Un jour comme les autres
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Un jour comme les autres
Hygénie entrelace une tresse épaisse mais courte et pratique, couleur de nuages par temps d’orage, d’un coquet foulard de soie mauve, gante ses mains de caoutchouc rose brillant de liquide vaisselle. Ainsi équipée, souriante et bavarde comme toujours lorsqu’elle est seule à la maison, elle passe en revue les nids à poussière, les plantes en pot désengorgées, les paniers à linge sale avec la circonspection d’une abeille. Chaque pièce astiquée mêle sur ses joues les chaudes colorations de l’effort et d’une autosatisfaction un peu honteuse. Parvenue au bout du couloir, le teint écarlate, la ménagère appliquée pénètre dans une chambre bigarrée, bosselée, ouvre quasiment à l’équerre les quatre battants des fenêtres. Elle sort du territoire de son fauve, sans même frôler du bout d’un de ses gants roses les hautes colonnes de vêtements et de livres empilés dans le désordre le plus total. Son ouvrage quotidien ainsi entamé, s’autorisant une courte pause, elle chauffe de l’eau pour le thé, dégaine une de ses revues féminines de sous la table basse du salon et s’encastre finalement dans un confortable petit fauteuil en attendant la fin des classes.
Matthias est au collège, maman fait un brin de ménage, ce pourrait être n’importe quel jour de la semaine. Seul le calendrier, qui n’en fait qu’à sa tête, montre que le soleil décline sur un jeudi. Celui-ci culmine à hauteur des yeux, tout près du petit buffet du téléphone. Un cadre doré tout en fioritures proéminentes a été cloué par-dessus, centrant la page supérieure qui figure un paysage vert et rose d’arbres fleurissants plantés en tous sens par un architecte éthylique, surplombés de sommets enneigés, maquillés de poudre de diamants mais d’un blanc moins aveuglant que le ciel invisible dont le froid a gelé les délicats bleutés. La partie du bas, quadrillée par la succession des jours sagement annotés des rendez-vous les plus importants, dépasse au dessous du cadre. Sur ce paysage, les yeux d’Hygénie se reposent quelques minutes.
Sur les bancs du collège, un étudiant à la peau ocre fouille dans des papiers brouillons, à la recherche des quelques vers qu’il a hasardés un peu plus tôt. Un petit poème qu’il a signé Iben, des mots d’amour maladroits comme il rêve d’en recevoir, même si se faire des illusions, ce n’est pas trop son genre.
« Pour M…
Un garçon dans les Enfers
Qui souvent aurait souffert
Autant que la rose flétrie
A enduré d’intempéries,
Moi je veux sous ma coupe dorée,
Te garder, te chérir, te planter,
Comme la fleur qui corolle
Son cœur à chaque saison nouvelle.
Je t’ose écrire les chansons de mon cœur,
Tu m’enverras si tu n’es point voleur,
Tes symphonies réjouir mes heures.
Iben. »
Au détour d’une route, dans un quartier boisé, dort un homme affublé de mille tics et tocs physiques qui, du zozotement au maintien anéantissent toute crédibilité mais attirent souvent des sympathies sincères en simulant la médiocrité aimable du commun des mortels. la mâchoire carrée, mastodonte qui saillait comme un organe disgracieux, des cheveux noirs aux lourdes boucles dont une, particulièrement seyante, qui habillait son visage austère d’un grain de fantaisie. Il s’éveille en sursaut, sans cris ni sueur, juste parce qu’il en a terminé de récupérer. Tout de suite, il se lève, le lit est vide derrière lui, il le sait et ne se retourne pas. Son réveil n’a pas encore sonné, il l’éteint. Les chiffres lumineux n’indiquent que cinq heures et demie. Cependant l’homme ne pense pas à éviter Meghan qui, en photo sur la table de nuit, lui sourit cruellement. Il en éprouve une peur indicible, une terreur pernicieuse et vorace de la solitude quand on n’y est plus habitué. Un instant figé, il sent chacun de ses membres qui, s’ils ne le font pas souffrir, existent et vivent paisiblement, alors que le monde s’est arrêté pour lui. Debout sur le sol, il souffre enfin ; le ciment glacé lui bleuit les pieds. Son immobilité stupide l’énerve soudain et il pleure, s’abandonne au point que tous ses sphincters lâchent en même temps. Annihilé, dégradé et sali, souillé par tous les orifices de son corps, la bouche engluée de bile, il souffre et verse enfin des torrents de larmes. Maintenant il n’a plus qu’une envie, la chaleur de l’eau, la brûlure d’une douche. Hier, il a voulu oublier et le vin à coulé à flots, plus tard, il oubliera cette matinée qu’il passe inconfortablement au dessus de la cuvette des toilettes, mais jamais ce qui l’a fait boire. Sous le jet d’eau, il pense à sa Meghan, à son ventre blanc qu’elle aurait voulu bientôt aussi rebondi qu’une outre pleine. Le géant vulnérable sèche complètement avec l’énergie qui lui revient, son corps redressé impose à nouveau la vision d’un colosse sculpté comme un discobole grec. Le dégoût se transforme en une colère, un embrasement qu’il ne cherche pas à atténuer, car elle devient son ardeur de vivre. Ayant assez tourné en rond dans sa tête étroite, comme une lionne en cage sa douleur se révolte, l’envahit voracement, grandit tout le long de la journée, devient dangereuse, éclate finalement hors du paravent protecteur de son corps : dans le petit meuble en teck de la buanderie, il s’empare de son arme et laisse germer dans son esprit un projet terrifiant.
Avec une virilité plus ou moins inscrite dans sa stature trapue, Xavier crache bruyamment la morve goudronnée par sa dixième cigarette d’affilée sur l’asphalte du parking. Armé de toute sa détermination et d’un calibre 38, il s’est garé ostensiblement devant les portes du collège. Il attend la sonnerie, il attend Meghan. Il a assis sa carrure enflée sur le capot de son auto rouge. Un renflement dans sa poche intérieure de sa veste, pour l’œil averti ou simplement curieux, ne présage rien de bon pour la femme qu’il attend ainsi de pied ferme.
La cloche annonce la fin des cours, Iben voudrait courir, il marche. Ils se retrouvent, tous les deux nonchalants comme de simples copains réjouis d’être enfin dehors et qui ne se seraient pas attendus avec l’ardeur du désir des heures durant. Il se réunissent dans une entente tacite, c’est la première fois que ça leur arrive, qu’ils ne se heurtent pas, ne bégaient pas, ne tremblent pas. Tout au contraire une chaleur égale les a emplis, détendant leurs corps au point qu’ils paraissent ces deux amis qui se rejoindraient innocemment. Pour se séparer dignement, chacun rentrant chez soi ce soir, ils se dirigent vers le parking, où les attend un véhicule d’occasion beige, suffisamment ringard pour les dissimuler aux yeux des autres étudiants. Dans la voiture, leurs mains se trouvent immédiatement, se guident, s’aident, se font plaisir, amalgame de membres palpitants, même leurs yeux, plongés profondément l’un dans l’autre se font l’amour. Placebo chante my sweet Prince, une chanson d’amour, d’un amour à mort, jusqu’à ce que le jeune madrilène prenne l’initiative de changer de station. Kate Bush prend le relais, détail ultime qui leur allie la complicité du hasard. Sa voix délivre un rythme lent sur lequel ils se calquent sans s’en rendre compte.
Madame Hygénie Ducret serre sous son aisselle son petit sac à main contenant les précieuses autorisations du médecin, le livret scolaire de son fils, l’attestation de travail de son mari et toutes les formalités qu’elle a pensé à emporter pour les montrer à l’entraîneur de foot qui devrait prochainement accepter Matthias dans son équipe. Sa conscience professionnelle n’a pas de limites, personne n’ayant pu lui expliquer ou doit s’arrêter le rôle d’une mère, elle a toujours tout prévu, se sent prête à affronter les situations les plus improbables grâce à son petit sac à malices contenant toute une pharmacie ambulante, un guide routier, un nécessaire à maquillage, de couture... Passant devant un homme gigantesque en traversant le parking du collège, elle est saisie d’une inquiétude toute maternelle. Lectrice assidue de faits divers, elle dévore les mauvaises nouvelles qui rassurent ses ambitions de mère-poule ultra protectrice. Elle observe et prend peur : l’homme est trop jeune pour être un père, même d’étudiants de première année, trop vieux et mal fagoté pour suivre lui-même des cours, il a l’air d’un dealer ou du petit ami trentenaire d’une adolescente dévergondée, elle lui devine même un tatouage dans le cou. Certaine de son intuition, elle va attendre son fils le plus près possible des portes du collège. Forcée tout de même de respecter l’interdiction formelle de Matthias de lui faire honte devant ses copains, elle tâchera de l’éloigner au plus vite de l’établissement.
- Meghan, commença Xavier dans un souffle quand ils se furent assis, qu’il eut enclenché le moteur pour réchauffer l’habitacle.
Comme elle attendait la suite en attachant déjà sa ceinture, en tournant le bouton de la radio, en rabaissant le pare-soleil muni d’un petit miroir pour retoucher son rouge à lèvres longue tenue, et finalement en écoutant dans un silence religieux ce qu’il ne se décidait toujours pas à dire. Le corps de l’homme se décida enfin à fournir une geste, venant au secours de son mutisme, il fourra une main tremblante dans la poche de poitrine de son blouson et brandit devant le visage ahuri de celle qui s’impatientait déjà un objet qu’elle ne parvint d’abord pas à identifier. Un cri strident acheva de le paralyser et il lâcha dans la jupe de sa compagne tendue comme un filet ce que sa honte le faisait tenir fébrilement. Par réflexe, les cuisses de la jeune femme se refermèrent vivement dissimulant l’objet toujours retenu dans les plis du tissu fleuri de son vêtement. Elle sauta à la gorge de son amant avec la soudaine ivresse de l’adrénaline, elle embrassa sa bouche restée béante et, elle même balbutiante :
- Fou, tu crois pouvoir me demander de t’épouser ! Comme ça sans prévenir ! Fou que je t’aime, et je suis furieuse, j’ai eu une de ces surprises !
- Ouvre-la, grogna le géant sensible à peine remis.
Le boîtier récupéré entre ses cuisses révéla une bague splendide. L’émotion insoutenable fit dériver l’attention du fiancé réconcilié quand il tourna la clé de contact, il se pressait puisqu’elle affirmait mériter une lune de miel anticipée dès qu’ils seraient parvenus chez lui, il n’eut que le temps d’accélérer, heureux au point de croire en une chance qui le ferait éviter la voiture sur laquelle il fonçait avec enthousiasme, quand survint l’accident.
Durant des secondes par centaines d’un amour si étroit qu’il les fait suffoquer, haleter, si plein et immense qu’ils se collent, s’entrelacent pour ne pas se perdre. Des battements d’horloge qui ne se conforment plus à la réalité, qui s’alanguissent eux-même du spectacle, déréglant les sens mécaniques du temps. Leur amour s’est offert dans son entier quand la réalité se rappelle au souvenir des amants avec son sens aigu du tragique qui les accuse de n’avoir pas toujours su comme aujourd’hui profiter de l’instant présent. Elle s’introduit dans leurs embrassements généreux par des éclats de verre brisé, défonce leurs quatre jambes croisées dans l’assaut métallique d’un capot enfoncé. L’horreur quant à elle, laisse échapper les rêves à vif de leurs deux crânes heurtés contre la surface rigide du tableau de bord. La beauté de leur amour embrasé d’éclats de verre peints en rouge flamboyant.
La passagère de la voiture rouge, Meghan, s’allongerait volontiers éternellement aux côtés de son amant mort, mais elle craint de ne pas s’endormir assez vite, de devoir supporter l’indécence de fluides du corps aimé et défunt sur elle. Elle touche la peau tiède et humide, ravale sur des lèvres devenues presque étrangères leur souvenir, mais l’amour ne brûle plus qu’en elle désormais. Enfin le hululement des ambulances résonne de plus en plus distinctement, accompagnant l’ultime tressaillement de sa poitrine. Le sang efface culpabilité et terreur des traits du couple plus efficacement qu’aucun mensonge. Sans autre procès, les amants criminels restent incarcérés dans leur tôle d’acier.
Hygénie dont le cœur a tressauté si fort au moment de l’impact, tous ses sens en alerte, a tourné son visage vers le lieu de l’accident, mais, passé la surprise, son intérêt pour le spectacle est celui d’un badaud. Elle pressentait le danger, le ressent toujours, mais pas sous cette forme là, elle ne craint pas d’accident de voiture pour son fils aujourd’hui.
- ‘man !
- Il y a eu un accident…
- Ça à l’air horrible, je veux pas que tu voies ça, viens ! … Viens, on va pas faire les curieux, c’est dégueulasse de les regarder.
- Matthias, si tu les connais…
- Les bagnoles me disent rien.
Les corps refroidissent écœurés par une violence qui leur a été infligée, la chaleur du jour abandonne peu à peu le bitume et la tôle.
Matthias est au collège, maman fait un brin de ménage, ce pourrait être n’importe quel jour de la semaine. Seul le calendrier, qui n’en fait qu’à sa tête, montre que le soleil décline sur un jeudi. Celui-ci culmine à hauteur des yeux, tout près du petit buffet du téléphone. Un cadre doré tout en fioritures proéminentes a été cloué par-dessus, centrant la page supérieure qui figure un paysage vert et rose d’arbres fleurissants plantés en tous sens par un architecte éthylique, surplombés de sommets enneigés, maquillés de poudre de diamants mais d’un blanc moins aveuglant que le ciel invisible dont le froid a gelé les délicats bleutés. La partie du bas, quadrillée par la succession des jours sagement annotés des rendez-vous les plus importants, dépasse au dessous du cadre. Sur ce paysage, les yeux d’Hygénie se reposent quelques minutes.
Sur les bancs du collège, un étudiant à la peau ocre fouille dans des papiers brouillons, à la recherche des quelques vers qu’il a hasardés un peu plus tôt. Un petit poème qu’il a signé Iben, des mots d’amour maladroits comme il rêve d’en recevoir, même si se faire des illusions, ce n’est pas trop son genre.
« Pour M…
Un garçon dans les Enfers
Qui souvent aurait souffert
Autant que la rose flétrie
A enduré d’intempéries,
Moi je veux sous ma coupe dorée,
Te garder, te chérir, te planter,
Comme la fleur qui corolle
Son cœur à chaque saison nouvelle.
Je t’ose écrire les chansons de mon cœur,
Tu m’enverras si tu n’es point voleur,
Tes symphonies réjouir mes heures.
Iben. »
Au détour d’une route, dans un quartier boisé, dort un homme affublé de mille tics et tocs physiques qui, du zozotement au maintien anéantissent toute crédibilité mais attirent souvent des sympathies sincères en simulant la médiocrité aimable du commun des mortels. la mâchoire carrée, mastodonte qui saillait comme un organe disgracieux, des cheveux noirs aux lourdes boucles dont une, particulièrement seyante, qui habillait son visage austère d’un grain de fantaisie. Il s’éveille en sursaut, sans cris ni sueur, juste parce qu’il en a terminé de récupérer. Tout de suite, il se lève, le lit est vide derrière lui, il le sait et ne se retourne pas. Son réveil n’a pas encore sonné, il l’éteint. Les chiffres lumineux n’indiquent que cinq heures et demie. Cependant l’homme ne pense pas à éviter Meghan qui, en photo sur la table de nuit, lui sourit cruellement. Il en éprouve une peur indicible, une terreur pernicieuse et vorace de la solitude quand on n’y est plus habitué. Un instant figé, il sent chacun de ses membres qui, s’ils ne le font pas souffrir, existent et vivent paisiblement, alors que le monde s’est arrêté pour lui. Debout sur le sol, il souffre enfin ; le ciment glacé lui bleuit les pieds. Son immobilité stupide l’énerve soudain et il pleure, s’abandonne au point que tous ses sphincters lâchent en même temps. Annihilé, dégradé et sali, souillé par tous les orifices de son corps, la bouche engluée de bile, il souffre et verse enfin des torrents de larmes. Maintenant il n’a plus qu’une envie, la chaleur de l’eau, la brûlure d’une douche. Hier, il a voulu oublier et le vin à coulé à flots, plus tard, il oubliera cette matinée qu’il passe inconfortablement au dessus de la cuvette des toilettes, mais jamais ce qui l’a fait boire. Sous le jet d’eau, il pense à sa Meghan, à son ventre blanc qu’elle aurait voulu bientôt aussi rebondi qu’une outre pleine. Le géant vulnérable sèche complètement avec l’énergie qui lui revient, son corps redressé impose à nouveau la vision d’un colosse sculpté comme un discobole grec. Le dégoût se transforme en une colère, un embrasement qu’il ne cherche pas à atténuer, car elle devient son ardeur de vivre. Ayant assez tourné en rond dans sa tête étroite, comme une lionne en cage sa douleur se révolte, l’envahit voracement, grandit tout le long de la journée, devient dangereuse, éclate finalement hors du paravent protecteur de son corps : dans le petit meuble en teck de la buanderie, il s’empare de son arme et laisse germer dans son esprit un projet terrifiant.
Avec une virilité plus ou moins inscrite dans sa stature trapue, Xavier crache bruyamment la morve goudronnée par sa dixième cigarette d’affilée sur l’asphalte du parking. Armé de toute sa détermination et d’un calibre 38, il s’est garé ostensiblement devant les portes du collège. Il attend la sonnerie, il attend Meghan. Il a assis sa carrure enflée sur le capot de son auto rouge. Un renflement dans sa poche intérieure de sa veste, pour l’œil averti ou simplement curieux, ne présage rien de bon pour la femme qu’il attend ainsi de pied ferme.
La cloche annonce la fin des cours, Iben voudrait courir, il marche. Ils se retrouvent, tous les deux nonchalants comme de simples copains réjouis d’être enfin dehors et qui ne se seraient pas attendus avec l’ardeur du désir des heures durant. Il se réunissent dans une entente tacite, c’est la première fois que ça leur arrive, qu’ils ne se heurtent pas, ne bégaient pas, ne tremblent pas. Tout au contraire une chaleur égale les a emplis, détendant leurs corps au point qu’ils paraissent ces deux amis qui se rejoindraient innocemment. Pour se séparer dignement, chacun rentrant chez soi ce soir, ils se dirigent vers le parking, où les attend un véhicule d’occasion beige, suffisamment ringard pour les dissimuler aux yeux des autres étudiants. Dans la voiture, leurs mains se trouvent immédiatement, se guident, s’aident, se font plaisir, amalgame de membres palpitants, même leurs yeux, plongés profondément l’un dans l’autre se font l’amour. Placebo chante my sweet Prince, une chanson d’amour, d’un amour à mort, jusqu’à ce que le jeune madrilène prenne l’initiative de changer de station. Kate Bush prend le relais, détail ultime qui leur allie la complicité du hasard. Sa voix délivre un rythme lent sur lequel ils se calquent sans s’en rendre compte.
Madame Hygénie Ducret serre sous son aisselle son petit sac à main contenant les précieuses autorisations du médecin, le livret scolaire de son fils, l’attestation de travail de son mari et toutes les formalités qu’elle a pensé à emporter pour les montrer à l’entraîneur de foot qui devrait prochainement accepter Matthias dans son équipe. Sa conscience professionnelle n’a pas de limites, personne n’ayant pu lui expliquer ou doit s’arrêter le rôle d’une mère, elle a toujours tout prévu, se sent prête à affronter les situations les plus improbables grâce à son petit sac à malices contenant toute une pharmacie ambulante, un guide routier, un nécessaire à maquillage, de couture... Passant devant un homme gigantesque en traversant le parking du collège, elle est saisie d’une inquiétude toute maternelle. Lectrice assidue de faits divers, elle dévore les mauvaises nouvelles qui rassurent ses ambitions de mère-poule ultra protectrice. Elle observe et prend peur : l’homme est trop jeune pour être un père, même d’étudiants de première année, trop vieux et mal fagoté pour suivre lui-même des cours, il a l’air d’un dealer ou du petit ami trentenaire d’une adolescente dévergondée, elle lui devine même un tatouage dans le cou. Certaine de son intuition, elle va attendre son fils le plus près possible des portes du collège. Forcée tout de même de respecter l’interdiction formelle de Matthias de lui faire honte devant ses copains, elle tâchera de l’éloigner au plus vite de l’établissement.
- Meghan, commença Xavier dans un souffle quand ils se furent assis, qu’il eut enclenché le moteur pour réchauffer l’habitacle.
Comme elle attendait la suite en attachant déjà sa ceinture, en tournant le bouton de la radio, en rabaissant le pare-soleil muni d’un petit miroir pour retoucher son rouge à lèvres longue tenue, et finalement en écoutant dans un silence religieux ce qu’il ne se décidait toujours pas à dire. Le corps de l’homme se décida enfin à fournir une geste, venant au secours de son mutisme, il fourra une main tremblante dans la poche de poitrine de son blouson et brandit devant le visage ahuri de celle qui s’impatientait déjà un objet qu’elle ne parvint d’abord pas à identifier. Un cri strident acheva de le paralyser et il lâcha dans la jupe de sa compagne tendue comme un filet ce que sa honte le faisait tenir fébrilement. Par réflexe, les cuisses de la jeune femme se refermèrent vivement dissimulant l’objet toujours retenu dans les plis du tissu fleuri de son vêtement. Elle sauta à la gorge de son amant avec la soudaine ivresse de l’adrénaline, elle embrassa sa bouche restée béante et, elle même balbutiante :
- Fou, tu crois pouvoir me demander de t’épouser ! Comme ça sans prévenir ! Fou que je t’aime, et je suis furieuse, j’ai eu une de ces surprises !
- Ouvre-la, grogna le géant sensible à peine remis.
Le boîtier récupéré entre ses cuisses révéla une bague splendide. L’émotion insoutenable fit dériver l’attention du fiancé réconcilié quand il tourna la clé de contact, il se pressait puisqu’elle affirmait mériter une lune de miel anticipée dès qu’ils seraient parvenus chez lui, il n’eut que le temps d’accélérer, heureux au point de croire en une chance qui le ferait éviter la voiture sur laquelle il fonçait avec enthousiasme, quand survint l’accident.
Durant des secondes par centaines d’un amour si étroit qu’il les fait suffoquer, haleter, si plein et immense qu’ils se collent, s’entrelacent pour ne pas se perdre. Des battements d’horloge qui ne se conforment plus à la réalité, qui s’alanguissent eux-même du spectacle, déréglant les sens mécaniques du temps. Leur amour s’est offert dans son entier quand la réalité se rappelle au souvenir des amants avec son sens aigu du tragique qui les accuse de n’avoir pas toujours su comme aujourd’hui profiter de l’instant présent. Elle s’introduit dans leurs embrassements généreux par des éclats de verre brisé, défonce leurs quatre jambes croisées dans l’assaut métallique d’un capot enfoncé. L’horreur quant à elle, laisse échapper les rêves à vif de leurs deux crânes heurtés contre la surface rigide du tableau de bord. La beauté de leur amour embrasé d’éclats de verre peints en rouge flamboyant.
La passagère de la voiture rouge, Meghan, s’allongerait volontiers éternellement aux côtés de son amant mort, mais elle craint de ne pas s’endormir assez vite, de devoir supporter l’indécence de fluides du corps aimé et défunt sur elle. Elle touche la peau tiède et humide, ravale sur des lèvres devenues presque étrangères leur souvenir, mais l’amour ne brûle plus qu’en elle désormais. Enfin le hululement des ambulances résonne de plus en plus distinctement, accompagnant l’ultime tressaillement de sa poitrine. Le sang efface culpabilité et terreur des traits du couple plus efficacement qu’aucun mensonge. Sans autre procès, les amants criminels restent incarcérés dans leur tôle d’acier.
Hygénie dont le cœur a tressauté si fort au moment de l’impact, tous ses sens en alerte, a tourné son visage vers le lieu de l’accident, mais, passé la surprise, son intérêt pour le spectacle est celui d’un badaud. Elle pressentait le danger, le ressent toujours, mais pas sous cette forme là, elle ne craint pas d’accident de voiture pour son fils aujourd’hui.
- ‘man !
- Il y a eu un accident…
- Ça à l’air horrible, je veux pas que tu voies ça, viens ! … Viens, on va pas faire les curieux, c’est dégueulasse de les regarder.
- Matthias, si tu les connais…
- Les bagnoles me disent rien.
Les corps refroidissent écœurés par une violence qui leur a été infligée, la chaleur du jour abandonne peu à peu le bitume et la tôle.
mai_lys- Nombre de messages : 6
Age : 35
Date d'inscription : 13/02/2008
Re: Un jour comme les autres
Hygénie : bof bof comme dirait l'autre, ça me fait penser à Hygiène ;-)
mille tics et tocs physiques : un peu pléonasme, non ?
Tu écris bien mai-lys, c'est sûr, et je sens que tu aimes ça
De plus tu as pris la peine de construire une histoire, de faire naître et vivre des vrais personnages selon ton imagination
Tout cela est bien
Mais je trouve qu'il manque un petit quelque chose, difficile de dire quoi, pour que j'encense vraiment ta prose.
Du style peut-être ? Une originalité dans la manière ?
Je ne dis pas que c'est ennuyeux car il se passe des choses, tu crées une sorte de suspense (pas insoutenable mais quand même), c'est carrément dramatique sur la fin et il y a même la surprise de constater que tu nous avais menés vers une fausse piste.
Mais il me manque quelque chose pour être enthousiaste.
Peut-être les autres diront-ils mieux que moi pour t'aider.
Et je constate que les postages sont si nombreux ces jours-ci que ton texte est très vite descendu et a failli passer en deuxième page sans avoir été commenté, désolé ! :-)
mille tics et tocs physiques : un peu pléonasme, non ?
Tu écris bien mai-lys, c'est sûr, et je sens que tu aimes ça
De plus tu as pris la peine de construire une histoire, de faire naître et vivre des vrais personnages selon ton imagination
Tout cela est bien
Mais je trouve qu'il manque un petit quelque chose, difficile de dire quoi, pour que j'encense vraiment ta prose.
Du style peut-être ? Une originalité dans la manière ?
Je ne dis pas que c'est ennuyeux car il se passe des choses, tu crées une sorte de suspense (pas insoutenable mais quand même), c'est carrément dramatique sur la fin et il y a même la surprise de constater que tu nous avais menés vers une fausse piste.
Mais il me manque quelque chose pour être enthousiaste.
Peut-être les autres diront-ils mieux que moi pour t'aider.
Et je constate que les postages sont si nombreux ces jours-ci que ton texte est très vite descendu et a failli passer en deuxième page sans avoir été commenté, désolé ! :-)
Re: Un jour comme les autres
Hé Hé ! mai_lys, tu as quelque chose entre les doigts.
Je me perds un peu dans tes phrases rebondissantes. Coupe coupe, certaines d'entre elles. Tu as beaucoup de q(u)i parasites.
Celle-ci me fait rire
un début prometteur.Hygénie entrelace une tresse épaisse mais courte et pratique, couleur de nuages par temps d’orage, d’un coquet foulard de soie mauve, gante ses mains de caoutchouc rose brillant de liquide vaisselle. Ainsi équipée, souriante et bavarde comme toujours lorsqu’elle est seule à la maison, elle passe en revue les nids à poussière, les plantes en pot désengorgées, les paniers à linge sale avec la circonspection d’une abeille. Chaque pièce astiquée mêle sur ses joues les chaudes colorations de l’effort et d’une autosatisfaction un peu honteuse. Parvenue au bout du couloir, le teint écarlate, la ménagère appliquée pénètre dans une chambre bigarrée, bosselée, ouvre quasiment à l’équerre les quatre battants des fenêtres. Elle sort du territoire de son fauve, sans même frôler du bout d’un de ses gants roses les hautes colonnes de vêtements et de livres empilés dans le désordre le plus total. Son ouvrage quotidien ainsi entamé, s’autorisant une courte pause, elle chauffe de l’eau pour le thé, dégaine une de ses revues féminines de sous la table basse du salon et s’encastre finalement dans un confortable petit fauteuil en attendant la fin des classes.
Je me perds un peu dans tes phrases rebondissantes. Coupe coupe, certaines d'entre elles. Tu as beaucoup de q(u)i parasites.
Celle-ci me fait rire
pardon, je sorsAvec une virilité plus ou moins inscrite dans sa stature trapue, Xavier crache bruyamment la morve goudronnée par sa dixième cigarette d’affilée sur l’asphalte du parking. Armé de toute sa détermination et d’un calibre 38, il s’est garé ostensiblement devant les portes du collège. Il attend la sonnerie, il attend Meghan. Il a assis sa carrure enflée sur le capot de son auto rouge. Un renflement dans sa poche intérieure de sa veste, pour l’œil averti ou simplement curieux, ne présage rien de bon pour la femme qu’il attend ainsi de pied ferme.
bertrand-môgendre- Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007
Re: Un jour comme les autres
Oui le début est écrit avec classe et proximité. J'en reste là pour aujourd'hui avant de m'élancer dans l'histoire proprement-dite.
Invité- Invité
Re: Un jour comme les autres
Hygénie, c'est drôle. Moche mais drôle :-)
Un reproche général: on devine (moi en tout cas) assez vite ce qui va se passer dès que les personnages sont mis en place, c'est trop limpide à mes yeux. Le fait de manquer de surprise n'est pas gênant en soi, mais étant donné que ce n'est pas contrecarré ici par une approche différente de ce lent déroulement inéluctable, ça donne quelque chose d'attendu. Bien écrit certes mais attendu et c'est dommage, parce qu'il y a du potentiel dans ton écriture. Notamment le sens du détail qui pourrait égarer le lecteur mais lui permet en même temps de bâtir un univers au fur et à mesure, ce qui est pas mal.
Un reproche général: on devine (moi en tout cas) assez vite ce qui va se passer dès que les personnages sont mis en place, c'est trop limpide à mes yeux. Le fait de manquer de surprise n'est pas gênant en soi, mais étant donné que ce n'est pas contrecarré ici par une approche différente de ce lent déroulement inéluctable, ça donne quelque chose d'attendu. Bien écrit certes mais attendu et c'est dommage, parce qu'il y a du potentiel dans ton écriture. Notamment le sens du détail qui pourrait égarer le lecteur mais lui permet en même temps de bâtir un univers au fur et à mesure, ce qui est pas mal.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
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