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Tout pour ma fille.

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Message  Rezkallah Dim 24 Mar 2024 - 12:36

Tout pour ma fille

Les feuilles jaunies d'mon foutu manuscrit s'étalent en désordre sur l'sol. J'suis assis devant mon ordi, la tête pleine d'mots qui s'bousculent, pendant qu'les rires d'ma gamine, Léa, résonnent encore dans mes tympans.
Ma vie, c'est pas l'rêve américain. Ecrivain raté, incapable d'percer dans l'bordel de l'édition, j'me démerde avec des boulots d'merde pour faire bouffer ma p'tite famille. Ma femme, Clara, s'est barrée du jour au lendemain, y'a deux ans, m'laisssant moi et Léa, dix ans à peine.
Tous les soirs, après l'école, j'emmène Léa au parc. C'est d'venu notre rituel, l'moment où on s'comprend sans avoir besoin d'parler. Dans l'parc, Léa s'amuse comme une gamine, oubliant tout c'qui nous ronge, pendant que moi, j'regarde, fier et inquiet, cette p'tite gosse qui grandit trop vite.
Chaque fois que j'arrive au parc avec Léa, c'est comme si j'débarquais au milieu d'une putain de révolution. Les gamins, excités comme des puces, se précipitent vers moi, hurlant mon nom comme si j'étais une rockstar. Peut-être que pour eux, dans ce monde de parents écrasés par la routine, j'suis leur putain de héros.
J'les laisse grimper sur moi, m'agripper, me crier dessus, parce qu'c'est là qu'on s'comprend, les gosses et moi. On joue, on invente des histoires, on court comme si l'monde allait s'écrouler, et pour un moment, y'a pas d'soucis, pas d'solitude, juste l'insouciance d'une bande d'mioches et l'amour d'un père pour sa fille.
Pendant ce temps-là, les autres parents, les zombies de la société, sont affalés sur les bancs, les yeux rivés sur leur putain d'écran, leur âme aspirée par la merde numérique. Ils comprennent pas c'qu'ils ratent, ces pauvres cons. Ils ratent l'monde, la vie, l'essentiel.
Alors voilà, j'suis là, au parc, avec ma gosse et mon compte en banque en mode survie. Y'a pas grand-chose dans l'frigo, pas d'argent pour remplir l'caddie, mais au moins, on a encore d'quoi faire des pâtes au beurre ce soir. La trêve hivernale, c'est comme une putain de bouée de sauvetage qui arrive à point nommé, sinon on finirait tous les deux à la rue.
A force à force de venir, j’ai sympathisé avec des mamans… Mimi, Gloria et Yasmina. Mimi, c'est la reine des coupons rabais, elle arrache les promos comme personne. Gloria, c'est la maman décontractée, elle gère sa tribu avec un flegme olympien. Et Yasmina, c'est la tornade méditerranéenne, toujours prête à balancer des vannes qui te font plier en deux.
Entre deux histoires de couches et de biberons, elles parlent surtout de ce qu'elles vont cuisiner. Mimi, elle te sort des recettes de grand-mère comme si c'était de la haute gastronomie. Gloria, elle te prépare des plats simples mais pleins d'amour. Et Yasmina, elle te balance des plats épicés qui te réchauffent l'estomac et l'âme.
De temps en temps, elles m’en ramènent un peu, comme ça, sans prévenir. Des barquettes remplies de bon petit plat, comme si elles savaient que j'galérais un peu… Entre les cris des gamins et le bruissement des feuilles, les voix des mamans résonnent, entre rires et échanges animés.
— Eh les filles, vous savez quoi ? Ce soir, j'ai prévu un bon petit bœuf bourguignon ! Vous allez voir, c'est une tuerie ! lance Mimi avec enthousiasme.
— Ah ouais ? Moi, j'me sens d'humeur pour un bon couscous, bien relevé comme j'aime, répond Yasmina en riant.
— Et moi, les filles, j'ai décidé de faire des lasagnes maison, avec une béchamel bien crémeuse et plein de fromage gratiné par-dessus, annonce Gloria, le sourire aux lèvres.
Putain, ça me file des frissons de les entendre, avec leurs idées de plats savoureux, leurs recettes mijotées, comme si la vie se résumait à ça : remplir l'estomac. Mon propre ventre proteste… Oui bouffer c’est la vie mon coco !
Et pendant qu'elles rêvent de leurs de repas gastronomiques, moi, je suis là, à m'demander comment j'vais faire pour sortir de cette putain de galère. Ma fille, elle mérite mieux que des restes de fond de frigo et des nouilles au beurre. Mais bon, au moins, elle aura quelque chose à manger ce soir… Et ces daronnes compatissantes qui ont l'air de penser que je suis un héros parce que je sais m'occuper de ma propre fille. Que les gosses m’adorent.

—Alors monsieur l'écrivain, tout va bien ? lance l'une des pondeuses avec un sourire en coin.
—Ouais, ouais, ça roule. Et vous, les filles ?
—Oh, au top ! répond Yasmina d'un ton taquin. On se prépare un festin ce soir, comme d'habitude !
—Ah ouais ?
—Et toi ?
—Ben je sais pas trop, j'ai la flemme...
Mimi lâche un rire moqueur.
—Des pâtes au beurre peut-être ?
—Hummm... Le pauvre écrivain a l'air affamé, remarque Yasmina avec un sourire narquois. Et ta petite qui se donne à fond au conservatoire, la danse classique, c’est tellement dur… il faut bien la nourrir aussi, pas vrai les filles ?
—Oh oui, bien sûr ! Regarde la mienne comme elle grandit bien... Pour sûr qu'elle mange comme il faut ! ajoute l'une des autres, avec un ton faussement compatissant.
—D'ailleurs, tu as maigri toi, non ? demande Gloria en se tournant vers moi.
Je hausse les épaules, essayant de cacher mon embarras.
—Non, non, ça va, vous inquiétez pas…
—Écoute, j'ai fait trop de couscous ce soir. Si tu veux, tu peux venir en récupérer... On pourra bavarder un peu en même temps... Tu vois... propose Yasmina.
—Ha, c'est gentil ça..., je murmure, mais elles éclatent de rire comme des hyènes en pleine rave à Berlin Est.
La nuit enveloppe le parc qui se vide. Alors que je raccompagne Yasmina. Déjà dans les escaliers, une délicieuse odeur d'épices, de viandes et de sauces s'infiltre dans chaque pore de ma peau. L'appartement est en bordel. Yasmina a six marmots de trois pères différents. Ma fille part jouer dans sa chambre avec la sienne, pendant que les autres sèment le chaos dans le salon. Yasmina me conduit à la cuisine et me demande de patienter, en m'offrant une bière.
Une énorme marmite remplie de sauce fume sur la gazinière, et mon estomac gronde comme s'il était au bord de la mort. Un plat immense, rempli d'une graine luisante et colorée, trône sur la table. Je vide ma bière de moitié. Ça fait quatre jours que je n'ai pas mangé un vrai repas... J'en peux plus...
—Ça a l'air bon, non ?
Je me retourne et Yasmina est là, en peignoir, la chevelure mouillée, le visage empourpré. Elle est laide, affreusement laide. Grasse, avec une moustache, un nez de cochon, et je crois des lentes en gestation.
—Oui... oui... c'est une tuerie, je réponds.
Elle s’approche doucement.
—Hé bien monsieur l'écrivain... Ça fait un moment qu'on te nourrit avec les filles... et toi, tu ne nous donnes jamais rien...
—J'attends des droits d'auteur et après je vous...
—Ho arrête avec tes droits de chez pas quoi, arrête de te mentir à toi-même ! Il n'y aura jamais rien qui viendra..., elle me coupe. Alors, on fait comment ? On peut s’arranger ? Hein… Hein… Je sais ce que tu as fait avec Mimi, pour un gratin dauphinois… Et je me demande ce que tu peux faire pour un couscous ?
Je ne suis qu’un minable, si faible... Je la regarde. Elle attend. J’étais en tête avec le diable. Ça va vite… Sans mot dire, son peignoir s'ouvre comme le rideau d’un théâtre mort et l'enfer déferle sur moi. Mais… J’le jure… Ce pas un mensonge, j'attends des droits d'auteur, enfin je crois... Je sais plus... Je suis à genoux, et de sa grosse main manucurée de pondeuse, elle me tire d'un geste vif vers sa grosse chatte, épuisé et presque recouvert d'un large bourrelet tout mou, étrangement tout blanc.
"C'est ça, monsieur l'écrivain," ricane-t-elle, ça va être comme ça tous les jours maintenant… Oui, donne-toi à fond... donne tout à maman..."
Une heure après, je rentre avec ma fille sous une lune gibbeuse, mes tupperwares de couscous dans les bras. "Ça va, papa ? T'as les yeux qui brillent." Oui, ma fille, tout va bien…
On arrive. Je l'envoie à la douche, je mets la table, je sers le couscous dans deux assiettes. Un fond de freeway traînait dans le frigo, j'en verse dans deux verres et y jette des glaçons. La chair de ma chair revient en pyjama, rafraîchie. "Chouette, du couscous ! Trop bien." Mon visage se déforme d'un large sourire. Elle se jette sur son assiette et se met à dévorer. Mon portable sonne. Un texto de Gloria. Comment elle connait mon num ? « Demain c’est collette d’agneaux et patate douces, avec du tiramusu en dessert. Tu es ok ? » Je veux prendre une douche, me débarrasser de mes souillures, mais je suis épuisé. Je reste là, face à mon enfant, à la regarder se régaler. « Ok, avec un paque de bière en plus » « Ok, monsieur l’écrivain » Par la fenêtre, je vois le ciel bleu nuit, les étoiles naissantes, et des filoches de nuages. Plus loin encore, un bout d'océan…
—Papa, papa, pourquoi tu pleures ?
—Je pleure pas, mon amour, c'est juste de la vilaine poussière... dans mes yeux... Mange, mange... Elle quitte sa chaise et court jusqu'à moi, me prend dans ses petits bras frêles de toutes ses forces. "Je t'aime, papa, je t'aime, papa." "Je t'aime aussi, ma fille. Et je te promets que tu mangeras que des bonnes choses à présent... Je te le promets."

Rezkallah

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