Exo roman : Déchue

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Je compte les secondes entre les bandes blanches, j’essaie d’évaluer ma vitesse. Je pourrais regarder le compteur bien sûr, mais ça m’aiderait pas à passer le temps. Ni à me changer les idées. J’ai la tête pleine de nous. Nous, c’est lui, c’est moi. Nous, c’est nos mains, nos doigts qui se cherchent. Nos silences qui se croisent sans cesse dans l’interstice de nos corps. Nos errances d’après l’étreinte et nos aux revoirs pudiques. Nous c’est aussi les autres « lui », les autres nuits, tous ces moments en suspens, ceux que je n’ai volés à personne, que j’ai pris comme ils venaient, comme ils étaient. Toutes ces histoires taillées dans le vif, les souvenirs que je n’ai pas, les réveils que j’ai fuis, les bols de cornflakes que j’aurais pu partager si un jour je l’avais décidé.

Lorsque j’ai appris à conduire, le moniteur s’était acharné à m’expliquer des semaines durant à quoi servait une distance de sécurité. Je collais trop les voitures qui me précédaient, pas parce que j’étais pressée, en retard, ou quelque chose dans le genre, mais parce que j’avais peur du vide devant. Il m’avait prouvé par un savant calcul que je représentais un danger certain pour mon prochain. Je n’avais rien compris à la démonstration, mais je m’étais souvenue qu’une bande blanche mesurait 38 mètres. 38, c’était très précisément ma pointure et ça m’offrait une parfaite occasion mnémotechnique de retenir au moins un truc.

Je n’ai pas progressé en maths depuis ce temps-là et je suis incapable d’estimer la vitesse à laquelle je roule. Mais je sais que ça va beaucoup trop vite. Les bandes blanches naissent et meurent aussitôt sous la lumière cadavérique des mes phares. La rambarde défile à toute ivresse, livre une infinie course poursuite contre la nuit et son oppressante immobilité. Personne devant, personne derrière, personne nulle part, juste le paysage qui dégouline, et mes idées avec.

J’aurais pu rester ce soir, laisser ne serait-ce qu’une seule fois le soleil percer l’aube et consommer un jour nouveau. Partager un bol de cornflakes. J’aurais pu. Mais tandis qu’il m’allumait une cigarette, il m’a appelé « Chris ». C’est ainsi qu’on me nomme depuis toujours, et dans le fond, je m’en fiche d’être « Chris » ou autre chose, qu’on m’appelle en entier ou à moitié, d’être amputée de l’identité. Je me fiche de mon prénom et de l’alphabet, mais on avait mêlé nos corps et pendant le laps de temps qu’avait duré le combat des chairs, j’avais perdu mes « L ». Je tombe toujours après l’amour. Je suis partie, encore une fois. J’ai eu peur d’être déchue pour l’éternité s’il ne m’appelait pas « Christelle ».

J’ai besoin de m’arrêter, de stopper cette putain de course contre les bandes. M’aérer, évacuer cette odeur, la sienne, la mienne et celle du gasoil qui suinte par tous les pores de ma peau. Et puis dormir. Je gare la voiture sur la première aire venue, marche jusqu’aux bandes blanches, avance sur la ligne, en collant mes pas les uns contre les autres comme un funambule. 38 mètres, c’est bien plus long que ça en a l’air. A moins que mes pieds ne soient ridiculement petits. J’attends le bruit d’un moteur avant de basculer de l’autre côté de la rambarde. Je voulais me faire peur, j’ai même pas réussi.

Au loin les camions s’alignent en rang d’oignons dans un cimetière de ferrailles. Un plafonnier s’allume, m’attire ; je suis la lumière, comme un insecte. Besoin d’une cigarette, d’allumer ma peur et de cramer les ailes que je n’ai plus.

Un ange passe. Vu.

Le sujet me paraît très, très casse-gueule pour éviter les clichés... pour l'instant, je trouve supportable, je ne sais pas ce que cela peut donner sur la durée. Je ne suis pas super-enthousiaste, tu l'auras compris, j'attends la suite.

Deux remarques :
“Nos silences qui se croisent sans cesse dans l’interstice de nos corps” : je trouve la formule maniérée, prout-ma-chère
“je m’étais souvenue qu’une bande blanche mesurait 38 mètres. 38, c’était très précisément ma pointure et ça m’offrait une parfaite occasion mnémotechnique de retenir au moins un truc.” : j’aime !

Un joli début, mais on anticipe un roman d'amours bancales, (on se trompe peut-être...)
J'aime beaucoup ça :Nous c’est aussi les autres « lui », les autres nuits, tous ces moments en suspens, ceux que je n’ai volés à personne, que j’ai pris comme ils venaient, comme ils étaient. Toutes ces histoires taillées dans le vif, les souvenirs que je n’ai pas, les réveils que j’ai fuis, les bols de cornflakes que j’aurais pu partager si un jour je l’avais décidé.

Nous c’est aussi les autres « lui », les autres nuits, tous ces moments en suspens, ceux que je n’ai volés à personne, que j’ai pris comme ils venaient, comme ils étaient. Toutes ces histoires taillées dans le vif, les souvenirs que je n’ai pas, les réveils que j’ai fuis, les bols de cornflakes que j’aurais pu partager si un jour je l’avais décidé

Va -t-il se passer quelque chose sur cette aire de repos? Me reviennent en tête des images de "Drôle d'endroit pour une rencontre"...Fausse piste sans doute...
J'attends la suite ... Evidemment on se demande s'il s'agit d'une "auto-fiction...
J'ai bien aimé ce début...

Désolée pour le doublon !

Krystelle a écrit:.
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Prologue

il m’a appelé « Chris ».

La faute d'orthographe est voulue consciente ?
Si oui bravo...

Je trouve ce texte très très prometteur.
Mais aussi terriblement casse-gueule !

Là, on va dire que c'est le genre de texte que j'aime lire. Le style de Christelle va avec, bien sûr. Pas trop d'objectivité de mon côté, j'en suis désolée. J'attends la suite.
Casse-gueule ? Oui, il y a un gros risque, évidemment, mais j'ai confiance. ^^

Mais que va-t-il donc se passer ?
Mais qui se cache derrière le 38 tonnes ?
Un mnémopathe ?
Rien de plus à signaler sur ce texte pour l'instant banal, bien écrit.

mais ça m’aiderait pas à passer le temps.

J’ignore si c’est un oubli ou un choix, mais je trouve que le « ne » manque

Là :

« lui »

Et là :

« L »

Je ne mettrais pas de guillemets, ça fait un peu girlish, et renforce l’impression mélo commun qu’on pourrait avoir si on ne te connaissait pas.



Voilà pour les détails.
Pour le reste, comme d’hab, j’aime ce que tu écris, j’aime ces petits éléments que tu sais transformer en histoire.
Mais je comprends les réactions de certains lecteurs face aux états d’âmes, somme toute assez vus et revus, de cette jeune fille… Je sais aussi que tu vas tordre les clichés.

En relisant ton texte, je me suis demandé pourquoi tu n’avais pas noyé le poisson.
L’incipit donne le ton, et là le ton là, n’est ni à l’allégresse, ni à l’originalité. Le lecteur pourrait se dire dès les premières phrases : « encore… ». Alors qu’il aurait suffi que tu changes l’ordre de tes paragraphes pour que cette intelligente (pardon loup, je ne voudrais pas galvauder le terme) première leçon de conduite donne le sourire.

J’essaye d’être plus clair…
Nommons tes 6 paragraphes : 1/2/3/4/5 et 6
Si j’avais voulu accrocher le lecteur, je les aurais ordonnés ainsi :
2/3/1/5/4 et 6
Ainsi, la pertinence de la jeune fille aurait atténué le côté mal d’amour et donné un rythme différent à l’ensemble du récit.

sinon, ben j'ai un peu peur pour la fille, je pense qu'elle va réussir à se faire peur finalement.

• Je ne suis pas vraiment emballée par ce prologue, Chris, mais il est vrai qu’on n’en est qu’au début et ceci dit, je suis d’autant plus à l’aise que je trouve mon propre texte assez mauvais.
• Je trouve que le propos de ta narratrice tourne un peu en rond, certes elle fait une fixation, mais il y a un je ne sais quoi d’attendu, à la limite du mièvre dans ce touillage d’états d’âmes.
• Soit, je n’ai pas retrouvé la note acidulée de ton style.

Intéressant. Comme socque je trouve le sujet risqué, mais je suis impatient de voir ce que vous allez en faire.