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La moisson de Marie

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Jean Lê
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Message  Jean Lê Sam 25 Déc 2010 - 22:56

Marie s’est levé tôt ce matin. Elle doit préparer le petit déjeuner pour Agathe et Pierre. Elle remplit trois bols de cacao fumant sur la toile cirée en vichy rouge puis saisie la boule de pain de ménage cuite au four du hameau. La boule calée contre l’épaule à la manière d’un violon elle l’entame au couteau. Trois coups d’archet, la lame de laurier tranche un tour de pain net. Puis elle pioche dans la motte de beurre frais barattée où luisent les grains de sel de mer. On ne va pas manger du pain sec. Le pain sec ici ce n’est pas le pain rassis, non, le pain sec c’est du pain sans beurre.
Petit Pierre et Agathe devront s’occuper entre eux aujourd’hui, Marie a trop à faire : la vaisselle, un coup de balai sur la terre battue, porter la provende aux poulets et la pâtée au cochon. En plus de ces tâches habituelles son père lui a demandé de moissonner le champ de blé. Il est ébéniste et peine à finir un trousseau pour un mariage, ses ouvriers lui manquent pour achever l’armoire, la table et le buffet dans les temps. Il va au moins faire le lit. Beaucoup d’hommes jeunes viennent de partir et la moisson a besoin de bras.
Marie tire une seillerée d’eau au puit puis affûte la lame de sa faucille, la pierre miaule sur l’acier.
Elle s’élance à travers le potager sous les sifflements des merles. Là s’étend le carré de blé.
Marie vient d’avoir quinze ans, elle est grande et robuste, mais elle préfère les fins travaux d’aiguilles aux rudes travaux des champs. C’est la première fois qu’elle doit moissonner seule. Elle décide de commencer à partir des châtaigniers en bas du champ, là ou le pic-vert fait résonner ça mitrailleuse.
Il fait beau. Les bleuets et les coquelicots parsèment la blondeur de la parcelle. Après les premiers coups de faucille un peu désordonnés le rythme s’impose. Chaque croissant de lame trace une clairière de picots ras. Les blés murs se fauchent et tombent comme un seul homme sans un plis.
Puis il faut brasser la gerbe et lier la javelle. Plus tard on portera les gerbes sur l’aire de la batteuse. De temps à autre la nature propose une pause, reinette, orvet, campagnol grouillent dans les chaumes. Alors Marie essuie sa sueur et rajuste son foulard. Elle se redresse et les mains sur ses reins endoloris suit du regard un vol de corneilles qui se fond dans le soleil. C’est peut-être des colombes se dit-elle dans l’illusion du contre-jour.
Ensuite c’est un geai qui pousse son cri d’alarme, Marie ne relève pas la tête et n’arrête pas son bras pour si peu. Alors elle entend la cloche. Elle ne carillonne pas joyeuse comme pour messe ou vêpres et ce n’est pas l’heure des matines ou de l’angélus. Non, elle tinte gravement d’une vibration noire, lugubre et lente. Un glas qui ne s’arrête plus en ce matin du vingt trois août mille neuf cent quatorze.
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Message  Invité Dim 26 Déc 2010 - 9:26

Très émue par ce texte qui m'a replongée dans l'excellent roman de Alice Ferney, sur le même thème ("Dans la guerre") et que je conseille sans réserve.

J'ai énormément apprécié comme tout se met en place par petites touches subtiles émaillées ici et là : le trousseau de mariage, les bleuets et les coquelicots, les blés qu'on fauche et qui tombent, les colombes qu'on espère... On progresse dans la compréhension comme on progresse dans la journée, lentement et sûrement ; en poésie aussi, puisque aussi bien elle se trouve partout.

J'indique quelques coquilles ci-dessous, ce serait dommage qu'elles dénaturent ce beau texte :

puis saisit la boule de pain
les fins travaux d’aiguilles
là où le pic-vert fait résonner sa mitrailleuse.
Les blés mûrs se fauchent et tombent comme un seul homme sans un plis.


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Message  elea Dim 26 Déc 2010 - 20:00

Un texte qui sonne particulièrement vrai, des gestes au paysage, en passant par les tâches, tout ancre dans l’époque puis dans l’histoire avec la dernière phrase.
Dernière phrase qui clôt la progression et fait basculer la scénette champêtre dans l’horreur. Joliment mené.

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Message  Maryse Lun 27 Déc 2010 - 9:39

très émue
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Message  Yali Lun 27 Déc 2010 - 13:17

Que pourrais-je dire si ce n'est que malgré le fait que ce ne soit pas ma tasse de thé : l'époque, le côté rural, ben j'aime parce que simplement juste, rien de trop, rien de moins, à croire que l'équilibre existe. Maintenant, reste à savoir si sur la longueur la magie opère encore ?

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Message  midnightrambler Lun 27 Déc 2010 - 18:02

Bonsoir,

Lorsqu'un texte bas et lourd pèse comme un couvercle sur ...

C'est au mot "seillerée" que j'aurais cessé de lire si ce texte n'était pas sur VE.
- barratte ... d'accord je connaissais,
- provende ... mmouais, j'ai compris d'après le contexte,
- seillerée ... j'ai aussi compris d'après le contexte mais mon lexique en ligne refusait de m'en dire plus ! Après enquête, si mon dictionnaire préféré me donne bien cuillérée après cuillère, il ne mentionne pas de "seillerée" après seille (Vx pour vieux : récipient en bois ou en toile en forme de seau ...)
Vous l'avez compris, j'ai trouvé ce vocabulaire fatigant !
Des maladresses :
- le pain sec a toujours été du pain sans beurre, inutile de le préciser ...
- on imagine mal que l'ébéniste ait un "trousseau" à finir ... si le sens de ce mot peut être élargi pour désigner tout ce que l'on donne à une jeune fille, il englobe surtout le linge, la lingerie et les vêtements qu'on donne à une fille qui se marie ou qui entre en religion ...
- la mitrailleuse du pic-vert est doublement maladroite car huits cents coups de bec à la minute ça fait quand même beaucoup et ce détail, dans le corps du texte, nous prépare à la chute de la même façon que l'évocation de tous ces jeunes hommes absents qui laissent les jeunes filles faire la moisson à la faux d'ailleurs plutôt qu'à la faucille ... on se doute bien qu'ils ne sont pas partis au Club Med !

Quelques remarques :
- Marie tire une seillerée (?) au puits puis affûte la lame de sa faucille ... (je me suis interrogé sur ce pui-pui ... chant d'oiseau ?)
- les blés mûrs sont fauchés ...
- reinettes, orvets, campagnols grouillent dans les chaumes.
- Ce sont peut-être des colombes ...

Amicalement,
Midnightrambler


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Message  Jean Lê Mar 28 Déc 2010 - 9:39

Easter(Island)
J’ai essayé de retranscrire le souvenir de la déclaration de guerre que m’a raconté ma grand-mère dans mon enfance.
Vous avez bien vu, je n’ai pas voulu favoriser la chute, mais au contraire parsemer ce récit de détails pour faire monter un sentiment d’oppression à la lecture.
Je note votre conseil de lecture pour le roman d’Alice Verney dans la grande guerre.
Merci pour vos corrections.

Elea
Oui, il s’agit d’une histoire vraie, la longére, le puits, le champ et les châtaigniers sont toujours là.

Maryse
Merci pour votre impression de lecture.

Yali
Merci pour votre commentaire. Il me laisse dans l’expectative et je ne sais pas si je vais continuer plus loin, comme ce magicien que l’on attend au tournant...

Midnightrambler
Je fais toujours un effort lexical, dommage que vous trouviez le vocabulaire fatigant. Les mots sont d’abord usuels avant d’entrer ou pas dans les dictionnaires et seillerée est le mot utilisé dans ma vallée.
Dans le sud, le pain sec est du pain rassis.
Mon arrière grand-père était ébéniste et trousseau est le bon terme.
Un pic décoche 30 à 40 impacts en moins de trois secondes, la comparaison avec une mitrailleuse n’est donc pas maladroite, une hotchkiss de 1914 avait une cadence théorique de 500 coups par minute mais en réalité le temps de chargement des bandes métalliques de 30 cartouches lui donnait une cadence bien moindre.
Le lecteur éclairé peut rapidement situer le contexte, je ne cherche pas à préparer la chute mais plutôt à faire sourdre l’émotion par des images ou des sensations dont j’ai parsemé ce texte, comme entre autres : les blés se fauchent et tombent comme un seul homme sans un plis.
A la relecture vous en trouverez bien d’autres et ce que vous considérez comme maladroit est intentionnel. Il me semble que vous l’aviez bien compris puisque vous aviez noté que les hommes absents ne sont pas au club méd !
Désolé si c’est du mauvais français mais ma grand-mère bretonne aurait dit : « c’est peut-être des colombes » en voyant le vol. Je vais rajouter des guillemets.
Merci de me permettre d’apporter ces précisions.
Je vais corriger les animaux qui grouillent dans les chaumes pour les mettre au pluriel et remplacer ce deuxième « puis ».




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Message  Ba Mar 28 Déc 2010 - 9:45

Dans cette écriture s'éveillent des auteurs lointains, je pense à Martin du Gard, Troya, voire Giono, et à travers cette voix, la leur toujours présente.
Une voix ancienne qui n'en finit pas de poursuivre sa route, et c'est tant mieux pour les lecteurs contemporains.
La recherche lexicale montre un sérieux dans le travail de composition.
Qui se plaindrait que la partition fût juste ?
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Message  grieg Jeu 30 Déc 2010 - 7:40

façon classique, mais originale.
de la belle ouvrage. Ce que j'aime lire quand je me sens nostalgique.

grieg

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Message  Invité Jeu 30 Déc 2010 - 9:02

Un beau texte, démodé, mais qu'est-ce qu'on s'en fiche, si c'est un beau texte !

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Message  Dilo Jeu 30 Déc 2010 - 12:10


Un texte réussi je trouve qui me rendrait presque nostalgique de l'époque (le côté champêtre). Surtout sans avoir connu les difficultés de la vie quotidienne, et encore moins les événements qui suivent. Un peu trop appuyé parfois : le coup de balai sur la terre battue par exemple.

Dilo

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