Lettres d'hier...
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Lunatik
polipheme1
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Lettres d'hier...
Bonjour,
Absent de "vos écrits", je n'ai guère avancé dans ma participation aux échanges divers proposés par vos forums et je le regrette vivement.
Je vous propose aujourd'hui cet échange épistolaire d'une autre époque.
En atendant de vous lire....
Bonjour Ma Dame,
J'ai reçu ce matin votre lettre d'Etretat,
Vous me dites que la mer est calme bien que le temps soit gris.
Que le calcaire a la blancheur de ces matins d'hiver et de froid et que vous vous ennuyez.
Ici, les jours succèdent à ces nuits sans fin où l'heure s'étire en de mornes balances normandes. De feutre et de cire, la chambre vide écoute vos pas qui s'effacent peu à peu de sa mémoire. Dehors, il neige encore. En tourbillons serviles, les flocons suivent la course du vent qui les mènera à vous peut être.
Sentirez-vous alors le poids de mon silence, celui qui m'empêche de vous dire l'intolérable passion qui brise ce qui me reste de raison ?
La jument du pré haut a mis bas ce matin. Grégoire est resté avec elle et le poulain. Il est magnifique, il vous plaira sûrement. Lui avez vous donné un nom déjà ?
La fille des Gerbeaut s'est mariée dimanche. Le mariage ne cachait pas son ventre rond et son sourire crispé, l'Antoine, son époux, partira jeudi pour le front.
Le front...
D'étranges nouvelles nous parviennent parfois de gens qui passent à la ferme. Devrais-je partir à mon tour ?
Et s'il se faisait, m'écrirez vous encore ma douce Amie ?
Votre retour s'allonge et il me tarde de vous revoir et d'écouter la mer dans vos yeux d'enfant.
Demain, je pars pour Coutances, j'emmènerai Richard. A lui aussi vous manquez. Je le vois souvent, assis vers le banc du jardin, le regard fixe, la truffe tournée vers le portail ouvert. Il vous attend, fidèle. Seules nos promenades matinales le sortent de son ennui. Le chat et les poules du Père Matray ne reviennent toujours pas de ce répit, inespéré.
J'achèterai du pain d'épice et des galettes de la mère Poulard.
Je boirai du thé au café d'Antan et peut-être que j'entendrai ce chanteur des rues qui vous avait émue, la dernière fois.
Mais il est tard et minuit sonne. Ma bougie se meurt.
Vous me dites que la mer est calme et que le temps est gris.
Ici, la mer est grise et le temps s'étire, à l'infini.
Paul
Paul,
Je n’ai reçu votre lettre que ce matin. Adémar le facteur est parti pour le front, c’est le vieux Raoul qui le remplace. Sa mémoire, et ses jambes parfois, lui font défaut.
Paul, quelle joie de recevoir enfin de vos nouvelles. Les journées sont si longues loin de Coutances, les Bois-Francs me manquent tellement. Ici, les heures près de Père s’allongent à l’infini. Pourtant, sa santé s’améliore et il ne me reparle plus du décès de Mère. Nous avons repris nos promenades à cheval et il passe le reste de son temps à l’atelier. Sa peinture a changé. Sa rencontre avec ce Monsieur Monet l’a marqué profondément. Qu’importe, puisqu’il reprend goût à la vie.
Oh Paul, j’ai eu si peur de le perdre lui aussi.
Depuis le départ de Mère, Fanette règne sur le domaine en propriétaire et mène la vie dure à nos gens. Je la verrai demain et lui rappellerai son rôle ici. Père ne lui dit rien. Y a-t-il quelque chose entre eux que j’ignore ?
J’ai fait la connaissance d’une charmante britannique lors d’une promenade en solitaire le long de la plage. Miss Lovecraft, c’est son nom, travaille comme jeune fille au pair chez nos voisins, les Magloire. Ils souhaitent que leurs enfants reçoivent une éducation à l’anglaise. Cette jeune lady cherchait des fossiles au pied de la falaise aux cormorans. Vous souvenez vous, Paul, de cet endroit ? Je m’y rends souvent et le souvenir de nos premiers baisers est un baume à mon cœur qui saigne de votre absence.
Miss Lovecraft et moi-même nous retrouvons le dimanche après l’office. Nous prenons le thé et dégustons ces fameux macarons que vous aimez tant. J’ai hâte de vous la présenter. Serez-vous des nôtres pour Noël ?
La jument du pré haut a mis bas, quel bonheur ! J’aurais aimé être là pour vous assister. Je lui donnerai un nom après l’avoir vu. Et Richard ? Ce labrador me manque beaucoup. Plus que je ne l’aurais imaginé. Père n’a pas repris de chien depuis la mort de Wellington. Le setter Irlandais tenait une si grande place dans son cœur qu’il lui est difficile de le remplacer.
Et vous Paul ? La ferme doit prendre tout votre temps mais que faites vous de ces instants qui nous étaient chers ? Je vous imagine le soir dans votre fauteuil préféré, un livre à la main. Et quand la nuit vient, j’ai parfois peine à m’endormir tant votre présence me manque. Je vous devine, debout devant la cheminée, déclamant à Richard des poèmes de Verlaine, ou de monsieur Baudelaire. Vous souriez n’est-ce pas ? Avez-vous enfin converti notre chien à la poésie ?
Il se fait tard et j’entends Fanette sonner le souper. Je ne souhaite pas m’attirer ses foudres en arrivant en retard.
Paul, j’allais oublier. Monsieur le maire m’a demandé de remplacer Jean l’instituteur parti lui aussi à la guerre. Accepter pourrait reporter mon retour aux Bois-Francs avant un certain temps. Dois-je refuser sa requête ?
J’attends de vos nouvelles qui, je l’espère, arriveront avec le courrier du matin.
Anaïs
Absent de "vos écrits", je n'ai guère avancé dans ma participation aux échanges divers proposés par vos forums et je le regrette vivement.
Je vous propose aujourd'hui cet échange épistolaire d'une autre époque.
En atendant de vous lire....
Bonjour Ma Dame,
J'ai reçu ce matin votre lettre d'Etretat,
Vous me dites que la mer est calme bien que le temps soit gris.
Que le calcaire a la blancheur de ces matins d'hiver et de froid et que vous vous ennuyez.
Ici, les jours succèdent à ces nuits sans fin où l'heure s'étire en de mornes balances normandes. De feutre et de cire, la chambre vide écoute vos pas qui s'effacent peu à peu de sa mémoire. Dehors, il neige encore. En tourbillons serviles, les flocons suivent la course du vent qui les mènera à vous peut être.
Sentirez-vous alors le poids de mon silence, celui qui m'empêche de vous dire l'intolérable passion qui brise ce qui me reste de raison ?
La jument du pré haut a mis bas ce matin. Grégoire est resté avec elle et le poulain. Il est magnifique, il vous plaira sûrement. Lui avez vous donné un nom déjà ?
La fille des Gerbeaut s'est mariée dimanche. Le mariage ne cachait pas son ventre rond et son sourire crispé, l'Antoine, son époux, partira jeudi pour le front.
Le front...
D'étranges nouvelles nous parviennent parfois de gens qui passent à la ferme. Devrais-je partir à mon tour ?
Et s'il se faisait, m'écrirez vous encore ma douce Amie ?
Votre retour s'allonge et il me tarde de vous revoir et d'écouter la mer dans vos yeux d'enfant.
Demain, je pars pour Coutances, j'emmènerai Richard. A lui aussi vous manquez. Je le vois souvent, assis vers le banc du jardin, le regard fixe, la truffe tournée vers le portail ouvert. Il vous attend, fidèle. Seules nos promenades matinales le sortent de son ennui. Le chat et les poules du Père Matray ne reviennent toujours pas de ce répit, inespéré.
J'achèterai du pain d'épice et des galettes de la mère Poulard.
Je boirai du thé au café d'Antan et peut-être que j'entendrai ce chanteur des rues qui vous avait émue, la dernière fois.
Mais il est tard et minuit sonne. Ma bougie se meurt.
Vous me dites que la mer est calme et que le temps est gris.
Ici, la mer est grise et le temps s'étire, à l'infini.
Paul
***
Paul,
Je n’ai reçu votre lettre que ce matin. Adémar le facteur est parti pour le front, c’est le vieux Raoul qui le remplace. Sa mémoire, et ses jambes parfois, lui font défaut.
Paul, quelle joie de recevoir enfin de vos nouvelles. Les journées sont si longues loin de Coutances, les Bois-Francs me manquent tellement. Ici, les heures près de Père s’allongent à l’infini. Pourtant, sa santé s’améliore et il ne me reparle plus du décès de Mère. Nous avons repris nos promenades à cheval et il passe le reste de son temps à l’atelier. Sa peinture a changé. Sa rencontre avec ce Monsieur Monet l’a marqué profondément. Qu’importe, puisqu’il reprend goût à la vie.
Oh Paul, j’ai eu si peur de le perdre lui aussi.
Depuis le départ de Mère, Fanette règne sur le domaine en propriétaire et mène la vie dure à nos gens. Je la verrai demain et lui rappellerai son rôle ici. Père ne lui dit rien. Y a-t-il quelque chose entre eux que j’ignore ?
J’ai fait la connaissance d’une charmante britannique lors d’une promenade en solitaire le long de la plage. Miss Lovecraft, c’est son nom, travaille comme jeune fille au pair chez nos voisins, les Magloire. Ils souhaitent que leurs enfants reçoivent une éducation à l’anglaise. Cette jeune lady cherchait des fossiles au pied de la falaise aux cormorans. Vous souvenez vous, Paul, de cet endroit ? Je m’y rends souvent et le souvenir de nos premiers baisers est un baume à mon cœur qui saigne de votre absence.
Miss Lovecraft et moi-même nous retrouvons le dimanche après l’office. Nous prenons le thé et dégustons ces fameux macarons que vous aimez tant. J’ai hâte de vous la présenter. Serez-vous des nôtres pour Noël ?
La jument du pré haut a mis bas, quel bonheur ! J’aurais aimé être là pour vous assister. Je lui donnerai un nom après l’avoir vu. Et Richard ? Ce labrador me manque beaucoup. Plus que je ne l’aurais imaginé. Père n’a pas repris de chien depuis la mort de Wellington. Le setter Irlandais tenait une si grande place dans son cœur qu’il lui est difficile de le remplacer.
Et vous Paul ? La ferme doit prendre tout votre temps mais que faites vous de ces instants qui nous étaient chers ? Je vous imagine le soir dans votre fauteuil préféré, un livre à la main. Et quand la nuit vient, j’ai parfois peine à m’endormir tant votre présence me manque. Je vous devine, debout devant la cheminée, déclamant à Richard des poèmes de Verlaine, ou de monsieur Baudelaire. Vous souriez n’est-ce pas ? Avez-vous enfin converti notre chien à la poésie ?
Il se fait tard et j’entends Fanette sonner le souper. Je ne souhaite pas m’attirer ses foudres en arrivant en retard.
Paul, j’allais oublier. Monsieur le maire m’a demandé de remplacer Jean l’instituteur parti lui aussi à la guerre. Accepter pourrait reporter mon retour aux Bois-Francs avant un certain temps. Dois-je refuser sa requête ?
J’attends de vos nouvelles qui, je l’espère, arriveront avec le courrier du matin.
Anaïs
polipheme1- Nombre de messages : 8
Age : 54
Date d'inscription : 01/09/2014
Re: Lettres d'hier...
Une suite ?
C'est plaisant à lire mais soit j'ai loupé quelque chose, soit c'est un peu court, jeune homme.
C'est plaisant à lire mais soit j'ai loupé quelque chose, soit c'est un peu court, jeune homme.
Re: Lettres d'hier...
c'est assez fascinant. ce poids des mots, qui donne une importance à chaque chose.
hi wen- Nombre de messages : 899
Age : 27
Date d'inscription : 07/01/2011
Re: Lettres d'hier...
Je retrouve beaucoup de climats dans cet échange comme si le temps de l'écriture avait mixé les époques, les ressentis, les styles familiers et pourtant lointains. A suivre...
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
re : Lettres d'hier
Tout y est. Le voyage dans cette époque par les faits de la vie. Pas de pathos sur ce qu'elle impose. Par contre, juste une moindre réserve ; on oscille entre le vérisme possible et toutefois la virtuosité de l'exercice dont on sent un peu malgré tout le savoir faire, et la concentration d'un maximum de données pour prouver la performance et l'intention d'écriture. Parfois des petits moments, des "presque rien" des "je n'sais quoi" seraient peut-être bienvenus... Mais je suis sévère. Et j'apprécie sincèrement.
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: Lettres d'hier...
J'ai bien aimé aussi. Quelques petites choses à reprendre, en particulier cette phrase "Sentirez-vous alors le poids de mon silence, celui qui m'empêche de vous dire l'intolérable passion qui brise ce qui me reste de raison ? " qui prend un relief comique au milieu du reste, trop différent, même si elle n'est pas invraisemblable.
Et oui, il y a un petit côté "appliqué", almanach, qu'il faudrait légèrement gommer.
Mais la psychologie de l'époque est bien rendue, je trouve : une retenue mais déjà une certaine liberté pour parler de soi.
Et oui, il y a un petit côté "appliqué", almanach, qu'il faudrait légèrement gommer.
Mais la psychologie de l'époque est bien rendue, je trouve : une retenue mais déjà une certaine liberté pour parler de soi.
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