Rêve du travail ensemble

Il vit dans un long jardin. Jamais il n’apparaît vraiment dans le rêve, c’est plutôt une silhouette, en retrait.
Au bout du jardin se trouvent des bâtiments, dans lesquels il entrepose tout ce dont il a besoin (et que sans doute il habite). En particulier, au fond d’une pièce peu utilisée, peu éclairée, il y a une étagère basse avec toute une collection de boîte plates de métal brillant, cylindriques, dans lesquelles il garde, sans marque distinctive, des vidéos, des films. Je suis surprise du nombre de documents qu’il a collectés, surprise aussi de la sûreté avec laquelle il va les choisir, comme s’il avait tout en mémoire.
Je travaille avec lui. Ce travail, ce qui en naît, c’est un plaisir profond, encore accru par le fait qu’il se fasse ensemble….il me semble qu’il n’y a rien d’autre qui puisse égaler cette satisfaction.
Une jeune fille passe dans ce jardin, elle est blonde, ses sourcils eux-mêmes sont dorés ; elle promène sa beauté, elle est avec lui, elle est en dehors du travail.
Une autre jeune fille apparait dans le rêve, aux cheveux châtain roux. Elle les coiffe d’un bandeau, utilisant pour les lisser en arrière le mouvement du vent. Elle dit naïvement : j’aime quand j’ai raison.
Sur un côté du jardin, j’ai creusé une tranchée, et j’y ai installé de grands tronçons de branches de cerisiers. Ils feront des racines, puis des arbres. Lui me fait remarquer que le dernier d’entre eux est trop proche d’un arbre déjà adulte qu’il va gêner, alors je l’enlève. Il en reste encore 5 ou 6.

le jardin est comme un sarcophage – il vire au vert tout entier dans le soir
où luit et s’ouvre
la boîte cherchée, et c’est ce qu’il fallait ce soir pour terminer.
la journée s’est passée comme les précédentes
calme sourde et féconde
et le temps est fécond – sans mesure et sans chiffre.

tout vient prendre sa place
dans ce qui naît sous nos yeux
le double regard suffit
pour trouver tout.

de même, dans l’architecture cachée du jardin,
dans les allées qui entourent les longs bâtiments
on plante et donne
à chaque espace son végétal
à chaque végétal une part de lumière, un trou.
et le temps ne coule plus
à cause de cette fécondité, de cette architecture latente,
à cause de ce qui doit être, qui est.
le temps s’avance à son rythme.

c'est drôle (et je m'empresse de consigner avant que tout ne s'évapore), je viens juste de réaliser que j'ai rêvé la nuit dernière de ce rêve (texte) ; je ne comprenais pas d'où il venait, ce qui l'avait suscité, et la réponse certaine vient de se faire tout à coup - comme c'est souvent le cas dans ces circonstances.

peut-être le fait d'avoir tourné autour at length, pour essayer de percer derrière les mots, en extraire la matière, me raccrocher à une interprétation... ?

il y a aussi la Boîte de Anne Veillac, que j'ai oublié de mentionner.

je réponds assez rapidement parce que ta (décidément je préfère le tutoiement sur un forum) réaction me donne l'occasion de préciser quelques détails :
Ce texte est le récit littéral et aussi fidèle que possible d'un rêve réel, accompagné d'une "variation" poétique. Il m'a semblé que c'était les deux moyens dont on dispose pour tenter de rendre ce vécu si particulier et fort que laisse parfois un rêve, des émotions qui disent des choses importantes, sans du tout aller vers l'analyse.
Je traverse une période, comme on dit, "d'intense activité onirique", et je prends le risque de l'impudeur dans ces récits, mais avec l'espoir que si le texte est bien écrit (et je le revendique comme un texte littéraire), il peut prendre aussi un sens pour les autres.
Que tu en aies rêvé à ton tour me touche donc beaucoup.
Le poème d'Annie Veillac, que je n'avais pas lu car il est ancien, a aussi des caractéristiques oniriques, en particulier ces passages par différentes facettes d'une situation, et la qualité symbolique d'un objet. J'aime beaucoup la façon dont il est écrit, en gardant toute son ouverture (si j'ose dire), et les liens avec ce texte-ci sont étonnants.

c'est en effet ainsi que j'avais compris le deuxième texte, comme une version poétisée du premier.
de même, "mais avec l'espoir que si le texte est bien écrit (et je le revendique comme un texte littéraire), il peut prendre aussi un sens pour les autres." je me suis in petto fait la réflexion que si le texte pouvait influencer mes propres rêves, alors les éléments qui le composent, "l'histoire" sous-jacente devaient être suffisamment bien (d)écrits pour laisser une empreinte non négligeable dans l'inconscient du lecteur.

Faire partager un rêve est très difficile, sauf s'il est fort visuellement .
Ici tu y parviens et ton écriture "étale" convient très bien .
L'idée du contrepoint poétique: excellente! Mais c'est cette seconde partie que j'aurais aimée plus franchement mystérieuse, fantasque, moins sage. Creuser un peu plus le contraste entre le récit et son écho? Trop de "est" finissent par l'affadir, dommage.
Je te préfère jardinière que nageuse en eaux troubles!!!

oui, tu as sûrement raison. Il faudrait un poème qui s'enfonce de plus en plus profond dans l'étrangeté du poème, à partir de ce que j'ai écrit.

il y a des moments d'eaux froides et des moments de jardin. On ne peut choisir entre eux

fécondité-stoïcisme-planter-vivre: tu as rêvé d'amour je pense. Suis pas Freud, mais ce n'est pas raté du tout comme récit.

Oui, tu as raison, c'est un rêve de célébration. En voilà un autre :



car c'est ce que je désirais (rêve du fleuve)




J’ai rêvé cette nuit une chose étrange, un long rêve.
J’avais un voyage à faire, un voyage dans un fleuve, et ce fleuve c’était le Nil.
Mais ce n’était pas un voyage « sur » le Nil……la plus importante partie du voyage se passait à nager dans le fleuve, à me laisser entraîner sous la surface, d’affluent en petit port, de rive en milieu de courant, chargé d´objets flottants.
Certains endroits étaient dangereux, à cause de tout ce qui encombrait l’eau noire et plutôt sale, à cause des innombrables embarcations qui se croisaient en désordre, ce désordre particulier des pays pauvres, où chacun sait avec une habileté presque surnaturelle tirer son épingle du jeu, se faufiler, mais où nous sommes si apeurés et maladroits et débordés, trop habitués à l’ordre et la sécurité. Pour autant, moi aussi dans le rêve, je m’en débrouillais bien, je n’avais pas peur.
Quand je dis « moi », c’est plutôt le rêveur, moi-celui qui rêvait, qui nageait. Il n’ y avait rien de féminin en moi, ni même (presque) une quelconque identité. J’étais le nageur-rêveur, un occidental depuis longtemps familier des eaux de ce fleuve. Habitué de défis inutiles, quelqu’un qui n’existait que dans les mouvements de la nage, l’attention aux obstacles et aux dangers, l’indifférence à la saleté inévitable. S’approcher des quais, être juste une tête mouillée dans l’obscurité, qui se déplace silencieusement entre les pilotis vaseux, les barques plates et les bidons.
Au cours du rêve je sortais souvent du fleuve, et pour certaines parties (sans doute plus difficiles) du voyage, j’allais sur une sorte de ponton flottant rejoindre deux hommes dont c’était le métier : accompagner, aider les voyageurs. Des gens du pays, que je connaissais depuis longtemps.
Alors pour un jour ou deux je me laissais conduire, et dans ces moments où j’étais hors de l’eau, dans leur espèce de bateau un peu pourri, leur habitude du fleuve et de ses méandres, il me semble que j’étais une femme. Mais une sorte de femme fatiguée et intéressée seulement par ce qu’elle a à faire, qui se tait. Ma mère apparaissait dans le rêve juste un instant, participait à l’organisation du voyage, puis disparaissait.
Quand le réveil est venu, c’était trop tôt. J’ai lutté un moment pour rejoindre le rêve, replonger, car c’est ce que je désirais. Mais en vain.

eau noire, entrée
dans les moindres replis du corps dans les oreilles
la grotte étroite des narines et l’eau salée des yeux
je te partage avec toutes ces choses
qui s’écartent pour me laisser passer – eau sale
de tous les rejets de la vie tu ne pourrais rien salir
tu lisses
ma peau en toi - en qui je glisse.

j’ai quelques connaissances et quelques rappels
j’ai le plan des villes je connais quelques mots
je sais ce que font les gens qui se penchent
accroupis, à genoux – et la forme du contenant
qu’ils plongent dans tes reflets
l’écharpe de tes algues reflue le long des pontons.

et certains t’habitent, on devine
l’éclat de leurs dents quand ils parlent
dans le noir j’entends (de là où je suis)
leurs rires planant sur la fumée d’un feu
dans la chaleur humide du soir
leurs épaules sont comme des poissons lisses.

alors je me retourne je plonge
vers le milieu du fleuve la rive opposée
presque invisible, de brumeux signaux au loin
il est temps de redevenir aveugle
de descendre dans le froid obscur et simple
au fond le courant est sans nuance.

muscle serpent et roi invisible
je vais avec lui qui n’a qu’un seul sens.