L'odeur du pain et de la tendresse

Il est presque midi : son ombre est courte.
Court aussi le short à bretelles, le pull en tricot sans manches avec un V souligné à l'encolure par dessus la chemisette.
Sur un trottoir gris, le long d'un mur noir, il court ; il est attendu au bout de la rue et la fierté de son sourire illumine l'espace : c'est la première fois qu'on lui confie une mission de cette importance.
L'odeur du pain frais fait gargouiller son estomac .
Il n'a pas entamé le croûton de la baguette qu'il maintient sous son bras, une baguette démesurée dont on se demande comment elle n'a pas cassé sous l'impact de la course.
Il n'a pas perdu les sous, il ne s'est pas trompé dans la commande, il n'a pas laissé tomber le pain, c'est un grand garçon.
Hier, pour la première fois, il a mis dans la boite pour la petite souris une minuscule dent de lait ; ça ne se voit presque pas, mais l'échancrure de sa frange fait comme un écho à l'ébréchure du sourire.
Hors champ, le sourire de la mère, proche, et dans trois secondes l'enfant va se jeter dans ses bras.

Seyne, j'ai moi aussi cédé au charme incitatif de Cartier Bresson !

Alors là par exemple, pas vraiment besoin de la photo. Le texte a soi seul est photogénique. Très réussi ! Je dirais même plus comme me le suggère mes amis Dupont, la présence de l'image me parait réductrice... Etonnant comment ça fonctionne tout ça !

Très beau texte, oui, qui explore la photographie dans toutes ses significations et déborde de la tendresse qu'elle exprime. Je la connais cette photo, (je crois qu'elle est plutôt de Willy Ronis), et elle explose de la joie de vivre de ce petit garçon aimé. Surtout, ce qui m'a plu dans ton texte, c'est la note formelle : la correspondance entre la frange et la dent. C'est vrai que tous ces grands photographes, s'ils chercher avant tout à montrer une réalité humaine, sont aussi de formalistes, et c'est la rencontre des deux qui fait une grande photo, qui la rend inoubliable.
Il y a quelques nuances je trouve entre ce trio qui s'est tellement intéressé à l'enfance : Cartier Bresson, Willy Ronis, Doisneau. Cartier Bresson a un regard plus sombre, il sature moins ses images de bonheur et de lumière. Il y a presque toujours derrière ses clichés un rappel de la noirceur.

"il n'a pas...""il n'a pas..." il ne s'est pas" "c' est un grand garçon": magnifique progression qui dit tout dans une formulation évidente, simple et belle!
bravo!!

Ah, merci Obi d'avoir noté ce détail ! J'ai pensé à ça pour dater la photo : dans les années 50, être grand c'était essentiellement ne pas ( faire pipi au lit, se salir, etc...) mais je n'étais pas sûre que ça fonctionnerait, ta lecture attentive me prouve que si !

Sur un trottoir gris, au bout de la rue, il court… le rythme! on l'entend galoper !
Un bijou, ce texte

Cool.

Très bel instantané, qui en effet n'a pas besoin d'être appuyé par la photographie.

Mais, coline, à décrire la marmaille avec tant d'attachement, ne t'étonne pas de te retrouver avec des morpions dans la cuisine !

;-)))