Pont Anitchkov

Le froid silence, il est cinq heures,
Ma montre avance et j'ai pris peur ;
Je fais des ronds sur le parquet,
J'écris la nuit qui va craquer
Sur un clavier d'ordinateur.
Un oiseau cogne sur le toit,
Il reste une dernière étoile ;
L'oiseau picore et met les voiles,
Et la nuit me parle de toi

La rue brouillonne vocifère
Sur les klaxons d'un autre enfer ;
Cœur furibond dans mon thorax,
Fin d'un ennui dans la syntaxe,
S'écrit le mot que je préfère.
Dans l'univers que je côtoie,
Le banc est vide et je t'en veux,
C'était l'instant de mon aveu ;
Les passants me parlent de toi.

Plus de chaleur sur cette route.
Sous les malheurs et sous la voûte,
Seigneur très bon en qui l'on croit,
Celui qui pourrit sur sa croix,
Qui me regarde et qui m'écoute
En m'infligeant son air pantois,
Pourtant résigné sur son sort,
Semble trouver que d'être mort
Lui permet de parler de toi.

Et comme un fou qui fuit la peste,
Si je perds tout je veux qu'il reste
Un souvenir ; l'homme rêva,
Pour en finir dans la Neva,
En un seul soir, en un seul geste,
Dans ce torrent qui tout nettoie,
Dans ce Léthé bientôt létal ;
La balustrade horizontale,
Dernier témoin, parle de toi.

Habile, un peu tortueux à mon goût... mais bien fichu, pour sûr.

Une remarque : à mon avis, à l'oreille, "parquet" et "craquer" ne riment pas, la terminaison en "et" correspondant à un son proche du "è".

J'ai beaucoup aimé cette façon de raconter, même s'il m'a fallu deux lectures pour bien interpréter ; je rejoins socque dans son choix de l'adjectif "tortueux", en tout état de cause cela contribue au charme obscur de ce poème.
La poésie de la première strophe est très belle ; dans la troisième, j'ai aimé la violence à peine contenue.
J'ai tiqué à la première lecture sur les sonorités de la dernière mais finalement la force des images l'a emporté :

Pour en finir dans la Neva,
En un seul soir, en un seul geste,
Dans ce torrent qui tout nettoie,
Dans ce Léthé bientôt létal ;
La balustrade horizontale,
Dernier témoin, parle de toi.

Ce poème parle de toi, de ton plaisir à assembler des mots pour faire surgir des images, et des sensations, et j'aime bien me noyer dans cette lecture, ce commentaire en est témoin.

je me l'imprime, ce genre de littérature ça se lit sur du papier!:)

Ceci pourrait-il être mis en musique? je me dis que ça pourrait bien fonctionner.

J'ai aimé l'amrtume qui s'esquisse ligne après ligne, le ton dramatique de l'ensemble, mélange de désabusé et d'espoir. C'est l'âme humaine qui se raconte de bien jolie manière, avec une répétition lancinante sur ce "parle de toi" qui finit par faire mal, parce que torturé.