Comme un amour d'un soir doutant du lendemain
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Lisa Decaen
boudi
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Comme un amour d'un soir doutant du lendemain
J'ai des amours et leurs prénoms ne durent qu'un soir, l'encre des voyelles se fond dans la rosée. J'ai des amours malades, le plaisir les étouffe. La nuit épuise le frisson qui me guide à leurs détours. Les fleurs que je tiens, dans le vase de mes reins, éclatent sous la rivière amoureuse. Son courant geint de l'étreinte. Le rivage de nos lèvres est trop fragile pour le souvenir. Il s'y noie, le poumon gorgé de l'eau trouble du baiser. La porte grince, résolue déjà d'adieux. Il y a dans ces draps du désir mais pas de futur. Déjà on y trouve plus son nom.
Déjà, demain ne se souvient pas : le jus de nos rires trempant la rue, les ombres où nos gestes maladroits d'alcools dérangaient le sommeil jusqu'à la trêve. Déjà demain a le parler machinal de ces nuits d'avant l'écarlate aux mains, les rides aux muscles, déjà ces sueurs communes, ces fatigues se dispersent, chaque course s'oublie dans sa mesure.
J'ai connu ces amours aux paraîtres nostalgiques, le crachin des baisers oublieux y forme les pigments de l'intime et répètent accordés « J'ai la couleur de l'oubli. »
J'ai su ces stupeurs matinières de faire pencher mon bras au rebord d'une habitude de solitude et y découvrir le gésir d'un corps plein des cheveux des muses. Je n'ai jamais au réveil les bons ciseaux pour y découper les rimes. La poésie saignera sur les poitrines de ces abandonnées, le café gâchera le reste de leurs parfums. Les oiseaux suffoqueront le matin par la fenêtre, et sur la branche tordue de dimanche et sous leurs plumes il y aura une voix, la voix rauque d'un amour visité de la mélancolie du minuit. Déjà je ne sais plus les yeux de qui souffle le vers. Déjà à l'hémistiche transparent j'entends un autre pas invisible.
J'ai oublié des prénoms dans des lits de murmures. Des prénoms légers et humides comme l'eau fuyante d'une averse. L'ordinaire boit à ces nuages là. La morale en vide le bassin. L'esquisse de la voix s'atrophie jusqu'au silence. Déjà nos pas ralentissent et n'iront pas jusque demain. Le futur ne vous attend pas, amour d'un temps déjà usé. Vos goûts de mûres et de myrtilles ne laissent que des reflets d'indigos. Le jour me happe.
Mes amours cueillis dans le tard sont des fleurs fragiles ; le matin les fane.
Il y a des peurs souterraines qui les poussent hors de la terre muette. Le pleur d'une nuit où la grâce ne se gâcherait pas dans les bras d'un poète, où la paupière de muse ne libérerait pas son poison en les bouffées de son frémissement, ricoche dans la Seine. Si vous cherchez les éphémères syllabes que le soupir éteint, dont les voyelles brûlent en un soir, se cassent en un cri, suivez les psaumes inquiets du samedi, la liturgie des verres entre eux heurtés. A la corniche de ces joies le passant voit des prénoms aux yeux tristes d'amante trompée. Et les yeux obscènes se cachent sous leurs sourcils.
Des colères de tous les âges cassent dans les berges mortes. Les noyés y rient, les péniches y baignent. Et tous ces sentiments remuent dans le courant disjoint des joies de Paris..
Mes amours sont américains, ils n'ont pas d'Histoire.
Je voudrais, détourner la pâleur de matin enneigé qu'on trouve dans tes yeux, monter de mes rimes régulières des digues légères, durcir les argiles de dessous le silence, unir des gestes abandonnés en des hauteurs suffisantes pour irriguer ces fleurs maussades que j'abrite dans moi, que tu leur offres ce teint indien qui sous tes yeux soulignent un peu du futur que je délaisse. Tu chantes avec ton flot de détresse, tu danses avec tes iris bouclés de chaleur, tu meurs enfin, avec le sommeil qui t'entrave et prive ta beauté du mouvement qui la parfait. Et tout ce corps détaché des pudeurs adultes, des politesses légales, et tout ce corps rendu à sa cruauté primitive, j'attends que sous l'ombre de ma crainte d'enfant-loup, tu l'oublies. Je le dévorerai avec des mots gentils. Je leur mettrai des ongles de fille-sages, et des bouches de nourrisson. Je te ferai les délits doux comme la grêle fondue, tu pourras y frémir si le mot de soleil ne perce pas trop fort le grillage de tes cils.
Il y a des pays qui naissent sous le soleil des mirages, qui réfléchissent contre les bosses de mercure les symphonies muettes que poussent les songes. Je t'ai rencontrée souvent dans ces Eglises que je fais avec les rares pierres de mon sommeil, je t'ai salie la main jusque sous la nef, et la lumière, à travers le vitrail changeant, jetait ses mythes d'enfer, des angelots rapiécés par des pages de cantique te faisaient une gloire. Ils renversaient les sacrements pour toi, les réunissaient dans la splendeur de leurs voix tachés de péchés. Contre tes habits mouvementés l'orgue jouait, le lierre s'éveillait et tes tourments résonnaient sacrés comme l'heure des messes des Pâques. Agenouillé, j'attendais ton doux murmure. Cet adoubement trois fois sacré.
Je peux t'aimer avec mes caprices d'enfant, défaire ta tresse, mordre dans tes joues. Te dire des mots si fragiles, que tu nous serrerais eux et moi sur toi, nous rendant de ta chaleur humaine.
Reste le monde, c'est si peu.
Pourtant, il faut déjà que je te laisse à la nuit, au sommeil, à ces paysages qui te jappent les yeux et dont au réveil tu me décomptes les sortilèges, les charmes, les manières, et les figures d'hostilité qui s'y figent. Autour du feu de ton corps, crépitent les images exhalées du songe. Dans les mouvements de ton visage, ses stupéfactions, ses pétrifications, ses hurlements sans bruits, se désordonnent toutes les légendes, toutes ces rencontres, et ces amis qui pour une nuit vivent dans les replis de toi, que le rêve anime depuis la subtile matière de tes imaginations.
Je te laisse à cet hiver que je ne sais pas. S'il te plaît n'y prends pas froid. Je vais à mon paysage immobile que la fatigue écarquille, que mes doigts secouent, je ferai tomber de ces arbres des fruits invisibles, j'en croquerai l'écorce, je t'en laisserai la chair. Le jus fera de l'obscurité à nos secrets.
Déjà, demain ne se souvient pas : le jus de nos rires trempant la rue, les ombres où nos gestes maladroits d'alcools dérangaient le sommeil jusqu'à la trêve. Déjà demain a le parler machinal de ces nuits d'avant l'écarlate aux mains, les rides aux muscles, déjà ces sueurs communes, ces fatigues se dispersent, chaque course s'oublie dans sa mesure.
J'ai connu ces amours aux paraîtres nostalgiques, le crachin des baisers oublieux y forme les pigments de l'intime et répètent accordés « J'ai la couleur de l'oubli. »
J'ai su ces stupeurs matinières de faire pencher mon bras au rebord d'une habitude de solitude et y découvrir le gésir d'un corps plein des cheveux des muses. Je n'ai jamais au réveil les bons ciseaux pour y découper les rimes. La poésie saignera sur les poitrines de ces abandonnées, le café gâchera le reste de leurs parfums. Les oiseaux suffoqueront le matin par la fenêtre, et sur la branche tordue de dimanche et sous leurs plumes il y aura une voix, la voix rauque d'un amour visité de la mélancolie du minuit. Déjà je ne sais plus les yeux de qui souffle le vers. Déjà à l'hémistiche transparent j'entends un autre pas invisible.
J'ai oublié des prénoms dans des lits de murmures. Des prénoms légers et humides comme l'eau fuyante d'une averse. L'ordinaire boit à ces nuages là. La morale en vide le bassin. L'esquisse de la voix s'atrophie jusqu'au silence. Déjà nos pas ralentissent et n'iront pas jusque demain. Le futur ne vous attend pas, amour d'un temps déjà usé. Vos goûts de mûres et de myrtilles ne laissent que des reflets d'indigos. Le jour me happe.
Mes amours cueillis dans le tard sont des fleurs fragiles ; le matin les fane.
Il y a des peurs souterraines qui les poussent hors de la terre muette. Le pleur d'une nuit où la grâce ne se gâcherait pas dans les bras d'un poète, où la paupière de muse ne libérerait pas son poison en les bouffées de son frémissement, ricoche dans la Seine. Si vous cherchez les éphémères syllabes que le soupir éteint, dont les voyelles brûlent en un soir, se cassent en un cri, suivez les psaumes inquiets du samedi, la liturgie des verres entre eux heurtés. A la corniche de ces joies le passant voit des prénoms aux yeux tristes d'amante trompée. Et les yeux obscènes se cachent sous leurs sourcils.
Des colères de tous les âges cassent dans les berges mortes. Les noyés y rient, les péniches y baignent. Et tous ces sentiments remuent dans le courant disjoint des joies de Paris..
Mes amours sont américains, ils n'ont pas d'Histoire.
Je voudrais, détourner la pâleur de matin enneigé qu'on trouve dans tes yeux, monter de mes rimes régulières des digues légères, durcir les argiles de dessous le silence, unir des gestes abandonnés en des hauteurs suffisantes pour irriguer ces fleurs maussades que j'abrite dans moi, que tu leur offres ce teint indien qui sous tes yeux soulignent un peu du futur que je délaisse. Tu chantes avec ton flot de détresse, tu danses avec tes iris bouclés de chaleur, tu meurs enfin, avec le sommeil qui t'entrave et prive ta beauté du mouvement qui la parfait. Et tout ce corps détaché des pudeurs adultes, des politesses légales, et tout ce corps rendu à sa cruauté primitive, j'attends que sous l'ombre de ma crainte d'enfant-loup, tu l'oublies. Je le dévorerai avec des mots gentils. Je leur mettrai des ongles de fille-sages, et des bouches de nourrisson. Je te ferai les délits doux comme la grêle fondue, tu pourras y frémir si le mot de soleil ne perce pas trop fort le grillage de tes cils.
Il y a des pays qui naissent sous le soleil des mirages, qui réfléchissent contre les bosses de mercure les symphonies muettes que poussent les songes. Je t'ai rencontrée souvent dans ces Eglises que je fais avec les rares pierres de mon sommeil, je t'ai salie la main jusque sous la nef, et la lumière, à travers le vitrail changeant, jetait ses mythes d'enfer, des angelots rapiécés par des pages de cantique te faisaient une gloire. Ils renversaient les sacrements pour toi, les réunissaient dans la splendeur de leurs voix tachés de péchés. Contre tes habits mouvementés l'orgue jouait, le lierre s'éveillait et tes tourments résonnaient sacrés comme l'heure des messes des Pâques. Agenouillé, j'attendais ton doux murmure. Cet adoubement trois fois sacré.
Je peux t'aimer avec mes caprices d'enfant, défaire ta tresse, mordre dans tes joues. Te dire des mots si fragiles, que tu nous serrerais eux et moi sur toi, nous rendant de ta chaleur humaine.
Reste le monde, c'est si peu.
Pourtant, il faut déjà que je te laisse à la nuit, au sommeil, à ces paysages qui te jappent les yeux et dont au réveil tu me décomptes les sortilèges, les charmes, les manières, et les figures d'hostilité qui s'y figent. Autour du feu de ton corps, crépitent les images exhalées du songe. Dans les mouvements de ton visage, ses stupéfactions, ses pétrifications, ses hurlements sans bruits, se désordonnent toutes les légendes, toutes ces rencontres, et ces amis qui pour une nuit vivent dans les replis de toi, que le rêve anime depuis la subtile matière de tes imaginations.
Je te laisse à cet hiver que je ne sais pas. S'il te plaît n'y prends pas froid. Je vais à mon paysage immobile que la fatigue écarquille, que mes doigts secouent, je ferai tomber de ces arbres des fruits invisibles, j'en croquerai l'écorce, je t'en laisserai la chair. Le jus fera de l'obscurité à nos secrets.
Re: Comme un amour d'un soir doutant du lendemain
Que dire ? Sinon que j'ai aimé sans restriction aucune...
J'en suis encore toute chamboulée, merci et bravo !! Je reviendrai te lire avec grand plaisir !!!
J'en suis encore toute chamboulée, merci et bravo !! Je reviendrai te lire avec grand plaisir !!!
Lisa Decaen- Nombre de messages : 199
Age : 58
Date d'inscription : 17/06/2011
Re: Comme un amour d'un soir doutant du lendemain
les amours sont probablement féminin au pluriel . j'aime beaucoup ce texte, licence de lecteur ou pas, licence du poète ou pas.
Invité- Invité
Re: Comme un amour d'un soir doutant du lendemain
Un chouette texte. Grandiloquent dans la façon. Sensation étrange, j'ai retrouvé le même rythme que dans l'Opéra du pauvre.
Yali- Nombre de messages : 8624
Age : 60
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Comme un amour d'un soir doutant du lendemain
Je trouve très émouvant ce jaillissement faussement incontrôlé, ces images saisissantes et cette sincérité au delà de la sincérité. Cette vérité de l'être .
Polixène- Nombre de messages : 3298
Age : 62
Localisation : Dans un pli du temps . (sohaz@mailo.com)
Date d'inscription : 23/02/2010
Re: Comme un amour d'un soir doutant du lendemain
Je suis vraiment contente que ce superbe texte soit enfin remarqué un mois après sa publication (vacances obligent, sans doute...)
Merci et bravo encore à l'auteur !!
Merci et bravo encore à l'auteur !!
Lisa Decaen- Nombre de messages : 199
Age : 58
Date d'inscription : 17/06/2011
Re: Comme un amour d'un soir doutant du lendemain
j'ai tenté, ici, pour une fois de narrer quelque chose, de suivre par les paragraphes, par le discours, la voix et la voie de l'auteur. Souvent je digresse dans l'image, je passe dans son chas, et j'y fais s'efflanquer le sens. C'est l'écriture que j'aime, et je suis ravi de voir que ce texte a davantage plus que les autres d'être le plus récent et, sûrement, le plus travaillé. Pas d'un travail qui tiendrait de l’orfèvrerie de la relecture attentive, de la correction de chaque virgule qui essoufflerait la phrase, mais résultat d'un effort plus profond. Le jaillissement pour profond, afin d'en maîtriser le flot, je le bouche avec les doigts, la bouche, je me gonfle de ces images. Je jubile dans cette écriture là, si particulière, et si impropre à se peigner, à se doucher le matin au savon d'Alep.
Pour l'Opéra du pauvre, ça ne m'est pas venu aux doigts ni au coeur en l'écrivant, et j'aime pourtant beaucoup les notes qui percèrent le voile de la cloîtrée.
Pour l'Opéra du pauvre, ça ne m'est pas venu aux doigts ni au coeur en l'écrivant, et j'aime pourtant beaucoup les notes qui percèrent le voile de la cloîtrée.
Re: Comme un amour d'un soir doutant du lendemain
Je reste sous le charme de cette lecture. Le fond est une mine de réalités très bien décrites. J'aime le style de la plume.
Sweet Heart- Nombre de messages : 98
Age : 46
Date d'inscription : 11/09/2011
Bravo
J'ai vraiment beaucoup aimé ce texte. Petit instant d'éternité sans réel commencement ni fin... Les phrases sont denses mais la lecture reste fluide. On se projette avec une étonnante facilité dans ces nombreuses métaphores qui pour autant ne sont pas "attendues" ni alimentées par trop de lieux communs... Au contraire, elles sont d'une singulière justesse, et c'est ce qui trouble le plus finalement. Mention spéciale pour le "Reste le monde, c'est si peu".
onmyown- Nombre de messages : 4
Age : 38
Localisation : Toulouse
Date d'inscription : 18/09/2011
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