Exo "La fin du monde" : Il hésitait devant la petite porte
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Arielle
Septembre
Janis
Frédéric Prunier
8 participants
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Exo "La fin du monde" : Il hésitait devant la petite porte
... Il hésitait à ouvrir la dernière case du calendrier de l’avent.
« C’est un peu comme ouvrir les volets, le matin. J’adore cette impression d’être le premier de la maison à pouvoir découvrir quel temps il fait… Mais là, j’hésite devant cette petite porte. C’est la dernière. Et si il n’y avait rien derrière ? »
....
(version courte espéciale exo...)
« C’est un peu comme ouvrir les volets, le matin. J’adore cette impression d’être le premier de la maison à pouvoir découvrir quel temps il fait… Mais là, j’hésite devant cette petite porte. C’est la dernière. Et si il n’y avait rien derrière ? »
....
(version courte espéciale exo...)
Re: Exo "La fin du monde" : Il hésitait devant la petite porte
Ah, joli !
Un chouette concentré suspense et poésie.
Un chouette concentré suspense et poésie.
Invité- Invité
Re: Exo "La fin du monde" : Il hésitait devant la petite porte
chouette et j'adore le titre
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Exo "La fin du monde" : Il hésitait devant la petite porte
J'aime beaucoup également. C'est d'autant plus fort que c'est court et efficace. Cela permet à beaucoup de choses, délicates ou terribles, de s'infiltrer dans les ellipses. Ouvrir la dernière case du calendrier de l'avant comme on ouvre les volets le matin... C'est très bien trouvé.
Re: Exo "La fin du monde" : Il hésitait devant la petite porte
S'il en est à la dernière case c'est qu'il a survécu à la Fdu M et qu'il n'a plus rien à craindre, non ?
L'idée est bien mignonne quand même.
L'idée est bien mignonne quand même.
Re: Exo "La fin du monde" : Il hésitait devant la petite porte
Ca c'est bien torché. Il n'en fallait pas plus. Bravo.
Gobu- Nombre de messages : 2400
Age : 70
Date d'inscription : 18/06/2007
Re: Exo "La fin du monde" : Il hésitait devant la petite porte
Une délicate fin du monde qui reste en suspens...
Pascal-Claude Perrault- Nombre de messages : 5422
Age : 64
Localisation : Paris, ah Paris, ses ponts, ses monuments et ses merdes de chiens !
Date d'inscription : 20/02/2012
Re: Exo "La fin du monde" : Il hésitait devant la petite porte
Je me souviens que c'était vachement marrant ces calendriers.
Legone- Nombre de messages : 1121
Age : 51
Date d'inscription : 02/07/2012
Re: Exo "La fin du monde" : Il hésitait devant la petite porte
Bien trouvé j'aime aussi beaucoup le titre
Nicolah- Nombre de messages : 120
Age : 32
Date d'inscription : 26/09/2012
version live...
Merci pour vos lectures,
au départ je ne voulais pas vraiment garder le titre
et puis enfin de compte
ça lui va bien...-)
.....Il hésitait à ouvrir la dernière case du calendrier de l’avent.
« C’est un peu comme ouvrir les volets, le matin. J’adore cette impression d’être le premier de la maison à pouvoir découvrir le temps qu’il fait… Mais là, j’hésite devant cette petite porte. C’est la dernière. Et si il n’y avait rien derrière ? »
..... Il fallait le voir à l’ouvrage, comme à chaque fois. Il se précipitait sur le décor excitant du paysage et prenait une grande respiration, ce qu’il voyait était presque suffisant. En suivant la ligne sinueuse des chemins, son regard vivait pleinement l’intérieur de ce monde comme s’il en était l’unique créateur, à la fois le peintre et le voyageur. Le prenant ensuite entre ces mains, il le triturait dans tous les sens et cela me faisait rire. Je l’ai vu un jour prendre des ciseaux et méthodiquement découper un à un tous les volets des jours passés. Il criait « Révolution ! » à tue-tête, et semblait tout heureux du désastre. Il vérifiait ensuite l’intérieur des compartiments minutieusement, pour s’assurer que rien ne s’y cachait.
..... Avec autant de minutie qu’un ordinateur, il quadrillait inlassablement l’ensemble du champ de bataille à la façon d’un démineur, recherchant dans les cases grandes ouvertes un je ne sais quoi qui serait réapparu comme par magie. Le terrain était donc ratissé en suivant tout d’abord la grande route dessinée, puis en s’écartant à travers les champs et les forêts. Il faisait des haltes dans les villages, achetait les droits de commencer des forages et se battait contre des ennemis qui voulaient avant lui s’emparer du magot de l’apocalypse.
..... Tout ce qu’il avait déjà découvert semblait répertorié et comptabilisé. Je l’imaginais futur archéologue ou mineur de fond, acharné dans une mine à la recherche de fossiles inconnus, ou arrachant à toute force un précieux charbon, ou de l’or, ou mieux encore. Et lui, il jouait au pirate des caraïbes, à l’explorateur de l’antarctique.
Quand il trouvait l’endroit du jour à sacrifier, il marquait un temps d’arrêt. Sa transformation en chasseur était immédiate, le gibier débusqué, le coup de feu imminent. Il ne pouvait pas résister très longtemps à l’appel d’être sacré vainqueur de cet ultime combat et comme un fauve devant sa proie, le désir était si puissant qu’il ne pouvait plus agir autrement. C’était peut-être un réflexe ancestral de survie animale, et alors, tant pis pour les dégâts collatéraux !
L’opercule ne résistait pas longtemps. Il griffait, incisait, déchirait, fouillait, creusait, inspectait et vidait l’endroit de tout ce qui s’y trouvait. Pour sa dernière vérification d’usage, il passait le bout du doigt sur la surface vide, nette et propre, rassuré que rien n’était dissimulé dans un recoin, inaccessible à la vue d’un humain ordinaire. On aurait dit un chien léchant les restes d’un plat. L’ouverture d’une nouvelle case devait être pour lui un petit combat intérieur, entre la précipitation de se goinfrer comme un petit goret et l’attente subtile du plaisir à venir. C’était un véritable supplice, et il s’impatientait de tant se retenir. Mais quel bonheur que la gourmandise !
..... Dans un coin de ses rêves, je savais qu’il était encore un tout petit enfant . Je connaissais toutes ses inventions magnifiques, tous ses outils merveilleux qui lui permettaient de surmonter les obstacles lors de sa conquête du Graal. Je l’entendais prononcer à voix basse des « Extermination totale ! Solution finale ! Victoire du bien contre le mal ! ». Il avait toujours la certitude que sa volonté suffirait à diriger dans le droit chemin toute la complexité du monde. Il avait même conçu des grues géantes et tout un tas d’appareils de levages plus improbables qu’extraordinaires pour devenir le maître de l’univers, des trains, des cargos et aussi des marteaux piqueurs, des ciseaux à découper les montagnes, des pompes à pomper l’océan avec des tuyaux qui remontaient l’huile du milieu de la planète, sans oublier toutes sortes de produits si corrosifs que la roche éclatait à des kilomètres de profondeur. Je l’ai vu concevoir, dans un de ses rêves, une grande usine d’où sortait assez de puissance pour faire exploser tout le calendrier, tout entier. Mais il réservait cette invention pour plus tard, après, au cas où elle serait nécessaire, le jour où il n’y aurait plus rien à extraire de cette corne d’abondance.
..... C’était émouvant de le voir ainsi, jour après jour, triturer ce monde miniature comme un nouveau jouet fabuleux. Et pourtant, de s’amuser avec autant d’avidité avait décoloré les couleurs et tous les angles du joli tableau qui illustrait la surface et l’ensemble se délitait. Le paysage se décollait du support et le tout devenait de plus en plus dépenaillé. Mais c’était normal, on abime beaucoup plus les jouets que l’on aime que ceux qui restent tout neuf au fond du placard.
Un jour, en découvrant un de ces précieux trésors, il m’avait dit ceci :
« Ce matin, à la radio, ils ont annoncé la fin du monde du calendrier maya. Tu crois que c’est la fin de notre monde aussi ? » Il me surprit par cette observation plus adulte qu’enfantine. « Cette civilisation a disparu avant son calendrier, me dit-il, c’est dommage de ne pas avoir profité pleinement du temps qui lui était imparti. Ils avaient donc déjà tout dévoré, avant le temps, dans leur calendrier de l’avant ? »
Ces mots m’avaient ému. Je ne lui ai même pas fait le reproche de sa confusion entre l’avant et l’avent, ni de la méconnaissance de ses cours d’histoire. C’était si naïvement touchant.
Je repensais à cette petite réflexion alors que je l’épiais. Aujourd’hui, il regardait cette dernière porte toute vierge et inconnue. Je voyais bien qu’il hésitait. Enfin, il se décida. Il avait trouvé la solution à son dilemme.
« Je ne vais pas rester éternellement devant ce coffre-fort sans l’ouvrir, ce serait ballot, autant en profiter tout de suite. »
..... Pour changer un peu des friandises et de sa collection de minéraux, j’avais placé derrière un petit bout de papier sur lequel j’avais écrit un mot que je croyais amusant et à double sens. Je voulais continuer notre discussion de l’autre jour, sur la durabilité des choses. Le temps commence-t-il et s’arrête-t-il ? Et avant l’avant ? Et Après les êtres ? Et les civilisations ? Les univers ?
Et plus terre à terre, je voulais aussi lui parler de nous deux, de son devenir d’homme adulte et de mes souvenirs. Il partirait bientôt du nid, dans sa fusée intergalactique, à la recherche d’un monde meilleur. Je savais, pour avoir déjà vécu moi-même ce poncif des relations intersidérales et générationnelles, qu’un jour il se retournerait, s’apercevant que pour me parler il lui faudrait s’outiller de jumelles, de connexions internet à haut débit et de traducteurs automatiques, ou tout au moins d’un bon sonotone. Je croyais sincèrement qu’il apprécierait ma tentative de nouer un dialogue dans l’intimité de notre toute simple relation, car se parler permet de trouver parfois les mots justes. Je voulais le conseiller et ne pas lui cacher ce que j’avais sur le cœur, lui faire part de mes propres erreurs, comme le fait tout père à son fils.
..... Sa réaction fut pour moi une énorme surprise. Il se mit en colère. Je n’avais certainement pas abordé le problème comme il le fallait, ni compris comment s’échafaudait sa vision des choses. Je n’entendais rien à son envie évidente d’avoir encore cette année les yeux tout écarquillés de rêves devant un choix presque infini de cadeaux merveilleux. J’ai compris, mais trop tard, qu’il voulait pouvoir dire quelques années encore « Wouah, mes préférés ! Et tout ça rien que pour moi ! ».
..... A son âge, la gourmandise était encore un acte révolutionnaire, une rébellion contre la tristesse de grandir, une liberté absolue de manger le dessert avant les entrées. Y a-t-il un plus grand bonheur que celui de recevoir et de se savoir aimé quand on est un éternel Petit Prince, une princesse, un roi ou une reine ? Mon petit homme restait savoureusement enfantin, tous aussi délicieusement primate qu’avant l’Antiquité et le Moyen-Âge, capable de construire une bombe atomique mais incapable de se retenir face à quelque boîte à surprises, et si jaloux de la boîte d’à côté, si avide de se dépêcher de tout manger le premier. Il y avait des signes et des attitudes que j’aurais dû savoir interpréter.
..... Mais je ne voulais pas le voir comme il était, Je voulais qu’il soit plus fort encore que cet adulte en devenir dont j’avais parfois moi-même tant de mal à soutenir le rôle et la responsabilité. C’est vrai qu’il est difficile de garder sa vie toujours en équilibre sans perdre de vue cette utopie de sagesse et de modération que l’on s’était promis au départ, même quand on se prend pour Dieu le père !
..... Il me reprochait tant de choses, croyant que je voulais tout régenter, le modeler à mon image et le dévaloriser sans cesse. Bref, il me reprochait de ne rien comprendre à ce qu’il aimait et de ne pas vouloir le laisser voler de ses propres ailes. Sur ce dernier point pourtant, j’avais la libéralité de penser qu’il pouvait être temps pour lui d’acquérir son autonomie, mais ça, je ne pouvais pas le lui dire, il m’aurait accusé de vouloir m’en débarrasser. Au fait, comment savoir si quelqu’un est vraiment devenu adulte ? On le pousse du nid, et puis on regarde en bas ?
J’en étais là de mes pensées, toutes emmêlées et sans avant ni après.
Lui s’occupait de l’ultime ouverture. Je n’ai pas bien compris ce qui est arrivé ensuite, tout s’est enchaîné trop vite. Il s’est mis en colère et a tout éparpillé en confettis. J’ai entendu un bruit fracassant, comme un claquement de porte. Il avait disparu.
Après le silence, en rangeant les débris tout déchiquetés qui trainaient un peu partout, comme d’habitude, j’ai retrouvé le petit mot que je lui avais écrit. Il l’avait froissé et jeté vers une poubelle. La boule informe et toute chiffonnée avait loupé sa cible.
J’avais écrit : « Adieu ou pas dieu ? ».
..... Je ne voulais pas lui demander de prendre une position radicale ni de faire un choix immédiat et définitif, mon intention était plutôt de poser les clés de la voiture sur la table et de lui demander ce qu’il voulait en faire. Je trouvais intéressant de confronter nos points de vue. Pour une fois, il ne pouvait pas m’accuser de lui imposer ma loi. Avec le recul, je crois comprendre qu’il aurait préféré des chocolats, ou alors l’argent des chocolats.
Je vous le dis comme je le pense, l’éducation n’est pas une chose facile.
Mais franchement, de vous à moi, y avait quand même pas matière à se mettre autant en colère ? Non ? …
au départ je ne voulais pas vraiment garder le titre
et puis enfin de compte
ça lui va bien...-)
(à mon fils, Baptiste)
Il hésitait devant la petite porte
.....Il hésitait à ouvrir la dernière case du calendrier de l’avent.
« C’est un peu comme ouvrir les volets, le matin. J’adore cette impression d’être le premier de la maison à pouvoir découvrir le temps qu’il fait… Mais là, j’hésite devant cette petite porte. C’est la dernière. Et si il n’y avait rien derrière ? »
..... Il fallait le voir à l’ouvrage, comme à chaque fois. Il se précipitait sur le décor excitant du paysage et prenait une grande respiration, ce qu’il voyait était presque suffisant. En suivant la ligne sinueuse des chemins, son regard vivait pleinement l’intérieur de ce monde comme s’il en était l’unique créateur, à la fois le peintre et le voyageur. Le prenant ensuite entre ces mains, il le triturait dans tous les sens et cela me faisait rire. Je l’ai vu un jour prendre des ciseaux et méthodiquement découper un à un tous les volets des jours passés. Il criait « Révolution ! » à tue-tête, et semblait tout heureux du désastre. Il vérifiait ensuite l’intérieur des compartiments minutieusement, pour s’assurer que rien ne s’y cachait.
..... Avec autant de minutie qu’un ordinateur, il quadrillait inlassablement l’ensemble du champ de bataille à la façon d’un démineur, recherchant dans les cases grandes ouvertes un je ne sais quoi qui serait réapparu comme par magie. Le terrain était donc ratissé en suivant tout d’abord la grande route dessinée, puis en s’écartant à travers les champs et les forêts. Il faisait des haltes dans les villages, achetait les droits de commencer des forages et se battait contre des ennemis qui voulaient avant lui s’emparer du magot de l’apocalypse.
..... Tout ce qu’il avait déjà découvert semblait répertorié et comptabilisé. Je l’imaginais futur archéologue ou mineur de fond, acharné dans une mine à la recherche de fossiles inconnus, ou arrachant à toute force un précieux charbon, ou de l’or, ou mieux encore. Et lui, il jouait au pirate des caraïbes, à l’explorateur de l’antarctique.
Quand il trouvait l’endroit du jour à sacrifier, il marquait un temps d’arrêt. Sa transformation en chasseur était immédiate, le gibier débusqué, le coup de feu imminent. Il ne pouvait pas résister très longtemps à l’appel d’être sacré vainqueur de cet ultime combat et comme un fauve devant sa proie, le désir était si puissant qu’il ne pouvait plus agir autrement. C’était peut-être un réflexe ancestral de survie animale, et alors, tant pis pour les dégâts collatéraux !
L’opercule ne résistait pas longtemps. Il griffait, incisait, déchirait, fouillait, creusait, inspectait et vidait l’endroit de tout ce qui s’y trouvait. Pour sa dernière vérification d’usage, il passait le bout du doigt sur la surface vide, nette et propre, rassuré que rien n’était dissimulé dans un recoin, inaccessible à la vue d’un humain ordinaire. On aurait dit un chien léchant les restes d’un plat. L’ouverture d’une nouvelle case devait être pour lui un petit combat intérieur, entre la précipitation de se goinfrer comme un petit goret et l’attente subtile du plaisir à venir. C’était un véritable supplice, et il s’impatientait de tant se retenir. Mais quel bonheur que la gourmandise !
..... Dans un coin de ses rêves, je savais qu’il était encore un tout petit enfant . Je connaissais toutes ses inventions magnifiques, tous ses outils merveilleux qui lui permettaient de surmonter les obstacles lors de sa conquête du Graal. Je l’entendais prononcer à voix basse des « Extermination totale ! Solution finale ! Victoire du bien contre le mal ! ». Il avait toujours la certitude que sa volonté suffirait à diriger dans le droit chemin toute la complexité du monde. Il avait même conçu des grues géantes et tout un tas d’appareils de levages plus improbables qu’extraordinaires pour devenir le maître de l’univers, des trains, des cargos et aussi des marteaux piqueurs, des ciseaux à découper les montagnes, des pompes à pomper l’océan avec des tuyaux qui remontaient l’huile du milieu de la planète, sans oublier toutes sortes de produits si corrosifs que la roche éclatait à des kilomètres de profondeur. Je l’ai vu concevoir, dans un de ses rêves, une grande usine d’où sortait assez de puissance pour faire exploser tout le calendrier, tout entier. Mais il réservait cette invention pour plus tard, après, au cas où elle serait nécessaire, le jour où il n’y aurait plus rien à extraire de cette corne d’abondance.
..... C’était émouvant de le voir ainsi, jour après jour, triturer ce monde miniature comme un nouveau jouet fabuleux. Et pourtant, de s’amuser avec autant d’avidité avait décoloré les couleurs et tous les angles du joli tableau qui illustrait la surface et l’ensemble se délitait. Le paysage se décollait du support et le tout devenait de plus en plus dépenaillé. Mais c’était normal, on abime beaucoup plus les jouets que l’on aime que ceux qui restent tout neuf au fond du placard.
Un jour, en découvrant un de ces précieux trésors, il m’avait dit ceci :
« Ce matin, à la radio, ils ont annoncé la fin du monde du calendrier maya. Tu crois que c’est la fin de notre monde aussi ? » Il me surprit par cette observation plus adulte qu’enfantine. « Cette civilisation a disparu avant son calendrier, me dit-il, c’est dommage de ne pas avoir profité pleinement du temps qui lui était imparti. Ils avaient donc déjà tout dévoré, avant le temps, dans leur calendrier de l’avant ? »
Ces mots m’avaient ému. Je ne lui ai même pas fait le reproche de sa confusion entre l’avant et l’avent, ni de la méconnaissance de ses cours d’histoire. C’était si naïvement touchant.
Je repensais à cette petite réflexion alors que je l’épiais. Aujourd’hui, il regardait cette dernière porte toute vierge et inconnue. Je voyais bien qu’il hésitait. Enfin, il se décida. Il avait trouvé la solution à son dilemme.
« Je ne vais pas rester éternellement devant ce coffre-fort sans l’ouvrir, ce serait ballot, autant en profiter tout de suite. »
..... Pour changer un peu des friandises et de sa collection de minéraux, j’avais placé derrière un petit bout de papier sur lequel j’avais écrit un mot que je croyais amusant et à double sens. Je voulais continuer notre discussion de l’autre jour, sur la durabilité des choses. Le temps commence-t-il et s’arrête-t-il ? Et avant l’avant ? Et Après les êtres ? Et les civilisations ? Les univers ?
Et plus terre à terre, je voulais aussi lui parler de nous deux, de son devenir d’homme adulte et de mes souvenirs. Il partirait bientôt du nid, dans sa fusée intergalactique, à la recherche d’un monde meilleur. Je savais, pour avoir déjà vécu moi-même ce poncif des relations intersidérales et générationnelles, qu’un jour il se retournerait, s’apercevant que pour me parler il lui faudrait s’outiller de jumelles, de connexions internet à haut débit et de traducteurs automatiques, ou tout au moins d’un bon sonotone. Je croyais sincèrement qu’il apprécierait ma tentative de nouer un dialogue dans l’intimité de notre toute simple relation, car se parler permet de trouver parfois les mots justes. Je voulais le conseiller et ne pas lui cacher ce que j’avais sur le cœur, lui faire part de mes propres erreurs, comme le fait tout père à son fils.
..... Sa réaction fut pour moi une énorme surprise. Il se mit en colère. Je n’avais certainement pas abordé le problème comme il le fallait, ni compris comment s’échafaudait sa vision des choses. Je n’entendais rien à son envie évidente d’avoir encore cette année les yeux tout écarquillés de rêves devant un choix presque infini de cadeaux merveilleux. J’ai compris, mais trop tard, qu’il voulait pouvoir dire quelques années encore « Wouah, mes préférés ! Et tout ça rien que pour moi ! ».
..... A son âge, la gourmandise était encore un acte révolutionnaire, une rébellion contre la tristesse de grandir, une liberté absolue de manger le dessert avant les entrées. Y a-t-il un plus grand bonheur que celui de recevoir et de se savoir aimé quand on est un éternel Petit Prince, une princesse, un roi ou une reine ? Mon petit homme restait savoureusement enfantin, tous aussi délicieusement primate qu’avant l’Antiquité et le Moyen-Âge, capable de construire une bombe atomique mais incapable de se retenir face à quelque boîte à surprises, et si jaloux de la boîte d’à côté, si avide de se dépêcher de tout manger le premier. Il y avait des signes et des attitudes que j’aurais dû savoir interpréter.
..... Mais je ne voulais pas le voir comme il était, Je voulais qu’il soit plus fort encore que cet adulte en devenir dont j’avais parfois moi-même tant de mal à soutenir le rôle et la responsabilité. C’est vrai qu’il est difficile de garder sa vie toujours en équilibre sans perdre de vue cette utopie de sagesse et de modération que l’on s’était promis au départ, même quand on se prend pour Dieu le père !
..... Il me reprochait tant de choses, croyant que je voulais tout régenter, le modeler à mon image et le dévaloriser sans cesse. Bref, il me reprochait de ne rien comprendre à ce qu’il aimait et de ne pas vouloir le laisser voler de ses propres ailes. Sur ce dernier point pourtant, j’avais la libéralité de penser qu’il pouvait être temps pour lui d’acquérir son autonomie, mais ça, je ne pouvais pas le lui dire, il m’aurait accusé de vouloir m’en débarrasser. Au fait, comment savoir si quelqu’un est vraiment devenu adulte ? On le pousse du nid, et puis on regarde en bas ?
J’en étais là de mes pensées, toutes emmêlées et sans avant ni après.
Lui s’occupait de l’ultime ouverture. Je n’ai pas bien compris ce qui est arrivé ensuite, tout s’est enchaîné trop vite. Il s’est mis en colère et a tout éparpillé en confettis. J’ai entendu un bruit fracassant, comme un claquement de porte. Il avait disparu.
Après le silence, en rangeant les débris tout déchiquetés qui trainaient un peu partout, comme d’habitude, j’ai retrouvé le petit mot que je lui avais écrit. Il l’avait froissé et jeté vers une poubelle. La boule informe et toute chiffonnée avait loupé sa cible.
J’avais écrit : « Adieu ou pas dieu ? ».
..... Je ne voulais pas lui demander de prendre une position radicale ni de faire un choix immédiat et définitif, mon intention était plutôt de poser les clés de la voiture sur la table et de lui demander ce qu’il voulait en faire. Je trouvais intéressant de confronter nos points de vue. Pour une fois, il ne pouvait pas m’accuser de lui imposer ma loi. Avec le recul, je crois comprendre qu’il aurait préféré des chocolats, ou alors l’argent des chocolats.
Je vous le dis comme je le pense, l’éducation n’est pas une chose facile.
Mais franchement, de vous à moi, y avait quand même pas matière à se mettre autant en colère ? Non ? …
.................. 11 décembre 2012.
Re: Exo "La fin du monde" : Il hésitait devant la petite porte
Avec un tel titre, comment ne pas être attirée ?
Avec un tel début, comment refuser la suite ?
Patience et pudeur ; drôlerie et tristesse fugace, l'aveu du parent parfois démuni mais jamais dépourvu de son inconditionnel amour.
Un beau cadeau à qui de droit. J'espère qu'il saura, qu'il lira (a lu).
Le texte entier est beau, touchant. Je retiens ceci, essentiel à cette nouvelle : “Au fait, comment savoir si quelqu’un est vraiment devenu adulte ? On le pousse du nid, et puis on regarde en bas ?”
Avec un tel début, comment refuser la suite ?
Patience et pudeur ; drôlerie et tristesse fugace, l'aveu du parent parfois démuni mais jamais dépourvu de son inconditionnel amour.
Un beau cadeau à qui de droit. J'espère qu'il saura, qu'il lira (a lu).
Le texte entier est beau, touchant. Je retiens ceci, essentiel à cette nouvelle : “Au fait, comment savoir si quelqu’un est vraiment devenu adulte ? On le pousse du nid, et puis on regarde en bas ?”
Invité- Invité
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