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Faits-divers

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Lucy
ubikmagic
silene82
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Message  silene82 Dim 7 Mar 2010 - 18:34

Jonathan vole avec persévérance, mais sans excès. De l'argent traîne toujours un peu partout, dans le bureau, tapi derrière le comptoir massif. Dans divers lieux parfois insolites. Sucriers. Bonbonnières. Tiroirs.
Piécettes d'aluminium, d'un faible, mais réel, pouvoir d'achat. Grosses et lourdes pièces de cuivre, allié, qui valent demi-franc. On y retrouve quelque chose de la superbe royale, accommodée à la sauce républicaine. Une qui échoit vaut pactole, ou Byzance : le prix de deux croissants. Ou de nuées de coquilles St Jacques de mirliton, naines de taille et en plastique, emplies d'un magma rouge solidifié, de glucose à l'état quasi pur. Hormis les colorants. Versés à lourde main.
D'admirables fraises, aériennes, d'une texture nuageuse, prétendue meringuée, sont également fort prisées.
Des tubes allongés de plastique rigide, assez semblables à des pailles qui se seraient décolorées, sont emplis d'un mélange curieux qu'on appelle coco.
La petite boulangerie d'en haut a quelques boîtes de bonbons.
La boulangère est lourde, et traîne la jambe sans entrain en s'aidant d'une canne. Elle sent la fatigue et la peine.
Jonathan, entré hardiment et avec enthousiasme dans le crime, car c'est ainsi qu'il sait que ses prélèvements seraient qualifiés, comme on dit en droit pénal, est néanmoins d'humeur fort sereine : il a élaboré une assez belle péroraison construite sur l'irréfutable droit canon des Écritures, qui ordonne expressément qu'il soit laissé de larges bandes de blé au pauvre pour qu'il puisse glaner. Ordre de l'Éternel, qui assoit l'autorité de ce décret sur deux conséquences : soit le riche quant aux biens du monde en entend la divine origine, l'applique amplement et attire sur lui une pluie ininterrompue de bénédictions en tous genres, troupeaux se multipliant plus que de raison, fils et filles à faire craquer les parois, abondance générale en toutes choses, soit il se ferme l'oreille, et finit mendiant, pour faire court.
Jonathan est apte à élaborer une casuistique serrée, qui sentirait certes son jésuitisme, ce que la régente ne pourrait que renifler avec horreur, mais justifierait, dans une version acceptable parpaillotement, en excipant de la direction d'intention, les emprunts filiaux, afin, soutiendrait-il, d'attirer la bénédiction sur la maison.
Jonathan se verrait volontiers pousser les conséquences logiques de son plaidoyer pro domo jusqu'à leur logique extrême, et se revendiquer comme bienfaiteur de la famille à travers la pertinence de son geste, qui aurait permis à l'Éternel, qui a certainement les yeux braqués sur la régente, de constater que ses ordres étaient fidèlement appliqués : au logis d'icelle, et ce n'est pas logis, mais affaire commerçante, et donc d'autre nature que strictement domestique, on laisse à dessein traîner de la monnaie en direction du pauvre. Job en mieux, et surtout, au temps de sa prospérité.
Il n'est cependant pas téméraire, en son âge tendre, jusqu'à énoncer une incongruité pareille, qui lui vaudrait immanquablement une comparution comme il en a vécu, parfois.
La régente :
- Mmm, tu vas dire à ton père ce qui s'est passé, mmm ?
Il n'en faut généralement pas plus pour allumer la chaudière, qui monte fort vite en température. Et en vapeur fumante, brûlante, et désordonnée. En plus d'incontrôlable.
Mais Jonathan est très gentil, en cet âge tendre. Il n'a d'ailleurs jamais eu de conflit avec l'autorité gouvernante, il sourit avec une confiante niaiserie au lendemain, dont il n'attend, d'ailleurs, rien de particulier.
Ses larcins sont de toute façon impunis, puisque inconnus : ce sont de trop petites choses pour qu'on en tienne le compte, le vrai argent consiste en billets, et les billets, ça se serre. En un lieu adéquat.
La boulangère est bien brave. Elle sourit gentiment au petit benêt qui, braqueur émérite, vient en virée claquer le fruit de ses rapines, croissant, pain au chocolat, bonbons divers.
Avec une astuce qui l'a émerveillé lui-même, il s'est résolu à ne sortir que deux pièces, mais les fleurons : il est persuadé que la boulangère pourrait peut-être lire sur son front que la provenance des subsides est douteuse, voire criminelle ; une poignée de ferraille serait, à ses yeux, des plus suspecte.
Jonathan, aime à se féliciter de sa capacité d'anticipation inventive.
Il sort avec assurance, comme un milord, lui qui n'a encore jamais rien acheté, ses deux pièces considérables, La boulangère, qui, du fait de leur taille, les reconnaît, sourit encore plus large, non qu'elle soit cupide, mais le bel argent fait plaisir à voir.
C'est si vrai qu'au retrait, Jonathan compte, avec une gravité de ministre, les diverses monnaies, dont certaines étrangères, l'endroit étant cosmopolite, qu'il range, exhumées de ses poches, en tas suivant leur intérêt, et, surtout, leur esthétique. La valeur est secondaire. En ces temps de passage d'un monde ancien, où les religieuses vont en cornette et sont infirmières, les curés s'appellent Paulot et pointent chez Petit-Louis, et des temps nouveaux qui bruissent de cris stridents, il arrive assez fréquemment que des pièces du Second Empire, le sou de cinq centimes avec le barbichu Badinguet, échoient dans ses poches. Elles s'utilisent sans encombre.
Les voitures sont encore peu nombreuses, on se gare n'importe où, nul n'y voit à redire.
Quand la boulangère, de son crayon gras de charpentier, a établi la note, sur le gris papier râpeux qui emballe les flûtes, elle serre en son tiroir les belles pièces qu'on prend de confiance, et rend la monnaie.
Jonathan n'avait pas prévu cela dans son scénario. Il recule, bredouille. Il ne veut pas prendre l'argent. La boulangère le regarde, surprise : il demande qu'elle le lui garde jusqu'après l'école ; il se rend compte que ses demandes incohérentes le rendent, maintenant, quelque peu suspect. Alors, respirant un grand coup, le cœur battant aux tempes, il ramasse la monnaie et file avec son butin.
Terrorisé de transporter au vu et au sus de tous le produit de ses soustractions monétaires, et persuadé que chacun lit en lui comme l'œil en Caïn, dont les sombres accents résonnent à ses oreilles, il s'empiffre maladroitement, pressé d'enfouir le cadavre.
Pour les bonbons, c'est plus aisé, ça se transporte, ça se donne : les largesses rendent la vie acceptable, a reconnu Jonathan, qui jouit de quelque surface, malgré les évidentes disgrâces dont il est décoré, l'une d'entre elles, quasi impossible à contrer, étant sa condition de bon élève aimant l'école.
L'état de cancre est de bon ton ; il y aurait déchéance, peut-être, chez les fils du sud, souvent issus de maçons piémontais rustres et travailleurs, qui rêvent d'une autre condition pour leurs rejetons, à transgresser, même pour accomplir un vœu familial d'envol social, la loyauté non-écrite à l'histoire de leur clan.
Jonathan est fils de notable. C'est ainsi. Réfugié dans les livres, il aime l'atmosphère des classes, peuplées abondamment des collectes déposées par strates dans des vitrines jaunes, squelettes de tous acabits, de la musaraigne à l'échidné, herbiers disparates et interrompus, bibliothèque, alignant sous un même papier bleu, avec une étiquette en belle ronde, des flots de livres d'éditions populaires, délectables mais trop vite lus. Les cartes majestueuses, où la France rayonne sur le monde, et se révèle un insolent paradis, qu'on comprend que tous convoitent, car on y trouve tout, et chaque lieu de quelque importance a son industrie, et son agriculture, sont accrochées, si nombreuses qu'il faut en mettre plusieurs aux mêmes clous. Les fenêtres ouvrent sur des marronniers et des tilleuls, dès avril les fenêtres sont ouvertes, et le grand cèdre se balance, paterne.
Tout est intéressant, même connu : c'est sujet de controverse, donc de débat. Délicieux. Jonathan confronte ses lectures, et les maîtres, généralement charmés d'une occasion de sortir du rôle fastidieux de rabâcheurs de lieux communs et de truismes, argumentent, ou démontrent.
La dispute, qui devrait susciter quelque intérêt dans la classe, la dérange plus qu'autre chose : le ronron ordinaire permettait une attention relâchée, en pilotage automatique. Là, la vivacité des échanges, le nombre de références bousculent et déconcertent, en plus de réveiller.
Jonathan en a mauvaise presse, sauf chez quelques uns, élevés dans le respect et l'amour du savoir. Plutôt scientifique d'ailleurs, mais, en ces temps d'éclectisme brillant, où d'accortes demoiselles, sous le nez de boutonneux escogriffes, entreront majors à l'X et parleront le russe, entre autres menus talents, la connaissance des auteurs qui ont construit le monde mental occidental coulait de source.
Jonathan est un rêveur éveillé, que l'implacable pragmatisme qu'exige la science exclut à tout jamais de son temple . Il rêve d'impossibles machines, qui ne sont que fumées et nuages : la réflexion analytique, la compréhension mathématique, il en est dépourvu. Il arrive, sur le terrain commun de la littérature, à se lier d'une amitié véritable, comme on dit de l'or : le garçon est franc comme du bon pain, et beau comme une fille. Un beau visage italien, que l'on trouve dans la statuaire. Lèvres charnues, beau regard chaud et calme, peau d'enfant du sud, hâlée au premier rayon. D'un sérieux appliqué et capable, et souvent brillant. Il n'aime pas briller, d'ailleurs, et s'il le fait, c'est malgré lui. A contrecœur, et sans contrefaire.
Jonathan a compris intuitivement, sans pouvoir le formaliser ni en extraire une stratégie, que le message, et la manière dont il est délivré prime souvent sur son contenu.
Cri-Cri dissèque et analyse, doute et interroge. Jonathan bâtit d'innombrables théories, les pousse à leurs conséquences ultimes, et en privilégie une, qui le satisfait. Cri-Cri la passe au crible, sans complaisance. Jonathan argumente, la beauté du discours l'emportant sur le fonds : il s'en targue d'ailleurs, rappelant que chez les Grecs l'éloquence est l'art suprême.
Ils s'entendent bien.
Un jour que Jonathan passe le petit pont de la rivière, il est accosté par deux galopins, dont l'un fut son condisciple. Qui lui demande, avec un profond étonnement, pourquoi, lorsqu'ils étaient au même banc, il refusait de lui communiquer les solutions des problèmes. Jonathan, inquiet mais héroïque, imprégné d'images de grands camisards, yeux au cieux, affirme, comme devant la question, et l'ordinaire fait déjà peur, le credo du bon élève, dans son verset particulier « bon élève point de solutions passera et de souffler extrêmement se gardera », qu'il formule de manière simplifiée, voulant se rendre intelligible. L'autre ahuri, s'enquiert pour vérifier s'il a bien compris, et s'éloigne avec son comparse, hochant la tête.
Jonathan mourrait pour des idées, s'il fallait. Peut-être.
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Message  ubikmagic Dim 7 Mar 2010 - 19:33

Elegance de style, ton curieusement détaché, ironique, érudition et verve, voilà une lecture qui demande une certaine lenteur, une patience teintée de gourmandise. Mais on n'est point déçu d'avoir su s'adapter à ta prose. Toujours intelligent et réjouissant pour l'esprit.

Par contre, j'attendais une déconvenue, un retour de manivelle par rapport à l'histoire des menus larcins, et non. Curieux. Tu gardes ça pour après ? Sinon, on a l'impression que tu as semé une graine et oublié de l'arroser.

Bises et à la prochaine,


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Message  Invité Lun 8 Mar 2010 - 19:38

Toujours aussi bien écrit. La dernière partie du texte semble en rajout de ce qui précède, c'est dommage, parce que du coup les menus larcins de Jonathan, qui laissaient promettre de trépidantes péripéties, tombent à plat.

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Message  Invité Lun 8 Mar 2010 - 19:40

NB : fait divers

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Message  Lucy Mar 9 Mar 2010 - 4:51

Bien, comme pour les autres textes, j'ai apprécié. Voilà... C'est un peu plat, je sais, mais il est tard et je fatigue...
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Message  conselia Mar 9 Mar 2010 - 19:17

Jamais ne me lasse. Tout est bon, et une suite viendra sans doute donner raison à l'installation du suspens en suspens.
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Message  CROISIC Mer 10 Mar 2010 - 13:47

Jonathan m'aurait bien déçue s'il n'avait commis quelques larçins. Et sous ta plume Silène cela n'en a que plus de saveur. Je suis, donc je suis !
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Message  outretemps Mer 10 Mar 2010 - 15:36

Salut Silène,
Voilà que je joue au correcteur! Jusqu'où irais-je?

Les fenêtres ouvrent sur des marronniers et des tilleuls, dès avril les fenêtres sont ouvertes,
je trouve "pilote automatique" assez malvenu.

Et au critique, en plus:
Ceci dit: j'aime bien ta façon de dire l'enfance. La plume reste la tienne en souplesse, élégance ... comme en apparente ... célérité. (hélas)
A quand la symphonie?
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Message  Arielle Dim 14 Mar 2010 - 9:17

Toujours le même plaisir à déguster l'humour et les digressions de ton histoire.
L'histoire elle-même patine un peu et j'ai du mal à concevoir que tu parles du même personnage dans les deux passages suivants. Jonathan semble faire par moment des poussées de croissance plutôt déconcertantes pour le lecteur ...

Il sort avec assurance, comme un milord, lui qui n'a encore jamais rien acheté, ses deux pièces considérables ... elle serre en son tiroir les belles pièces qu'on prend de confiance, et rend la monnaie.
Jonathan n'avait pas prévu cela dans son scénario. Il recule, bredouille. Il ne veut pas prendre l'argent


Cri-Cri dissèque et analyse, doute et interroge. Jonathan bâtit d'innombrables théories, les pousse à leurs conséquences ultimes, et en privilégie une, qui le satisfait. Cri-Cri la passe au crible, sans complaisance. Jonathan argumente, la beauté du discours l'emportant sur le fonds : il s'en targue d'ailleurs, rappelant que chez les Grecs l'éloquence est l'art suprême.
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