Les trains aussi font mouche
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Rebecca
Yali
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Les trains aussi font mouche
Issu d'un exo en direct à contraintes dont la principale est le délai d'écriture : une heure.
Les trains aussi font mouche
Les trains sont d'une nature capricieuse question horaires. Celui-ci s’est figé semble-t-il définitivement, tel un caillou sur une paire de rails.
Long le caillou, avec quantité de rames tout aussi minéralement statiques.
Deux heures que je poireaute. Peut-être deux piges.
Les raisons invoquées « Malveillance ». C’est ce que répète inlassablement la douce voix de la SNCF via haut-parleurs tandis que je consomme mon énième café au bien nommé Le Terminus.
Une mouche butine le bar zingué, un coup de ça, un coup de ci, le tout alcoolisé, j’hésite à l’imiter, j’hésite à opposer à la SNCF que contre un caillou, il y a feuille ou puits, histoire de repartir, enfin.
La mouche dans un sourire me fait remarquer que ciseaux ça marche pas.
En même temps je connais parfaitement les règles du jeu, et jamais j’ai dit ciseaux, c’est à peine si je l’ai pensé.
— Si ! Tu l’as pensé !
— Ok. Je l’ai pensé, mais ça prouve quoi ?
— Rien, mais tu l’as pensé.
— Ok, je l’ai pensé.
— T’avoues !
— J’avoue rien. Et qui plus est, je parle pas aux mouches.
— C’est pourtant ce que tu fais.
Respirer à fond, viser le tableau horaire. Celui qui s’affiche en très grand, celui qui écrase les voyageurs de sa hauteur et qui dit :
— Retardé !
— Merci pour l’info.
— Pas de quoi.
— Je parle pas aux mouches.
— Tu l’as déjà dit et c’est pas la peine de me mettre un pluriel, je suis seule.
Traverser la moitié de la France, la totalité de l’Allemagne, pas dans cet ordre là bien sûr mais inversement, pour échouer si près du but, c’est con.
— C’est quoi le but au juste ?
— Je t’en pose des questions moi ?
— T’es désagréable, m’est avis que t’as le café mauvais. À ta place j'évoluerais question picole.
Elle a probablement raison, je me commande une pression tandis que j’imagine des courbes. Celles de Sarah. Je dis j’imagine, parce que bien évidemment je ne les connais pas. Bibliquement s’entend. Il s’en est fallu de peu, mais…
— Mais quoi ?
— Mais elle a écourté son séjour, ce qui fait que la bagatelle s’est soldée par un « Passe me voir quand tu veux ! » en forme de petit mot déposé dans ma boîte aux lettres.
— Laconique, mais plein de promesses. Je peux ?
— Tu peux quoi ?
— Boire un coup dans ton verre ?
— Sers-toi. Mais qu’est-ce que t’y connais aux femmes toi ?
Elle virevolte un moment avec une maladresse tout alcoolisée, avant de se poser sur le bord du verre et plonger ses mandibules dans la mousse. J’attends quelques instant puis :
— Alors ?
— Alors les mouches n’ont pas de mandibules, mais des lèvres inférieures et des lèvres supérieures. Ce qui fait que question anatomie, je suis plus proche d’elles que tu ne le seras jamais mon pote.
— Évidemment.
— J’ose espérer que tu ne lui fais pas une surprise, enfin je veux dire que tu ne te pointes pas chez elle sans l’avoir prévenue.
— Et pourquoi ça ?
— Parce que ça prouverait deux choses. Un, que c’est pas étonnant que tu sois encore célibataire à ton âge. Deux : que tu vas le rester encore longtemps.
J’ignore la remarque à propos du célibat, j’enchaîne.
— Tu m’as dit y a pas cinq minutes que son message était plein de promesses.
— Oui, mais elles datent de quand ces promesses ?
— Un mois à peine.
— Autant dire une vie.
J’avais pas pensé à ça. En fait j’avais pas pensé du tout. J’ai retrouvé son petit mot presque par hasard le premier jour des vacances, j’ai pris le train.
— Tu me conseilles de lui passer un coup de fil ?
— Sans lui préciser que tu n’es plus qu’à une heure de chez elle, et je te conseille également de commander un truc plus fort. Je suis lasse de la bière. Sans parler que j’ai un creux.
— Sandwich ?
— Plutôt le plat du jour. Le jeudi c’est bœuf bourguignon. En général, le chef le réussit. À bien y réfléchir c’est même la seule chose qu’il réussisse.
Je m'exécute et m’isole pour téléphoner.
À mon retour la table est dressée dans le fond de la salle, y fume un bourguignon sur assiette. Sur le bord de ladite assiette une mouche se nettoie les mandibu… Les lèvres inférieures. À moins, bien sûr, que ce soient les supérieures…
Au point où j’en suis, j’ignore le fait qu’elle porte une serviette de la taille d’un confetti autour du cou. Voire plus petite qu’un confetti.
— Alors ? Elle dit.
Je m’assieds.
— Alors ça ne l’arrange pas : problèmes familiaux.
— En clair : elle a rencontré quelqu’un !
— Tu crois ?
— Eh, qui s’y connaît en femme ?
J'acquiesce, j’ai pas envie de discuter. D’autant que c’est une voix d’homme qui a répondu au téléphone et que j’ai dû décliner mon identité avant de pouvoir parler à Sarah.
Le bourguignon est excellent, j’en fait part à mon invitée qui ne répond pas, tout entière qu’elle est à mastiquer ou quelque chose du genre. Puis finalement si, pour me préciser que se serait bien meilleur accompagné d’un canon de rouge
Verre en main et mouche dessus, mon regard erre un long moment sur la gare. Que de quais, que de trains, que de valises en bout de bras de gens pressés…
— T’as déjà pensé à voyager, je lui demande.
— À voyager jusqu’à chez toi par exemple ?
— Par exemple.
— Impossible, j’ai le mal des transports.
L’alcool aidant je somnole quelques instants. Au réveil, plus de mouche. J’ai sans doute rêvé cette histoire. Je contrôle sur le portable, j’ai bien appelé Sarah, aucun doute de ce côté-là, mais à part ce fait établi…
À part ce fait, un autre : est écrit en sauce sur le bord de l’assiette « Il faut être ivre, tout est là.* »
C’est écrit en minuscules d’une écriture de pattes de mouche.
Bon, je crois que je vais me commander un calva.
Les trains aussi font mouche
Les trains sont d'une nature capricieuse question horaires. Celui-ci s’est figé semble-t-il définitivement, tel un caillou sur une paire de rails.
Long le caillou, avec quantité de rames tout aussi minéralement statiques.
Deux heures que je poireaute. Peut-être deux piges.
Les raisons invoquées « Malveillance ». C’est ce que répète inlassablement la douce voix de la SNCF via haut-parleurs tandis que je consomme mon énième café au bien nommé Le Terminus.
Une mouche butine le bar zingué, un coup de ça, un coup de ci, le tout alcoolisé, j’hésite à l’imiter, j’hésite à opposer à la SNCF que contre un caillou, il y a feuille ou puits, histoire de repartir, enfin.
La mouche dans un sourire me fait remarquer que ciseaux ça marche pas.
En même temps je connais parfaitement les règles du jeu, et jamais j’ai dit ciseaux, c’est à peine si je l’ai pensé.
— Si ! Tu l’as pensé !
— Ok. Je l’ai pensé, mais ça prouve quoi ?
— Rien, mais tu l’as pensé.
— Ok, je l’ai pensé.
— T’avoues !
— J’avoue rien. Et qui plus est, je parle pas aux mouches.
— C’est pourtant ce que tu fais.
Respirer à fond, viser le tableau horaire. Celui qui s’affiche en très grand, celui qui écrase les voyageurs de sa hauteur et qui dit :
— Retardé !
— Merci pour l’info.
— Pas de quoi.
— Je parle pas aux mouches.
— Tu l’as déjà dit et c’est pas la peine de me mettre un pluriel, je suis seule.
Traverser la moitié de la France, la totalité de l’Allemagne, pas dans cet ordre là bien sûr mais inversement, pour échouer si près du but, c’est con.
— C’est quoi le but au juste ?
— Je t’en pose des questions moi ?
— T’es désagréable, m’est avis que t’as le café mauvais. À ta place j'évoluerais question picole.
Elle a probablement raison, je me commande une pression tandis que j’imagine des courbes. Celles de Sarah. Je dis j’imagine, parce que bien évidemment je ne les connais pas. Bibliquement s’entend. Il s’en est fallu de peu, mais…
— Mais quoi ?
— Mais elle a écourté son séjour, ce qui fait que la bagatelle s’est soldée par un « Passe me voir quand tu veux ! » en forme de petit mot déposé dans ma boîte aux lettres.
— Laconique, mais plein de promesses. Je peux ?
— Tu peux quoi ?
— Boire un coup dans ton verre ?
— Sers-toi. Mais qu’est-ce que t’y connais aux femmes toi ?
Elle virevolte un moment avec une maladresse tout alcoolisée, avant de se poser sur le bord du verre et plonger ses mandibules dans la mousse. J’attends quelques instant puis :
— Alors ?
— Alors les mouches n’ont pas de mandibules, mais des lèvres inférieures et des lèvres supérieures. Ce qui fait que question anatomie, je suis plus proche d’elles que tu ne le seras jamais mon pote.
— Évidemment.
— J’ose espérer que tu ne lui fais pas une surprise, enfin je veux dire que tu ne te pointes pas chez elle sans l’avoir prévenue.
— Et pourquoi ça ?
— Parce que ça prouverait deux choses. Un, que c’est pas étonnant que tu sois encore célibataire à ton âge. Deux : que tu vas le rester encore longtemps.
J’ignore la remarque à propos du célibat, j’enchaîne.
— Tu m’as dit y a pas cinq minutes que son message était plein de promesses.
— Oui, mais elles datent de quand ces promesses ?
— Un mois à peine.
— Autant dire une vie.
J’avais pas pensé à ça. En fait j’avais pas pensé du tout. J’ai retrouvé son petit mot presque par hasard le premier jour des vacances, j’ai pris le train.
— Tu me conseilles de lui passer un coup de fil ?
— Sans lui préciser que tu n’es plus qu’à une heure de chez elle, et je te conseille également de commander un truc plus fort. Je suis lasse de la bière. Sans parler que j’ai un creux.
— Sandwich ?
— Plutôt le plat du jour. Le jeudi c’est bœuf bourguignon. En général, le chef le réussit. À bien y réfléchir c’est même la seule chose qu’il réussisse.
Je m'exécute et m’isole pour téléphoner.
À mon retour la table est dressée dans le fond de la salle, y fume un bourguignon sur assiette. Sur le bord de ladite assiette une mouche se nettoie les mandibu… Les lèvres inférieures. À moins, bien sûr, que ce soient les supérieures…
Au point où j’en suis, j’ignore le fait qu’elle porte une serviette de la taille d’un confetti autour du cou. Voire plus petite qu’un confetti.
— Alors ? Elle dit.
Je m’assieds.
— Alors ça ne l’arrange pas : problèmes familiaux.
— En clair : elle a rencontré quelqu’un !
— Tu crois ?
— Eh, qui s’y connaît en femme ?
J'acquiesce, j’ai pas envie de discuter. D’autant que c’est une voix d’homme qui a répondu au téléphone et que j’ai dû décliner mon identité avant de pouvoir parler à Sarah.
Le bourguignon est excellent, j’en fait part à mon invitée qui ne répond pas, tout entière qu’elle est à mastiquer ou quelque chose du genre. Puis finalement si, pour me préciser que se serait bien meilleur accompagné d’un canon de rouge
Verre en main et mouche dessus, mon regard erre un long moment sur la gare. Que de quais, que de trains, que de valises en bout de bras de gens pressés…
— T’as déjà pensé à voyager, je lui demande.
— À voyager jusqu’à chez toi par exemple ?
— Par exemple.
— Impossible, j’ai le mal des transports.
L’alcool aidant je somnole quelques instants. Au réveil, plus de mouche. J’ai sans doute rêvé cette histoire. Je contrôle sur le portable, j’ai bien appelé Sarah, aucun doute de ce côté-là, mais à part ce fait établi…
À part ce fait, un autre : est écrit en sauce sur le bord de l’assiette « Il faut être ivre, tout est là.* »
C’est écrit en minuscules d’une écriture de pattes de mouche.
Bon, je crois que je vais me commander un calva.
*Charles Baudelaire
Yali- Nombre de messages : 8624
Age : 60
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Les trains aussi font mouche
j'inaugure timidement pour dire très simplement:
je ne vois rien à redire à ce texte où rien ne dépasse.
lisse et parfait.
si ce n'est le titre, qui n'est peut être justement pas à la hauteur du contenu développé...
je ne vois rien à redire à ce texte où rien ne dépasse.
lisse et parfait.
si ce n'est le titre, qui n'est peut être justement pas à la hauteur du contenu développé...
Invité- Invité
Re: Les trains aussi font mouche
Oui, un sans faute. :-)
Progression impeccable, au propre et au figuré.
Progression impeccable, au propre et au figuré.
Invité- Invité
Re: Les trains aussi font mouche
J'aurai bien rêvé de l'écrire celui-là. Pas de la chiure de mouche. Bon prochain exo faut que je me biture, if I understand.
J'ai une mouche posée sur ma bouche , un grain de beauté qu'a toujours combattu pour l'emporter sur mon grain de folie. Ptêtre faire grandir celui ci en parlant à celle ci.
Ouais mais je peux pas tout pomper quand même. GGrrrrrrrrr !
J'ai une mouche posée sur ma bouche , un grain de beauté qu'a toujours combattu pour l'emporter sur mon grain de folie. Ptêtre faire grandir celui ci en parlant à celle ci.
Ouais mais je peux pas tout pomper quand même. GGrrrrrrrrr !
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Les trains aussi font mouche
Un style qui fait mouche, oui, c'est le cas de le dire.
– « Les raisons invoquées « Malveillance ». » : un deux-points après « invoquées » ;
– « Ok » : « OK » ;
– « dans cet ordre là » : « ordre-là » (trait d'union) ;
– « Je t’en pose des questions moi ? » : virgule après « questions » ;
– « t’y connais aux femmes toi ? » : même principe, virgule après « femmes » ;
– « J’attends quelques instant » : « instants » ;
– « jamais mon pote » : virgule après « jamais » ;
– « de quand ces promesses ? » : virgule après « quand » ;
– « Sur le bord de ladite assiette une mouche » : virgule après « assiette », traditionnellement (je n'ai pas relevé ces nombreux cas de propositions circonstancielles placées en début de phrase et qui mériteraient une virgule, je suppose là des effets stylistiques voulus) ;
– « j’en fait part » : « fais part » ;
– « que se serait bien meilleur » : « ce » ;
– « d’un canon de rouge » : point.
– « de l’assiette « Il faut être » : manque le deux-points ;
– « tout est là.* » : l'astérisque est-elle volontaire ?
– « Les raisons invoquées « Malveillance ». » : un deux-points après « invoquées » ;
– « Ok » : « OK » ;
– « dans cet ordre là » : « ordre-là » (trait d'union) ;
– « Je t’en pose des questions moi ? » : virgule après « questions » ;
– « t’y connais aux femmes toi ? » : même principe, virgule après « femmes » ;
– « J’attends quelques instant » : « instants » ;
– « jamais mon pote » : virgule après « jamais » ;
– « de quand ces promesses ? » : virgule après « quand » ;
– « Sur le bord de ladite assiette une mouche » : virgule après « assiette », traditionnellement (je n'ai pas relevé ces nombreux cas de propositions circonstancielles placées en début de phrase et qui mériteraient une virgule, je suppose là des effets stylistiques voulus) ;
– « j’en fait part » : « fais part » ;
– « que se serait bien meilleur » : « ce » ;
– « d’un canon de rouge » : point.
– « de l’assiette « Il faut être » : manque le deux-points ;
– « tout est là.* » : l'astérisque est-elle volontaire ?
Invité- Invité
Re: Les trains aussi font mouche
Yali ou "L'homme qui parlait à l'oreille des mouches"
J'adore !
J'adore !
Kilis- Nombre de messages : 6085
Age : 78
Date d'inscription : 12/12/2005
Bravo.
C'est joyeusement loufoque et surréaliste, et dans le genre, tel quel, ça se laisse lire. C'est nocturne, décalé, et la perte de repères est parfaitement rendue. Bravo.
Ubik.
Ubik.
Bonheur.
Ben, tout pareil que mes prédecesseurs...
Rien à dire sinon que ce fut un régal!
Merci
Rien à dire sinon que ce fut un régal!
Merci
Marchevêque- Nombre de messages : 199
Age : 64
Date d'inscription : 08/09/2011
Re: Les trains aussi font mouche
la première moitié du texte m'a bien fait rire, ensuite j'ai trouvé les dialogues un peu longuets et lassants, l'équilibre entre dialogues et narration n'est sans doute pas optimum.
un brin trop intrusive cette mouche du coche, et puis une mouche qui vous donne du "mon pote", moi ssa m'ennerve.
si ça avait été moi, je l'aurais mouché en moins d'deux. enfin j'aurais essayé.
un brin trop intrusive cette mouche du coche, et puis une mouche qui vous donne du "mon pote", moi ssa m'ennerve.
si ça avait été moi, je l'aurais mouché en moins d'deux. enfin j'aurais essayé.
hi wen- Nombre de messages : 899
Age : 27
Date d'inscription : 07/01/2011
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