Exo rêves et cauchemars : Retrouvailles
+4
RICHARD2
elea
Rebecca
Janis
8 participants
Page 1 sur 1
Exo rêves et cauchemars : Retrouvailles
Bricolé à partir des rêves de Clarisse, Croisic et Dusha
Il pleut.
C'est aujourd'hui.
Qu'ils viennent.
Les amis.
Elle a brièvement l'image de chaussures mouillées dans l'entrée et du salon carré où l'on laissera s'égoutter les manteaux. Les petites flaques au pied des chaises. Le bruit de la pluie sur les tuiles. On se s'entendra pas. Il faudra hausser le ton et les voix se cogneront aux murs.
Mais pour l'heure, préparer le repas.
Elle est seule dans la cuisine verte.
Elle entend comme son enfant s'amuse à glisser sur le parquet ciré de l'unique pièce attenante. Cet enfant peu gratifiant, maigre et peureux.
Mais.
Que faire à manger, quand une dizaine d'inconnus qui se prétendent vos amis viennent dîner chez vous ?
Elle ouvre un à un les placards, cherchant une idée : au lieu de nourriture, ils débordent de livres empilés en tous sens. Idem le frigidaire. Soudain elle se souvient : le déménagement hâtif au milieu de la nuit, fuyant, fuyant l'homme qui froidement menace, emportant seulement l'enfant et une vieille couverture, roulant dix heures d'affilé et rejoignant dans une ville éloignée la petite maison de sa tante décédée. Dans le rétroviseur, l'homme brandit le poing.
Sentant la peur, cette bonne vieille peur la gagner, elle boit un coup et met de l'eau à bouillir. On trouvera toujours quelque chose à y balancer : portes et fenêtre, prose et poésie.
La pluie cogne aux carreaux.
Plus tard les invités sont là.
Dans le canapé, les fauteuils de tante Alberte.
Elle ne les connaît pas.
Ils croisent et décroisent les jambes en découvrant leurs dents.
Des carnivores.
Ils sont venus les bras chargés de nourriture qu'elle a découpée et jetée pèle-mêle dans la marmite, sans défaire les emballages.
Des enfants aussi, joyeux et féroces.
Elle sait : tandis que la conversation s'effondre dans la grande pièce, ils martyrisent sous l'escalier son petit garçon craintif.
Car il y a un escalier.
En ciment et en colimaçon.
Laid, inachevé.
Elle est assise au milieu de ceux qui l'observent en silence, elle a gardé son tablier de cuisine et dans la poche le petit hachoir affûté de sa tante.
Elle entend un gémissement.
Elle se lève, excusez-moi.
Un murmure s'élève.
Les invités se sont mis à fumer.
Ils boivent tout son vin et disent qu'ils ont faim.
Elle sent leurs yeux dans son dos.
L'escalier est raide et serré; où est l'enfant ?
Elle monte, hantée par les pensées.
On a trouvé le corps sans vie.
Elle est dans l'étroit corridor.
"maman !"
L'appel qu'elle guette, d'où qu'il vienne.
Elle pousse les portes, les pièces sont vides.
Chuchotements, frôlements, petits bruits de l'enfance et les toitures effondrées.
Il pleut dans les chambres.
Et soudain, elle le trouve : il est assis tout seul sur un plancher laqué, il reçoit l'averse sans bouger, il lève vers elle ses yeux mouillés.
Mais tandis qu'elle le prend dans ses bras et constate avec effroi que son corps est mou et lui glisse des mains, elle entend la horde qui monte, précédée par les cris aigus des enfants.
Ils l'appellent de son nom - comment le connaissent-ils ? - d'un ton autoritaire et brusquement elle se souvient : ce sont les collègues de son mari, et peut-être même est-il là aussi, peut-être s'est-il glissé dans la masse informe de ceux qui se sont invités chez elle afin, elle le comprend maintenant, de lui soustraire l'enfant qui a fermé les yeux et semble profondément endormi.
Ils arrivent, les amis, les invités affamés.
Ils tapent à la porte.
Ouvre ma chérie !
Cette voix, entre toutes.
Elle saisit le hâchoir, celui de tante Alberte.
Rouge, la nuit, rouge, la pluie.
C'est aujourd'hui.
Qu'ils viennent.
Les amis.
Elle a brièvement l'image de chaussures mouillées dans l'entrée et du salon carré où l'on laissera s'égoutter les manteaux. Les petites flaques au pied des chaises. Le bruit de la pluie sur les tuiles. On se s'entendra pas. Il faudra hausser le ton et les voix se cogneront aux murs.
Mais pour l'heure, préparer le repas.
Elle est seule dans la cuisine verte.
Elle entend comme son enfant s'amuse à glisser sur le parquet ciré de l'unique pièce attenante. Cet enfant peu gratifiant, maigre et peureux.
Mais.
Que faire à manger, quand une dizaine d'inconnus qui se prétendent vos amis viennent dîner chez vous ?
Elle ouvre un à un les placards, cherchant une idée : au lieu de nourriture, ils débordent de livres empilés en tous sens. Idem le frigidaire. Soudain elle se souvient : le déménagement hâtif au milieu de la nuit, fuyant, fuyant l'homme qui froidement menace, emportant seulement l'enfant et une vieille couverture, roulant dix heures d'affilé et rejoignant dans une ville éloignée la petite maison de sa tante décédée. Dans le rétroviseur, l'homme brandit le poing.
Sentant la peur, cette bonne vieille peur la gagner, elle boit un coup et met de l'eau à bouillir. On trouvera toujours quelque chose à y balancer : portes et fenêtre, prose et poésie.
La pluie cogne aux carreaux.
Plus tard les invités sont là.
Dans le canapé, les fauteuils de tante Alberte.
Elle ne les connaît pas.
Ils croisent et décroisent les jambes en découvrant leurs dents.
Des carnivores.
Ils sont venus les bras chargés de nourriture qu'elle a découpée et jetée pèle-mêle dans la marmite, sans défaire les emballages.
Des enfants aussi, joyeux et féroces.
Elle sait : tandis que la conversation s'effondre dans la grande pièce, ils martyrisent sous l'escalier son petit garçon craintif.
Car il y a un escalier.
En ciment et en colimaçon.
Laid, inachevé.
Elle est assise au milieu de ceux qui l'observent en silence, elle a gardé son tablier de cuisine et dans la poche le petit hachoir affûté de sa tante.
Elle entend un gémissement.
Elle se lève, excusez-moi.
Un murmure s'élève.
Les invités se sont mis à fumer.
Ils boivent tout son vin et disent qu'ils ont faim.
Elle sent leurs yeux dans son dos.
L'escalier est raide et serré; où est l'enfant ?
Elle monte, hantée par les pensées.
On a trouvé le corps sans vie.
Elle est dans l'étroit corridor.
"maman !"
L'appel qu'elle guette, d'où qu'il vienne.
Elle pousse les portes, les pièces sont vides.
Chuchotements, frôlements, petits bruits de l'enfance et les toitures effondrées.
Il pleut dans les chambres.
Et soudain, elle le trouve : il est assis tout seul sur un plancher laqué, il reçoit l'averse sans bouger, il lève vers elle ses yeux mouillés.
Mais tandis qu'elle le prend dans ses bras et constate avec effroi que son corps est mou et lui glisse des mains, elle entend la horde qui monte, précédée par les cris aigus des enfants.
Ils l'appellent de son nom - comment le connaissent-ils ? - d'un ton autoritaire et brusquement elle se souvient : ce sont les collègues de son mari, et peut-être même est-il là aussi, peut-être s'est-il glissé dans la masse informe de ceux qui se sont invités chez elle afin, elle le comprend maintenant, de lui soustraire l'enfant qui a fermé les yeux et semble profondément endormi.
Ils arrivent, les amis, les invités affamés.
Ils tapent à la porte.
Ouvre ma chérie !
Cette voix, entre toutes.
Elle saisit le hâchoir, celui de tante Alberte.
Rouge, la nuit, rouge, la pluie.
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Exo rêves et cauchemars : Retrouvailles
J'ai l'impression de m'être promenée dans le tournage d'un Bunuel...
Invité- Invité
Re: Exo rêves et cauchemars : Retrouvailles
Une ambiance aux petits oignons. Jolie fricassée de rêves ( dans un cerveau fracassé ?) : la nuit des morts vivants, la nuit du chasseur, on s'ennuie pas la nuit chez tante Alberte !
J'aime beaucoup ton sens du rythme, ces alternances de phrases courtes et sèches et de phrases plus girondes et le soin que tu apportes à ta mise en scène euh je veux dire mise en page.
J'aime beaucoup ton sens du rythme, ces alternances de phrases courtes et sèches et de phrases plus girondes et le soin que tu apportes à ta mise en scène euh je veux dire mise en page.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Exo rêves et cauchemars : Retrouvailles
Quel joli bricolage, étrange comme un rêve, surréaliste comme des pensées perdues. J'aime beaucoup le visuel des scènes, l'ambiance qui les rattache entre elles et l'univers particulier ainsi crée.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Exo rêves et cauchemars : Retrouvailles
Cela pourrait être une belle pièce de théâtre. Les phrases (portes) s'ouvrent et se ferment facilement. J'ai aimé !
Toutefois, dans la phrase "Elle entend comme son enfant s'amuse..."
peut-être que je me trompe mais ce n'est pas plutôt "elle entend comment son enfant s'amuse.."
Toutefois, dans la phrase "Elle entend comme son enfant s'amuse..."
peut-être que je me trompe mais ce n'est pas plutôt "elle entend comment son enfant s'amuse.."
RICHARD2- Nombre de messages : 160
Age : 64
Date d'inscription : 27/08/2010
Re: Exo rêves et cauchemars : Retrouvailles
Je n'ai pas reconnu mon rêve, mais j'ai beaucoup apprécié la lecture de ce que tu en as fait.
Re: Exo rêves et cauchemars : Retrouvailles
Et la feuille du boucher en ronde monotone tombe en tourbillonnant.
En gore un texte bien saignant.
En gore un texte bien saignant.
Jean Lê- Nombre de messages : 591
Age : 65
Localisation : Bretagne
Date d'inscription : 22/11/2010
Re: Exo rêves et cauchemars : Retrouvailles
Un texte qui fait froid dans le dos...
Les mots donnent naissance à des sentiments variés: compassion pour cette femme fuyante et son enfant chétif, rejet du mari, sensibilité envers cette maison emplie d'âme, craintes qu'elle ne passe à l'acte, envie qu'elle fiche le camp, retourne le hachoir contre ceux qui montent et non celui qui se cachent, entre autres choses. Sentiments variés, donc, à l'image de tout ce qui doit se tramer dans la tête de cette mère et qui est ici traduit sans effets inutiles ou pirouettes de langages. Quelques mots, des silences, l'efficacité des images et tout est dit dans sa plus grande frayeur. Habile et judicieusement maîtrisé, bravo.
Les mots donnent naissance à des sentiments variés: compassion pour cette femme fuyante et son enfant chétif, rejet du mari, sensibilité envers cette maison emplie d'âme, craintes qu'elle ne passe à l'acte, envie qu'elle fiche le camp, retourne le hachoir contre ceux qui montent et non celui qui se cachent, entre autres choses. Sentiments variés, donc, à l'image de tout ce qui doit se tramer dans la tête de cette mère et qui est ici traduit sans effets inutiles ou pirouettes de langages. Quelques mots, des silences, l'efficacité des images et tout est dit dans sa plus grande frayeur. Habile et judicieusement maîtrisé, bravo.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Exo rêves et cauchemars : Retrouvailles
Il est temps de remercier tout le monde pour ces lectures commentées.
Oui, c'est brrr, mais il y a aussi pour moi de la jubilation dans cette noirceur appuyée !
Je me suis inspirée des rêves qui évoquent une maison, un escalier, un intérieur (source inépuisable d'inspiration en ce qui me concerne)
merci merci !
Oui, c'est brrr, mais il y a aussi pour moi de la jubilation dans cette noirceur appuyée !
Je me suis inspirée des rêves qui évoquent une maison, un escalier, un intérieur (source inépuisable d'inspiration en ce qui me concerne)
merci merci !
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Exo rêves et cauchemars : Retrouvailles
Un rêve bien étrange. Une ambiance bien ciselé. J'ai beaucoup aimé le rythme en lecture.
En ce qui concerne le fond, pas fan du genre, mais il faut reconnaître que l'histoire est bien menée.
En ce qui concerne le fond, pas fan du genre, mais il faut reconnaître que l'histoire est bien menée.
Sweet Heart- Nombre de messages : 98
Age : 46
Date d'inscription : 11/09/2011
Sujets similaires
» Exo rêves et cauchemars : La rivière sans retour
» Exo rêves et cauchemars : Introduction au rêve de Panda ''Sherlock ou la tête de veau sauce british"
» Exo rêves et cauchemars : Sang et ocre
» Exo rêves et cauchemars : Tilleul ou arbousier ?
» Exo rêves et cauchemars : Happy Meal
» Exo rêves et cauchemars : Introduction au rêve de Panda ''Sherlock ou la tête de veau sauce british"
» Exo rêves et cauchemars : Sang et ocre
» Exo rêves et cauchemars : Tilleul ou arbousier ?
» Exo rêves et cauchemars : Happy Meal
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum