Le temps d'une nuit (4)
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Le temps d'une nuit (4)
― Oh mon dieu… Elika...
La petite regardait alternativement sa mère, le docteur Simon, le socle de Païkan, elle comprenait son erreur, en mesurait les conséquences terribles…
Pendant ce temps-là Simon restait le regard fixé sur la paroi-écran : la salle était à moitié détruite, le plafond écroulé. Ses confrères avaient eu le temps de sortir à temps. Il soupira de soulagement. Triste répit. Dés qu’il releva les yeux, il vit le ciel à travers le trou formé par l’effondrement. Il prenait feu. Il tournait de bleu polaire à rouge crépitant, et l’air autour semblait également devenir écarlate et épais de fumée, sans doute la couleur était-elle reflétée massivement par la glace.
Mais la glace ? Elle devait fondre ? Les hommes… qu’allaient-il devenir là haut, ils ne pourraient jamais rejoindre un hélicoptère et évacuer le pôle avant qu’il ne soit trop tard ?
Il ne pouvait pas les laisser mourir…
Il lâcha la main de la petite, fit volte face, et commença à remonter les escaliers en direction du puits. Eléa le rattrapa au dernier moment :
― Simon !!!!!!!
― Je ne peux pas Eléa, je ne peux pas les laisser mourir comme ça, il faut que je les aide.
― Impossible, c’est trop tard, bien trop tard. Si vous sortez vous mourrez comme les autres. Restez-là Simon, je vous en prie, dehors ils ne survivront pas. Avec ou sans vous, dehors c’est fini, pour la Terre, une nouvelle fois, c’est terminé.
Le docteur Simon se retourna, dépité.
― Mais Eléa, ce n’est pas possible…
― Je vous assure que si. Coban avait prévu cette arme de défense au cas où les choses tourneraient mal pour nous. Il suffit d’actionner certains boutons dans un ordre précis et complexe, et l’arme se déclenche. On ne peut plus l’arrêter.
La petite pleurait. Simon la rassura comme il put, bien qu’il lui en voulait de mettre ainsi le monde en péril. Mais ce n’était qu’une enfant, et elle se sentait déjà assez mal comme ça.
Eléa reprit :
― Ecoutez Simon, après la mise en route de l’arme, il nous reste exactement vingt minutes pour nous recongeler. Chacun reprend sa place et ne forme plus qu’un avec son socle. Il nous faut faire vite, voici comment nous allons procéder…
A cet instant quelque chose attira leur attention dans l’écran : des éclats de feu volaient de part et d’autre dans le ciel. L’un d’entre eux venait d’atterrir dans le labo, achevant les dernières machines encore en fonction, un deuxième, plus lourd encore, coupa toute communication avec le monde extérieur.
L’image s’évanouit.
― Eléa, se congeler… mais, je n’ai pas de socle ?
― … ?
Eléa débita des mots à une vitesse hallucinante, totalement incompréhensibles.
Simon la regarda.
― Les oreillettes, la traductrice, plus rien ne marche !…
Eléa, si elle ne comprenait pas sa langue, comprenait au moins son regard.
Elle fut prise de panique à son tour, se hâta de réactiver la congélation de Païkan, de hisser de nouveau le dôme de glace que la manœuvre d’Elika avait tout de même réussi à entamer.
Elle dit alors, en langage Gonda :
― C’est à toi, ma chérie, retourne de l’autre côté de la paroi, je vais actionner le mécanisme une fois que tu seras bien installée.
La petite Elika serra de ses bras le grand monsieur qu’elle ne verrait peut-être plus, geste d’excuse aussi, excuse d’avoir détruit tout ce qui faisait son monde, sa vie.
Le docteur Simon passa sa main dans ses boucles brunes, en un geste rassurant et compréhensif, il n’y avait plus de place ni de temps pour les regrets.
La petite se précipita dans les bras de sa mère, qui l’enlaça de toute sa tendresse.
― On se revoit quand maman ?
― Dans une nuit ma chérie, on va dormir un peu, et puis demain matin on sera de nouveau réunis, toi, moi, Païkan… et le docteur Simon.
Elika se dirigea lentement vers son réduit, se retournant sans arrêt pour voir le sourire protecteur de sa mère.
Simon la regardait tristement s’éloigner et traverser la cloison par la petite porte. Il ne la reverrait plus, comme il ne reverrait plus jamais Eléa, ni qui que ce soit d’ailleurs.
Il lui sourit une dernière fois, puis la petite disparut, on n’entendait plus que ses mouvements rapides qui remettaient en place tout le système respiratoire.
― Je suis prête maman !
― Bonne nuit ma chérie.
Eléa remit le processus en route.
Simon regardait maintenant Eléa, qui semblait chercher une solution.
Une solution à quoi ?
Il n’y avait pas de problème. Elle se congèlerait une nouvelle fois, et lui allait mourir. Aucune autre possibilité ne se présentait, il n’y avait pas de calcul plus rapide.
Elle le savait aussi bien que lui. Elle s’assit contre la surface d’une machine, les larmes aux yeux.
Simon vint la rejoindre, lui caressa tendrement la joue, et lui murmura des « ce n’est pas grave » qu’elle comprit très bien. Pas besoin de la traductrice pour comprendre ce langage là.
Elle le regarda dans les yeux, son seul ami sur cette nouvelle Terre qui n’était déjà plus.
Elle regarda son visage et s’attarda quelques secondes sur ses lèvres.
Elle se leva brusquement, lueur d’intelligence dans les yeux, expression d’un mathématicien qui viendrait de trouver le x d’une équation irrésolue depuis des siècles.
Eléa fit signe au docteur Simon de se lever, l’entraîna près du socle et le fit asseoir.
L’homme eut un mouvement de recul, que faisait-elle ? Elle n’allait quand même pas… ?
Eléa le rassura du regard, fit non de la tête, et l’apaisa d’un geste de la main.
Elle sortit un petit objet tranchant d’une de ses poches, et se fit une légère entaille dans le bras. Elle récupéra quelques gouttes de sang du bout de la lame, et les posa délicatement sur le socle.
Elle recommença la même opération sur le bras du docteur Simon, et introduisit, sous le regard incompréhensif de l’homme, quelques gouttes de son sang brun-doré dans la petite coupure.
Simon se sentit aussitôt doté de nouvelles forces, revigoré, empli d’une nouvelle vie. Il ne le savait pas, mais Eléa savait elle, que sans cette potion qui permettait de conserver le corps intact pour l’éternité, il n’aurait pas pu survivre dans l’œuf.
Il ne restait évidemment plus de potion depuis 900 000 ans, mais elle espérait que quelques gouttes de son sang suffiraient à le maintenir en vie jusqu’au prochain réveil.
Elle fit signe à son ami de s’allonger sur le socle, sur le côté. Il s’exécuta.
Pendant ce temps, elle alla régler la machine, afin qu’elle déclenche le processus automatiquement une dizaine de minutes plus tard.
Elle déposa un baiser sur le dôme où Païkan reposait, murmura quelques mots d’amour.
Elle s’approcha alors du socle, s’allongea à son tour sur le côté. Ils se regardaient, face à face, pas de la même manière, au désespoir du docteur Simon, mais avec une certaine complicité, malgré tout…
Elle tenta de lui faire comprendre son idée, et lui montra successivement le masque respiratoire, l’embouchure en plastique, ses lèvres, et puis les siennes.
Le docteur comprit finalement.
L’idée d’Eléa était de partager le tube respiratoire, de joindre leurs lèvres pour recevoir l’un et l’autre de quoi rester en vie pendant plusieurs millénaires.
La glace qui les couvrirait entièrement comblerait l’espace lèvres-tube si besoin, et parviendrait à maintenir solidement l’embout au coin de leurs bouches.
Simon la regarda, souriant de la voir sourire.
Elle devint grave quelques secondes et dit en langage Gonda :
― Je suis à Païkan…
Simon, bien que la traductrice ne lui soit plus d’aucun secours, saisit totalement le sens de cette phrase pour l’avoir entendue une bonne centaine de fois.
Il répondit, pour elle, parce qu’il savait qu’elle comprendrait, mais surtout pour lui :
― Je sais, Eléa, je sais…
Elle lui sourit de nouveau, déposa un baiser sur sa joue, prit le tube, et le positionna.
Leurs lèvres se rejoignirent.
Les deux dernières minutes passèrent, ils se regardèrent une dernière fois dans les yeux, puis s’endormirent à l’instant même ou le processus se mit en marche.
Tout était redevenu calme dans l’œuf.
La terre aussi semblait apaisée. Bien que déserte…
Pour combien de temps ?
Eléa s’était réveillée le temps d’une nuit, et se rendormait en compagnie de Païkan, Elika, et d’un nouvel occupant de l’arche, Simon.
Ils se rendormaient jusqu’à demain, le temps d’une nuit, la nuit des temps.
FIN
La petite regardait alternativement sa mère, le docteur Simon, le socle de Païkan, elle comprenait son erreur, en mesurait les conséquences terribles…
Pendant ce temps-là Simon restait le regard fixé sur la paroi-écran : la salle était à moitié détruite, le plafond écroulé. Ses confrères avaient eu le temps de sortir à temps. Il soupira de soulagement. Triste répit. Dés qu’il releva les yeux, il vit le ciel à travers le trou formé par l’effondrement. Il prenait feu. Il tournait de bleu polaire à rouge crépitant, et l’air autour semblait également devenir écarlate et épais de fumée, sans doute la couleur était-elle reflétée massivement par la glace.
Mais la glace ? Elle devait fondre ? Les hommes… qu’allaient-il devenir là haut, ils ne pourraient jamais rejoindre un hélicoptère et évacuer le pôle avant qu’il ne soit trop tard ?
Il ne pouvait pas les laisser mourir…
Il lâcha la main de la petite, fit volte face, et commença à remonter les escaliers en direction du puits. Eléa le rattrapa au dernier moment :
― Simon !!!!!!!
― Je ne peux pas Eléa, je ne peux pas les laisser mourir comme ça, il faut que je les aide.
― Impossible, c’est trop tard, bien trop tard. Si vous sortez vous mourrez comme les autres. Restez-là Simon, je vous en prie, dehors ils ne survivront pas. Avec ou sans vous, dehors c’est fini, pour la Terre, une nouvelle fois, c’est terminé.
Le docteur Simon se retourna, dépité.
― Mais Eléa, ce n’est pas possible…
― Je vous assure que si. Coban avait prévu cette arme de défense au cas où les choses tourneraient mal pour nous. Il suffit d’actionner certains boutons dans un ordre précis et complexe, et l’arme se déclenche. On ne peut plus l’arrêter.
La petite pleurait. Simon la rassura comme il put, bien qu’il lui en voulait de mettre ainsi le monde en péril. Mais ce n’était qu’une enfant, et elle se sentait déjà assez mal comme ça.
Eléa reprit :
― Ecoutez Simon, après la mise en route de l’arme, il nous reste exactement vingt minutes pour nous recongeler. Chacun reprend sa place et ne forme plus qu’un avec son socle. Il nous faut faire vite, voici comment nous allons procéder…
A cet instant quelque chose attira leur attention dans l’écran : des éclats de feu volaient de part et d’autre dans le ciel. L’un d’entre eux venait d’atterrir dans le labo, achevant les dernières machines encore en fonction, un deuxième, plus lourd encore, coupa toute communication avec le monde extérieur.
L’image s’évanouit.
― Eléa, se congeler… mais, je n’ai pas de socle ?
― … ?
Eléa débita des mots à une vitesse hallucinante, totalement incompréhensibles.
Simon la regarda.
― Les oreillettes, la traductrice, plus rien ne marche !…
Eléa, si elle ne comprenait pas sa langue, comprenait au moins son regard.
Elle fut prise de panique à son tour, se hâta de réactiver la congélation de Païkan, de hisser de nouveau le dôme de glace que la manœuvre d’Elika avait tout de même réussi à entamer.
Elle dit alors, en langage Gonda :
― C’est à toi, ma chérie, retourne de l’autre côté de la paroi, je vais actionner le mécanisme une fois que tu seras bien installée.
La petite Elika serra de ses bras le grand monsieur qu’elle ne verrait peut-être plus, geste d’excuse aussi, excuse d’avoir détruit tout ce qui faisait son monde, sa vie.
Le docteur Simon passa sa main dans ses boucles brunes, en un geste rassurant et compréhensif, il n’y avait plus de place ni de temps pour les regrets.
La petite se précipita dans les bras de sa mère, qui l’enlaça de toute sa tendresse.
― On se revoit quand maman ?
― Dans une nuit ma chérie, on va dormir un peu, et puis demain matin on sera de nouveau réunis, toi, moi, Païkan… et le docteur Simon.
Elika se dirigea lentement vers son réduit, se retournant sans arrêt pour voir le sourire protecteur de sa mère.
Simon la regardait tristement s’éloigner et traverser la cloison par la petite porte. Il ne la reverrait plus, comme il ne reverrait plus jamais Eléa, ni qui que ce soit d’ailleurs.
Il lui sourit une dernière fois, puis la petite disparut, on n’entendait plus que ses mouvements rapides qui remettaient en place tout le système respiratoire.
― Je suis prête maman !
― Bonne nuit ma chérie.
Eléa remit le processus en route.
Simon regardait maintenant Eléa, qui semblait chercher une solution.
Une solution à quoi ?
Il n’y avait pas de problème. Elle se congèlerait une nouvelle fois, et lui allait mourir. Aucune autre possibilité ne se présentait, il n’y avait pas de calcul plus rapide.
Elle le savait aussi bien que lui. Elle s’assit contre la surface d’une machine, les larmes aux yeux.
Simon vint la rejoindre, lui caressa tendrement la joue, et lui murmura des « ce n’est pas grave » qu’elle comprit très bien. Pas besoin de la traductrice pour comprendre ce langage là.
Elle le regarda dans les yeux, son seul ami sur cette nouvelle Terre qui n’était déjà plus.
Elle regarda son visage et s’attarda quelques secondes sur ses lèvres.
Elle se leva brusquement, lueur d’intelligence dans les yeux, expression d’un mathématicien qui viendrait de trouver le x d’une équation irrésolue depuis des siècles.
Eléa fit signe au docteur Simon de se lever, l’entraîna près du socle et le fit asseoir.
L’homme eut un mouvement de recul, que faisait-elle ? Elle n’allait quand même pas… ?
Eléa le rassura du regard, fit non de la tête, et l’apaisa d’un geste de la main.
Elle sortit un petit objet tranchant d’une de ses poches, et se fit une légère entaille dans le bras. Elle récupéra quelques gouttes de sang du bout de la lame, et les posa délicatement sur le socle.
Elle recommença la même opération sur le bras du docteur Simon, et introduisit, sous le regard incompréhensif de l’homme, quelques gouttes de son sang brun-doré dans la petite coupure.
Simon se sentit aussitôt doté de nouvelles forces, revigoré, empli d’une nouvelle vie. Il ne le savait pas, mais Eléa savait elle, que sans cette potion qui permettait de conserver le corps intact pour l’éternité, il n’aurait pas pu survivre dans l’œuf.
Il ne restait évidemment plus de potion depuis 900 000 ans, mais elle espérait que quelques gouttes de son sang suffiraient à le maintenir en vie jusqu’au prochain réveil.
Elle fit signe à son ami de s’allonger sur le socle, sur le côté. Il s’exécuta.
Pendant ce temps, elle alla régler la machine, afin qu’elle déclenche le processus automatiquement une dizaine de minutes plus tard.
Elle déposa un baiser sur le dôme où Païkan reposait, murmura quelques mots d’amour.
Elle s’approcha alors du socle, s’allongea à son tour sur le côté. Ils se regardaient, face à face, pas de la même manière, au désespoir du docteur Simon, mais avec une certaine complicité, malgré tout…
Elle tenta de lui faire comprendre son idée, et lui montra successivement le masque respiratoire, l’embouchure en plastique, ses lèvres, et puis les siennes.
Le docteur comprit finalement.
L’idée d’Eléa était de partager le tube respiratoire, de joindre leurs lèvres pour recevoir l’un et l’autre de quoi rester en vie pendant plusieurs millénaires.
La glace qui les couvrirait entièrement comblerait l’espace lèvres-tube si besoin, et parviendrait à maintenir solidement l’embout au coin de leurs bouches.
Simon la regarda, souriant de la voir sourire.
Elle devint grave quelques secondes et dit en langage Gonda :
― Je suis à Païkan…
Simon, bien que la traductrice ne lui soit plus d’aucun secours, saisit totalement le sens de cette phrase pour l’avoir entendue une bonne centaine de fois.
Il répondit, pour elle, parce qu’il savait qu’elle comprendrait, mais surtout pour lui :
― Je sais, Eléa, je sais…
Elle lui sourit de nouveau, déposa un baiser sur sa joue, prit le tube, et le positionna.
Leurs lèvres se rejoignirent.
Les deux dernières minutes passèrent, ils se regardèrent une dernière fois dans les yeux, puis s’endormirent à l’instant même ou le processus se mit en marche.
Tout était redevenu calme dans l’œuf.
La terre aussi semblait apaisée. Bien que déserte…
Pour combien de temps ?
Eléa s’était réveillée le temps d’une nuit, et se rendormait en compagnie de Païkan, Elika, et d’un nouvel occupant de l’arche, Simon.
Ils se rendormaient jusqu’à demain, le temps d’une nuit, la nuit des temps.
FIN
Re: Le temps d'une nuit (4)
Merci !!!!!
C'est pas du Barjavel, c'est sûr, mais vous avez fait du travail de bonne qualité, disons un bel hommage ;-)
Et l'idée, "la fameuse idée" qui fait de Barjavel le plus grand des écrivains pour moi, vous avez su l'avoir et la traiter, the good idea.
Bravo
C'est pas du Barjavel, c'est sûr, mais vous avez fait du travail de bonne qualité, disons un bel hommage ;-)
Et l'idée, "la fameuse idée" qui fait de Barjavel le plus grand des écrivains pour moi, vous avez su l'avoir et la traiter, the good idea.
Bravo
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Date d'inscription : 23/02/2008
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