuisine de Monsieur Vong atteint un tel degré de perfection qu'elle s'est élevée au statut de religion. Les clients, ses disciples, ne parlent qu'à voix basse, si tant est qu'il désirent faire autre chose que savourer leur plat et se concentrer sur l'art difficile du maniement de la baguette. Avec maman, nous y mangeons depuis de nombreuses années et toujours avec autant de délectation. L'imposant bouddha de beurre de cent kilos que Monsieur Vong a sculpté à l'occasion d'une soirée de gala du festival de Cannes et qu'il protège comme la prunelle de ses yeux dans une châsse de verre à l'entrée du restaurant m'est aussi familier que l'ours en peluche qui trône dans ma chambre depuis ma naissance. A qui voulait-elle donc faire découvrir ce temple culinaire ? Et pourquoi ne pas m’y rendre dès ce soir ?
1.Manger avec des baguettes chez Vong
Chez Vong est une institution. Vous trouverez le meilleur restaurant chinois de la capitale caché derrière une façade sans prétention en plein cœur de Paris. Les guides gastronomiques mentionnent : « Cette banale maison du quartier des Halles abrite un décor somptueux et raffiné de bambous, de vases et de sculptures auxquelles la pénombre ambiante ajoute une touche de mystère et de dépaysement. » Dieu quel horrible cliché! Ils n'ont pas tout à fait tort mais peinent néanmoins à décrire l'atmosphère empreinte de recueillement qui y règne. Il faut dire que la cuisine de Monsieur Vong atteint un tel degré de perfection qu'elle s'est élevée au statut de religion. Les clients, ses disciples, ne parlent qu'à voix basse, si tant est qu'il désirent faire autre chose que savourer leur plat et se concentrer sur l'art difficile du maniement de la baguette. Avec maman, nous y mangeons depuis de nombreuses années et toujours avec autant de délectation. L'imposant bouddha de beurre de cent kilos que Monsieur Vong a sculpté à l'occasion d'une soirée de gala du festival de Cannes et qu'il protège comme la prunelle de ses yeux dans une châsse de verre à l'entrée du restaurant m'est aussi familier que l'ours en peluche qui trône dans ma chambre depuis ma naissance. A qui voulait-elle donc faire découvrir ce temple culinaire ? Et pourquoi ne pas m’y rendre dès ce soir ?
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Re: Cent coups
Marrante, votre manière de retourner ma remarque ! J'apprécie.
Une remarque :
"Dieu quel horrible cliché!" : typographie, une espace avant le point d'exclamation
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Invité- Invité
Re: Cent coups
Je ne suis pas totalement convaincue par le texte, qui traîne quelque peu en longueurs, se perd en détails et autres descriptions et finit par être trop nombriliste à mon goût.
De plus, étiré de la sorte, cela fait trop ressortir l'aspect dramatique de l'ensemble, au point de presque en faire un mélo.
C'est dommage car l'écriture est plus qu'agréable, une qualité qui fait vraiment plaisir à lire.
De plus, étiré de la sorte, cela fait trop ressortir l'aspect dramatique de l'ensemble, au point de presque en faire un mélo.
C'est dommage car l'écriture est plus qu'agréable, une qualité qui fait vraiment plaisir à lire.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
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Re: Cent coups
Madame Vong me conduit vers une petite table situé dans un coin sur une terrasse légèrement surélevée. Monsieur Vong officie en cuisine, mais il vient toujours saluer ses convives à la fin de son service, je profiterai de l'occasion pour le questionner. D'où je suis assise, j'ai une vue imprenable sur la salle et sur l'imposante porte de pagode surmontée de tuiles de céramique vernissées qui décore l'entrée. Maman m'a un jour expliqué que la couleur de ces tuiles variait suivant la hiérarchie. Dans le cas présent, elles sont de couleur verte, Monsieur Vong doit compter parmi ses ancêtres des frères de l'empereur. Comme d'habitude, j'ai commandé un assortiment de Dim Sun, ces petits raviolis servis dans un panier en bambou. J'écarte d'emblée la fourchette disposée à côté de mon assiette, je n'en ai pas besoin. J'étais si petite la première fois que maman m'a emmenée ici et je me souviens avoir caressé avec ravissement les baguettes de laque rouge. Pour que je me tienne tranquille à table, maman me racontait des histoires. Que selon la légende, un empereur avait un jour banni couteaux et fourchettes de la Chine afin de ne pas mourir assassiné. Qu'il était plus probable que leur origine remontât bien avant l'invention des couverts occidentaux. Que le peuple chinois respectait les principes du Confucianisme qui voulaient entre autre que tout instrument utilisé pour le massacre et la violence n'ait pas sa place à table. C'est pourquoi aujourd'hui encore, la nourriture arrive toujours découpée à la bonne taille et il n'existe rien de tel que les baguettes, symboles de bienveillance, pour saisir ces morceaux et les porter à la bouche sans se brûler. Chaque fois que nous venions ici, maman me berçait de nouvelles légendes, de concubines et d'empoisonnement, de métaux précieux et des différences suivant que l'on fût en Corée ou au Japon.
Je me surprends à scruter les visages, à les contempler fixement à la limite de l'impolitesse, comme si maman allait apparaître d'un seul coup. Mais j'entrevois uniquement les fantômes entrelacés d'une petite fille et de sa maman, qui s'évaporent comme la vapeur de mes dim sun au-dessus de mon assiette. Gamine, comme tous les enfants, j'avais acquis la certitude de la présence inconditionnelle de ma mère, de son omnipotence. Le goûter dans mon cartable, les vêtements propres et repassés, le bisou qui soigne sur le bobo qui pique, autant d'attentions qu'elle tissait comme un filet de sécurité. Néanmoins, elle me laissait librement prendre mon envol. Moi j'étais funambule, trapéziste. Mais je savais qu'en cas de chute, je serais inévitablement rattrapée par le filet, par les bras de ma mère et son amour. Aujourd'hui, j'éprouve une intense sensation de vertige, j'ai l'impression d'être lâchée au-dessus du vide et que le moindre pas de travers me fera m'écraser de tout mon poids sur le sol. L'égoïsme propre aux adolescents m'a fait oublier que la présence de ma mère ne m'était pas acquise, que ce n'était pas un dû. Son absence aujourd'hui me le rappelle douloureusement.
Plongée dans mes pensées, je n'ai pas vu Monsieur Vong s'approcher. Pareil à lui même, coiffé de sa toque blanche, un sourire sans âge qui fait même briller ses yeux. J'ai toujours éprouvé pour lui une affection particulière, sans doute due à la sérénité et l'amabilité qu'il dégage. Détaché de tout, de ce monde, il se consacre à son unique vocation : procurer un plaisir gustatif inégalable à tous ceux qui viennent se restaurer chez lui. Le regarder m'apaise instantanément en dépit de ce qu'il m'apprend. Maman n'est pas venue ici depuis longtemps, pense-t-il. Cependant, il ne peut me l'affirmer avec certitude, il a délaissé ses chères casseroles durant une quinzaine de jours, le temps pour lui de terminer la sculpture d'un dragon de beurre que lui a commandé Luc Besson pour son prochain film. Non, le restaurant n'a pas fermé, son petit-fil était aux commandes mais il n'est pas là ce soir.
Je repars bredouille. Bien entendu, il pleut. Dans ma poche je chiffonne la liste des quatre-vingt-dix-neuf choses qu'il me reste à accomplir.
Je me surprends à scruter les visages, à les contempler fixement à la limite de l'impolitesse, comme si maman allait apparaître d'un seul coup. Mais j'entrevois uniquement les fantômes entrelacés d'une petite fille et de sa maman, qui s'évaporent comme la vapeur de mes dim sun au-dessus de mon assiette. Gamine, comme tous les enfants, j'avais acquis la certitude de la présence inconditionnelle de ma mère, de son omnipotence. Le goûter dans mon cartable, les vêtements propres et repassés, le bisou qui soigne sur le bobo qui pique, autant d'attentions qu'elle tissait comme un filet de sécurité. Néanmoins, elle me laissait librement prendre mon envol. Moi j'étais funambule, trapéziste. Mais je savais qu'en cas de chute, je serais inévitablement rattrapée par le filet, par les bras de ma mère et son amour. Aujourd'hui, j'éprouve une intense sensation de vertige, j'ai l'impression d'être lâchée au-dessus du vide et que le moindre pas de travers me fera m'écraser de tout mon poids sur le sol. L'égoïsme propre aux adolescents m'a fait oublier que la présence de ma mère ne m'était pas acquise, que ce n'était pas un dû. Son absence aujourd'hui me le rappelle douloureusement.
Plongée dans mes pensées, je n'ai pas vu Monsieur Vong s'approcher. Pareil à lui même, coiffé de sa toque blanche, un sourire sans âge qui fait même briller ses yeux. J'ai toujours éprouvé pour lui une affection particulière, sans doute due à la sérénité et l'amabilité qu'il dégage. Détaché de tout, de ce monde, il se consacre à son unique vocation : procurer un plaisir gustatif inégalable à tous ceux qui viennent se restaurer chez lui. Le regarder m'apaise instantanément en dépit de ce qu'il m'apprend. Maman n'est pas venue ici depuis longtemps, pense-t-il. Cependant, il ne peut me l'affirmer avec certitude, il a délaissé ses chères casseroles durant une quinzaine de jours, le temps pour lui de terminer la sculpture d'un dragon de beurre que lui a commandé Luc Besson pour son prochain film. Non, le restaurant n'a pas fermé, son petit-fil était aux commandes mais il n'est pas là ce soir.
Je repars bredouille. Bien entendu, il pleut. Dans ma poche je chiffonne la liste des quatre-vingt-dix-neuf choses qu'il me reste à accomplir.
Yellow_Submarine- Nombre de messages : 278
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Localisation : Fougères
Date d'inscription : 08/01/2010
Re: Cent coups
A cent pas du bonheur
7 septembre
Manon
Il y a quelques minutes à peine, enfoncée sous la couette, elle tentait de prolonger la torpeur de la nuit, juste avant que sa conscience ne s’allume d’un seul coup et que les rouages de ses pensées ne se mettent en route, ne lui laissant aucun repos. Elle se prélassait dans un demi-sommeil, à cet instant précis où elle pouvait s’imaginer être n’importe qui, se trouver n’importe où. En l’occurrence, une autre, ailleurs. Mais à peine s’était-elle réveillée que ces trois mots avaient éclaté comme des bulles de savon, juste devant ses yeux, les larmes étaient venues d’un coup.
« C’est fini ». Elle avait prononcé ces trois mots à voix basse, le jour ne s'était pas levé, son corps marquait le matelas de son empreinte, et ses paupières étaient lourdes de sommeil inachevé. Et pourtant ces trois mots résonnaient aussi clairement que si elle les avait prononcés à voix haute. Son époux dormait à ses côtés, sa respiration calme, à peine ponctuée de ronflements sporadiques, rythmait les minutes. Un répit avant la sonnerie du réveil. Elle était bien éveillée à présent, son esprit martelait cette phrase sans relâche « C’est fini ».
Sa vie n’était pas insupportable, loin de là. Mais la lassitude s'était installée inexorablement, elle avait construit son nid et le travail achevé, s’y était lovée pour ne plus le quitter. Chaque matin, elle parvenait encore à effectuer les gestes du quotidien, à déposer les tranches de pain dans le toaster, à verser le café dans les porcelaines précieuses, à afficher le sourire de circonstance et à faire mine de ne pas voir les miettes sur la table. Et jour après jour, cela lui demandait un effort surhumain. Pourtant, elle continuait, sous peine de voir la façade se lézarder. Les années s'étaient accumulées en couches successives et avaient fini par former une gangue qui alourdissait sa silhouette et raidissait tous ses mouvements. Récemment, elle avait croisé son reflet dans une vitrine, elle s'en était effrayée. Etait-ce elle, cette femme au dos voûté? Les premières strates pourtant étincelaient. Son mariage, la naissance de Chloé. Des pépites. Elle eut un rire amer. Elle avait cru être tombée sur un véritable filon de bonheur. Vite enseveli par les absences répétées de Paul, des croûtes de boue de plus en plus épaisses, à la mesure de sa solitude, s'étaient accumulées.
Et ce matin. Trois mots, trois malheureux mots. Elle fixait le réveil, trente minutes de rémission encore avant qu'elle ne fut obligée d’endosser le masque habituel. Elle passa en revue ce que cette journée pourrait bien avoir d’inhabituel et qui marquerait ainsi son esprit. Mais rien ne la frappa, la litanie des doléances, conjoint, voisins, quémandeurs confondus. L’une ou l’autre œuvre de bienfaisance, elle ne travaillait pas. Ou bien alors en bénévole, charitablement comme il sied à l’épouse d’un fonctionnaire en représentation dans une région qui n’est pas la sienne et dont il sent confusément qu’elle est indigne de lui. Elle était présente, bienveillante, transparente, et elle transmettait, si elle le jugeait nécessaire, aux oreilles de Monsieur son Epoux. Elle arbitrait. Incontournable donc. En apparence.
Mais aujourd’hui, elle avait décidé que c’était terminé. Elle s'était perdue. Hors de question de passer le reste de sa vie à se réveiller avec ces trois mots en tête. Elle allait devenir totalement cinglée sinon, et jusqu’à preuve du contraire, c'était peut-être ce qui s'était déjà produit. Elle fixait le plafond, les yeux grand ouverts et les minutes s’égrenaient, digitales. En finir, soit, mais comment? Elle n'était pas malade et on vivait vieux dans sa famille. Quant au suicide, elle y avait déjà songé mais elle était bien trop froussarde, elle avait peur de souffrir, peur de se rater. Alors quelle était cette solution qui lui permettrait de disparaître, sans culpabilité face aux survivants, sans heurts ? Un jour, je suis, un jour je ne suis plus. Trop facile. Pas de pilule bleue non plus, simulacre de la félicité. Elle arborait un masque suffisamment béat comme cela, pensa-t-elle. Elle vit huit heures s’afficher sur le réveil et son conjoint s’extirper avec difficulté de la couette et pensa une fois de plus « C’est fini ». Quoi, comment, elle n'en avait aucune idée. Mais une seule certitude : elle ne pourrait pas continuer comme cela indéfiniment. Ni même temporairement. Il en allait du salut de son âme, tout du moins de sa santé mentale. Et à cela, elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux.
4 octobre
Chloé
Trois semaines s'étaient écoulées, trois semaines que Chloé n'était pas rentrée chez elle. De toute manière selon toute vraisemblance, la maison serait vide, son père ne quittait quasiment plus son bureau. Auparavant déjà, il appelait régulièrement pour se décommander « encore une réunion qui traîne en longueur » disait-il « impossible de me désister ». C'était devenu une habitude. Chloé mangeait en tête-à-tête avec sa mère qui finissait toujours par vider le reste de son assiette à la poubelle. « Il n'a même pas pensé à allumer le chauffage », Chloé s’était installée sur le canapé et enveloppée dans le plaid que sa mère, frileuse, gardait en permanence à portée de la main. Il faisait froid en ce début d'octobre. Passés les premiers moments d'agitation, les interrogatoires, les allées et venues des policiers, le calme était revenu. Une maison silencieuse, c’était ce que Chloé avait toujours connu. Et ce qu'elle avait absolument tenu à éviter. Durant trois semaines, elle avait squatté la chambre de l'une ou l'autre copine de fac, elle ne voulait pas se retrouver seule. Son père ne lui avait même pas téléphoné pour savoir comment elle allait ni où elle était. S'était-il d'ailleurs seulement rendu compte qu'elle n'était pas là? Mais elle n'arrêtait pas d'y penser, elle n'arrivait plus à se concentrer sur ses cours et plus elle y réfléchissait, moins elle comprenait. Elle n'avait aucune idée de ce qui était vraiment arrivé à sa mère. Les policiers parlaient de disparition volontaire, rien n'indiquait que sa mère était morte. Elle n'avait pas laissé de lettre, aucun mot d'explication. Aucune dispute qui ait pu provoquer son départ. D'ailleurs, ses parents ne se disputaient jamais, ils ne se parlaient pas, voilà tout. Un vague avis de recherche avait été placardé mais il s'agissait d'une procédure de pure forme. Chloé avait vu l’affichette, elle n’avait pas reconnu sa mère sur la photo, ni dans son signalement « Disparue, Manon, 45 ans, cheveux bruns mi-longs ». Les policiers s'étaient voulus rassurants. La majorité des personnes qui disparaissaient volontairement finissaient par regagner le domicile. Son père avait pris cette affirmation pour argent comptant et s'était refusé à effectuer une demande de recherche dans l'intérêt des familles. Sa réputation était bien trop précieuse et il tenait à garder « l'incident caché ». En soi, l'absence de son père à la maison constituait un soulagement. Chloé ne se sentait pas la force de lui parler. Elle était revenue dans le seul but d'essayer de découvrir pourquoi sa mère s'était volatilisée sans laisser de traces. Pourquoi elle l'avait abandonnée? Chloé culpabilisait, sa rentrée à l'école vétérinaire avait monopolisé toute son attention et son énergie, elle ne se rappelait même plus la dernière fois où elle avait appelé sa mère. Mais lui aurait-elle parlé, cela aurait-il fait une quelconque différence? Sous son apparente énergie, sous son inaltérable sourire, Chloé avait toujours perçu chez sa mère une certaine mélancolie, une distance.
Chloé ramassa le sac à main qui traînait au pied du canapé. Celui de sa mère que les policiers avaient rapporté après en avoir confisqué le téléphone portable et photocopié toutes les pages de l'agenda. Un beau sac en cuir fauve, un sac de marque, cadeau de son père pour Noël. Chloé était surprise que sa mère ne l'ait pas emporté, elle qui le trimballait partout. Mais sa mère n'avait rien emmené, aucun vêtement, pas même son chéquier ni ses cartes bancaires. Chloé décida de répertorier le contenu du sac. Toute petite déjà, elle aimait farfouiller dans les affaires de sa mère, en cachette. Elle empocha le tube de gloss, sa mère les collectionnait. C'était le seul maquillage qu'elle s'autorisait. Des stylos, des tickets de supermarché, la dernière note du coiffeur (Chloé se souvint des critiques de son père à ce sujet), l'agenda dans lequel sa mère notait consciencieusement les dates d'anniversaire, les rendez-vous chez le médecin ou chez le dentiste, une petite bouteille de parfum à l'odeur de violette, une liste de courses, un paquet de mouchoirs en papier, de la menue monnaie...Chloé s'attendait presque à se faire gronder pour sa curiosité. Elle se sentait à la fois mal à l'aise d'être aussi indiscrète et attristée par la banalité de son inventaire. La seule babiole qu'elle dénicha dans une trousse était une clé usb en forme de canette de bière. Un pied-de-nez aux origines belges de sa mère et pure provocation envers son père qui considérait la bière comme une boisson pour prolétaires. Dans sa cave, que des grands crus! C'est sur cette clé que sa mère stockait les musiques qu'elle aimait. Elle était branchée en permanence dans la voiture, la trouver dans son sac constituait une surprise en soi. Chloé alluma l'ordinateur, les policiers en avaient déjà certainement examiné les différents fichiers mais elle décida de les vérifier à son tour. Musiques des années 80, de Peter Gabriel à David Bowie en passant par Depeche Mode. Au grand désespoir de Chloé qui les trouvait ringards, même si elle faisait une exception pour U2. De la chanson française, le dernier album d'Angus & Julia Stone que sa mère écoutait en boucle pendant les vacances. Une pop douce et nostalgique qui, songea Chloé, devait correspondre parfaitement à son état d'esprit. Un fichier excel intitulé « Cent coups ». Un fichier incongru dont ce n'était pas la place. Chloé, intriguée, cliqua pour l'ouvrir et vit s'afficher une liste incompréhensible.
Une liste. Chloé la parcourut avec une incrédulité croissante. Elle crut tout d’abord que c’était sa mère qui l’avait rédigée. Il s’agissait de ce genre de listes « Cent choses à faire avant de mourir » qu’on trouve sur Internet et qui font rêver. Ce n’était pourtant pas le genre de Manon de perdre son temps en vaines illusions. Chloé avait toujours pensé que sa mère était l'incarnation même du pragmatisme, c'était plutôt elle la rêveuse, « sa Majesté des Mouches » comme la surnommait sa mère pour la taquiner. Mais après tout, pourquoi pas? Sa mère avait peut-être voulu échapper un moment à la monotonie pesante du quotidien en imaginant des voyages de rêve : Kuala Lumpur, La Paz, Bilbao...Mais au fur et à mesure de sa lecture, Chloé se mit à douter de son hypothèse « regarder un film X ensemble », « te choisir de la belle lingerie », « faire une sieste crapuleuse avec toi », « te voir saoule »...Qui avait bien pu envoyer un tel programme à sa mère? Chloé écarta son père d'emblée. La simple idée qu'il ait pu rédiger ces projets fantaisistes était totalement inconcevable. Elle se sentit gagnée d'un rire nerveux. Mais qui alors? Un amour de jeunesse? Un amant? Sa mère avait-elle une liaison adultère? Cela expliquerait sa disparition. Chloé consulta la date de création de la liste, le sept septembre, soit quelques jours avant que sa mère ne s'évanouisse dans la nature. Pourquoi les policiers n'avaient-ils pas approfondi cette piste? Ils avaient dû penser qu'il s'agissait des élucubrations d'une femme seule. C'est ce qu'elle, sa propre fille, avait cru de prime abord. Raison de plus qu'eux-mêmes en soient convaincus, d'autant qu'ils se fiaient à la description que son père en avait fait, celui d'une femme terne, effacée, sans grande passion. L'idée que sa mère ait pu connaître le bonheur dans les bras d'un autre homme, loin de choquer Chloé, la séduisait. Elle s'était depuis bien longtemps rendu compte que ses parents n'étaient plus que des étrangers l'un pour l'autre. Sa mère avait dû être aimée par cet étranger, elle avait dû être heureuse, il suffisait de parcourir la liste pour s'en rendre compte. Tendresse, fantaisie, désir, douceur, passion, la promesse d'un avenir serein et fou à la fois. Chloé l'enviait d'avoir vécu un tel amour. Elle songea aussi que sa mère possédait une personnalité bien plus complexe qu'il n'y paraissait. Le portrait que son père en avait brossé était injuste et erroné, Chloé pouvait y apporter plus de nuances mais il demeurait incomplet, une simple esquisse. Il était temps pour elle de partir à la recherche de sa mère, de suivre les traces de Manon, cette inconnue.
5 octobre, Carnets de Chloé
La discussion s’est déroulée comme je le redoutais. Aucun hurlement, il n’a même pas haussé le ton. Papa ne crie jamais, c’est totalement inutile. Par un curieux phénomène, sous l’effet de la colère, sa voix se métamorphose, se transforme. Elle prend des inflexions métalliques. Elle se solidifie littéralement pour acquérir la dureté et le tranchant incomparable des Haikus Itamae, ces couteaux japonais fabriqués par les descendants des artisans qui étaient réputés pour forger autrefois les sabres des samouraïs dans l’acier le plus pur, le plus noble, le plus affûté. Le fil aiguisé de son indignation vous hache en deux, comme un vulgaire poulet.
Cela n’a pas loupé. J’avais à peine terminé de lui expliquer mon intention de prendre une année sabbatique afin de retrouver maman qu’il m’a interrompue. Il ne m’a pas demandé comment j’allais procéder, ni même quelle était cette piste que la police avait négligée et que j’avais décidé de poursuivre, bille en tête. Son timbre acéré a fauché mes derniers mots « N’imagine pas un seul instant recevoir mon soutien financier dans cette aventure ! » Puis il a relevé l’écran de son ordinateur « Laisse-moi Chloé maintenant. J’attends un autre rendez-vous. » Pas un seul instant il n’a exprimé son inquiétude et moins encore son désir de voir maman réapparaître et il m'a encore moins laissé le temps de lui crier ma propre colère face à son indifférence. De toute manière, à quoi bon. Son attitude ne change en rien mes projets. Je dispose d’un petit pécule que m’a légué ma grand-mère à sa mort. Elle serait heureuse de voir à quelle fin je le consacre. J’ai donc quitté son bureau et me voilà de retour à la maison. Je parcours une fois de plus cette satanée liste. Mais que t’est-il donc passé par la tête, maman ? J’ignore totalement comment je vais m’y prendre, je ne sais pas par quel bout commencer. L’ordre de la liste a-t-il une quelconque importance ? Et pourquoi ne pas commencer par le plus simple, le plus évident ? Le gros avantage d’habiter Paris, c’est qu’il est possible de réaliser la grande majorité des résolutions énumérées dans cette liste sans quitter la ville. Prenez celle-ci par exemple.
1.Manger avec des baguettes chez Vong
Chez Vong est une institution. Vous trouverez le meilleur restaurant chinois de la capitale caché derrière une façade sans prétention en plein cœur de Paris. Les guides gastronomiques mentionnent : « Cette banale maison du quartier des Halles abrite un décor somptueux et raffiné de bambous, de vases et de sculptures auxquelles la pénombre ambiante ajoute une touche de mystère et de dépaysement. » Dieu quel horrible cliché! Ils n'ont pas tout à fait tort mais peinent néanmoins à décrire l'atmosphère empreinte de recueillement qui y règne. Il faut dire que la cuisine de Monsieur Vong atteint un tel degré de perfection qu'elle s'est élevée au statut de religion. Les clients, ses disciples, ne parlent qu'à voix basse, si tant est qu'il désirent faire autre chose que savourer leur plat et se concentrer sur l'art difficile du maniement de la baguette. Avec maman, nous y mangeons depuis de nombreuses années et toujours avec autant de délectation. L'imposant bouddha de beurre de cent kilos que Monsieur Vong a sculpté à l'occasion d'une soirée de gala du festival de Cannes et qu'il protège comme la prunelle de ses yeux dans une châsse de verre à l'entrée du restaurant m'est aussi familier que l'ours en peluche qui trône dans ma chambre depuis ma naissance. A qui voulait-elle donc faire découvrir ce temple culinaire ? Et pourquoi ne pas m’y rendre dès ce soir ?
Madame Vong me conduit vers une petite table situé dans un coin sur une terrasse légèrement surélevée. Monsieur Vong officie en cuisine, mais il vient toujours saluer ses convives à la fin de son service, je profiterai de l'occasion pour le questionner. D'où je suis assise, j'ai une vue imprenable sur la salle et sur l'imposante porte de pagode surmontée de tuiles de céramique vernissées qui décore l'entrée. Maman m'a un jour expliqué que la couleur de ces tuiles variait suivant la hiérarchie. Dans le cas présent, elles sont de couleur verte, Monsieur Vong doit compter parmi ses ancêtres des frères de l'empereur. Comme d'habitude, j'ai commandé un assortiment de Dim Sun, ces petits raviolis servis dans un panier en bambou. J'écarte d'emblée la fourchette disposée à côté de mon assiette, je n'en ai pas besoin. J'étais si petite la première fois que maman m'a emmenée ici et je me souviens avoir caressé avec ravissement les baguettes de laque rouge. Pour que je me tienne tranquille à table, maman me racontait des histoires. Que selon la légende, un empereur avait un jour banni couteaux et fourchettes de la Chine afin de ne pas mourir assassiné. Qu'il était plus probable que leur origine remontât bien avant l'invention des couverts occidentaux. Que le peuple chinois respectait les principes du Confucianisme qui voulaient entre autre que tout instrument utilisé pour le massacre et la violence n'ait pas sa place à table. C'est pourquoi aujourd'hui encore, la nourriture arrive toujours découpée à la bonne taille et il n'existe rien de tel que les baguettes, symboles de bienveillance, pour saisir ces morceaux et les porter à la bouche sans se brûler. Chaque fois que nous venions ici, maman me berçait de nouvelles légendes, de concubines et d'empoisonnement, de métaux précieux et des différences suivant que l'on fût en Corée ou au Japon.
Je me surprends à scruter les visages, à les contempler fixement à la limite de l'impolitesse, comme si maman allait apparaître d'un seul coup. Mais j'entrevois uniquement les fantômes entrelacés d'une petite fille et de sa maman, qui s'évaporent comme la vapeur de mes dim sun au-dessus de mon assiette. Gamine, comme tous les enfants, j'avais acquis la certitude de la présence inconditionnelle de ma mère, de son omnipotence. Le goûter dans mon cartable, les vêtements propres et repassés, le bisou qui soigne sur le bobo qui pique, autant d'attentions qu'elle tissait comme un filet de sécurité. Néanmoins, elle me laissait librement prendre mon envol. Moi j'étais funambule, trapéziste. Mais je savais qu'en cas de chute, je serais inévitablement rattrapée par le filet, par les bras de ma mère et son amour. Aujourd'hui, j'éprouve une intense sensation de vertige, j'ai l'impression d'être lâchée au-dessus du vide et que le moindre pas de travers me fera m'écraser de tout mon poids sur le sol. L'égoïsme propre aux adolescents m'a fait oublier que la présence de ma mère ne m'était pas acquise, que ce n'était pas un dû. Son absence aujourd'hui me le rappelle douloureusement.
Plongée dans mes pensées, je n'ai pas vu Monsieur Vong s'approcher. Pareil à lui même, coiffé de sa toque blanche, un sourire sans âge qui fait même briller ses yeux. J'ai toujours éprouvé pour lui une affection particulière, sans doute due à la sérénité et l'amabilité qu'il dégage. Détaché de tout, de ce monde, il se consacre à son unique vocation : procurer un plaisir gustatif inégalable à tous ceux qui viennent se restaurer chez lui. Le regarder m'apaise instantanément en dépit de ce qu'il m'apprend. Maman n'est pas venue ici depuis longtemps, pense-t-il. Cependant, il ne peut me l'affirmer avec certitude, il a délaissé ses chères casseroles durant une quinzaine de jours, le temps pour lui de terminer la sculpture d'un dragon de beurre que lui a commandé Luc Besson pour son prochain film. Non, le restaurant n'a pas fermé, son petit-fil était aux commandes mais il n'est pas là ce soir.
Je repars bredouille. Bien entendu, il pleut. Dans ma poche je chiffonne la liste des quatre-vingt-dix-neuf choses qu'il me reste à accomplir.
7 septembre
Manon
Il y a quelques minutes à peine, enfoncée sous la couette, elle tentait de prolonger la torpeur de la nuit, juste avant que sa conscience ne s’allume d’un seul coup et que les rouages de ses pensées ne se mettent en route, ne lui laissant aucun repos. Elle se prélassait dans un demi-sommeil, à cet instant précis où elle pouvait s’imaginer être n’importe qui, se trouver n’importe où. En l’occurrence, une autre, ailleurs. Mais à peine s’était-elle réveillée que ces trois mots avaient éclaté comme des bulles de savon, juste devant ses yeux, les larmes étaient venues d’un coup.
« C’est fini ». Elle avait prononcé ces trois mots à voix basse, le jour ne s'était pas levé, son corps marquait le matelas de son empreinte, et ses paupières étaient lourdes de sommeil inachevé. Et pourtant ces trois mots résonnaient aussi clairement que si elle les avait prononcés à voix haute. Son époux dormait à ses côtés, sa respiration calme, à peine ponctuée de ronflements sporadiques, rythmait les minutes. Un répit avant la sonnerie du réveil. Elle était bien éveillée à présent, son esprit martelait cette phrase sans relâche « C’est fini ».
Sa vie n’était pas insupportable, loin de là. Mais la lassitude s'était installée inexorablement, elle avait construit son nid et le travail achevé, s’y était lovée pour ne plus le quitter. Chaque matin, elle parvenait encore à effectuer les gestes du quotidien, à déposer les tranches de pain dans le toaster, à verser le café dans les porcelaines précieuses, à afficher le sourire de circonstance et à faire mine de ne pas voir les miettes sur la table. Et jour après jour, cela lui demandait un effort surhumain. Pourtant, elle continuait, sous peine de voir la façade se lézarder. Les années s'étaient accumulées en couches successives et avaient fini par former une gangue qui alourdissait sa silhouette et raidissait tous ses mouvements. Récemment, elle avait croisé son reflet dans une vitrine, elle s'en était effrayée. Etait-ce elle, cette femme au dos voûté? Les premières strates pourtant étincelaient. Son mariage, la naissance de Chloé. Des pépites. Elle eut un rire amer. Elle avait cru être tombée sur un véritable filon de bonheur. Vite enseveli par les absences répétées de Paul, des croûtes de boue de plus en plus épaisses, à la mesure de sa solitude, s'étaient accumulées.
Et ce matin. Trois mots, trois malheureux mots. Elle fixait le réveil, trente minutes de rémission encore avant qu'elle ne fut obligée d’endosser le masque habituel. Elle passa en revue ce que cette journée pourrait bien avoir d’inhabituel et qui marquerait ainsi son esprit. Mais rien ne la frappa, la litanie des doléances, conjoint, voisins, quémandeurs confondus. L’une ou l’autre œuvre de bienfaisance, elle ne travaillait pas. Ou bien alors en bénévole, charitablement comme il sied à l’épouse d’un fonctionnaire en représentation dans une région qui n’est pas la sienne et dont il sent confusément qu’elle est indigne de lui. Elle était présente, bienveillante, transparente, et elle transmettait, si elle le jugeait nécessaire, aux oreilles de Monsieur son Epoux. Elle arbitrait. Incontournable donc. En apparence.
Mais aujourd’hui, elle avait décidé que c’était terminé. Elle s'était perdue. Hors de question de passer le reste de sa vie à se réveiller avec ces trois mots en tête. Elle allait devenir totalement cinglée sinon, et jusqu’à preuve du contraire, c'était peut-être ce qui s'était déjà produit. Elle fixait le plafond, les yeux grand ouverts et les minutes s’égrenaient, digitales. En finir, soit, mais comment? Elle n'était pas malade et on vivait vieux dans sa famille. Quant au suicide, elle y avait déjà songé mais elle était bien trop froussarde, elle avait peur de souffrir, peur de se rater. Alors quelle était cette solution qui lui permettrait de disparaître, sans culpabilité face aux survivants, sans heurts ? Un jour, je suis, un jour je ne suis plus. Trop facile. Pas de pilule bleue non plus, simulacre de la félicité. Elle arborait un masque suffisamment béat comme cela, pensa-t-elle. Elle vit huit heures s’afficher sur le réveil et son conjoint s’extirper avec difficulté de la couette et pensa une fois de plus « C’est fini ». Quoi, comment, elle n'en avait aucune idée. Mais une seule certitude : elle ne pourrait pas continuer comme cela indéfiniment. Ni même temporairement. Il en allait du salut de son âme, tout du moins de sa santé mentale. Et à cela, elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux.
4 octobre
Chloé
Trois semaines s'étaient écoulées, trois semaines que Chloé n'était pas rentrée chez elle. De toute manière selon toute vraisemblance, la maison serait vide, son père ne quittait quasiment plus son bureau. Auparavant déjà, il appelait régulièrement pour se décommander « encore une réunion qui traîne en longueur » disait-il « impossible de me désister ». C'était devenu une habitude. Chloé mangeait en tête-à-tête avec sa mère qui finissait toujours par vider le reste de son assiette à la poubelle. « Il n'a même pas pensé à allumer le chauffage », Chloé s’était installée sur le canapé et enveloppée dans le plaid que sa mère, frileuse, gardait en permanence à portée de la main. Il faisait froid en ce début d'octobre. Passés les premiers moments d'agitation, les interrogatoires, les allées et venues des policiers, le calme était revenu. Une maison silencieuse, c’était ce que Chloé avait toujours connu. Et ce qu'elle avait absolument tenu à éviter. Durant trois semaines, elle avait squatté la chambre de l'une ou l'autre copine de fac, elle ne voulait pas se retrouver seule. Son père ne lui avait même pas téléphoné pour savoir comment elle allait ni où elle était. S'était-il d'ailleurs seulement rendu compte qu'elle n'était pas là? Mais elle n'arrêtait pas d'y penser, elle n'arrivait plus à se concentrer sur ses cours et plus elle y réfléchissait, moins elle comprenait. Elle n'avait aucune idée de ce qui était vraiment arrivé à sa mère. Les policiers parlaient de disparition volontaire, rien n'indiquait que sa mère était morte. Elle n'avait pas laissé de lettre, aucun mot d'explication. Aucune dispute qui ait pu provoquer son départ. D'ailleurs, ses parents ne se disputaient jamais, ils ne se parlaient pas, voilà tout. Un vague avis de recherche avait été placardé mais il s'agissait d'une procédure de pure forme. Chloé avait vu l’affichette, elle n’avait pas reconnu sa mère sur la photo, ni dans son signalement « Disparue, Manon, 45 ans, cheveux bruns mi-longs ». Les policiers s'étaient voulus rassurants. La majorité des personnes qui disparaissaient volontairement finissaient par regagner le domicile. Son père avait pris cette affirmation pour argent comptant et s'était refusé à effectuer une demande de recherche dans l'intérêt des familles. Sa réputation était bien trop précieuse et il tenait à garder « l'incident caché ». En soi, l'absence de son père à la maison constituait un soulagement. Chloé ne se sentait pas la force de lui parler. Elle était revenue dans le seul but d'essayer de découvrir pourquoi sa mère s'était volatilisée sans laisser de traces. Pourquoi elle l'avait abandonnée? Chloé culpabilisait, sa rentrée à l'école vétérinaire avait monopolisé toute son attention et son énergie, elle ne se rappelait même plus la dernière fois où elle avait appelé sa mère. Mais lui aurait-elle parlé, cela aurait-il fait une quelconque différence? Sous son apparente énergie, sous son inaltérable sourire, Chloé avait toujours perçu chez sa mère une certaine mélancolie, une distance.
Chloé ramassa le sac à main qui traînait au pied du canapé. Celui de sa mère que les policiers avaient rapporté après en avoir confisqué le téléphone portable et photocopié toutes les pages de l'agenda. Un beau sac en cuir fauve, un sac de marque, cadeau de son père pour Noël. Chloé était surprise que sa mère ne l'ait pas emporté, elle qui le trimballait partout. Mais sa mère n'avait rien emmené, aucun vêtement, pas même son chéquier ni ses cartes bancaires. Chloé décida de répertorier le contenu du sac. Toute petite déjà, elle aimait farfouiller dans les affaires de sa mère, en cachette. Elle empocha le tube de gloss, sa mère les collectionnait. C'était le seul maquillage qu'elle s'autorisait. Des stylos, des tickets de supermarché, la dernière note du coiffeur (Chloé se souvint des critiques de son père à ce sujet), l'agenda dans lequel sa mère notait consciencieusement les dates d'anniversaire, les rendez-vous chez le médecin ou chez le dentiste, une petite bouteille de parfum à l'odeur de violette, une liste de courses, un paquet de mouchoirs en papier, de la menue monnaie...Chloé s'attendait presque à se faire gronder pour sa curiosité. Elle se sentait à la fois mal à l'aise d'être aussi indiscrète et attristée par la banalité de son inventaire. La seule babiole qu'elle dénicha dans une trousse était une clé usb en forme de canette de bière. Un pied-de-nez aux origines belges de sa mère et pure provocation envers son père qui considérait la bière comme une boisson pour prolétaires. Dans sa cave, que des grands crus! C'est sur cette clé que sa mère stockait les musiques qu'elle aimait. Elle était branchée en permanence dans la voiture, la trouver dans son sac constituait une surprise en soi. Chloé alluma l'ordinateur, les policiers en avaient déjà certainement examiné les différents fichiers mais elle décida de les vérifier à son tour. Musiques des années 80, de Peter Gabriel à David Bowie en passant par Depeche Mode. Au grand désespoir de Chloé qui les trouvait ringards, même si elle faisait une exception pour U2. De la chanson française, le dernier album d'Angus & Julia Stone que sa mère écoutait en boucle pendant les vacances. Une pop douce et nostalgique qui, songea Chloé, devait correspondre parfaitement à son état d'esprit. Un fichier excel intitulé « Cent coups ». Un fichier incongru dont ce n'était pas la place. Chloé, intriguée, cliqua pour l'ouvrir et vit s'afficher une liste incompréhensible.
Une liste. Chloé la parcourut avec une incrédulité croissante. Elle crut tout d’abord que c’était sa mère qui l’avait rédigée. Il s’agissait de ce genre de listes « Cent choses à faire avant de mourir » qu’on trouve sur Internet et qui font rêver. Ce n’était pourtant pas le genre de Manon de perdre son temps en vaines illusions. Chloé avait toujours pensé que sa mère était l'incarnation même du pragmatisme, c'était plutôt elle la rêveuse, « sa Majesté des Mouches » comme la surnommait sa mère pour la taquiner. Mais après tout, pourquoi pas? Sa mère avait peut-être voulu échapper un moment à la monotonie pesante du quotidien en imaginant des voyages de rêve : Kuala Lumpur, La Paz, Bilbao...Mais au fur et à mesure de sa lecture, Chloé se mit à douter de son hypothèse « regarder un film X ensemble », « te choisir de la belle lingerie », « faire une sieste crapuleuse avec toi », « te voir saoule »...Qui avait bien pu envoyer un tel programme à sa mère? Chloé écarta son père d'emblée. La simple idée qu'il ait pu rédiger ces projets fantaisistes était totalement inconcevable. Elle se sentit gagnée d'un rire nerveux. Mais qui alors? Un amour de jeunesse? Un amant? Sa mère avait-elle une liaison adultère? Cela expliquerait sa disparition. Chloé consulta la date de création de la liste, le sept septembre, soit quelques jours avant que sa mère ne s'évanouisse dans la nature. Pourquoi les policiers n'avaient-ils pas approfondi cette piste? Ils avaient dû penser qu'il s'agissait des élucubrations d'une femme seule. C'est ce qu'elle, sa propre fille, avait cru de prime abord. Raison de plus qu'eux-mêmes en soient convaincus, d'autant qu'ils se fiaient à la description que son père en avait fait, celui d'une femme terne, effacée, sans grande passion. L'idée que sa mère ait pu connaître le bonheur dans les bras d'un autre homme, loin de choquer Chloé, la séduisait. Elle s'était depuis bien longtemps rendu compte que ses parents n'étaient plus que des étrangers l'un pour l'autre. Sa mère avait dû être aimée par cet étranger, elle avait dû être heureuse, il suffisait de parcourir la liste pour s'en rendre compte. Tendresse, fantaisie, désir, douceur, passion, la promesse d'un avenir serein et fou à la fois. Chloé l'enviait d'avoir vécu un tel amour. Elle songea aussi que sa mère possédait une personnalité bien plus complexe qu'il n'y paraissait. Le portrait que son père en avait brossé était injuste et erroné, Chloé pouvait y apporter plus de nuances mais il demeurait incomplet, une simple esquisse. Il était temps pour elle de partir à la recherche de sa mère, de suivre les traces de Manon, cette inconnue.
5 octobre, Carnets de Chloé
La discussion s’est déroulée comme je le redoutais. Aucun hurlement, il n’a même pas haussé le ton. Papa ne crie jamais, c’est totalement inutile. Par un curieux phénomène, sous l’effet de la colère, sa voix se métamorphose, se transforme. Elle prend des inflexions métalliques. Elle se solidifie littéralement pour acquérir la dureté et le tranchant incomparable des Haikus Itamae, ces couteaux japonais fabriqués par les descendants des artisans qui étaient réputés pour forger autrefois les sabres des samouraïs dans l’acier le plus pur, le plus noble, le plus affûté. Le fil aiguisé de son indignation vous hache en deux, comme un vulgaire poulet.
Cela n’a pas loupé. J’avais à peine terminé de lui expliquer mon intention de prendre une année sabbatique afin de retrouver maman qu’il m’a interrompue. Il ne m’a pas demandé comment j’allais procéder, ni même quelle était cette piste que la police avait négligée et que j’avais décidé de poursuivre, bille en tête. Son timbre acéré a fauché mes derniers mots « N’imagine pas un seul instant recevoir mon soutien financier dans cette aventure ! » Puis il a relevé l’écran de son ordinateur « Laisse-moi Chloé maintenant. J’attends un autre rendez-vous. » Pas un seul instant il n’a exprimé son inquiétude et moins encore son désir de voir maman réapparaître et il m'a encore moins laissé le temps de lui crier ma propre colère face à son indifférence. De toute manière, à quoi bon. Son attitude ne change en rien mes projets. Je dispose d’un petit pécule que m’a légué ma grand-mère à sa mort. Elle serait heureuse de voir à quelle fin je le consacre. J’ai donc quitté son bureau et me voilà de retour à la maison. Je parcours une fois de plus cette satanée liste. Mais que t’est-il donc passé par la tête, maman ? J’ignore totalement comment je vais m’y prendre, je ne sais pas par quel bout commencer. L’ordre de la liste a-t-il une quelconque importance ? Et pourquoi ne pas commencer par le plus simple, le plus évident ? Le gros avantage d’habiter Paris, c’est qu’il est possible de réaliser la grande majorité des résolutions énumérées dans cette liste sans quitter la ville. Prenez celle-ci par exemple.
1.Manger avec des baguettes chez Vong
Chez Vong est une institution. Vous trouverez le meilleur restaurant chinois de la capitale caché derrière une façade sans prétention en plein cœur de Paris. Les guides gastronomiques mentionnent : « Cette banale maison du quartier des Halles abrite un décor somptueux et raffiné de bambous, de vases et de sculptures auxquelles la pénombre ambiante ajoute une touche de mystère et de dépaysement. » Dieu quel horrible cliché! Ils n'ont pas tout à fait tort mais peinent néanmoins à décrire l'atmosphère empreinte de recueillement qui y règne. Il faut dire que la cuisine de Monsieur Vong atteint un tel degré de perfection qu'elle s'est élevée au statut de religion. Les clients, ses disciples, ne parlent qu'à voix basse, si tant est qu'il désirent faire autre chose que savourer leur plat et se concentrer sur l'art difficile du maniement de la baguette. Avec maman, nous y mangeons depuis de nombreuses années et toujours avec autant de délectation. L'imposant bouddha de beurre de cent kilos que Monsieur Vong a sculpté à l'occasion d'une soirée de gala du festival de Cannes et qu'il protège comme la prunelle de ses yeux dans une châsse de verre à l'entrée du restaurant m'est aussi familier que l'ours en peluche qui trône dans ma chambre depuis ma naissance. A qui voulait-elle donc faire découvrir ce temple culinaire ? Et pourquoi ne pas m’y rendre dès ce soir ?
Madame Vong me conduit vers une petite table situé dans un coin sur une terrasse légèrement surélevée. Monsieur Vong officie en cuisine, mais il vient toujours saluer ses convives à la fin de son service, je profiterai de l'occasion pour le questionner. D'où je suis assise, j'ai une vue imprenable sur la salle et sur l'imposante porte de pagode surmontée de tuiles de céramique vernissées qui décore l'entrée. Maman m'a un jour expliqué que la couleur de ces tuiles variait suivant la hiérarchie. Dans le cas présent, elles sont de couleur verte, Monsieur Vong doit compter parmi ses ancêtres des frères de l'empereur. Comme d'habitude, j'ai commandé un assortiment de Dim Sun, ces petits raviolis servis dans un panier en bambou. J'écarte d'emblée la fourchette disposée à côté de mon assiette, je n'en ai pas besoin. J'étais si petite la première fois que maman m'a emmenée ici et je me souviens avoir caressé avec ravissement les baguettes de laque rouge. Pour que je me tienne tranquille à table, maman me racontait des histoires. Que selon la légende, un empereur avait un jour banni couteaux et fourchettes de la Chine afin de ne pas mourir assassiné. Qu'il était plus probable que leur origine remontât bien avant l'invention des couverts occidentaux. Que le peuple chinois respectait les principes du Confucianisme qui voulaient entre autre que tout instrument utilisé pour le massacre et la violence n'ait pas sa place à table. C'est pourquoi aujourd'hui encore, la nourriture arrive toujours découpée à la bonne taille et il n'existe rien de tel que les baguettes, symboles de bienveillance, pour saisir ces morceaux et les porter à la bouche sans se brûler. Chaque fois que nous venions ici, maman me berçait de nouvelles légendes, de concubines et d'empoisonnement, de métaux précieux et des différences suivant que l'on fût en Corée ou au Japon.
Je me surprends à scruter les visages, à les contempler fixement à la limite de l'impolitesse, comme si maman allait apparaître d'un seul coup. Mais j'entrevois uniquement les fantômes entrelacés d'une petite fille et de sa maman, qui s'évaporent comme la vapeur de mes dim sun au-dessus de mon assiette. Gamine, comme tous les enfants, j'avais acquis la certitude de la présence inconditionnelle de ma mère, de son omnipotence. Le goûter dans mon cartable, les vêtements propres et repassés, le bisou qui soigne sur le bobo qui pique, autant d'attentions qu'elle tissait comme un filet de sécurité. Néanmoins, elle me laissait librement prendre mon envol. Moi j'étais funambule, trapéziste. Mais je savais qu'en cas de chute, je serais inévitablement rattrapée par le filet, par les bras de ma mère et son amour. Aujourd'hui, j'éprouve une intense sensation de vertige, j'ai l'impression d'être lâchée au-dessus du vide et que le moindre pas de travers me fera m'écraser de tout mon poids sur le sol. L'égoïsme propre aux adolescents m'a fait oublier que la présence de ma mère ne m'était pas acquise, que ce n'était pas un dû. Son absence aujourd'hui me le rappelle douloureusement.
Plongée dans mes pensées, je n'ai pas vu Monsieur Vong s'approcher. Pareil à lui même, coiffé de sa toque blanche, un sourire sans âge qui fait même briller ses yeux. J'ai toujours éprouvé pour lui une affection particulière, sans doute due à la sérénité et l'amabilité qu'il dégage. Détaché de tout, de ce monde, il se consacre à son unique vocation : procurer un plaisir gustatif inégalable à tous ceux qui viennent se restaurer chez lui. Le regarder m'apaise instantanément en dépit de ce qu'il m'apprend. Maman n'est pas venue ici depuis longtemps, pense-t-il. Cependant, il ne peut me l'affirmer avec certitude, il a délaissé ses chères casseroles durant une quinzaine de jours, le temps pour lui de terminer la sculpture d'un dragon de beurre que lui a commandé Luc Besson pour son prochain film. Non, le restaurant n'a pas fermé, son petit-fil était aux commandes mais il n'est pas là ce soir.
Je repars bredouille. Bien entendu, il pleut. Dans ma poche je chiffonne la liste des quatre-vingt-dix-neuf choses qu'il me reste à accomplir.
Yellow_Submarine- Nombre de messages : 278
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Re: Cent coups
Je continue de suivre. Avec plaisir.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
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Re: Cent coups
Oui, j'ai bien aimé ce nouveau fragment, au restau.
Quelques remarques :
« vers une petite table située dans un coin »
« les principes du confucianisme qui voulaient entre autres »
« Pareil à lui-même (trait d’union), coiffé de sa toque blanche »
Quelques remarques :
« vers une petite table située dans un coin »
« les principes du confucianisme qui voulaient entre autres »
« Pareil à lui-même (trait d’union), coiffé de sa toque blanche »
Procuste- Nombre de messages : 482
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Date d'inscription : 16/10/2010
Re: Cent coups
10 octobre, Carnets de Chloé
Je me suis réveillée cette nuit d’un mauvais rêve qui m’a laissée pantelante et inondée d’une sueur glacée, hagarde l’espace d’un instant. Je devais avoir huit ou neuf ans et maman me bordait dans mon lit en plein milieu de l’après-midi comme s’il était l’heure de me coucher. Etais-je malade ? Je me souviens de ses mains qui lissaient la couverture par-dessus mes épaules et du symbole rituel qu’elle traçait sur mon front d’un pouce léger, le signe de croix pourvoyeur de sommeil ; il chassait mes angoisses nocturnes et sans lui, il m’était impossible de m’endormir. Il lui était déjà arrivé de me priver de ce stigmate rassurant pour me punir à cause d’une bêtise un peu plus grave que les autres. Je passais alors la nuit à me retourner sous les draps pour fuir les ombres rampantes qui, j’en étais persuadée, finiraient inévitablement par m’engloutir.
Je me suis levée après qu’elle eut quitté ma chambre, mue par un étrange pressentiment et j’ai collé mon front contre la vitre. Je l’ai entendue ouvrir la porte d’entrée sans la refermer et vue s’engager dans l’allée du jardin. J’avais l’impression qu’elle frissonnait. Dehors, de légers flocons s’étaient mis à tomber. Elle traversait le jardin, marchait droit devant elle en direction du portail. Le vent s’était mis à souffler et la neige s’intensifiait, ses flocons en rangs serrés hachaient l’air d’éclats sombres et argentés. Maman devait être frigorifiée, la neige sur ses cheveux, sur ses épaules ne fondait plus, elle formait un casque, une croûte qui figeait ses mouvements et engourdissaient ses membres. Elle continuait d’avancer, pourtant, malgré les bourrasques, elle luttait contre les vents contraires et contre les flocons qui s’immisçaient entre ses lèvres et colmataient ses narines. J’avais toujours le front collé aux carreaux, des voiles de buée apparaissaient et disparaissaient au rythme de ma respiration. Elle s’enfonça progressivement dans l’atmosphère laiteuse qui la subtilisa à ma vue. Je n’avais toujours émis aucun son.
Ce cauchemar me laisse une sensation poisseuse, cet animal visqueux me susurre à l’oreille que c’était sans espoir et même une douche brûlante ne parvient pas à faire taire cette intuition.
Je décide de reprendre la liste et d’éliminer d’emblée les lignes qui ne me fournissent aucun indice concret. En revanche, elles débordent d’affection et d’imagination. Et à lire cet inventaire amoureux, le cœur me serre.
Numéro dix : t’écouter me lire un livre.
Numéro dix-sept : se promener dans un bois à l’aube.
Numéro vingt-huit : passer une après-midi sous la pluie à observer les escargots et les grenouilles.
Numéro trente-deux : manger dans de la jolie vaisselle au coin du feu à la bougie avec de la musique et du bon vin.
Numéro cinquante-quatre : t’emmener dans un jardin.
Numéro quatre-vingt-deux : passer une journée à vivre ensemble sans obligations ni contraintes, à faire ce que l’on veut.
Numéro quatre-vingt-neuf : conduire une nuit de pleine lune sans phares.
Numéro quatre-vingt-dix : Te regarder nue dans un lit, les fesses uniquement recouvertes d’un drap.
Numéro quatre-vingt-onze : t’offrir un cadeau et te regarder le déballer.
Numéro quatre-vingt-dix-neuf : être en colère et la sentir disparaître dans tes bras.
J’arrête mon dévolu sur le numéro deux « Assister à un concert d’Angus et Julia Stone avec toi ». En rentrant de ma soirée infructueuse chez Vong, j’ai croisé des affiches sur le passage dans la région précisément de ce groupe australien que maman écoutait sans discontinuer. Fruit du hasard ?
Je me suis réveillée cette nuit d’un mauvais rêve qui m’a laissée pantelante et inondée d’une sueur glacée, hagarde l’espace d’un instant. Je devais avoir huit ou neuf ans et maman me bordait dans mon lit en plein milieu de l’après-midi comme s’il était l’heure de me coucher. Etais-je malade ? Je me souviens de ses mains qui lissaient la couverture par-dessus mes épaules et du symbole rituel qu’elle traçait sur mon front d’un pouce léger, le signe de croix pourvoyeur de sommeil ; il chassait mes angoisses nocturnes et sans lui, il m’était impossible de m’endormir. Il lui était déjà arrivé de me priver de ce stigmate rassurant pour me punir à cause d’une bêtise un peu plus grave que les autres. Je passais alors la nuit à me retourner sous les draps pour fuir les ombres rampantes qui, j’en étais persuadée, finiraient inévitablement par m’engloutir.
Je me suis levée après qu’elle eut quitté ma chambre, mue par un étrange pressentiment et j’ai collé mon front contre la vitre. Je l’ai entendue ouvrir la porte d’entrée sans la refermer et vue s’engager dans l’allée du jardin. J’avais l’impression qu’elle frissonnait. Dehors, de légers flocons s’étaient mis à tomber. Elle traversait le jardin, marchait droit devant elle en direction du portail. Le vent s’était mis à souffler et la neige s’intensifiait, ses flocons en rangs serrés hachaient l’air d’éclats sombres et argentés. Maman devait être frigorifiée, la neige sur ses cheveux, sur ses épaules ne fondait plus, elle formait un casque, une croûte qui figeait ses mouvements et engourdissaient ses membres. Elle continuait d’avancer, pourtant, malgré les bourrasques, elle luttait contre les vents contraires et contre les flocons qui s’immisçaient entre ses lèvres et colmataient ses narines. J’avais toujours le front collé aux carreaux, des voiles de buée apparaissaient et disparaissaient au rythme de ma respiration. Elle s’enfonça progressivement dans l’atmosphère laiteuse qui la subtilisa à ma vue. Je n’avais toujours émis aucun son.
Ce cauchemar me laisse une sensation poisseuse, cet animal visqueux me susurre à l’oreille que c’était sans espoir et même une douche brûlante ne parvient pas à faire taire cette intuition.
Je décide de reprendre la liste et d’éliminer d’emblée les lignes qui ne me fournissent aucun indice concret. En revanche, elles débordent d’affection et d’imagination. Et à lire cet inventaire amoureux, le cœur me serre.
Numéro dix : t’écouter me lire un livre.
Numéro dix-sept : se promener dans un bois à l’aube.
Numéro vingt-huit : passer une après-midi sous la pluie à observer les escargots et les grenouilles.
Numéro trente-deux : manger dans de la jolie vaisselle au coin du feu à la bougie avec de la musique et du bon vin.
Numéro cinquante-quatre : t’emmener dans un jardin.
Numéro quatre-vingt-deux : passer une journée à vivre ensemble sans obligations ni contraintes, à faire ce que l’on veut.
Numéro quatre-vingt-neuf : conduire une nuit de pleine lune sans phares.
Numéro quatre-vingt-dix : Te regarder nue dans un lit, les fesses uniquement recouvertes d’un drap.
Numéro quatre-vingt-onze : t’offrir un cadeau et te regarder le déballer.
Numéro quatre-vingt-dix-neuf : être en colère et la sentir disparaître dans tes bras.
J’arrête mon dévolu sur le numéro deux « Assister à un concert d’Angus et Julia Stone avec toi ». En rentrant de ma soirée infructueuse chez Vong, j’ai croisé des affiches sur le passage dans la région précisément de ce groupe australien que maman écoutait sans discontinuer. Fruit du hasard ?
Yellow_Submarine- Nombre de messages : 278
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Date d'inscription : 08/01/2010
Re: Cent coups
Lire
Ce cauchemar me laisse une sensation poisseuse, cet animal visqueux me susurre à l’oreille que c’est sans espoir et même une douche brûlante ne parvient pas à faire taire cette intuition.
bien sûr
Ce cauchemar me laisse une sensation poisseuse, cet animal visqueux me susurre à l’oreille que c’est sans espoir et même une douche brûlante ne parvient pas à faire taire cette intuition.
bien sûr
Yellow_Submarine- Nombre de messages : 278
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Localisation : Fougères
Date d'inscription : 08/01/2010
Re: Cent coups
Je m'étonne que Chloé ne parle pas de retourner chez Vong pour interroger le fils... Sinon, j'ai beaucoup aimé le cauchemar !
Une remarque :
« une croûte qui figeait ses mouvements et engourdissait (et non « engourdissaient », c’est la croûte qui engourdit) ses membres »
Une remarque :
« une croûte qui figeait ses mouvements et engourdissait (et non « engourdissaient », c’est la croûte qui engourdit) ses membres »
Procuste- Nombre de messages : 482
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Date d'inscription : 16/10/2010
Flemme admirative.
Je n'ai lu que le premier passage mais il m'a paru excellent et notamment dans la peinture des tourments intimes de cette femme, qui se voit fanée, voûtée, usée, marquée par les ans. L'indifférence du mari, concerné uniquement par sa réussite sociale, l'absence totale d'échange, tout me parait finement ciselé et je n'ai rien à y redire. Jusqu'à la fille, accaparée par ses études, qui débarque ensuite pour constater les dégâts.
Juste étonné par le coup de la clé, qui a dû, normalement, être épluchée par les pandores. Mais bon, faut bien qu'elle trouve un truc, si on veut faire avancer l'histoire. Les ressorts grincent parfois, mais ils sont indispensables.
Bon boulot. Vu la masse en-dessous, je n'ai pas eu le courage d'y revenir. Mais je suis flemmard, c'est de notoriété publique. Me concentrant donc uniquement sur ce seul passage, moi je dis : chapeau.
Ubik.
Juste étonné par le coup de la clé, qui a dû, normalement, être épluchée par les pandores. Mais bon, faut bien qu'elle trouve un truc, si on veut faire avancer l'histoire. Les ressorts grincent parfois, mais ils sont indispensables.
Bon boulot. Vu la masse en-dessous, je n'ai pas eu le courage d'y revenir. Mais je suis flemmard, c'est de notoriété publique. Me concentrant donc uniquement sur ce seul passage, moi je dis : chapeau.
Ubik.
Re: Cent coups
L'enquête stagne mais la relation mère/fille s'étoffe par les souvenirs, pour mon plus grand plaisir.
Je trouve ces plongées dans la mémoire de Chloé bien faites et émouvantes, ce cauchemar est un moment fort.
Cette histoire me fait penser à une période de deuil avec ses bouffées de souvenirs qui prennent n'importe quand et où et cette envie de connaître ce qui a echappé de la vie et des envies et désirs secrets du ou de la disparue. La fille cherche moins à retrouver sa mère qu'à comprendre qui elle était vraiment.
Quand les mystères du disparu sautent aux yeux et qu'on tente de les percer pour lui redonner un peu de vie, le toucher encore un peu et palier l'absence.
Cela teinte le tout de nostalgie tendre.
Ce n'est que ma perception toute personnelle des choses...
Je trouve ces plongées dans la mémoire de Chloé bien faites et émouvantes, ce cauchemar est un moment fort.
Cette histoire me fait penser à une période de deuil avec ses bouffées de souvenirs qui prennent n'importe quand et où et cette envie de connaître ce qui a echappé de la vie et des envies et désirs secrets du ou de la disparue. La fille cherche moins à retrouver sa mère qu'à comprendre qui elle était vraiment.
Quand les mystères du disparu sautent aux yeux et qu'on tente de les percer pour lui redonner un peu de vie, le toucher encore un peu et palier l'absence.
Cela teinte le tout de nostalgie tendre.
Ce n'est que ma perception toute personnelle des choses...
elea- Nombre de messages : 4894
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Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Cent coups
J’arrête mon dévolu sur le numéro deux « Assister à un concert d’Angus et Julia Stone avec toi ». En rentrant de ma soirée infructueuse chez Vong, j’ai croisé des affiches sur le passage dans la région précisément de ce groupe australien que maman écoutait sans discontinuer. Etait-ce une pure coïncidence ?
Cependant, avant de continuer à explorer la liste, je me dois de rencontrer le petit-fils de Monsieur Vong, d’examiner toutes les éventualités, de questionner toutes les personnes susceptibles de l’avoir aperçue. A tout hasard, j’ai emporté l’avis de recherche, je me suis maudite de ne pas avoir trouvé de photo plus ressemblante. Il n’en existe aucune. Des photos de moi par centaines mais c’était toujours maman qui se trouvait derrière l’objectif. Et quand d’aventure, papa nous accompagnait lors d’une de nos rares sorties familiales, sur les clichés, maman n’était qu’ombre floue, mèches de cheveux au vent, dos tourné.
Papa ne m’interroge pas sur les résultats de mes investigations. D’ailleurs, je ne le vois même plus. J’ai croisé hier la femme de ménage, elle m’a demandé s’il était encore utile qu’elle vienne toutes les semaines. Papa ne rentre plus, il doit séjourner à l’hôtel ou dormir sur le canapé dans son bureau, voire ailleurs mais peu m’importe. Quant à moi, je pars en coup de vent le matin et ne reviens que le soir. La maison est inoccupée, vidée de sa substance. La poussière peut s’accumuler sur les meubles, personne ne le remarquera.
Le petit-fils de Monsieur Vong lui ressemble, silhouette longiligne et sourire immuable. A ce détail près que son sourire se limite aux lèvres ; son regard, lui, demeure distant et j’imagine très bien ce qu’il pense alors qu’il me regarde avec condescendance, son mépris pour les épouses oisives qui abandonnent famille et enfants. Il s’incline légèrement devant moi mais sa révérence reflète toute l’arrogance dont il est capable. C’est à peine si j’ose lui montrer l’affichette.
Oui, il a vu cette femme. Deux fois la même semaine, ce qui en soi n’a rien d’inhabituel. La première fois, elle était accompagnée d’un habitué, Antoine. Non, il ne connaît pas son nom de famille. Juste qu’il s’agit d’un homme d’affaires qui invite régulièrement ses clients à déjeuner ici mais il réserve toujours sa table sous son seul prénom. Maman ne travaillait pas, je m’interroge dès lors sur le rapport qu’elle pouvait entretenir avec cet « Antoine ». Elle est revenue un autre soir, avec un autre homme. Il ne l’avait jamais croisé auparavant. Barbu, des cheveux mi-longs qui bouclaient dans son cou. La coupe impeccable du petit-fils de Monsieur Vong indique sans nul doute qu’en ce qui le concerne, toute longueur non règlementaire est un signe manifeste de négligence. L’homme devait avoir une quarantaine d’années ainsi que l’indiquait sa chevelure poivre et sel mais son allure sportive et sa minceur le rajeunissaient. La complicité qui les liait était palpable, ils ne se sont pas quitté des yeux de tout le repas, des rires fusaient qu’ils tentaient en vain de contenir. Et…A ces mots, la voix du petit-fils de Monsieur Vong en tremble quasiment d’indignation. Et, cette femme lui avait même demandé d’arbitrer un concours de dextérité. Elle a gagné, elle utilisait ses baguettes avec agilité. L’homme, moins adroit ou moins expérimenté, avait laissé choir quelques grains de riz sur la nappe, grains de riz que le petit-fils de Monsieur Vong s’était empressé de ramasser, histoire de ne pas ternir davantage la réputation du restaurant déjà considérablement mise à mal par le comportement de ma mère. De toute évidence, il considérait cette attitude inconvenante comme un outrage personnel. C’était tout, l’homme a réglé l’addition et ils sont partis, il lui tenait la main.
Sur ces mots, le petit-fils de Monsieur Vong s’incline à nouveau. Son récit terminé, il s’empresse de se détourner de moi. Il m’a parlé uniquement parce que son grand-père me connaît depuis mon enfance et qu’il le lui a demandé avec insistance. Je demeure plantée dans l’entrée, à l’endroit même où s’est déroulée toute notre conversation. Je n’esquisse pas un geste, assommée par ces révélations. J’éprouve un sentiment mitigé. Le manque de retenue inhabituel de ma mère me laisse perplexe mais néanmoins, ces informations sont encourageantes. Mon obstination me permet enfin de récolter les premières traces tangibles, les premiers indices concrets après des jours et des jours de vaines recherches. La liste est un jeu de piste, elle finira bien par me mener quelque part.
Cependant, avant de continuer à explorer la liste, je me dois de rencontrer le petit-fils de Monsieur Vong, d’examiner toutes les éventualités, de questionner toutes les personnes susceptibles de l’avoir aperçue. A tout hasard, j’ai emporté l’avis de recherche, je me suis maudite de ne pas avoir trouvé de photo plus ressemblante. Il n’en existe aucune. Des photos de moi par centaines mais c’était toujours maman qui se trouvait derrière l’objectif. Et quand d’aventure, papa nous accompagnait lors d’une de nos rares sorties familiales, sur les clichés, maman n’était qu’ombre floue, mèches de cheveux au vent, dos tourné.
Papa ne m’interroge pas sur les résultats de mes investigations. D’ailleurs, je ne le vois même plus. J’ai croisé hier la femme de ménage, elle m’a demandé s’il était encore utile qu’elle vienne toutes les semaines. Papa ne rentre plus, il doit séjourner à l’hôtel ou dormir sur le canapé dans son bureau, voire ailleurs mais peu m’importe. Quant à moi, je pars en coup de vent le matin et ne reviens que le soir. La maison est inoccupée, vidée de sa substance. La poussière peut s’accumuler sur les meubles, personne ne le remarquera.
Le petit-fils de Monsieur Vong lui ressemble, silhouette longiligne et sourire immuable. A ce détail près que son sourire se limite aux lèvres ; son regard, lui, demeure distant et j’imagine très bien ce qu’il pense alors qu’il me regarde avec condescendance, son mépris pour les épouses oisives qui abandonnent famille et enfants. Il s’incline légèrement devant moi mais sa révérence reflète toute l’arrogance dont il est capable. C’est à peine si j’ose lui montrer l’affichette.
Oui, il a vu cette femme. Deux fois la même semaine, ce qui en soi n’a rien d’inhabituel. La première fois, elle était accompagnée d’un habitué, Antoine. Non, il ne connaît pas son nom de famille. Juste qu’il s’agit d’un homme d’affaires qui invite régulièrement ses clients à déjeuner ici mais il réserve toujours sa table sous son seul prénom. Maman ne travaillait pas, je m’interroge dès lors sur le rapport qu’elle pouvait entretenir avec cet « Antoine ». Elle est revenue un autre soir, avec un autre homme. Il ne l’avait jamais croisé auparavant. Barbu, des cheveux mi-longs qui bouclaient dans son cou. La coupe impeccable du petit-fils de Monsieur Vong indique sans nul doute qu’en ce qui le concerne, toute longueur non règlementaire est un signe manifeste de négligence. L’homme devait avoir une quarantaine d’années ainsi que l’indiquait sa chevelure poivre et sel mais son allure sportive et sa minceur le rajeunissaient. La complicité qui les liait était palpable, ils ne se sont pas quitté des yeux de tout le repas, des rires fusaient qu’ils tentaient en vain de contenir. Et…A ces mots, la voix du petit-fils de Monsieur Vong en tremble quasiment d’indignation. Et, cette femme lui avait même demandé d’arbitrer un concours de dextérité. Elle a gagné, elle utilisait ses baguettes avec agilité. L’homme, moins adroit ou moins expérimenté, avait laissé choir quelques grains de riz sur la nappe, grains de riz que le petit-fils de Monsieur Vong s’était empressé de ramasser, histoire de ne pas ternir davantage la réputation du restaurant déjà considérablement mise à mal par le comportement de ma mère. De toute évidence, il considérait cette attitude inconvenante comme un outrage personnel. C’était tout, l’homme a réglé l’addition et ils sont partis, il lui tenait la main.
Sur ces mots, le petit-fils de Monsieur Vong s’incline à nouveau. Son récit terminé, il s’empresse de se détourner de moi. Il m’a parlé uniquement parce que son grand-père me connaît depuis mon enfance et qu’il le lui a demandé avec insistance. Je demeure plantée dans l’entrée, à l’endroit même où s’est déroulée toute notre conversation. Je n’esquisse pas un geste, assommée par ces révélations. J’éprouve un sentiment mitigé. Le manque de retenue inhabituel de ma mère me laisse perplexe mais néanmoins, ces informations sont encourageantes. Mon obstination me permet enfin de récolter les premières traces tangibles, les premiers indices concrets après des jours et des jours de vaines recherches. La liste est un jeu de piste, elle finira bien par me mener quelque part.
Yellow_Submarine- Nombre de messages : 278
Age : 53
Localisation : Fougères
Date d'inscription : 08/01/2010
Re: Cent coups
Un jeu de piste qui m'intéresse de plus en plus !
Deux remarques :
« toute longueur non réglementaire »
« Et…A ces mots » : typographie, une espace après les points de suspension
Deux remarques :
« toute longueur non réglementaire »
« Et…A ces mots » : typographie, une espace après les points de suspension
Procuste- Nombre de messages : 482
Age : 62
Localisation : œ Œ ç Ç à À é É è È æ Æ ù Ù â  ê Ê î Î ô Ô û Û ä Ä ë Ë ï Ï ö Ö ü Ü – —
Date d'inscription : 16/10/2010
Re: Cent coups
Merci de vos commentaires, Procuste. J'ai retravaillé les dernier paragraphe qui ne me plaisait pas en l'état.
Sur ces mots, le petit-fils de Monsieur Vong s’incline à nouveau. Son récit terminé, il s’empresse de se détourner de moi. Il m’a parlé uniquement parce que son grand-père me connaît depuis mon enfance et qu’il le lui a demandé avec insistance. Je demeure plantée dans l’entrée, à l’endroit même où s’est déroulée toute notre conversation. Je n’esquisse pas un geste, assommée par ces révélations. Le manque de retenue inhabituel de ma mère me laisse perplexe mais néanmoins, ces informations sont encourageantes. Mon obstination me permet enfin de récolter les premières traces tangibles, les premiers indices concrets après des jours et des jours de vaines recherches. L’amoureux de maman n’est pas le fruit de mon imagination fertile. J’éprouve à cet égard un sentiment mitigé : papa a beau être ce qu’il est, l’indifférence personnifiée, je ne suis pas au courant de tous les tenants et aboutissants du couple que formaient mes parents. Peut-être ne méritait-il pas cela ? Je côtoyais au quotidien la solitude de maman et j’avais condamné mon père, coupable de tous les maux, sans aucune présomption d’innocence. Il fallait un prédateur et une proie. Maman, muette et complaisante, jouait ce rôle à la perfection. Et moi, mon dévouement filial me plaçait d’office aux côtés de la victime. J’ai aujourd’hui le sentiment que ce n’est pas si simple, que la situation est plus ambiguë qu’il n’y paraissait de prime abord. J’assemble petit à petit les pièces du puzzle avec la liste comme fil conducteur. C’est un jeu de piste qui finira bien par me mener quelque part.
Sur ces mots, le petit-fils de Monsieur Vong s’incline à nouveau. Son récit terminé, il s’empresse de se détourner de moi. Il m’a parlé uniquement parce que son grand-père me connaît depuis mon enfance et qu’il le lui a demandé avec insistance. Je demeure plantée dans l’entrée, à l’endroit même où s’est déroulée toute notre conversation. Je n’esquisse pas un geste, assommée par ces révélations. Le manque de retenue inhabituel de ma mère me laisse perplexe mais néanmoins, ces informations sont encourageantes. Mon obstination me permet enfin de récolter les premières traces tangibles, les premiers indices concrets après des jours et des jours de vaines recherches. L’amoureux de maman n’est pas le fruit de mon imagination fertile. J’éprouve à cet égard un sentiment mitigé : papa a beau être ce qu’il est, l’indifférence personnifiée, je ne suis pas au courant de tous les tenants et aboutissants du couple que formaient mes parents. Peut-être ne méritait-il pas cela ? Je côtoyais au quotidien la solitude de maman et j’avais condamné mon père, coupable de tous les maux, sans aucune présomption d’innocence. Il fallait un prédateur et une proie. Maman, muette et complaisante, jouait ce rôle à la perfection. Et moi, mon dévouement filial me plaçait d’office aux côtés de la victime. J’ai aujourd’hui le sentiment que ce n’est pas si simple, que la situation est plus ambiguë qu’il n’y paraissait de prime abord. J’assemble petit à petit les pièces du puzzle avec la liste comme fil conducteur. C’est un jeu de piste qui finira bien par me mener quelque part.
Yellow_Submarine- Nombre de messages : 278
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Localisation : Fougères
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