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Rupture littéraire (exercice)

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Rupture littéraire (exercice) Empty Rupture littéraire (exercice)

Message  Sahkti Mar 17 Jan 2006 - 17:23

En rentrant de son travail, Georges trouva un message de Barbara, sa compagne et future épouse. Elle était sortie avec une amie qui fêtait ses trente ans, elle rentrerait sans doute assez tard, elle lui avait préparé un repas froid. Elle sollicitait également son aide pour l’avancer dans son travail (Barbara était prof de français dans un lycée professionnel), ses étudiants lui avaient rendu un devoir pour leur cours d’expression écrite, elle était en retard dans ses corrections.
Georges soupira. Après tout, pourquoi pas… Il s’empara de la première copie et commença à lire. C’était facile, les étudiants devaient rédiger un courrier. La plupart avaient choisi la lettre type de candidature pour un emploi à la mairie, d’autres avaient opté pour la lettre d’amour. Georges s’enfonça confortablement dans le canapé et parcourut rapidement les feuillets. Bien peu d’originalité dans ces travaux d’étudiants, il comprenait que Barbara rentre souvent épuisée et démoralisée après sa journée de travail. Quelle plaie cette bande de cancres !

Une missive retint cependant son attention. Très différente des autres, elle ressemblait à une devinette. L’étudiante, une certaine Valérie Lepreau, s’adressait à un mystérieux correspondant simplement désigné par « A toi ».Georges en déduisit qu’il s’agissait d’un homme, sans doute son petit ami.
La lettre commençait ainsi : "Sais-tu ce que j’ai pensé le jour où nos regards se sont croisés ? Non, sans doute pas. Je le compris plus tard en lisant un article d’Albert Brie dans Le Devoir, dont le sous-titre fut pour moi comme un déclic."
Suivait une référence. Georges fut intrigué, d’autant plus que le reste du courrier regorgeait d’autres références, comme un vaste jeu de piste. Heureusement, la bibliothèque du couple était plutôt bien fournie, à cause du travail de Barbara. Sans peine, Georges dégota le numéro du Devoir auquel il était fait mention et tomba sur l’article en question : "L’amour est aveugle par éblouissement". Etrange, pensa Georges. Intrigué par l’utilisation d’une telle annotation en début de courrier, il se pencha plus attentivement sur la seconde indication. Elle renvoyait à un texte de Luc Ferry, L’Homme-Dieu, que Barbara possédait en édition de poche. Pensez-donc, les écrits de l’ancien Ministre de l’Enseignement avaient tous été bradés lors de son exclusion du gouvernement, la jeune femme avait fait une bonne affaire. Le passage souligné, page 112, disait "Le mariage d’amour semble porter en lui dès l’origine, presque par essence, sa dissolution. Si le sentiment seul unit les êtres, il peut à lui seul aussi les désunir."
Original ! s’exclama Georges tout excité à l’idée de jouer les clones de Sherlock Holmes le temps d’une soirée de célibat. D’autant plus que si la lettre de Valérie Lepreau tenait sur une seule face, elle recelait pas mal de références qu’il allait s’amuser à chercher dans la bibliothèque ou sur Internet si il le fallait. Finalement, ce n’était pas si mal le boulot de Barbara !
L’étudiante connaissait apparemment les classiques de la littérature. Le troisième paragraphe renvoyait à La Rochefoucauld et ses célèbres Maximes morales, plus particulièrement celle qui affirme que "Ce qui nous fait tant aimer les nouvelles connaissances n’est pas tant la lassitude (…)que le dégoût de n’être pas assez admirés de ceux qui nous connaissent trop."

Tout en se félicitant des richesses contenues dans la bibliothèque, Georges passa près de deux heures à lire la copie de Valérie Lepreau et à résoudre les énigmes qu’elle avait placées dans son texte. Peu à peu, le courrier voyait le jour, Georges alignait les idées et les citations les unes à la suite des autres et constatait qu’une lettre cohérente avait pris forme sous ses yeux. La correspondance "déguisée" parlait de coup de foudre aveugle, de lassitude, de doutes, de rupture inévitable, d’isolement salutaire. C’était clair, la jeune fille n’aimait pas son fiancé et voulait le quitter.
Georges était sous le charme de l’ingéniosité de cette étudiante, il allait encourager Barbara, dès son retour, à mettre la note maximale à la jeune fille!
Restait une référence qu’il eût un peu plus de mal à trouver. Il s’agissait d’un recueil de Nietzsche qu’il était certain d’avoir vu la veille encore. Où diable ce texte avait-il disparu ? Georges retourna la pile de livres déposés sur le bureau et mit enfin la main sur le précieux volume "Ainsi parlait Zarathoustra". Il l’ouvrit fiévreusement à la page 10 et lut le passage "Ce qui est grand dans l'homme c'est qu'il est un pont et non un but : ce que l'on peut aimer dans l'homme, c'est qu'il est une transition et qu'il est un déclin."
L’enthousiasme de Georges retomba comme un soufflé. Cela ne voulait rien dire ! Il eût beau réfléchir, rien à faire, il manquait quelque chose. Une flèche crayonnée et un numéro, 52. A tout hasard, il se rendit à la page 52 et y trouva un passage surligné : "Il y a toujours un peu de folie dans l’amour. Mais il y a toujours aussi un peu de raison dans la folie." Un autre numéro, 95, des pages tournées fiévreusement et un extrait entouré cette fois: "Beaucoup de courtes folies, c’est ce qui, chez nous, se nomme amour. Et votre mariage, finit beaucoup de courtes folies, en une longue bêtise."

Relisant cette phrase qui terminait la lettre de Valérie Lepreau, Georges s’assit en regrettant cette fin qu’il ne jugeait pas très convaincante. Il lança le bouquin sur la table du salon, un morceau de papier en tomba, Georges le ramassa machinalement et reconnut la petite écriture serrée de Barbara.
"Georges, dans ta fébrilité, as-tu remarqué que les passages cités par Valérie Levreau sont crayonnés dans mon exemplaire de Nietzsche ? Je n’ai pas de dernière citation à te proposer Georges, je te demande simplement d’écouter le morceau que j’ai placé dans le lecteur CD. Adieu. Barbara"
Abasourdi, Georges appuya sur Play et entendit la voix suave de Zazie, accompagnée de Vincent Baguian.
"Je ne t'aime pas
C'est plus fort que moi
J'aimerais crier que je t'aime
Je crois bien que j'ai un problème
Je ne t'aime pas
C'est plus fort que moi
Les larmes qui coulent sur tes joues
C'est pas facile à dire mais ...
Je m'en fous
Avec horreur dans ton sourire
J'ai lu l'amour et le désir
Alors en fermant les paupières
J'ai aussi éteint la lumière…"
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