Prénoms d'une vie
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Prénoms d'une vie
Comment tu t’appelles, petit papillon ?
Dis, comment tu t’appelles ?
Moi, je m’appelle Sonia. Et toi ?
Du jardin où elle jouait lui parvenait la voix de la petite fille.
« Parpaioun » : voulait-il répondre, « Parpaioun » ferait un beau prénom. Mais Julien Lebat n’avait pas d’ailes. Juste des souvenirs. Et des années nombreuses derrière lui. Nostalgique, se sentait-il, nostalgique des avenirs d’enfance ouverts à tous les envols, à tous les imaginaires. Il se remémora les voies, chemins de fer qui filent en tous sens, ces rails posés sur terre, des vallées jusqu’aux sommets enneigés ; il imagina les lignes sur la mer, scintillantes, sillages de fer courant vers l’incertain ; se représenta les traits blancs parallèles rayant le ciel où circulent les tramways pour des lendemains que l’on dit chantants.
Julien ! Julien !
A quoi il rêve le soleil quand il se couche, tu le sais, toi, à quoi il rêve ?
Moi, je connais son prénom. Il s’appelle Joël, le soleil, quand le matin il se réveille et met de la lumière partout. Un, deux, trois, Jojo. Un, deux, trois.
Il contemplait les arbres pliés comme un adieu fait à l’avenir.
Sa pensée suivait le chemin des ramures, noueuses, égarées, entre feuillage et ciel ; elle croisait parfois, quand il perçait la feuillée, le sourire de Joël.
Julien !
Le soleil…, la tête dans la lune, il songe aux profondeurs de la mer, pour sûr.
Les rayons de lumière traversaient les ténèbres de l’oubli, illuminaient les souvenirs qui redonnaient vie à Mireille.
Mireille : prénom d’une clarté surgie dans la noirceur des routes perdues. Celle qu’appelle le rougeoiement dans le ciel sombre aux derniers éclats du jour finissant : Mireille.
S’il avait marché jusqu’aux lueurs, s’il avait couru jusqu’au bord du soleil, près de Joël amant de Mireille, quelle vie aurait-il eu ? Quelle vie ?
Des chevauchées peut-être sur des cavales de vent, des moments exaltés et brûlants, peut-être, ou des sérénités douces d’éternités, ou mille tourments de plus, peut-être, d’insupportables tourments.
Julien !
Où vont les routes que l’on n’a pas choisies, où vont les chemins des possibles que l’on n’a pas pris ?
Mireille, prénom d’une voie délaissée. Mireille, lointaine destinée refusée.
Je connais un arbre, il s’appelle Olivier. Je vais te le montrer.
Joli papillon, viens avec moi, viens jouer. Dis : elles s’appellent comment toutes les feuilles des arbres, toutes celles tombées de leurs branches ?
Combien de feuilles tombées ? Sans nom, sans postérité. Durée de vie le temps d’une saison. Combien de choses sans nom ? Combien d’innommé dans les portions de vies inconsolées, de choses sans nom pétries d’émotion ?
Une à une, elles tombent sans rien pour les tenir.
Tout s’en va. Tout. Indiscernable. Insignifiant.
Dans sa chute s’en va périr, une feuille jouant encore un peu, un instant trop court, avec Joël au jardin avant de toucher la terre doucement au nom de Mater.
Il faudrait les nommer pour les retenir ; rien ne peut manquer à l’appel.
Il faudrait tout nommer.
En convenir : tout appel est un rappel.
Et si je t’appelle, toi, dans le lointain ignoré sans voix, et si je t’appelle, toi, tu seras là, serrée sur la branche dans l’arbre de vie, encore là, frémissante, tremblante, si fragile, si résistante ; tu pourras, si je t’appelle toi dans le lointain, tu pourras revenir, tu pourras tenir fidèle à l’existence, dans le nom qui te porte, dans le nom qui te tient, toi, tu pourras courber la ligne du temps qui s’en va, toi le vent ne pourra t’emmener loin au-delà, par la voix qui porte, par la voix qui exhorte, plus forte qu’un souffle. Et si je t’appelle, toi, dans le lointain, tu seras là.
Justine, toi. Justine, elle.
Elle tutoyait la mort, elle tutoyait les ombres qui passaient dans son corps laissant éclater des tempêtes sous sa peau, sous ses os, des tempêtes de douleur, des orages d’os, des rages, des sanglots ; elle clamait : tu ne m’auras pas ; et ça grondait, et ça déchirait le ciel dans ses yeux, et ça tonnait dans sa voix. Tu ne m’auras pas.
Elle enserrait la nuit dans ses bras. Un peu de froid, là, dans le creux des mains.
Ne pas laisser tomber les feuilles qui tombent.
Faire appel.
Blanche, toi je sais te nommer. Blanche, prénom des nuits, prénom des journées bavardes à ruminer le temps qui passe en herbes folles, Blanche, amie de solitude, sur les chemins.
Ami papillon, tu sais leur nom, toi, aux étoiles ? Il y a Marie, Estelle aussi, et Maryse, et Marjorie. Toutes elles brillent. Toutes des amies.
Quand je serai grande, je saurai comment toutes les choses s’appellent, je connaîtrai le monde entier, je pourrai parler avec tout le monde, je pourrai jouer avec le monde entier.
Des années à s’appeler. Julien ! Annie ! Des années et puis le silence. Les branches se brisent, les feuilles tombent. Déjà l’indifférence.
Indifférente, n’appelait plus, ne s’appelait plus.
Annie des années niées.
Julien, et puis rien.
Reste à te nommer, toi, un trouble, un vide impensable, un abîme. Te nommer, toi : Lucile.
Te nommer, toi, nom d’un silence que l’on jette à la criée des sentiments.
T’es pas un gentil caillou, Jean-Pierre, tu m’as fait mal, tu m’as fait tomber, t’es pas gentil, il saigne maintenant mon genou.
Prête-noms de Barbara, toutes les blessures. Tu es là, Barbara, couchée sous Joël ; sur les chemins tu attends, à ton cou traîne un collier de pierres saillantes ; de tes mains coupantes tu déchires les routes, de tes doigts aiguisés tu balafres les chemins, tu les mutiles.
Je vais rentrer, j’ai mal… il saigne mon genou.
Julien !
Dis, comment tu t’appelles ?
Moi, je m’appelle Sonia. Et toi ?
Du jardin où elle jouait lui parvenait la voix de la petite fille.
« Parpaioun » : voulait-il répondre, « Parpaioun » ferait un beau prénom. Mais Julien Lebat n’avait pas d’ailes. Juste des souvenirs. Et des années nombreuses derrière lui. Nostalgique, se sentait-il, nostalgique des avenirs d’enfance ouverts à tous les envols, à tous les imaginaires. Il se remémora les voies, chemins de fer qui filent en tous sens, ces rails posés sur terre, des vallées jusqu’aux sommets enneigés ; il imagina les lignes sur la mer, scintillantes, sillages de fer courant vers l’incertain ; se représenta les traits blancs parallèles rayant le ciel où circulent les tramways pour des lendemains que l’on dit chantants.
Julien ! Julien !
A quoi il rêve le soleil quand il se couche, tu le sais, toi, à quoi il rêve ?
Moi, je connais son prénom. Il s’appelle Joël, le soleil, quand le matin il se réveille et met de la lumière partout. Un, deux, trois, Jojo. Un, deux, trois.
Il contemplait les arbres pliés comme un adieu fait à l’avenir.
Sa pensée suivait le chemin des ramures, noueuses, égarées, entre feuillage et ciel ; elle croisait parfois, quand il perçait la feuillée, le sourire de Joël.
Julien !
Le soleil…, la tête dans la lune, il songe aux profondeurs de la mer, pour sûr.
Les rayons de lumière traversaient les ténèbres de l’oubli, illuminaient les souvenirs qui redonnaient vie à Mireille.
Mireille : prénom d’une clarté surgie dans la noirceur des routes perdues. Celle qu’appelle le rougeoiement dans le ciel sombre aux derniers éclats du jour finissant : Mireille.
S’il avait marché jusqu’aux lueurs, s’il avait couru jusqu’au bord du soleil, près de Joël amant de Mireille, quelle vie aurait-il eu ? Quelle vie ?
Des chevauchées peut-être sur des cavales de vent, des moments exaltés et brûlants, peut-être, ou des sérénités douces d’éternités, ou mille tourments de plus, peut-être, d’insupportables tourments.
Julien !
Où vont les routes que l’on n’a pas choisies, où vont les chemins des possibles que l’on n’a pas pris ?
Mireille, prénom d’une voie délaissée. Mireille, lointaine destinée refusée.
Je connais un arbre, il s’appelle Olivier. Je vais te le montrer.
Joli papillon, viens avec moi, viens jouer. Dis : elles s’appellent comment toutes les feuilles des arbres, toutes celles tombées de leurs branches ?
Combien de feuilles tombées ? Sans nom, sans postérité. Durée de vie le temps d’une saison. Combien de choses sans nom ? Combien d’innommé dans les portions de vies inconsolées, de choses sans nom pétries d’émotion ?
Une à une, elles tombent sans rien pour les tenir.
Tout s’en va. Tout. Indiscernable. Insignifiant.
Dans sa chute s’en va périr, une feuille jouant encore un peu, un instant trop court, avec Joël au jardin avant de toucher la terre doucement au nom de Mater.
Il faudrait les nommer pour les retenir ; rien ne peut manquer à l’appel.
Il faudrait tout nommer.
En convenir : tout appel est un rappel.
Et si je t’appelle, toi, dans le lointain ignoré sans voix, et si je t’appelle, toi, tu seras là, serrée sur la branche dans l’arbre de vie, encore là, frémissante, tremblante, si fragile, si résistante ; tu pourras, si je t’appelle toi dans le lointain, tu pourras revenir, tu pourras tenir fidèle à l’existence, dans le nom qui te porte, dans le nom qui te tient, toi, tu pourras courber la ligne du temps qui s’en va, toi le vent ne pourra t’emmener loin au-delà, par la voix qui porte, par la voix qui exhorte, plus forte qu’un souffle. Et si je t’appelle, toi, dans le lointain, tu seras là.
Justine, toi. Justine, elle.
Elle tutoyait la mort, elle tutoyait les ombres qui passaient dans son corps laissant éclater des tempêtes sous sa peau, sous ses os, des tempêtes de douleur, des orages d’os, des rages, des sanglots ; elle clamait : tu ne m’auras pas ; et ça grondait, et ça déchirait le ciel dans ses yeux, et ça tonnait dans sa voix. Tu ne m’auras pas.
Elle enserrait la nuit dans ses bras. Un peu de froid, là, dans le creux des mains.
Ne pas laisser tomber les feuilles qui tombent.
Faire appel.
Blanche, toi je sais te nommer. Blanche, prénom des nuits, prénom des journées bavardes à ruminer le temps qui passe en herbes folles, Blanche, amie de solitude, sur les chemins.
Ami papillon, tu sais leur nom, toi, aux étoiles ? Il y a Marie, Estelle aussi, et Maryse, et Marjorie. Toutes elles brillent. Toutes des amies.
Quand je serai grande, je saurai comment toutes les choses s’appellent, je connaîtrai le monde entier, je pourrai parler avec tout le monde, je pourrai jouer avec le monde entier.
Des années à s’appeler. Julien ! Annie ! Des années et puis le silence. Les branches se brisent, les feuilles tombent. Déjà l’indifférence.
Indifférente, n’appelait plus, ne s’appelait plus.
Annie des années niées.
Julien, et puis rien.
Reste à te nommer, toi, un trouble, un vide impensable, un abîme. Te nommer, toi : Lucile.
Te nommer, toi, nom d’un silence que l’on jette à la criée des sentiments.
T’es pas un gentil caillou, Jean-Pierre, tu m’as fait mal, tu m’as fait tomber, t’es pas gentil, il saigne maintenant mon genou.
Prête-noms de Barbara, toutes les blessures. Tu es là, Barbara, couchée sous Joël ; sur les chemins tu attends, à ton cou traîne un collier de pierres saillantes ; de tes mains coupantes tu déchires les routes, de tes doigts aiguisés tu balafres les chemins, tu les mutiles.
Je vais rentrer, j’ai mal… il saigne mon genou.
Julien !
Louis- Nombre de messages : 458
Age : 69
Date d'inscription : 28/10/2009
Re: Prénoms d'une vie
Plus le temps passe, plus on risque d'avoir mal au je/nous...
Plus le temps passe, plus je noue les prénoms en écheveaux, qui s'embrouillent mais embrouillés, ça tient ensemble. J(e)ulien.
Et tes
Contente de te retrouver, Louis, je me demandais où tu étais passé !
Plus le temps passe, plus je noue les prénoms en écheveaux, qui s'embrouillent mais embrouillés, ça tient ensemble. J(e)ulien.
J'aime bien ces " avenirs d'enfance" et aussi "Où vont les routes que l’on n’a pas choisies"nostalgique des avenirs d’enfance ouverts à tous les envols, à tous les imaginaires
Il me semble qu'il manque un te : "te tenir fidèle"tu pourras tenir fidèle à l’existence, dans le nom qui te porte, dans le nom qui te tient, toi, tu pourras courber la ligne du temps qui s’en va
Et tes
sont très éloquents.orages d’os,
Contente de te retrouver, Louis, je me demandais où tu étais passé !
Invité- Invité
Re: Prénoms d'une vie
L'incandescence habituelle de ton écriture se révèle à contre-jour, c'est un plaisir de te lire dans un autre registre.
Ce texte serait magnifié dans une mise en voix et en images, j'ai plein d'idées!
Il s'en dégage une douceur/douleur caractéristique de l'état d'enfance, tout est flou, en suspens, en attente d'envol, mais les certitudes pèsent déjà - laideur aux aguets-...
"Un seul nom pour la vie et pour la mort. Notre nom. "
Edmond Jabès
Ce texte serait magnifié dans une mise en voix et en images, j'ai plein d'idées!
Il s'en dégage une douceur/douleur caractéristique de l'état d'enfance, tout est flou, en suspens, en attente d'envol, mais les certitudes pèsent déjà - laideur aux aguets-...
"Un seul nom pour la vie et pour la mort. Notre nom. "
Edmond Jabès
Polixène- Nombre de messages : 3298
Age : 62
Localisation : Dans un pli du temps . (sohaz@mailo.com)
Date d'inscription : 23/02/2010
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