Itinéraires ordinaires : La vie vaurienne

Tu n’existes pour personne

ou alors c’est pour si peu de monde

que je n'existe pas

On s’est croisés ce soir
Le ciel faisait sa tête de con il était brumeux et glacial j’allais chercher mon gamin au sortir du stade
Et j’avais encore les phrases d’Echenoz dans ma tête

Courir
Zatopek

COURIR

En appuyant sur la pédale du frein de la voiture j’ai marqué un recul
J’ai vu ce type que je connaissais d’avant
Il marchait ou plus exactement
Se déplaçait sous un ciel de traîne avec ses deux cannes
Son chien devant un vieux berger allemand un chien voyageur un chien magicien

J’ai rebroussé chemin
Il s’était assis sur un banc à côté du lycée près du stade
Avec ses doigts sales il mangeait des sortes de beignets pas cuits
J’ai caressé le museau et le poitrail du chien il me reniflait les godasses et puis d’un coup a levé la tête
Il semblait me dire
Il est là
Il est là

Alors

Avec mes pompes remplies de boue et mon vieux blouson qu’il a reconnus
J’ai rejoint le banc

Résurgence
Salut qu’est-ce que tu fous là
Et toi
Ça va
T’as besoin de quelque chose
J’ai dix euros et des cigarettes

Non il n’avait besoin de rien

Son cancer et ses deux hernies discales sa petite caravane son chien le chien de sa petite fille sa barbe ses cernes ses tatouages partout dans le cou sur ses deux bras sur son ventre sur son pubis d’ancien marin d’ancien légionnaire ses clopes qui puent sa tête qui tourne

J’avais laissé mon gamin dans la voiture
Il m’a demandé pourquoi je tremblais
En retournant la clé

Sûrement la fatigue le ciel lourd mes yeux cernés ma vie qui fatigue une somme de choses que même l’imagination a du mal à transcrire
Quelque chose de noir et qui tourne en rond
La vie de ce type qui fout le camp

La mienne qui se fout de moi
Et moi qui se fout d’elle
Des circonstances banales et vauriennes
Ce chien
Ce type
Sa fille
Et ce ciel

Et puis ce poème
Ce poème
Ce poème sans imagination
Mes dix euros mes trois cigarettes mon vieux blouson ma caisse pourrie
Et ce type assis sur un banc
Lui et ses tatouages
Moi et mes ratés
Lui et sa fille
Moi et mon garçon

Et moi aussi loin d'eux
Que je suis loin de moi
Car tout m'a quitté

Comme un cul de bouteille...



La vie vaurienne, texte modifié, 19 nov 2008.

Le ciel faisait sa tête de con il était brumeux et glacial

Oui, là bravo.
J'ai partiellement raison de ne pas te commenter Lol, ce qui me convient c'est la patience. J'ai aimé ce spleen-là qui ne me ni ne te prend le chou.
Il est là et bien là. Un bien beau texte. Jeté, aux orties, modifié, resservi chaud. Pas envie de savoir le degrés expérimental : je mange.

Panda mange et moi je déguste, cet épisode désabusé. Banal, et pourtant ... touchant.

La vie de ce type qui fout le camp

La mienne qui se fout de moi
Et moi qui se fout d’elle

lol un jour je t'ai dit que la littérature poétique au sens anthologique ne pourrait pas t'ignorer (c'était tourné autrement..)
je maintiens, avec ce texte dur comme désespoir, clair comme spleen , d'une vie telle qu'un jour où l'autre nous ressentons tous comme cela..

l'hyperréalité qui va au dela des images existe ici...

Superbe ! Cruel et poignant, peut-être un zeste de pathos, mais qui en l'occurrence ne me dérange pas.

J'ai aussi beaucoup aimé votre choix de disposition des vers.

Je ne vous commente pas systématiquement, parce que souvent j'ai le sentiment que vos poèmes me passent au-dessus de la tête et que je n'aurais rien de pertinent à dire, mais là je trouve que c'est une belle réussite.

Conquise par ce poème.
Déjà il fallait s'arrêter (on s'en moque de savoir si c'est réel ou pas) s'arrêter c'est s'arrêter. Ensuite il fallait voir et puis seulement après il fallait dire.
Ici tout est bien.

L'art valide l'espérance.

Merci.

Ecrit, jeté sur le papier, sous le coup d'une émotion, d'un personnage bien réel.

"La vie vaurienne ", quelqu'un m'a dit que c'était un bel oxymore.
Pourriez-vous me renseigner ?

J'avoue, je suis généralement peu amateur de tes textes, de leur thème, de leur côté ésotérique.

Là, j'ai vraiment beaucoup aimé, vraiment.

J'espère que tu continueras dans cette veine, je le redis, c'est très bon, bien observé, rythmé, "moderne" dans la forme, la façon, sans être obscur. j'aime le regard porté sur l'autre.

Bravo, en espérant que tu m'épateras à nouveau !

C'est de la prose, et de la prose qui sonne juste.
Je te préfère dans le genre, j'aime ce que ça trimballe d'images et de réflexions dans le genre.

Et comme "Itinéraires ordinaires", ben…

Oui, de la prose.

C'est un bon texte. Je ne reconnais pas tout Lol, mais c'est un bon texte. Assurément.

je dis
bravo
plaisir !

et comme yali et panda, je vois ce texte comme un bel itinéraire ordinaire

Beau texte en effet. Chapeau !
Et oui, il correspond parfaitement au thème itinéraire ordinaire.

Je suis ravie de pouvoir te suivre, Lol, dans ce texte-là dont les mots simples me semblent plus vrais d'être déshabillés de leur vernis provocateur. La nudité de cette prose est belle et frémissante. Un bel Itinéraire en effet!

J'y vais de mon couplet musesque. Serais-tu d'accord Lol pour présenter ton texte au projet "Itinéraires ordinaires" ?

Je découvre cet écrit, n'ayant encore rien lu d'autre de votre plume : je l'ai aimé aussi.
Le rythme de ce texte (poésie, prose, pro-ésie ? mais peu importe à mon avis) ainsi que les quelques images qui l'émaillent donnent de l'épaisseur à cette tranche de vie désenchantée.
Le portrait en creux du narrateur, comme en miroir de celui du vieil homme, laisse au lecteur de la place pour l'imagination, j'aime bien...

Juste une question : je n'ai pas bien compris cette histoire de "zatopek" ( de mémoire ce terme, désolée au cas où elle aurait flanché !).

lilicub a écrit:
Juste une question : je n'ai pas bien compris cette histoire de "zatopek" ( de mémoire ce terme, désolée au cas où elle aurait flanché !).

Emil Zatopek, un coureur de fond des années 50, est le sujet du dernier livre de J. Echenoz, intitulé "Courir".

Easter(Island) a écrit:

lilicub a écrit:
Juste une question : je n'ai pas bien compris cette histoire de "zatopek" ( de mémoire ce terme, désolée au cas où elle aurait flanché !).

Emil Zatopek, un coureur de fond des années 50, est le sujet du dernier livre de J. Echenoz, intitulé "Courir".

Merci d'avoir renseigné mon ignorance, Easter ! J'irai découvrir ce livre.

Oh oui, c'est un texte en plein dans la thématique de l'appel à textes. Et très bon, qui plus est

Easter(Island) a écrit:J'y vais de mon couplet musesque. Serais-tu d'accord Lol pour présenter ton texte au projet "Itinéraires ordinaires" ?

Oh oui ! Avec plaisir.

Mais comment ça se passe.

Et puis, vraiment merci à tous de vos commentaires.
Disons, qu'ICI, ils me touchent peut-être plus qu'ailleurs...

lol47 a écrit:

Easter(Island) a écrit:J'y vais de mon couplet musesque. Serais-tu d'accord Lol pour présenter ton texte au projet "Itinéraires ordinaires" ?

Oh oui ! Avec plaisir.

Mais comment ça se passe.

voir https://vosecrits.1fr1.net/forum-vos-ecrits-f1/appel-a-textes-itineraires-ordinaires-t2821.htm

Easter(Island) a écrit:

lol47 a écrit:

Easter(Island) a écrit:J'y vais de mon couplet musesque. Serais-tu d'accord Lol pour présenter ton texte au projet "Itinéraires ordinaires" ?

Oh oui ! Avec plaisir.

Mais comment ça se passe.

voir https://vosecrits.1fr1.net/forum-vos-ecrits-f1/appel-a-textes-itineraires-ordinaires-t2821.htm

Alors ? Itinéraire ou pas itinéraire ?

C'est envoyé !

Et reçu, 2 fois ! Merci.

lol47 a écrit:C'est envoyé !

Tant mieux, c'est un bon texte. Haché, dur, poétique, comme la vie "vaurienne" (très joli titre).

Ca fend.

Lol dans un registre plus réservé, plus contenu, mais qui te sied pas mal.
Tu conserves une linéarité très lisible du début à la fin, tout en créant de ci de là des échos et des retours sympathiques.
Il y a un brin de mélancolie bienvenu et une structure agréable à l'oreille.

Sahkti a écrit:Lol dans un registre plus réservé, plus contenu, mais qui te sied pas mal.
Tu conserves une linéarité très lisible du début à la fin, tout en créant de ci de là des échos et des retours sympathiques.
Il y a un brin de mélancolie bienvenu et une structure agréable à l'oreille.

Oui, je pense que j'ai réussi là où je me plante souvent sur d'autres textes, tentant les disgressions inventives mais maladroites.
Merci de ton avis.

Le début m’a semblé un peu laborieux. Mais à partir de "son cancer…" j’ai eu l’impression que le texte était lancé, et j’ai bien aimé le parallèle entre les deux hommes ("La vie de ce type qui fout le camp / La mienne qui se fout de moi")
"Et moi qui se fout d’elle" : qui me fout d’elle ?
Un itinéraire bien ordinaire, bien vu, bien senti.

Halicante a écrit:
"Et moi qui se fout d’elle" : qui me fout d’elle ?

Qui me fous d'elle ?

aimé aussi. je te préfère aussi dans ce style moins "imperméable". des images bien rendues et une ambiance, une sensibilité palpable

je ne saurais pas commenter, sinon pour dire que je n’accroche pas, mais comme il faut dire quelque chose parce que ça se fait, je le dis, c’est fait