La fête des marmitons
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La fête des marmitons
Le téléphone avait sonné, et ce foutu carambar mou dans ma bouche s’étirait, langoureux, entre les dents, avec une élasticité certaine à n’en pas démordre. Troublé, je ne savais plus à quel fil me vouer, ne trouvait plus le fil conducteur, celui qui donnait des coups dans mes esgourdes fatiguées, mes tympans tamponnés d’ouate ou celui qui se donnait entre mes dents, filamenteux, à retordre, et à vouloir, de surcroît, trôner sur mes couronnes. Dans mon royaume buccal, je ne savais plus qui était roi, des mots ou du carambar.
Faut dire qu’à cette époque, je n’avais pas la dent dure, je composais. J’ai donc pris le combiné, j’ai mâché mes mots, des mots sucrés tout caramel, et j’ai marché, funambulesque, sur le fil prêt à chaque instant de se rompre d’une conversation aigre-douce.
Finalement, j’ai déclaré à Yvonne, plantée à l’autre bout du fil, de téléphone, à Vienne-le-Château, Yvonne, duchesse de Sainte-Menehould et de toutes les Ardennes :
« Je viendrai, je viendrai, puisque tu me le demandes si gentiment »
Il faut le préciser, Duchesse Yvonne avait été autrefois ma reine. C’était désormais mon ex. Oui, elle m’était extérieure, elle, très explosive, très expansive, très ex et moi très in. Inoffensif, tout innocent, inexpérimenté, oui, inapte à tout. Mais pour Yvonne, il en allait autrement : «Inepte bêta » qu’elle me lançait parfois, quand la colère la faisait éclater en mille mots sévères, si crus que la décence m’interdit de les répéter. « Bêta » ! Mais quoi, elle se prenait pour une alpha, la grande duchesse !
Et voilà qu’elle m’invitait à la fête des marmitons, organisée dans le parc du château de Vienne, haut lieu de culture de toute la Marne et des Ardennes ! Que voulait-elle donc ? Me réintégrer dans son existence exclusive après m’avoir jeté pour s’afficher avec ce jeune gandin, l’Henry, Henry de Beaufou ! Ridicule ! Ce mirliflor ! Ce muscadin ! Il mérite son nom, tiens ! J’en ris ! Ah, le beau fou !
Ils me prenaient pour un gougnafier, un galapiat, un vaurien ! Ils allaient voir à qui ils avaient affaire, à leur fête des marmitons, ces turlupins, ces grotesques bouffons !
Ce coup de fil fut pour moi un véritable coup de fouet. L’occasion de me réveiller, enfin. De répondre à l’appel de mon destin. L’occasion de leur foutre une peignée à s’en arracher les cheveux, à tous ces maroufles de la bande à Yvonne.
Je décidai de joindre Vienne à bicyclette. Par des chemins de randonnée, verts et bucoliques. Ce serait un long périple, mais la ballade devait m’enchanter. J’allais traverser allègrement des bourgs et hameaux pittoresques, Braux-Sainte-Cohière, Chaudefontaine, Elise-Daucourt, traînant derrière mon vélo un chapelet de casseroles, cocottes, faitouts et marmites.
Le tintamarre qui marquait mon passage ne déplut pas aux bovidés, mélomanes paisibles et curieux qui paissaient dans les champs aux vertes harmonies. Partout, les chiens, de concert, saluaient mon arrivée par de gais aboiements. Quelques paysans s’exclamèrent en chœur : « On oit bin qui n'fait mi biau, let chameaux voyagent », mais un villageois, plus âgé et plus sage, se rengorgea et proféra à demi-voix « Cath'rinette à la volett', F'ra-t-i beau dimanche ? »
Je traversai la rue des Bos Biaux et arrivai en fanfare devant le parc du château, avec force coups de trompes et sonnettes sur le rythme endiablé de ma batterie de casseroles. Je ne passai pas inaperçu. Je me dirigeais vers les tables festives dressées en plein air lorsque mon vieux clou fit une brusque embardée pour éviter un garçon porteur d’un grand plateau chargé de verres vides et de bouteilles pleines, surgi d’un groupe de personnes à la conversation très animée. Je fis un saut particulièrement acrobatique par-dessus le guidon. Juste le temps de lire sur une banderole, écrits en lettres flamboyantes, les mots : « Littérature et gastronomie », et de me dire « ça tombe bien, j’ai la dalle », et je roulai sous une table après une jolie culbute.
J’étais dans les coulisses de la fête, derrière un pan d’une grande nappe blanche, derrière le rideau de la scène ridicule, basse-cour cancanière où se pavanaient duchesses et beaux fous. J’eus quelques frissons, mais pas la chair de poule. Je réapparus très vite tout ébouriffé dans le grand théâtre de la dérision, mais avec mon gros nœud-papillon jaune autour du cou, intact.
J’avalai quelques verres de ratafia et de gratte-cul à forte dose de cynorrhodon en répondant à un ostrogoth moustachu qui avait demandé : « Rien de cassé, monsieur ? »
- Rien de cassé ! Il y a longtemps, monsieur le wisigoth, que ma vie est en miettes dispersées, et il y a belle lurette que je me suis cassé de partout, monsieur le butor. Ça vous épate ? Moi, ça me désole et ça m’éclate !
Je bus un nouveau verre de gratte-cul, que j’avalai cul sec. Je me devais de fêter dignement ma première tirade très enlevée !
Je me joignis à un groupe où, doctement, l’on savourait des propos épicés. Au menu : « La métaphore culinaire dans la littérature ». J’allais me régaler.
- Les andouillettes de Troyes, d’accord, les pieds de porc panés, oui, mais la Mogette, hein ! Un plat de Mogette, c’est pas une métaphore de la perfection, ça, hein ?
déclarait une exilée vendéenne à la voix de flageolet.
- C’est rond, symbole de perfection, c’est fin, c’est bon. Pis, c’est blanc immaculé, pis c’est tendre !
Parfaitement ! Et pourquoi que les poètes, ils parlent pas de la Mogette, hein ?!
Je pris la parole qu’on ne me donnait pas pour faire irruption dans la discussion, abruptement. Je balbutiai d’abord :
- Quand on mange les haricots, heu… à tire larigot, ça fait une drôle de contrepèterie, si, si ! »
Puis, avec plus d’assurance, je poursuivis très métaphoriquement, sans me formaliser des signes éloquents d’une assistance outragée :
- Eh, avec des haricots blancs, vous voulez faire des vers ! Ah, on ira au jardin écosser les alexandrins ! Les fayots, M’dame, c’est coco, et ça rapporte des lingots !
Je m’éloignai, sans un applaudissement ! Les gens sont très ingrats !
J’abordai un nouveau cercle à la conversation très posée. Dans cette haute assemblée très colorée, j’aperçus la duchesse de Sainte-Menehould, comtesse d’Ardennes, impériale au milieu de tous ces gens de noble allure. Elle avait dû en conter sur mon compte ! Elle était mise tout de rouge, cerise sur un gâteau, ou peut-être une fraise, métaphoriquement un coquelicot bavard. Près d’elle, avec un petit foulard rose autour du cou, l’Henry, le fou beau, phénicoptère tout fier à cancaner allègrement. Oui, elle avait son flamant à ses côtés, duchesse coquelicot ! Lui, je vous le dis, était peut-être son amant, mais alors, c’était pas une flamme ! Une lueur rose bonbon, à peine, pas une lumière ! Pour sûr, il n’avait pas inventé la foudre !
« Je vous présente Antoine, mon saint ex mari » dit la duchesse en riant, lorsqu’elle me vit apparaître dans mon accoutrement clownesque. « Mais il n’a pas écrit Le petit prince. Oh non ! »
Voilà maintenant que j’étais le saint ex de mon ex ! Extravagant !
« Comme j’ai une voix de casserole, commençai-je, je dois être bienvenu dans cette fête des marmitons. Ah, ah !
Je ne vais pas vous la chanter, mais vous la déclamer, cette sirvente que j’ai composée pour vous.
Mesdames, Messieurs, Terre et Ciel, Pierres et Cailloux, Herbes et Orties, Choux-fleurs et Pissenlits, tous tant que vous êtes en cet univers, cher public universel, je vous le révèle :
Le trou d’ozone,
La fonte de la banquise, c’est moi !
Oui !
La terre entière est un trou, c’est la zone,
Et là-haut, le trou d’ozone.
Sortirons-nous donc jamais la tête du trou !?
Un jour à l’aube, sous une aubette,
Vous me direz « comme c’est bête ! »
Ben oui !
Sous une aubette, j’installai un barbecue !
Horreur ! Faut-il être un peu fou !
Mais oui !
Vous n’allez pas me croire :
J’ai mis à cuire merguez et chipolatas ! »
Une rumeur de désapprobation horrifiée gronda dans l’assistance. Je n’en poursuivis pas moins ma sirvente, en vérité, improvisée :
« J’avais trahi gamelles et marmites !
Mea-culpa !
Une fumée dense se dégagea,
Elle s’éleva dans les airs,
mais ne produisit aucun effet de serre.
En contemplation devant les braises
Sous les saucisses et les merguez,
Je compris que tout ne sert
A rien.
Le charbon de bois rougeoya tant,
Et si bien,
D’autant que j’alimentai le feu des manuscrits de mes romans
Qui ne valent rien,
Qu’un gaz en émana sous une forme de chipolata.
Il s’en alla,
Erotique et maléfique,
Déflorer l’ozone sur l’antarctique.
Mon feu a réchauffé pour longtemps toute l’atmosphère.
Ma gorge se serre, à le déclarer ici
Ne soyez pas en émoi,
Je le dis en un cri
Oui, c’est bien moi
qui ai réchauffé la terre »
Les réactions furent vives, et pour cause, ardentes, ardennaises et brûlantes :
- Mais quel con prétentieux !
- Mais d’où il sort cet hurluberlu, ce malotru, ce mégalo ?!
- Il aurait dû se faire cuire un œuf, celui-là !
Un mandarin pontifia :
- C’est futile, c’est creux, c’est du vide !
Les trous, c’est creux, ça oui ! Beau Fou riait tant, à se tordre, qu’on eût cru entendre, non pas un phénicoptère, mais une oie gloussant et cacardant ! La honte fit rougir davantage la duchesse, plus que jamais coquelicot.
Je riais beaucoup, moi aussi, accompagné du ratafia qui savait dilater ma gorge pour qu’elle ne fût plus serrée, mais déployée.
Duchesse coquelicot intervint, florale et furieuse :
- Antoine, t’es un écrivain raté. Tu ne sais pas même manier la satire, non plus que la dérision. T’es incapable de la moindre hypotypose. Et tu bois comme un trou. Si t’as produit un trou quelque part, c’est en toi. Dire que j’ai cru un jour que tu avais du talent !
Il en avait des pétales d’éloquence, le joli coquelicot printanier !
Et moi, c’est vrai, j’avais le rire assez aviné, et un peu automnal.
« Hypotypose » avait-elle dit ! Je ne savais pas prendre la pose, moi ! C’était pourtant hyperboliquement vrai, métonymiquement exact.
Alors je me confectionnai avec une nappe trop chargée de tantimolles, de berdelles, de brioches, de pastador gastronomique aromatisé à la violette et de quelques livres dont je la soulageai, une robe de flamine d’ Educa et Fabulinus. Un lardoire à la main, comme il se doit, j’invitai le peuple au temple, avec exaltation, pour une cérémonie sacrée.
Baudelaire l’avait dit, la nature est un temple aux vivants piliers.
- Cherchons les cagouilles, criai-je. Les caracoles. Les lumas. Pour la soupe, le bouillon, aux cagouilles, aux lumas, le gueuleton divin.
Les enfants gaiement se mirent en quête des mollusques à sacrifier aux dieux lares, en chantant « larirette, larirette » comme je leur suggérai d’une voix entraînante, à la sonorité d’un juke-box mâtiné de flipper électronique des années soixante.
Tous ceux qui, depuis longtemps, avaient quitté l’enfance, refusèrent de participer à la liturgie. Ils faisaient pâle figure. De style, bien sûr ! L’indignation se lisait sur les lignes éloquentes, allégoriques, d’un visage très pâle, de craie, les yeux levés au ciel pour y trouver l’ire divine qui sait écrire la colère à foudroyer l’odieux. D’autres avaient des mines d’anacoluthes, des faces de catachrèse, ou des sourires syntaxiques. Quelques bouilles d’emphase, outrées, caricaturaient sans schproum la désapprobation de l’inconvenant pendant que des frimousses de litotes en disaient moins qu’elles ne pensaient à crier au fou. D’autres encore, au minois de synecdoque, tentaient d’assassiner à coups de langue le hooligan du verbe en fête galante et gourmande.
Mais que se figuraient-ils, ces gens-là !
Je commençai donc mon oraison en herbe :
« Saveurs, odeurs, toujours je vous chérirai, vous, âmes qui portez l’édifice immense du souvenir. Souvenez-vous de Marcel, oui, Proust, qui n’avait pas perdu son temps, ne se goinfrait pas de petites madeleines, mais écrivait des livres comme on prépare une soupe aux lumas. Il faut, pour écrire, une cuisson lente et réfléchie.
Mijotons, méditons. Bœuf-mode, boeuf miroton. Mais rien de tel que le bouillon. De cagouilles.
Oh, muse des goûts et des ragoûts… inspire-nous une sauce… avec échalotes et ratafia… avec paroles salées, savoureuses, onctueuses, fortes, romantiques et poétiques.
Dicte-nous de bons mots, sans mayonnaise, sans ketchup.
Des mots d’esprit, très spiritueux. Et des mogettes !
Si ça t’amuse, allume le feu sous le chaudron alchimique où pourront mitonner création littéraire et lumas magnifiques.
O ma muse, j’ai une allumette, si tu voulais flamber, en guise d’amusette, la veine littéraire où coulent le vin, l’encre et la bière ! »
Je fis une pause pour avaler ma première gorgée de Bouzy, puis je repris mon oraison que certains considérèrent, outre mesure, comme une déraison.
- « O muses et musettes pleines de vins, de bourrinette, donnez-nous notre ivresse créatrice, nos lettres, notre souffle bachique, dionysiaque et apollinien.
Nous ferons, pour vous rendre grâce, de grandes tresses de fleurs éloquentes.
O muses musiciennes, donnez-nous la mélodie ; par un geste de vous, mélodieux, donnez musique à nos mots désunis ; accordez-nous, oh un peu d’harmonie entre la duchesse et le pauvre Antoine, roturier des lettres. Donnez-nous les paroles toujours manquantes, celles qui savent dire « je t’aime » sur tous les tons, sur tous les silences, sur toutes les vagues de la vie, quand la nef commune tangue sur les remous, dans la houle, sur l’agitation des jours et les frimas de l’existence. »
Je m’interrompis. Avalai Bouzy et ratafia. Courus vers une resserre d’outils, pleine de poussière et de toiles d’araignées. Je sortis une brouette, que je poussai au milieu de l’assistance, en courant, en zigzaguant, au grand plaisir des enfants qui riaient, couraient, zigzaguaient, en mâchant les carambars que je leur avais offerts. « Chargeons la brouette de tous ces livres qui traînent sur les tables, dis-je aux enfants, nous les mettrons dans le chaudron, avec les caracoles ! ».
Survint, par surdose de vin, sans doute, que je chutai et m’affalai de tout mon long. J’étais sur le sol, comme un gastéropode. Quelques instants, j’entendis les sonorités fortes d’un harmonium. Quelle révélation ! Tous les saints étaient avec moi ! Ce sont eux qui me relevèrent, sûr, comment aurais-je pu, seul, me redresser sur cette terre, dans cet espace austère, devant ce château où l’on me repoussait, où l’hostilité et l’incompréhension régnaient.
Il y avait syntaxe pour me remettre droit dans l’axe de la vie, entre littérature et gastronomie ; syntagme pour permettre de retrouver mes idées et mon nom dans la longue phrase du monde ; syncope pour mettre une ellipse dans mon étourdissement ; scintillement pour me faire voir trente six chandelles, et sain d’esprit pour me remettre d’aplomb ! Quelque saint aussi, particulièrement sympa, devait s’être chargé de ma croix dans l’existence, tant je me sentis plus léger. J’étais, par chance, devenu moi aussi tout un symbole !
J’en éprouvai comme une extase. Stupéfiant ! Moi, puce insignifiante, je prenais conscience d’exister dans le macrocosme, j’étais une lettre dans l’écriture du grand Tout, j’étais en phrase avec l’univers, je trouvais la fusion avec les auteurs de tous les textes, de tous les écrits, de tous les livres. L’ivresse me gagnait, livresque. Ivre de ratafia et de tous les mots bus, avalés, absorbés. J’étais plein d’écrits vins. J’avais bu et rebu, et je n’étais pas un rebut ! J’étais glouton. L’aliment terre, la chair vive des corps textes, c’était substance ciel, au festin du monde, au banquet de l’univers.
Oui, ce fut une grande fête, la fête des marmitons ! Mémorable ! Avec, en soirée, valses de Vienne-le-Château, et moult viennoiseries artistiques servies avec forte valeur ajoutée en croissance exponentielle de sucre-crème.
On dégustait des petits fours pâtissiers tout en devisant, avec un talent chic de mignardises, des grands fours littéraires.
Chacun était très chou, et tout s’avérait délicieux et adorable. A l’exception de ma présence, inconvenante, mouche inopportune sur la pièce montée, jouée dans ce parc, dégoulinante de crème fouettée, de mille onctuosités, et autant de fadaises sucrées.
On traitait de tous mets raffinés, et sous-traitait les critiques des revues L’Art-dennais et Champagne Littérature, les feuilles de chou de la région.
J’allais tirer ma révérence, mettre les bouts de ma vie restante, bouts à boue, sur l’autre versant du monde, la terre des lumas et libellules, moi, pauvre mirliton parmi les marmitons ; j’allais me barrer, m’effacer, piteusement et sans panache, en litres bus et ratures biffantes, lassé de toute cette mascarade, loin d’Yvonne et de son flamant fou, lorsqu’une bribe de conversation perçue se fit bride de mon esprit ainsi retenu dans la forteresse de la bouffe poético-gastrique.
Une huile du canton, bon chic bon teint olivâtre, grand manitou des lettres et de la cuisine du castel à Yvonne, déclarait : « Nous, Ardennais, nous sommes les fils d’Arthur, notre roi de la littérature. Nous sommes rimbaldiens, forcément. Nous devons nous montrer dignes et fiers de notre grand poète, qui aimait la bonne chère et le soleil. Oh ! Je le trahis si peu ! Et quand il écrivait :
Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou
ne rendait-il pas un hommage appuyé à notre région ? Ainsi n’est-il pas, avec notre boisson pétillante, notre meilleur ambassadeur dans le monde entier ? Un atout pour nos exportations et la vie touristique de notre belle campagne riante ».
Je vidai un verre supplémentaire de gratte-cul pour trouver les dernières forces d’une explosion verbale, en franc-tireur. J’hurlai, dans un copier du jeune Rimbaud que je collai aux oreilles d’âne de l’infâme et de son auditoire « Oh, abominable prurigo d’idiotisme ! »
Je me lançai, juché sur une table, semblable à un petit père des peuples appelant à la révolution, en une harangue à la foule trop alanguie, trop avachie, bêlante, dans un discours fleuve, un fleuve d’alcool des tirades de mon cru :
« O propos papuleux ! O crapuleux propos ! Et que craque crucropopuleux… ». Je bafouillai, les eaux rouges du fleuve versaient sur une estacade, sur des brisants à se casser la voix. Je cherchais une parade, quelques méandres pour contourner les obstacles et aller de l’avant dans mon homérique homélie révolutionnaire, leur en mettre des tartines, à ces gloutons marmitons, quand Duchesse coquelicot me lança : « Sois zen, Antoine, ou bien tire-toi. »
« Ah les zénormités, criai-je ! Vous, zesthètes de mules, zénies de la médiocrité, je vous laisse à vos gamelles. Et de déclamer, bateau ivre :
« Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur »
Avant de sortir du château, en tête O saisons, O châteaux ! et remonter chancelant sur mon vélo, je sortis une jolie et ancienne longue-vue que j’avais trouvée sur un meuble.
J’observai avec cette lunette l’assemblée mar-miteuse. « Vous êtes loin, me dis-je. J’étais l’astronome des rêves, je n’observe plus que le fond des gamelles de l’univers. Non, c’est moi qui suis loin, je m’éloigne, je m’en vais les poings dans mes poches crevées, avec ma rage d’idéal. »
Dans la nuit tombée, je repris mon vélo. Il traînait toujours une batterie de casseroles qui rythmait toutes mes paroles clamées sous l’œil malicieux de la lune et le doux sourire des étoiles. Zigzaguant, je leur lançai : « Mon auberge est à la Grande Ourse ! » et poursuivis, dans un équilibre aléatoire, entre relents de Bouzy et ratafia : « Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées ! ». Il s’écoula peu de temps, ondoyant, serpentant, vacillant, avant la chute finale de ma révolution vélocipède, éthylique et ardennaise. Rimant quelques instants au milieu des ombres fantastiques, je ne tardai pas à m’affaler dans un fossé où la nuit doucement serait bercée par le frou frou des étoiles.
Dans l’herbe humide, je n’étais pas un de ces lumas allumés, non je n’étais pas un gastéropode, je n’avais pas le pied près de l’estomac, je l’avais près de mon cœur.
J’étais tout déguenillé, tout déchiré du dehors et du dedans, et mon unique culotte avait un large trou.
Depuis ce jour des marmitons et cette nuit sous le doux frou frou céleste, quand je vois au bord des champs un gentil coquelicot Mesdames, je le caresse du regard et je ne le cueille pas.
Faut dire qu’à cette époque, je n’avais pas la dent dure, je composais. J’ai donc pris le combiné, j’ai mâché mes mots, des mots sucrés tout caramel, et j’ai marché, funambulesque, sur le fil prêt à chaque instant de se rompre d’une conversation aigre-douce.
Finalement, j’ai déclaré à Yvonne, plantée à l’autre bout du fil, de téléphone, à Vienne-le-Château, Yvonne, duchesse de Sainte-Menehould et de toutes les Ardennes :
« Je viendrai, je viendrai, puisque tu me le demandes si gentiment »
Il faut le préciser, Duchesse Yvonne avait été autrefois ma reine. C’était désormais mon ex. Oui, elle m’était extérieure, elle, très explosive, très expansive, très ex et moi très in. Inoffensif, tout innocent, inexpérimenté, oui, inapte à tout. Mais pour Yvonne, il en allait autrement : «Inepte bêta » qu’elle me lançait parfois, quand la colère la faisait éclater en mille mots sévères, si crus que la décence m’interdit de les répéter. « Bêta » ! Mais quoi, elle se prenait pour une alpha, la grande duchesse !
Et voilà qu’elle m’invitait à la fête des marmitons, organisée dans le parc du château de Vienne, haut lieu de culture de toute la Marne et des Ardennes ! Que voulait-elle donc ? Me réintégrer dans son existence exclusive après m’avoir jeté pour s’afficher avec ce jeune gandin, l’Henry, Henry de Beaufou ! Ridicule ! Ce mirliflor ! Ce muscadin ! Il mérite son nom, tiens ! J’en ris ! Ah, le beau fou !
Ils me prenaient pour un gougnafier, un galapiat, un vaurien ! Ils allaient voir à qui ils avaient affaire, à leur fête des marmitons, ces turlupins, ces grotesques bouffons !
Ce coup de fil fut pour moi un véritable coup de fouet. L’occasion de me réveiller, enfin. De répondre à l’appel de mon destin. L’occasion de leur foutre une peignée à s’en arracher les cheveux, à tous ces maroufles de la bande à Yvonne.
Je décidai de joindre Vienne à bicyclette. Par des chemins de randonnée, verts et bucoliques. Ce serait un long périple, mais la ballade devait m’enchanter. J’allais traverser allègrement des bourgs et hameaux pittoresques, Braux-Sainte-Cohière, Chaudefontaine, Elise-Daucourt, traînant derrière mon vélo un chapelet de casseroles, cocottes, faitouts et marmites.
Le tintamarre qui marquait mon passage ne déplut pas aux bovidés, mélomanes paisibles et curieux qui paissaient dans les champs aux vertes harmonies. Partout, les chiens, de concert, saluaient mon arrivée par de gais aboiements. Quelques paysans s’exclamèrent en chœur : « On oit bin qui n'fait mi biau, let chameaux voyagent », mais un villageois, plus âgé et plus sage, se rengorgea et proféra à demi-voix « Cath'rinette à la volett', F'ra-t-i beau dimanche ? »
Je traversai la rue des Bos Biaux et arrivai en fanfare devant le parc du château, avec force coups de trompes et sonnettes sur le rythme endiablé de ma batterie de casseroles. Je ne passai pas inaperçu. Je me dirigeais vers les tables festives dressées en plein air lorsque mon vieux clou fit une brusque embardée pour éviter un garçon porteur d’un grand plateau chargé de verres vides et de bouteilles pleines, surgi d’un groupe de personnes à la conversation très animée. Je fis un saut particulièrement acrobatique par-dessus le guidon. Juste le temps de lire sur une banderole, écrits en lettres flamboyantes, les mots : « Littérature et gastronomie », et de me dire « ça tombe bien, j’ai la dalle », et je roulai sous une table après une jolie culbute.
J’étais dans les coulisses de la fête, derrière un pan d’une grande nappe blanche, derrière le rideau de la scène ridicule, basse-cour cancanière où se pavanaient duchesses et beaux fous. J’eus quelques frissons, mais pas la chair de poule. Je réapparus très vite tout ébouriffé dans le grand théâtre de la dérision, mais avec mon gros nœud-papillon jaune autour du cou, intact.
J’avalai quelques verres de ratafia et de gratte-cul à forte dose de cynorrhodon en répondant à un ostrogoth moustachu qui avait demandé : « Rien de cassé, monsieur ? »
- Rien de cassé ! Il y a longtemps, monsieur le wisigoth, que ma vie est en miettes dispersées, et il y a belle lurette que je me suis cassé de partout, monsieur le butor. Ça vous épate ? Moi, ça me désole et ça m’éclate !
Je bus un nouveau verre de gratte-cul, que j’avalai cul sec. Je me devais de fêter dignement ma première tirade très enlevée !
Je me joignis à un groupe où, doctement, l’on savourait des propos épicés. Au menu : « La métaphore culinaire dans la littérature ». J’allais me régaler.
- Les andouillettes de Troyes, d’accord, les pieds de porc panés, oui, mais la Mogette, hein ! Un plat de Mogette, c’est pas une métaphore de la perfection, ça, hein ?
déclarait une exilée vendéenne à la voix de flageolet.
- C’est rond, symbole de perfection, c’est fin, c’est bon. Pis, c’est blanc immaculé, pis c’est tendre !
Parfaitement ! Et pourquoi que les poètes, ils parlent pas de la Mogette, hein ?!
Je pris la parole qu’on ne me donnait pas pour faire irruption dans la discussion, abruptement. Je balbutiai d’abord :
- Quand on mange les haricots, heu… à tire larigot, ça fait une drôle de contrepèterie, si, si ! »
Puis, avec plus d’assurance, je poursuivis très métaphoriquement, sans me formaliser des signes éloquents d’une assistance outragée :
- Eh, avec des haricots blancs, vous voulez faire des vers ! Ah, on ira au jardin écosser les alexandrins ! Les fayots, M’dame, c’est coco, et ça rapporte des lingots !
Je m’éloignai, sans un applaudissement ! Les gens sont très ingrats !
J’abordai un nouveau cercle à la conversation très posée. Dans cette haute assemblée très colorée, j’aperçus la duchesse de Sainte-Menehould, comtesse d’Ardennes, impériale au milieu de tous ces gens de noble allure. Elle avait dû en conter sur mon compte ! Elle était mise tout de rouge, cerise sur un gâteau, ou peut-être une fraise, métaphoriquement un coquelicot bavard. Près d’elle, avec un petit foulard rose autour du cou, l’Henry, le fou beau, phénicoptère tout fier à cancaner allègrement. Oui, elle avait son flamant à ses côtés, duchesse coquelicot ! Lui, je vous le dis, était peut-être son amant, mais alors, c’était pas une flamme ! Une lueur rose bonbon, à peine, pas une lumière ! Pour sûr, il n’avait pas inventé la foudre !
« Je vous présente Antoine, mon saint ex mari » dit la duchesse en riant, lorsqu’elle me vit apparaître dans mon accoutrement clownesque. « Mais il n’a pas écrit Le petit prince. Oh non ! »
Voilà maintenant que j’étais le saint ex de mon ex ! Extravagant !
« Comme j’ai une voix de casserole, commençai-je, je dois être bienvenu dans cette fête des marmitons. Ah, ah !
Je ne vais pas vous la chanter, mais vous la déclamer, cette sirvente que j’ai composée pour vous.
Mesdames, Messieurs, Terre et Ciel, Pierres et Cailloux, Herbes et Orties, Choux-fleurs et Pissenlits, tous tant que vous êtes en cet univers, cher public universel, je vous le révèle :
Le trou d’ozone,
La fonte de la banquise, c’est moi !
Oui !
La terre entière est un trou, c’est la zone,
Et là-haut, le trou d’ozone.
Sortirons-nous donc jamais la tête du trou !?
Un jour à l’aube, sous une aubette,
Vous me direz « comme c’est bête ! »
Ben oui !
Sous une aubette, j’installai un barbecue !
Horreur ! Faut-il être un peu fou !
Mais oui !
Vous n’allez pas me croire :
J’ai mis à cuire merguez et chipolatas ! »
Une rumeur de désapprobation horrifiée gronda dans l’assistance. Je n’en poursuivis pas moins ma sirvente, en vérité, improvisée :
« J’avais trahi gamelles et marmites !
Mea-culpa !
Une fumée dense se dégagea,
Elle s’éleva dans les airs,
mais ne produisit aucun effet de serre.
En contemplation devant les braises
Sous les saucisses et les merguez,
Je compris que tout ne sert
A rien.
Le charbon de bois rougeoya tant,
Et si bien,
D’autant que j’alimentai le feu des manuscrits de mes romans
Qui ne valent rien,
Qu’un gaz en émana sous une forme de chipolata.
Il s’en alla,
Erotique et maléfique,
Déflorer l’ozone sur l’antarctique.
Mon feu a réchauffé pour longtemps toute l’atmosphère.
Ma gorge se serre, à le déclarer ici
Ne soyez pas en émoi,
Je le dis en un cri
Oui, c’est bien moi
qui ai réchauffé la terre »
Les réactions furent vives, et pour cause, ardentes, ardennaises et brûlantes :
- Mais quel con prétentieux !
- Mais d’où il sort cet hurluberlu, ce malotru, ce mégalo ?!
- Il aurait dû se faire cuire un œuf, celui-là !
Un mandarin pontifia :
- C’est futile, c’est creux, c’est du vide !
Les trous, c’est creux, ça oui ! Beau Fou riait tant, à se tordre, qu’on eût cru entendre, non pas un phénicoptère, mais une oie gloussant et cacardant ! La honte fit rougir davantage la duchesse, plus que jamais coquelicot.
Je riais beaucoup, moi aussi, accompagné du ratafia qui savait dilater ma gorge pour qu’elle ne fût plus serrée, mais déployée.
Duchesse coquelicot intervint, florale et furieuse :
- Antoine, t’es un écrivain raté. Tu ne sais pas même manier la satire, non plus que la dérision. T’es incapable de la moindre hypotypose. Et tu bois comme un trou. Si t’as produit un trou quelque part, c’est en toi. Dire que j’ai cru un jour que tu avais du talent !
Il en avait des pétales d’éloquence, le joli coquelicot printanier !
Et moi, c’est vrai, j’avais le rire assez aviné, et un peu automnal.
« Hypotypose » avait-elle dit ! Je ne savais pas prendre la pose, moi ! C’était pourtant hyperboliquement vrai, métonymiquement exact.
Alors je me confectionnai avec une nappe trop chargée de tantimolles, de berdelles, de brioches, de pastador gastronomique aromatisé à la violette et de quelques livres dont je la soulageai, une robe de flamine d’ Educa et Fabulinus. Un lardoire à la main, comme il se doit, j’invitai le peuple au temple, avec exaltation, pour une cérémonie sacrée.
Baudelaire l’avait dit, la nature est un temple aux vivants piliers.
- Cherchons les cagouilles, criai-je. Les caracoles. Les lumas. Pour la soupe, le bouillon, aux cagouilles, aux lumas, le gueuleton divin.
Les enfants gaiement se mirent en quête des mollusques à sacrifier aux dieux lares, en chantant « larirette, larirette » comme je leur suggérai d’une voix entraînante, à la sonorité d’un juke-box mâtiné de flipper électronique des années soixante.
Tous ceux qui, depuis longtemps, avaient quitté l’enfance, refusèrent de participer à la liturgie. Ils faisaient pâle figure. De style, bien sûr ! L’indignation se lisait sur les lignes éloquentes, allégoriques, d’un visage très pâle, de craie, les yeux levés au ciel pour y trouver l’ire divine qui sait écrire la colère à foudroyer l’odieux. D’autres avaient des mines d’anacoluthes, des faces de catachrèse, ou des sourires syntaxiques. Quelques bouilles d’emphase, outrées, caricaturaient sans schproum la désapprobation de l’inconvenant pendant que des frimousses de litotes en disaient moins qu’elles ne pensaient à crier au fou. D’autres encore, au minois de synecdoque, tentaient d’assassiner à coups de langue le hooligan du verbe en fête galante et gourmande.
Mais que se figuraient-ils, ces gens-là !
Je commençai donc mon oraison en herbe :
« Saveurs, odeurs, toujours je vous chérirai, vous, âmes qui portez l’édifice immense du souvenir. Souvenez-vous de Marcel, oui, Proust, qui n’avait pas perdu son temps, ne se goinfrait pas de petites madeleines, mais écrivait des livres comme on prépare une soupe aux lumas. Il faut, pour écrire, une cuisson lente et réfléchie.
Mijotons, méditons. Bœuf-mode, boeuf miroton. Mais rien de tel que le bouillon. De cagouilles.
Oh, muse des goûts et des ragoûts… inspire-nous une sauce… avec échalotes et ratafia… avec paroles salées, savoureuses, onctueuses, fortes, romantiques et poétiques.
Dicte-nous de bons mots, sans mayonnaise, sans ketchup.
Des mots d’esprit, très spiritueux. Et des mogettes !
Si ça t’amuse, allume le feu sous le chaudron alchimique où pourront mitonner création littéraire et lumas magnifiques.
O ma muse, j’ai une allumette, si tu voulais flamber, en guise d’amusette, la veine littéraire où coulent le vin, l’encre et la bière ! »
Je fis une pause pour avaler ma première gorgée de Bouzy, puis je repris mon oraison que certains considérèrent, outre mesure, comme une déraison.
- « O muses et musettes pleines de vins, de bourrinette, donnez-nous notre ivresse créatrice, nos lettres, notre souffle bachique, dionysiaque et apollinien.
Nous ferons, pour vous rendre grâce, de grandes tresses de fleurs éloquentes.
O muses musiciennes, donnez-nous la mélodie ; par un geste de vous, mélodieux, donnez musique à nos mots désunis ; accordez-nous, oh un peu d’harmonie entre la duchesse et le pauvre Antoine, roturier des lettres. Donnez-nous les paroles toujours manquantes, celles qui savent dire « je t’aime » sur tous les tons, sur tous les silences, sur toutes les vagues de la vie, quand la nef commune tangue sur les remous, dans la houle, sur l’agitation des jours et les frimas de l’existence. »
Je m’interrompis. Avalai Bouzy et ratafia. Courus vers une resserre d’outils, pleine de poussière et de toiles d’araignées. Je sortis une brouette, que je poussai au milieu de l’assistance, en courant, en zigzaguant, au grand plaisir des enfants qui riaient, couraient, zigzaguaient, en mâchant les carambars que je leur avais offerts. « Chargeons la brouette de tous ces livres qui traînent sur les tables, dis-je aux enfants, nous les mettrons dans le chaudron, avec les caracoles ! ».
Survint, par surdose de vin, sans doute, que je chutai et m’affalai de tout mon long. J’étais sur le sol, comme un gastéropode. Quelques instants, j’entendis les sonorités fortes d’un harmonium. Quelle révélation ! Tous les saints étaient avec moi ! Ce sont eux qui me relevèrent, sûr, comment aurais-je pu, seul, me redresser sur cette terre, dans cet espace austère, devant ce château où l’on me repoussait, où l’hostilité et l’incompréhension régnaient.
Il y avait syntaxe pour me remettre droit dans l’axe de la vie, entre littérature et gastronomie ; syntagme pour permettre de retrouver mes idées et mon nom dans la longue phrase du monde ; syncope pour mettre une ellipse dans mon étourdissement ; scintillement pour me faire voir trente six chandelles, et sain d’esprit pour me remettre d’aplomb ! Quelque saint aussi, particulièrement sympa, devait s’être chargé de ma croix dans l’existence, tant je me sentis plus léger. J’étais, par chance, devenu moi aussi tout un symbole !
J’en éprouvai comme une extase. Stupéfiant ! Moi, puce insignifiante, je prenais conscience d’exister dans le macrocosme, j’étais une lettre dans l’écriture du grand Tout, j’étais en phrase avec l’univers, je trouvais la fusion avec les auteurs de tous les textes, de tous les écrits, de tous les livres. L’ivresse me gagnait, livresque. Ivre de ratafia et de tous les mots bus, avalés, absorbés. J’étais plein d’écrits vins. J’avais bu et rebu, et je n’étais pas un rebut ! J’étais glouton. L’aliment terre, la chair vive des corps textes, c’était substance ciel, au festin du monde, au banquet de l’univers.
Oui, ce fut une grande fête, la fête des marmitons ! Mémorable ! Avec, en soirée, valses de Vienne-le-Château, et moult viennoiseries artistiques servies avec forte valeur ajoutée en croissance exponentielle de sucre-crème.
On dégustait des petits fours pâtissiers tout en devisant, avec un talent chic de mignardises, des grands fours littéraires.
Chacun était très chou, et tout s’avérait délicieux et adorable. A l’exception de ma présence, inconvenante, mouche inopportune sur la pièce montée, jouée dans ce parc, dégoulinante de crème fouettée, de mille onctuosités, et autant de fadaises sucrées.
On traitait de tous mets raffinés, et sous-traitait les critiques des revues L’Art-dennais et Champagne Littérature, les feuilles de chou de la région.
J’allais tirer ma révérence, mettre les bouts de ma vie restante, bouts à boue, sur l’autre versant du monde, la terre des lumas et libellules, moi, pauvre mirliton parmi les marmitons ; j’allais me barrer, m’effacer, piteusement et sans panache, en litres bus et ratures biffantes, lassé de toute cette mascarade, loin d’Yvonne et de son flamant fou, lorsqu’une bribe de conversation perçue se fit bride de mon esprit ainsi retenu dans la forteresse de la bouffe poético-gastrique.
Une huile du canton, bon chic bon teint olivâtre, grand manitou des lettres et de la cuisine du castel à Yvonne, déclarait : « Nous, Ardennais, nous sommes les fils d’Arthur, notre roi de la littérature. Nous sommes rimbaldiens, forcément. Nous devons nous montrer dignes et fiers de notre grand poète, qui aimait la bonne chère et le soleil. Oh ! Je le trahis si peu ! Et quand il écrivait :
Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou
ne rendait-il pas un hommage appuyé à notre région ? Ainsi n’est-il pas, avec notre boisson pétillante, notre meilleur ambassadeur dans le monde entier ? Un atout pour nos exportations et la vie touristique de notre belle campagne riante ».
Je vidai un verre supplémentaire de gratte-cul pour trouver les dernières forces d’une explosion verbale, en franc-tireur. J’hurlai, dans un copier du jeune Rimbaud que je collai aux oreilles d’âne de l’infâme et de son auditoire « Oh, abominable prurigo d’idiotisme ! »
Je me lançai, juché sur une table, semblable à un petit père des peuples appelant à la révolution, en une harangue à la foule trop alanguie, trop avachie, bêlante, dans un discours fleuve, un fleuve d’alcool des tirades de mon cru :
« O propos papuleux ! O crapuleux propos ! Et que craque crucropopuleux… ». Je bafouillai, les eaux rouges du fleuve versaient sur une estacade, sur des brisants à se casser la voix. Je cherchais une parade, quelques méandres pour contourner les obstacles et aller de l’avant dans mon homérique homélie révolutionnaire, leur en mettre des tartines, à ces gloutons marmitons, quand Duchesse coquelicot me lança : « Sois zen, Antoine, ou bien tire-toi. »
« Ah les zénormités, criai-je ! Vous, zesthètes de mules, zénies de la médiocrité, je vous laisse à vos gamelles. Et de déclamer, bateau ivre :
« Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur »
Avant de sortir du château, en tête O saisons, O châteaux ! et remonter chancelant sur mon vélo, je sortis une jolie et ancienne longue-vue que j’avais trouvée sur un meuble.
J’observai avec cette lunette l’assemblée mar-miteuse. « Vous êtes loin, me dis-je. J’étais l’astronome des rêves, je n’observe plus que le fond des gamelles de l’univers. Non, c’est moi qui suis loin, je m’éloigne, je m’en vais les poings dans mes poches crevées, avec ma rage d’idéal. »
Dans la nuit tombée, je repris mon vélo. Il traînait toujours une batterie de casseroles qui rythmait toutes mes paroles clamées sous l’œil malicieux de la lune et le doux sourire des étoiles. Zigzaguant, je leur lançai : « Mon auberge est à la Grande Ourse ! » et poursuivis, dans un équilibre aléatoire, entre relents de Bouzy et ratafia : « Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées ! ». Il s’écoula peu de temps, ondoyant, serpentant, vacillant, avant la chute finale de ma révolution vélocipède, éthylique et ardennaise. Rimant quelques instants au milieu des ombres fantastiques, je ne tardai pas à m’affaler dans un fossé où la nuit doucement serait bercée par le frou frou des étoiles.
Dans l’herbe humide, je n’étais pas un de ces lumas allumés, non je n’étais pas un gastéropode, je n’avais pas le pied près de l’estomac, je l’avais près de mon cœur.
J’étais tout déguenillé, tout déchiré du dehors et du dedans, et mon unique culotte avait un large trou.
Depuis ce jour des marmitons et cette nuit sous le doux frou frou céleste, quand je vois au bord des champs un gentil coquelicot Mesdames, je le caresse du regard et je ne le cueille pas.
Louis- Nombre de messages : 458
Age : 69
Date d'inscription : 28/10/2009
Re: La fête des marmitons
Hé ben ! Il y a du Poussetontraîneau là-dedans. Je dois avouer que je suis épatée tout autant que submergée par la somme des trouvailles, phoniques notamment. Impossible de rendre justice à ce travail.
En tout cas, j'ai bien aimé ce personnage déjanté et presque pathétique de fou de la duchesse.
Remarque :
"je hurlais" (et non pas "j'hurlais", le h aspiré, un de mes dadas orthographiques)
En tout cas, j'ai bien aimé ce personnage déjanté et presque pathétique de fou de la duchesse.
Remarque :
"je hurlais" (et non pas "j'hurlais", le h aspiré, un de mes dadas orthographiques)
Invité- Invité
Re: La fête des marmitons
Tiens, moi aussi je voulais dire "Hé ben !", mais pas pour la même raison. Qu'est-ce que je me suis fait chier. J'ai trouvé le texte prétentieux, lourdingue et interminable. Désolée.
« J’étais plein d’écrits vins » : la phrase type qui m’agace…
Mes remarques :
« Troublé, je ne savais plus à quel fil me vouer, ne trouvais plus le fil conducteur »
« la balade et non « ballade », dans cette acception) devait m’enchanter »
« let (les ?) chameaux voyagent »
« tout fier à cancaner allégrement »
« Une lardoire à la main »
« me faire voir trente-six chandelles »
« Je hurlai »
« J’étais plein d’écrits vins » : la phrase type qui m’agace…
Mes remarques :
« Troublé, je ne savais plus à quel fil me vouer, ne trouvais plus le fil conducteur »
« la balade et non « ballade », dans cette acception) devait m’enchanter »
« let (les ?) chameaux voyagent »
« tout fier à cancaner allégrement »
« Une lardoire à la main »
« me faire voir trente-six chandelles »
« Je hurlai »
Invité- Invité
Re: La fête des marmitons
eh ben !
J'ai du me plonger dans wikipedia pour découvrir la signification de tous ces mots inconnus....
exemple de mes recherches et trouvailles :
« métaphore et métonymie apparaissent comme des tropes complexes : la métaphore accouple deux synecdoques complémentaires, fonctionnant de façon inverse, et déterminant une intersection entre degré donné et degrés construits (…) Comme la métaphore, la métonymie est un trope à niveau constant, compensant les adjonctions par des suppressions et vice-versa. Mais alors que la métaphore se fonde sur une intersection, la relation entre les deux termes de la métonymie s’effectue via un ensemble les englobant tous les deux6. »
Pour Umberto Eco, écrivain et linguiste de renom : « Les métaphores sont des métonymies qui s’ignorent et qui un jour le deviendront »7.
A.Henry, pour sa part, relève davantage à quel point elles sont proches :
« Pas de métaphore qui ne soit toujours plus ou moins métonymique; pas de métonymie qui ne soit quelque peu métaphorique [p.74](…). La métaphore est donc fondée sur un double envisagement métonymisant, elle est la synthèse d’une double focalisation métonymisante, en court-circuit8. »
• La synecdoque est un cas particulier de métonymie où une relation d’inclusion (matérielle ou conceptuelle) lie le terme cité et le terme évoqué.
• l’antonomase est une métonymie synecdochique particulière établissant une relation entre un individu et l’espèce ou le type auxquels il appartient.
Mamma mia ! J'ignorai qu'on puisse pousser l'analyse de la langue dans des recoins aussi sombres, aussi obscurs...Trop compliqué pour moi !
Mais j'essaierai de comprendre tout cela dés que j'aurai un peu de temps...
Donc merci Louis pour m'avoir ouvert l'oeil sur un des pans (infiniment nombreux) de mon ignorance !
Par contre, votre texte ne m'a pas convaincue cette fois ! Trop savant pour moi , j'ai donc du le quitter à de nombreuses reprises pour chercher des définitions, et parfois avec des effets trop faciles....Non pas que je n'aime pas les jeux de mots faciles et gratuits , difficiles et payants (au contraire)mais là j'ai trouvé que c'était trop ! L'histoire, n'est plus qu'un prétexte et perso elle m'a ennuyée !
Dommage cette association mots/gastronomie est intéressante et l'on sent votre aptitude à jouer et à jongler avec la langue mais vous avez voulu trop en faire à mon avis et ça sent l'exercice de style.
Désolée pour cette fois ci !
J'ai du me plonger dans wikipedia pour découvrir la signification de tous ces mots inconnus....
exemple de mes recherches et trouvailles :
« métaphore et métonymie apparaissent comme des tropes complexes : la métaphore accouple deux synecdoques complémentaires, fonctionnant de façon inverse, et déterminant une intersection entre degré donné et degrés construits (…) Comme la métaphore, la métonymie est un trope à niveau constant, compensant les adjonctions par des suppressions et vice-versa. Mais alors que la métaphore se fonde sur une intersection, la relation entre les deux termes de la métonymie s’effectue via un ensemble les englobant tous les deux6. »
Pour Umberto Eco, écrivain et linguiste de renom : « Les métaphores sont des métonymies qui s’ignorent et qui un jour le deviendront »7.
A.Henry, pour sa part, relève davantage à quel point elles sont proches :
« Pas de métaphore qui ne soit toujours plus ou moins métonymique; pas de métonymie qui ne soit quelque peu métaphorique [p.74](…). La métaphore est donc fondée sur un double envisagement métonymisant, elle est la synthèse d’une double focalisation métonymisante, en court-circuit8. »
• La synecdoque est un cas particulier de métonymie où une relation d’inclusion (matérielle ou conceptuelle) lie le terme cité et le terme évoqué.
• l’antonomase est une métonymie synecdochique particulière établissant une relation entre un individu et l’espèce ou le type auxquels il appartient.
Mamma mia ! J'ignorai qu'on puisse pousser l'analyse de la langue dans des recoins aussi sombres, aussi obscurs...Trop compliqué pour moi !
Mais j'essaierai de comprendre tout cela dés que j'aurai un peu de temps...
Donc merci Louis pour m'avoir ouvert l'oeil sur un des pans (infiniment nombreux) de mon ignorance !
Par contre, votre texte ne m'a pas convaincue cette fois ! Trop savant pour moi , j'ai donc du le quitter à de nombreuses reprises pour chercher des définitions, et parfois avec des effets trop faciles....Non pas que je n'aime pas les jeux de mots faciles et gratuits , difficiles et payants (au contraire)mais là j'ai trouvé que c'était trop ! L'histoire, n'est plus qu'un prétexte et perso elle m'a ennuyée !
Dommage cette association mots/gastronomie est intéressante et l'on sent votre aptitude à jouer et à jongler avec la langue mais vous avez voulu trop en faire à mon avis et ça sent l'exercice de style.
Désolée pour cette fois ci !
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: La fête des marmitons
Rebecca, tu dis ça parce que tu n'as pas eu l'immense bonheur de faire les exos figures de style de Grieg !
https://vosecrits.1fr1.net/conversations-atelier-f4/exercice-figures-de-style-pour-le-1er-fevrier-t3440.htm
Sinon, ici, un lien laissé sur le fil grammaire par Peter Pan hier, une vieille bible :
http://www.etudes-litteraires.com/bac-francais/figures-de-style.php
https://vosecrits.1fr1.net/conversations-atelier-f4/exercice-figures-de-style-pour-le-1er-fevrier-t3440.htm
Sinon, ici, un lien laissé sur le fil grammaire par Peter Pan hier, une vieille bible :
http://www.etudes-litteraires.com/bac-francais/figures-de-style.php
Invité- Invité
Re: La fête des marmitons
Louis, je suis toujours surprise par tes textes très travaillés, et je me demande ce que ça donnerait si tu basais moins ton écriture sur les jeux de mots ? J'aimerais bien, une fois, voir ce qui sortirait si tu laissais le fond prendre un peu le pas sur la forme...
Ce n'est pas une critique, j'aime bien ce que tu écris ( encore que : je ne lirais pas d'un coup tout un recueil !) mais j'aurais une vraie curiosité envers un texte tout nu, déshabillé de ses mots-masques signé Louis...
Je crois que j'aimerais...
Ce n'est pas une critique, j'aime bien ce que tu écris ( encore que : je ne lirais pas d'un coup tout un recueil !) mais j'aurais une vraie curiosité envers un texte tout nu, déshabillé de ses mots-masques signé Louis...
Je crois que j'aimerais...
Invité- Invité
Re: La fête des marmitons
Moi qu'avais tant aimé la cariole (olle?)
Là c'est pas le même tonneau.
Il y a un étalage prétentieux qui mélé aux jeux de mots éculés laissent une impression de " vouloir faire drôle à tout prix" qui fait flop et devient n'importe quoi!
Autant l'autre texte coulait, autant là tout est artificiel.
Pas loin de parfaitement partager l'avis de socque.
Désolé!
Là c'est pas le même tonneau.
Il y a un étalage prétentieux qui mélé aux jeux de mots éculés laissent une impression de " vouloir faire drôle à tout prix" qui fait flop et devient n'importe quoi!
Autant l'autre texte coulait, autant là tout est artificiel.
Pas loin de parfaitement partager l'avis de socque.
Désolé!
outretemps- Nombre de messages : 615
Age : 77
Date d'inscription : 19/01/2008
Re: La fête des marmitons
Je me suis jetée comme une goulue sur vos marmitons, salive en bouche.
Mais que de complications pour assouvir ma faim. Pour me faire pardonner, mais peut-être la connaissez-vous, je suis prête à vous donner la recette de la sauce aux lumas.
Continuez à écrire et poster surtout !
Mais que de complications pour assouvir ma faim. Pour me faire pardonner, mais peut-être la connaissez-vous, je suis prête à vous donner la recette de la sauce aux lumas.
Continuez à écrire et poster surtout !
Re: La fête des marmitons
Je trouve quand même qu'il faut saluer le travail sur la langue, jeux de mots et effets phoniques. Je me répète, mais bon... J'y tien, Louis... après avoir émis des commentaires assez négatifs sur tes textes précédents.
Invité- Invité
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