L'homme sur l'escalier qui se prend pour Victor Hugo
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L'homme sur l'escalier qui se prend pour Victor Hugo
L’homme sur l’escalier qui se prend pour Victor Hugo
« Celui qui crache son sang, ne peut atteindre les sommets », murmure le blanc curiste sur les marches des Thermes. Mais lui ne crache pas. Il se souvient seulement de son père qui crachait, aux dires de sa mère, dans les caves glacées, pendant que l’ennemi bombardait la ville.
« Celui qui ne peut respirer, ne touchera jamais le ciel. » Le ciel se maintient entre les pics de la montagne. C’est par la montagne que l’on peut espérer porter son regard plus loin.
Monsieur Duvernoy, sur les marches du palais, n’est pas cordonnier, (selon la chanson qu’il ne chante pas), il est n’importe qui, n’importe quoi, quidam, anonyme malgré son nom qui cache un coin de rêve transfigurateur. Sur les marches du palais, ne restent que les marches descendantes, montantes, chaque matin, qu’il faut gravir pour recevoir les soins. Recevoir, comme si une Force acceptait de se pencher sur vous, avec son tablier de connaisseur.
Monsieur Duvernoy laisse les médecins pénétrer dans ses sinus, gambader au pays des poumons gonflés. Ils s’insinuent avec leur minceur de scalpel, dilatent les bronchioles, et vous insufflent leur purgation euphorisante.
Cela fait trois années que Duvernoy subit la cure. Trois années, et la montagne ne bronche pas, quand Duvernoy la regarde, au sortir de ses séances. Envieux, séraphin, intrépide, il conjugue tous les appétits de la terre, éternuant, exténué, soufflant sur les escaliers, au milieu des autres malades. Le corps pétri de bains, de fumigations, la tête comme dans un pansement de soufre, il est là, levant le nez vers l’azur. La montagne déploie ses tapis de forêts, de pâturages, de jardinets, de maisons isolées. C’est en pente, et la pente fascine Duvernoy. Lui, planté sur le plat, sur sa canne mythique, qu’il ne tient pas, mais dont il vit le rêve hugolien, inlassablement répété. Les couleurs de la montagne sont violentes à cause de la clarté du ciel. Sans une griffure. Ciel de diamant que ne trouble même pas la striure des télésièges. Cette violence crue, qu’on nomme précision, éblouit Duvernoy. L’ordre des grandeurs se renverse. La montagne grandiose est à portée de main, semblable à un caillou révélé.
Duvernoy rampe, hanté par la maladie. Il circule dans la petite ville d’eau comme dans un appartement, empruntant les mêmes couloirs quotidiennement. Pension, thermes, marchand de journaux, la terrasse du « Ski-Bar », puis à nouveau la pension où il se calfeutre dans sa chambre, attendant les bras insectivores de la nuit qui le malmèneront jusqu’à l’aube fraîche. Il marche dans la ville, claudiquant, un mouchoir sur le nez. Il suspecte le vent d’apporter la crise. Il évite l’eau stagnante, de peur d’y découvrir sa tombe. Il ne peut séjourner sous les arbres en fleurs. La poussière est son adversaire principal. Aucune femme poussiéreuse, sentant bon le tabac, ne peut l’approcher. A Duvernoy, il lui faut l’existence pasteurisée des villégiatures closes. Et Duvernoy aspire à l’ascension de la montagne sauvage.
Ah ! Quelle pureté d’impossible le submerge, quand il sort de la cure ! Il en respirerait de joie, oubliant sifflement et dyspnée. Il se croit un être volant, innocenté, aux ailes de mirage, durci comme un aigle. Il appellerait les choses par leur petit nom, passerait par-dessus les querelles, accepterait du monde l’état de fait, sans discourir. Il ne se nommerait plus Duvernoy, mais peut-être : Rivière, Nuage, Regard Brûlant sur tout ce qui frémit, herbe et parcelle d’étoile. Le souffle court serait sa nouvelle longueur, celle du dépassement.
Il observe la grise colonie des curistes, chenilles dans les rues avec leur petit sac en plastique. Dans leurs yeux, il guette l’oubli de la maladie. Instants de dépense, d’amour, dans les bras fous de la vie. Il guette la flambée qui le ramènerait au coeur de l’Intelligible. Il ne s’entend plus Duvernoy, étourdi par sa propre confusion. Dans les salles, raclements de gorge, gargarismes, sifflements, crachotements, écoulements, tohu-bohu de la maladie silencieuse qui habite les âmes. Même les enfants, si peu épargnés par l’essoufflement. Ils se penchent au-dessus des cuvettes et se prennent aux jeux de la guérison. Leurs cris résonnent dans l’Etablissement. On ne sait s’ils sont de joie ou de colère. Ils suivent le même traitement, commun à tous, devant Madame La Mort. On se penche, on crache, on inhale. Madame La Mort vous aide, glissant déjà le suaire sur vos épaules. Mais Duvernoy, nu devant la douche au jet brisé, que lui envoie le garçon de bain, se sent athlétique jusqu’à l’ascèse. Il sent le méthodique découpage de chacun de ses nerfs, dépourvu de résistance, câlin, transposé dans des lieux irréels. L’âpreté de la chose giclante le rendrait prêt à tout, provisoirement. Il ne souhaite même plus couper ses cheveux en quatre, il se voit la nuque aussi lisse qu’un taureau de Majorque.
C’est ainsi qu’il aborde pour une nouvelle fois la journée. La vision abrupte des montagnes. Sur les marches de l’Etablissement Thermal, il ne faudrait pas qu’une fillette vienne le distraire, Duvernoy, avec son petit sac de souffreteux, gobelet et pipette. Les randonneurs prennent d’assaut les chemins. Leurs membres musclés luisent. Duvernoy respire l’air du matin, interminable. Un vieux curiste feuillette son journal sur le banc public. Il y a des chiens qui marchent comme des danseuses, hauts sur leurs pattes. Des lévriers comme des pur-sang. Duvernoy enraciné sur les marches. Statue de lui-même, déjà, avant qu’il n’est rejoint l’oubli. Il pointe du doigt les sommets insurmontables.
Puis survient un ballon malencontreux entre les jambes de Duvernoy. Et même pas de canne pour... Il se prendrait pour Victor Hugo. Un ballon roulant. Ballon d’enfant, comme ces rouges ballons. Peut-être une balle, que Duvernoy reçoit en plein poumon crachant. Avec la jambe, il renvoie la balle. Loin. Dans l’indéfini, le non-voulu. Sans le regard qui décide. Il envoie le ballon rouge, plein de fièvre. Sur les marches, le ballon roule, planète fumante de caoutchouc. Sur le bitume, freine sa course. Puis, près du rosier, la fillette, dans un éclat de rire, retrouve son ballon. Elle shoote. Ses socquettes canari sur ses sandales vernies. Elle a un rire d’oiseau, près des rosiers. Elle shoote ! But ! Entre les chevilles du quadragénaire Duvernoy. Duvernoy refoule la balle. Serre les dents. S’il avait une canne, il battrait l’air. Flagellerait le monde. La petite fille serre le ballon contre son coeur, donne un baiser à la planète de caoutchouc. Duvernoy bloque, dribble, feinte, touche de la main, fait une tête. Une tête démentielle. Heureuse. Le ballon rouge n’en finit pas d’aller et de venir, entre le malade et la fillette, traçant son hyperbole parfaite dans le ciel bleu.
A l’ombre des rosiers, Duvernoy ramène la balle.
— Merci petite fille. Comment t’appelles-tu ?
— Esperanza !
Duvernoy transpire, arrose les rosiers de sueur. Sa bouille est ronde comme un ballon rubicond. Personne n’a remarqué Duvernoy en train de jouer. Les curistes, enfouis dans leur anorak, arpentent du même pas l’allée des Thermes. Personne n’a remarqué l’invisible exploit. A-t-il cueilli une rose le monsieur pour la petite fille ? Une rose invisible plus blanche que toutes les roses.
Duvernoy, étrangement, n’est plus essoufflé quand il descend vers la pension, pour y engouffrer le menu du jour. Il se sent des branchies de baleine, avec le même rire béant. Un chant monte en lui, qu’une serveuse prendrait pour un air de Java.
Short troué. Fruit secs. Gourde. Carte. Bâton. Celui du marcheur. Il sait que le ciel est couvert. Il faudra le crever pour avoir droit à l’émerveillement. Montera-t-il l’homme, malgré son infirmité, son rêve d’oiseau et d’ange ? Elèvera-t-il le poids lourd de sa conscience ?
Surmontera-t-il le tintamarre des conversations, dont les mots clouent l’action ? Montera-t-il sur le Mont ? Il en caresse l’espoir tondu et nu. L’absence de vent avive le Regard qui Perce.
Duvernoy range son nom dans son sac. Le temps de l’ascension, il s’oubliera. Le temps qu’il va défier. Le défi depuis si longtemps, dans ses poumons, retenu, à ses muscles, emmêlé. La serveuse de la pension le regarde partir, dans l’ultime rayon. A contre-jour, elle le voit, acrobate, danseur maigrelet au bord de la piste. Sur l’éphéméride, elle marque une croix. Dans ses cheveux, elle noue en boule un regret.
A présent, il va Duvernoy. Sur la pente. Un pied effaçant l’autre. Le front baissé pour ne pas voir le but. Il dépasse les cascades mugissantes, trop fraternelles. Il dépasse ce qu’il doit laisser derrière. Souffrance, peur, arrière-pensées réconfortantes. Arrière traintrain quotidien. L’Arrière, tout ce qu’il doit vider devant ! Devant, la prairie aride, pentue, aux fleurs grillées. Devant, un succube malin, entre les rochers, qui attend son heure, pour avaler le grimpeur. Après la route du Sequès, il y aura la route de Malacame. Entre-temps, Duvernoy, sous un mélèze dépouillé, s’alimente d’une poignée de raisins secs. Au fond de sa poche gisent ses dernières forces. Bâton en main, il ressemble aux Immortels sur leur socle de pierre. Bâton en main, il fouette les serpents, agrippe la montagne avec son embout de fer. Bâton, par lequel il bravera la foudre, conduira la lumière jusque dans le talon des bienheureux.
Duvernoy arrive à l’auberge. Celle de l’étape. La maison Aoumède. Dans la remise, il y a le vieux sur sa chaise, par la porte entrouverte il surveille le passage du jour, tandis que la moisissure obscure lui grignote le dos. Du vieillard, Duvernoy ne déchiffrera pas l’énigme. Sur le talus, le potager minuscule darde ses tomates. Dans le cellier, le fromage s’égoutte. Pour un égouttage, on pourrait s’arrêter, suspendre toutes folies, sommeiller dans la décomposition molle d’une pâte. Mais la bourrasque se forme en haut des pics. Duvernoy attaque déjà le chemin du Cambasque, large comme une veinule. Ses semelles glissent sur les feuilles de schiste. Dans les trous de roche, les marmottes sifflent. Un nuage arrive, opaque, absolvant le monde. Et Duvernoy dedans, débarrassé de ses images. Translucide, immatériel, s’il ne sentait encore la douleur dans ses jambes qui le rappelle sur le Mont. Ici, dans l’Incivilisé et l’Abrupt. Le cri des rapaces, proche comme une main tendue. Prête à vous prendre. Sur l’épaule, déjà, l’haleine acide d’un bec de vautour.
Il va, Duvernoy, aveugle, dans sa nuit blanche. Bouffant du nuage. Barbe à papa gratuite. Sécurisé par son aveuglement. Cognant la pierraille. Le seul repère qui lui reste. Mais là-bas, une voix de berger, suspendue au roc, comme un fossile. Des trains de brume humide transpercent Duvernoy.
Puis soudain, la Résurgence, le Gloria, dans le bleu revenu. On découvre le vol plané des gerfauts. La ville étincelante comme un paquebot. Duvernoy alors va prendre son envol. Tout l’appelle. Il voit la ville. Se voit, lui, sur les marches des Thermes, comme Victor Hugo. Se voit, lui, regardant la montagne, se voit lui regardant la ville. Il est lui, dans l’intersection des regards. Il est devenu Le Possible. La serveuse n’est plus qu’un point cosmique. La pension, les marchands de journaux, le « Ski-Bar » ; des petits jouets-microns-stellaires. Les hommes en bas souffrent-ils toujours de leur étouffement ? Les crachotements de sang ressemblent à des feux d’artifice, vus d’en-haut. Le râle des mourants résonne dans la paroi comme des orgues triomphantes. Et puis Duvernoy ouvre son sac, laisse s’échapper son nom. Alors que le vent fait claquer ses manches, il sort de son sac un ballon étrange, auquel il s’accroche. Il se jette, absent de son corps, dans le vide, une bouée rouge volante au bout de ses mains.
Et Esperanza l’attend, là-bas, dans la ville, à l’ombre des rosiers. Esperanza ! Tant que le mot dure, l’illusion sera. On ne connaîtra jamais suffisamment les terrains réfractés du ciel. De la ville à la montagne, les enfants s’envoient des ballons, avec des shoots formidables. Aucune règles ne sauraient les arrêter. La montagne s’ennuie moins depuis que les ballons viennent secouer ses membres enneigés.
Esperanza, dont les petits pieds savent se tendre jusqu’à l’infini.
Mais là-haut, entre les câbles du téléphérique, un homme est resté, congelé. Le reconnais-tu Esperanza ? Il a un gros paquet de sourires entre les lèvres. Le reconnais-tu Esperanza ? Ce givré !
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: L'homme sur l'escalier qui se prend pour Victor Hugo
J'aime ce texte, ce style fourmillant de trouvailles, l'atmosphère des stations balnéaires bien rendue.
J'ai souri à la partie de ballon avec Espéranza, et la fin m'a attristée.
J'avoue n'avoir pas bien compris le rapprochement avec Victor Hugo, si ce n'est l'allusion à l'art d'être grand-père, avant la partie de ballon ? Peut-être aussi vouloir s'élever, atteindre des sommets inaccessibles ?
Mais peu m'importe si je n'ai pas tout saisi, j'ai beaucoup aimé cette lecture. Merci Raoul.
J'ai souri à la partie de ballon avec Espéranza, et la fin m'a attristée.
J'avoue n'avoir pas bien compris le rapprochement avec Victor Hugo, si ce n'est l'allusion à l'art d'être grand-père, avant la partie de ballon ? Peut-être aussi vouloir s'élever, atteindre des sommets inaccessibles ?
Mais peu m'importe si je n'ai pas tout saisi, j'ai beaucoup aimé cette lecture. Merci Raoul.
Invité- Invité
Re: L'homme sur l'escalier qui se prend pour Victor Hugo
Plus encore je crois que les précédents textes, et puisque je sais que ton travail offre toujours plusieurs niveaux de lecture, celui-ci me semble regorger de symboles récurrents que j’essaie de déchiffrer et de relier entre eux.
Ce en quoi j’ai peut-être bien tort puisque je dois avouer ne pas savoir trop quoi faire justement de ces symboles qui m’ont frappé l’entendement : la montagne, comme élévation spirituelle au-dessus du sort du commun des curistes, atteindre le sommet pour une vue (au propre et au figuré) et une respiration enfin dégagées ; le bâton de pélerin, ce sceptre mythologique (et Duvernoy, Zeus ?!) ; le ballon orange et rebondissant à la forme pleine et douce, comme un soleil couchant, comme le chignon de la serveuse ; et puis bien sûr, le personnage de cette Esperanza pleine de vie et invincible.
ll n'en demeure pas moins que - mis à part la frustration de ne pas avoir su tout saisir de l'imagé - le texte est agréable à lire, la narration très maîtrisée.
Et au fait, j'aime beaucoup la dérision terre à terre de la dernière phrase, comme si elle remettait tout en place après ce voyage dans une autre dimension.
Ce en quoi j’ai peut-être bien tort puisque je dois avouer ne pas savoir trop quoi faire justement de ces symboles qui m’ont frappé l’entendement : la montagne, comme élévation spirituelle au-dessus du sort du commun des curistes, atteindre le sommet pour une vue (au propre et au figuré) et une respiration enfin dégagées ; le bâton de pélerin, ce sceptre mythologique (et Duvernoy, Zeus ?!) ; le ballon orange et rebondissant à la forme pleine et douce, comme un soleil couchant, comme le chignon de la serveuse ; et puis bien sûr, le personnage de cette Esperanza pleine de vie et invincible.
ll n'en demeure pas moins que - mis à part la frustration de ne pas avoir su tout saisir de l'imagé - le texte est agréable à lire, la narration très maîtrisée.
Et au fait, j'aime beaucoup la dérision terre à terre de la dernière phrase, comme si elle remettait tout en place après ce voyage dans une autre dimension.
Invité- Invité
Re: L'homme sur l'escalier qui se prend pour Victor Hugo
Je reparcours et suis vraiment frappée par le fourmillement de notions, c'est un texte infiniment riche, une mine.
Je revenais en fait pour indiquer une erreur orthographique :
"Statue de lui-même, déjà, avant qu’il n’est rejoint l’oubli." ("n'aie")
Il me semble avoir vu une ou deux autres petites broutilles en cours de lecture mais je ne les ai pas relevées.
Je revenais en fait pour indiquer une erreur orthographique :
"Statue de lui-même, déjà, avant qu’il n’est rejoint l’oubli." ("n'aie")
Il me semble avoir vu une ou deux autres petites broutilles en cours de lecture mais je ne les ai pas relevées.
Invité- Invité
Re: L'homme sur l'escalier qui se prend pour Victor Hugo
Ptain... voici. Je ne sais pas quoi dire. Je pense très sincèrement que tu as un foutu sacré talent. Après c'est vrai que je laisse rarement de commentaires sous tes écris, mais je lis, je lis, et j'en ai des frissons. Vraiment. Profondément.
Re: L'homme sur l'escalier qui se prend pour Victor Hugo
Très bon texte, Raoul ! Enlevé, vif, je dirais presque bondissant... si ça ne sonnait pas si mal. ^^
Ai relevé un :"aucune règles ne sauraient", peut-être aucune règle ne saurait ?
Ai relevé un :"aucune règles ne sauraient", peut-être aucune règle ne saurait ?
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 47
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: L'homme sur l'escalier qui se prend pour Victor Hugo
Ouais, comme les autres, j'ai aimé. Je n'ai pas tout compris, certaine chose passe au-dessus de moi, mais le personnage est attachant et la fin m'attriste autant qu'elle me stimule. Beau style, une plume bien maîtrisée !
Re: L'homme sur l'escalier qui se prend pour Victor Hugo
La montagne est magique, elle offre des sommets où l’on « touche » le ciel.
Et monsieur Duvernoy voudrait s’élever jusqu’à l’air des cimes, pour y respirer un peu de ciel.
Monsieur Duvernoy voudrait prendre l’air, jusqu’au littéraire, et le ciel ; voudrait s’aérer, se faire aérien, monter là-haut sur la montagne, alors que tout le retient en bas, tout le retient au sol, son nom et ses poumons.
Duvernoy, son nom le dit assez : il est des vernes, il est des aulnes ; « planté sur le plat, sur sa canne mythique, qu’il ne tient pas » ; « Duvernoy enraciné sur les marches » ; de souche terrienne, Duvernoy, sylvestre !
Ses bronches et ses poumons ne s’accommodent pas de l’air d’en bas, irrespirable. « Duvernoy rampe, hanté par la maladie ». Il rampe au bas du monde, allergique à l’ici-bas, sa poussière, ses arbres, son air : « Il ne peut séjourner sous les arbres en fleurs. La poussière est son adversaire principal. Aucune femme poussiéreuse, sentant bon le tabac, ne peut l’approcher ». Duvernoy rêve des hauteurs.
Monsieur Duvernoy voudrait grimper d’autres marches que celles qui le mènent chaque jour aux soins ; d’autres marches que celles du palais où règne le roi des aulnes, ces marches où la vie ne l’a pas choisi, la tant belle fille, Lon la. « Monsieur Duvernoy, sur les marches du palais, n’est pas cordonnier ». Pourtant, par ce qui le nomme, se trouve chaussé de sabots, sabots d’aulne qui le rivent au sol, le cramponnent à la terre, le laissent en bas, sans nom reconnu, anonyme, « n’importe qui, n’importe quoi ».
Mais du monde d’en bas il n’en a cure… Duvernoy, veut gravir les sommets, suivre le chemin de l’écrivain, le chemin d’Hugo qui autrefois avait gravi les pentes de la montagne magique, celle maintenant sous ses yeux, éblouissante et grandiose : c’est une pente de l’écriture que l’on grimpe par l’échelle des mots et des phrases, jusqu’aux sommets brillants de littérature.
Il veut échapper au destin de son nom qui lui donne une identité terrienne et basse. Il cherche une re-nommée, un re-nom, une autre destinée, la gloire des sommets littéraires.
Duvernoy rêve des auteurs.
Duvernoy souhaite sortir du bois, du bois des aulnes. Il veut sortir de son nom qui l’enferme en bas, il veut sortir de soi, se « dépasser », se nommer dans ce qui se tient haut dans le ciel, dans la réalité fluente, dans l’intensité de feu d’un regard.
« Il ne se nommerait plus Duvernoy, mais peut-être : Rivière, Nuage, Regard Brûlant sur tout ce qui frémit, herbe et parcelle d’étoile. »
Duvernoy renvoie au sort la balle qu’il lui a jetée. Il renvoie un ballon rouge.
Il y met du cœur à renvoyer le ballon. C’est son cœur qu’il envoie au loin, « dans l’indéfini », et ses poumons malades, « Il envoie le ballon rouge, plein de fièvre. »
Il lui revient, le ballon, lui revient par la grâce d’une jeune fille rêvée, d’une jeunesse souriante, sourire d’un renouveau, d’un printemps de rose, dans le vol d’un oiseau, l’ hirondelle qui fait une espérance : « Elle a un rire d’oiseau, près des rosiers. » ; elle se nomme « Esperanza ».
Il lui revient sous la forme d’une « planète fumante de caoutchouc. ». Une terre nouvelle dans laquelle vivre, mais une terre de ciel, une terre qui s’élève dans les airs, une terre d’espérance.
Son jeu halluciné avec le ballon, la tête dans la planète nouvelle, déjà dans les étoiles, lui donne l’élan, la détermination qui le hissera jusqu’aux sommets. Duvernoy, dans la balle, « fait une tête. Une tête démentielle ».
Il tente enfin l’ascension tant rêvée. Jusqu’à l’Olympe, jusqu’au séjour des Immortels. « Bâton en main, il ressemble aux Immortels sur leur socle de pierre. » Immortels encore comme l’est Hugo.
Il affronte la montagne sauvage, « dans l’Incivilisé et l’Abrupt ». Dans l’altitude, il se délivre de son corps malade devenu « Translucide, immatériel », traversé de nuages, transpercé de brumes.
Son corps enfin vaincu, son corps dépassé dans une conscience claire, dans une conscience totale de soi, en un dédoublement de soi : celui qui voit, celui qui est vu, par le regard des yeux de l’âme.
Délivré de son corps, délivré de son nom, de sa malédiction, il n’est plus qu’esprit aérien, esprit ailé, rêveur, qui habite les nues, le bleu du ciel, la beauté du monde, dans une union quasi mystique avec toutes choses, avec les réalités d’en haut et celles d’en bas.
« Il se jette, absent de son corps, dans le vide, une bouée rouge volante au bout de ses mains. » La bouée rouge l’empêche de se noyer dans le désespoir, et Duvernoy saute dans l’illimité, la bouée rouge l’empêche de couler dans le noir, et Duvernoy plonge dans l’air pur et limpide, la bouée rouge l’empêche de déchoir.
Mais n’empêche pas les rebonds, de la balle, du ballon qui vole sans cesse de bas en haut, « De la ville à la montagne, les enfants s’envoient des ballons, avec des shoots formidables », ce ballon où Duvernoy a mis toute sa tête démentielle.
Folie d’un homme, ce « givré », mort sur la montagne, mort à son corps, son corps décimé pour avoir voulu gagner l’esprit des cimes.
Ce beau texte de Raoul s’inscrit dans la lignée des romans et nouvelles de Thomas Mann, Tonio Kröger, Mort à Venise, la Montagne magique, où sont conjoints, l’art et le beau avec la maladie et la mort.
Et monsieur Duvernoy voudrait s’élever jusqu’à l’air des cimes, pour y respirer un peu de ciel.
Monsieur Duvernoy voudrait prendre l’air, jusqu’au littéraire, et le ciel ; voudrait s’aérer, se faire aérien, monter là-haut sur la montagne, alors que tout le retient en bas, tout le retient au sol, son nom et ses poumons.
Duvernoy, son nom le dit assez : il est des vernes, il est des aulnes ; « planté sur le plat, sur sa canne mythique, qu’il ne tient pas » ; « Duvernoy enraciné sur les marches » ; de souche terrienne, Duvernoy, sylvestre !
Ses bronches et ses poumons ne s’accommodent pas de l’air d’en bas, irrespirable. « Duvernoy rampe, hanté par la maladie ». Il rampe au bas du monde, allergique à l’ici-bas, sa poussière, ses arbres, son air : « Il ne peut séjourner sous les arbres en fleurs. La poussière est son adversaire principal. Aucune femme poussiéreuse, sentant bon le tabac, ne peut l’approcher ». Duvernoy rêve des hauteurs.
Monsieur Duvernoy voudrait grimper d’autres marches que celles qui le mènent chaque jour aux soins ; d’autres marches que celles du palais où règne le roi des aulnes, ces marches où la vie ne l’a pas choisi, la tant belle fille, Lon la. « Monsieur Duvernoy, sur les marches du palais, n’est pas cordonnier ». Pourtant, par ce qui le nomme, se trouve chaussé de sabots, sabots d’aulne qui le rivent au sol, le cramponnent à la terre, le laissent en bas, sans nom reconnu, anonyme, « n’importe qui, n’importe quoi ».
Mais du monde d’en bas il n’en a cure… Duvernoy, veut gravir les sommets, suivre le chemin de l’écrivain, le chemin d’Hugo qui autrefois avait gravi les pentes de la montagne magique, celle maintenant sous ses yeux, éblouissante et grandiose : c’est une pente de l’écriture que l’on grimpe par l’échelle des mots et des phrases, jusqu’aux sommets brillants de littérature.
Il veut échapper au destin de son nom qui lui donne une identité terrienne et basse. Il cherche une re-nommée, un re-nom, une autre destinée, la gloire des sommets littéraires.
Duvernoy rêve des auteurs.
Duvernoy souhaite sortir du bois, du bois des aulnes. Il veut sortir de son nom qui l’enferme en bas, il veut sortir de soi, se « dépasser », se nommer dans ce qui se tient haut dans le ciel, dans la réalité fluente, dans l’intensité de feu d’un regard.
« Il ne se nommerait plus Duvernoy, mais peut-être : Rivière, Nuage, Regard Brûlant sur tout ce qui frémit, herbe et parcelle d’étoile. »
Duvernoy renvoie au sort la balle qu’il lui a jetée. Il renvoie un ballon rouge.
Il y met du cœur à renvoyer le ballon. C’est son cœur qu’il envoie au loin, « dans l’indéfini », et ses poumons malades, « Il envoie le ballon rouge, plein de fièvre. »
Il lui revient, le ballon, lui revient par la grâce d’une jeune fille rêvée, d’une jeunesse souriante, sourire d’un renouveau, d’un printemps de rose, dans le vol d’un oiseau, l’ hirondelle qui fait une espérance : « Elle a un rire d’oiseau, près des rosiers. » ; elle se nomme « Esperanza ».
Il lui revient sous la forme d’une « planète fumante de caoutchouc. ». Une terre nouvelle dans laquelle vivre, mais une terre de ciel, une terre qui s’élève dans les airs, une terre d’espérance.
Son jeu halluciné avec le ballon, la tête dans la planète nouvelle, déjà dans les étoiles, lui donne l’élan, la détermination qui le hissera jusqu’aux sommets. Duvernoy, dans la balle, « fait une tête. Une tête démentielle ».
Il tente enfin l’ascension tant rêvée. Jusqu’à l’Olympe, jusqu’au séjour des Immortels. « Bâton en main, il ressemble aux Immortels sur leur socle de pierre. » Immortels encore comme l’est Hugo.
Il affronte la montagne sauvage, « dans l’Incivilisé et l’Abrupt ». Dans l’altitude, il se délivre de son corps malade devenu « Translucide, immatériel », traversé de nuages, transpercé de brumes.
Son corps enfin vaincu, son corps dépassé dans une conscience claire, dans une conscience totale de soi, en un dédoublement de soi : celui qui voit, celui qui est vu, par le regard des yeux de l’âme.
Délivré de son corps, délivré de son nom, de sa malédiction, il n’est plus qu’esprit aérien, esprit ailé, rêveur, qui habite les nues, le bleu du ciel, la beauté du monde, dans une union quasi mystique avec toutes choses, avec les réalités d’en haut et celles d’en bas.
« Il se jette, absent de son corps, dans le vide, une bouée rouge volante au bout de ses mains. » La bouée rouge l’empêche de se noyer dans le désespoir, et Duvernoy saute dans l’illimité, la bouée rouge l’empêche de couler dans le noir, et Duvernoy plonge dans l’air pur et limpide, la bouée rouge l’empêche de déchoir.
Mais n’empêche pas les rebonds, de la balle, du ballon qui vole sans cesse de bas en haut, « De la ville à la montagne, les enfants s’envoient des ballons, avec des shoots formidables », ce ballon où Duvernoy a mis toute sa tête démentielle.
Folie d’un homme, ce « givré », mort sur la montagne, mort à son corps, son corps décimé pour avoir voulu gagner l’esprit des cimes.
Ce beau texte de Raoul s’inscrit dans la lignée des romans et nouvelles de Thomas Mann, Tonio Kröger, Mort à Venise, la Montagne magique, où sont conjoints, l’art et le beau avec la maladie et la mort.
Louis- Nombre de messages : 458
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