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L'ange déchu, roman historique

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Message  Invité Jeu 7 Oct 2010 - 22:36

< Texte supprimé à la demande de l'auteur.
La Modération. >

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L'ange déchu, roman historique Empty Re: L'ange déchu, roman historique

Message  Invité Jeu 7 Oct 2010 - 22:39


Le 1er chapitre a été remodelé et la nouvelle version se trouve juste après le chapitre 2.
Merci.



L'ange déchu, roman historique 854e9467e6
(cathédrale de Chartres, l'ascension)




LIVRE 1: L'ABBAYE DE LUSSIGNAC



chapitre 1. « Pierre fils de la pierre ».


C’était la nuit de la Toussaint et il faisait un vent à vous en décrocher l’âme. Les robustes tours de l’abbaye de Lussignac, qui dominait la Garonne sur son éperon rocheux, se dressaient dans la nuit pâle en narguant la tempête. Sur le sentier escarpé qui menait à l’édifice, un enfant avançait à grand peine. Le vent le plaquait à terre, le poussait dans les ronces, le forçait à reculer, mais l'enfant s'obstinait et poursuivait son ascension vers le monastère, son seul Salut.

L'enfant, abasourdi par les bourrasques, venait de perdre ses derniers souvenirs, et dès lors, il ne gardait plus en tête qu’une seule image, toute auréolée de clarté : la silhouette de sa mère, enroulée dans un châle noir, le visage tordu, pétrifié par la peine. Elle pleurait des perles figées qui ruissellent à ses joues. Un long doigt osseux sortait de son manteau et pointait vers le monastère, les doigts de l’autre main se crispaient en tenant un mouchoir blanc contre sa tempe. Elle parlait, mais les mots s’envolaient de sa bouche et se perdaient dans le vent. L’enfant n’avait guère plus de six ans, mais il n’avait pas besoin de paroles pour savoir que sa mère l’avait abandonné. Les enfants savent toujours ces choses-là, peu importe l’âge. Peu importe aussi s’ils ne comprennent pas les raisons, banales et dramatiques en ces temps de disette, qui poussent les mères à se défaire de leurs rejetons.

Une rafale poussa le marmot jusqu’à l'entrée du monastère avant de se briser contre l'édifice. L’enfant se précipita jusqu'à la porte et frappa tant qu'il le put, mais ses coups étaient bien trop faibles pour alerter le vieux moine assoupi dans la guérite de la porterie. L’enfant se laissa alors emporter par un courant d’air qui le mena vers une brèche que le vent venait de percer dans la palissade. Il se faufila entre les planches brisées et pénétra à l’intérieur de l’abbaye. Il s’élança dans la grand-cour désolée à la recherche d'un refuge. Mais les hommes avaient claquemuré les portes, calfeutré les fenêtres. Les ateliers, les étables, l’auberge des pèlerins, tout semblait désert, tout était résolument clos.

L'enfant fit quelques pas jusqu’au porche de l’église abbatiale, au fond de la grand-cour. Sur la frise du tympan se tenaient en rangée les vieillards de l’Apocalypse. Fiers et hautains du haut de leur piédestal, emmitouflés dans leurs manteaux étincelants de pourpre et d’or, aucun d’entre eux ne daignait baisser les yeux pour contempler une aussi piètre créature. Au-dessus d’eux régnait un Christ en Majesté, inaccessible, et un cortège d’anges serviles virevoltait autour de lui. De part et d’autre de la lourde porte en chêne à deux battants, sur les piédroits, deux personnages toisaient le marmot d’un œil sévère. L’un caressait, dubitatif, sa longue barbe de calcaire, en tenant bien serrée dans son poing la clef du paradis. L’autre avait les yeux mi-clos, comme s'il cherchait à détourner son regard de l’enfant condamné à mourir de froid. Sur le trumeau, entre les deux portes, de petits diablotins rieurs et une multitude d’animaux fantastiques aux couleurs criardes dansaient la farandole, semblaient se réjouir de la disgrâce du marmot, et s’apprêter à l’accueillir très bientôt.

Le vent sifflait contre les tempes de l’enfant, l’invitait à l’abandon, à s’envoler avec lui jusqu’aux limbes, et le petit chancela. C’est alors que ses yeux découvrirent par hasard, le long du mur de l’église, une lézarde béante dans le calcaire. Dans un dernier instinct de survie, il se ressaisit.

Ce recoin de pierre noire était lugubre, comme une cicatrice ouverte entre deux blocs mal agencés, d’où pouvaient jaillir à coup sûr serpents, chauves-souris et autres créatures de l’enfer. Mais pour l’enfant, c’était un sourire de la Providence, et les mauvaises herbes qui entouraient la fissure et sortaient pèle-mêle de la roche, un baldaquin chaleureux qui l’invitait au sommeil. Il escalada un peu en écorchant ses chairs aux parois gelées, se glissa dans la souffrance jusqu’à la lézarde, se tortilla, démantibula son petit corps pour pouvoir rentrer dans l’interstice, et la pierre s’écarta légèrement, afin de lui permettre de s’y loger. Enfin installé, il se recroquevilla, et d’un mouvement brusque du genou, fit tomber derrière lui un lit de ronces. Le vent ne passait plus qu’en léger filet jusqu’au creux de la pierre. Là, silencieux, pelotonné dans un cocon de mousse, l’enfant se laissa bercer par le battement de son coeur, qui résonnait jusqu’au plus profond de la pierre, et s’endormit.

Il n’entendit pas la cloche qui sonnait l’office des vigiles dans la nuit, ni le brouhaha des moines qui se réveillaient. Ce n’est que plusieurs heures après tierces, bien avancée la matinée, qu’un frère convers le découvrit. D’abord, il ne vit que la lézarde échancrée, plus ouverte que jamais. En s’approchant d’un peu plus près, il constata la présence de l’enfant, endormi dans la pierre. Il tenta de le réveiller en lui parlant, sans succès. Il glissa alors sa main dans la brèche, mais le corps ne bronchait pas. Il en déduisit que le pauvre gosse était mort de froid, et se résigna à déloger le cadavre.

Il eut un mal fou à dégager l’enfant de la fissure, et procéda comme on arrache un nouveau-né du ventre de sa mère, en commençant par sortir la tête du trou. Puis, progressivement, le reste du corps suivit, et la pierre semblait réagir sous la pression, cédait peu à peu pour laisser passer le marmot. Son corps était raide comme la pierre, aussi froid et de la même couleur qu’elle, crayeux aux reflets légèrement bleutés. Il était comme un chérubin de marbre, au visage d’angelot qui souriait maladif, sans frémir. Il était mort, aucun doute n’est désormais permis, pensa alors le convers, et il tira d’un coup sec pour achever de retirer le cadavre du trou. Mais l’enfant, soudain, se mit à hurler comme un diable : son pied était resté coincé dans le mur, et le frère accoucheur venait de déchirer les ligaments de sa cheville. De la fente de pierre, une rigole de sang s’écoula.

L’enfant était sans connaissance, mais néanmoins vivait encore, bien que son pouls fût très sourd et lent. Le frère convers le porta jusqu’aux cuisines, l’approcha du feu et le coucha par terre. Puis il nettoya la cheville du marmot, mais elle continuait de saigner et le pied commençait à enfler. Alors il demanda l'aide d'un des serviteurs des cuisines, qui sans hésiter, scia la jambe de l'enfant, à une main à peu près en-dessous du genou. L'enfant s'évanouit aussitôt. Le serviteur, ensuite, cautérisa la plaie au fer rouge. Puis le frère convers et le cuisinier décidèrent qu’ils avaient assez perdu de temps et partirent vaquer à d’autres occupations.

C’est juste avant vêpres que l’abbé Rambert découvrit enfin l’enfant. A n’en point douter, le petit était bien maladif, à en juger par son teint blanchâtre et son aspect chétif. Sans doute ne se réveillerait-il jamais, il était même fort probable qu’il mourût dans la nuit. L’abbé ordonna de transporter l’enfant jusqu’au scriptorium, car c’était la pièce la mieux chauffée du monastère, et il y fit apporter ses objets de culte, pour administrer au petit le sacrement du baptême. Il dut choisir un nom pour le petit, et le premier qui lui vint à l’esprit fut Pierre, tant cela paraissait évident, car l’enfant lui-même s’était voué au Saint apôtre en se réfugiant dans une lézarde tout près de sa statue. L’abbé, toutefois, après une courte réflexion, décida d’accoler le nom du jour, Toussaint, comme c’était la coutume pour les enfants trouvés. « Pierre Toussaint, voilà un nom bien long pour une existence bien courte » pensa-t-il, avant de n’y plus penser, car c’était un jour de fête d’une extrême importance pour le monastère, et l’heure était venue de célébrer le dernier office avant de dîner.

Le lendemain matin, les moines tenaient leur réunion quotidienne dans la salle capitulaire. Après la lecture d’un chapitre de la règle de Saint Benoît, on parla brièvement de l’enfant trouvé. L’abbé demanda de ses nouvelles à frère Odilon, le vieux chantre, responsable de l’école et du scriptorium.

« Eh bien, l’enfant est-il vivant ou déjà mort ? dit-il d’un ton détaché.

-Vivant, s’empressa de répondre le frère. Mais il est si petit, si fragile… Je suis venu lui rendre visite avant l’office des matines. Il dormait comme un petit ange. J’ai pressé mon oreille contre sa poitrine. Son cœur battait doucement, sa respiration était légère. Puis je l’ai nourri, j’ai changé sa couverture, mais il ne s’est pas réveillé. Je l’ai délicatement reposé au sol et je suis parti sans faire de bruit. »

L’abbé fixa le vieux moine, en fronçant ses sourcils épais. Il racla sa gorge, et déclara à l’assemblée :

-Dieu soit loué d’avoir pris pitié de cette créature. Le Seigneur nous a confié cet enfant, à présent, notre devoir est de l’accueillir dans notre communauté. Mes bien chers fils, dites-moi, à votre avis, que faut-il faire de lui ? »

L’abbé posa son regard sur chacun des vingt moines assemblés. Frère Fulbert, l’apothicaire, brisa le silence et déclara :

«A mon humble avis, je crois que nous pourrions le transporter jusqu’à l’infirmerie avec les autres malades. Là, je pourrais lui appliquer des onguents, lui faire boire des décoctions de plantes stimulantes, et le saigner jusqu’à ce qu’il guérisse ou trépasse »

Les moines acquiescèrent en hochant la tête. Mais l’abbé n’avait pas l’air satisfait. L’infirmerie, pensait-il, était réservée aux moines et aux frères convers. Y accueillir l’enfant signifiait le considérer déjà comme l’un des leurs. Certes, il y avait bien des enfants dans l’abbaye, une dizaine d’oblats voués dès leur plus jeune âge à la vie monastique, mais l’abbé n’envisageait pas le moins du monde un tel destin pour cet enfant mutilé, qui probablement demeurerait abruti toute sa vie après une telle période de catalepsie, dans le cas improbable où il survivrait. L’abbé demeura un temps silencieux, puis il releva la tête et demanda à Odilon :

« Tu dis que tu l’as choyé, nourri, débarbouillé ?

-Oui, cela est vrai, et je remercie le ciel de m’avoir envoyé ce petit agneau de Dieu. »

-Tu as raison, trancha l’abbé, il est un don du ciel. Aussi, j’ai décidé que tu t’occuperas de lui exclusivement. Tu le chériras de tout ton amour, dans la crainte de Dieu. »

L’abbé et le chantre échangèrent un regard entendu. La décision du Père, semblait-il, avait jeté un froid dans l’assemblée. Le plus jeune moine, frère Bernardin, fit un pas en avant et dit d’une voix hésitante :

« - Pardonnez mon audace, mon Père. Mais l’enfant ne serait-il pas mieux placé auprès d’une nourrice ?

Ce n’est pas une audace, c’est une insolence, s’offusqua le père supérieur. Tu n’as pas à contester mes décisions. La Providence nous a confié l’enfant, nous ne saurions nous opposer aux desseins du Seigneur en nous débarrassant de la charge qu’il nous a envoyée. L’enfant restera dans le scriptorium, jusqu’à ce qu’il se rétablisse ou bien que Dieu le rappelle auprès de Lui. Et frère Odilon se chargera de le soigner. J’ai parlé »

Frère Bernardin baissa les yeux en signe d’obéissance. L’abbé décida alors de clore la réunion du chapitre.



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Message  Invité Jeu 7 Oct 2010 - 22:43

Chapitre 2. « Le serpent et l’oiseau ».

L'ange déchu, roman historique Page4_1

(dévoreur, chapiteau du choeur de Chauvigny, Vienne)


L’enfant passa toute la nuit dans le scriptorium, gisant seul, immobile. Un sourire paisible traversait son visage, mais en son for intérieur, se livrait une guerre sans merci entre la vie et la mort. Dans ses rêves, un long serpent lui parcourait l’échine. Il glissait le long de son dos, sa langue bifide frétillait à son oreille, ses crocs se plantaient dans son cou. Il s’engouffra dans la bouche de l'enfant, pénètra dans son corps, s’enroula autour de son cœur, l’enserra et chercha à l’étouffer. Mais le cœur palpitait et refusait de céder, il parvint à repousser l’emprise du froid reptile en brûlant ses anneaux, et le serpent s’échappa en sifflant.

Au matin, un rayon de soleil alluma le visage de l’enfant, qui ouvrit enfin les yeux. La lumière vive l’éblouit et il referma aussitôt les paupières. Sous elles restèrent accrochés des papillons scintillants qui dansèrent puis s’évanouirent. Amusé, l’enfant cligna plusieurs fois des yeux, et tenta d’attraper entre ses cils les petites lucioles. Il continua ce petit jeu un temps et, comme il s’habituait au soleil, il distingua de plus en plus nettement les escaliers, la porte, et au-delà, à travers l’entrebâillement, les colonnes noires du cloître qui fragmentaient le soleil. Perché sur le plus proche chapiteau lui apparut alors un oiseau aux couleurs chamarrées, au long bec recourbé, à l’allure moqueuse. Il déployait ses ailes jaunes et vertes, juché sur un autre animal tout bleu, au long nez en spirale qui s’empêtrait dans les feuillages de pierre. Une autre bête, pareille à un gros cochon cognait son groin cornu contre le rebord du pilier. Les deux animaux avaient l’air fort en colère contre l’oiseau de malheur qui prenait toute la place sur le chapiteau.

L’enfant pensa alors que sur les autres colonnes devaient nicher d’autres animaux, et il tenta de se lever. Mais il n’y parvint pas. Il ne sentait pas son corps, engourdi tout entier. Pris de panique, il voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Afin de dominer sa peur, il se concentra sur chacune des parties de son corps, et chercha à deviner la position dans laquelle il se trouvait allongé, en vain. Il aperçut sa main au bout de son bras replié en retrait de son visage, et il lui ordonna de remuer, mais la main refusa d’obéir. C’est alors que les animaux du cloître disparurent derrière la silhouette noire d’un vieux moine qui entra dans la pièce. Il tenait dans ses mains une verge de bois. Une file d’une dizaine d’enfants et d’adolescents le suivait en silence, tête baissée, l’air triste. Le dernier d’entre eux ferma la porte. L’obscurité se fit.

Les moinillons détachèrent les bâches des grandes verrières du scriptorium. Une lumière blanche et uniforme inonda alors la pièce. L’enfant observa les petits oblats, aux gestes précis et mécaniques, qui s’affairaient dans l’immense salle froide et austère. Le vieux moine orchestrait leurs mouvements du fond du scriptorium en faisant tourner sa baguette. Les enfants passaient d’abord un par un prendre des manuscrits, des plumes et des encriers dans une grande armoire située contre le mur, puis allaient jusqu’à leurs pupitres disposés en deux rangées parallèles le long de la salle. Une fois installés, ils s’attellèrent à la tâche dans le plus parfait silence. Certains lisaient, d’autres écrivaient. Le vieux moine passait entre les rangs. De temps à autre, il s’inclinait pour apprécier ce que faisaient ses élèves. Il leur dispensait une caresse affectueuse le long de la joue ou sur la nuque ou bien faisait claquer sa verge sur les cuisses d’un mauvais élève. Les enfants, pleins de crainte et de respect, esquivaient le regard du maître chaque fois qu’il les frôlait. Tout à coup le vieux planta son regard sur l’enfant allongé. Un sourire douceâtre barrait son visage anguleux. Tout en fixant expressément le marmot, il pourléchait ses lèvres minces de sa langue pointue. Puis il se retourna vers ses élèves et désigna l’aîné d’entre eux avec son bâtonnet. Ce dernier se leva aussitôt et sort du scriptorium.

Le jeune adulte revint un peu plus tard, muni de deux récipients. Il s’accroupit aux pieds de l’enfant et posa par terre une écuelle de bois avec du lait, un quignon de pain, un grand seau d’eau et une couverture. Avant de se relever, il adressa un regard empreint de compassion à l'enfant et son visage angélique apaisa quelque peu le petit. Aussitôt après, le vieux moine signala la fin de la classe en frappant trois fois sa verge contre un pupitre. Les oblats replacèrent les bâches sur les verrières et quittèrent la pièce en file ordonnée, comme ils étaient entrés. Le maître, comme s’il s’agissait d’un troupeau de moutons, leur distribuait des coups de triques pour maintenir le rang. Puis il referma la porte, non sans avoir une dernière fois jeté un œil sur le marmot allongé près de la cheminée.

Le vieux moine réapparut bientôt dans la pièce. Il ferma à clef la porte du scriptorium, s’approche lentement de l’enfant, et s’agenouilla à ses côtés en psalmodiant d’une voix suave. Puis il s’empara de lui à bras le corps, le démaillota, et l'assit nu entre ses cuisses. L’enfant aperçut horrifié sa couverture maculée de boue. Il vit aussi la main de l’adulte passer un chiffon mouillé contre son sexe et ses fesses, rincer le torchon dans le seau d’eau avant de recommencer à frotter énergiquement son bas-ventre. Mais il ne sentait rien, ni l’odeur fétide de l’haleine du vieux mêlée à celle des déjections dans l’eau terreuse du seau, ni la main du moine qui courait contre sa peau. Cependant, il imaginait parfaitement toutes ces sensations, tant et si bien qu’il semblait les éprouver réellement dans sa chair. Il fut pris d’un violent haut-le-cœur, toutes ces pensées âcres et nauséabondes lui donnaient le vertige. Derrière lui, le chant du vieillard s’estompait et n’était plus qu’un souffle rauque.

Brusquement, le moine tira la tête du moutard vers l’arrière, la coinça entre ses genoux, et força l’enfant à ouvrir la bouche. Ensuite, le vieux chantre mordit un morceau de pain, but une gorgée de lait, mâchonna nerveusement le tout, puis il se pencha vers le visage du petit et lui cracha la bouillie dans la gorge, en pressant sur son cou pour lui faire ingurgiter la nourriture. Il recommença ainsi plusieurs fois l’opération. L’enfant vit la figure ridée du moine aller et venir contre la sienne, plonger pour se presser goulûment contre sa bouche. Le vieux retourna l’enfant d’un coup sec, et se mit à masser tout entier son corps dénudé près de la cheminée. Enfin, il l’emmaillota dans une nouvelle couverture, lui baisa la bouche, reposa à terre le petit corps inerte, et sortit de la pièce.

L’enfant se retrouva de nouveau seul. Mille questions affolées se pressaient dans sa tête. Où était-il, pourquoi était-il là, et surtout qui était-il ? Certes, il avait l’apparence d’un enfant, sa main posée devant ses yeux était bien celle d’un petit garçon, et tout à l’heure, il avait pu entrapercevoir son corps flasque et pâteux entre les mains du vieux chantre ; mais les enfants bougent, respirent, frémissent, et lui, il demeurait là, totalement insensible et immobile dans la pénombre. Il ne ressentait rien, ni les flammes de l’âtre censées lécher son dos, ni la laine rêche de la couverture qui devait lui gratter le torse, ni le souffle de l’air frais qu’il devinait par-dessous la porte close du scriptorium. Il essaya de chercher une réponse dans sa courte mémoire, mais les seules personnages qui apparaissaient confusément dans son esprit étaient des statues: une pleureuse enroulée dans un châle, des bas-reliefs tourmentés sur le porche d’une église, et rien de plus. Par contre, il se souvenait parfaitement de la sensation délicieuse de son corps liquide qui coulait entre les pierres d’un mur. Non, aucun doute n’était permis, il n’était pas fait de chair et de peau, mais d’argile ; et le moine qui venait de partir, c’était le sculpteur qui le pétrissait pour lui donner la forme d’un enfant.

Il regarda de nouveau sa main : elle était fine et gracieuse. En cherchant à l’observer plus attentivement, il se rendit compte qu’il parvenait à remuer très légèrement l’extrémité des doigts. Et il se demanda comment une statue pouvait être capable d’un tel prodige. Une pensée atroce effleura soudain sa conscience : et s’il n’était pas une statue, s’il n’était qu’un pauvre enfant paralysé, un jouet entre les mains d’un vieux monstre ? Mais il chassa aussitôt cette idée insupportable et trouva bientôt une réponse beaucoup plus apaisante : non, il n'y avait pas de doute, son Créateur était un magicien capable de donner vie à ses sculptures. Et lui, c’était un adorable angelot d'argile qui bientôt deviendrait chair. L'enfant poursuivit sa réflexion. Avait-il déjà un visage? Il en conclut qu’il avait au moins déjà des oreilles et des yeux, puisqu’il pouvait voir et entendre. Par contre, sa bouche n’était pas finie, car il ne pouvait pas encore parler. L’enfant s’endormit, le cœur gonflé d’espoir, en imaginant le sourire radieux des anges. Mais au milieu de ses rêves, ressurgit le serpent, triomphal, qui s’entortilla contre son corps. Il le fulmina du regard, balança mollement la tête pour l’hypnotiser, et tomba sur sa victime la gueule grande ouverte pour lui cracher son venin.

Le temps passa. L’enfant perdit vite le décompte des jours mais il apprit à discerner très précisément chaque heure du monastère. Le vieux chantre lui prodiguait ses soins quatre fois par jour. D’abord, en pleine nuit, avant que les cloches n’eussent sonné les matines, puis une seconde fois après la classe du matin, une troisième après celle de l’après-midi, et enfin, le soir tombé, après complies. Le rituel était toujours le même, d’abord les ablutions, puis la becquée et enfin le massage près de la cheminée. Mais le vieux y incorporait peu à peu des variantes, il pinçait l’enfant ou le mordillait jusqu’au sang, le fouettait ou l’aiguillonnait avec sa verge en bois, à moins qu’il ne décidât de presser son propre torse nu contre le dos du petit. L’enfant sentait de plus en plus nettement ce contact sur son épiderme. Il avait beau se persuader que son Créateur lui façonnait un corps d’ange, il ne pouvait réprimer une immense sensation de dégoût et de honte lorsque le vieux moine malaxait le bas de son corps. Odilon s’acharnait, tremblant, grimaçant, en proie aux affres de la création. Et puis la session s’achevait enfin, le vieux partait et l’enfant était aussitôt pris d’un indicible soulagement. Il constatait qu’il parvenait à bouger sa main, son cou, à séparer ses lèvres, il sentait son pied qui fourmillait sous son genou, à la fin de chaque séance il gagnait un peu de vie. Alors, il oubliait un temps son angoisse, et s'impatientait de devenir humain. Cependant, cette sensation de bien-être s’estompait d’heure en heure, et lorsque la nouvelle séance approchait, le cœur de l’enfant se racornissait et son corps se pétrifiait de nouveau.

Le reste du temps, l’enfant restait seul, abandonné dans l’obscurité. Les flammes de l’âtre projetaient ses ombres longues dans tout le scriptorium. La pièce était peuplée de monstres qui dansaient, qui tournoyaient, qui se précipitaient sur lui puis s’écartaient au tout denier moment, et allaient se cacher dans l'armoire au fond de la pièce dès que quelqu’un entrait. Ces séjours, peu fréquents hélas, rompaient un peu la monotonie des journées : ce pouvait être un frère convers ou un serviteur qui nettoyait le scriptorium ou déposait des fagots dans la cheminée, ou un moine venu consulter un ouvrage. L’enfant observait tous ces personnages, sans perdre un seul détail de leurs mouvements. Mais personne ne lui adressait le moindre regard : pourquoi-donc aurait-on prêté attention à cet objet inanimé, à cette statue de chair qui gisait-là en attendant son dénouement dans l’antichambre de la mort ? Il y en avait un, pourtant, qui daignait le regarder : c’était le plus âgé des élèves du chantre, celui qui avait apporté des vivres à l’enfant le premier jour. Le petit avait appris son nom : Bernardin. Sa voix était douce, sa démarche éthérée, son visage angélique. Lorsqu’il pénétrait dans le scriptorium, Bernardin lançait toujours un regard triste vers la pauvre créature, puis il soupirait, et l’enfant lui répondait en laissant couler une larme.

Quand il y avait du soleil, la porte demeurait ouverte entre tierce et sexte le matin, et pendant une bonne partie de l’après-midi. Le petit se distrayait en regardant les allées et venues silencieuses des moines dans le cloître, mais surtout, il en profitait pour admirer le perroquet sur son chapiteau. L’éléphant et le rhinocéros cherchaient à le piétiner, mais lui, l’oiseau, il voletait autour d’eux et se moquait de leurs corps balourds et disgracieux. L’enfant laissait divaguer son imagination. Il rêvait qu’il était un ange, qu’il déployait ses ailes et planait avec l’oiseau. Son corps flottait, léger, dans les airs. Tout là-haut, les créatures rampantes ne pouvaient pas l’atteindre.

Il se plaisait aussi à observer les oblats dans le scriptorium. Il avait appris leur langage silencieux, les gestes qu’ils utilisaient pour communiquer entre eux, leurs jeux secrets. Ils ânonnaient de longues phrases dans une langue incompréhensible, et quand il était seul, l’enfant exerçait sa mémoire en répétant pour lui-même ces formules sibyllines qui lui paraissaient magiques. Mais les élèves passaient le plus clair de leur temps assis à leurs pupitres à gratter avec leurs plumes sur des parchemins : que pouvaient-ils donc bien faire là ? C’était une chose qui intriguait l’enfant au plus haut point. Pendant les classes, il imaginait qu’il était un de ces moinillons parmi les autres, qu’il se levait tout à coup, s’asseyait sur un banc et suivait la classe avec eux. Il en oubliait presque sa détresse, mais le regard obscène du chantre qui se posait sur lui à la moindre occasion lui rappelait constamment que l’heure du supplice approchait, que le rituel abject allait bientôt reprendre, juste après la classe.

Un après-midi avant vêpres, alors que le vieux s’installait pour dénuder l’enfant, ce dernier réagit instinctivement en donnant un brusque coup de pied dans le seau d’eau, qui se renversa à terre. Surpris par ce geste de l’enfant, le vieux se releva, et en contemplant le seau vide, il entra dans une colère extrême. Il se mit à rouer l’enfant de coups. Et le petit sut enfin ce qu’était la douleur. Les coups pleuvaient sur lui et il avait mal. Il essaya de se débattre, de s’échapper, mais le moine s’enroulait contre lui et l’étranglait. Le petit découvrit alors son vrai visage : c’était une méduse, une gorgone, une harpie furieuse qui le harcelait. Soudain, l’enfant vit le sang gicler de ses pommettes, et il s’évanouit. Quand il reprit conscience, le vieux était en train d’enlacer son corps, et le berçait doucement. Il implorait la clémence du Très-haut, en ressassant d’une voix plaintive cette oraison : « Agneau de Dieu, qui enlève le péché du Monde, prends pitié de nous ». Puis, tout à coup, sans raison apparente, il lâcha sa proie et s’enfuit, l'air affolé.

Le petit était terrorisé. Il devait s’enfuir, coûte que coûte. Le moine avait laissé la porte du scriptorium grande ouverte derrière lui. L’enfant devait profiter de l’occasion. Derrière la porte, il aperçut le perroquet, perché sur son chapiteau, qui le regardait tristement. « Allez, déploie tes ailes et envole-toi», piaillait-il du haut de sa colonne. Mais le petit n’avait pas d’ailes. Ce n’était donc pas un ange. Il tenta de se redresser, de tenir debout, mais il n’y arriva pas. Ce n’était pas un enfant non plus, pensa-t-il alors, désespéré ; les enfants savent marcher, courir, sauter, et lui parvenait à peine à se traîner. L’espace d’un instant, le petit ressentit le serpent de ses cauchemars frissonner dans son ventre et se nouer à ses viscères. Effrayé par cette sensation, il regroupa son courage et décida de faire une nouvelle tentative pour se relever. Il glissa jusqu’à l’armoire, prit appui sur la première étagère pour hisser son corps, mais en cherchant à poser son pied par terre il tomba à la renverse. Dans sa chute, il fit aussi tomber l’étagère, qui se fracassa au sol en projetant grimoires, plumes et flacons. C’est alors qu’il aperçut, pour la première fois, sa jambe : à son extrémité, il n’y avait pas de pied, juste un moignon et puis rien, absolument rien d’autre. Il se mit à hurler, et un petit cri strident s’échappa de sa bouche. Son créateur n’avait pas achevé sa statue, songea-t-il aussitôt… Que devait-il faire ? Attendre sagement le retour du chantre, pour qu’il achevât sa besogne ? Et si au lieu de pieds, le moine avait décidé d’emprisonner les jambes de l'enfant dans un socle, pour l’empêcher à tout jamais de s’enfuir ? A cette dernière pensée, l’enfant décida de renoncer à son pied et partir au plus vite du scriptorium. Il arracha une planche de l’étagère tombée par terre, s’en servit comme d’un levier pour soulever son corps, et put enfin tenir debout. Puis il sautilla jusqu’à la sortie grâce à cette béquille de fortune, descendit prudemment les quelques marches qui menaient à la porte, et se retrouva dans le cloître. L’air vif piquait ses joues et lui faisait tourner la tête. Dans le ciel, des nuages blancs effilochés traversaient le crépuscule, et leurs reflets animaient les colonnes noires des allées.

L’enfant se retrouva nez à nez avec son ami le perroquet. L’oiseau semblait se réjouir de voir le garçon rétabli et lui souhaita bonne chance dans sa fuite. Sur le revers du chapiteau, se tenait un autre oiseau, très étrange, un pélican qui ouvrait grand son bec pour donner son cœur à manger à des enfants aux visages de vieillards agenouillés devant lui. Le petit, troublé par l’écoeurant volatile, poursuivit son chemin. Soudain, lui réapparut le serpent de ses cauchemars. C’était un dragon qui se tordait, à l’étroit sur son chapiteau, les griffes acérées plantées sur son socle, prêt à bondir. Il crachait du feu et deux ailes de chauve-souris épousaient le contour de son dos garni d’épines. Le petit était déconcerté : les serpents savaient donc voler, eux aussi. Il n’y avait donc plus d’échappatoire possible, ni sur terre, ni dans les cieux. L'enfant, pris de panique, accéléra le pas en remuant la tête en tous sens pour chercher une issue. Mais toutes les portes étaient fermées à double tour.

Tout à coup, l’enfant entrevit une ombre furtive entre les colonnes de l’allée opposée. Instinctivement, il plongea à terre pour se réfugier sous le muret qui supportait les voûtes. Il resta là caché un temps, avant de risquer un coup d’œil sur le cloître. Entre deux piliers peuplés de monstres grimaçants surgit le visage du vieux moine. Il venait d'entrer dans le scriptorium pour achever sa besogne, et il n’y avait pas trouvé l’enfant. A présent, il humait l’air et scrutait l’obscurité de ses yeux perçants, à l’affût de sa proie. L’enfant baissa aussitôt la tête, et demeura là prostré. Son cœur battait la chamade et bourdonnait entre ses tempes. Il se sentait acculé. L'effroi le pétrifiait. Un halo blanchâtre éclairait l’allée où il se trouvait, puis, au-delà, il y avait de nouveau de l’ombre dans l’angle du cloître. Il ne savait que faire : s’il s’aventurait en rampant jusque là-bas, dans l’espoir d’y trouver une issue, il courait le risque d’être repéré, mais s’il demeurait caché sans bouger, le chantre finirait bien par le trouver, rien n’était plus certain... Le petit décida donc de partir, mais il n’y parvint pas. La peur le clouait au sol. Il leva alors les yeux en l’air, sans bien savoir pourquoi, peut-être pour chercher une réponse dans le ciel épais. Tout à coup, les cloches sonnèrent à la volée l’office des vêpres. L’enfant, surpris, lâcha son bâton qui tomba à terre. Il s’en ressaisit en vitesse, mais c’était trop tard, le vieux chantre avait senti la vibration contre le sol, et s’élança à sa poursuite.

L’enfant se releva et entama une course effrénée. Ses foulées bancales frappaient contre les dalles à une allure frénétique. Le tintamarre des cloches l’abasourdissait. Les colonnes du cloître se succédaient, saccadées, sous son pas cahotant. Mille créatures innommables l’observent et menacent de s’écrouler sur lui. A son passage, l’enfant sentait que tous ces monstres se détachaient de leurs socles pour venir former une horde infernale qui grouillait en vociférant et se précipitait à ses trousses. Le pélican caracolait en tête. Il piaillait à qui mieux mieux et réclamait le droit d’arracher le cœur de l’enfant pour l’offrir à ses répugnants rejetons. L’éléphant et le rhinocéros le suivaient, en faisant trembler le sol sous leurs pas, tandis qu’une multitude de serpents accompagnait le cortège. Ils rampaient au sol, s’engouffraient sous la terre, parcouraient les océans ou tournaient dans les airs, et les cloches célébraient à grand fracas leur victoire imminente.

L’enfant sentit leur souffle pestilentiel qui lui brûlait la nuque. Une main crochue lui frôla le dos. Devant lui, dans l’angle de l’allée, Lucifer devisait tranquillement avec l’archange Saint Michel autour d’une balance. L’un des deux, allez savoir lequel, désignait du doigt une ouverture dans le coin d’un mur. Des escaliers sordides descendaient Dieu sait où, peut-être s’agissait-il des premières marches qui menaient à l’enfer. Mais l’enfant n’eut pas le temps d’y songer, il s’y rua la tête la première et dégringola. Dans sa chute, il entendit un bruit sourd derrière lui, et juste à l’instant suivant, il reçut le corps du chantre qui tomba de tout son poids contre ses épaules. L’enfant gesticula, effrayé, mais le moine ne bronchait pas. Il était mort.

Le petit remonta péniblement à la surface. Les cloches avaient cessé de sonner. Les créatures de pierre avaient rejoint leurs colonnes. La tranquillité régnait de nouveau sur le cloître. L’enfant, hagard, découvrit alors qu’il était couvert de poussière. Le sang coulait à flots sur son front. Il s’en étonna, car il ne ressentait pourtant aucune blessure. Mais en tournant la tête, il comprit très vite ce qui s’était passé : le chantre dans sa course avait oublié de se baisser pour pénétrer dans les escaliers, et sa tête s’était fracassée contre le saillant du bloc de pierre au-dessus de l’entrée. Le choc avait dû être d’une violence inouïe, car un bout de pierre s’était détaché sous l’impact. La roche suintait encore du sang de sa victime. Pierre fronça les sourcils, songeur : la pierre, pour la seconde fois dans sa courte vie, venait de le sauver.

Une troupe de moines sortit du bout de l’allée et accourut vers l’enfant. Ce dernier, sans trop savoir pourquoi, se mit alors à genoux, ouvrit les bras en croix, et à sa grande surprise, il s’entendit crier d’une voix suraigüe : « Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde, prends pitié de nous ». Puis il tomba, terrassé par la fatigue.

Les moines l’emmenèrent séance tenante jusqu’aux appartements de l’abbé. Celui-ci s’y rendit après complies. Le petit était là, qui dormait à poings fermés. L’abbé Rambert le regarda, intrigué. S’agissait-il d’un sot, d’un insolent ? Pourquoi l’avait-on abandonné : portait-il les stigmates d’un péché mortel, d’une faute inavouable ? Etait-il bâtard, juif, cagot, à moins que ce ne fût le fils d’une sorcière engendré lors d’un Sabbat ? Qu'allait-t-il faire à présent du marmot ? L’abbé n’éprouvait, en contemplant l’enfant allongé devant lui, aucun remords quant à la décision qu'il avait prise quelques semaines auparavant. En offrant un jouet inanimé à Odilon, l'abbé pensait qu'ainsi le vieux chantre perverti pouvait rassasier son vice et laisser tranquille le reste des oblats. Rambert avait agi comme le berger qui laisse l’agneau le plus faible à la merci du loup pour préserver son troupeau. C’était la seule solution : il ne pouvait pas destituer Odilon, qui était le cadet des Roquebrune, la famille qui avait fondé ce monastère. A présent, le chantre était mort, et l’abbé est plutôt satisfait d’un pareil dénouement. Il avait payé pour ses péchés abjects. Il s’agissait désormais d’organiser des funérailles qui siéraient à son rang, et peut-être inventer un pieux mensonge au sujet de sa mort accidentelle. Et trouver un autre chantre. Mais le pe`re supérieur arrêta là ses réflexion, car l’enfant se réveilla.

Le moutard écarquilla les yeux. L'abbé Rambert lui parla sèchement. L’enfant écouta à demi-mots ce sermon qui se voulait sévère. Il comprit que l’abbé l’accusait d’avoir détruit la bibliothèque, d’avoir désobéi à son maître Odilon et d’avoir troublé le silence de mise dans la maison de Dieu. Néanmoins l’enfant parvient à discerner derrière toutes ces paroles que l’abbé n’était pas vraiment en colère.

L’abbé le punit de trente coups de fouets. Des moines l’emmenèrent jusqu’au cloître, l’attachèrent à un pilier, et l’abbé en personne le flagella sous l’œil de tous. L’enfant se mit à rire à gorge déployée sous les coups qu’il encaissait. Car désormais, il ressentait la douleur, il n’était plus une statue, ni le jouet de personne, c’était un enfant de chair et d’os capable de souffrir et de saigner. Et il avait un nom, il s’appelait Pierre, Pierre Toussaint, criait-il aux enfants qui ricanaient en contemplant la scène. Le rire de Pierre résonna dans tout le froid monastère, rebondit contre les pierres et lui revint aux oreilles. Mais l’enfant ignorait qu’il s’agit-là de l’écho, pour lui, c’était le perroquet qui volait gaiement dans les allées du cloître et qui répétait son fou-rire...

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Message  Invité Ven 8 Oct 2010 - 5:51

J'aime beaucoup la manière dont vous restituez la dureté de l'époque ! Cela dit, j'ai trouvé le tout début un peu gnangnan, je craignais une succession d'images d'Épinal ; peut-être y aurait-il moyen de resserrer cette partie.
J'ai ressenti une maladresse, sutrout au début, dans la répétition des termes : l'enfant, le marmot, le petit, etc. Pour moi, c'est raide, manque de fluidité.
Le coup de l'abbé pas vraiment en colère mais qui doit bien marquer le coup avec trente coups de fouet, excellent !
Dans l'ensemble, une réussite pour moi, malgré le côté guindé de l'écriture dans les premiers paragraphes.

Mes remarques :
« un enfant avançait à grand-peine (trait d’union) »
« Elle pleurait des perles figées qui ruisselaient à (sur ?) ses joues »
« un courant d’air qui le mena vers une brèche que le vent venait de percer » : lourd, ceci, pour moi
« sortaient pêle-mêle de la roche »
« fit tomber derrière lui un lit de ronces. Le vent ne passait plus qu’en léger filet jusqu’au creux de la pierre. Là, silencieux, pelotonné dans un cocon de mousse » : un peu bizarre, pour moi
« le battement de son cœur »
« pensa-t-il, avant de n’y plus penser, car c’était un jour de fête » : j’aime bien l’effet assez burlesque de la répétition, mais je ne suis pas sûre que ce soit voulu
-Vivant
-Dieu soit loué
-Oui, cela est vrai, et je remercie le ciel de m’avoir envoyé ce petit agneau de Dieu. » (typographie, pas de guillemets en fin de réplique s’il y en a tout de suite une autre derrière)
-Tu as raison
(typographie : le trait d’union « - » ne suffit pas à introduire une réplique de dialogue, il faut prévoir le tiret demi cadratin « – » ou le format au-dessus, « — », avec une espace derrière chaque caractète)
« - Pardonnez mon audace : typographie, pas de guillemets ouvrants suivis d’un tiret (non d’un trait d’union !) pour introduire une réplique, ça fait double emploi
Ce n’est pas une audace, c’est une insolence, s’offusqua le père supérieur : typographie, rien n’introduit la réplique
J’ai parlé » : manque un signe d ponctuation en fin de phrase
« ils s’attelèrent (et non « s’attellèrent ») à la tâche »
« Il ferma à clef la porte du scriptorium, s’approcha lentement de l’enfant »
« les seuls (et non « seules ») personnages qui apparaissaient confusément dans son esprit étaient des statues: » : typographie, une espace avant les deux points
« Avait-il déjà un visage? » : typographie, une espace avant le point d’interrogation
« troublé par l’écœurant volatile »
« les serpents savaient donc voler, eux aussi. Il n’y avait donc plus d’échappatoire possible »
« Mille créatures innommables l’observent et menacent de s’écrouler sur lui » : cette phrase au passé est bizarre, je trouve, dans le récit au présent (mais possible, dans l’action, auquel cas ce pourrait être intéressant de continuer au présent pendant la poursuite, éventuellement)
« le chantre était mort, et l’abbé est plutôt satisfait » : là, je ne pense pas que le passage du passé au présent fonctionne, et puis le verbe être me paraît trop vite répété
« Mais le père (et non « pe`re ») supérieur arrêta là ses réflexions, car l’enfant se réveilla »

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Message  Invité Ven 8 Oct 2010 - 9:34

L'impression qui domine c'est celle d'une série d'actions qui s'enchaînent mécaniquement, sans donner une impression de fluidité, sans surprise non plus ; la narration me fait l'effet d'être uniforme, de se dévider de façon assez monotone, de ronronner.

J'ai remarqué, notamment au tout début, de nombreuses répétitions du mot "enfant", c'est vraiment très visible et contribue à une certaine lourdeur de l'ensemble, un texte qui fait un peu carcan.

Relevé ceci en passant, cela fait peut-être doublon avec les remarques de socque, je n'ai pas vérifié :

C’était la nuit de la Toussaint et il faisait un vent à vous en décrocher l’âme.
Elle pleurait des perles figées qui ruissellent (temps) à ses joues.
Il était mort, aucun doute n’est (idem) désormais permis
les colonnes noires du cloître qui fragmentaient le soleil. (ici, je ne me souviens plus pourquoi j'ai relevé la phrase, sûrement une question de concordance des temps aussi)
Ce dernier se leva aussitôt et sort (temps) du scriptorium.
mais les seules personnages qui apparaissaient confusément dans son esprit étaient des statues

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Message  Invité Ven 8 Oct 2010 - 9:36

Ah, et pour la suite, si tu peux comptes garder les images en début de chapitre, ce serait bien de les avoir à taille plutôt réduite (comme au chapitre 2). Merci.

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Message  Invité Ven 8 Oct 2010 - 9:45

Merci à vous 2 pour cette lecture si longue! Et pour vos commentaires!

Le problème des temps verbaux, oui, je l'explique en introduction: j'avais passé le récit au présent, et puis je l'ai re-re-transposé au passé. Du coup, j'ai oublié quelques raccords.

C'est ce début qui me pose particulièrement problème, ça m'énerve, d'autant que la suite est plus fluide, enfin, j'espère. Et je n'arrive pas à changer ce début! Trop ancré dans ma tête pour pouvoir vraiment le retoucher en profondeur. Un coup de main?

Sinon, la photo dérange la taille des post? Sur mon ordinateur, je n'ai pas ce problème. Je ferai attention dorénavant de mettre des images plus petites du coup

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Message  Jano Sam 9 Oct 2010 - 9:08

Le passionné du Moyen Âge que je suis ne peut qu'applaudir ton idée. Le sujet est bien trouvé et te permet de parcourir une large frange de la société, des ordres monastiques aux castes des artisants sans oublier les bourgeois commerçants qui finançaient les travaux des cathédrales.
Fais attention de ne pas tomber dans la caricature de l'époque médiévale en mettant de la misère, de la saleté et de la violence partout. Il y avait aussi des rayons de lumière, c'est d'ailleurs le thème de ton récit.
Dernière remarque, pourquoi faut-il toujours attribué aux génies une enfance malheureuse ?
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Message  Louis Sam 9 Oct 2010 - 16:13

Je n’ai lu que le premier chapitre, je lirai et commenterai le second plus tard.
Le roman commence par une belle idée : la mort symbolique d’un enfant, une nuit de la Toussaint, et sa renaissance dans les entrailles de la pierre. La description de cette anfractuosité du mur où se réfugie l’enfant, semblable à une matrice, un utérus, pour y mourir et y renaître, me semble très bien vue. Le jeune garçon renaît du sein de la pierre une nuit de la Toussaint. Cette période temporelle me semble aussi très bien choisie. La nuit de la Toussaint fait transition avec le Jour des morts, ce jour censé ouvrir le passage entre l’ici-bas et l’au-delà, jour d’une communion entre les vivants et les défunts. L’apparition d’un personnage du nom d’Odilon n’est sans doute pas un hasard, puisque historiquement Odilon est l’abbé du monastère bénédictin de Cluny à l’origine de la fête de la Toussaint dans l’ère chrétienne, et que l’action se situe parmi des moines de l’ordre de Saint Benoît.
L’enfant, avant de renaître, est d’abord figé, dans la pierre, par un froid à les fendre, les pierres ; il est pétrifié, statufié, avant de revenir à la vie. Il portera pour toujours la marque de sa renaissance puisqu’il deviendra sculpteur, celui qui donne forme et vie à la pierre. En lui, la statue précède le sculpteur, l’œuvre précède l’artiste. Il incarne dans sa personne l’acte créateur qui donne vie à la pierre.

Si l’idée de départ est bonne, le style de l’écrit, le ton, le vocabulaire ne me semblent pas suffisamment adéquats.
La première phrase évoque une belle image, « décrocher l’âme », mais le vocabulaire sans recherche, avec les deux verbes : « C’était… » ; « il faisait » donne l’impression d’un « dire » plus que d’un « écrire ». Or le ton de l’écrit conviendrait mieux, il donne la distance que requiert le sujet.
Trop fréquemment, il sera fait usage de l’auxiliaire « être ».
Pourquoi ce « faire » du vent quand le vent souffle « à vous décrocher l’âme » ?
On entend par la suite le vent souffler, mais on ne sent pas le froid qui transit, tétanise et fige, qui contribue aussi à statufier.
La lutte de l’enfant contre le vent me semble trop rapidement traitée, c’est une nuit exceptionnelle qui est à peindre, une nuit horrible.
Quelques remarques encore :
« Mais pour l’enfant, c’était un sourire de la Providence » Je ne crois pas qu’un enfant de six ans saisisse la notion de Providence, même à une époque très imprégnée de religiosité.
Je relève deux incohérences :
L’une dans le passage où tu relates l’amputation d’une partie de la jambe de l’enfant. D’abord il est dit que : « L’enfant était sans connaissance », et quelques lignes plus loin, après l’opération chirurgicale : « L’enfant s’évanouit aussitôt ». On ne s’évanouit pas si l’on est déjà sans connaissance !
L’autre dans les déclarations de l’abbé. Il demande, dans une attitude quasi démocratique : « Mes bien chers fils, dites-moi, à votre avis, que faut-il faire de lui ? », et lorsqu’un avis est exprimé, il rétorque avec autorité : « Ce n’est pas une audace, c’est une insolence ». Pourquoi demander un avis pour le refuser ensuite ?!
D’autre part, peut-on nourrir un enfant, comme il est dit, alors qu’il est évanoui, sans connaissance ?
Il me semble donc que ce premier chapitre mérite, en effet, d’être amélioré, surtout du point de vue du style et du vocabulaire. Il le mérite parce que l'idée me semble vraiment bonne.



Louis

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Message  elea Sam 9 Oct 2010 - 18:54

Je sais que l’époque était violente mais abandonné, presque mort de froid, amputé, abusé, fouetté, ça ne fait pas un peu beaucoup ?
Je ne reviens pas sur les commentaires précédents concernant la répétition du mot "enfant" ni l'aspect un peu "suite de scénettes".

Ce début m’a donné l’impression que les plus belles idées et les passages poétiques, beaux, côtoyaient le plat et le cliché.
C’est ennuyeux pour l’unité de la lecture.
Ce que je veux dire par là c’est qu’en général lors d’une première lecture si j’entre dans le texte, je suis incapable d’en faire une critique ou d’en remarquer les détails qui clochent, si au contraire tout en lisant je me fais des réflexions sur tel ou tel machins qui me gênent c’est que le récit ne me prend pas assez pour que je ne puisse m’en extirper et le commenter d’un œil froid.
Ici il y a eu les deux, j’ai alterné entre prise dans l’histoire et œil critique.
J’ai cependant tout lu sans pause ce qui est assez rare sur écran pour cette longueur et ce genre et je lirais le reste avec plaisir.
Bon courage, c'est un sacré boulot !

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Message  Invité Lun 11 Oct 2010 - 8:54

J'ai ressenti la même chose qu'Elea : d'excellentes trouvailles, des images fortes et des clichés (les larmes comme perles, noooon !!!)
Un peu trop d'adjectifs, un peu trop de pathos ( le doigt décharné de la mère qui montre le couvent ...)
En revanche la faille de pierre, le passage où il croit être une statue me paraissent de très belles idées, très bien rendues. J'aime aussi le mélange d'un certain fantastique avec le réalisme des détails.
Peut-être la raideur du début est-elle dûe au fait que tu veux très vite nous donner toutes les clefs pour rentrer dans l'histoire, ce qui induit des explications forcément " lourdes". Tu peux ( je crois) faire davantage confiance à ton lecteur, procéder de façon plus allusive : ne pas tout savoir d'emblée est tout à fait supportable quand l'histoire accroche bien.

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Message  Invité Lun 11 Oct 2010 - 9:05

Merci à tous d'avoir lu ce texte. Vraiment, merci, vos opinions me sont tout à fait précieuses et absolument justifiées. Hélas, le problème est, qu'à l'époque, je m'étais embarqué dans toutes ces pages avant même d'avoir fait mes premières armes en prose, avec des textes courts. Je n'avais effectivement écrit que des textes de chansons. Aujourd'hui, à l'heure de remanier le texte, je vois bien quel est le problème (les problèmes) mais je n'arrive pas à redresser la barre. En fait, j'ai l'impression qu'il faudrait que je réécrive le tout, en changeant la structure. C'st ce que je suis en train de faire, je vais bientôt vous proposer une formule remodelée du premier chapitre.

Pour ce qui est des "perles" en fait, j'ai décrit une statue de Vierge pleureuse. On en trouve dans la sculpture romane, avec des larmes énormes, et sinon, dans les passions baroques espagnoles, ce sont véritablement des larmes-perles.

J'en profite pour coller ici mes premiers changements pour l'incipit. Est-ce que ce serait mieux? (l'idée juste, je ne sais pas encore si ce serait ces phrases-là)


Pierre Toussaint, le plus admirable sculpteur que la terre eut connu depuis que Pygmalion sculpta dans les légendes, naquit pour la seconde fois en l'an 1182, à l'âge de 6 ans environ. Sa mère était la pierre, et son père un vieux moine qui pétrifiait les chairs.

Sa première vie, Pierre l'avait oubliée tout d'un coup, par une nuit de la Toussaint. Il faisait un vent à vous en décrocher l'âme, et l'enfant, giflé par les bourrasques en perdit tous les souvenirs de sa courte existence. Seule demeurait incrustée dans sa mémoire une image: celle d'une femme enroulée dans un grand châle noir, pleurant des perles de nacre sur son visage distordu par la peine.

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Message  Invité Lun 11 Oct 2010 - 9:26

Ah oui, je trouve que c'est plus direct ainsi...

Remarques :
"le plus admirable sculpteur que la terre eût connu"
"à l'âge de 6 ans environ" : il me semble que, pour les textes littéraires, on préfère en général indiquer les petits nombres en toutes lettres
"une image: celle d'une femme" : typographie, une espace avant les deux points

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Message  Invité Lun 11 Oct 2010 - 9:31

Merci. C'est du vite écrit, bien sûr, pour voir si ça peut être une bonne direction. Peut-être un peu trop "didactique" du coup? Mais, comme le souligne Elea et Jano, ça permettrait aussi de faire comprendre pourquoi la narration est si dure au début, alors qu'après, ça ne tourne pas du tout au misérabilisme ou au pathos.

Pour modération: excusez-moi de ces interventions, j'essaie de les limiter, mais pour remanier un texte du tout au tout, ces conversations me sont vraiment utiles. Merci de votre compréhension

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Message  lol47 Lun 11 Oct 2010 - 19:38

C'est un poil trop vite écrit ( et trop poli ?).
Bien, dans l'ensemble, ça me convient, allégories du SM, architecture, catholicisme dépravé...pourquoi je suis devenu païen, parce que ça me rappelle mon enfance.

Pour une critique plus sélective et comme je je l'ai déjà dit, le tableau est trop vite brossé.
Et de courts paragraphes pour enjoliver, stupéfier, ne seraient pas de trop.
Narration trop directe, le lecteur veut ce qu'il attend.

Bon courage.
S'attaquer à une vraie oeuvre est très compliquée . Il faut du temps, beaucoup de patience. Les deux.
Croire, c'est ce qu'il y a de plus difficile.
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Message  Invité Lun 11 Oct 2010 - 20:01

je profite que c'est en haut pour te répéter que je lirai au-delà des premiers chapitres.

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Message  Invité Mar 12 Oct 2010 - 21:39

Bien, j'ai pris en compte les avis fournis sur ce site (merci, vraiment) pour réécrire le premier chapitre. Je n'ai pas encore réglé la question du "sourire de la Providence" soulevé par Louis. Le texte bien entendu est susceptible d'être affiné, c'est encore de "la peinture fraîche", il manque sans doute de retouches.


1. « Pierre fils de la pierre ».


Pierre Toussaint naquit pour la seconde fois la nuit en l'an 1182, à l'âge de six ans environ. Sa mère était la pierre, et son père un vieux moine qui pétrifiait les chairs.

Sa première vie, Pierre l'oublia juste avant de renaître. C'était le nuit de la Toussaint. Une tempête s'était levée sur la vallée de la Garonne, et l'enfant, abasourdi par le vent en perdit d'un coup tous les souvenirs de sa courte vie. Seule demeurait incrustée dans sa mémoire une image: celle d'une pleureuse enroulée dans un grand châle noir, le visage pâle et mince, distordu par la peine.

Cette femme, sa génitrice, venait de l'abandonner, l'enfant le pressentait. Mais il ne pleurait pas, et concentrait ses forces pour gravir le sentier qui menait vers son salut : le monastère de Lussignac, perché tout en haut de l'éperon rocheux. Les bourrasques forçaient le petit à reculer, le poussaient dans les ronces, le plaquaient à terre. Mais toujours, il se relevait et continuait son ascension. Et les deux tours de l'église abbatiale, dressées dans la nuit pâle, s'approchaient de lui, irrémédiablement.

Une rafale poussa le marmot jusqu’au sommet avant de se briser contre l'enceinte de l'édifice. L’enfant frappa à la porte d'entrée tant qu'il put, mais ses coups étaient bien trop faibles pour alerter le vieux moine assoupi dans la guérite de la porterie. Il se laissa alors porter par un courant d’air qui courut le long de la palissade, pour le conduire vers une planche brisée. Il se faufila et pénétra à l’intérieur de l’abbaye, puis il s’élança dans la grand-cour désolée à la recherche d'un refuge. Mais les hommes avaient claquemuré les portes, calfeutré les fenêtres. Les ateliers, les étables, l’auberge des pèlerins, tout semblait désert, tout était résolument clos.

Le petit fit quelques pas jusqu’au porche de l’église abbatiale, et tomba enfin sur des formes humaines, gravées sur le portail. Mais personne ne daignait poser son regard sur lui, ni les vieillards de l'Apocalypse emmitouflés dans leurs manteaux de pourpre et d'or sur la frise du tympan, ni le Christ en majesté, qui trônait au-dessus et qui fixait les cieux, ni les apôtres Pierre et Jean, flanqués sur les piédroits, qui montaient la garde de part et d'autre de la porte de l'église. Seuls les personnages du trumeau, entre les deux battants, s'étaient rendus compte de la présence de l'enfant. C'était une ribambelle de diablotins rieurs et de monstres criards qui semblaient se réjouir de la disgrâce du marmot et dansaient la farandole.

Leurs ricanements se mêlaient au sifflement du vent, pour résonner contre les tempes de l’enfant. Ils l’invitaient à l’abandon, à s’envoler jusqu’aux limbes, et le petit chancela. C’est alors que ses yeux découvrirent par hasard, le long du mur de l’église, une lézarde béante dans le calcaire. Dans un dernier instinct de survie, il se ressaisit.

Ce recoin de pierre noire était lugubre, comme une cicatrice ouverte entre deux blocs mal agencés, d’où pouvaient jaillir à coup sûr serpents, chauves-souris et autres créatures de l’enfer. Mais pour l’enfant, c’était un sourire de la Providence, et les mauvaises herbes qui entouraient la fissure et sortaient pèle-mêle de la roche, un baldaquin chaleureux qui l’invitait au sommeil. Il escalada un peu en écorchant ses chairs aux parois gelées, se glissa dans la souffrance jusqu’à la lézarde, se tortilla, démantibula son petit corps pour pouvoir rentrer dans l’interstice, et la pierre s’écarta légèrement, afin de lui permettre de s’y loger. Enfin installé, il se recroquevilla, et d’un mouvement brusque du genou, fit tomber derrière lui un lit de ronces. Le vent ne passait plus qu’en léger filet jusqu’au creux de la pierre. Là, silencieux, pelotonné dans un cocon de mousse, l’enfant se laissa bercer par le battement de son coeur, qui résonnait jusqu’au plus profond de la pierre, et s’endormit.

Il n’entendit pas la cloche qui sonnait l’office des vigiles dans la nuit, ni le brouhaha des moines qui se réveillaient. Ce n’est que plusieurs heures après tierces, bien avancée la matinée, qu’un frère convers le découvrit. D’abord, il ne vit que la lézarde échancrée, plus ouverte que jamais. En s’approchant d’un peu plus près, il constata la présence de l’enfant, endormi dans la pierre. Il tenta de le réveiller en lui parlant, sans succès. Il glissa alors sa main dans la brèche, mais le corps ne bronchait pas. Il en déduisit que le pauvre gosse était mort de froid, et se résigna à déloger le cadavre.

Il eut un mal fou à dégager l’enfant de la fissure, et procéda comme on arrache un nouveau-né du ventre de sa mère, en commençant par sortir la tête du trou. Puis, progressivement, le reste du corps suivit, et la pierre semblait réagir sous la pression, cédait peu à peu pour laisser passer le marmot. Son corps était raide comme la pierre, aussi froid et de la même couleur qu’elle, crayeux aux reflets légèrement bleutés. Il était comme un chérubin de marbre, au visage d’angelot qui souriait maladif, sans frémir. Il était mort, aucun doute n’est désormais permis, pensa alors le convers, et il tira d’un coup sec pour achever de retirer le cadavre du trou. Mais l’enfant, soudain, se mit à hurler comme un diable : son pied était resté coincé dans le mur, et le frère accoucheur venait de déchirer les ligaments de sa cheville. De la fente de pierre, une rigole de sang s’écoula.

Le frère convers porta le petit jusqu’aux cuisines, l’approcha du feu et le coucha par terre. Puis il nettoya la cheville du marmot, mais elle continuait de saigner et le pied commençait à enfler. Alors il demanda l'aide d'un des serviteurs des cuisines, qui sans hésiter, scia la jambe de l'enfant, à une main à peu près en-dessous du genou. L'enfant s'évanouit aussitôt. Le serviteur, ensuite, cautérisa la plaie au fer rouge. Puis le frère convers et le cuisinier décidèrent qu’ils avaient assez perdu de temps et partirent vaquer à d’autres occupations.

C’est juste avant vêpres que l’abbé Rambert découvrit enfin l’enfant. A n’en point douter, il était bien maladif, à en juger par son teint blanchâtre et son aspect chétif. Sans doute ne se réveillerait-il jamais, il était même fort probable qu’il mourût dans la nuit. L’abbé ordonna de transporter l’enfant jusqu’au scriptorium, car c’était la pièce la mieux chauffée du monastère, et il y fit apporter ses objets de culte, pour administrer au petit le sacrement du baptême. Il dut choisir un nom pour le petit, et le premier qui lui vint à l’esprit fut Pierre, tant cela paraissait évident. L’abbé, toutefois, après une courte réflexion, décida d’accoler le nom du jour, Toussaint, comme c’était la coutume pour les enfants trouvés. « Pierre Toussaint, voilà un nom bien long pour une existence bien courte » pensa-t-il, avant de n’y plus penser, car c’était un jour de fête d’une extrême importance pour le monastère, et l’heure était venue de célébrer le dernier office avant de dîner.

Le lendemain matin, les moines tenaient leur réunion quotidienne dans la salle capitulaire. Après la lecture d’un chapitre de la règle de Saint Benoît, on parla brièvement de l’enfant trouvé. L’abbé demanda de ses nouvelles à frère Odilon, le vieux chantre, responsable de l’école et du scriptorium.

« Eh bien, l’enfant est-il vivant ou déjà mort ? dit-il d’un ton détaché.

-Vivant, s’empressa de répondre le frère. Mais il est si petit, si fragile… Je suis venu lui rendre visite avant l’office des matines. Il dormait comme un petit ange. J’ai pressé mon oreille contre sa poitrine. Son cœur battait doucement, sa respiration était légère. Puis je l’ai nourri, j’ai changé sa couverture, mais il ne s’est pas réveillé. Je l’ai délicatement reposé au sol et je suis parti sans faire de bruit. »  

L’abbé fixa le vieux moine, en fronçant ses sourcils épais. Il racla sa gorge, et déclara à l’assemblée :

-Dieu soit loué d’avoir pris pitié de cette créature. Le Seigneur nous a confié cet enfant, à présent, notre devoir est de l’accueillir dans notre communauté. Mes bien chers fils, dites-moi, à votre avis, que faut-il faire de lui ? »

L’abbé posa son regard sur chacun des vingt moines assemblés. Frère Fulbert, l’apothicaire, brisa le silence et déclara :

«A mon humble avis, je crois que nous pourrions le transporter jusqu’à l’infirmerie avec les autres malades. Là, je pourrais lui appliquer des onguents, lui faire boire des décoctions de plantes stimulantes, et le saigner jusqu’à ce qu’il guérisse ou trépasse »

Les moines acquiescèrent en hochant la tête. Mais l’abbé n’avait pas l’air satisfait. L’infirmerie, pensait-il, était réservée aux moines et aux frères convers. Y accueillir le marmot signifiait le considérer déjà comme l’un des leurs. Certes, il y avait bien des enfants dans l’abbaye, une dizaine d’oblats voués dès leur plus jeune âge à la vie monastique, mais l’abbé n’envisageait pas le moins du monde un tel destin pour ce gamin mutilé, qui probablement demeurerait abruti toute sa vie après une telle période de catalepsie, dans le cas improbable où il survivrait. L’abbé demeura un temps silencieux, puis il releva la tête et demanda à Odilon :

« Tu dis que tu l’as choyé, nourri, débarbouillé ?

-Oui, cela est vrai, et je remercie le ciel de m’avoir envoyé ce petit agneau de Dieu. »

-Tu as raison, trancha l’abbé, il est un don du ciel. Aussi, j’ai décidé que tu t’occuperas de lui exclusivement. Tu le chériras de tout ton amour, dans la crainte de Dieu. »

L’abbé et le chantre échangèrent un regard entendu. La décision du Père, semblait-il, avait jeté un froid dans l’assemblée. Le plus jeune moine, frère Bernardin, fit un pas en avant et dit d’une voix hésitante :

« - Pardonnez mon audace, mon Père. Mais l’enfant ne serait-il pas mieux placé auprès d’une nourrice ?
- Ce n’est pas une audace, c’est une insolence, s’offusqua le père supérieur. Une fois que j'ai tranché une question, tu n’as pas à contester ma sentence. La Providence nous a confié l’enfant, nous ne saurions nous opposer aux desseins du Seigneur en nous débarrassant de la charge qu’il nous a envoyée. L’enfant restera dans le scriptorium, jusqu’à ce qu’il se rétablisse ou bien que Dieu le rappelle auprès de Lui. Et frère Odilon se chargera de le soigner. J’ai parlé »

Frère Bernardin baissa les yeux en signe d’obéissance. L’abbé décida alors de clore la réunion du chapitre.

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Message  Invité Mar 12 Oct 2010 - 21:42

M.... ! je me suis planté au tout début!

Pierre Toussaint naquit pour la seconde fois la nuit de la Toussaint de en l'an 1182, à l'âge de six ans environ. Sa mère était la pierre, et son père un vieux moine qui pétrifiait les chairs.

Sa première vie, Pierre l'oublia juste avant de renaître. C'était la nuit de la Toussaint. Une tempête s'était levée....



< C'est ok.
La Modération >

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Message  Invité Mer 13 Oct 2010 - 5:30

Juste un mot pour vous dire que je ne relirai pas cette première partie, puisque je connais déjà l'histoire. Je lirai la suite.

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Message  Invité Mer 13 Oct 2010 - 20:27

Chapitre 2. Le serpent et l'oiseau

-> voir le 3ème post de ce topic (oui je sais, c'est un vrai labyrinthe !)



Chapitre 3. « Au pied du mur ».


L’abbé Rambert mit plusieurs mois avant de désigner un nouveau chantre. Le Père supérieur rêvait de transformer la modeste école de l’abbaye pour la convertir en un véritable atelier de copistes. C’est pourquoi, pendant tout l’hiver et bonne partie du printemps, il envoya des missives aux monastères environnants afin de trouver un moine expérimenté en la matière, quelqu’un capable de mettre en route une bibliothèque digne de ce nom et qui sût former les jeunes élèves de Lussignac. Mais, avec le temps, l’abbé dut se résigner. Sa requête aurait entraîné trop de contreparties et il risquait de perdre son indépendance face aux grandes abbayes dont il sollicitait l’aide. Pendant ce temps, les enfants étaient dissipés, laissés sans surveillance. L’abbé avait beau passer de temps en temps au scriptorium, et punir les éléments les plus perturbateurs, cela ne suffisait pas. Il était grand temps de nommer un responsable et de rétablir l’autorité perdue. Mais qui pouvait donc accomplir cette charge ? Les seuls moines valides étaient occupés à d’autres fonctions, et il ne restait guère plus que l’aîné des élèves du vieux chantre, Frère Bernardin, qui venait à peine de fêter sa dix-septième année, et de prononcer ses vœux. C’était un excellent enlumineur et un garçon intelligent, certes, mais avait-t-il assez de poigne pour faire régner l’ordre dans le scriptorium, pour tenir à jour les registres de l’abbaye et faire chanter les moines à la messe ? Rambert trouvait Bernardin quelque peu impétueux, naïf et rêveur, mais après tout, songeait-il, le jeune deviendrait vieux, et avec l’âge, sans aucun doute, gagnerait en sagesse. De toute manière, Rambert n’avait pas le choix, aussi, peu après Pâques, il intronisa le nouveau chantre. Bernardin reçut la verge d’Odilon, et sa charge put commencer.

Du coup, l’abbé décida aussi de régler le sort du petit Pierre Toussaint. Durant tous ces longs mois il n’avait su que faire du moutard. Il était tenu par le devoir de charité qui l’empêchait de renvoyer l’enfant hors du monastère, mais il avait été incapable jusqu’alors de lui attribuer une fonction : le petit ne pouvait pas être serviteur, puisque sa disgrâce le rendait parfaitement inutile pour la moindre tâche domestique, ni bien entendu oblat : il s’agissait, à n’en pas douter, d’un idiot. Alors, ne trouvant à le caser nulle part, l’abbé l’avait laissé aller et venir librement dans l’abbaye, et il avait fini par apprécier la présence de cette petite créature qui rampait aux quatre coins de l’abbaye en mordant la poussière. Le petit faisait pitié à tous avec son regard triste et donnait aux moines un bon exemple d’humilité. A vrai dire, l’abbé s’était persuadé que l’enfant ne pouvait guère survivre à l’hiver, mais il dut bien se rendre à l’évidence : la Semaine Sainte était passée et l’enfant était toujours en vie. Cependant cette situation ne pouvait pas durer, et quoique l’enfant ne dérangeât personne – il était spécialement silencieux et tranquille -, dans un monastère il devait y avoir une place pour chacun, et l’enfant n’en avait aucune. Aussi, lorsque l’abbé Rambert désigna le jeune Bernardin comme nouveau chantre, il choisit en même temps de lui confier l’enfant.

Pendant tout l'hiver, le petit Pierre avait donc hanté le monastère en traînant son petit corps. La nuit, il dormait dans l’étable. Aux heures des repas, on lui servait une écuelle dans un coin des cuisines. Dans la journée, le petit Pierre vaquait d’un endroit à l’autre de l’abbaye. Jouissant du privilège accordé aux idiots et aux animaux domestiques, il pouvait aller partout librement, où bon lui semblait, aussi bien dans les bâtiments conventuels où seuls les moines pouvaient entrer, qu’à l’extérieur où se trouvaient les échoppes, les ateliers et l’auberge, disséminés autour de la grand-cour. Comme on le croyait sot, personne ne se souciait de sa présence, et le petit assistait à toutes les scènes secrètes de l'abbaye. Il connaissait les moindres larcins des serviteurs, les ragots des convers, les anecdotes des pèlerins, les confessions des moines, et aussi leurs fautes inavouées. Rien ne lui échappait de ce qui se passait à l’intérieur de l’enceinte du monastère. Mais ce qu’il y avait au-delà de la palissade demeurait pour lui un grand mystère. Il n’était pas autorisé à sortir de l’abbaye. Il avait tenté à plusieurs reprises de franchir le seuil de la porte d’entrée, mais on l’avait refoulé aussitôt.

Chaque matin la porte s’ouvrait un court instant, lorsque les miséreux qui avaient installé leurs taudis au bas de la colline accouraient à la distribution quotidienne de pain organisée par les moines, ou bien de temps à autre quand un groupe de pèlerins sur la route de Compostelle faisait halte à Lussignac. Le petit, posté derrière la guérite du portier, pouvait alors entrapercevoir des bribes de paysage, mais la véritable aubaine, c’était lorsqu’un important personnage venait rendre visite aux moines. Alors, on ouvrait les deux battants de la porte d’entrée pour laisser passer mules et destriers, et l’enfant pouvait découvrir l’horizon, la ligne de la Garonne tout au fond de la vallée rutilante de givre, les taches sombres des bosquets parsemés dans les rangées des vignes et les sillons alignés le long des collines. Le petit essayait d’imaginer ce qu’il y avait encore plus loin, au-delà du mur de l’horizon. Tout en haut du grand clocher de l’église abbatiale, sans doute était-il possible de dominer toute la contrée, mais l’enfant ne pouvait pas y monter. L’escalier en colimaçon qui menait au sommet de la flèche était interminable, étroit et sans rambarde, bien trop escarpé pour que l’enfant mutilé pût y grimper à cloche-pied ou à plat-ventre. Pierre aurait voulu être un oiseau pour embrasser d’un coup d’œil le monde entier, mais il n’était guère qu’une créature rampante. Chaque fois que la porte se refermait, une terrible sensation de lassitude s’emparait de lui.

Pour se consoler, le petit Pierre allait alors se réfugier dans l’église abbatiale. Il avait là un petit coin secret où il aimait se recueillir. C’était une petite absidiole derrière l’autel où rarement les moines et les pèlerins venaient le déranger. Dans une alcôve faiblement éclairée par des cierges reposait une statue de la Vierge. Autour d’elle, trois colonnes qui racontaient l’enfance du Christ protégeaient la sculpture des regards indiscrets depuis la nef centrale. L’enfant restait des heures à laisser libre cours à son imagination. En contemplant la statue de la Vierge au visage adolescent, qui lui souriait tristement, Pierre parvenait à chasser de sa mémoire les scènes odieuses de son passé. Il avait même, peu à peu, réinventé sa propre histoire, à partir des bas-reliefs des chapiteaux. Sur le premier, il venait de naître dans une étable, entre un boeuf et un âne, et trois rois se prosternaient à ses pieds. Sur le second, on voyait des soldats massacrer des enfants, mais ses parents avaient pu s'enfuir de justesse. Enfin, sur le dernier, il se trouvait seul, entouré de moines à longues barbes. Ses parents avaient dû le laisser là, à Lussiagnac, pour le protéger des tueries. Mais bien entendu, le conte de l'enfant avait une fin heureuse: sa mère n'avait pas pu se résigner à l'abandonner et elle s'était transformée en statue. Un beau jour, quand la guerre serait finie, son père reviendrait les chercher, la femme retrouverait son aspect de chair et d’os, et toute la famille partirait pour vivre heureux dans une contrée lointaine. En attendant ce jour, la mère restait là, aux côtés de son fils, figée dans son alcôve, toujours prête à le consoler, toujours souriante. L’enfant n’avait qu’à grimper quelques marches pour se presser contre elle et se lover à ses pieds. Et sous l’œil attendri de la dame de calcaire, il restait là de longues heures endormi, à moins qu’un moine, passant par là, ne se rendît compte de la présence de l’enfant et ne décidât de l’en déloger.

C’est là, dans son petit sanctuaire privé que vint le chercher un beau matin de Printemps frère Bernardin. Pierre le reconnut aussitôt : c’était le jeune moine au regard d’ange, le seul qui avait eu pitié de lui depuis son arrivée au monastère. Le jeune frère lui sourit, et sans dire un mot, le prit dans ses bras. Il le porta au-delà de l’église, traversa la Grand cour et le déposa devant l’établi du charpentier. L’artisan s’approcha alors de l’enfant, l’allongea par terre et prit ses dimensions au moyen d’une cordelette. Il retourna dans son échoppe, choisit un morceau de bois, le mesura, le scia, rabota grossièrement l’embout, s’empara d’un autre morceau de bois plus petit et le cloua transversalement par-dessus l’autre. Enfin, avec un large sourire, l’artisan tendit le bâton à Bernardin. Le jeune chantre releva le garçon et lui plaça la planche sous l’aisselle. C’était une béquille, une véritable béquille en bois de noyer. Pierre fit quelques pas en sautillant. Le bâton était un peu lourd et difficile à manier, mais il offrait une grande stabilité à l’enfant, il n’y avait pas de commune mesure avec la béquille improvisée qui lui avait servi à s’enfuir du scriptorium, quelques mois auparavant, pourchassé par Odilon. Le petit se mit à gambader en riant à cœur joie, sous l’œil amusé de Bernardin. Il se tenait enfin debout, comme un véritable être humain.

Pierre suivit ensuite Bernardin jusqu’aux bâtiments des moines. Là, le nouveau chantre lui fit donner un bain et enfiler une tunique neuve. Puis tous deux se dirigèrent vers le scriptorium. Avant d’entrer, le jeune moine expliqua sommairement à l’enfant ce qu’il attendait de lui :

« Petit, écoute-moi bien. Tu devras me seconder dans toutes les tâches domestiques. Tu prépareras le scriptorium avant chaque classe, tu tailleras les plumes, tu rempliras les encriers. Pendant les classes, c’est toi qui veilleras à ce que les élèves ne manquent de rien, et tu passeras entre les rangs pour leur distribuer ce qu’ils te demandent, afin qu’ils n’aient pas à se lever. Après les classes, tu rangeras et tu nettoieras la salle. Tu feras bien attention à ce que la cheminée ait toujours assez de braises, et qu’il ne fasse ni trop chaud ni trop froid dans le scriptorium. C’est extrêmement important, parce que les parchemins ont besoin d’une température constante pour se conserver. S’il fait trop humide ils pourrissent, et s’il fait trop sec, ils risquent de craqueler. Tu as bien compris ? »

L’enfant acquiesça de la tête, la mine réjouie. Peu après les moinillons entrèrent dans la bibliothèque. Le petit Pierre se tenait dressé sur sa béquille en prenant un air d’importance. C’était le nouveau bras droit du chantre, et il se sentait si fier qu’il ne remarqua pas les regards moqueurs que lui adressèrent les oblats en passant devant lui.

Pour Pierre, une nouvelle vie commençait. Il ne dormait plus dans l’étable, mais avec les serviteurs de l’abbaye, et partageait leurs repas. Certes, l’enfant ne communiquait pas vraiment, c’est à peine s’il savait parler, les quelques mots qu’il prononçait n’étaient guère que des sons gutturaux mal articulés qui semblaient sortis du fin-fond de son ventre plutôt que de sa bouche, et personne ne faisait l’effort d’écouter ce que le petit essayait de dire. Mais l’enfant vivait entouré d’humains, et il se sentait heureux parmi ses semblables. Les serpents venaient de moins en moins souvent troubler son sommeil. Il ne regrettait qu’une seule chose, sa liberté de jadis, lorsqu’il pouvait à sa guise se promener dans les allées du cloître ou pénétrer dans l’église pour saluer sa mère. Par contre, maintenant, il pouvait demeurer tout le temps qu’il souhaitait au scriptorium. Il prit très à cœur ses nouvelles attributions. Il s’évertuait à accomplir sa tâche du mieux qu’il pouvait. Il apprit rapidement à se déplacer agilement sur son bâton en portant des encriers sans les renverser, des piles de livres sans les faire tomber. Il savait ranger les manuscrits dans les étagères, en fonction de leur taille et de leur couleur, et tenait mentalement l’inventaire très précis des fournitures et des livres prêtés. Et il n’avait pas son pareil pour tailler les plumes en biseau en deux coups de canif, à tel point qu’il surpassa très vite son maître en la matière.

Mais ce qui faisait le ravissement de l’enfant, c’était de pouvoir assister aux classes dans le scriptorium. Elles suivaient le même modèle que celles d’Odilon : d’abord, chaque matin, Bernardin faisait répéter à l’avance les leçons liturgiques que les enfants avaient à lire à l’office et au chapitre, les répons qu’ils devaient chanter à laudes et aux vêpres, et il tentait de corriger les erreurs de la veille. Puis la leçon proprement dite pouvait commencer. Bernardin apprenait aux enfants à lire, à écrire, à inscrire la notation musicale dans de gigantesques antiphonaires, et il leur enseignait les trois voies du trivium, la grammaire latine, la rhétorique, et la dialectique. Mais la manière de procéder de Bernardin était diamétralement opposée à celle de l’ancien chantre : le silence n’était pas de mise, au contraire, Bernardin voulait voir ses élèves participer, poser des questions. Il ne s’agissait pas tant d’apprendre par cœur que de comprendre les textes sacrés, les commenter, donner son opinion. Pierre ne perdait pas un mot de toutes ces leçons, il écoutait avec attention les explications de Bernardin, essayait de saisir le sens des textes lus, de retenir les formules et les chants. Ce qui le mettait le plus en joie, c’était de voir les élèves écrire et dessiner sur les feuilles. Savoir qu’un encrier et une plume recelaient tant d’animaux fantastiques et de choses merveilleuses, que des petits cryptogrammes mis bout à bout permettaient de dessiner les mots, que l’on pouvait transcrire les mélodies et les sons sur un papier en griffonnant des carrés noirs sur des lignes horizontales l’enchantait. L’enfant brûlait de pouvoir glisser lui aussi une plume sur un parchemin, d’ouvrir un livre pour lire un texte, de chanter avec les autres élèves, mais il n’en avait pas le droit, car il n’était pas oblat. L’abbé l’avait destiné au service des moinillons, ce n’était qu’un familier. Les autres enfants ne le regardaient même pas, c’était juste une ombre qui passait à côté d’eux.

Les enfants étaient une dizaine et avaient entre six et quinze ans. Confiés dès leur plus jeune âge au monastère, ces petits oblats ne connaissaient rien en-dehors des quatre murs de l’abbaye. Ils avaient tous subi les sévices de l’ancien chantre Odilon. Fort peu habitués à ce qu’on sollicitât leur avis, les classes de leur nouveau maître les déroutaient. Ils étaient rétifs à participer, craintifs de devoir dévoiler le fond de leur âme écorchée. Bernardin n’avait quant à lui jamais souffert dans sa propre chair les atrocités d’Odilon, il avait connu comme tuteur le chantre antérieur, un vieillard bienveillant mort lorsque Bernardin avait quatorze ans. Aussi, les enfants considéraient leur nouveau maître comme un corps étranger qui tentait de s’immiscer dans leurs secrets les plus intimes. Les garçons, comme guidés par une sorte d’accord tacite entre eux, avaient alors décidé de se liguer contre lui, et Bernardin butait sur leur silence opaque, leur refus d’obtempérer. Peu à peu, de manière imperceptible, la discipline se relâchait, l’ambiance se détériorait. Chaque jour Bernardin devait faire plus de récriminations sur les erreurs commises lors des lectures et des chants au cours des offices. Pendant les leçons, les élèves bâillaient aux corneilles ou chuchotaient entre eux. Au bout de quelques mois, la dégénérescence devint flagrante, mais le jeune moine répugnait à utiliser le fouet. Il considérait simplement qu’il devait s’armer de patience et de compréhension, persuadé que sa manière d’agir était la bonne, et que tôt ou tard elle porterait ses fruits.

Pierre était réellement le seul motif de satisfaction de Bernardin. Chaque soir, tous deux passaient un bon moment ensemble à préparer les différentes activités du scriptorium, et l’un et l’autre appréciaient fort cet instant spécial de la journée. L’enfant était silencieux, obéissant, méticuleux, totalement à l’opposé du caractère de Bernardin. Peut-être était-ce là justement la raison de leur entente parfaite. Bernardin parlait, et le petit se taisait en écoutant. Pierre devint peu à peu pour le chantre un faire-valoir. Avec le temps, Bernardin lui confia de nouvelles tâches, dont l’enfant s’acquitta à merveille. Au bout de moins d’un an de service dans le scriptorium, l’enfant réalisait déjà des travaux de grande responsabilité, malgré son jeune âge –l’enfant devait avoir environ sept ans, mais il était impossible de le savoir assurément, bien que de courte taille et de constitution fragile, il possédait déjà les traits sérieux et réfléchis des adultes, et peut-être était-il plus âgé qu’il ne le laissait transparaître de prime abord-. Pierre apprit à préparer les couleurs pour les enluminures de Bernardin, et devint un véritable expert dans l’art de moudre les poudres, diluer les ingrédients en quantités exactes pour obtenir des bleus majestueux, des rouges resplendissants, des ocres profonds. Il préparait aussi les parchemins du scriptorium. Il s’agissait de passer au fil du rasoir les peaux de cerfs fraîchement tannées, puis de les frotter énergiquement à la pierre ponce. Bernardin lui avait montré comment procéder et l’enfant avait amélioré la technique, puisqu’il passait deux fois au lieu d’une le rasoir sur chaque peau, et laissait reposer le parchemin un long moment entre chaque opération. Bernardin lui avait dit qu’il s’agissait là d’une perte de temps, mais l’enfant s’était rendu compte que de la sorte, les enfants butaient moins contre les irrégularités des parchemins, leurs plumes n’éraflaient plus autant les feuilles. Une fois élaborés les parchemins, le petit y traçait à la règle, avec une mine de plomb, des lignes horizontales pour aider les enfants à y écrire de façon rectiligne. Et lorsque tout le travail était achevé, Pierre se mettait à imiter Bernardin qui, enfin débarrassé de ses obligations les plus rébarbatives délaissées à l’enfant, se dédiait presqu’exclusivement à son travail de copiste et d’enlumineur. Le garçon s’emparait d’une plume, et sans la tremper dans l’encre, il s’amusait à écrire des lettres imaginaires. Il avait dans sa tête tous les dessins qu’il rêvait de tracer.

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Message  Invité Mer 13 Oct 2010 - 21:05

J'aime beaucoup cette suite, le moment de l'apprentissage. Un bémol sur les répétitions d'"enfant", "petit", etc. Comme en plus les élèves du scriptorium en sont d'autres, enfants, c'est pas simple...

Mes remarques :
« mais avait-il (et non « avait-t-il ») assez de poigne »
« la Semaine Sainte était passée et l’enfant était toujours en vie » : la répétition se vot, je trouve
« à cloche-pied ou à plat-ventre » : je ne crois pas qu’il y ait de trait d’union pour « à plat ventre » ; à vérifier, éventuellement
« entre un bœuf et un âne »
« avaient dû le laisser là, à Lussignac (et non « Lussiagnac ») »
« le conte de l'enfant avait une fin heureuse: » : les conventions typographiques françaises veulent une space avant les deux points
« toute la famille partirait pour vivre heureux dans une contrée lointaine » : c’est correct, je pense, mais « famille » et « heureux » sont très proches l’un de l’autre, et ça fait bizarre
« traversa la Grand cour (au-dessus, c’était « grand-cour » ; je pense qu’il est préférable de rester constant dans la graphie des termes)[/b) et le déposa »
« qui semblaient sortis du fin-fond de son ventre » : je crois qu’on écrit « fin fond », sans trait d’union ; à vérifier, éventuellement
« ces petits oblats ne connaissaient rien en-dehors » : je ,e sais pas trop s’il y a ou non un trait d’union à « en dehors » ; à vérifier, éventuellement
« les élèves b[b]ay
aient aux corneilles »
dont l’enfant[b] s’acquitta à merveille. Au bout de moins d’un an de service dans le scriptorium, l’enfant réalisait déjà des travaux de grande responsabilité, malgré son jeune âge –[b]l’enfant (la répétition se voit, je trouve) devait avoir environ sept ans, mais il était impossible de le savoir assurément, bien que de courte taille et de constitution fragile, il possédait déjà les traits sérieux et réfléchis des adultes, et peut-être était-il plus âgé qu’il ne le laissait transparaître de prime abord-.
(typographie : le caractère d’introduction de l’incise est en général suivi d’une espace, et celui la fermant précédé d’une espace ; par ailleurs, si l’incise se termine sur une fin de phrase, on ne la ferme pas par un autre tiret, le point suffit ; enfin, le trait d’union « - » ne suffit pas à fermer une incise, il faut prévior le tiret demi cadratin « – » ou le format au-dessus, « — »)

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Message  Invité Mer 13 Oct 2010 - 21:11

Merci (mais quelle vitesse de lecture !!!!)

Je crois qu'il existe une option sur les traitements de texte pour voir les termes qui se répètent. A la fin de la réécriture, je vais faire des recherches sur des termes du type "enfant". Je risque d'être étonné de la quantité. Alors je ferai tous les remplacements nécessaires

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Message  elea Mer 13 Oct 2010 - 21:14

J'ai lu ce chapitre avec plaisir, peut-être que c'était apaisant de suivre l'évolution du petit enfin moins malmené !
J'ai beaucoup aimé le passage sur la statue vierge/mère.

Pendant cette lecture j'ai eu une impression diffuse difficile à définir, quelque chose de touffu, beaucoup d'informations, de détails, de la densité qui donnent un côté un peu lourd au récit, chargé plutôt.
Peut-être le sentiment qu'on passe trop vite sur ce nouveau décor et cette nouvelle vie, pas le temps de vraiment s'installer, il y a trop de choses à assimiler en peu de temps. Comme s'il fallait vite se débarrasser de ce passage avant d'aborder les "choses sérieuses" le coeur du sujet qui intéresse l'auteur. Mais en tant que lectrice j'aime bien deux manières différentes : soit que tout soit mis en place très vite, en allant à l'essentiel et alors ici c'est trop long, soit que ce soit détaillé mais en me permettant de savourer les détails, en me laissant le temps de le faire.
Ce chapitre oscille un peu entre les deux je trouve.

Je reste admirative de ce travail colossal !

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Message  Louis Ven 15 Oct 2010 - 16:47

Faute de pouvoir contempler la ligne de l’horizon, Pierre Toussaint, emmuré dans son monastère, trouve d’autres lignes qui lui ouvrent des horizons nouveaux. Ce chapitre trois nous fait bien entrer dans les murs de ce monastère moyenâgeux.
En dehors du défaut déjà signalé par socque, je trouve le récit bien mené.


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Message  Invité Sam 16 Oct 2010 - 14:33

4. Au pied de la lettre.

Quand les enfants partaient à l’office avec le chantre après les classes, Pierre restait seul à ranger la salle vide. Après, comme il lui restait souvent du temps à tuer, il aimait s’asseoir sur les marches qui dominaient le cloître, et sous le regard du perroquet, son fidèle ami, il s’occupait à tailler sa béquille avec un canif. C’était au départ un acte de pure distraction, il s’amusait à suivre avec la pointe du couteau les lignes du bois, mais progressivement, en se prenant au jeu, il s’était mis à graver des formes au gré de sa fantaisie. Au bout de plusieurs mois, son bâton était orné d’entrelacs, de faune et de flore imaginaire, et de petits diablotins dont il était très fier. Cependant, Pierre avait l’étrange sensation qu’après avoir tant aminci son bâton, celui-ci était devenu plus léger et plus court qu’auparavant. Il le maniait plus facilement, et désormais, il devait se courber pour s’y appuyer. Mais il n’imaginait pas un seul instant que c’était lui-même qui avait grandi.

Or, le matin de Noël, le charpentier vint à sa rencontre et demanda de le suivre. Arrivés à l’établi, sans souffler mot, l’artisan lui confisqua sa béquille, et sous l’œil effaré du garçon, il saisit sa hache et débita le bâton en morceaux. Une fois achevée la besogne, il lui offrit un nouveau bâton, plus grand, plus lourd. Puis il ramassa les morceaux de l’ancien, les regroupa dans un seau et le tendit à l’enfant.
«- Voilà du bon bois pour le scriptorium, mon garçon. Va le porter là-bas pour le brûler dans la cheminée » lui dit-il sans se douter du désarroi du marmot.
Sur le chemin du retour, le petit Pierre ne parvenait pas à retenir ses larmes. Arrivé au scriptorium, il éclata en sanglots. Rageur, il envoya alors un des débris de son cher bâton dans le foyer. Et il vit les petits démons de bois danser dans les flammes, les feuilles d’acanthes racornir, les animaux chuinter sous les braises avant de partir en volutes de fumée.

Pierre, plein de colère, sortit alors de la pièce et s’assit sur les marches de l’entrée. Il se mit nerveusement à tailler la nouvelle béquille. Mais ce n’était pas comme avant. Il savait que ce bâton-là allait rejoindre les flammes comme le précédent, et l’enfant se désespéra. Son canif heurtait les nœuds du bois, son esprit était trop troublé pour songer au moindre motif. Soudain, il fit une sale encoche qui l’irrita au plus haut point et jeta son bâton de dépit. Il soupira et alla le récupérer paresseusement. Pour se changer les idées, il décida de rentrer dans la bibliothèque pour se consacrer à l’élaboration d’un nouveau parchemin. C’était jour de fête, tout le monde était à l’office, et il avait encore devant lui de longues heures avant le retour du chantre et des oblats.

Pierre installa sur un pupitre tout le matériel dont il avait besoin, et commença son ouvrage. En polissant la peau, il se calma peu à peu. Après, il se mit comme d’habitude à jouer avec une plume. Il la glissa sur la page pour former des lettres imaginaires. Mais cette fois-ci, sans s’en rendre compte, au lieu de faire semblant, il avait bel et bien trempé sa plume dans l’encrier, et avait tracé un trait bleu sur la feuille immaculée. Stupéfait, le petit Pierre réalisa son geste, et s’arrêta net. Le trait ferme et régulier jurait sur la feuille blanche. Son cœur s’accéléra dans sa poitrine. Si un moine le surprenait, il encourait un châtiment terrible, peut-être même son renvoi du monastère. Il s’agissait là d’une faute très grave, le parchemin était un produit extrêmement précieux. Mais en même temps, la tentation était grande... Pierre mordillait sa lèvre inférieure, perplexe. Après tout le mal était fait, ce parchemin était d’ores et déjà inutilisable, songea-t-il finalement en trempant de nouveau sa plume dans l’encrier. Et il se mit à tracer une spirale en haut à droite du trait. Le petit Pierre connaissait bien cette lettre : c’était un «P», qu'on trouve au tout début du Pater Noster. La courbure était un peu hésitante, car l’enfant avait tremblé en imaginant qu’un moine pouvait venir soudain le surprendre. Mais il était quand même satisfait, après tout, ce n’était pas si mal pour un début. Décidé, il se rendit alors jusqu’à l’armoire, attrapa sur l’étagère un petit flacon et retourna à son pupitre. Il l'ouvrit avec impatience. Il contenait de l’encre dorée, la plus précieuse de toutes, que Pierre avait élaborée lui-même avec de la fine poussière d’or véritable. Il plongea délicatement une nouvelle plume dans la mixture, et la posa avec application sur le papier. Minutieusement, en savourant l’instant magique, il se mit à tracer des losanges en marge du parchemin.

Tout à coup, il entendit un bruit venu de l’extérieur. Pris de panique, il plia la feuille en quatre et la glissa dans la manche de sa tunique. Ce n’était rien, juste un serviteur qui se rendait aux cuisines. L’enfant sortit alors le manuscrit de sa manche, et à sa grande déception, il y découvrit une multitude de petites taches dorées. L’encre n’avait pas eu le temps de sécher et elle avait bavé sur tout le rebord du parchemin. A ce moment, les cloches sonnèrent la fin de l’office. Il n’y avait pas de temps à perdre. En vitesse, Pierre rangea tout le matériel dans l’armoire. Quant au manuscrit, que devait-il faire ? Il hésita à le jeter au feu, mais il se ravisa au dernier moment et trouva un interstice pour le glisser, plié en huit entre la grosse armoire de la bibliothèque et le mur.

Contre toute attente, le soir même Bernardin se rendit compte du larcin en consultant le registre des fournitures. Il manquait un parchemin et il le chercha partout, y compris sous la grande armoire de la bibliothèque, et ce fut un véritable miracle qu’il ne le trouvât pas. Et quelques jours plus tard, alors qu’il travaillait sur une nouvelle enluminure, il constata que son flacon d’encre dorée était entamé. Par bonheur, Bernardin était à mille lieues de penser que le voleur pût être Pierre, et ses soupçons retombèrent sur un autre oblat. Toutefois, le chantre se promit dès lors de mieux veiller au matériel du scriptorium. Pour sa part, Pierre Toussaint décida aussi de redoubler de prudence la prochaine fois, quand il reprendrait son ouvrage. Car il continuerait à dessiner jusqu’à pouvoir achever son enluminure personnelle, tôt ou tard, c'était décidé. Il ne lui restait plus qu’à connaître le moment où il pourrait reprendre le travail.

Les jours passèrent, les semaines, les mois. Les classes étaient devenues un véritable enfer. Les enfants ne prenaient même plus la peine de se cacher pour commettre leurs méfaits. Ils les commettaient au nez et à la barbe du chantre. Jusqu’à ce que Bernardin, un beau jour, ne supportant plus la situation, explosa de colère, et frappa un de ses élèves, si fort qu’il l'envoya à l’infirmerie. Personne n’avait jamais imaginé que le jeune chantre pût être capable d’une telle férocité. Dès lors, Pierre ne le vit plus avec les mêmes yeux, malgré la repentance sincère de son maître, les jours suivants. L’ange s’était soudain transformé en bête, et il suffit aux anges d’une seule faute pour qu’ils perdent d’un coup, à jamais, leur condition céleste. Après cet incident, néanmoins, l’ambiance dans le scriptorium s’améliora légèrement. Il y eut comme une trêve, et un pacte secret fut passé entre les garçons et leur maître. Les classes retournèrent à une apparente normalité, en échange de quoi Bernardin ne chercha plus à connaître les exactions que ses élèves commettaient de nouveau en cachette. Le chantre ne pouvait guère faire plus, car il avait ouvert la boîte de Pandore, et tous les maux s’étaient échappés, il n’y avait plus moyen désormais de refermer la boîte. Les oblats cherchèrent alors de nouveaux boucs-émissaires pour se défaire de leur trop-plein de haine. Les plus petits et les nouveaux arrivés devinrent les souffre-douleurs des brutalités organisées par les aînés, et les victimes se convertissaient à leur tour en bourreaux dès qu’un nouvel arrivant plus jeune et plus faible venait prendre leur place. Pierre devint aussi la cible de ces jeux barbares. L’enfant, si docile et chétif, était la victime parfaite pour les élèves, qui le faisaient trébucher, renversaient sciemment leurs encriers par terre ou lui dérobaient sa béquille. Et Bernardin, qui s’était avoué vaincu, préférait détourner le regard de peur de devoir affronter ces garnements.

Mais Pierre ne se souciait guère de toutes ces brimades. Il concentrait tout son esprit sur le parchemin plié derrière l’armoire. Il taillait sur son bâton les ébauches de ses futurs dessins, regardait attentivement les croquis et les lettres des élèves, la position de leurs mains quand ils écrivaient. Il composait dans sa tête sa propre feuille et cherchait une solution pour rattraper les taches qu’il avait faites sur le parchemin. C’était une idée fixe qui l’obsédait, dans sa tête les petites taches dorées dansaient, scintillaient puis s’enfuyaient, pour mieux réapparaître aux moments et aux endroits les plus inespérés. L’enfant avait fini par les voir partout, la nuit les taches étaient les étoiles qui trouaient l’obscurité, au petit matin, elles faisaient briller le givre dans la Grand cour du monastère. Elles étaient dans les flaques d’eau, dans les rayons du soleil suspendus dans l’air de midi, elles crépitaient dans le feu de la cheminée du scriptorium, elles luisaient sur les pointes métalliques des outils du forgeron. Elles étaient là, dans le fond de ses yeux, elles couraient dans ses veines, elles flottaient dans son ventre, et elles s’en échappaient tous les matins en arrosant les latrines.

Le parchemin devint bientôt son rêve et son cauchemar. L’enfant jetait un œil en toutes occasions sur l’interstice entre le mur et l’armoire. Il avait des sueurs froides chaque fois que quelqu’un s’approchait trop près de la cachette. Il n’avait de cesse de débusquer les musaraignes et les insectes qui pouvaient grignoter le papier. La nuit, il se réveillait pour vérifier que le parchemin était toujours là. De temps à autre, quand il était certain que personne ne pouvait le voir, il s’en emparait en catimini, allait se terrer dans un coin et le dépliait fébrilement. En observant la page, il imaginait tous les dessins qu’il allait tracer, mais il avait beau chercher, il ne trouvait pas le moyen de récupérer ces maudites taches. Alors, exaspéré, il replaçait de nouveau dans sa cachette le manuscrit soigneusement plié. Il attendait, dévoré d’impatience, le moment propice pour se saisir des encres et des plumes et reprendre son ouvrage. Les seuls jours où il pouvait se retrouver seul pendant assez longtemps, sans que personne ne vînt le déranger, étaient les grandes fêtes liturgiques, les seuls moments de l’année où tous les moines étaient absents en même temps pour célébrer l’office qui durait plus longtemps que les jours ordinaires. Il n’y avait guère que ces jours-là, à Pâques, à la Pentecôte, à la Saint Benoît, à l’Assomption, la Toussaint ou la Noël, que Pierre disposait d’une heure ou deux pour continuer son travail.

Après quelques mois qui parurent une éternité pour Pierre, le Dimanche de Pâques finit par arriver. L’enfant ferma la porte du scriptorium, la bloqua avec son bâton, puis il prépara son pupitre comme s’il s’agissait d’un rituel solennel. Il disposa soigneusement les encres devant lui, les plumes de différents calibres récemment taillées. Puis il déplia le parchemin. Et soudain, en apercevant pour une énième fois les auréoles et les losanges dorés, lui vint enfin l’inspiration. Mais oui, bien sûr, c’étaient les écailles d’un gigantesque poisson ! L’enfant s’empressa de dessiner le corps rutilant de l’animal. Il barbouilla de bon coeur durant une bonne heure, et les figures qui sortaient de sa plume faisaient son ravissement, mais sagement, il décida d’arrêter la session avant d’avoir complètement terminé l’illustration, pour laisser le temps à la peinture de sécher. Il finirait la prochaine fois, et après cela, il recopierait une prière d’un des missels de Bernardin. Il rangea le matériel, replia scrupuleusement le parchemin, le déposa derrière l’armoire, et s’en fut du scriptorium. Il se sentait fier et soulagé.



Trois ans passèrent. L’enfant devait avoir maintenant dix ou onze ans. Au fur et à mesure des fêtes, il avait continué son ouvrage, et ses dessins occupaient maintenant toute la feuille. Sur son parchemin, coexistaient ses premières illustrations, gigantesques et naïves, avec celles des derniers temps, qui, faute de place, n’étaient plus que de minuscules croquis : il ne restait plus un seul espace sur le manuscrit, tout était griffonné des deux côtés de la page. Pierre avait même fini par gribouiller entre les lignes des lettres de la prière qu’il avait écrite la première année, mais il ne pouvait plus réaliser de nouveaux motifs, et ne faisait plus qu’accompagner ce qu’il avait dessiné auparavant, rectifier, atténuer les erreurs. Il ne pouvait pas non plus voler une seconde feuille de parchemin, c’était beaucoup trop risqué. Alors il tournait et retournait le parchemin et finissait toujours par trouver un dernier petit recoin de papier. Le résultat était impressionnant, c’était une espèce d’immense cafouillis, un chaos multicolore, car l’enfant avait utilisé toutes les encres en petites quantités pour que Bernardin ne pût jamais se rendre compte de leur utilisation. Les corps s’entortillaient, les animaux se mordaient la queue, les plantes poussaient au hasard des ponctuations et des blancs laissés entre les mots comme la mauvaise herbe entre les pierres d’un édifice.

C’est le quinze Août, jour de l’Assomption, qu’advint ce qui devait advenir. Ce matin-là, le monastère était en proie à une agitation fort peu habituelle. Pierre avait vu une dizaine d’hommes massés sur le parvis de l’église. L’un d’entre eux, un homme bedonnant et barbu s’était entretenu un long moment avec l’abbé, puis les hommes étaient repartis. Aux dires des serviteurs, il s’agissait d’ouvriers maçons. L’abbaye allait être agrandie, un immense chantier se préparait, qui durerait plusieurs années. Un serviteur affirmait aussi que quatre moines venus du Nord étaient sur le point d’arriver pour s’établir à Lussignac. Mais tout ce remue-ménage et ces ragots n’intéressaient pas le moins du monde l’enfant. La seule chose qui le tenait en émoi, c’était la nouvelle séance de dessin qui l’attendait. Les moines étaient tous à l’église, et le garçon en profita pour reprendre son travail. Or, avant même que les cloches n’eussent sonné la fin de l’office, la porte du scriptorium s’ouvrit à la volée. Bernardin apparut dans la pièce. Pierre eut un sursaut qui trahit son délit. Dans un mouvement désespéré, il essaya maladroitement de cacher le manuscrit avec son coude. Le chantre s’approcha, les sourcils froncés, les traits tendus. A la grande surprise du garçon, il ne lui adressa pas un mot, pas la moindre réprimande. Il s’empara d’un grimoire dans l’armoire et disparut de la pièce comme il était parti, l’air hagard et triste. Pierre, anxieux, rangea hâtivement tout son matériel, puis il ramassa sa béquille et descendit à toute vitesse vers le cloître. Il décida de suivre discrètement Bernardin, pour savoir ce qu’allait faire à présent le chantre. Ce dernier s’en fut à la rencontre du Père abbé à la sortie de l’office. Ensemble, les deux hommes se rendirent jusqu’au logis abbatial. Bernardin allait-il dévoiler à l’abbé la terrible faute que l’enfant avait commise ? Pierre ne croyait pas son maître capable d’une telle trahison, mais il voulait en avoir le coeur net. Il colla alors son oreille contre la porte des appartements de l’abbé, et parvint à entendre très distinctement la conversation entre les deux hommes :

«Voilà, mon père, dit Bernardin, les registres de l’abbaye que vous m’avez demandés.
- Très bien, répondit l’abbé. J’espère qu’ils sont à jour et que tout a été noté avec soin. –L’abbé toussa pour s’éclaircir la voix, puis il reprit – Eh bien, Mon cher fils, je crois que tu te doutes de la raison pour laquelle je t’ai convoqué ce matin
- Oui, mon père. Vous pensez que je ne suis plus digne de la confiance que vous m’aviez accordée.
- En effet. J’ai décidé de te destituer de ta charge de chantre. Frère Théobald te remplacera. Il nous vient de la lointaine Normandie, de l’abbaye de Jumièges, si célèbre pour ses enluminures. Son expérience nous sera précieuse pour rénover notre modeste monastère. Quant à toi, dans une semaine tu quitteras Lussignac. Vois-tu, je t’ai, à maintes reprises, rappelé à l’ordre, et tu ne m’as pas écouté. Tu as fait preuve d’orgueil et de désobéissance, alors que les deux plus grandes Vertus d'un moine doivent être la soumission et l’humilité. Non, Bernardin, ta place n’est pas parmi nous. Ma peine est d’autant plus grande que par ailleurs j’ai toujours apprécié la vivacité de ton esprit. Mais dis-moi, pourquoi-donc n’as-tu pas écouté mes conseils et respecté mes ordres ? Quand les enfants étaient agités, pourquoi ne les as-tu pas châtiés ?
- Père, je ne voulais pas employer la force. La foi et le savoir ne sauraient s’inculquer à coups de fouet. J’essayais d’ouvrir leurs cœurs et leurs esprits, de leur offrir mon amour et ma compréhension, et de les faire raisonner par eux-mêmes.
- Je vois. Mais les enfants, par définition, ne raisonnent pas. Ils ne font que singer le comportement des adultes. Ce ne sont pas encore des êtres pensants et ne sauraient être responsables de leurs actes. Leur tuteur est comme un berger, il doit guider le troupeau de ses élèves, éviter qu’ils ne sortent du rang, chercher les brebis égarées pour les ramener dans le droit chemin. Comment un berger pourrait-il renoncer aux coups de trique? Non, Bernardin, tu as été un mauvais pasteur. Tu n’as pas su t’occuper de ce troupeau que Dieu t’avait confié.
- Mais l’ancien chantre non plus n’était pas le bon pasteur. Il avait commis des crimes répugnants, et pourtant, mon Père, vous n’êtes jamais intervenu, vous n’avez jamais cru bon de le destituer. Ma faute serait-elle plus grave que la sienne, est-ce donc un péché si atroce que de vouloir que les enfants réfléchissent par eux-mêmes ? 
- Je reconnais bien là ton emportement et ton impertinence. Mais je ne t’en tiendrai pas rigueur. Je vais te répondre calmement, Bernardin. Puissent mes paroles te montrer le chemin de la Vérité. Oui, ta faute est plus grave que celle d’Odilon aux yeux du Très-haut. Odilon, il est vrai, avait offensé Dieu, en outrageant les enfants dont il avait la charge. Mais s’il violentait leurs corps, il n’a pas souillé leurs âmes qui sont restées pures et innocentes. Vois-tu, Bernardin, la vie terrestre ne compte pas, et moins encore celle des enfants qui se trouvent toujours aux lisières de la vie et de la mort. Les corps ne sont que des enveloppes provisoires, seul importe le Salut des âmes. Les enfants dont Odilon avait la charge sont tous devenus de bons moines, silencieux, soumis et craintifs de Dieu. Par contre que deviendront tes élèves lorsqu’ils seront adultes ? Toi, tu les as fait douter, tu leur as fait croire qu’ils pouvaient penser par eux-mêmes. Mais étaient-ils libres de rompre leurs vœux et de partir de l’abbaye ? Oui, tu leur as fait miroiter une liberté à laquelle ils n’auraient jamais accès. Et crois-moi, Bernardin, il n’est pire supplice que d’ouvrir la porte du cachot à un condamné qui demeure enchaîné. Les sévices corporels ne sont rien à côté de ce tourment de l’âme. Tu as torturé le fin-fond de leurs âmes, sans même t’en rendre compte. Tu as fait naître en eux l’Envie, qui est le premier des péchés capitaux, le péché originel. N’est-ce pas ce que nous enseigne si bien la Genèse ? N’est-ce pas ainsi que Lucifer gagna le cœur d’Eve et d’Adam ? Que prétendais-tu au juste, Bernardin ?
-Je voulais juste montrer aux enfants que le monde est imparfait et qu’il nous appartient de le rendre meilleur.
-Quelle vanité, quel orgueil ! Il est vrai que le monde est imparfait, mais ce monde est celui que le Très-Haut nous a légué pour nous mettre à l’épreuve, pour y gagner ici-bas notre Salut dans l’au-delà. Le monde est soumis à un ordre immuable et divin. Seul, à force d’humilité et de mortification, en renonçant à nos penchants les plus vils, et en nous soumettant à l'Ordre céleste, nous obtiendrons le Salut. Il n’y a pas d’autre vérité que la Vérité divine, pas d’autre créateur que le Créateur. Et toi, tu as semé le désespoir dans les esprits des enfants, tu leur as fait croire que la vérité est multiple, que nous vivons dans un monde à l’envers, un monde au gré de tes fantaisies, à l’image de tes miniatures, dans lesquelles les rats sont des rois, les cochons sont des moines, et les ânes des poètes qui jouent de la lyre.  Comprends-tu, es-tu repentant, frère Bernardin ?
- Oui, mon père… répondit Bernardin, la voix blanche. Pauvres enfants… Je ne sais plus que penser.
- Voilà le chemin... Moi non plus je ne sais que penser. Dieu seul sait, et ses desseins sont impénétrables. » 

Pierre décida de partir avant que Bernardin ne sortît par la porte du logis abbatial et ne le surprît à épier les conversations secrètes. Mille pensées contradictoires s’agitaient dans son pauvre crâne. Ainsi, Bernardin allait partir, et il ne le reverrait jamais plus, un nouveau moine allait occuper sa place. Qu’allait devenir l’enfant ? Les mots de l’abbé résonnaient dans sa tête. Tout un monde de rêves et d’illusions venait de s’écrouler à l’instant, et l’enfant se retrouvait seul et désemparé face à la cruelle réalité. Bernardin lui avait raconté mille fariboles, il lui avait fait miroiter le soleil et fait croire qu’il était à la portée de sa main, alors que l’enfant n’était qu’une vulgaire créature rampante… Et maintenant, Pierre était désespéré, dévoré par l’Envie qui consumait son être. Il était bien plus heureux avant, lorsqu’il vivait dans les ténèbres, le nez dans la poussière, libre, insouciant, ignorant, sans espoir ni attente. Oui, décidément, l’abbé avait raison, Bernardin était le diable personnifié qui corrompait les enfants, le grand tentateur qui les tourmentait et les vouait aux enfers. Pierre se promit de le haïr pour toujours. Et il le détestait d’autant plus que Bernardin s’en allait, comme pour exorciser toute la tristesse que lui causait son départ et la substituer par de la haine.

Toutes ces pensées s’agitaient dans sa pauvre tête tandis que ses pas boiteux l’entraînaient instinctivement jusqu’à l’église abbatiale. Pierre se trouvait à présent devant la statue de la Vierge, dans sa petite chapelle secrète où il aimait tant s’isoler, il y avait si longtemps déjà. Le petit leva les yeux en cherchant le réconfort de sa mère adoptive, mais la magie avait disparu. L’enfant avait grandi, et il n’arrivait plus à croire à ses mensonges de jadis. Non, la statue n’était pas sa mère, elle n’était qu’une vulgaire idole de pierre, et rien de plus. Plein de rage, Pierre se mit alors à frapper violemment la statue avec son bâton. La jeune fille ne bronchait pas. L’enfant s’esclaffa, désespéré. La statue continuait de sourire, comme toujours. Elle souriait, à jamais, devant l’adversité, devant la peine, la misère, en contemplant sa propre destruction, elle aurait souri de la même manière. Vraiment, elle se moquait du monde. L’enfant de toutes ses forces, frappa de nouveau la statue. En vain : décidément, elle avait la tête dure, en plus d’un cœur de pierre. Mais Pierre se rendit soudain compte qu’un moine, attiré par le bruit, s’approchait de l’absidiole. Hâtivement, l’enfant se réfugia à l’entrée du grand escalier à colimaçon qui menait au clocher. Il décida alors d’y monter, et comme il était beaucoup plus robuste que jadis, il parvint jusqu’au sommet sans grand efforts. Mais ce qu’il vit du plus haut de la tour lui procura une immense déception. Derrière les collines qu’il connaissait déjà, il y avait d’autres collines identiques, et d’autres encore qui se devinaient dans le lointain, avec leurs rangées de vignes monotones et noires, qui venaient se briser les unes sur les autres, comme des barreaux qui hachuraient le paysage et empêchaient toute perspective de fuite. Le ciel uniforme et torride du mois d’Août, pesait de tout son poids sur ce morne paysage, pour sceller l’horizon taciturne. L’enfant se mit alors à penser que ces collines continuaient sans cesse jusqu’à l’abîme de la fin du monde, qu’il n’y avait rien d’autre sur cette terre dépourvue de surprise. Il regarda en bas, et pendant un court instant, songea à quel point il était facile de faire un pas en avant et de se jeter dans le vide, mais il ne trouva pas le courage pour sauter, et fit demi-tour. En descendant prudemment les marches de l’escalier, il se souvint de son parchemin. Il était grand temps de le brûler, pensa-t-il, la mascarade avait assez duré. Une fois en bas, il se dirigea vers le scriptorium.

Il entra dans la salle et y trouva Bernardin assis seul devant la cheminée, la mine abattue, les mains jointes. Des larmes coulaient le long de ses joues minces. L’enfant serra les dents en allant à sa rencontre. Il essayait de garder sa colère intacte. Il vit alors, là, posé en évidence sur le premier pupitre, son fameux parchemin secret déplié. Pierre s’arrêta net.
« Tu étais venu le chercher ? » demanda doucement Bernardin en désignant vaguement du doigt le manuscrit. L’enfant acquiesça de la tête.
- C’est étrange… Toi aussi tu m’as désobéi, alors… Dois-je te punir, ou bien te féliciter ? Ou peut-être devrais-je faire les deux choses ? Oh, Mon Dieu ! Quelle est donc Ta Vérité ? »
L’enfant demeura silencieux, tête basse. Bernardin poursuivit.

Ne t’inquiète pas, petit, je ne dirai rien à l’abbé. Je ne suis plus personne dans cette abbaye, Pierre. Je vais partir, dans une semaine, pour toujours. »

Pierre feignit d’être surpris. Le manque de sentiment dans la réaction de l’enfant sembla perturber Bernardin, qui l’observa, perplexe, avant de déclarer :

« Mais toi, mon pauvre enfant, que vas-tu donc devenir ? Le nouveau chantre va-t-il vouloir te garder ? J’ai vu ton manuscrit. Il est pour le moins surprenant. Je ne l’ai pas regardé attentivement, mais suffisamment pour m’apercevoir que tu as largement assez de talent et d’abnégation pour devenir un grand enlumineur. Mais je ne sais que faire, je ne veux pas te décevoir. La vie est ainsi faite, cruelle et injuste : Dieu t’a offert ce don, mais ne te permet pas de l’exploiter. En d’autres temps, je t’aurais encouragé à poursuivre et j’aurais remué ciel et terre pour que l’abbé t’accepte parmi les oblats. Hélas, les choses ne sont plus entre mes mains, je ne peux plus rien faire pour toi. Aussi, c’est à toi de décider, Pierre. Que veux-tu faire de ce manuscrit ? Tu peux le jeter au feu, ou bien tenter de forcer le destin... Fais ce que bon te semblera. »

Bernardin donna alors le parchemin au garçon, et celui-ci l’agrippa entre ses mains, et demeura immobile face à la cheminée. Le jeune moine souriait, les yeux brillants, le visage illuminé par les flammes. Etait-ce un ange gardien qui voulait sauver l’enfant de sa détresse ou le diable tentateur qui cherchait à le damner ? Pierre voulait se débarrasser du parchemin, en finir d’une fois pour toutes avec les malheurs que ce bout de papier lui avait fait subir, mais il ne parvenait pas à le lancer d’un coup dans le brasier.
« Si tu veux, murmura Bernardin, nous pourrions essayer de démontrer au nouveau chantre ce que tu vaux. Il m’est avis que si tu prouves ton talent, il ne te renverra pas et t’acceptera comme oblat, car il a besoin de monter un nouvel atelier de copistes et de s’entourer de personnes capables. Tu pourrais par exemple, cette semaine, élaborer un manuscrit, et lui montrer le résultat. Je peux te laisser un parchemin et de l’encre, et tu travaillerais pendant la nuit. Qu’en penses-tu ? »
C’en était trop pour Pierre. Rien que penser qu’il toucherait de nouveau une feuille, il en oublia d’un coup qu’il avait décidé de maudire Bernardin à tout jamais. Il tomba dans les bras du jeune homme et l’embrassa avec effusion.

Le soir après complies, alors que les moines étaient allés se coucher, Bernardin accompagna Pierre jusqu’au scriptorium. Le chantre lui donna un parchemin neuf, et ouvrit un missel.
« Voilà la prière que tu vas recopier. Mais écoute-moi bien. Ecris et dessine d’abord à la mine de plomb, comme le fait n’importe quel copiste, cela t’évitera de commettre des erreurs irréversibles. Une fois que tu seras satisfait de ce que tu as fait, tu pourras passer les encres par-dessus. Dans le cadre de la lettre majuscule, et autour du texte tu peux réaliser les illustrations comme bon te semble. Utilise toutes les encres et les peintures que tu voudras, excepté l’encre dorée et argentée qui coûtent une fortune. N’aie pas peur d’être dérangé pendant la nuit. Si quelqu’un te surprend et te demande ce que tu fais, réponds-lui que je t’ai ordonné cette mission. Mais il serait plus prudent que cela reste un secret entre nous et conserver la surprise jusqu’à ce que le nouveau chantre contemple le travail fini. Aussi, juste avant matines, range les encres à leur place, le livre sur mon pupitre, avec la feuille de parchemin à l’intérieur. Bien, quant à moi, je m’en vais au dortoir. Bonne nuit ». Il l’embrassa sur le front et s’en fut.

Pierre se retrouva seul. Son rêve s’était fait réalité, il disposait de six nuits entières pour écrire et dessiner à sa guise. Il caressa, tremblant, le papier durant un long moment, ému jusqu’aux larmes, puis il commença à écrire la prière avec la mine de plomb. Comme il savait que ce n’était qu’un brouillon, il s’aventura à écrire les lettres d’une forme rapide et déliée, et il écrivit comme cela sans s’arrêter, heureux d’avoir l’esprit libre enfin, sans avoir à épier les moindre bruits, sans se soucier de rater son trait qu’il pouvait effacer. Il finit très vite de recopier le texte, et en le regardant, il tomba en admiration. Cela ressemblait plus aux notes rapides que Bernardin pointait dans les marges des registres qu’aux lettres minutieuses du missel ou à celles laborieuses des écoliers. Pierre avait toujours particulièrement apprécié les déformations des lettres écrites mille fois, érodées par l’expérience, maltraitées par la hâte... Et les siennes le mettaient en joie : certaines se couchaient, s’élargissaient, s’écrasaient les unes sur les autres, d’autres se paraient inutilement de spirales, s’étiraient jusqu’à rejoindre la ligne du haut. Pierre commença à appliquer l’encre par-dessus son brouillon, mais au moment d’écrire le second mot, il frôla du dos de la main le premier mot gorgé d’encre, et il s’en fallut de peu qu’il commît une irréparable tache. Il se mit alors à écrire à l’envers, depuis le bas vers le haut, et de la droite vers la gauche, pour éviter le problème. Il repassa méticuleusement le trait de plomb avec l’encre noire. Et systématiquement, par parti pris, conscient de la force qui faisait son écriture, il décida de styliser plus encore chaque lettre, d’accentuer leur caractère et leur mouvement, d’augmenter les boucles et les cursives, d’élever les traits verticaux. Il travailla ainsi jusqu’au petit jour, sans se rendre compte du temps qui passait.

Le jour suivant, il élabora les dessins qui accompagnaient le texte. Il reprit les idées de son cher manuscrit secret, mais cette fois-ci, grâce à l’assurance que lui offrait la mine de plomb, et comme il disposait de tout cet espace immense, ses dessins étaient beaucoup plus libres, plus aériens, plus mûrs. Comme il n’avait guère le temps de s’attarder sur les détails, trois traits seulement lui servaient pour dessiner tel animal ou personnage, symbolisés jusqu’aux limites de l’abstraction, qu’il remplissait ensuite au moyen de taches de couleurs jetées avec célérité. Il connaissait si bien tous ces dessins, il les avait tant rabâchés dans sa tête au cours de ces années, qu’il peignit d’instinct, d’un seul tenant, sans à peine se soucier de qu’il traçait.


Le matin, Pierre dormait dans les baraquements des serviteurs, et personne, comme à l’accoutumée ne se rendait compte de son absence pendant la nuit. Il se réveillait pour assister aux classes l’après-midi dans le scriptorium, comme si de rien n’était. La dernière semaine fut spécialement calamiteuse quant à la discipline, les enfants chantaient à tue-tête et riaient pendant les psaumes. Ils savaient que leur maître avait été désavoué par l’abbé, que son départ était imminent, et ils savouraient leur victoire, jouissant de leurs derniers instants de liberté, agités et nerveux par la perspective de changement qui allait se produire très bientôt. Bernardin ne réagissait pas, il avait complètement abandonné la partie. Depuis qu’on l’avait renvoyé du monastère il était taciturne. Le soir, quand Pierre se retrouvait seul à seul avec lui, le jeune homme ne cessait de pleurnicher et de se lamenter sur son sort. L’avant-veille de son départ, il annonça à Pierre que finalement l’abbé, sous la pression de l’influente famille de Bernardin, avait réussi à placer le jeune chantre dans l’abbaye de Jumièges, très loin au Nord, dans le duché de Normandie, en guise de remerciement à cette abbaye qui avait envoyé quatre moines à Lussignac. Bernardin ne pensa plus dès lors qu’au voyage, et n’eut pas un seul moment à consacrer à Pierre. A une seule occasion, l’enfant put lui montrer son manuscrit. Bernardin y jeta un rapide coup d’oeil en disant : « très bien, très bien, continue ». Mais l’avait-t-il vraiment regardé ? Cependant, Bernardin expliqua à l’enfant qu’il avait parlé à l’abbé, qu’il lui avait dit tout le bien qu’il pensait du garçon, et le père supérieur lui avait assuré que le prochain chantre étudierait la possibilité d’intégrer Pierre aux tâches du scriptorium. Cette nouvelle réjouit le garçon, et le remplit d'espoir.

Vint le dernier jour de la semaine. Pierre pensait que le chantre allait faire ses adieux à sa classe pendant l’après-midi, mais il n’en fut rien : il ne se présenta pas. Au lieu de cela, l’abbé vint pour expliquer que Bernardin était déjà parti, que le lendemain viendrait un nouveau maître. Les enfants explosèrent de joie. Quant à Pierre, il était fort déçu de ne pas pouvoir faire ses adieux, mais après tout, c’était peut-être mieux ainsi, pensait-t-il, car les adieux sont toujours cruels. Néanmoins, il éprouvait la sensation d’avoir été quelque peu abandonné, car il aurait voulu que Bernardin fût à ses côtés pour le défendre devant le nouveau chantre nommé par l’abbé. Mais Pierre, pour éviter de penser à toutes ces questions qui le tracassaient, essaya de concentrer ses pensées exclusives sur son parchemin qu’il finirait cette nuit, la dernière avant le jour fatidique.

Ce soir-là, il commença par jeter son vieux manuscrit dans la cheminée. Il le jeta sans sourciller, sans remords, sans laisser couler une seule larme. Le parchemin, tellement chargé d’encres et de peintures dégagea une odeur âcre et une fumée noire suffocante, dans laquelle l’enfant ne perçut aucune petite tache dorée. Puis Pierre se consacra à son travail, sans s’arrêter, luttant contre la fatigue qui l’assaillait. Et il décida de continuer malgré les cloches qui sonnèrent les matines. La chandelle vacilla et la lumière blafarde du petit jour prit le relai. Pierre, éreinté, chancela. Sa tête tomba contre le pupitre et il plongea dans un profond sommeil.

Il fut réveillé en sursaut par les enfants qui entraient au scriptorium comme tous les matins après tierce. Quatre moines d’âge mûr les accompagnaient, le port noble et hautain, le pas ferme. L’un deux, un homme squelettique, tenait dans ses mains la vergette de chantre qui avait appartenue à Odilon puis à Bernardin. Il avait le visage blême et des cheveux blancs et filasses. Son absence de sourcils lui conférait un regard étrange, fixe et sans expression. Pierre n’avait jamais vu de personne au teint aussi pâle, il apprendrait plus tard que beaucoup d’hommes du Nord sont ainsi. Les enfants s’installèrent dans l’ordre le plus parfait, comme jamais ils ne l’avaient fait auparavant. Le nouveau chantre frappa trois coups sa baguette contre un pupitre, et le silence se fit. Le moine dévisagea alors un à un chacun des enfants présents, pour finir par poser son regard sur Pierre. Finalement, il commença à parler. Il ne s’exprimait pas en langue vulgaire, mais dans un latin parfait, et sa prononciation sèche et monocorde, dénuée d’accent tonique, frappait l’auditoire et donnait à son discours un ton sévère.

« Mes enfants. Ecoutez-moi bien. Je suis Théobald, le nouveau chantre de ce monastère. Je viens de fort loin, du duché de Normandie. A ma gauche se trouve frère Wafred, il sera notre nouveau copiste et bibliothécaire, et frère Athaulf, expert enlumineur et relieur. Tous deux seront les responsables de notre nouvel atelier de copie de manuscrits et de bibliothèque que nous souhaitons mettre en place. Je vous ordonnerai le silence le plus absolu lors de vos séjours dans le scriptorium, sauf lorsqu’il s’agira de lire ou de chanter bien entendu, pour ne pas troubler la labeur des deux frères. Un jour, nous aurons, au-delà du cloître, un nouveau bâtiment pour l’école que vont construire des maçons qui viennent d’arriver à Lussignac, mais jusqu’à cette date, nous devrons tous coexister sans nous déranger mutuellement. A ma droite, je vous présente frère Tiburce : c’est votre nouveau maître et tuteur. J'ai décidé avec lui de tout recommencer depuis le début. Vous ne savez rien, vous n’avez rien appris avec vos anciens maîtres. Vous ne savez pas même lire ni écrire. Aussi, pendant la première année, vous vous contenterez de copier des bâtons et des cercles sur une ardoise. Les plus petits continueront ainsi durant plusieurs années, tandis que les plus grands pourront commencer la seconde année à lire et écrire, mais en écrivant toujours sur des ardoises ou des petites tablettes de bois. Dès à présent, plus aucun élève n’utilisera jamais d’encre ni de parchemin. C’est un matériel trop précieux qui ne saurait être gâché. Frère Athaulf et frère Wafred décideront, après plusieurs années, de choisir un apprenti parmi les plus âgés d’entre vous. Ils en choisiront un seul, peut-être deux, mais si personne ne s’avère assez talentueux, ils se passeront de votre aide.

Bien, avant de laisser la parole à frère Tiburce, je souhaite vous raconter une histoire. Avez-vous entendu déjà parler de Titivillus ? Non ? Eh bien, il est grand temps que vous le connaissiez, car c’est votre grand ennemi. Titivillus* est un vilain démon, un diable de la pire espèce, qui s’acharne contre les moines copistes et les oblats. Il hante les scriptorium, les salles de classe et l’église, c’est une ombre invisible qui nous guette. Il est là, il nous regarde, et comptabilise nos erreurs. Le jour du jugement dernier, il apparaîtra chargé d’un grand sac, et viendra le déposer du mauvais côté de la balance. Et se sac sera rempli des syllabes que nous avons oublié de copier, des mots mal prononcés lorsque nous lisions à l’office ou au réfectoire, des psaumes que nous n’avons pas chantés parce que nous dormions ou chuchotions pendant l’office. M’avez-vous bien compris, enfants ? Tremblez, car l’heure du jugement dernier approche, et toutes vos erreurs vous seront reprochées Là-haut, les coups de fouets que vous recevrez ici-bas ne sont guère que des suaves caresses comparées aux supplices de l’enfer. »

A ces mots, un enfant se mit à ricaner à voix basse. Frère Tiburce lui asséna aussitôt un coup de règle sur les doigts, et l’enfant se tut. Les oblats se regardaient entre eux. Ils semblaient apeurés mais en même temps ravis de connaître ce nouveau professeur qui allait enfin les dompter.

Pendant que frère Tiburce distribuait des ardoises et des craies aux élèves, le nouveau chantre accompagné de ses deux acolytes, le moine copiste et l’enlumineur s’approchèrent jusqu’au pupitre de Pierre.
« Tu dois être le petit Pierre Toussaint, le serviteur du scriptorium, dit alors Théobald. Le père abbé m’a parlé de toi, et m’a dit que l’ancien chantre te tenait en grande considération. Est-ce donc vrai que tu as fini par peaufiner tous les parchemins à la place de Bernardin ? »
Pierre acquiesça de la tête. Wafred commenta alors :
« D’après ce que j’ai pu voir dans l’armoire de la bibliothèque, j’ai l’impression qu’ils ne sont pas très bien polis. Ils sont encore très rugueux, et je ne sais pas si l’encre pourra y résister à long terme. Il faut les tanner de nouveau, et après passer au moins quatre ou cinq fois une lame de rasoir avant de les gratter énergiquement et de manière réitérée avec une pierre ponce pour les rendre plus souples. Petit, tu ne t’es pas beaucoup appliqué, à ce que je vois... »
L’enfant baissa la tête, honteux. Il n’osa pas expliquer que justement il passait deux fois plus de temps que son ancien maître pour élaborer les parchemins. Théobald s’empara alors de la feuille manuscrite que l’enfant cherchait à cacher avec ses avant-bras. Il regarda, surpris, l’oeuvre de Pierre et déclara :
« Voyons voir. Ceci est ton travail, n’est-ce pas ? C’est incroyable, un larbin qui gribouille sur un parchemin ! Je savais que les choses allaient mal dans ce scriptorium, mais pas à ce point. Allons donc ! Mais ce texte est illisible ! Les lettres sont à l’envers ! Quant aux dessins, il y a certainement quelque chose d’intéressant, mais il manque beaucoup d’application et d’humilité à cet enfant ! Montre-moi, mon garçon, comment tu écris ? »

Théobald alla chercher un bout d’ardoise et une craie et les donna à l’enfant. Pierre prit la craie entre ses doigts, mais avant qu’il n’eût le temps de la poser sur l’ardoise, le moine lui retira brutalement la tablette des mains, en s’écriant :
« Mon Dieu. La main du diable ! Cet enfant est gaucher ! Hors d’ici, suppôt de Satan ! »

Pierre sortit tête basse du scriptorium. Sans doute, si on lui avait laissé plus de temps, les moines se seraient rendu compte que le pauvre garçon ne savait pas lire, et qu’il ignorait totalement que les lettres avaient un sens. Pour lui, l’écriture était pareille aux dessins, quelle importance si le personnage regardait d’un côté ou d’un autre, il restait toujours le même personnage...Pierre s’assit alors sur les marches du scriptorium, trop confus et désemparé pour pleurer. Il grommela contre Bernardin, qui n'avait jamais pris la peine de lui apprendre à lire, et qui n'avait pas daigné regarder vraiment son manuscrit. Mais en même temps qu'il le maudissait, il le regrettait amèrement. Soudain, l’homme trapu et velu qu’il avait vu la semaine précédente discuter avec l’abbé passa devant lui, le regarda et s’approcha.
« Que se passe-t-il, petiot, pourquoi tant de tristesse ? » 
L’enfant leva le menton. L’homme arborait un large sourire sous sa barbe noire et fournie.
« Tu as un bien beau bâton. C’est toi qui l’a sculpté ?»
Pierre hocha de la tête en signe d’acquiescement.
« Les rats t’ont dévoré la langue, mordiou ? Comment t’appelles-tu ? 
-Pierre Toussaint, balbutia l’enfant à grand peine.
-Eh bien, Pierre Toussaint, tu me laisses voir ton bâton ? »
L’enfant le lui tendit.
« -Oui, très intéressant, réellement surprenant. Bonjour Pierre. Moi je me nomme Raoul de Nérigean. Je suis le nouveau maître d’oeuvre du monastère de Lussignac. »



(*Titivilus -> c'était effectivement un démon qui hantait les monastères et qui chuchotait à l'oreille de Satan toutes les fautes commises par les moines, concernant les prières et les activités quotidiennes de l'abbaye. Cf l'ouvrage de Dom Anselme Avril et Eric Palazzo: "la vie des moines au temps des grandes abbayes")

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Message  Procuste Sam 16 Oct 2010 - 15:49

C'est toujours très intéressant ! Je vous suis.

Mes remarques :
« de faune et de flore imaginaires »
«- Voilà du bon bois pour le scriptorium
« -Oui, très intéressant : typographie, on n’introduit pas une réplique de dialogue par guillemets + tiret, cela fait double emploi ; par ailleurs, le trait d’union « - » ne suffit pas à introduire une réplique, il faut prévoir le tiret demi cadratin « – » ou le format au-dessus, « — »
« il fit une sale encoche qui l’irrita au plus haut point et (il, sinon le « et » coordonne un verbe de la même proposition, la relative, et c’est l’encoche qui jette le bâton) jeta son bâton de dépit »
« trouva un interstice pour le glisser, plié en huit (une virgule serait peut-être intéressante ici) entre la grosse armoire de la bibliothèque et le mur »
« Jusqu’à ce que Bernardin, un beau jour, ne supportant plus la situation, explose (ou « explosât », en tout cas un subjonctif) de colère, et frappe (ou « frappât ») un de ses élèves »
« de nouveaux boucs émissaires (pas de trait d’union) »
« elles faisaient briller le givre dans la Grand cour » : c’est la graphie que vous avez choisie, entre « grand-cour » et « Grand cour » ?
« Il barbouilla de bon cœur »
« L’un d’entre eux, un homme bedonnant et barbu (une virgule pourrait être intéressante ici, pour fermer l’incise) s’était entretenu un long moment avec l’abbé »
« il voulait en avoir le cœur net »
«Voilà, mon père : typographie, une espace après les guillemets français ouvrants
- Très bien, répondit l’abbé
- Oui, mon père. Vous pensez que je ne suis plus digne de la confiance que vous m’aviez accordée.
- En effet
- Père, je ne voulais pas employer la force
- Je vois. Mais les enfants, par définition
- Mais l’ancien chantre non plus
- Je reconnais bien là ton emportement
-Je voulais juste montrer aux enfants
-Quelle vanité, quel orgueil !
- Oui, mon père…
- Voilà le chemin...
- C’est étrange…
-Pierre Toussaint, balbutia l’enfant à grand peine.
-Eh bien, Pierre Toussaint
(typographie : le trait d’union « - » ne suffit pas à introduire une réplique, il faut prévoir le tiret demi cadratin « – » ou le format au-dessus, « — », à chaque fois suivis d’une espace)
–L’abbé toussa pour s’éclaircir la voix : typographie, une espace après le tiret introduisant l’incise
« Tu as torturé le fin-fond de leurs âmes » : pas de trait d’union, à mon avis ; à vérifier, éventuellement
« Le ciel uniforme et torride du mois d’Août, (pourquoi une virgule ici ?) pesait de tout son poids »
Bernardin poursuivit.

« Ne t’inquiète pas, petit
« en finir une (et non « d’une ») fois pour toutes »
« Dans le cadre de la lettre majuscule, et autour du texte (peut-être une virgule ici serait-elle intéressante) tu peux réaliser les illustrations »
« sans avoir à épier les moindres bruits »
« sans à peine se soucier de (ce ?) qu’il traçait »
un rapide coup d’œil en disant : « Très bien
« c’était peut-être mieux ainsi, pensait-il (et non « pensait-t-il », je crois vous l’avoir déjà signalé) »
Titivillus, dans le texte, ou Titivilus, dans la note ?
« Il hante les scriptorium » : sciptoriums, scriptoria ?
« Et ce sac sera rempli »
« Il regarda, surpris, l’œuvre de Pierre »
« le nouveau maître d’œuvre »
Procuste
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Message  Invité Sam 16 Oct 2010 - 15:53

merci Procuste ex-socque ! Pour toutes les questions de typographie, je suis tellement préoccupé par le remaniement du texte et son écriture, que j'ai décidé de m'occuper de tout ça à la toute fin. Donc si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je continuerai avec les erreurs de typographie pour l'instant, et appliquerai toutes vos remarques quand ce sera fini. Merci encore

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Message  Invité Lun 18 Oct 2010 - 15:51

Chapitre 5. « Pierre qui roule ».


Lorsque Raoul de Nérigean demanda à l’abbé à ce que Pierre Toussaint entrât à son service comme apprenti, celui-ci accepta aussitôt. Néanmoins, Rambert crut bon de préciser au maître d’œuvre qu’il ne s’agissait là que d’un prêt pour quelques années, et que l’enfant continuait d’appartenir au monastère. En effet, l’abbé avait su, avec le temps, rectifier sa première impression : Pierre n’était point sot, loin de là. Au contraire, cet enfant silencieux et contemplatif l’intriguait fort. La première idée de l’abbé avait été de le maintenir au scriptorium sous les ordres de Théobald, mais le nouveau chantre n’avait pas voulu de lui. Dans ces circonstances, la proposition du maître d’œuvre Raoul avait tout de suite plu à l’abbé, car cela lui permettait de garder un droit de regard sur le garçon, de l’observer à distance, et d’attendre de savoir comment il évoluerait avant de trancher définitivement sur son sort.

Pierre Toussaint passa donc au service de Raoul de Nérigean. Un mois environ après leur première rencontre, le maître d’oeuvre vint un beau matin le voir dans la Grand-cour, et lui annonça ainsi la nouvelle :
« Et, petiot, viens par là… Ça y est, j’ai parlé à l’abbé, maintenant, tu es mon apprenti. Cela veut dire que tu iras partout où je te dirai d’aller, et que tu feras tout ce que je te dirai de faire. Par contre je t’autorise à dire tout ce que tu penses, et à penser tout ce que tu veux. Tu peux proférer tous les jurons du monde, et maugréer autant que tu pourras, peu m’en chaut, mais en aucun cas, je ne t’autorise à désobéir, ou à bâcler ton travail, c’est d’accord ? »
Pierre écarquilla les yeux.
« Bon, dans un premier temps, tu vas juste me suivre, et tu vas ouvrir tous grands tes yeux et tes oreilles, et fais bien attention, parce que j’ai la langue bien pendue »
Pierre murmura un « oui » d’une voix sourde, et il emboîta le pas de Raoul. Le maître d’œuvre le conduisit jusqu’aux écuries. Là, se trouvait une carriole flanquée de deux mules. Un garçon d’écurie aida le petit à monter. Pierre n’était pas très rassuré : où donc allait-on l’amener ? Devant la mine consternée du marmot, Raoul fut pris d’un rire gras et lui dit d’un ton jovial :
« Vé… Tudieu ! C’est la première fois que tu sors de cette prison, petit ? Alors, prends garde à ton cœur, l’ami. Ces vieilles bourriques marchent aussi droit que des frères convers à la veille du carême. Tu verras, petiot, la liberté, ça fait tourner la tête… Et ne t’inquiète pas, tu reviendras au monastère avant la nuit tombée, j’ai promis à ton abbé que tu dormirais tous les soirs à Lussignac. »

Le maître d’oeuvre monta à son tour dans la carriole, prit les rênes, et dirigea le convoi vers l’entrée du monastère. Il héla le portier qui lui ouvrit les deux battants de la porte. En sortant du monastère, l’enfant eut un pincement au cœur. La carriole entama alors la descente du sentier escarpé qui menait à la vallée. A chaque tournant, l’atelage brinquebalait et menaçait de renverser la charrette dans l’abîme. Le petit ferma les yeux et s’agrippa tant bien que mal à son siège, pris d’une soudaine angoisse.
« Té… Ça ne va pas être une partie de plaisir que d’acheminer tout notre matériel jusqu’à l’abbaye, tu peux me croire, petiot » s’exclama Raoul. Mais le petit n’écoutait pas. Il priait à voix basse.

Pierre n’était pas au bout de ses peines, car une fois arrivés en bas de la colline, ils se retrouvèrent en face de la Garonne, qu’il s’agissait à présent de traverser. Raoul salua le batelier qui vivait dans une cabane sur la berge, et engagea la carriole sur une gabare. La rivière, qui de loin semblait une minuscule ligne limpide et tranquille, de près était large et boueuse, pleine de remous. A bord du frêle esquif, Raoul expliqua à l’enfant qu’il s’agissait là de l’effet du mascaret, que les marées de l’océan créaient ces tourbillons en remontant la Garonne, mais l’enfant était trop inquiet pour prêter attention au discours du maître d’oeuvre. Le bonhomme ne cessait de baragouiner à un débit torrentiel, d’une voix caverneuse avec l'accent rocailleux, tout un charabia fait de jurons et d’expressions gasconnes, que le petit saisissait difficilement. Tout ce flot de paroles l’étourdissait au moins autant que les embûches du chemin. L’enfant, habitué pendant des années au silence des moines, ignorait que tant de mots pussent sortir d’une seule bouche à la fois. Pierre scrutait l’onde tumultueuse, et se souvint tout à coup des terribles créatures pêchées dans le fleuve qu’il avait vu autrefois dans les cuisines du monastère, des anguilles qui se débattaient, encore vivantes, les corps entremêlés jusqu’à ne plus former qu’un magma grouillant et visqueux, des lamproies dépourvues de tête avec des orifices noirs et béants en guise de bouche, des brochets aux dents comme des poignards, de gigantesques silures... L’enfant imaginait avec effroi tous ces monstres aquatiques qui hantaient le fond de l’eau, tapis dans la vase, s’apprêtant à bondir à l’instant sur la gabare pour le dévorer. Mais l’embarcation parvint sans encombre sur l’autre rive et la carriole continua son chemin. Pierre, pris de maux de coeur, décida de fermer les yeux tout le reste du voyage.

« Eh… je te cause, morveu, s’écria Raoul au bout d’un moment en arrêtant la carriole. Tu m’écoutes ou pas ?»
L’enfant sursauta. Trois ouvriers se tenaient devant l’atelage. L’un deux, maigrelet, au regard espiègle et les traits taillés au couteau, et qui répondait au nom de Fifrelin, se mit à dire sur un ton ironique, dans le même accent gascon que le maître d’oeuvre :
« Tu as raison pitchoune. Raoul, ce n’est pas la peine de l’écouter, dis. Moins tu l’écoutes, et mieux tu le comprends. Crois toujours juste le quart de la moitié de ce qu’il te dira.»
Les deux autres hommes firent descendre l’enfant de la carriole. Puis le groupe se dirigea en marchant vers une clairière qui se profilait plus loin. La forêt, maintenant, paraissait plus désolée qu’auparavant. De longs arbres morts jonchaient le sol de part et d’autre du sentier, la terre était couverte de cendres et de caillasse, une fumée chargée de poussière pesait sur l’atmosphère. Au fond, Pierre devina l’entrée d’une grotte. Devant, il y avait quelques baraquements en bois, et une dizaine d’ouvriers qui s’affairaient.
« Voilà les carrières qui viennent d’être offertes aux moines, fit Raoul à l’enfant. C’est d’ici qu’on doit extraire les pierres pour notre chantier.»
Pierre regarda les ouvriers travailler : certains coupaient des arbres, tandis que d’autres, aux ordres du chef charpentier, élaguaient les troncs. Il y avait aussi une forge, et disposés pèle-mêle par terre des outils étranges aux formes menaçantes.
« Nous sommes en train de tailler des poutres pour soutenir les galeries souterraines, de fabriquer des leviers pour transporter la pierre, des rondins de bois pour les acheminer, commenta Raoul. Nous n’avons pas la chance d’avoir une carrière à ciel ouverte. Alors il faut creuser la colline, et c’est un travail harassant. »

Le petit groupe s’avança jusqu’au trou béant. Tout à coup, Pierre entendit un bruit sourd à l’intérieur de la grotte, que l’écho fit résonner, et vit un nuage de poussière qui sortait de l’orifice. Le garçon prit peur, était-ce là l’antre d’un dragon ? Raoul tenta de le rassurer :
« Ce n’est rien petit, c’est juste un bloc qu’on vient de terrasser. Viens, on va entrer...»
L’accès était difficile, car il fallait se faufiler entre de gigantesques rochers et escalader des monticules de gravas qui encombraient le chemin. La grotte était lugubre, et dégageait une forte odeur de moisi. Pierre entrapercevait les silhouettes furtives des ouvriers qui s’agitaient dans la pénombre. Les flambeaux projetaient leurs ombres longues sur les murs de la caverne. Il y avait là aussi des enfants, qui se faufilaient derrière les blocs à peine amincis pour les marteler et les saper. Raoul expliqua à Pierre combien leur travail était risqué, car ils pouvaient facilement se retrouver coincés, mais qu’ils étaient les seuls à pouvoir s’immiscer dans les interstices et les galeries les plus minces. Pierre toisait ces petites âmes en peine, aux regards tristes et perdus, aux joues couvertes de boue, aux corps fluets. Tout cela ressemblait fort aux scènes de l’enfer décrites par les moines, mais ce n’était pas l’enfer, juste le purgatoire, l’envers du décor, l’ombre qui accompagne les grandes constructions érigées par les hommes pour plaire à Dieu.

Une fois sortis de l’antre, ils se dirigèrent tous deux vers un immense bloc en contre-bas du chantier. Le maître d’œuvre glissa alors à l’enfant :
« A cause de ton fichu pied, tu ne peux pas nous aider à extraire les pierres de la carrière ni à couper du bois dans la forêt, alors tu seras tailleur de pierres, et tu deviendras mon apprenti pour sculpter les bas-reliefs de la nouvelle église. Regarde bien ce bloc, petit. C’est une pierre brute et sauvage. Nous allons la débiter et la polir. »
Pendant tout l’après midi, Pierre obéit aux ordres de Raoul sans trop savoir de quoi il retournait. D’abord, les ouvriers plantèrent des piquets à terre tout autour du bloc. Puis Pierre aida à nouer des cordes à chaque piquet, et ils élaborèrent un immense filet pour capturer la pierre. Pierre aida alors Raoul à appliquer à chaque corde de la craie bleue en poudre, et en tirant d’un coup sec sur chaque corde, ils dessinèrent des marques rectilignes qui quadrillaient la roche. Puis, jusqu’à la soirée, armés de piolets et de baramines, les ouvriers cassèrent le bloc selon les marques. Pierre, sous les ordres de Raoul posait des tacots de bois dans les fentes pour mieux ouvrir les plaies de la pierre, ou bien donnait des coups de marteau depuis le sous-bassement pour mieux la trancher et la ciseler. Il avait l’impression que chaque coup retentissait à l’intérieur de la roche, que le bloc, comme une bête gigantesque délogée de sa tannière, essayait de se débattre encore, gémissant, à l’agonie.

Juste avant le crépuscule, Raoul appela Pierre, et ils gagnèrent tous deux la carriole. Sur le chemin du retour vers l’abbaye, Pierre daigna enfin regarder le paysage, et se laissa bercer par le mol balancement des mules. Les vignes aux feuilles écarlates regorgeaient de grappes lourdes aux grains ronds et brillants qui invitaient à l’ivresse. Les feuilles mordorées des chênes et des hêtres balayaient le ciel rouge feu. La nature toute entière foisonnait, exubérante. Pierre demeurait béat d’admiration devant ce paysage qui lui avait semblé si monotone aperçu de loin. Et il s’émouvait de chaque brin d’herbe, de chaque feuille qui s’ébattait dans le vent. L’air vif lui fouettait le visage, le sang lui montait à la tête. Il deviendrait sculpteur, tailleur de pierre, dompteur de rochers...



Les jours suivants, il retourna à la carrière, et aida les ouvriers à achever de détruire le bloc sauvage. Au fil des jours, il apprit à mieux connaître les maçons. Tous ces hommes l’effrayaient quelque peu, avec leurs manières rudes et leurs haleines avinées. Ils étaient d’une insolente liberté, fiers et farouches, et à longueur de journée ils proféraient des jurons dans toutes les langues. Entre eux ils se racontaient mille batailles réelles ou imaginaires, car ils étaient roublards et menteurs comme des arracheurs de dents. Ils venaient de partout et de nulle part à la fois, allaient de chantier en chantier, se vendaient au gré des voyages comme mercenaires, s’offrant corps et âmes pour quelques pièces sonnantes et trébuchantes, mais ils se disaient libres comme le vent. Dans les dortoirs du monastère, l’enfant entendait les commentaires des serviteurs de l’abbaye : les maçons n’étaient guère des gens très chrétiens, toujours en voyage, sans maîtres ni racines, cela n’était pas bon, et cela devait cacher bien des crimes et des péchés. « Pierre qui roule n’amasse pas mousse », disaient-ils en substance.*

Pierre apprit aussi à connaître Raoul de Nérigean. Le maître d’oeuvre s’était entiché du garçon, et Pierre ne savait pourquoi. Malgré son allure bourrue, le bonhomme laissait transparaître une grande tendresse pour l’enfant. Pierre, quant à lui, se sentait réconforté par la présence de son nouveau maître, par sa carrure forte et rassurante qui imposait le respect, ses certitudes et ses décisions tranchées. Cependant, Pierre avait remarqué que Raoul changeait du tout au tout chaque fois qu’il entrait au monastère : lui qui était impie, bravache et hâbleur en dehors de l’abbaye, il devenait d’un coup larbin servile devant l’abbé. Le bonhomme tenta de s’en justifier un jour que Pierre le regardait d’un ton réprobateur : «Petiot, ne mords jamais la main qui te donne à manger. Fais toujours ce qu’on t’ordonne, sans rechigner, même si les ordres viennent d’un sot. Ta liberté, garde-la pour toi, à l’intérieur. »  

A la fin du mois d’Octobre, il y eut un terrible accident dans la carrière. Il n’avait cessé de pleuvoir pendant toute une semaine, et la boue s’était inflitrée dans les galeries souterraines. Plusieurs poutres, gorgées d’eau et demeurées sans appui, ne resistèrent pas à l’inondation et toute la colline s’effrondra à l’instant. La bouche de la grotte se referma d’un coup, engloutissant deux enfants qui demeurèrent prisonniers dans ses entrailles. Les recherches furent vaines, la carrière les avait avalés à tout jamais. C’est alors que Raoul, bien que tout espoir fût déjà perdu, sauta sur la colline et continua de creuser, à s’acharner pour déblayer les rochers, en tentant de forcer la fortune pour sauver les enfants. Et il continua ainsi vainement pendant des heures jusqu’au crépuscule. Quand il s’arrêta, éreinté, il se mit à pleurer comme un enfant, puis il lança son poing vers le ciel en insultant Dieu. Un ouvrier posa la main sur l’épaule de Pierre qui contemplait attristé la scène, et lui dévoila alors l’histoire de Raoul : le maître d’oeuvre avait perdu son fils, il y avait quelques années, de la même manière, et, semblait-il, quatre autres enfants encore auparavant. Le soir venu, sur le chemin du retour vers le monastère, Pierre voulut dire quelque chose pour réconforter son maître, mais les mots lui manquaient. Raoul lui passa alors tendrement la main sur ses cheveux, et ajouta, en s’efforçant de conserver un ton enjoué : « Eh, petiot, la vie est ainsi faite. La pierre se rebiffe et nous joue des tours, de temps en temps. Ce qui me préoccupe le plus dans tout ça, c’est que nous n’aurons peut-être pas assez de pierres pour notre construction. Le filon s’est achevé ». Pierre regarda, perplexe, le maître d’oeuvre, ne sachant que penser. La mort de ces enfants l’avait marqué au plus haut point, et pourtant, il semblait si résigné à présent, si paisible...

Le lendemain matin, sous une pluie battante, les ouvriers se retrouvèrent devant la colline effondrée. Raoul prononça quelques mots pour honorer la mémoire des petits ouvriers morts, qui n’allaient pas recevoir de sépulture chrétienne, le curé du hameau voisin ayant refusé de se déplacer dans les intempéries. Les ouvriers recueillis écoutaient le discours en silence, le visage abattu, la mine sévère. Les enfants survivants tremblaient de froid et de peur. Après cette cérémonie improvisée, chacun chercha une occupation pour tuer le temps : les bûcherons appliquèrent des bâches aux rondins fraîchement coupés pour éviter leur pourriture, le forgeron rangea ses outils pour empêcher la rouille. Tout à coup un ouvrier arriva en courant vers la clairière, et s’écria qu’il venait de trouver un nouveau filon. Tous le suivirent, armés de pioches et de barres de fer.

Ils arrivèrent rapidement jusqu’à un petit vallon. On devinait au loin, en lisière de forêt, une paisible demeure recouverte de buissons et de ronces.
« Une villa romaine presqu’intacte, déclara Raoul à travers sa barbe. C’est notre jour de chance. A l’assaut, les gars ! »
Les ouvriers brandirent leurs outils et crièrent comme un seul homme « à l'assaut! », puis ils se ruèrent en dévalant la pente. Arrivés à la maison, ils l’attaquèrent sauvagement. En peu de temps, ils démontèrent chaque pierre de l’édifice, pour n'en laisser que les mortiers. Puis, fiers de ce pillage, après avoir chargé leur butin sur les carrioles, ils se mirent à boire et à chanter à tue-tête. Pierre, accablé par leur tintamarre, était resté en retrait à l'entrée de la villa. Il y avait là une statue fort belle d’une déesse aux seins nus et Pierre s'assit en face d'elle pour l'admirer. Il n'avait jamais vu de sculpture aussi bien ciselée, de pause aussi gracile. Or, tout d'un coup, deux ouvriers s’approchèrent en ricanant. Ils tâtèrent la croupe de la déesse puis, jugeant que la pierre ne pouvait pas être réutilisée, ils décollèrent la statue de son socle avec leurs leviers. La sculpture tomba à terre et se brisa. Les deux maçons, sans s'arrêter de rire, soulagèrent leur vessie en arrosant la poitrine et le visage de la divinité. Juste avant de partir, ils se retournèrent vers Pierre et lui dirent de se dépêcher, car c'était l'heure de retourner aux carrières. Le soir, en raccompagnant Pierre vers le monastère, Raoul, qui avait remarqué la mine renfrognée taciturne de son disciple, lui demanda:
« Mais qu'est-ce qu'il y a petiot, à la fin? Pourquoi tu me regardes avec un oeil noir, comme ça?
L'enfant répondit entre ses dents:
« La statue. Vous l'avez détruite. Pour rien ».
Le maître d'oeuvre haussa les épaules et répondit:
« Pour rien, non. Il fallait bien que mes hommes s’amusent... Ils se sont vengés un peu contre la pierre, ça n'est pas bien méchant! »
Une semaine plus tard, c’était la Toussaint. Les maçons s’en allèrent vers l'abbaye pour assister à l’office du matin, puis, après avoir reçu leur paie, ils se séparèrent. C’était la trêve jusqu’à Pâques. Raoul néanmoins resterait seul à passer l’hiver à Lussignac.

Une fois les ouvriers partis, Raoul poussa Pierre du coude, et lui chuchota : « Viens petiot, il y a fort à faire en peu de temps ». Et il se dirigea, le pas décidé, jusqu’aux bâtiments conventuels. Pendant toute la journée, le maître d’oeuvre passa en revue chaque recoin du monastère. Il filait bon train tout en parlant et en gesticulant sans se soucier le moins du monde de l’enfant qui sautillait derrière lui monté sur sa béquille et ne pouvait guère suivre son allure endiablée. De temps à autre, le gros homme s’arrêtait net devant un mur, caressait sa barbe noire de ses doigts gourds, inscrivait des hiéroglyphes à la craie sur les pierres, puis, l’air satisfait, continuait son chemin, et tout cela sans jamais cesser de déblatérer.

Le lendemain, ce fut la même chose, et le surlendemain, et le jour suivant. Et ainsi toute la semaine. Raoul marchait devant tout en parlant, Pierre était à la traîne derrière lui. Jusqu’à ce qu’un beau matin, lassé, le petit décida de s’accorder une courte pause et de s’asseoir sur le parvis de l’église, en laissant Raoul pénétrer seul dans l’édifice. Mais le maître d’œuvre réapparut aussitôt, l’air fort courroucé.
« Et quoi, le pitchoune ! Tu traînasses, tu rêvasses ? Foutrebleu !»
Pierre baissa la tête, rouge de honte.
« Tu ne comprends pas fichtre mot de tout ce que je raconte, pas vrai ?… Eh alors, nigaud, tu ne peux pas le dire ? Tu as avalé ta langue ou quoi, fouchtra… Vas-y, pose-moi une question, avant que je m’énerve. Si tu crois que ça m’amuse de parler aux pierres ! »
Pierre chercha au fond de lui-même les paroles pour formuler sa question, mais les mots sortirent beaucoup plus facilement qu’il ne l’eût cru.
« Qu’est-ce… Qu’est-ce que vous faites au juste avec cette craie sur les pierres ? » demanda-t-il, et rarement il avait articulé une phrase aussi longue de sa vie.
Raoul se mit à rire.
« Ah, tu vois que ça sert à quelque chose, une langue…. Eh bien petiot, je marque chaque type de pierre différente. Nous allons devoir toutes les réutiliser pour agrandir l’abbaye. Celles qui sont taillées d’une manière, je les note avec un certain signe, les autres avec une autre marque et ainsi de suite…. Et j’ai bien peur qu’on n’ait pas assez de pierres pour réaliser notre chantier. Aussi je dois chercher toutes les manières possibles et imaginables pour feinter, ouvrir des espaces, utiliser des colonnes au lieu de murs pleins, des arcades, percer des fenêtres. Tout ça à cause de ce terrible manque de pierres. Tu comprends ?»
Pierre comprenait parfaitement. Il avait connu un problème similaire en réalisant son enluminure secrète. Le manque d’espace et d’encre l’avait obligé à redoubler d’ingéniosité et d’imagination.
« Quand est-ce que nous commencerons à bâtir la nouvelle église ?, s’aventura à demander le petit, avec plus d’assurance encore que pour sa première question.
-Diable, comme il y va le pitchoune, s’esclaffa Raoul. Eh ! Mais avant de construire, il faut d’abord démolir, petiot. Et crois moi, c’est un travail bien plus pénible et dangereux. C’est un véritable art majeur que de bien savoir détruire. 
-Ah…» soupira l’enfant, déçu.

Ils déambulèrent ainsi pendant une semaine entière dans toute l’abbaye, à compter les pierres pour les cataloguer. Ce travail était spécialement rébarbatif, mais l’enfant était ravi. Au contact de Raoul, la langue de Pierre se déliait peu à peu. Les questions se pressaient à sa bouche, et Raoul aimait y répondre. Une vraie complicité à ce jour commença entre le maître et son apprenti. Raoul montra au garçon comment faire parler les pierres : on pouvait par exemple analyser la façon dont elles avaient été taillées, calculer le poids qu’elles supportaient, ou alors estimer leur qualité en plantant un clou ou un couteau. L’examen attentif de la mousse qui recouvrait la pierre, l’usure de la gâche et du mortier, des minuscules fissures dans la roche étaient autant d’indices qui permettaient de comprendre l’historique de chaque bloc. Mais Pierre n’avait pas besoin de toute cette science pour comprendre le langage des pierres. Il devinait du premier coup d’œil leurs blessures, leurs souffrances, leurs joies et leurs peines. Chacune d’entre elles lui racontait son histoire secrète. Très vite, Raoul se rendit compte de cette empathie toute particulière de l’enfant pour les pierres, et lui-même commença même à apprendre les vertus du silence.

Pierre passa donc tout l'hiver en compagnie de son nouveau maître. Dans un petit cabanon en bois spécialement aménagé au fond de la Grand cour pour servir d’atelier au maître d’oeuvre, Raoul apprit à l’enfant à lire et à écrire, lui enseigna la géographie et l’histoire, les différentes techniques de taille de la pierre et les principes d’architecture. Pierre restait de longues heures à regarder Raoul qui élaborait les plans de l’agrandissement de l’abbaye, mais sans parvenir à se faire une idée précise. Cependant, une fois tous les calculs effectués, Raoul annonça qu’il était temps de réaliser une maquette. Lorsqu’elle fut achevée, Pierre demeura ébahi : il pouvait la contempler enfin, sa chère prison, comme il l’avait toujours rêvée, il pouvait l’embrasser toute entière d’un seul coup d’oeil, comme le font les oiseaux. Tous les détails étaient là aussi, reproduits très exactement avec grande minutie, et Pierre comprit enfin l’étendue du travail : il s’agissait de bâtir une enceinte de pierre tout autour du monastère pour remplacer la palissade de bois, de rehausser le bras droit du transept de l'église abbatiale, de refaire entièrement le porche et le parvis et d’édifier en dur plusieurs bâtiments de la Grand cour de l’abbaye, l’auberge des pèlerins et l’école. La construction pourrait durer cinq à dix ans..

Après la morte-saison, les maçons revinrent à Lussignac, et Pierre en éprouva une grande peine : ces quatre mois de silence, de paix et d’étude, toute cette belle complicité entre Raoul et son apprenti s’achevaient d’un coup. Les ouvriers, regroupés dans la grande cour gesticulaient et jacassaient comme des oies, troublant la tranquillité du monastère, et exaspéraient le petit au plus haut point. Les maçons racontaient leurs exactions pendant ces mois chômés. Chacun avait cherché le meilleur réconfort durant la saison froide. L’un se vantait d’avoir engrossé toutes les femmes d’un même village, un autre d’avoir été l’hôte clandestin d’un couvent de bonnes sœurs, et milles histoires paillardes de cet accabit. Dans leurs yeux pétillaient la lubricité et la malice. Raoul fit le silence et s’écria « Fins prêts pour l’assaut du monastère ?». « A l’assaut ! », s’exclamèrent les ouvriers comme un seul homme.

Les mois suivants, commença l’ouvrage. Une partie de l’équipe se mit à monter des machines infernales sur le terre-plein devant le monastère. Elles répondaient à des noms barbares : le « grand fardier », le « mantelets à charroi double », une grue que les ouvriers appelaient « la louve ». Il y avait aussi des écureuils, des échelles, des passerelles et des échafaudages, des béliers et un boulet d’acier gros comme trois têtes attaché à une lourde chaîne, comme un gigantesque fléau d’armes. Au total, une dizaine d’engins semblables aux artefacts que l’on utilise pour la guerre, armés de poulies, de dents, de roues, de cordes et de tranchants qui siégeaient devant l’abbaye, en attendant l’assaut.

Pendant ce temps, l’autre partie de l’équipe aménageait le sentier qui menait au monastère pour y acheminer les pierres. Ils commencèrent par provoquer un incendie sur tout un pan de la colline pour y brûler les ronces et les arbustes gênants, puis ils nivelèrent le chemin en projetant rochers et cailloux dans le précipice. Ensuite, ils disposèrent des rondins au sol pour y faire rouler les pierres jusqu’à l’édifice, et enfin, ils plantèrent des épieux armés de métal, qu’ils relièrent entre eux par tout un jeu savant de cordes et de poulies. En un mois, la colline ressemblait à un champ de bataille, calcinée et fumante, bardée de pics et de crochets, de ferraille et de cordages, emprisonnée entre mille noeuds.

Un matin du mois de Juin, un cor résonna dans le lointain : l’attaque du monastère allait avoir lieu. Raoul, qui faisait le guet du haut du clocher de l’abbatiale, fit tinter la grande cloche, et descendit à toute hâte jusqu’à la cour. C’était le branlebas de combat dans tout le monastère « Ils sont là, ils sont là ! » criaient les serviteurs. Les moines couraient en tout sens. Raoul fit signe à Pierre de le suivre et se dirigea vers les écuries. Il monta sur un cheval noir et hissa l’enfant sur la croupe de sa monture. Puis il se dirigea vers l’entrée du monastère, ordonna d’ouvrir les deux battants de la porte, et descendit la pente au triple galop. Arrivé en bas, il arrêta son destrier : Pierre aperçut quatres longues gabares qui remontaient la Garonne. La première embarcation rappelait les drakkars des vikings : telle une figure proue, se tenait un boeuf aux cornes effilées et aux narines fumantes. Derrière lui, il y avait un autre boeuf et deux chevaux de trait, et la troupe des maçons, armés de piques, de marteaux, de haches et de bâtons ferrés. Les trois autres gabares étaient chargées de rochers et de tout un arsenal pour saper le monastère.

Les barques accostèrent. Les boeufs déchargèrent une à une chaque pierre. L’infernale ascension des blocs allait commencer. Pierre regardait les ouvriers débarquer sur la grève. Leur aspect farouche et leur air décidé dissimulaient mal la peur, qui se lisait au fond de leurs yeux. Ils plaisantaient, le rire nerveux, trépignant d’impatience. Tous appréhendaient l’instant fatidique. Les ouvriers attachèrent la première pierre aux cordes disposées le long du chemin escarpé et tirèrent de l’autre côté de la poulie tant qu’ils purent pour la soulever. D’autres ouvriers restaient derrière pour accentuer le mouvement avec de longs bâtons ferrés, et les enfants jetaient de l’huile sur les rondins pour aider le bloc à glisser. « Hisse ! » La pierre avançait lentement, par à coups. Les hommes souffraient, les gueules déformées par l’effort, les paumes saignantes. Raoul dirigeait çà et là sa monture, guidant ses troupes, les exhortant à ne pas reculer, à dominer leur souffrance.

La première pierre fut acheminée jusqu’au monastère. D’en bas du promontoir, on voyait les ouvriers brandir leurs bâtons ferrés en signe de victoire. Un cri de joie retentit dans la vallée. Les piquets avaient tenu bon. Soulagés, les hommes répétèrent le mouvement pour la seconde pierre, puis pour la troisième, et ainsi de suite pendant toute la matinée. Or, juste après midi, un des épieux céda sous la charge répétée et se rompit d’un coup sec. Les ouvriers qui tiraient sur les cordes perdirent leurs appuis et le rocher dévala la pente. Il percuta violemment un rocher en contre-bas et la colline entière trembla sous le choc. Un grand nuage de poussière se forma, et lorsqu’il se dissipa, on se précipita vers les ouvriers qui se trouvaient sur les lieux de l’accident. L’un d’entre-eux avait eu la jambe broyée par la pierre. C’était la première victime de l’assaut.

On passa le reste de la journée à consolider les appuis. Raoul s’entretint avec l’abbé qui prit une décision : dorénavant, ce travail serait effectué par les miséreux et les serfs des hameaux voisins. Aucun d’entre-eux ne pourrait plus bénéficier désormais de la charité des moines sans avoir auparavant aidé à la construction de la maison de Dieu. Ainsi, en cas d’accident, il n’y aurait pas à déplorer la perte d’âme aussi précieuse que celles des maçons. Les ouvriers, soulagés par cette sage décision, trinquèrent à la santé du bon abbé. Au crépuscule, ils installèrent leur campement dans la Grand cour du monastère, et pendant toute la nuit, on entendit leurs chants paillards et leurs rires résonner dans chaque recoin de l’abbaye.

Le lendemain, les vilains reprirent la besogne. Pendant quatre mois, ils travaillèrent comme des bêtes de somme. Le matin, les gabares accostaient sur la berge, en contre-bas du monastère, lourdes du travail de la journée. Le soir elles repartaient à vide pour aller chercher de nouveaux blocs. Les gueux, à longueur de journée, acheminaient les pierres, montant et descendant sur le mont pelé, inlassablement, tels Sisyphe, condamnés à recommencer chaque matin la même tâche sans jamais en voir la fin. Sous le soleil implacable de l’été, leurs haillons poussiéreux et dégoulinant de sueur dégageaient une puanteur terrible qui montait droit jusqu’au monastère. De temps en temps, on entendait un cri de douleur du bas de la colline, qui venait troubler le silence de mise dans l’abbaye.

Comme il ne restait plus que deux ou trois ouvriers pour superviser le travail de chargement des blocs, toute l’équipe put alors commencer le véritable travail de sape. Dès le second jour, Raoul fit installer les machines de siège sur la façade de l’église abbatiale. Un grand échafaudage fut monté, perpendiculaire à la paroi. Les maçons commencèrent par démonter le toit de l’église, puis ils martelèrent les jointures des blocs, en commençant par le haut de l’édifice. Une à une, chaque pierre fut terrassée et descendue à terre par la louve et le charroi. Les ouvriers, à tour de rôle, couraient à perdre haleine dans la grande roue de l’écureuil. Le bruit lancinant des coups de marteaux sur les mortiers, le grincement des cordes dans les poulies rythmaient les journées. Enfin, lorsqu’au bout de deux mois, les ouvriers eurent ouvert la moitié haute du toit et de la façade, ils se mirent à creuser une profonde tranchée dans le sol et dégagèrent les fondations. Quand ils eurent fini, ils attachèrent à une potence la grosse boule d’acier, s’en emparèrent tous ensemble, à bras le corps, et la projetèrent de toute leurs forces contre la façade de l’église, qui s’effondra d’un coup, dans un vacarme d’enfer. Puis, le mur enfin crevé, le régiment des ouvriers s’engouffra dans la brèche, pour pénétrer dans l’église.

Pierre entra en dernier. Or, juste au moment où il s’apprêtait à franchir le mur démoli, l’enfant se souvint soudain de sa naissance, dans la lézarde du la paroi en ruine. Il s'arrêta net, comme pris de vertige. Pendant ce temps, les ouvriers, à l’intérieur de l’église, se chargeaient de détruire les images de son enfance. Ils avaient déjà saccagé l’aile droite du transept, et s’attaquaient à présent à la petite absidiole secrète, où, autrefois, Pierre aimait tant s’isoler. Les maçons démontèrent chacun des piliers ornés de l’enfance du Christ, et ils mirent à bas la statue de la Vierge. Pierre sentit alors une main sur son épaule. C’était Raoul, qui lui glissa à l’oreille : « Qu’est-ce que tu fais là, mordiou, le nez dans la caillasse... Viens avec moi, il y a du travail pour les tailleurs de pierre dehors ». Pierre le suivit jusqu’aux abords de la maison du maître d’oeuvre, reçut dans chaque main un marteau et un burin, et s’assit par terre aux côtés de deux autres maçons préposés à la taille. Un ouvrier s’avança vers eux, poussant une brouette chargée de morceaux de pierre qu’il s’agissait de retailler. C’était la statue de la Vierge, qui avait été débitée en morceaux. Pierre reçut la tête, qui était le bloc le plus mince, et durant tout l’après-midi, l’enfant cassa la figure de la jeune fille à grands coups de marteau. Le soir venu, ce n’était plus qu’un morceau de pierre taillé comme les autres, quoiqu’un peu plus petit et avec les angles arrondis. Pierre n’éprouva aucun remords, au contraire, il fut même surpris de son manque de sentiment à l’égard de la jeune femme qui avait été sa mère. Il en conclut que, sans doute, ce jour précis avait marqué à tout jamais la fin de son enfance.

Il restait encore un mois avant la morte-saison. Les maçons finirent de démonter les bras de l’église, le porche et le parvis, firent tomber la palissade tout autour de l’abbaye, et creusèrent à sa place une longue tranchée. Quand vint le jour de la Toussaint, les ouvriers partirent comme ils étaient venus, chantant et beuglant comme des diables. Le monastère n’était plus qu’un gigantesque champ de ruines, éventré, béant, abandonné à la merci du vent sur sa colline désolée, sans aucune enceinte pour le protéger. Les serviteurs, apeurés, se demandaient si ces hommes reviendraient, et ce que le destin leur réserverait. Certains d’entre-eux commentaient qu’à présent, ces barbares étaient devenus les véritables maîtres du monastère, que dorénavant, ils étaient en position de force, qu’on avait déjà vu, dans d’autres chantiers, les maçons, une fois après avoir tout démoli, exiger ce que bon leur semblait, sachant pertinemment qu’on ne pouvait plus se passer de leurs services. Dès lors, Pierre regardait d’une autre manière son maître, qui demeurait seul à Lussignac, comme l’hiver précédent, en se demandant si les dires des familiers de l’abbaye étaient ou non fondés.

L’hiver de cette année-là fut particulièrement rude. Dans la nef balayée par les vents, les moines continuaient de célébrer chaque jour les offices. Emmitouflés dans des couvertures, le nez gelé, grelottants, ils chantaient les cantiques d’une voix chevrotante. Les jours de tempête, les répons s’envolaient, confisqués par le vent. Les pierres menaçaient de se détacher du haut des murs délabrés de l’église, ouverte de part en part. Mais les moines acceptaient résignés cette épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes, et redoublaient leurs prières, affrontant avec abnégation l’épreuve que Dieu leur infligeait, et ils continuaient leur mission sacrée, stoïques, imperturbables, se réveillant dans la nuit pour chanter les louanges à Dieu au beau milieu des éléments déchaînés. Plusieurs moines, les plus anciens, ne résistèrent pas au froid et moururent d’inanition. L’abbé Rambert, dans ses sermons leur rendait de vibrants hommages, affirmant qu’il ne pouvait y avoir de mort plus chrétienne que la leur. Quelques moines décidèrent alors d’assister à l’office sans couverture ni aucune laine sous leur coule, mais Rambert s’y opposa : une chose était de se mortifier et mourir en état de sainteté comme martyrs, une autre, très différente, de se damner pour l’éternité en provoquant son suicide. Les moines fautifs eurent du mal à saisir cette nuance, mais comme de bons soldats de Dieu, obéirent sans sourciller à leur père supérieur.

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L'ange déchu, roman historique Empty Re: L'ange déchu, roman historique

Message  Sahkti Lun 18 Oct 2010 - 16:38

Je ne commenterai pas partie par partie, mais te livrerai plutôt une impression générale.
Si le sujet me plaît (et il semble te passionner), je trouve que tu l'abordes de manière trop linéaire, c'est régulier au point d'en devenir parfois monotone. Tout est raconté sur le même ton, sans véritable relief ni cassure, même lorsqu'il se passe quelque chose.
Certes, l'écriture est soignée et on devine le boulot pour fournir cela mais justement, je me demande si le besoin de bien faire n'est pas responsable de cette allure un peu scolaire que je reproche au texte, qui l'enferme dans quelque chose de lisse.

Je crois également que le texte y gagnerait en intensité (et en qualité) si de ci de là, il y avait quelques coupures, une densité plus forte accordée à certaines parties au détriment de détails pas toujours pertinents.
Tu réussis à créer une bonne ambiance, à poser tout un contexte avec ce qu'il a de difficile mais le tout est parfois noyé sous les explications.

Ceci mis à part, j'aime beaucoup l'idée, il y a des pistes à suivre mais vraiment, essaie de libérer un peu cette écriture afin qu'elle en reste pas trop sagement cantonnée à un récit journalistique. Donne donc vie à ces pierres et à ces personnages en les bousculant quelque peu (enfin, en bousculant tes mots plutôt :-)

Il me semble que les deux derniers chapitres sont plus maîtrisés que ce qui les précède, comme si tu trouvais un rythme de croisière dans la manière d'écrire, une meilleure possession des éléments du texte au point d'arriver -enfin- à en jouer. Continue sur cette voie ! Je lirai en tout cas la suite avec plaisir.
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Message  Procuste Lun 18 Oct 2010 - 21:43

Passionnant ! Je trouve que l'histoire se bonifie à mesure qu'on avance.

Mes remarques :
« demanda à l’abbé à ce que Pierre Toussaint entrât à son service » : même pour une ambiance médiévale, ce « demander à ce que » me paraît lourd
« le maître d’œuvre vint un beau matin le voir »
« Eh, petiot, viens par là »
parce que j’ai la langue bien pendue » : manque signe de ponctuation en fin de phrase
« Le maître d’œuvre monta à son tour dans la carriole »
tu peux me croire, petiot » s’exclama Raoul : en général, on introduit une virgule entre la réplique et la didascalie
« pour prêter attention au discours du maître d’œuvre »
« des terribles créatures pêchées dans le fleuve qu’il avait vues (les créatures) autrefois dans les cuisines du monastère »
« Pierre, pris de maux de cœur »
« je te cause, morveu,x s’écria Raoul au »
« dans (je trouve « dans » assez bizarre pour parler d’un accent) le même accent gascon que le maître d’œuvre »
le quart de la moitié de ce qu’il te dira.»
C’est d’ici qu’on doit extraire les pierres pour notre chantier.»
Viens, on va entrer...»
Foutrebleu !» : typographie, une espace avant les guillemets français fermants
« d’avoir une carrière à ciel ouvert (et non « ouverte ») »
« armés de piolets et de barres à mine (et non « baramines » ; vous savez mieux quemoi, bien sûr, mais ça existait, à l’époque, ces outils ?) »
« des coups de marteau depuis le soubassement (et non « sous-bassement ») »
« La nature toute entière foisonnait » : plutôt « tout entière », je crois ; à vérifier, éventuellement
disaient-ils en substance.* : je n’ai pas vu la note annoncée par l’astérisque
« Le maître d’œuvre s’était entiché du garçon »
«Petiot, ne mords jamais la main : typographie, une espace après les guillemets français ouvrants
« A la fin du mois d’octobre »
« le maître d’œuvre avait perdu son fils »
« lui passa alors tendrement la main sur ses cheveux » : le possessif fait un peu bizarre dans l’expression, je trouve
« La pierre se rebiffe et nous joue des tours, de temps en temps. Ce qui me préoccupe le plus dans tout ça, c’est que nous n’aurons peut-être pas assez de pierres pour notre construction » : la répétition se voit, je trouve
« Pierre regarda, perplexe, le maître d’œuvre »
« de sculpture aussi bien ciselée, de pose aussi gracile »
« taciturne de son disciple, lui demanda: »
« Le maître d'œuvre haussa les épaules et répondit: » : typographie, une espace avant les deux points
« à la fin? Pourquoi tu me regardes avec un œ[b]il noir, comme ça? » : typographie, une espace avant chaque point d’interrogation
Pour rien ».
il y a fort à faire en peu de temps ».
du travail pour les tailleurs de pierre dehors ». : typographie, le signe de ponctuation est à l’intérieur de la réplique
« ça n'est pas bien méchant! » : typographie, une espace avant le point d’exclamation
« le maître d’[b]œ
uvre passa en revue chaque recoin du monastère »
« Jusqu’à ce qu’un beau matin, lassé, le petit décidât (ou « décide », en tout cas un subjonctif) de s’accorder une courte pause »
bâtir la nouvelle église ?, s’aventura à demander : je ne suis pas ûre, mais je pense qu’il faut éviter la virgule après le point d’interrogation
-Diable, comme il y va le pitchoune
-Ah…» (une espace avant les guillemets français fermants)
(Typographie, le trait d’union « - » ne suffit pas à uvrir une réplique de dialogue, il faut prévoir le tiret demi cadratin « – » ou le format au-dessus, « — »)
« l’usure de la gâche et du mortier, des (« de », je pense, serait préférable ici) minuscules fissures dans la roche (je pense qu’une virgule ici serait intéressante) étaient autant d’indices »
« spécialement aménagé au fond de la Grand cour » : plus haut, c’était la « Grand-cour »
« pour servir d’atelier au maître d’œuvre »
« il pouvait l’embrasser toute entière d’un seul coup d’œil » : je pense que c’est « tout entière » ; à vérifier, éventuellement
« pourrait durer cinq à dix ans.. » : un point, ou au moins trois points pour les points de suspension, mais pas deux
« Les ouvriers, (pourquoi une virgule ici ? Si vous y tenez, je pense qu’il serait préférable de refermer l’incise par une autre virgule après « cour ») regroupés dans la grande cour (s’agit-il de la « Grand-cour » ?) gesticulaient et jacassaient »
« mille (et non « milles ») histoires paillardes de cet acabit (et non « accabit ») »
pour l’assaut du monastère ?». « A l’assaut ! », s’exclamèrent les ouvriers : le point après ? » est inutile, je pense, de même que la virgule après ! »
le « mantelets (« mantelet » ?)[/b ] à charroi double »
« emprisonnée entre mille n[b]œ
uds »
« C’était le branlebas (« branle-bas » ou « branle bas », me dit le TLFi) de combat »
« Les moines couraient en tout sens » : je crois « qu’en tous sens » est plus correct ; à vérifier, éventuellement
« se tenait un bœuf aux cornes effilées »
« il y avait un autre bœuf et deux chevaux de trait »
« Les bœufs déchargèrent une à une chaque pierre »
« dissimulaient mal la peur, qui se lisait au fond de leurs yeux » : la virgule ici ne me paraît pas indispensable
« D’en bas du promontoire »
« le rocher dévala la pente. Il percuta violemment un rocher en contrebas (et non « contre-bas ») » : la répétition se voit, je trouve
« L’un d’entre eux (et non « d’entre-eux ») avait eu la jambe broyée »
« Aucun d’entre eux (et non « d’entre-eux ») ne pourrait plus bénéficier désormais »
« en contrebas (et non « contre-bas ») du monastère »
« lorsqu’au bout de deux mois, (pourquoi une virgule ici ?) les ouvriers eurent ouvert la moitié haute du toit »
« dans la lézarde de la paroi en ruine »
« jusqu’aux abords de la maison du maître d’œuvre »
« Certains d’entre eux (et non « d’entre-eux ») commentaient qu’à présent »
« ne résistèrent pas au froid et moururent d’inanition » : l’inanition, c’est la faim, non ?
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Message  Invité Lun 18 Oct 2010 - 22:05

Certains tracéologues font remonter la barre à mine à la préhistoire, voyant en elle l'outil qui aurait servi à creuser les puits à silex néolithiques de Flins-sur-Seine dans les Yvelines. Il faut préciser cependant, pour éviter tout anachronisme (le fer et a fortiori la poudre étant encore inconnus à l'époque), qu'il ne peut s'agir que de barres en bois dur (érable, buis).

-> ceci dit, tout ce qui pourrait choquer au niveau historique dans ce récit, m'intéresse. C'est comme l'expression "pierre qui roule n'amasse pas mousse" qui "sonne" trop moderne (elle est attesté à partir du XVIe ce qui ne veut pas dire qu'elle ne s'employait pas avant). si ces détails choquent, je supprime.

Merci de tout coeur Procuste

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Message  Procuste Lun 18 Oct 2010 - 22:09

Si vous tenez à me remercier, vous pourriez prendre la peine d'écrire "cœur". La ligature est belle, et fait partie intégrante de la graphie française, ce n'est pas une aimable fantaisie... Cela dit, vous n'avez pas à me remercier, c'est très utile pour mon travail de me livrer à ce genre d'exercice, je l'accomplis donc d'abord pour moi !
(Pour les barres à mine, je pense qu'il est mieux de préciser quelque part qu'elles sont en bois, ou bien de chercher si elles n'étaient pas appelées autrement à l'époque ; honnêtement, elles m'ont autant fait tiquer qu'aurait pu le faire le terme "pince-monseigneur", ou "cric"... à tort, peut-être bien.)
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Message  elea Mar 19 Oct 2010 - 17:35

Je prends de plus en plus de plaisir à la lecture sans que rien ne m'en éloigne en terme de commentaire ou "critique", je trouve cette suite plus fluide, comme si désormais le récit coulait de source et comme si l'auteur, enfin débarrassé du "plantage de décor" arrivait à ce qui le passionne dans l'histoire, du coup je le ressens aussi et je m'attache à l'enfant/pierre.
Vivement la suite !

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Message  Invité Mar 19 Oct 2010 - 18:44

chapitre 5. le gamin n'a aucune idée de ce qu'est une invitation à l'ivresse, à mon avis.
D'autre part "la nature foisonne" me semble adapté à la fin du printemps, plus qu'a l'automne.

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Message  Invité Mar 19 Oct 2010 - 18:47

tu feras un scan avec "crépuscule" il me semble le lire souvent.

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Message  Invité Mar 19 Oct 2010 - 19:16

Lu ce paragraphe 5.

Effectivement, la narration déroule sur un sujet qui me convient bien. Je dois lire avec quelques boulets aux pieds : la présence très fréquente des "Pierre, Raoul" et tous leur synonymes. Je crois que 2 personnages sont durs à faire vivre pour 20.000 signes. La balance n'est pas établie avec les différents ouvriers, qui sont plutôt décrits d'une manière informelle (des gens, puants, anonymes, indisciplinés mais chouettes). rééquilibrer le chapitre serait, par exemple, de donner vie à un des ouvrier, celui de ton choix. Il y a quelques ruptures de style, mais c'est ma perception et une ponctuation assassine (je pense que tu as remis le travail de ponctuation à plus tard). Il y a un excès à mon gout de négation incomplète (le "ne" n'est pas complété de son "pas" attendu) pour le terme exact, voir Procustre et les profs dans le coin, je suis fatigué ce soir (mais tu es prof non ?). Je comprends bien que la technique donne un souffle médiéval à la narration mais gare au trop qui tue le mieux. Tu peux aussi si tu veux réduire un chouilla la voilure dans le descriptif : par exemple dans la partie ou tu introduit la technique de roulage des pierres, l'introduction et la description contiennent grosso-modo la même phrase, je ne suis pas émerveillé de ces techniques à la Weber pour faire lire deux fois la même idée.

Belle image du gamin qui déboulonne la vierge : temps fort !
Pas mal aussi, Raoul qui pète les plombs et qui creuse pour retrouver les enfants prisonniers.
J'y aurait vu une narration moins sage, plus lyrique, après tout, tu décris et expliques un drame antécédent, pas vraiment dans la continuité du roman, c'est un aparté pour nous permettre de connaitre Raoul mieux.

, je regrette que tu ne veuilles pas corriger la ponctuation, cela rend les parties plus ou moins parfaites à lire donc inégales en rythme. Curieux de ta part, car le rythme me semble un de tes talents.

Je lirai la suite avec plaisir, et comme il est arrivé avec rebecca et silene et d'autres , reprendrais du début si la passion de lire est là.




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Message  Procuste Mar 19 Oct 2010 - 19:19

pandaworks : Procuste, pas Procustre.
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Message  Invité Mar 19 Oct 2010 - 19:29

Procuste a écrit:pandaworks : Procuste, pas Procustre.
c'est que j'ai lu tellement de rustres chez Vincent que me voilà contusionné du cultre.
Mes excuses.

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Message  Procuste Mar 19 Oct 2010 - 19:30

No problem.
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Message  CROISIC Mar 19 Oct 2010 - 19:37

Je vais imprimer pour pouvoir vous lire à mon aise. Même avec un grand écran, les grands textes sont difficiles à la longue.
Mais... j'ai été conquise par ce que j'en ai déjà lu.
CROISIC
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