Scènes de la vie suivante

SCENETTE 1 :

LA SCENE SUIVANTE

- ­Bonjour Monsieur, je viens de la scène précédente. Nous sommes bien dans la scène suivante ?
- Non, là, vous êtes dans la scène précédente de la scène suivante. Moi-même, j'attends la mienne.
- Je ne comprends pas.
- Si elle suit la précédente, elle précède la scène suivante.
- Il n’y a pas moyen qu’elle soit courante ?
- Bah non. Si elle court, elle nous sème. Si elle nous sème, elle nous récolte. Si elle nous récolte, on est fauchés. Si on est fauchés, y a plus qu’à fermer boutique.
- Si vous le dites.
- Mais dites un peu, pour voir,c'était comment la scène d'avant ?
- C'était mieux, mais pas pire.
- Ici, c'est pire, mais c'est pas mieux.
- Qu'est-ce qu'on fait dans la scène suivante ?
- On attend la prochaine.
- Et elle arrive quand ?
- Toutes les deux minutes.
- C'est court.
- Ca suit.
- Vous ne devez pas avoir beaucoup le temps de vous attacher aux lieux...
- Ca dépend, en deux minutes, il peut se passer des choses... Il m'arrive parfois de voler des mots, d'une page à l'autre, pour les remettre dans la scène suivante.
- Oui, finalement, c'est épouvantable, vous ne faites que suivre les scènes suivantes !
- Détrompez-vous. A force, ce n'est plus vous qui suivez les scènes, ce sont les scènes qui vous suivent.
- Vous faites un peu la tournée, quoi.
- Voilà. Je fais toujours salle comble. tout le monde ne peut pas en dire autant..
- Je vous emmerde.
- Restez poli, et reconnaissez que vous ne m'avez pas ramené beaucoup de spectateurs...
- Un défaut de communication, je suppose.
- Qu'importe. Les faits sont là : vous occupez une place inutile au sein de ma scène. Vous parlez pour ne rien dire. Vous gâchez les choses.
- C'est faux !
- Comment ça, faux ? Un personnage qui n'intervient que pour poser des questions n'est pas un personnage ! C'est un prétexte !
- Personne ne m'a jamais traité de prétexte !
- Vous préférez qu'on vous dise que vous êtes con ?
- Ah "contexte", oui je veux bien !
- Vous me précédiez, n'est-ce pas ? Si vous devez être mon successeur, franchement, je plains mes prochaines pages, et les vôtres.
- Quittez cet air condescendant, je vous prie. Que je sache, avant que j'arrive, vous étiez seul ! Sans moi, vous ne seriez qu'un monologue.
- Croyez bien que je m'en porterais mieux ! Le dialogue n'a jamais fait avancer les choses.
- Et d'où tirez-vous ces extravagances de point de vue ?
- De mon auteur.
- Ah ? Et comment est-il ?
- Fort bon. Précieux par endroits, mais jamais vain.
- Puisque vous êtes si fort, monsieur le suiveur, m'autoriseriez-vous à vous rendre suivi ?
- Comment ?
- Puisque je ne suis qu'une enveloppe vide, comblez-moi ! Laissez-moi vous suivre !
- Non. Qui m'aime ne me suive pas et reste là. Je suis un suivant solitaire qui suit le fil des pages, évite les marque-pages et fuit tout droit devant.
- Droit devant, c'est la fin. Que ferez-vous après la scène finale ?
- J'attendrai la suite.
- Et si la suite ne suit pas ?
- Il faudra bien l'inventer.
- Seul ?
- Je ne suis pas seul. Mon auteur m'accompagne. Il est là. Il me protège.
- Et si je vous tue ?
- C'est impossible.
- Pourquoi ?
- Parce que mon auteur ne l'autorisera pas.
- Détrompez-vous. Il est passé aux réformes.

Le responsable de la dernière réplique extirpe de son manteau de brouillon une plume à six cartouches. Sans sommation, il tire sur le suiveur de pages, et devient le seul personnage encore vivant de la scène à venir.

Drôlatique. On pense à Devos, Tardieu, Dubillard, et même parfois Beckett (Godot). Tout ceci n'est pas forcement élogieux, puisque trop référenciel. C'est astucieux, justement peut-être trop. Par contre tu connais bien quelques notions autour du dialogue. Bravo. Maintenant tu pourrais rajouter un peu plus de subtance personnelle, inattendue. Merci quand même ce brillantissime divertissement.

C’est vif, bon rythme et plutôt bien mené avec à la fois du fond qui se tient jusqu’à la fin de la scène et une forme jouant avec les mots de manière assez habile.
Rien à redire donc, si ce n’est que ce n’est pas trop mon truc. J’ai lu d’en dehors, apprécié l’exercice mais ce n’est pas ce que j’attends d’un texte, mais c’est moi.

Bien agréable à la lecture.

Une réserve ici :

- Vous préférez qu'on vous dise que vous êtes con ?
- Ah "contexte", oui je veux bien !

Passage que j'ai trouvé faible, pourtant je sais qu'il ne l'est pas tant.
Au plaisir de vous relire.

Je suis assez d'accord avec ce qui a déjà été dit, c'est habile mais l'impression de lire un exercice de style m'a empêchée d'entrer dans la scène. De même, le "je vous emmerde" m'a surprise, presque jetée ; cette querelle n'en avait peut-être pas besoin... Je l'ai imaginé joué, et je crois qu'en tant que spectatrice ça m'aurait éloignée. Mais là je glose un peu, parce que j'ai beaucoup aimé. La fin de cette scène m'a tristement évoqué Barthes (l'auteur et mort, toussa), j'ai eu un mouvement de recul, mais c'est juste à cause d'un traumatisme de fac : je préfère ne pas commenter car ça éveillerait mon instinct (plutôt gratuit) de survie antiroland !

- Docteur, puis-je vous appeler Monsieur ?
- Mais certainement, où est-il ?
- Qui ça ?
- Eh bien, le monsieur !
- Je ne sais pas.
- Eh bien, appelez-le !
- Mais je n'ai pas son numéro !
- Ce n'est pas grave, composez au hasard, vous trouverez bien la bonne réponse.
- Je n'ai pas de téléphone !
- Volez-en un !
- Justement, nous y venons ! J'ai hier appris que j'avais en moi le sang d'un prisonnier.
- Et alors ?
- Vais-je subir des mutations génétiques ?
- C'est-à-dire ?
- Vais-je me transformer... en emprisonnable ?
- Le taux de probabilité est égal ou inférieur à la taille de vos questions.
- Comment les mesurer ?
- Prenez un mètre !
- Mais mes questions sont parties !
- Alors rejoignez-les.
- Mais elles sont déjà loin !
- Alors prenez l'avion.
- Les réservations sont closes !
- Prenez le bateau.
- Il a coulé !
- Alors, tant pis, vous les avez perdues, et vos réponses avec.
- Donnez-moi un médicament.
- Je ne peux pas.
- Pourquoi ?
- Je ne sais plus.
- Je comprends. Dites-moi ce qu'il faut que je fasse.
- Vous connaissez un bon vampire, dans le coin ?
- Je vais souvent à la banque, oui.
- Trouvez-en un et faites-vous sucer. Vous serez purgé de votre sang de prisonnier.
- Merci Docteur, vous êtes une chouette crapule.
- C'est mon métier, Madame, mon métier.
- Je vous quitte.
- Merci. Laissez les meubles.

Plus tard, sur un boulevard, à minuit...

- Bonjour Madame... Monsieur, vous sucez pour du sang ?
- Non, cent dix.
- Non, moi c'est Danielle. Pas Sandy. Danielle.
- Dans la voitoure, c'est cent dix. A l'hôtel, c'est cent dix.
- Oui, si vous voulez, je peux vous appeler comme ça.
- Bon, tu fais quoi, tou veux té faire souçer ou tou veux faire causette?
- Me faire Cosette ? Mais enfin Madame-Monsieur, j'aime trop les enfants pour me rabaisser à !
- No! Tou va pas mé baisser! Soit tou té casses soit tou file lé blé !
- Mais enfin Masieur-Mondame ! Nous sommes à trois heures de la campagne, comment voulez-vous que je vous en trouve ? Du couscous, passe encore ! Mais du blé !
- Té soucerai là-bas si tou es gentil !
- Mes sous seraient où ? Ecoutez, vous n'y comprenez rien. Visiblement, nous ne parlons pas la même langue.
- Da, da, jé mets la langue.
- Au revoir, chose.

Je viens de lire le premier extrait dont je trouve qu'il est vraiment bien fichu, les répliques fusent et rebondissent naturellement de l'une à l'autre, sans que cela apparaisse forcé ou trop voyant. Devos oui, absolument... Beckett aussi.
Concernant la deuxième scène, je suis un tout petit peu moins enthousiaste, peut-être gênée par la volonté d'inscrire l'échange dans l'actualité ? Mais surtout le démarrage, assez lent jusqu'à la question qui motive le dialogue. Concernant le tout dernier passage, c'est le contraire, j'ai bien aimé le début, le jeu sur "sang/cent/ Sandy", j'ai trouvé le reste contraint, discutable...

Fort bon. Précieux par endroits, mais jamais vain.

Il y a du Pierre Dac dans tout ça.

Je serai curieux de voir le texte joué.
Il m'est avis que ce serait fort sympathique.

une petite impresion de nonsense à la monty python ou ionesco sur le premier. Moins d’intérêt sur le deuxième, peut être l'effet de surprise passé et une volonté de cadrer l'action.

Sinon, c'est plaisant, j'avais pas lu de théâtre depuis longtemps , et c'est sympa a lire en imaginant les comédiens (pis les meilleurs comédiens du monde sont dans nos têtes)

*serais*
Je rejoins Alek sur ce point :

Moins d’intérêt sur le deuxième, peut être l'effet de surprise passé et une volonté de cadrer l'action.