fait divers
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fait divers
Je rase les murs. Je me faufile entre les lampadaires. Je me fonds dans la grisaille. Un caméléon urbain. Un avatar virtuel. Une tache de survie.
Quand les humains me croisent de leur regard, je n’y lis que le mépris, le dégoût ou la peur.
J’appartiens au peuple des trottoirs et des portes cochères, dont je ne connais, pour seul luxe, que l’ombre qui dissimule.
Je ne sais pas très bien pourquoi je suis parti de là bas pour arriver ici. J’ai avancé, jour après jour. Une patte après l’autre. Voilà tout. Mon voyage ? Comme tous les voyages. Un jour ça va, le lendemain est un océan de peurs, de doutes.
Mais, même lorsqu’on vient juste de décider de partir, même si on n’a fait que le premier de tous les pas à venir, derrière est plus loin que devant.
Alors, j’ai marché, marché et encore marché. Me nourrissant de menues rapines. Volant aux arbustes leurs fruits, et aux poulaillers leur viande. Poursuivi, souvent. Mais jamais attrapé.
Maintenant, je vis dans une forêt dont les arbres géants sont de pierre. Jamais les immeubles ne sont en fleurs. Il n’y a jamais de fruits. Jamais de couleurs d’automne. C’est l’hiver toute l’année.
Les fruits qui nourrissent sont dans des grosses boîtes en fer ou en plastique, le long des trottoirs, de la nuit tombante au tout petit matin, lorsque les monstres d’acier, bruyants et puants, viennent tout avaler.
Je rase les murs. Le jour.
La nuit, c’est différent. Les humains, qui entrent ou sortent des soleils kaléidoscopiques des lieux où ils s’amusent, mangent, boivent, dansent, et fabriquent leurs plans baise, dans les beaux quartiers, n’ont plus la vision assez claire pour me voir.
J’en profite alors pour faire les poubelles. La bouffe est fraîche, là. Pas de pourriture. Juste le bon goût des aliments. Parfois, même, c’est encore chaud. Je dois juste faire attention à ne pas renverser le container. Sinon, les vigiles arrivent comme des fous, et je dois détaler ventre à terre. Enfin, c’est une façon de parler… C’est pas demain la veille que mon bide va traîner par terre !
Mais hier, j’ai fait une grosse connerie. J’errais du côté la Butte. Le quartier de la goutte d’or. J’aime bien Montmartre. Les humains semblent moins tueurs que dans les autres quartiers. Je pouvais me montrer, discrètement. Marcher au milieu des gens. Me faufiler entre leurs pantalons au pli bien rectiligne, ou leurs bermudas informes.
Mais, j’ai vu, sur un étal de boucher, un rôti de rêve. Comme je n’en avais jamais vu, et encore moins mangé, de toute ma vie. D’un beau rouge vif, bardé avec art, quelques feuilles de persil vert…
En un tournemain, je m’en saisis et détale à toute vitesse, slalomant entre les jambes des passants, poursuivi par les hurlements du boucher et de la foule hargneuse. Des mains me frôlent en essayant de me saisir. Des jambes se tendent pour me jeter à terre. Je cours à perdre haleine, me jetant de droite et de gauche dans les ruelles pour échapper aux poursuivants, qui heureusement perdent vite pied.
Un recoin tranquille. Une petite niche. Un trou d’ombre. Je n’y tiens plus. Je ne suis plus que dents et estomac vide. Sauvagement, j’arrache d’énormes bouchées de cette vie morte qui redonne vie à ma presque mort.
Tous mes sens en éveil, douloureusement tendus, guettent le moindre signe d’alerte. Mais tout est calme. Seuls les claquements de mes mandibules troublent le bruyant silence feutré de ce coin de ville…
Mon estomac s’alourdit. Mais ma frénésie est intacte. Ce n’est qu’une fois. Et c’est la première. Y en aura-t-il une autre ? Je lutte contre la torpeur et les nausées. Ma pensée se dilue entre enfer et paradis.
Sans m’en rendre compte, je bascule dans un monde incertain. Mon corps, lentement, s’affaisse, luttant contre des nausées spasmodiques. Le noir tombe sur moi.
Une heure, un jour, une éternité plus tard, suintant d’un irréel hors du temps et de l’espace, des bruits sourds, presque apaisants, et en même temps incroyablement agressifs et vrillants, m’arrachent à cette matrice étrange, faite de paix et de douleur, de sécurité et de mort imminente.
Chocs de métal sur du métal. Grondements de moteurs qui font vibrer tout mon corps, et le sol qui le soutient. Cris affolés. Sirènes hurlantes. Eclats de lumières rouges et bleues. Mains et voix douces d’un foyer oublié, hurlements et brutalité d’une réalité qui s’oppose à un vivable.
Je me sens arraché, disputé comme une charogne, entre berceau et hyènes. Trituré, écartelé…
Ce sont sans doute les charognards qui ont vaincu les mains tendres.
Mon corps heurte lourdement un sol froid et dur. Ce sol se dérobe, m’envoyant valdinguer violemment contre des parois aussi froides, hérissées d’aspérités, de fûts qui n’ont rien des souples roseaux de la terre de quand je connaissais une rudesse empreinte de douceur.
Un nouveau trou noir.
Réveil pénible. Mais un réveil, celui-ci. Avec des objets et des sons identifiables autour de moi.
Les objets. Le morceau de sac de je ne sais trop quoi sur lequel je suis couché. Je ne sais pas si on peut à proprement parler (mouarf, je me marre là, donc je ne dois pas être encore totalement mort !) d’objets à propos des divers exsudats avec lesquels je partage ce morceau de rebus grossièrement tissé. Il y a aussi les barreaux de ferraille et le grillage qui délimitent mon espace vital. Et puis, aussi, les chaînes qui m’empêchent d’explorer mon nouveau territoire….
Les sons. Les cris, ou hurlements déments, affolés, ou les gémissements dérisoires, qui passent de cage en cage, sorte de « hola » célébrant le désespoir et le dérisoire de la vie. Les coups de matraque sur les cages, les rugissements des gardiens pour essayer de faire taire les voix de l’enfer. L’enfer dont ils sont les kapos. L’enfer qu’ils vont oublier dès les portes franchies, devant la soupe à Bobonne, et la bouillie de la propagande aseptisée de la fenêtre sur un virtuel qu’ils ne vivront jamais, mais qui hantera la nuit de chacune des parcelles de leur corps jusqu’à la dernière seconde de leur dernier souffle.
C’est mon jour. Le fracas des grincements insupportables de la porte qui s’ouvre. Les entraves qui me permettent à peine d’avancer une patte après l’autre. Les coups sur tout le corps pour que j’avance plus vite vers cet aveuglement qui a été un jour la lumière.
De nouveau, le voyage brutal dans cette cage mouvante.
La muselière pour que ne puisse pas crier ma détresse aux autres animaux embarqués avec moi.
Pourtant, je sais, je sens, que chaque pore de ma peau hurle de peur, de honte, de souffrance, de désir de mort. Pourtant, je sens, je sais, qu’ils doivent le sentir, et qu’ils doivent entendre mes hurlements silencieux… Mais sans qu’ils aient envie de savoir que j’existe.
On arrive. Le jour est différent. La lumière ne me fait plus mal, comme si elle était une amie. Un regard se pose sur moi, sans haine. On me délie. On m’enlève ma muselière, mais je n’ai plus envie de hurler, ni de m’enfuir.
On m’étreint, avec douceur. Les larmes qui ruissellent sur mes joues ne sont pas que les miennes.
Il vaut mieux être un homme parmi des hommes qui ne le sont qu’à moitié, qu’un chien parmi des hommes qui ont décidé d’être les seuls à avoir le droit de l’être totalement.
Peut-être que le cœur est le dernier organe à vouloir vivre sainement chez les pestiférés.
Quand les humains me croisent de leur regard, je n’y lis que le mépris, le dégoût ou la peur.
J’appartiens au peuple des trottoirs et des portes cochères, dont je ne connais, pour seul luxe, que l’ombre qui dissimule.
Je ne sais pas très bien pourquoi je suis parti de là bas pour arriver ici. J’ai avancé, jour après jour. Une patte après l’autre. Voilà tout. Mon voyage ? Comme tous les voyages. Un jour ça va, le lendemain est un océan de peurs, de doutes.
Mais, même lorsqu’on vient juste de décider de partir, même si on n’a fait que le premier de tous les pas à venir, derrière est plus loin que devant.
Alors, j’ai marché, marché et encore marché. Me nourrissant de menues rapines. Volant aux arbustes leurs fruits, et aux poulaillers leur viande. Poursuivi, souvent. Mais jamais attrapé.
Maintenant, je vis dans une forêt dont les arbres géants sont de pierre. Jamais les immeubles ne sont en fleurs. Il n’y a jamais de fruits. Jamais de couleurs d’automne. C’est l’hiver toute l’année.
Les fruits qui nourrissent sont dans des grosses boîtes en fer ou en plastique, le long des trottoirs, de la nuit tombante au tout petit matin, lorsque les monstres d’acier, bruyants et puants, viennent tout avaler.
Je rase les murs. Le jour.
La nuit, c’est différent. Les humains, qui entrent ou sortent des soleils kaléidoscopiques des lieux où ils s’amusent, mangent, boivent, dansent, et fabriquent leurs plans baise, dans les beaux quartiers, n’ont plus la vision assez claire pour me voir.
J’en profite alors pour faire les poubelles. La bouffe est fraîche, là. Pas de pourriture. Juste le bon goût des aliments. Parfois, même, c’est encore chaud. Je dois juste faire attention à ne pas renverser le container. Sinon, les vigiles arrivent comme des fous, et je dois détaler ventre à terre. Enfin, c’est une façon de parler… C’est pas demain la veille que mon bide va traîner par terre !
Mais hier, j’ai fait une grosse connerie. J’errais du côté la Butte. Le quartier de la goutte d’or. J’aime bien Montmartre. Les humains semblent moins tueurs que dans les autres quartiers. Je pouvais me montrer, discrètement. Marcher au milieu des gens. Me faufiler entre leurs pantalons au pli bien rectiligne, ou leurs bermudas informes.
Mais, j’ai vu, sur un étal de boucher, un rôti de rêve. Comme je n’en avais jamais vu, et encore moins mangé, de toute ma vie. D’un beau rouge vif, bardé avec art, quelques feuilles de persil vert…
En un tournemain, je m’en saisis et détale à toute vitesse, slalomant entre les jambes des passants, poursuivi par les hurlements du boucher et de la foule hargneuse. Des mains me frôlent en essayant de me saisir. Des jambes se tendent pour me jeter à terre. Je cours à perdre haleine, me jetant de droite et de gauche dans les ruelles pour échapper aux poursuivants, qui heureusement perdent vite pied.
Un recoin tranquille. Une petite niche. Un trou d’ombre. Je n’y tiens plus. Je ne suis plus que dents et estomac vide. Sauvagement, j’arrache d’énormes bouchées de cette vie morte qui redonne vie à ma presque mort.
Tous mes sens en éveil, douloureusement tendus, guettent le moindre signe d’alerte. Mais tout est calme. Seuls les claquements de mes mandibules troublent le bruyant silence feutré de ce coin de ville…
Mon estomac s’alourdit. Mais ma frénésie est intacte. Ce n’est qu’une fois. Et c’est la première. Y en aura-t-il une autre ? Je lutte contre la torpeur et les nausées. Ma pensée se dilue entre enfer et paradis.
Sans m’en rendre compte, je bascule dans un monde incertain. Mon corps, lentement, s’affaisse, luttant contre des nausées spasmodiques. Le noir tombe sur moi.
Une heure, un jour, une éternité plus tard, suintant d’un irréel hors du temps et de l’espace, des bruits sourds, presque apaisants, et en même temps incroyablement agressifs et vrillants, m’arrachent à cette matrice étrange, faite de paix et de douleur, de sécurité et de mort imminente.
Chocs de métal sur du métal. Grondements de moteurs qui font vibrer tout mon corps, et le sol qui le soutient. Cris affolés. Sirènes hurlantes. Eclats de lumières rouges et bleues. Mains et voix douces d’un foyer oublié, hurlements et brutalité d’une réalité qui s’oppose à un vivable.
Je me sens arraché, disputé comme une charogne, entre berceau et hyènes. Trituré, écartelé…
Ce sont sans doute les charognards qui ont vaincu les mains tendres.
Mon corps heurte lourdement un sol froid et dur. Ce sol se dérobe, m’envoyant valdinguer violemment contre des parois aussi froides, hérissées d’aspérités, de fûts qui n’ont rien des souples roseaux de la terre de quand je connaissais une rudesse empreinte de douceur.
Un nouveau trou noir.
Réveil pénible. Mais un réveil, celui-ci. Avec des objets et des sons identifiables autour de moi.
Les objets. Le morceau de sac de je ne sais trop quoi sur lequel je suis couché. Je ne sais pas si on peut à proprement parler (mouarf, je me marre là, donc je ne dois pas être encore totalement mort !) d’objets à propos des divers exsudats avec lesquels je partage ce morceau de rebus grossièrement tissé. Il y a aussi les barreaux de ferraille et le grillage qui délimitent mon espace vital. Et puis, aussi, les chaînes qui m’empêchent d’explorer mon nouveau territoire….
Les sons. Les cris, ou hurlements déments, affolés, ou les gémissements dérisoires, qui passent de cage en cage, sorte de « hola » célébrant le désespoir et le dérisoire de la vie. Les coups de matraque sur les cages, les rugissements des gardiens pour essayer de faire taire les voix de l’enfer. L’enfer dont ils sont les kapos. L’enfer qu’ils vont oublier dès les portes franchies, devant la soupe à Bobonne, et la bouillie de la propagande aseptisée de la fenêtre sur un virtuel qu’ils ne vivront jamais, mais qui hantera la nuit de chacune des parcelles de leur corps jusqu’à la dernière seconde de leur dernier souffle.
C’est mon jour. Le fracas des grincements insupportables de la porte qui s’ouvre. Les entraves qui me permettent à peine d’avancer une patte après l’autre. Les coups sur tout le corps pour que j’avance plus vite vers cet aveuglement qui a été un jour la lumière.
De nouveau, le voyage brutal dans cette cage mouvante.
La muselière pour que ne puisse pas crier ma détresse aux autres animaux embarqués avec moi.
Pourtant, je sais, je sens, que chaque pore de ma peau hurle de peur, de honte, de souffrance, de désir de mort. Pourtant, je sens, je sais, qu’ils doivent le sentir, et qu’ils doivent entendre mes hurlements silencieux… Mais sans qu’ils aient envie de savoir que j’existe.
On arrive. Le jour est différent. La lumière ne me fait plus mal, comme si elle était une amie. Un regard se pose sur moi, sans haine. On me délie. On m’enlève ma muselière, mais je n’ai plus envie de hurler, ni de m’enfuir.
On m’étreint, avec douceur. Les larmes qui ruissellent sur mes joues ne sont pas que les miennes.
Il vaut mieux être un homme parmi des hommes qui ne le sont qu’à moitié, qu’un chien parmi des hommes qui ont décidé d’être les seuls à avoir le droit de l’être totalement.
Peut-être que le cœur est le dernier organe à vouloir vivre sainement chez les pestiférés.
lindelle- Nombre de messages : 28
Age : 55
Date d'inscription : 11/08/2007
Re: fait divers
C'est bien écrit, bien organisé ... et pourtant j'ai eu du mal à vraiment m'intéresser au sujet. Pourtant, j'aime beaucoup les animaux mais là, je ne sais pas, pas vraiment touché malgré la qualité d'écriture.
"qu’un chien parmi des hommes qui ont décidé d’être les seuls à avoir le droit de l’être totalement." pas tout compris,là. Ca voudrait dire que le chien voudrait avoir le droit d'être un homme ? pas très claire cette phrase.
"qu’un chien parmi des hommes qui ont décidé d’être les seuls à avoir le droit de l’être totalement." pas tout compris,là. Ca voudrait dire que le chien voudrait avoir le droit d'être un homme ? pas très claire cette phrase.
Charles- Nombre de messages : 6288
Age : 49
Localisation : Hte Savoie - tophiv@hotmail.com
Date d'inscription : 13/12/2005
Re: fait divers
En comparaison avec les autres textes que tu as déjà posté, je trouve que les phrases sont nettement moins longues.
Malgré ça, je ne suis pas, comme pour tes textes précédents, rentrée dedans...
Tant pis, peut-être la prochaine fois...
Malgré ça, je ne suis pas, comme pour tes textes précédents, rentrée dedans...
Tant pis, peut-être la prochaine fois...
ninananere- Nombre de messages : 1010
Age : 49
Localisation : A droite en haut des marches
Date d'inscription : 14/03/2007
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