Passion dissidente
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Passion dissidente
Passion dissidente (1)
C’était l’heure préférée de Sandra. Allongée sur son lit, en chemise de nuit, elle sirotait un thé avec sa clope et sa télécommande. Alban était parti travailler à 20h30 et elle était enfin tranquille. Depuis qu’elle n’avait plus de boulot, Alban la prenait pour sa boniche. Il aurait voulu en plus qu’elle lui prépare des petits plats. Elle se tapait déjà ses lessives avec ses chaussettes puantes, elle faisait les courses, le ménage, la vaisselle… En fait, tout ce qu’elle détestait et c’était la base de leurs engueulades.
Mais entre eux, dorénavant, toutes les excuses étaient bonnes pour s’engueuler. Après les premiers mois de folie succédèrent les mois de guerre. En ce moment, c’était la guerre froide. Les reproches fusaient et le mépris donnait des coups de couteau dans le cœur.
Au début, leur histoire passait pour être idyllique : rencontre comme ça ne se fait plus, c’est à dire pas par Internet, ni même en boîte de nuit mais entre amis à force de restos et de cinémas. Elle avait fini par se faire raccompagner puis par le faire entrer chez elle. A L’époque, elle habitait en collocation avec trois autres personnes et finissait une histoire avec l’une d’elle. Une autre erreur. Sandra avait donc saisit l’occasion et était partie très vite vivre chez Alban.
A la télé, que des films avec des flics et des tarets psychopathes. La météo qui n’avait pas besoin d’annoncer froid et grisaille. Quelle vie de merde. A 25 ans , Sandra se disait qu’elle n’avait encore rien fait de constructif. Petit boulot sur petit boulot, presque autant que de mecs et tout aussi débile. Alban était « gentil ». Ouvrier en usine, il passait ses nuits à tordre des bouts de ferraille, toujours les mêmes, avec une machine. Mais pour tout le monde, il travaillait dans l’aéronautique, une place rare… Il ramenait 1500 € de salaire sur 13 mois, maintenant c’était sûr, il ferait cela toute sa vie. A moins qu’un jour, peut-être demain, la société délocalise et le foute dehors. C’est ce qui pouvait lui arriver de mieux. Quoique, se dit-elle, c’est ce qui est arrivé à mon père et depuis il est sous anti-dépresseur.
Elle éteignit la télé avec rage. « Ils feraient mieux de cultiver un peu les gens au lieu de les abrutir avec ces conneries dit-elle tout haut à un auditoire invisible ».
Elle revenait de se brosser les dents quand son téléphone sonna. « ma mère, il ne manquait plus qu’elle ! »
- Allo Maman
- …
- Oui je suis allée à l’entretien
- …
- Non, ça s’est mal passé. Je connais ce boulot. Emballer des Cds toute la journée dans un entrepôt même pas chauffé.
- …
- Oui je sais maman, si tu veux, je suis une feignante, mais je préfère rien foutre pour le même prix. Je gagne même plus avec les assedic. En plus c’est une ambiance de merde, les pauvres filles se boufferaient entres-elles pour avoir la chance de rester.
- …
- Faut bien qu’il y en ai qui profite. D’ailleurs papa dit toujours qu’il n’y a que les bougnoules qui en profitent et que c’est toujours les mêmes qui bossent. Il est bien content de recevoir le chômage en ce moment !
- …
- C’est ça, j’ai toujours raison. En attendant je ne vous demande rien, et surtout bosse pour que je puisse bouffer avec tes impôts !
« Elle a raccroché, tant mieux, toujours pour me prendre la tête ! ». Elle jeta son téléphone sur son lit et prit un livre ; « Je ferai mieux de dormir, dormir indéfiniment ».
Le réveil hurla. Cinq heures du matin. Charlotte s’assit au bord du lit et se frotta les yeux. Elle faisait partie des gens qui ne lézardaient pas au lit mais sautaient dans la douche à peine le réveil sonnait. Souriante, dynamique, c’était une petite femme qu’on aimait côtoyer dans la vie tant elle inspirait de gentillesse et d’optimisme. Elle se brossait les cheveux quand son téléphone sonna :
- Allo Sandra qu’est ce qu’il t’arrive ?
- Je n’arrive pas à dormir et je pensais à toi. Tu es en France depuis plusieurs mois et tu n’es même pas venue me voir.
- Je sais Sandra, je suis désolé, je n’ai pas pris le temps mais je viendrai. Enfin, c’est pas pour ça que tu appels à cinq heures du mat ? Pourquoi tu ne dors pas ? Tu as des ennuies ? Qu’est ce qu’il t’arrive ?
- Pas grand chose justement, je ne fais rien à part bouffer. Je me fais chier. On n’arrête pas de s’engueuler avec Alban. Je n’ai pas de boulot et je n’ai pas envie d’en chercher. Enfin voilà, tout va bien quoi !
- Tu sais à quoi tu me fais penser ?
- Non
- A toute ces petites françaises pourries gâtées
- Je sais, tu vas me ressortir tes pays pauvres où les enfants aimeraient bien aller à l’école, porter chaque jour un vêtement différent… mais même eux, je suis sûr, ne sont pas aussi abandonnés que moi.
- Peut-être bien mais ce n’est pas une raison pour se laisser aller. Pourquoi tu ne viendrais pas me voir puisque tu ne travailles pas ? Ca te ferai du bien de changer d’air.
- Je sais pas, je n’y avais pas pensé.
- Jeudi, je ne travaille pas, je te remonterai le moral ;
- Ok, je vais voir, tu crèches où ?
- Saint-Lary-Soulan, dans les Pyrénées. Appel moi quand tu y es, je viendrais te chercher.
- Je fais comment de Paris ?
- Ma parole, tu n’es jamais sortie de chez toi ! Tu prends un train pour Tarbes. Tu auras certainement un changement à Bordeaux. Puis, de Tarbes tu prends un bus à la sortie de la gare.
- Tu sais, je n’ai pas souvent pris le train. Ca fait au moins trois ans que je ne suis pas sortie de Paris. Mais je vais y arriver. Je me demande si je ne vais pas partir aujourd’hui. Bon je te laisse, Alban va arriver du boulot. On va voir comment ça va se passer mais je suis motivée.
- Ok, bon à ce soir. Appel si tu as quelque chose.
- Bisou
Charlotte repensa une seconde aux malheurs de son amie. Comment faisait-elle pour s’ennuyer. Avec tout le temps qui lui manquait pour faire tout ce qu’elle aurait voulu faire. Enfin, elle avait déjà réussi dans sa vie à réaliser certaines choses dont elle était fière. Elle avait travaillé dur pour être guide international et ensuite se spécialiser dans la montagne. Elle possédait ce petit chalet dans un hameau voisin de Saint-Lary qu’elle habitait tous les étés à ses retours de voyages et qu’elle louait l’hiver. C’était un beau cadeau de sa famille notamment de sa grand mère. Cela lui permettait de mettre pas mal d’argent de côté tout en voyageant une bonne partie de l’année.
Chaque matin, elle se rendait de bonheur à l’agence de tourisme où elle travaillait et prenait un groupe pour les promener en montagne. Plusieurs circuits existaient qu’elle choisissait par rapport aux difficultés et au niveau du groupe. Certains se trouvaient en Espagne, d’autres duraient plusieurs jours alors ils partaient avec les toiles de tentes et la bouffe. Mais la plupart du temps, ce n’était qu’une balade à la journée dans le parc national de Néouvielle. Enfin, elle trouvait sympa de voir les gens souffrir physiquement pour aller retrouver la nature et le grand air. Elle trouvait cela rassurant de voir que la randonnée était un sport qui rencontrait de plus en plus d’adeptes. Des adeptes de tous âges et souvent heureux comme on peut l’être en vacances. C’était donc un boulot pas du tout désagréable.
En dévalant la pente avec son vélo, Charlotte pensa à nouveau à la venue de Sandra. Elle ne pouvait s’empêcher d’avoir de la peine pour son amie. Elle se disait qu’elle l’emmènerait avec elle dans ses randos et que ça lui ferait le plus de bien au monde. Que dans l’effort, elle trouverait les solutions à ses problèmes. Beaucoup de gens avaient des révélations alors qu’ils se trouvaient au plus raide d’une montée à travers la montagne.
Vers huit heures, son téléphone sonna. C’était à nouveau Sandra :
- Allo, Charlotte, je me suis engueulée avec Alban, il dit que si je pars, ce sera définitif. Maintenant il dort, j’ai la gueule dans le cul et je ne sais plus quoi faire.
- Tu devrais lui écrire un petit mot et faire ton sac. Une petite séparation ne fait pas de mal et s’il tient à toi, il comprendra.
- Il ne veut rien entendre, si je pars, il foutra mes affaires dehors.
- Comme tu veux Sandra. Je ne t’oblige pas mais c’est certain que c’est la meilleure des choses à faire.
Sandra s’était mise à sangloter. Charlotte, au milieu de ses touristes qui attendaient ses directives pour partir ne savait pas trop quoi lui dire. Elle ne pouvait pas prendre les décisions à sa place. Elle n’était pas dans sa vie et était bien consciente de son recul par rapport à une telle situation.
- Allez Sandra, bouge. Tu verras bien. Ta vie ne s’arrête pas à Paris dans cette piaule à attendre ton mec. Je t’assure que de venir me voir te donnera la force de le faire changer d’avis si tu en as le cœur. Va à la gare et prend un train. Tu verras, rien que ça et tu seras libérée. Tu te sentiras beaucoup mieux. Et puis tu l’appelleras pour lui expliquer. Tes idées seront plus claires. Ca va bien se passer, c’est certain. Allez, je te laisse, je suis au boulot mais je te dis à ce soir et je serai toujours là pour t’aider.
Et Sandra dans un demi-sourire
- De toute façon, tu n’auras pas le choix de m’aider s’il me met dehors.
- Pas de problème pour t’accueillir, à ce soir, gros bisou, je te laisse. Bon courage.
Sandra raccrocha et resta un moment indécise sur sa chaise. Elle regarda la pièce autour d’elle, la petite fenêtre d’où l’on apercevait la grisaille parisienne, la pendule du salon qui prenait son temps. Toutes ces secondes à ne rien faire. La télé avec de la poussière, la seule chose qui lui donnait des nouvelles de l’extérieur. Au dessus, une photo d’elle avec Alban et ce joli sourire de leurs premiers amours puis les chaises, le canapé, ce fauteuil griffait par le chat, ce papier jauni, le trou de la VMC noirci au plafond. Elle alla jetait un œil dans la chambre. Alban dormait paisiblement, fatigué par sa nuit de travail. Elle avait l’irrésistible envie de s’allonger contre lui et alla se blottir un instant. Mais elle n’avait pas envie de dormir. Elle avait envie de faire quelque chose aujourd’hui, comme aller s’acheter des fringues. C’est souvent ce qu’elle faisait quand elle avait une coup de blouse. Mais il ne fallait pas. Déjà, son armoire était pleine de choses qu’elle n’avait jamais remises. Et puis pas d’argent de toute façon pour se faire plaisir. « je vais trouver du travail se dit-elle » puis après quelques secondes : « je pars en vacances quelques jours chez Charlotte, ensuite je trouverai du travail ». Motivée par sa décision, elle écrivit un mot à Alban, jeta quelques affaires dans son sac et partie, non sans regarder une dernière fois son appart comme si au fond d’elle, elle savait déjà qu’elle ne le retrouverait pas de sitôt, si elle le retrouvait un jour. Mais cela n’était pas cartésien, ça ne fit qu’effleurer son esprit. Plus personne n’écoute son instinct.
Par la fenêtre du train, les paysages défilaient à grande vitesse. D’abord l’agglomération de Paris puis les vastes paysages de Beauce : Chartres, Vendôme, Tours. Sandra se demandait qu’est ce qu’il pouvait bien y avoir à faire dans une telle campagne. Jamais elle n’irait vivre en province. Née et grandie à Paris, elle ne supportait pas les grands espaces sur lesquels le soleil se couche. Après Poitiers, c’était les prairies où les vaches immobiles regardaient passer le train. Déjà, Sandra pouvait sentir toute l’angoisse de sa vie se détachait et flottait devant ses yeux pour qu’elle puisse mieux la voir. Mais elle ne voulait pas penser. Elle voulait éviter cela à tout prix depuis qu’elle avait passé la porte de chez elle. Elle s’obstinait, pour s’occuper, à observer les gens autour d’elle et à essayer d’imaginer leur vie. Tous avaient une tête différente pourtant elle n’arrivait pas à leur donner une vie différente. Ces messieurs devaient travailler dans des usines et ces dames emballer des Cds. C’était tout ce qu’elle concevait pour eux. Après le changement de train à Bordeaux qui s’était bien passé malgré son angoisse, le train traversa les Landes. Forêt de pins immobiles et étranges. A Tarbes, le bus pour Saint-Lary l’attendait, comme prévu, devant la gare et elle n’eut même pas le temps d’allumer une cigarette. Déjà la route s’enfonçait dans une vallée sombre entourée de hautes montagnes et où le soleil ne parvenait plus.
Enfin, elle descendit à l’arrêt de bus et chercha Charlotte des yeux. Après cinq minutes d’attente, elle se dirigea vers un petit banc et s’assit. Elle se sentait seule au monde et abandonnée. Son petit sac serré entre ses jambes tremblantes, les gens la regardaient en passant, elle écrasa sa troisième cigarette. La nuit tombait.
C’était l’heure préférée de Sandra. Allongée sur son lit, en chemise de nuit, elle sirotait un thé avec sa clope et sa télécommande. Alban était parti travailler à 20h30 et elle était enfin tranquille. Depuis qu’elle n’avait plus de boulot, Alban la prenait pour sa boniche. Il aurait voulu en plus qu’elle lui prépare des petits plats. Elle se tapait déjà ses lessives avec ses chaussettes puantes, elle faisait les courses, le ménage, la vaisselle… En fait, tout ce qu’elle détestait et c’était la base de leurs engueulades.
Mais entre eux, dorénavant, toutes les excuses étaient bonnes pour s’engueuler. Après les premiers mois de folie succédèrent les mois de guerre. En ce moment, c’était la guerre froide. Les reproches fusaient et le mépris donnait des coups de couteau dans le cœur.
Au début, leur histoire passait pour être idyllique : rencontre comme ça ne se fait plus, c’est à dire pas par Internet, ni même en boîte de nuit mais entre amis à force de restos et de cinémas. Elle avait fini par se faire raccompagner puis par le faire entrer chez elle. A L’époque, elle habitait en collocation avec trois autres personnes et finissait une histoire avec l’une d’elle. Une autre erreur. Sandra avait donc saisit l’occasion et était partie très vite vivre chez Alban.
A la télé, que des films avec des flics et des tarets psychopathes. La météo qui n’avait pas besoin d’annoncer froid et grisaille. Quelle vie de merde. A 25 ans , Sandra se disait qu’elle n’avait encore rien fait de constructif. Petit boulot sur petit boulot, presque autant que de mecs et tout aussi débile. Alban était « gentil ». Ouvrier en usine, il passait ses nuits à tordre des bouts de ferraille, toujours les mêmes, avec une machine. Mais pour tout le monde, il travaillait dans l’aéronautique, une place rare… Il ramenait 1500 € de salaire sur 13 mois, maintenant c’était sûr, il ferait cela toute sa vie. A moins qu’un jour, peut-être demain, la société délocalise et le foute dehors. C’est ce qui pouvait lui arriver de mieux. Quoique, se dit-elle, c’est ce qui est arrivé à mon père et depuis il est sous anti-dépresseur.
Elle éteignit la télé avec rage. « Ils feraient mieux de cultiver un peu les gens au lieu de les abrutir avec ces conneries dit-elle tout haut à un auditoire invisible ».
Elle revenait de se brosser les dents quand son téléphone sonna. « ma mère, il ne manquait plus qu’elle ! »
- Allo Maman
- …
- Oui je suis allée à l’entretien
- …
- Non, ça s’est mal passé. Je connais ce boulot. Emballer des Cds toute la journée dans un entrepôt même pas chauffé.
- …
- Oui je sais maman, si tu veux, je suis une feignante, mais je préfère rien foutre pour le même prix. Je gagne même plus avec les assedic. En plus c’est une ambiance de merde, les pauvres filles se boufferaient entres-elles pour avoir la chance de rester.
- …
- Faut bien qu’il y en ai qui profite. D’ailleurs papa dit toujours qu’il n’y a que les bougnoules qui en profitent et que c’est toujours les mêmes qui bossent. Il est bien content de recevoir le chômage en ce moment !
- …
- C’est ça, j’ai toujours raison. En attendant je ne vous demande rien, et surtout bosse pour que je puisse bouffer avec tes impôts !
« Elle a raccroché, tant mieux, toujours pour me prendre la tête ! ». Elle jeta son téléphone sur son lit et prit un livre ; « Je ferai mieux de dormir, dormir indéfiniment ».
Le réveil hurla. Cinq heures du matin. Charlotte s’assit au bord du lit et se frotta les yeux. Elle faisait partie des gens qui ne lézardaient pas au lit mais sautaient dans la douche à peine le réveil sonnait. Souriante, dynamique, c’était une petite femme qu’on aimait côtoyer dans la vie tant elle inspirait de gentillesse et d’optimisme. Elle se brossait les cheveux quand son téléphone sonna :
- Allo Sandra qu’est ce qu’il t’arrive ?
- Je n’arrive pas à dormir et je pensais à toi. Tu es en France depuis plusieurs mois et tu n’es même pas venue me voir.
- Je sais Sandra, je suis désolé, je n’ai pas pris le temps mais je viendrai. Enfin, c’est pas pour ça que tu appels à cinq heures du mat ? Pourquoi tu ne dors pas ? Tu as des ennuies ? Qu’est ce qu’il t’arrive ?
- Pas grand chose justement, je ne fais rien à part bouffer. Je me fais chier. On n’arrête pas de s’engueuler avec Alban. Je n’ai pas de boulot et je n’ai pas envie d’en chercher. Enfin voilà, tout va bien quoi !
- Tu sais à quoi tu me fais penser ?
- Non
- A toute ces petites françaises pourries gâtées
- Je sais, tu vas me ressortir tes pays pauvres où les enfants aimeraient bien aller à l’école, porter chaque jour un vêtement différent… mais même eux, je suis sûr, ne sont pas aussi abandonnés que moi.
- Peut-être bien mais ce n’est pas une raison pour se laisser aller. Pourquoi tu ne viendrais pas me voir puisque tu ne travailles pas ? Ca te ferai du bien de changer d’air.
- Je sais pas, je n’y avais pas pensé.
- Jeudi, je ne travaille pas, je te remonterai le moral ;
- Ok, je vais voir, tu crèches où ?
- Saint-Lary-Soulan, dans les Pyrénées. Appel moi quand tu y es, je viendrais te chercher.
- Je fais comment de Paris ?
- Ma parole, tu n’es jamais sortie de chez toi ! Tu prends un train pour Tarbes. Tu auras certainement un changement à Bordeaux. Puis, de Tarbes tu prends un bus à la sortie de la gare.
- Tu sais, je n’ai pas souvent pris le train. Ca fait au moins trois ans que je ne suis pas sortie de Paris. Mais je vais y arriver. Je me demande si je ne vais pas partir aujourd’hui. Bon je te laisse, Alban va arriver du boulot. On va voir comment ça va se passer mais je suis motivée.
- Ok, bon à ce soir. Appel si tu as quelque chose.
- Bisou
Charlotte repensa une seconde aux malheurs de son amie. Comment faisait-elle pour s’ennuyer. Avec tout le temps qui lui manquait pour faire tout ce qu’elle aurait voulu faire. Enfin, elle avait déjà réussi dans sa vie à réaliser certaines choses dont elle était fière. Elle avait travaillé dur pour être guide international et ensuite se spécialiser dans la montagne. Elle possédait ce petit chalet dans un hameau voisin de Saint-Lary qu’elle habitait tous les étés à ses retours de voyages et qu’elle louait l’hiver. C’était un beau cadeau de sa famille notamment de sa grand mère. Cela lui permettait de mettre pas mal d’argent de côté tout en voyageant une bonne partie de l’année.
Chaque matin, elle se rendait de bonheur à l’agence de tourisme où elle travaillait et prenait un groupe pour les promener en montagne. Plusieurs circuits existaient qu’elle choisissait par rapport aux difficultés et au niveau du groupe. Certains se trouvaient en Espagne, d’autres duraient plusieurs jours alors ils partaient avec les toiles de tentes et la bouffe. Mais la plupart du temps, ce n’était qu’une balade à la journée dans le parc national de Néouvielle. Enfin, elle trouvait sympa de voir les gens souffrir physiquement pour aller retrouver la nature et le grand air. Elle trouvait cela rassurant de voir que la randonnée était un sport qui rencontrait de plus en plus d’adeptes. Des adeptes de tous âges et souvent heureux comme on peut l’être en vacances. C’était donc un boulot pas du tout désagréable.
En dévalant la pente avec son vélo, Charlotte pensa à nouveau à la venue de Sandra. Elle ne pouvait s’empêcher d’avoir de la peine pour son amie. Elle se disait qu’elle l’emmènerait avec elle dans ses randos et que ça lui ferait le plus de bien au monde. Que dans l’effort, elle trouverait les solutions à ses problèmes. Beaucoup de gens avaient des révélations alors qu’ils se trouvaient au plus raide d’une montée à travers la montagne.
Vers huit heures, son téléphone sonna. C’était à nouveau Sandra :
- Allo, Charlotte, je me suis engueulée avec Alban, il dit que si je pars, ce sera définitif. Maintenant il dort, j’ai la gueule dans le cul et je ne sais plus quoi faire.
- Tu devrais lui écrire un petit mot et faire ton sac. Une petite séparation ne fait pas de mal et s’il tient à toi, il comprendra.
- Il ne veut rien entendre, si je pars, il foutra mes affaires dehors.
- Comme tu veux Sandra. Je ne t’oblige pas mais c’est certain que c’est la meilleure des choses à faire.
Sandra s’était mise à sangloter. Charlotte, au milieu de ses touristes qui attendaient ses directives pour partir ne savait pas trop quoi lui dire. Elle ne pouvait pas prendre les décisions à sa place. Elle n’était pas dans sa vie et était bien consciente de son recul par rapport à une telle situation.
- Allez Sandra, bouge. Tu verras bien. Ta vie ne s’arrête pas à Paris dans cette piaule à attendre ton mec. Je t’assure que de venir me voir te donnera la force de le faire changer d’avis si tu en as le cœur. Va à la gare et prend un train. Tu verras, rien que ça et tu seras libérée. Tu te sentiras beaucoup mieux. Et puis tu l’appelleras pour lui expliquer. Tes idées seront plus claires. Ca va bien se passer, c’est certain. Allez, je te laisse, je suis au boulot mais je te dis à ce soir et je serai toujours là pour t’aider.
Et Sandra dans un demi-sourire
- De toute façon, tu n’auras pas le choix de m’aider s’il me met dehors.
- Pas de problème pour t’accueillir, à ce soir, gros bisou, je te laisse. Bon courage.
Sandra raccrocha et resta un moment indécise sur sa chaise. Elle regarda la pièce autour d’elle, la petite fenêtre d’où l’on apercevait la grisaille parisienne, la pendule du salon qui prenait son temps. Toutes ces secondes à ne rien faire. La télé avec de la poussière, la seule chose qui lui donnait des nouvelles de l’extérieur. Au dessus, une photo d’elle avec Alban et ce joli sourire de leurs premiers amours puis les chaises, le canapé, ce fauteuil griffait par le chat, ce papier jauni, le trou de la VMC noirci au plafond. Elle alla jetait un œil dans la chambre. Alban dormait paisiblement, fatigué par sa nuit de travail. Elle avait l’irrésistible envie de s’allonger contre lui et alla se blottir un instant. Mais elle n’avait pas envie de dormir. Elle avait envie de faire quelque chose aujourd’hui, comme aller s’acheter des fringues. C’est souvent ce qu’elle faisait quand elle avait une coup de blouse. Mais il ne fallait pas. Déjà, son armoire était pleine de choses qu’elle n’avait jamais remises. Et puis pas d’argent de toute façon pour se faire plaisir. « je vais trouver du travail se dit-elle » puis après quelques secondes : « je pars en vacances quelques jours chez Charlotte, ensuite je trouverai du travail ». Motivée par sa décision, elle écrivit un mot à Alban, jeta quelques affaires dans son sac et partie, non sans regarder une dernière fois son appart comme si au fond d’elle, elle savait déjà qu’elle ne le retrouverait pas de sitôt, si elle le retrouvait un jour. Mais cela n’était pas cartésien, ça ne fit qu’effleurer son esprit. Plus personne n’écoute son instinct.
Par la fenêtre du train, les paysages défilaient à grande vitesse. D’abord l’agglomération de Paris puis les vastes paysages de Beauce : Chartres, Vendôme, Tours. Sandra se demandait qu’est ce qu’il pouvait bien y avoir à faire dans une telle campagne. Jamais elle n’irait vivre en province. Née et grandie à Paris, elle ne supportait pas les grands espaces sur lesquels le soleil se couche. Après Poitiers, c’était les prairies où les vaches immobiles regardaient passer le train. Déjà, Sandra pouvait sentir toute l’angoisse de sa vie se détachait et flottait devant ses yeux pour qu’elle puisse mieux la voir. Mais elle ne voulait pas penser. Elle voulait éviter cela à tout prix depuis qu’elle avait passé la porte de chez elle. Elle s’obstinait, pour s’occuper, à observer les gens autour d’elle et à essayer d’imaginer leur vie. Tous avaient une tête différente pourtant elle n’arrivait pas à leur donner une vie différente. Ces messieurs devaient travailler dans des usines et ces dames emballer des Cds. C’était tout ce qu’elle concevait pour eux. Après le changement de train à Bordeaux qui s’était bien passé malgré son angoisse, le train traversa les Landes. Forêt de pins immobiles et étranges. A Tarbes, le bus pour Saint-Lary l’attendait, comme prévu, devant la gare et elle n’eut même pas le temps d’allumer une cigarette. Déjà la route s’enfonçait dans une vallée sombre entourée de hautes montagnes et où le soleil ne parvenait plus.
Enfin, elle descendit à l’arrêt de bus et chercha Charlotte des yeux. Après cinq minutes d’attente, elle se dirigea vers un petit banc et s’assit. Elle se sentait seule au monde et abandonnée. Son petit sac serré entre ses jambes tremblantes, les gens la regardaient en passant, elle écrasa sa troisième cigarette. La nuit tombait.
Dilo- Nombre de messages : 65
Age : 46
Date d'inscription : 08/02/2010
Re: Passion dissidente
Purée, Dilo, tu pourrais utiliser un correcteur orthographique ! Parce que c'est une chose de ne pas avoir "le niveau" comme tu dis dans ta présentation, c'est une autre de prendre le lecteur pour un imbécile ! Désolée, mais ça me met en rogne ce genre de désinvolture...
J'ai corrigé ce que j'ai trouvé, il en reste sûrement ... Je dois dire que je suis presque arrivée à sourire parfois, "le coup de blouse", j'ai aimé !
Sur le plan du récit, j'ai trouvé ça un peu long, ça s'étale (par exemple les deux coups de fil à la copine, tout aurait pu être dit en un...) ; et puis tu détailles trop, tu décris trop ce qui n'a rien de passionnant et ne sert pas à l'intrigue.
Sinon, eh bien, on attend la suite parce que malgré toutes mes récriminations, ta sauce a quand même pris...
A L’époque, elle habitait en colocation avec trois autres personnes et finissait une histoire avec l’une d’elles. Une autre erreur. Sandra avait donc saisi l’occasion et était partie très vite vivre chez Alban.
A la télé, que des films avec des flics et des tarés psychopathes.
Petit boulot sur petit boulot, presque autant que de mecs et tout aussi débiles (je pense, logiquement).
Quoique, se dit-elle, c’est ce qui est arrivé à mon père et depuis il est sous anti-dépresseurs.
« Ils feraient mieux de cultiver un peu les gens au lieu de les abrutir avec ces conneries » dit-elle tout haut à un auditoire invisible».
- Allô Maman
- [...] les pauvres filles se boufferaient entres-elles (sans tiret) pour avoir la chance de rester.
- …
- Faut bien qu’il y en ait qui profitent (à voir, je pense que si on développe, ça donne : "faut bien qu'il y ait des gens qui profitent", pluriel donc).
« Je ferais mieux de dormir, dormir indéfiniment ».
- Allô Sandra qu’est ce qu’il t’arrive ?
- Je sais Sandra, je suis désolée, je n’ai pas pris le temps mais je viendrai. Enfin, c’est pas pour ça que tu appelles à cinq heures du mat ? Pourquoi tu ne dors pas ? Tu as des ennuis ?
mais même eux, je suis sûre, ne sont pas aussi abandonnés que moi.
Ça te ferait du bien de changer d’air.
Appelle- moi quand tu y es, je viendrai te chercher.
- Ok, bon à ce soir. Appelle si tu as quelque chose.
Comment faisait-elle pour s’ennuyer ?
Chaque matin, elle se rendait de bonne heure à l’agence de tourisme
Elle se disait qu’elle l’emmènerait avec elle dans ses randos et que ça lui ferait le plus de bien au monde ('le plus grand bien", je crois).
Va à la gare et prends un train.
Ça va bien se passer, c’est certain.
ce joli sourire de leurs premiers amours (je crois que dans cette acception, "amours" tend à être féminin : leurs premières amours") puis les chaises, le canapé, ce fauteuil griffé par le chat, ce papier jauni, le trou de la VMC noirci au plafond. Elle alla jetert un œil dans la chambre.
C’est souvent ce qu’elle faisait quand elle avait une coup de blues.
jeta quelques affaires dans son sac et partit,
Sandra se demandaitqu’est ce qu’il pouvait bien y avoir à faire dans une telle campagne.
Déjà, Sandra pouvait sentir toute l’angoisse de sa vie se détacher et flotter devant ses yeux pour qu’elle puisse mieux la voir.
J'ai corrigé ce que j'ai trouvé, il en reste sûrement ... Je dois dire que je suis presque arrivée à sourire parfois, "le coup de blouse", j'ai aimé !
Sur le plan du récit, j'ai trouvé ça un peu long, ça s'étale (par exemple les deux coups de fil à la copine, tout aurait pu être dit en un...) ; et puis tu détailles trop, tu décris trop ce qui n'a rien de passionnant et ne sert pas à l'intrigue.
Sinon, eh bien, on attend la suite parce que malgré toutes mes récriminations, ta sauce a quand même pris...
A L’époque, elle habitait en colocation avec trois autres personnes et finissait une histoire avec l’une d’elles. Une autre erreur. Sandra avait donc saisi l’occasion et était partie très vite vivre chez Alban.
A la télé, que des films avec des flics et des tarés psychopathes.
Petit boulot sur petit boulot, presque autant que de mecs et tout aussi débiles (je pense, logiquement).
Quoique, se dit-elle, c’est ce qui est arrivé à mon père et depuis il est sous anti-dépresseurs.
« Ils feraient mieux de cultiver un peu les gens au lieu de les abrutir avec ces conneries » dit-elle tout haut à un auditoire invisible
- Allô Maman
- [...] les pauvres filles se boufferaient entres-elles (sans tiret) pour avoir la chance de rester.
- …
- Faut bien qu’il y en ait qui profitent (à voir, je pense que si on développe, ça donne : "faut bien qu'il y ait des gens qui profitent", pluriel donc).
« Je ferais mieux de dormir, dormir indéfiniment ».
- Allô Sandra qu’est ce qu’il t’arrive ?
- Je sais Sandra, je suis désolée, je n’ai pas pris le temps mais je viendrai. Enfin, c’est pas pour ça que tu appelles à cinq heures du mat ? Pourquoi tu ne dors pas ? Tu as des ennuis ?
mais même eux, je suis sûre, ne sont pas aussi abandonnés que moi.
Ça te ferait du bien de changer d’air.
Appelle- moi quand tu y es, je viendrai te chercher.
- Ok, bon à ce soir. Appelle si tu as quelque chose.
Comment faisait-elle pour s’ennuyer ?
Chaque matin, elle se rendait de bonne heure à l’agence de tourisme
Elle se disait qu’elle l’emmènerait avec elle dans ses randos et que ça lui ferait le plus de bien au monde ('le plus grand bien", je crois).
Va à la gare et prends un train.
Ça va bien se passer, c’est certain.
ce joli sourire de leurs premiers amours (je crois que dans cette acception, "amours" tend à être féminin : leurs premières amours") puis les chaises, le canapé, ce fauteuil griffé par le chat, ce papier jauni, le trou de la VMC noirci au plafond. Elle alla jetert un œil dans la chambre.
C’est souvent ce qu’elle faisait quand elle avait une coup de blues.
jeta quelques affaires dans son sac et partit,
Sandra se demandait
Déjà, Sandra pouvait sentir toute l’angoisse de sa vie se détacher et flotter devant ses yeux pour qu’elle puisse mieux la voir.
Invité- Invité
Dommage.
Il y avait sans doute matière à faire quelque chose d'intéressant, je trouvais le début accrocheur et vrai, le dialogue juste, mais je n'ai pas été jusqu'au bout : trop de fautes d'orthographe, trop de répétitions, des guillemets qui ne se referment pas au bon endroit, etc.
Dommage. Je suis sûr qu'il y aurait pu avoir bien mieux, avec peu d'efforts.
Ubik.
Dommage. Je suis sûr qu'il y aurait pu avoir bien mieux, avec peu d'efforts.
Ubik.
Re: Passion dissidente
Je corrige la correction. Merci qui ... ? ;-)
- [...] les pauvres filles se boufferaient entres-elles (sans tiret et sans "s" à "entre") pour avoir la chance de rester.
- [...] les pauvres filles se boufferaient entre
Invité- Invité
Re: Passion dissidente
je note d'abord les fautes si evidentes ou les expressions tellement surprenantes qu'elles en ont stoppé ma lecture...
tournure de phrase étrange :
le dialogue qui suit (avec la mère) , trés réaliste, j'entend ça tous les jours dans mon entourage
( mémotechnique : elle alla finir. donc, verbe non conjugué, donc, jeter )
Sur le fond, j'aime l'idée de décrire le cheminement mental de quelqu'un qui lâche toute sa vie pour s'aventurer dans l'inconnu.
Le moment qui fait que tout bascule.
Ce texte n'est qu'un début, et il donne envie d'en savoir plus, ce qui est encourageant ...
texte à retravailler, mais ca vaut le coup je pense.
tournure de phrase étrange :
La météo qui n’avait pas besoin d’annoncer froid et grisaille.
le mépris donnait des coups de couteau dans le cœur.
Il faudrait fermer les guillemets apres le mot "connerie"« Ils feraient mieux de cultiver un peu les gens au lieu de les abrutir avec ces conneries dit-elle tout haut à un auditoire invisible ».
le dialogue qui suit (avec la mère) , trés réaliste, j'entend ça tous les jours dans mon entourage
avec bonheurelle se rendait de bonheur à l’agence de tourisme
elle alla jeterElle alla jetait
( mémotechnique : elle alla finir. donc, verbe non conjugué, donc, jeter )
... bluescoup de blouse
j'aime bien cette idée, que la narratrice ne puisse percevoir les autres autrement que par l'image qu'elle a de sa vie ...Tous avaient une tête différente pourtant elle n’arrivait pas à leur donner une vie différente. Ces messieurs devaient travailler dans des usines et ces dames emballer des Cds. C’était tout ce qu’elle concevait pour eux.
Sur le fond, j'aime l'idée de décrire le cheminement mental de quelqu'un qui lâche toute sa vie pour s'aventurer dans l'inconnu.
Le moment qui fait que tout bascule.
Ce texte n'est qu'un début, et il donne envie d'en savoir plus, ce qui est encourageant ...
texte à retravailler, mais ca vaut le coup je pense.
Iryane- Nombre de messages : 314
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Localisation : là où je dois être ...enfin, sans certitude.
Date d'inscription : 26/01/2010
Passion dissidente (corretion et suite)
C’était l’heure préférée de Sandra. Allongée sur son lit, en chemise de nuit, elle sirotait un thé avec sa clope et sa télécommande. Alban était parti travailler à vingt heures trente et elle était enfin tranquille. Depuis qu’elle n’avait plus de boulot, Alban la prenait pour sa boniche. Il aurait voulu en plus qu’elle lui prépare des petits plats. Elle se tapait déjà ses lessives avec ses chaussettes puantes, elle faisait les courses, le ménage, la vaisselle… En fait, tous ce qu’elle détestait et c’était la base de leurs engueulades. Mais entre eux, dorénavant, toutes les excuses étaient bonnes pour s’engueuler. Après les premiers mois de folie succédèrent les mois de guerre. En ce moment, c’était la guerre froide. Les reproches fusaient et le mépris perçait les cœurs.
A la télé, comme toujours, des films avec des flics et des tarés psychopathes. La météo annonçait encore du froid et de la grisaille. Quelle vie de merde ! A vingt cinq ans, Sandra se disait qu’elle n’avait encore rien fait de constructif. Petit boulot sur petit boulot, presque autant que de mecs et tout aussi débiles. Alban était gentil. Ouvrier en usine, il passait ses nuits à tordre des bouts de ferraille, toujours les mêmes, avec une machine. Mais pour tout le monde, il travaillait dans l’aéronautique, une place rare. Maintenant c’était sûr, il ferait cela toute sa vie. A moins qu’un jour, peut-être demain, la société délocalise et le foute dehors. C’est ce qui pouvait lui arriver de mieux. Quoique, se dit-elle, c’est ce qui est arrivé à mon père et depuis il est sous anti-dépresseurs. Elle éteignit la télé avec rage. « Ils feraient mieux de cultiver les gens au lieu de les abrutir avec ces conneries » dit-elle tout haut à un auditoire invisible.
Elle revenait de se brosser les dents quand son téléphone sonna : « ma mère, il ne manquait plus qu’elle ! »
- Allô Maman !
- …
- Oui je suis allée à l’entretien
- …
- Non, ça s’est mal passé. Je connais ce boulot. Emballer des Cds toute la journée dans un entrepôt pas même chauffé.
- …
- Oui je sais maman, si tu veux, je suis une feignante, mais je préfère ne rien foutre pour le même prix. Je gagne même plus avec les assedic. En plus c’est une ambiance de merde, les pauvres filles se boufferaient entre elles pour avoir la chance de rester.
- …
- Faut bien qu’il y en ait qui profitent. D’ailleurs papa dit toujours qu’il n’y a que les bougnoules qui en profitent et c’est toujours les mêmes qui bossent. Il est bien content de recevoir le chômage en ce moment !
- …
- C’est ça, j’ai toujours raison. En attendant, je ne vous demande rien, et surtout bosse pour que je puisse bouffer avec tes impôts !
« Elle a raccroché, tant mieux, toujours à me prendre la tête ! » Elle jeta son téléphone sur son lit et prit un livre. « Je ferais mieux de dormir, dormir indéfiniment. »
Le réveil hurla. Cinq heures du matin. Charlotte s’assit au bord du lit et se frotta les yeux. Elle faisait parti des gens qui ne lézardaient pas au lit mais sautaient dans la douche à peine le réveil sonnait. Souriante, dynamique, c’était une petite femme qu’on aimait côtoyer dans la vie tant elle inspirait de gentillesse et d’optimisme. Elle se brossait les cheveux quand son téléphone sonna :
- Allô Sandra ! qu’est ce qu’il t’arrive ?
- Je n’arrive pas à dormir et je pensais à toi. Tu es en France depuis plusieurs mois et tu n’es même pas venue me voir.
- Je sais Sandra, je suis désolée, je n’ai pas pris le temps mais je viendrai. Enfin, ce n’est pas pour ça que tu appelles à cinq heures du matin. Tu as des ennuis ?
- Non, je me fais chier. On n’arrête pas de s’engueuler avec Alban. Je n’ai pas de boulot et je n’ai pas envie d’en chercher. Enfin voilà, tout va bien quoi !
- Tu sais à quoi tu me fais penser ; à toutes ces petites françaises pourries gâtées
- Je sais, tu vas me ressortir tes pays pauvres où les enfants aimeraient aller à l’école… mais même eux, je suis sûre, ne sont pas aussi abandonnés que moi.
- Peut-être bien mais ce n’est pas une raison pour se laisser aller. Pourquoi tu ne viendrais pas me voir puisque tu ne travailles pas ? Ca te ferait du bien de changer d’air.
- Je ne sais pas, je n’y avais pas pensé.
- Jeudi, je ne travaille pas, je te remonterai le moral.
- Ok, je vais voir, tu crèches où ?
- Saint-Lary-Soulan, dans les pyrénées.
- Je fais comment de Paris ?
- Ma parole, tu n’es jamais sortie de chez toi ! Tu prends un train pour Tarbes. Tu auras certainement un changement à Bordeaux. Puis, de Tarbes tu trouveras un bus à la sortie de la gare.
- Tu sais, je n’ai pas souvent pris le train. Ca fait au moins trois ans que je ne suis pas sortie de Paris. Mais je vais y arriver. Je me demande si je ne vais pas partir aujourd’hui. Bon je te laisse, Alban va arriver du boulot. On va voir comment ça va se passer mais je suis motivée.
- Alors à ce soir Sandra.
Sandra restait indécise. Elle regardait la pièce autour d’elle, puis la grisaille parisienne à travers la fenêtre. La pendule du salon prenait son temps. Sur la télévision, traînait une photo d’elle avec Alban et ces jolis sourires de leurs premières amours. Elle alla jeter un œil dans la chambre. Alban dormait paisiblement, fatigué par sa nuit de travail. Il était irrésistible de ne pas s’allonger contre lui, elle alla se blottir un instant. Mais elle ne pouvait pas dormir. Elle avait envie de se bouger aujourd’hui, d’aller s’acheter des fringues. C’était souvent ce qu’elle faisait quand elle avait un coup de blues. « Je vais trouver du travail » se dit-elle, puis « je pars en vacances chez Charlotte, ensuite je trouverai du travail. » Motivée par sa décision, elle écrivit un mot à Alban, jeta quelques affaires dans son sac et partit.
Par la fenêtre du train, les paysages défilaient à grande vitesse. D’abord l’agglomération de Paris puis les vastes paysages de Beauce. Sandra se demandait ce qu’il pouvait bien y avoir à faire dans une telle campagne. Jamais elle n’irait vivre en province. Née et grandie à Paris, elle ne supportait pas les grands espaces sur lesquels le soleil se couche. Après Poitiers, elle vit défiler les prairies avec leurs vaches immobiles. Déjà, Sandra pouvait sentir toute l’angoisse de sa vie se détacher et flotter devant ses yeux. Mais elle ne voulait pas y penser. Elle voulait éviter cela à tout prix depuis qu’elle avait passé la porte de chez elle. Elle s’obstinait pour s’occuper, à observer les gens autours d’elle et à essayer d’imaginer leur vie. Tous avaient une tête différente seulement, elle n’arrivait pas à leur donner une vie différente. Ces messieurs devaient travailler dans des usines et ces dames emballer des packs de Cds. C’était tout ce qu’elle concevait pour eux. Après le changement de train à Bordeaux, elle traversa les Landes, ce paysage monotone ne l’aidait pas. Enfin, à Tarbes, le bus l’attendait, et la route s’enfonça dans les montagnes où le soleil ne parvenait déjà plus. En descendant du bus, elle ne vit pas Charlotte. Après cinq minutes d’attente, elle se dirigea vers un petit banc et s’assit. Elle se sentait abandonnée. Son petit sac serré entre ses jambes tremblantes. Les gens la regardaient en passant. Elle écrasa sa troisième cigarette. La nuit tombait.
Enfin Charlotte arriva. A pieds, elles traversèrent la petite ville et prirent la direction du hameau où elle habitait. Sandra dit qu’elle avait l’habitude de marcher dans Paris la nuit. Elle ajouta qu’elle n’avait jamais vu un endroit aussi tranquille et silencieux, pour ne pas dire effrayant.
- Je ne pourrai jamais habiter à la campagne dit Sandra pour elle-même.
- Et moi, je ne m’installerai plus jamais en ville, renchérit Charlotte. J’ai vécu dans de grandes capitales comme Istanbul et Delhi. Vivre dans une capitale est envoûtant mais malgré tout, j’aime trop la qualité de vie en campagne. La tranquillité, le silence, les gens sont moins stressés et plus souriants. Souvent j’ai envie d’être déjà vieille quand je vois les mamies toutes tranquilles avec leurs petites habitudes. Leurs traits sur leur visage me font penser qu’elles ont déjà tout vu, tout vécu, et que finalement elles n’aspiraient qu’à une seule chose : le calme d’un jardin, des occupations utiles et quotidiennes. Bref, je n’en suis pas là mais souvent je trouve ma vie un peu speed.
- Tout le contraire de moi, dit Sandra, j’ai l’impression d’être déjà vieille. Je fais toujours la même chose et souvent rien. Les saisons passent mais je ne les vois pas. Ne rien faire. Regarder les émissions de retraités à la télé.
- Il faudrait échanger nos places mais comment fais-tu pour t’ennuyer ? Alors que moi, j’aimerais en savoir davantage sur un tas de choses et je n’ai pas le temps de m’y intéresser. J’ai la peinture, je fais des expositions, j’organise des vernissages, je participe à des cours, j’en donne moi-même, je voyage, je travaille, je pars dans l’humanitaire…
Sandra n’écoutait plus. Elle en avait suffisamment entendu et de toute façon, elle était bien incapable d’en faire autant. Et en la regardant ce soir, en plus, elle l’a trouvait belle.
Le silence s’installa. Elles n’avaient plus grand chose en commun. Depuis toutes petites et jusqu’à l’âge de quinze ans, leurs parents passaient leurs vacances ensemble près de Narbonne. A l’époque, Sandra était la plus vive. Aussi la plus dévergondée. C’est elle qui menait les autres. Charlotte revoyait comme si c’était hier, tant cela l’avait marqué, les fois où elles avaient fait le mur la nuit pour retrouver leurs amis. De là était née leur solidarité d’adolescentes.
Elles arrivaient maintenant devant chez Charlotte. Malgré le peu de lumière, on pouvait observer les fleurs dans le jardin. Il y en avait tant qu’il paraissait abandonné aux mauvaises herbes. En réalité, c’était une jachère contrôlée et merveilleuse sous le soleil. Des coloquintes s’enroulaient sur les poteaux de bois, des géraniums habillaient toutes les fenêtres, des rosiers magnifiques parfumaient toute la maison. Sur la terrasse, une sculpture en verre rivalisait de couleurs avec une toile inachevée laissée sur un chevalet. A l’intérieur, on trouvait ça et là des abat-jour d’Asie, des chaises africaines, des tapis d’Orient, des tentures indiennes… L’ensemble, bien qu’hétéroclite, arrivait à se marier d’une manière agréable et donnait une certaine chaleur à l’appartement.
- Tu vis seule Charlotte demanda Sandra ?
- Oui, enfin j’ai un ami mais on ne se voit pas souvent. Il travaille à l’étranger.
- Qu’est ce qu’il fait ?
- Il est dans l’humanitaire.
- Ca doit être dur de ne pas le voir.
- Oui un peu mais lorsque l’on se retrouvera, ce sera toujours comme au premier jour.
Charlotte n’en dit pas plus. C’était un peu compliqué d’expliquer leur histoire à Sandra. Richard et elle s’étaient rencontrés dans une sorte de secte en Inde, un ashram. Ils avaient vécu leurs premières amours sous le signe de la renonciation et de l’abstinence. Bien qu’ils aient rompu avec cette idée d’ascétisme, ils étaient toujours un peu marqués par cette espèce d’illusion de la vie matérielle que révèle l’Indouisme.
- Tu viens marcher avec moi demain Sandra ? Demanda Charlotte
- Je ne sais pas, comme je n’ai pas dormi cette nuit, j’ai peur d’être fatiguée.
- Comme tu veux. On mange et on va au lit, ça te va ?
Quand elles furent couchées, Charlotte se dit qu’elles n’avaient même pas parlé des soucis de Sandra mais comme à son habitude, elle n’avait fait que parler d’elle et de son bonheur. « Qu’elle égoïste je fais » pensa-t-elle ! A côté, Sandra dormait déjà.
Le lendemain à cinq heures, Sandra peina à sortir du lit et ne dit pas un mot avant dix heures.
- J’aimerais bien voyager comme toi Charlotte.
- Ce n’est pas bien compliqué, il suffit de partir.
- Ce n’est pas aussi simple répondit Sandra, j’ai beaucoup de choses à quitter. C’est un rêve que j’ai fait cette nuit après avoir écouté tes récits. Tu vas où pour ton prochain voyage ?
- En Asie du sud est. Je vais visiter des pays et aussi participer à un projet au Laos.
- Un projet ?
- Oui, de développement dans les montagnes.
- Et tu n’as pas peur ?
- Peur de quoi ?
- Je ne sais pas, des gens, de la maladie.
- Non, en Asie du sud est, c’est assez développé et partout dans le monde, les gens sont généreux et hospitaliers. Mais je ne peux pas tout t’expliquer, il faut partir. Il faut voyager dans la vie. C’est une bonne formation et ça te permettrait de te retrouver toi-même.
- Je ne suis pas perdue ! protesta Sandra
- Excuse-moi, mais je ne te trouve pas au mieux de ta forme. Certaines personnes vivent de leurs passions, d’autres de leurs occupations, de leurs enfants ou encore de leur travail. Moi, j’ai eu besoin de partir. Ça m’a beaucoup aidé. J’ai pris du recul sur la vie et j’ai pu ainsi mieux l’envisager, la cerner et voir l’essentiel. S’éloigner pour mieux voir. Monter sur la montagne pour apercevoir l’horizon au lieu de rester coincé dans la gorge. Mais je m’égare. Tu ne m’as pas encore parlé de toi, de Paris, de tes soucis ? Tu es venue pour ça. Est-ce que tu te sens mieux depuis ton départ ?
- Peut-être.
- Alors c’est toujours pareil, ce n’est pas forcément fuir, c’est prendre du recul, de la hauteur. Un peu comme ce paysage. Là haut, c’est le pic d’Escalet. Dans la vallée coule la Neste. On aperçoit le pont de Soubiron et quand on le sait, on entend la cascade de Pichaleyt. Mais parfois, ce n’est qu’un murmure de notre esprit car on ne l’entend plus vraiment. Tout dépend d’où l’on se trouve, dans quelle direction on regarde et où l’on veut aller. Si on a la tête dans ces campanules ou le cul dans les chardons, on ne voit et on n’entend pas la même chose. Tout est question de point de vue. Si on veut voir, on lève la tête sinon on la laisse baissée, on regarde ses godasses et on ne sent plus que le goût de la sueur aux coins des lèvres. Tout le monde prend pourtant le même chemin mais personne ne voit ni ne ressent la même chose…
- Je ne comprends rien à ce que tu dis. Des fois, je me demande si tu ne te racontes pas des histoires. Tu fabules ma pauvre Charlotte. Trop de montagnes dans la tête, reviens sur Terre. Moi, j’ai mon couple qui bat de l’aile, je n’ai pas de boulot, pas d’appartement, alors tes divagations philosophiques, garde les pour une autre fois. Là, il me faut des réponses claires et nettes. Qu’est ce que je vais faire en redescendant de tes nuages !
- Je ne sais pas Sandra mais pour le moment tu es là alors profites-en.
- C’est vrai, j’adore ces montagnes, ces lacs translucides, ces fleurs, cette herbe fine et piquante. J’ai envie de m’allonger, de rouler dedans jusqu’à en perdre toute notion. Ça me fait du bien ces paysages, le bleu du ciel extraordinaire et ce vert de montagnes est si apaisant. Je ne sais pas si je suis en train de relativiser comme tu dis mais je suis bien, mes petits soucis sont là mais ne sont pas omniprésents, je me rends bien compte comme ils sont ridicules, banals. Nous sommes sans doute des milliers dans cette situation. Bref, je ne suis plus seule à ruminer dans mon coin. J’ai envie de vivre, de m’amuser et de rire. Je t’offre un verre ce soir !
Après quelques jours de vacances et de plein air, Sandra avait récupéré toute sa joie d’enfant. La métamorphose était incroyable. A son tour, elle prenait la vie du bon côté. Elle était positive ainsi que Charlotte l’avait toujours connu. A tel point que celle-ci, malgré ses voyages et sa réussite, en devenait banale. La force de Sandra émanait du plus profond d’elle-même, sa bonne foi, son charisme et sa bonté en ressortaient plus vifs comme après une période d’hibernation. Lors de son retour à Paris, elle retrouva Alban un peu aigri mais elle sut très bien se faire pardonner. Elle avait compris une chose pendant ces quelques jours, il fallait avoir des projets dans la vie !
Malheureusement, le quotidien la reprit vite une fois un petit boulot trouvé, et quelques visites à ses amis et sa famille vite oubliées. Il ne fallut pas trois semaines pour qu’à nouveau, elle déprime. La situation était moins dramatique qu’avant son départ chez Charlotte mais sa lassitude était encore plus profonde. Au lieu de se laisser aller à flotter au milieu d’un calme océan qui la berçait doucement de ses futilités, elle partait à la dérive dans une tempête psychologique infernale qui la menait assurément à la dépression. Elle désespérait de passer ses journées à faire un travail non pas pénible mais répétitif avec des gens détestables. Des filles rabat-joie et tellement superficielles qu’elle en avait pitié. Les relations avec Alban s’étaient calmées. Mais de ce calme qui promet la tempête. Elle réalisait qu’Alban n’était pas son type d’homme si seulement il y en avait un. Il n’avait aucune ambition mis à part de laver sa belle voiture le week-end - voiture dans laquelle il ne mettait pas de musique pour profiter pleinement du ronronnement de son moteur - et de partager des bières avec ses potes pendant les matchs de foot. Il y avait déjà un moment qu’ils n’avaient pas fait l’amour. « Si tu penses me faire des câlins le seul matin qu’on passe ensemble le dimanche avant ton foot, tu peux rêver. Je trouve ça navrant. Excuse-moi. » Alban partait en claquant la porte et le soir une fois calmé, il remettait ça et parfois, à cause des remords, elle se laissait faire. Il n’y était pour rien le pauvre d’être si navrant. Il sentait la bière et s’endormait très vite. Elle avait tant envie de parler, de se confier à quelqu’un, de faire entendre sa détresse. Elle se mettait alors à sangloter comme une gamine et pensait à Charlotte mais elle n’osait pas se rendre encore ridicule devant elle qui menait si bien sa vie.
Charlotte travailla jusqu’au dernier jour. Sa dernière semaine, elle la passa avec un groupe de bons randonneurs en Espagne. De retour chez elle, elle écouta ses messages et en trouva trois de Sandra. Le premier, elle demandait à Charlotte de la rappeler. Le deuxième, elle pleurait et disait avoir besoin de ses conseils. Le troisième, sa détresse était palpable et tragique. Sandra était à bout une nouvelle fois. Il était trop tard ce soir là pour la rappeler et de toute façon son dernier appel remontait au vendredi. Comme elle devait se rendre à Paris pour prendre l’avion, Charlotte décida de partir rapidement et d’aller passer un peu de temps avec elle. Une fois à Paris, elle se rendit chez Sandra et frappa à la porte persuadée qu’elle ne trouverait personne en pleine journée. Mais elle insista tout de même, insista encore et se prit à avoir un doute, une sensation étrange, elle cria presque « Sandra, ouvre, c’est moi Charlotte, je t’en prie, est-ce que tu es là, réponds-moi, tu me fais peur » en vain. Alors, elle redescendit les escaliers et partit patienter sur la terrasse d’un bar voisin. Vers dix huit heures, elle remonta frapper, à dix neuf heures aussi mais toujours personne. Elle commençait à désespérer. Le téléphone ne répondait jamais non plus. Enfin, vers vingt heures, elle croisa un homme dans les escaliers et se dit qu’il était Alban.
- Excusez-moi, vous êtes Alban ?
- Oui !?
- Je suis Charlotte, une amie de Sandra, vous savez où elle est ?
- Non, elle n’était pas là hier, si elle n’est pas là ce soir, je ne sais pas où elle est. Je croyais d’ailleurs qu’elle était repartie chez vous. Elle ne va pas fort en ce moment…
Alban désespérait de vivre avec une dépressive fugueuse qui un jour riait pour rien et le lendemain ne disait pas un mot. Enfin, il fit rentrer Charlotte et lui proposa du café. Tous deux réfléchissaient.
- Avant d’être avec moi, elle était en colocation, dit-il. Je n’ai pas leur numéro mais je connais leur adresse. Je peux te la donner. C’est à Gennevilliers.
- Gennevilliers est de l’autre côté de Paris et je n’ai pas de voiture, de plus demain matin, je prends l’avion.
- Tu pars en vacances ?
- Oui, mentit Charlotte qui n’avait pas envie de raconter sa vie.
- Je ne veux pas te retenir Charlotte mais tu avais peut-être prévu de rester ici ce soir avec Sandra, dormir même. C’est toujours possible. Surtout que Sandra peut réapparaître d’une minute à l’autre. Donc, si tu veux, reste, la maison t’est ouverte.
Charlotte, en un dixième de seconde, vit ce qu’il se passait dans les yeux d’Alban et trouva ça insupportable. Non, elle préférait dormir dehors. Il la dégoûtait. Tant mieux que Sandra était partie, elle espérait à jamais ! Mais, finalement, dormir dehors, ça ne lui disait trop rien non plus, elle se ravisât.
- Je croyais que tu étais fatigué, dit-elle, je ne voudrais pas t’ennuyer.
- Oh ! non ne t’inquiète pas. Ce n’est rien. Je ne sais pas ce que tu lui as fait la dernière fois mais elle est rentrée changée comme je ne l’avais pas vu depuis longtemps et d’ailleurs exactement comme je l’aime : souriante, dynamique. Je me disais qu’elle pouvait partir plus souvent chez toi. Mais assieds toi, ne reste pas là plantée. Donne moi ton manteau. Oui, je disais ça lui a fait beaucoup de bien et moi aussi par la même occasion.
Charlotte était fâchée de devoir rester ici à écouter un goujat égoïste critiquer son amie. Comment pouvait-il imaginer une seconde ce dont Sandra avait besoin ? Un épanouissement dans son travail, un homme sûr de lui mais pas dans l’idiotie, entreprenant, intéressé et intéressant. Elle ne pouvait pas rester avec Alban, se dit Charlotte, même après une si courte analyse. Alban était attachant mais il n’avait rien pour elle. Cependant, il continuait de parler :
- Je voulais lui faire un enfant bientôt. J’en avais encore plus envie quand elle est rentrée toute souriante et gentille de chez toi. Mais j’ai bien fait d’attendre avant de lui en parler. Tu crois qu’elle y a déjà pensé ?
- Je ne sais pas, répondit simplement Charlotte, nous n’en avons pas parlé.
- Peut-être c’est cela qu’il lui faudrait. Un enfant devient le centre du monde des femmes. Ça le fait avec mes potes. Et ils sont tranquilles pendant ce temps là pensa-t-il. Mais cela, il ne le dit pas à Charlotte.
- J’aurais tant aimé la voir, dit à nouveau Charlotte, tu devrais t’inquiéter, la chercher. Si elle est comme ça, c’est peut-être aussi de ta faute, tu t’y prends mal avec elle.
Devant l’air doucement courroucé d’Alban, elle ajouta :
- Enfin excuse-moi, je m’inquiète beaucoup comme tu vois, j’aurais aimé la voir avant de partir, la faire sourire, lui rappeler le côté illusoire de la vie. Enfin…
Elle ne continua pas, déjà Alban la regardait de travers et se disait « encore une fille étrange » Après avoir mangé, Alban insista pour que Charlotte dorme dans leur chambre. Mais elle refusa. Ils se quittèrent.
(Je sais, c'est encore un peu long mais je dois continuer ce projet de roman avant de faire de nouvelles coupes.)
Sinon, merci beaucoup pour votre aide, c'est difficile de s'en rendre de compte... mais j'ai déjà beaucoup appris grâce à vous)
A la télé, comme toujours, des films avec des flics et des tarés psychopathes. La météo annonçait encore du froid et de la grisaille. Quelle vie de merde ! A vingt cinq ans, Sandra se disait qu’elle n’avait encore rien fait de constructif. Petit boulot sur petit boulot, presque autant que de mecs et tout aussi débiles. Alban était gentil. Ouvrier en usine, il passait ses nuits à tordre des bouts de ferraille, toujours les mêmes, avec une machine. Mais pour tout le monde, il travaillait dans l’aéronautique, une place rare. Maintenant c’était sûr, il ferait cela toute sa vie. A moins qu’un jour, peut-être demain, la société délocalise et le foute dehors. C’est ce qui pouvait lui arriver de mieux. Quoique, se dit-elle, c’est ce qui est arrivé à mon père et depuis il est sous anti-dépresseurs. Elle éteignit la télé avec rage. « Ils feraient mieux de cultiver les gens au lieu de les abrutir avec ces conneries » dit-elle tout haut à un auditoire invisible.
Elle revenait de se brosser les dents quand son téléphone sonna : « ma mère, il ne manquait plus qu’elle ! »
- Allô Maman !
- …
- Oui je suis allée à l’entretien
- …
- Non, ça s’est mal passé. Je connais ce boulot. Emballer des Cds toute la journée dans un entrepôt pas même chauffé.
- …
- Oui je sais maman, si tu veux, je suis une feignante, mais je préfère ne rien foutre pour le même prix. Je gagne même plus avec les assedic. En plus c’est une ambiance de merde, les pauvres filles se boufferaient entre elles pour avoir la chance de rester.
- …
- Faut bien qu’il y en ait qui profitent. D’ailleurs papa dit toujours qu’il n’y a que les bougnoules qui en profitent et c’est toujours les mêmes qui bossent. Il est bien content de recevoir le chômage en ce moment !
- …
- C’est ça, j’ai toujours raison. En attendant, je ne vous demande rien, et surtout bosse pour que je puisse bouffer avec tes impôts !
« Elle a raccroché, tant mieux, toujours à me prendre la tête ! » Elle jeta son téléphone sur son lit et prit un livre. « Je ferais mieux de dormir, dormir indéfiniment. »
Le réveil hurla. Cinq heures du matin. Charlotte s’assit au bord du lit et se frotta les yeux. Elle faisait parti des gens qui ne lézardaient pas au lit mais sautaient dans la douche à peine le réveil sonnait. Souriante, dynamique, c’était une petite femme qu’on aimait côtoyer dans la vie tant elle inspirait de gentillesse et d’optimisme. Elle se brossait les cheveux quand son téléphone sonna :
- Allô Sandra ! qu’est ce qu’il t’arrive ?
- Je n’arrive pas à dormir et je pensais à toi. Tu es en France depuis plusieurs mois et tu n’es même pas venue me voir.
- Je sais Sandra, je suis désolée, je n’ai pas pris le temps mais je viendrai. Enfin, ce n’est pas pour ça que tu appelles à cinq heures du matin. Tu as des ennuis ?
- Non, je me fais chier. On n’arrête pas de s’engueuler avec Alban. Je n’ai pas de boulot et je n’ai pas envie d’en chercher. Enfin voilà, tout va bien quoi !
- Tu sais à quoi tu me fais penser ; à toutes ces petites françaises pourries gâtées
- Je sais, tu vas me ressortir tes pays pauvres où les enfants aimeraient aller à l’école… mais même eux, je suis sûre, ne sont pas aussi abandonnés que moi.
- Peut-être bien mais ce n’est pas une raison pour se laisser aller. Pourquoi tu ne viendrais pas me voir puisque tu ne travailles pas ? Ca te ferait du bien de changer d’air.
- Je ne sais pas, je n’y avais pas pensé.
- Jeudi, je ne travaille pas, je te remonterai le moral.
- Ok, je vais voir, tu crèches où ?
- Saint-Lary-Soulan, dans les pyrénées.
- Je fais comment de Paris ?
- Ma parole, tu n’es jamais sortie de chez toi ! Tu prends un train pour Tarbes. Tu auras certainement un changement à Bordeaux. Puis, de Tarbes tu trouveras un bus à la sortie de la gare.
- Tu sais, je n’ai pas souvent pris le train. Ca fait au moins trois ans que je ne suis pas sortie de Paris. Mais je vais y arriver. Je me demande si je ne vais pas partir aujourd’hui. Bon je te laisse, Alban va arriver du boulot. On va voir comment ça va se passer mais je suis motivée.
- Alors à ce soir Sandra.
Sandra restait indécise. Elle regardait la pièce autour d’elle, puis la grisaille parisienne à travers la fenêtre. La pendule du salon prenait son temps. Sur la télévision, traînait une photo d’elle avec Alban et ces jolis sourires de leurs premières amours. Elle alla jeter un œil dans la chambre. Alban dormait paisiblement, fatigué par sa nuit de travail. Il était irrésistible de ne pas s’allonger contre lui, elle alla se blottir un instant. Mais elle ne pouvait pas dormir. Elle avait envie de se bouger aujourd’hui, d’aller s’acheter des fringues. C’était souvent ce qu’elle faisait quand elle avait un coup de blues. « Je vais trouver du travail » se dit-elle, puis « je pars en vacances chez Charlotte, ensuite je trouverai du travail. » Motivée par sa décision, elle écrivit un mot à Alban, jeta quelques affaires dans son sac et partit.
Par la fenêtre du train, les paysages défilaient à grande vitesse. D’abord l’agglomération de Paris puis les vastes paysages de Beauce. Sandra se demandait ce qu’il pouvait bien y avoir à faire dans une telle campagne. Jamais elle n’irait vivre en province. Née et grandie à Paris, elle ne supportait pas les grands espaces sur lesquels le soleil se couche. Après Poitiers, elle vit défiler les prairies avec leurs vaches immobiles. Déjà, Sandra pouvait sentir toute l’angoisse de sa vie se détacher et flotter devant ses yeux. Mais elle ne voulait pas y penser. Elle voulait éviter cela à tout prix depuis qu’elle avait passé la porte de chez elle. Elle s’obstinait pour s’occuper, à observer les gens autours d’elle et à essayer d’imaginer leur vie. Tous avaient une tête différente seulement, elle n’arrivait pas à leur donner une vie différente. Ces messieurs devaient travailler dans des usines et ces dames emballer des packs de Cds. C’était tout ce qu’elle concevait pour eux. Après le changement de train à Bordeaux, elle traversa les Landes, ce paysage monotone ne l’aidait pas. Enfin, à Tarbes, le bus l’attendait, et la route s’enfonça dans les montagnes où le soleil ne parvenait déjà plus. En descendant du bus, elle ne vit pas Charlotte. Après cinq minutes d’attente, elle se dirigea vers un petit banc et s’assit. Elle se sentait abandonnée. Son petit sac serré entre ses jambes tremblantes. Les gens la regardaient en passant. Elle écrasa sa troisième cigarette. La nuit tombait.
Enfin Charlotte arriva. A pieds, elles traversèrent la petite ville et prirent la direction du hameau où elle habitait. Sandra dit qu’elle avait l’habitude de marcher dans Paris la nuit. Elle ajouta qu’elle n’avait jamais vu un endroit aussi tranquille et silencieux, pour ne pas dire effrayant.
- Je ne pourrai jamais habiter à la campagne dit Sandra pour elle-même.
- Et moi, je ne m’installerai plus jamais en ville, renchérit Charlotte. J’ai vécu dans de grandes capitales comme Istanbul et Delhi. Vivre dans une capitale est envoûtant mais malgré tout, j’aime trop la qualité de vie en campagne. La tranquillité, le silence, les gens sont moins stressés et plus souriants. Souvent j’ai envie d’être déjà vieille quand je vois les mamies toutes tranquilles avec leurs petites habitudes. Leurs traits sur leur visage me font penser qu’elles ont déjà tout vu, tout vécu, et que finalement elles n’aspiraient qu’à une seule chose : le calme d’un jardin, des occupations utiles et quotidiennes. Bref, je n’en suis pas là mais souvent je trouve ma vie un peu speed.
- Tout le contraire de moi, dit Sandra, j’ai l’impression d’être déjà vieille. Je fais toujours la même chose et souvent rien. Les saisons passent mais je ne les vois pas. Ne rien faire. Regarder les émissions de retraités à la télé.
- Il faudrait échanger nos places mais comment fais-tu pour t’ennuyer ? Alors que moi, j’aimerais en savoir davantage sur un tas de choses et je n’ai pas le temps de m’y intéresser. J’ai la peinture, je fais des expositions, j’organise des vernissages, je participe à des cours, j’en donne moi-même, je voyage, je travaille, je pars dans l’humanitaire…
Sandra n’écoutait plus. Elle en avait suffisamment entendu et de toute façon, elle était bien incapable d’en faire autant. Et en la regardant ce soir, en plus, elle l’a trouvait belle.
Le silence s’installa. Elles n’avaient plus grand chose en commun. Depuis toutes petites et jusqu’à l’âge de quinze ans, leurs parents passaient leurs vacances ensemble près de Narbonne. A l’époque, Sandra était la plus vive. Aussi la plus dévergondée. C’est elle qui menait les autres. Charlotte revoyait comme si c’était hier, tant cela l’avait marqué, les fois où elles avaient fait le mur la nuit pour retrouver leurs amis. De là était née leur solidarité d’adolescentes.
Elles arrivaient maintenant devant chez Charlotte. Malgré le peu de lumière, on pouvait observer les fleurs dans le jardin. Il y en avait tant qu’il paraissait abandonné aux mauvaises herbes. En réalité, c’était une jachère contrôlée et merveilleuse sous le soleil. Des coloquintes s’enroulaient sur les poteaux de bois, des géraniums habillaient toutes les fenêtres, des rosiers magnifiques parfumaient toute la maison. Sur la terrasse, une sculpture en verre rivalisait de couleurs avec une toile inachevée laissée sur un chevalet. A l’intérieur, on trouvait ça et là des abat-jour d’Asie, des chaises africaines, des tapis d’Orient, des tentures indiennes… L’ensemble, bien qu’hétéroclite, arrivait à se marier d’une manière agréable et donnait une certaine chaleur à l’appartement.
- Tu vis seule Charlotte demanda Sandra ?
- Oui, enfin j’ai un ami mais on ne se voit pas souvent. Il travaille à l’étranger.
- Qu’est ce qu’il fait ?
- Il est dans l’humanitaire.
- Ca doit être dur de ne pas le voir.
- Oui un peu mais lorsque l’on se retrouvera, ce sera toujours comme au premier jour.
Charlotte n’en dit pas plus. C’était un peu compliqué d’expliquer leur histoire à Sandra. Richard et elle s’étaient rencontrés dans une sorte de secte en Inde, un ashram. Ils avaient vécu leurs premières amours sous le signe de la renonciation et de l’abstinence. Bien qu’ils aient rompu avec cette idée d’ascétisme, ils étaient toujours un peu marqués par cette espèce d’illusion de la vie matérielle que révèle l’Indouisme.
- Tu viens marcher avec moi demain Sandra ? Demanda Charlotte
- Je ne sais pas, comme je n’ai pas dormi cette nuit, j’ai peur d’être fatiguée.
- Comme tu veux. On mange et on va au lit, ça te va ?
Quand elles furent couchées, Charlotte se dit qu’elles n’avaient même pas parlé des soucis de Sandra mais comme à son habitude, elle n’avait fait que parler d’elle et de son bonheur. « Qu’elle égoïste je fais » pensa-t-elle ! A côté, Sandra dormait déjà.
Le lendemain à cinq heures, Sandra peina à sortir du lit et ne dit pas un mot avant dix heures.
- J’aimerais bien voyager comme toi Charlotte.
- Ce n’est pas bien compliqué, il suffit de partir.
- Ce n’est pas aussi simple répondit Sandra, j’ai beaucoup de choses à quitter. C’est un rêve que j’ai fait cette nuit après avoir écouté tes récits. Tu vas où pour ton prochain voyage ?
- En Asie du sud est. Je vais visiter des pays et aussi participer à un projet au Laos.
- Un projet ?
- Oui, de développement dans les montagnes.
- Et tu n’as pas peur ?
- Peur de quoi ?
- Je ne sais pas, des gens, de la maladie.
- Non, en Asie du sud est, c’est assez développé et partout dans le monde, les gens sont généreux et hospitaliers. Mais je ne peux pas tout t’expliquer, il faut partir. Il faut voyager dans la vie. C’est une bonne formation et ça te permettrait de te retrouver toi-même.
- Je ne suis pas perdue ! protesta Sandra
- Excuse-moi, mais je ne te trouve pas au mieux de ta forme. Certaines personnes vivent de leurs passions, d’autres de leurs occupations, de leurs enfants ou encore de leur travail. Moi, j’ai eu besoin de partir. Ça m’a beaucoup aidé. J’ai pris du recul sur la vie et j’ai pu ainsi mieux l’envisager, la cerner et voir l’essentiel. S’éloigner pour mieux voir. Monter sur la montagne pour apercevoir l’horizon au lieu de rester coincé dans la gorge. Mais je m’égare. Tu ne m’as pas encore parlé de toi, de Paris, de tes soucis ? Tu es venue pour ça. Est-ce que tu te sens mieux depuis ton départ ?
- Peut-être.
- Alors c’est toujours pareil, ce n’est pas forcément fuir, c’est prendre du recul, de la hauteur. Un peu comme ce paysage. Là haut, c’est le pic d’Escalet. Dans la vallée coule la Neste. On aperçoit le pont de Soubiron et quand on le sait, on entend la cascade de Pichaleyt. Mais parfois, ce n’est qu’un murmure de notre esprit car on ne l’entend plus vraiment. Tout dépend d’où l’on se trouve, dans quelle direction on regarde et où l’on veut aller. Si on a la tête dans ces campanules ou le cul dans les chardons, on ne voit et on n’entend pas la même chose. Tout est question de point de vue. Si on veut voir, on lève la tête sinon on la laisse baissée, on regarde ses godasses et on ne sent plus que le goût de la sueur aux coins des lèvres. Tout le monde prend pourtant le même chemin mais personne ne voit ni ne ressent la même chose…
- Je ne comprends rien à ce que tu dis. Des fois, je me demande si tu ne te racontes pas des histoires. Tu fabules ma pauvre Charlotte. Trop de montagnes dans la tête, reviens sur Terre. Moi, j’ai mon couple qui bat de l’aile, je n’ai pas de boulot, pas d’appartement, alors tes divagations philosophiques, garde les pour une autre fois. Là, il me faut des réponses claires et nettes. Qu’est ce que je vais faire en redescendant de tes nuages !
- Je ne sais pas Sandra mais pour le moment tu es là alors profites-en.
- C’est vrai, j’adore ces montagnes, ces lacs translucides, ces fleurs, cette herbe fine et piquante. J’ai envie de m’allonger, de rouler dedans jusqu’à en perdre toute notion. Ça me fait du bien ces paysages, le bleu du ciel extraordinaire et ce vert de montagnes est si apaisant. Je ne sais pas si je suis en train de relativiser comme tu dis mais je suis bien, mes petits soucis sont là mais ne sont pas omniprésents, je me rends bien compte comme ils sont ridicules, banals. Nous sommes sans doute des milliers dans cette situation. Bref, je ne suis plus seule à ruminer dans mon coin. J’ai envie de vivre, de m’amuser et de rire. Je t’offre un verre ce soir !
Après quelques jours de vacances et de plein air, Sandra avait récupéré toute sa joie d’enfant. La métamorphose était incroyable. A son tour, elle prenait la vie du bon côté. Elle était positive ainsi que Charlotte l’avait toujours connu. A tel point que celle-ci, malgré ses voyages et sa réussite, en devenait banale. La force de Sandra émanait du plus profond d’elle-même, sa bonne foi, son charisme et sa bonté en ressortaient plus vifs comme après une période d’hibernation. Lors de son retour à Paris, elle retrouva Alban un peu aigri mais elle sut très bien se faire pardonner. Elle avait compris une chose pendant ces quelques jours, il fallait avoir des projets dans la vie !
Malheureusement, le quotidien la reprit vite une fois un petit boulot trouvé, et quelques visites à ses amis et sa famille vite oubliées. Il ne fallut pas trois semaines pour qu’à nouveau, elle déprime. La situation était moins dramatique qu’avant son départ chez Charlotte mais sa lassitude était encore plus profonde. Au lieu de se laisser aller à flotter au milieu d’un calme océan qui la berçait doucement de ses futilités, elle partait à la dérive dans une tempête psychologique infernale qui la menait assurément à la dépression. Elle désespérait de passer ses journées à faire un travail non pas pénible mais répétitif avec des gens détestables. Des filles rabat-joie et tellement superficielles qu’elle en avait pitié. Les relations avec Alban s’étaient calmées. Mais de ce calme qui promet la tempête. Elle réalisait qu’Alban n’était pas son type d’homme si seulement il y en avait un. Il n’avait aucune ambition mis à part de laver sa belle voiture le week-end - voiture dans laquelle il ne mettait pas de musique pour profiter pleinement du ronronnement de son moteur - et de partager des bières avec ses potes pendant les matchs de foot. Il y avait déjà un moment qu’ils n’avaient pas fait l’amour. « Si tu penses me faire des câlins le seul matin qu’on passe ensemble le dimanche avant ton foot, tu peux rêver. Je trouve ça navrant. Excuse-moi. » Alban partait en claquant la porte et le soir une fois calmé, il remettait ça et parfois, à cause des remords, elle se laissait faire. Il n’y était pour rien le pauvre d’être si navrant. Il sentait la bière et s’endormait très vite. Elle avait tant envie de parler, de se confier à quelqu’un, de faire entendre sa détresse. Elle se mettait alors à sangloter comme une gamine et pensait à Charlotte mais elle n’osait pas se rendre encore ridicule devant elle qui menait si bien sa vie.
Charlotte travailla jusqu’au dernier jour. Sa dernière semaine, elle la passa avec un groupe de bons randonneurs en Espagne. De retour chez elle, elle écouta ses messages et en trouva trois de Sandra. Le premier, elle demandait à Charlotte de la rappeler. Le deuxième, elle pleurait et disait avoir besoin de ses conseils. Le troisième, sa détresse était palpable et tragique. Sandra était à bout une nouvelle fois. Il était trop tard ce soir là pour la rappeler et de toute façon son dernier appel remontait au vendredi. Comme elle devait se rendre à Paris pour prendre l’avion, Charlotte décida de partir rapidement et d’aller passer un peu de temps avec elle. Une fois à Paris, elle se rendit chez Sandra et frappa à la porte persuadée qu’elle ne trouverait personne en pleine journée. Mais elle insista tout de même, insista encore et se prit à avoir un doute, une sensation étrange, elle cria presque « Sandra, ouvre, c’est moi Charlotte, je t’en prie, est-ce que tu es là, réponds-moi, tu me fais peur » en vain. Alors, elle redescendit les escaliers et partit patienter sur la terrasse d’un bar voisin. Vers dix huit heures, elle remonta frapper, à dix neuf heures aussi mais toujours personne. Elle commençait à désespérer. Le téléphone ne répondait jamais non plus. Enfin, vers vingt heures, elle croisa un homme dans les escaliers et se dit qu’il était Alban.
- Excusez-moi, vous êtes Alban ?
- Oui !?
- Je suis Charlotte, une amie de Sandra, vous savez où elle est ?
- Non, elle n’était pas là hier, si elle n’est pas là ce soir, je ne sais pas où elle est. Je croyais d’ailleurs qu’elle était repartie chez vous. Elle ne va pas fort en ce moment…
Alban désespérait de vivre avec une dépressive fugueuse qui un jour riait pour rien et le lendemain ne disait pas un mot. Enfin, il fit rentrer Charlotte et lui proposa du café. Tous deux réfléchissaient.
- Avant d’être avec moi, elle était en colocation, dit-il. Je n’ai pas leur numéro mais je connais leur adresse. Je peux te la donner. C’est à Gennevilliers.
- Gennevilliers est de l’autre côté de Paris et je n’ai pas de voiture, de plus demain matin, je prends l’avion.
- Tu pars en vacances ?
- Oui, mentit Charlotte qui n’avait pas envie de raconter sa vie.
- Je ne veux pas te retenir Charlotte mais tu avais peut-être prévu de rester ici ce soir avec Sandra, dormir même. C’est toujours possible. Surtout que Sandra peut réapparaître d’une minute à l’autre. Donc, si tu veux, reste, la maison t’est ouverte.
Charlotte, en un dixième de seconde, vit ce qu’il se passait dans les yeux d’Alban et trouva ça insupportable. Non, elle préférait dormir dehors. Il la dégoûtait. Tant mieux que Sandra était partie, elle espérait à jamais ! Mais, finalement, dormir dehors, ça ne lui disait trop rien non plus, elle se ravisât.
- Je croyais que tu étais fatigué, dit-elle, je ne voudrais pas t’ennuyer.
- Oh ! non ne t’inquiète pas. Ce n’est rien. Je ne sais pas ce que tu lui as fait la dernière fois mais elle est rentrée changée comme je ne l’avais pas vu depuis longtemps et d’ailleurs exactement comme je l’aime : souriante, dynamique. Je me disais qu’elle pouvait partir plus souvent chez toi. Mais assieds toi, ne reste pas là plantée. Donne moi ton manteau. Oui, je disais ça lui a fait beaucoup de bien et moi aussi par la même occasion.
Charlotte était fâchée de devoir rester ici à écouter un goujat égoïste critiquer son amie. Comment pouvait-il imaginer une seconde ce dont Sandra avait besoin ? Un épanouissement dans son travail, un homme sûr de lui mais pas dans l’idiotie, entreprenant, intéressé et intéressant. Elle ne pouvait pas rester avec Alban, se dit Charlotte, même après une si courte analyse. Alban était attachant mais il n’avait rien pour elle. Cependant, il continuait de parler :
- Je voulais lui faire un enfant bientôt. J’en avais encore plus envie quand elle est rentrée toute souriante et gentille de chez toi. Mais j’ai bien fait d’attendre avant de lui en parler. Tu crois qu’elle y a déjà pensé ?
- Je ne sais pas, répondit simplement Charlotte, nous n’en avons pas parlé.
- Peut-être c’est cela qu’il lui faudrait. Un enfant devient le centre du monde des femmes. Ça le fait avec mes potes. Et ils sont tranquilles pendant ce temps là pensa-t-il. Mais cela, il ne le dit pas à Charlotte.
- J’aurais tant aimé la voir, dit à nouveau Charlotte, tu devrais t’inquiéter, la chercher. Si elle est comme ça, c’est peut-être aussi de ta faute, tu t’y prends mal avec elle.
Devant l’air doucement courroucé d’Alban, elle ajouta :
- Enfin excuse-moi, je m’inquiète beaucoup comme tu vois, j’aurais aimé la voir avant de partir, la faire sourire, lui rappeler le côté illusoire de la vie. Enfin…
Elle ne continua pas, déjà Alban la regardait de travers et se disait « encore une fille étrange » Après avoir mangé, Alban insista pour que Charlotte dorme dans leur chambre. Mais elle refusa. Ils se quittèrent.
(Je sais, c'est encore un peu long mais je dois continuer ce projet de roman avant de faire de nouvelles coupes.)
Sinon, merci beaucoup pour votre aide, c'est difficile de s'en rendre de compte... mais j'ai déjà beaucoup appris grâce à vous)
Dilo- Nombre de messages : 65
Age : 46
Date d'inscription : 08/02/2010
Re: Passion dissidente
Désolée, j'ai abandonné peu avant la fin. Une avalanche de fautes pas mal corsées m'a dissuadé de poursuivre la lecture. Nouvelle ? Roman ? Un truc sentimental comme le laisserait présager le titre ? Il faut voir, pour le moment, je passe mon tour.
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 47
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: Passion dissidente
Charlotte arriva à Bangkok un jeudi. A sa descente de l’avion, elle sentit la chaleur et l’humidité tropicale recouvrir son corps et passer sous ses vêtements. C’était une sensation divine. Cela représentait la liberté et le voyage. Elle prit un minibus pour le centre ville. C’était la première fois qu’elle se rendait dans ce pays mais elle le trouva tout de suite accueillant, chaleureux et facile à parcourir. En effet, tout était prévu pour les touristes dès la sortie de l’aéroport. Elle avait quand même acheté un guide de voyage. Le fameux Lonely Planète. Celui qu’utilisaient les aventuriers du XXIème siècle pour faire exactement le contraire. Qui ne voyage pas de nos jours pensa-t-elle ? Les prix dans les pays du sud sont si dérisoires par rapport à l’euro, au pouvoir d’achat des occidentaux par rapport au reste du monde. Un commerçant traitant habilement des affaires en Thaïlande n’aura pourtant jamais l’occasion de voyager en Europe. Charlotte prit ensuite un taxi pour se rendre dans un hôtel modeste choisi dans son guide. Un taxi ! Jamais en France, elle n’avait pris de taxi. Et ici, elle en prendrait tous les jours ! Après avoir dégustée son premier repas thaï, elle se dirigea comme bon nombre de touristes des heures durant, directement dans un cybercafé, donner des nouvelles à sa famille. Le fameux « je suis bien arrivée » tant attendu. Et toujours la curiosité de savoir si un ami, une connaissance avait dénié penser à elle. En effet, elle avait un nouveau message. C’était Sandra ! Elle l’ouvrit et lut : « Charlotte, j’ai pris un avion mardi pour la Thaïlande sur un coup de tête. Je pensais te retrouver ici mais c’est impossible ! Je suis vraiment perdue et bête. Je ne parle même pas anglais. Les gens sont souriants et gentils mais je n’ose pas sortir dans les rues, c’est si différent. Viens me chercher, je t’en pris, faite que tu reçoives ce message, je suis au Pranee Building à Kasemsan, mais je ne sais pas du tout où c’est. Chambre 7. A très bientôt j’espère. Sandra. »
Charlotte ne fut pas longue à trouver l’hôtel. Sandra était assise à une table dans le hall avec un livre.
- Ca va, les vacances ? lui lança-t-elle.
Quand Sandra leva les yeux sur Charlotte, elle ne put s’empêcher de pousser un cri de joie et sauta de sa chaise pour s’agripper à son coup.
- Je pensais ne jamais te retrouver, s’écria-t-elle ! Ca fait trois jours que j’attends là toute la journée à regarder les gens passer.
- Ca n’a pas été difficile de te retrouver, encore fallait-il que je sois en Thaïlande. Je suis arrivée ce matin.
- Ouf, mon dieu ! J’ai trop l’air du conne. Je suis obligée de m’exprimer en mîmes. J’ai trop honte. Heureusement les gens sont compréhensifs.
- Pourquoi tu es parties sans rien dire à personne ? Est-ce que tu as enfin donner des nouvelles ?
- Non.
- Et ça te ne fait rien que les gens s’inquiètent pour toi ?
- Qui s’inquiète à part toi ? demanda Sandra.
- Mais je ne sais pas, tes parents ?
- Non.
- Alban ?
- Non !
- Des amis alors ?
- Non, personne ne s’inquiète. Je sais, j’ai été folle de partir sur un coup de tête. J’étais très angoissée dans l’avion mais c’était trop tard. Je suis partie au lieu de me jeter par la fenêtre si tu veux savoir et je suis bien contente si quelques personnes s’inquiètent mais je n’y crois pas, surtout pas Alban, il doit être soulagé. Alors, je ne suis pas trop débrouillarde mais ça va venir, j’en suis sûre. Jamais je ne regretterai d’avoir enfin mis le pied dans le monde. Il y a trop longtemps que j’en rêvais finalement sans en avoir conscience. Maintenant je suis là, et tu es là, je suis heureuse !
Charlotte n’avait rien a ajouté. Sandra ne lui avait pas demandé son avis. Elle ne dit rien et se rendit bientôt compte de son égoïsme. Finalement elle aussi était heureuse d’avoir retrouvé Sandra, de l’avoir près d’elle et de pouvoir l’emmener voir le monde.
Charlotte ne fut pas longue à trouver l’hôtel. Sandra était assise à une table dans le hall avec un livre.
- Ca va, les vacances ? lui lança-t-elle.
Quand Sandra leva les yeux sur Charlotte, elle ne put s’empêcher de pousser un cri de joie et sauta de sa chaise pour s’agripper à son coup.
- Je pensais ne jamais te retrouver, s’écria-t-elle ! Ca fait trois jours que j’attends là toute la journée à regarder les gens passer.
- Ca n’a pas été difficile de te retrouver, encore fallait-il que je sois en Thaïlande. Je suis arrivée ce matin.
- Ouf, mon dieu ! J’ai trop l’air du conne. Je suis obligée de m’exprimer en mîmes. J’ai trop honte. Heureusement les gens sont compréhensifs.
- Pourquoi tu es parties sans rien dire à personne ? Est-ce que tu as enfin donner des nouvelles ?
- Non.
- Et ça te ne fait rien que les gens s’inquiètent pour toi ?
- Qui s’inquiète à part toi ? demanda Sandra.
- Mais je ne sais pas, tes parents ?
- Non.
- Alban ?
- Non !
- Des amis alors ?
- Non, personne ne s’inquiète. Je sais, j’ai été folle de partir sur un coup de tête. J’étais très angoissée dans l’avion mais c’était trop tard. Je suis partie au lieu de me jeter par la fenêtre si tu veux savoir et je suis bien contente si quelques personnes s’inquiètent mais je n’y crois pas, surtout pas Alban, il doit être soulagé. Alors, je ne suis pas trop débrouillarde mais ça va venir, j’en suis sûre. Jamais je ne regretterai d’avoir enfin mis le pied dans le monde. Il y a trop longtemps que j’en rêvais finalement sans en avoir conscience. Maintenant je suis là, et tu es là, je suis heureuse !
Charlotte n’avait rien a ajouté. Sandra ne lui avait pas demandé son avis. Elle ne dit rien et se rendit bientôt compte de son égoïsme. Finalement elle aussi était heureuse d’avoir retrouvé Sandra, de l’avoir près d’elle et de pouvoir l’emmener voir le monde.
Dilo- Nombre de messages : 65
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Passion dissidente (2)
A sa descente de l’avion, Charlotte sentit la chaleur et l’humidité tropicale recouvrir son corps et s’introduire sous ses vêtements. C’était une sensation divine qui faisait ressurgir en elle les souvenirs de voyage et de liberté. Un minibus partait en direction du centre ville. Elle visitait ce pays pour la première fois et le trouva tout de suite accueillant, chaleureux et aisé à parcourir. Tout était prévu pour les touristes dès la sortie de l’aéroport. Elle avait quand même acheté un guide de voyage. Le fameux Lonely Planète. Celui qu’utilisaient les aventuriers du XXIème siècle pour faire exactement le contraire. Qui ne voyage pas de nos jours, pensa-t-elle ? Les prix dans les pays du sud sont si peu élevés. Un commerçant habile dans ces pays n’aura pourtant jamais l’occasion de visiter l’Europe. Charlotte prit ensuite un taxi pour se rendre à l’hôtel. Un taxi ! Jamais en France, elle n’avait pris de taxis. Et ici, elle en prendrait tous les jours ! Après avoir dégustée son premier repas thaï, elle se dirigea comme bon nombre de touristes, des heures durant, dans un cybercafé donner des nouvelles à sa famille. Le fameux « je suis bien arrivée » tant attendu. Et toujours la curiosité de savoir si un ami, une connaissance, avait dénié penser à elle. En effet, elle avait un nouveau message. C’était Sandra ! « Charlotte, j’ai pris un avion mardi pour la Thaïlande sur un coup de tête. Je pensais te retrouver ici mais c’est impossible ! Je suis vraiment perdue et bête. Je ne parle même pas anglais. Les gens sont souriants mais je n’ose pas sortir dans les rues, c’est si différent. Viens me chercher, je t’en pris, faites que tu reçoives ce message, je suis au Pranee Building à Kasemsan, mais je ne sais pas du tout où c'est. Chambre 7. A très bientôt j’espère. Sandra. »
Charlotte ne fut pas longue à trouver l’hôtel. Sandra était assise à une table dans le hall avec un livre.
- Ça va, les vacances ? lui lança-t-elle.
Quand Sandra leva les yeux sur Charlotte, elle ne put s’empêcher de pousser un cri de joie et sauta de sa chaise jusque dans ses bras.
- Je pensais ne jamais te retrouver, s’écria-t-elle ! J’attends assise là depuis trois jours !
- Ça n’a pas été difficile, encore fallait-il que je sois en Thaïlande.
- Ouf, mon dieu ! J’ai trop l’air d’une conne. Je suis obligée de m’exprimer en mîmes. J’ai honte.
- Pourquoi es-tu parties sans rien dire à personne ? Est-ce que tu as enfin donner des nouvelles ?
- Non.
- Et ça ne te fait rien que les gens s’inquiètent pour toi ?
- Qui s’inquiète à part toi ? demanda Sandra.
- Mais je ne sais pas, tes parents ?
- Non.
- Alban ?
- Non !
- Des amis alors ?
- Non, personne ne s’inquiète. Je sais, j’ai été folle de partir comme ça. J’étais très angoissée dans l’avion mais c’était trop tard. Je suis partie au lieu de me jeter par la fenêtre si tu veux savoir. Et je suis bien contente si quelques personnes s’inquiètent mais je n’y crois pas, surtout pas Alban, il doit être soulagé. Alors, je ne suis pas trop débrouillarde mais ça va venir, j’en suis sûre. Jamais je ne regretterai d’avoir enfin mis les pieds dans le monde. Il y a trop longtemps que j’en rêvais, finalement, sans en avoir conscience. Maintenant je suis là, et tu es là, je suis heureuse !
Après quelques jours dans la capitale, Charlotte et Sandra s’enfuirent dans les provinces rurales de l’Isan. Elles visitèrent des sites historiques de l’ancien empire Siam mais les pierres ne leur confièrent rien car les filles ne connaissaient pas leur histoire. Elles se rendirent ensuite dans un parc national protégé où se trouvaient des animaux tels que des éléphants et des tigres. Elles virent des animaux, en effet, des rats par centaines, dans une vallée étrange et interdite au public où les hôtels jetaient leurs déchets… Par ailleurs, suivre des touristes dont les sacs étaient portés par des larbins ne leur plaisait guère. Elles parcoururent encore des contrées lointaines, échappant ainsi aux flux touristiques et recherchant l’authenticité. Elles ne trouvèrent que l’occidentalisation surtout dans les paysages urbains et les manifestations des plus humbles. Les coutumes exotiques jaillissaient devant leurs yeux parfois comme peuvent le faire les geysers : des fêtes bouddhistes dans les rues et des gestes centenaires dans les champs appartenant seulement à ce type d’environnement. Elles se rendirent à l’évidence ; il faudrait des années pour découvrir l’essence de ces peuples, ce qui les anime, leur héritage culturel et philosophique. Ces richesses ne sautaient évidemment pas aux yeux du premier couillon venu. Peu de voyageurs avaient la faculté de les saisir car le voyage, se dit Sandra, n’est qu’un déplacement pour voir, non pas analyser et comprendre, surtout sans connaissance préalable. L’aventure, l’exotisme et l’authenticité exigent des mystères pour apparaître mais ces artifices ne sont encore que de l’émotion, rien d’autre, de la consommation d’émotions sans cesse renouvelées par le déplacement. Dans ce nouveau bus climatisé, Sandra commençait déjà, après seulement deux semaines, à avoir des pensées mornes d’une petite bourgeoise blasée. Elle en avait conscience mais n’osait pas en faire part à son amie qui trouvait exaltant tous ces paysages exotiques et verdoyants.
- Ça ne te dirait pas Sandra de partir à l’aventure en randonnée, au hasard d’une de ces vallées sauvages ?
- On rencontrerait peut-être des gens avec des plumes dans le cul, ironisa Sandra.
- Pourquoi tu dis ça, tu es bizarre aujourd’hui.
- Non, pour rien, je rigole c’est tout.
- Tu as cassé l’ambiance. De toute façon, on n’a pas de toile de tente et j’ai oublié mon anti-moustique à l’hôtel.
Charlotte avait rendez-vous avec cette ONG au nord du Laos à la fin du mois d’octobre. Elles décidèrent donc d’avancer tranquillement dans cette direction. A Ventiane, capitale minuscule du Laos, les communautés blanches et bourgeoises locales se donnaient rendez-vous dans une boîte de nuit qu’on aurait au mieux trouvée ringarde en France. C’est là qu’elles passèrent leur première soirée, prometteuse. Elles logeaient chez un ami dans une jolie résidence près du Mékong. Celui-ci passait l’essentiel de ses journées et des ses nuits devant son ordinateur à jouer en réseaux. Il constituait, pour vivre, un guide du pays avec le mérite étonnant de n’en pas connaître une parcelle. Un temple bouddhiste laissait échapper des gongs parfois, alors, les petits bonhommes oranges passaient devant les maisons et recueillaient des dons de nourriture pour la journée, composés essentiellement de riz et de bananes. Un peu plus loin, un marché de quartier se dressait sous des tôles, les filles se promenaient dans ses allées pittoresques où débordait la pacotille chinoise. Elles achetèrent de la viande malgré le manque d’hygiène évident.
- Je ne mangerai pas de votre viande, disait leur hôte qui préférait, chaque jour depuis dix ans, partager avec son chien des boites de raviolis made in Europe.
- Pourtant, j’ai choisi la meilleure, lui répondit Charlotte, celle où il y avait le plus de mouches comme ça, je suis sûre de ne pas m’intoxiquer avec les insecticides qu’ils mettent dessus pour la conserver…
Une semaine après, elles se rendirent dans un écolodge en campagne.. Un écolodge est un hôtel construit et animé sur des bases écologiques et équitables. Il était tenu par une autre connaissance de Charlotte, Julia, qui avait la double nationalité Franco Lao. Les locaux qui travaillaient dans cet hôtel contribuaient, avec leur petit salaire, à développer leur village. En premier lieu, les téléphones portables et les télévisions. Aussi, les touristes venaient prendre des photos. Alors les villageois posaient, déguisés, avec un outil à la main. Autant, ils auraient désiré construire de nouvelles maisons en dur avec l’argent mais ils étaient biens conscients que les touristes arrêteraient instantanément de les prendre en photo. Du béton, ça résiste aux intempéries mais ce n’est pas authentique. Tout cela, Sandra l’apprit sans le vouloir en bredouillant avec la femme de ménage. Elles riaient ensemble aujourd’hui mais au premier jour, Sandra avait tellement eu honte de faire nettoyer sa chambre par une domestique qu’elle en avait pleuré. La jeune femme lui avait dit son salaire, trente euros par mois et Sandra avait été écoeurée. Du coup, elle ne vit plus l’écolodge du même œil et voulu s’expliquer avec Julia. Elle ne trouva que Christophe, un entomologiste engagé ici pour répertorier des insectes incroyables et les exhiber au public une fois rendus dans le formol, empaillés ou encore dans des aquariums. Intéressé et intéressant, il n’en était pas moins coupable lui aussi car les enfants des environs lui ramenaient avec ardeur toutes sortes d’affreuses bestioles plus dangereuses les unes que les autres, en échange de quelques centimes. Lui se contentait de les assassiner méticuleusement pour ne pas les abîmer. Il gardait vivant les serpents et les araignées afin d’impressionner davantage les visiteurs. Le tourisme provoque des situations paradoxales, pensa Sandra. Un hôtel ventant l’écologie et le développement durable coûte quarante dollars la nuit et rapporte une misère au village et aux employés. Quelle hypocrisie ! Charlotte fut bien obligée de l’admettre. Ensemble, elles allèrent trouver Julia. Celle-ci leur expliqua que bien qu’ayant monté le projet, à la base beaucoup plus respectueux, elle n’en avait jamais eu le contrôle. Les véritables responsables venaient de temps et temps. Ils étaient une dizaine à avoir investi, des Français et des Suisses, et manageaient l’hôtel à distance, lui donnant la marche à suivre pour continuer de recevoir son salaire. Si Julia n’était pas d’accord, elle pouvait partir, de nombreuses autres personnes étaient capables de la remplacer. Alors, elle gardait sa place sans faire d’histoire, d’ailleurs c’était déjà mieux que rien pour le village disait-elle. Aussi l’herbe poussait très bien ici et cela arrondissait ses fins de mois.
Charlotte et Sandra prirent un bus en direction du nord. Elles effectuèrent six heures de routes incroyablement sinueuses à travers des paysages de nature sauvage pour se rendre dans l’ancienne capitale royale, Louang Prabang, inscrite au patrimoine de l’UNESCO, et dont les anciens temples bouddhistes sont très préservés. Charlotte les ayant déjà vu, et Sandra n’émettant pas particulièrement le désir de les visiter, elles ne s’arrêtèrent qu’une nuit dans cette ville et continuèrent la route toujours vers le nord. Le nouveau bus qui les transportait tomba en panne après deux heures de trajet dans une zone aussi peuplée que le reste du pays. Personne à des dizaines de kilomètres à la ronde. Il fallut réparer avec les moyens du bord, sans outil mis à part quelques clés, c’est pourquoi, de nouveau le bus s’immobilisa un peu plus loin. Condamnés à attendre on ne savait quoi, les filles comme les locaux, s’installèrent à l’abri des arbres et du soleil pour faire la sieste. Personne ne s’énerva ou n’imagina s’en prendre aux chauffeurs. Ceux-ci tentaient le tout pour le tout en désarticulant le moteur, ainsi ils espéraient trouver une pièce de rechange, quitte à rouler ensuite sans frein ou sans embrayage. Bien plus tard, le bus d’une autre compagnie se présenta. Comme ils ne pouvaient pas tous monter dedans, tout naturellement, les gens réveillèrent Charlotte et Sandra, les seuls occidentaux présents, et leur dirent qu’elles devaient partir. « Pourquoi nous, demanda Sandra ? » Et s’entendit répondre : « Vous êtes toujours pressés les touristes et vous avez beaucoup de choses à faire ! » Sans avoir le temps de répliquer, elles se virent pousser à l’intérieur et offrir des places à l’avant, les meilleures aux yeux des locaux !
La route continua sur près de deux cent kilomètres entre les ravins et les précipices. Très peu de d’habitations étaient visibles. Une nouvelle nuit dans un petit hôtel et elles continuèrent jusqu’à leur destination finale : Phongsaly, encore à une journée entière de transport à l’arrière d’une camionnette dans la poussière et l’inconfort puisque la route n’était plus asphaltée et contenait des nids de poule dans lesquelles on pouvait dissimuler des éléphants. Enfin, se dessina au coucher du soleil, la petite ville de Phongsaly sur une colline dominant le paysage. Elles étaient au bout du monde.
L’association Phong Khok Na Ko avait été créée afin d’apporter des solutions aux problèmes économiques des populations pauvres et des minorités ethniques montagnardes de la région nord du Laos. Elle avait deux branches distinctes : l’éducation et le tourisme. Elle finançait la construction des écoles et l’achat du matériel scolaire. Aussi, en partenariat avec les acteurs locaux et les ministères concernés, elle finançait la construction des structures d’accueil et le développement du tourisme. Charlotte fut affectée comme prévu à cette seconde tâche. Avec du personnel local, elle devait se rendre dans les sites potentiellement exploitables, prendre des photos, créer des circuits, des fiches, faire des rapports et enfin garnir le site Internet prévu à cet effet. Des agences spécialisées, locales nationales ou encore internationales, viendraient ensuite exploiter ces richesses si elle réussissait à les mettre en valeur, pour le bien de tous. C’était un projet de dix semaines où elle n’était pas payée en argent mais profitait d’avantages en nature tels que la nourriture et le logement. Sandra quant à elle, n’avait finalement pas sa place dans cette association. Elle squattait le logement de Charlotte et partait avec elle, lorsque cela se révélait possible, lors de ces déplacements.
Elles découvrirent ensemble la diversité des ethnies présentes dans la région. De nombreux groupes Akha farouches qui installaient leur village en haut des collines, les Taï Lü préférant le fond des vallées, les Hö pacifiques… Elles n’avaient pas encore rencontré les Mhong, les Lolo, les Yao, les Sila… Charlotte imaginait développer dans cette région bien évidemment le trek puisque de toute façon, il n’y avait pas de route pour circuler ni de site historique ou culturel remarquable. Aussi, lors d’un déplacement, elles découvrirent l’éblouissante vallée de la Nam Ou. Le village, le seul d’où l’on pouvait accéder aux rives de cette rivière par une piste praticable, possédait un petit marché qui attirait des producteurs de villages voisins, perdus dans la jungle. Des embarcations descendaient la rivière à la haute saison à travers des paysages karstiques jusqu’à la ville de Muang Khua à plus de cent kilomètres. En amont, le débit des eaux, voir les rapides, ne permettaient pas la navigation. Le dernier village relié au monde était celui-ci. Plus au nord, et ce, jusqu’à la frontière de la Chine à plus de cent cinquante kilomètres, il n’existait aucun moyen de transport, ni aucune route.
- C’est par-là qu’il faut se rendre, leur dit en français un jeune occidental, en montrant la direction du nord. Il était installé sur la table d’une gargote, en short, son sac à dos à ses pieds.
- Et comment, demanda Sandra ?
- A pieds, dit-il.
- Ok, dit Sandra, quand tu veux !
- Je pars demain mais je ne peux pas vous emmener.
- Pourquoi, demanda Charlotte ?
- Je n’ai pas envie de m’encombrer de touristes tout simplement.
- Et toi, tu n’es pas un touriste par hasard, lui rétorqua Sandra.
- Non, je ne me considère pas vraiment comme un touriste.
- Et bien nous non plus, dit Charlotte, on travaille pour une asso à Phongsaly. On peut donc venir avec toi. D’ailleurs, ce serait vraiment génial d’ouvrir des circuits de treks dans ces villages, quelle authenticité, les touristes afflueraient !
Le jeune les regarda d’un mauvais œil tout à coup, on sentait sa colère, il se leva et partit payer sa soupe au coriandre à la petite dame. Puis, il revint vers les filles :
- Vous comptez développer le tourisme dans cette région, leur dit-il tout simplement, ne comptez pas sur moi pour vous aider. Je haïs le tourisme et les touristes, je haïs votre développement, je haïs vos méthodes, votre fric. Les villages ici sont pauvres mais ils ne sont pas pollués, les habitants ne sont pas cupides, ils ont des valeurs culturelles millénaires que votre tourisme va salir et exploiter pour son plus grand profit. Vous allez leur montrer avec votre fric leur propre misère dont ils n’ont pas forcément conscience et avec laquelle ils vivent néanmoins heureux parce qu’ils vivent en famille, cultivent en famille, produisent juste le nécessaire et ne sont pas individualistes comme vous et votre fric. Vous voulez les ensorceler pour qu’ils ne se contentent plus de rien, qu’ils descendent dans les villes habiter dans des ghettos, apprennent le vol et la mendicité, deviennent au mieux des consommateurs pour vos marchés. Putain de touristes, putain d’associations, vous ne pouvez pas leur foutre la paix ! Et que Phongsaly devienne comme Vang Vieng, Phuket ou Chiang Mai. Merde alors ! Connasses !
Et il partit. Charlotte resta abasourdi. Sandra courut derrière lui.
- Excuse-nous, on ne voulait pas te fâcher. Et avant que Phongsaly devienne touristique, il va se passer des années. Sans doute ça n’arrivera jamais.
Le mec continuait sa route tout droit vers la rivière sans se retourner.
- Un minimum de tourisme peut-être profitable pour la population si c’est bien géré, continua-t-elle. Tu ne peux pas dire le contraire. L’association construit des écoles, elle parle d’un hôpital. Comment font les gens pour se soigner s’il n’y a pas d’hôpitaux à moins de deux cent kilomètres dit-elle enfin ?
Le mec se retourna. Il regarda Sandra dans les yeux et lui dit tout net :
- Les gens n’ont pas besoin de vos hôpitaux ni de vos écoles, ni de votre science ! Ils vivent ainsi depuis la nuit des temps et c’est très bien comme ça. Parmi le peu de bénéfices obtenus avec votre développement, il y a surtout le vice et la servitude. Il n’y a pas besoin d’être un géni pour se rendre compte des dégâts irrémédiables de votre supposée évolution. C’est une pourriture pour ces peuples. Adieu.
Sandra le regarda partir jusqu’à ce qu’elle ne le vit plus, caché par les arbres. Alors, elle rejoignit Charlotte, pensive.
- Sandra, ce mec est un égoïste lui dit Charlotte. Il veut garder pour lui toutes ces merveilles. Les touristes qui se donneront la peine de venir jusqu’ici seront sans nul doute respectueux de l’environnement et des populations. Comme imagine-t-il que les familles ne veuillent pas soigner leurs enfants malades et les regardent mourir dans leurs bras ? Comment imagine-t-il l’évolution de ces villages ? Moi, je pense qu’ils vont finir par disparaître dans l’anonymat. Tu as bien vu comment ils luttent pour survivre, comment ils sont enchantés de voir se construire des écoles. Les gens d’ici ne participent pas à l’évolution parce qu’on ne leur en donne pas la possibilité mais ils demandent de pouvoir envoyer leurs enfants à l’école pour échapper à cette vie trop difficile. Ils sont contents d’obtenir un peu d’argent pour acheter de la nourriture différente de leur quotidien. Ils souhaitent avoir accès aux soins, mais aussi à la télévision. On ne peut pas empêcher cela. Le rêve occidental est déjà là, soit-en sûre, et ce n’est pas les soins, l’éducation ou les téléphones portables qui vont leur faire abandonner leurs montagnes et leurs cultures.
- Tu as sans doute raison Charlotte, pourtant ce mec avait l’air de bien connaître la région et il ne leur souhaitait pas ça. J’aimerais le retrouver et essayer de parler avec lui sans le fâcher. Il a certainement de nombreuses choses à nous apprendre. Et pour ne pas te mentir, je partirais bien avec lui vers le nord le long de cette rivière. Ça me frustre d’être bloquée ici à deux pas de terres inexplorées sur des centaines de kilomètres. De plus, les populations sont pacifiques et même si elles ne sont pas toujours accueillantes, on peut certainement leur rendre visite surtout si ce gars parle la langue et c’est bien possible. Il faut que je le retrouve.
- Et comment tu comptes t’y prendre, demanda Charlotte ?
- Je vais rester ici à l’attendre, il a parlé de partir demain. On verra bien. Au moins, j’aurais essayé.
- Comme tu veux, moi je retourne à Phongsaly, j’ai du travail. Fais attention à toi.
Charlotte partie, Sandra commanda une soupe car elle mourrait de faim. Des bus retourneraient sans doute à Phongsaly le lendemain et il y avait des chambres à louer ici chez l’habitant. Sandra en trouva une correcte mais sans toilettes. Apparemment, personne n’avait de toilettes dans ce village car elle avait vu les gens se diriger vers la rivière avec leur serviette et leur brosse à dents. Elle descendit, elle aussi, vers la rivière et tenta de remonter un peu son cours pour espérer se baigner tranquillement. L’eau était assez claire et le fond sableux. Elle était douce et tiède. Les boues de la mousson ne viendraient pas avant mai. Quel calme se dit-elle une fois assise dans la nature à écouter le roulis de l’eau sur les galets.. Peu de temps après, elle s’assoupit. Soudain, des bruits de pas vinrent à ses oreilles. Elle se couvrit d’une serviette et attendit sans être rassurée. Elle était un peu à l’écart. Enfin, un homme parut, c’était le jeune français coléreux. Celui-ci voulut éviter Sandra et ne lui adressa pas la parole mais c’était sans compter sur sa ténacité.
- Attends ! Ne te sauve pas ! lui dit-elle, j’aimerais beaucoup parler avec toi. Je suis sûre que tu as raison mais il faut m’en dire plus.
Le mec s’arrêta et réfléchit un moment avant de s’approcher. Il y avait derrière son air farouche une sensation de grande sensibilité. Son visage était doux et ses yeux francs.
- Lionel, dit-il pour se présenter. Et il s’assit près d’elle.
- Moi c’est Sandra ; tu te fâches toujours comme ça Lionel ?
- Non, je ne me fâche pas souvent mais j’ai trop vu de sites magnifiques et de populations pourris par le tourisme. Cela fait des années que je m’approche doucement des villages cachés dans ces forêts, j’apprends leurs langues et leurs coutumes pour pouvoir me présenter à eux sans faire trop d’âneries. Des années, vois-tu, et ça me met en colère des gens comme vous qui venaient et pourrissaient tout en deux minutes.
- Oui, je comprends, le rassura Sandra. Et tu travailles pour une organisation ? Tu prépares une thèse ?
- Non, je le fais pour moi. Aussi, je publie parfois des données pour les spécialistes. Derrière ces forêts, il y a des mondes préservés et d’une grande richesse ethnologique. Peu de personnes sont parvenues à les découvrir. Certains villages vivent du commerce de l’opium et ils ont peur d’être découverts par les autorités. Aussi, ils sont très indépendants et parfois farouches. Mais, je pense que nous devons retourner au village avant la nuit.
Lionel expliquait à Sandra certains des usages et des comportements de ces peuples que peut-être, il était seul à connaître. Il avait déjà parcouru les environs pendant des semaines. Cette fois, il souhaitait se rendre plus à l’est vers la frontière du Vietnam :
- Là, ne sont que forêts primaires sur quatre vingt dix-huit pour cent de la surface et il n'y a presque aucun sentier permettant d'y pénétrer. J’ai appris très récemment qu’au moins deux villages de populations Hmong, s'y trouveraient. C'est là qu'il faut absolument aller. Demain, je rejoins un bled plus haut d’où je partirai en pirogue.
- Je croyais que les bateaux ne pouvaient pas aller dans cette direction ? demanda Sandra.
- Quelques pilotes s’y risquent pourtant, lui signifia-t-il.
- Quelle aventure Lionel, ça me plairait tellement, emmène-moi avec toi !
- Impossible Sandra, désolé, je ne peux pas.
- Juste quelques jours ! Ensuite, je te laisserai tranquille. Laisse moi découvrir ces territoires et je serai ton porte-parole pour empêcher le tourisme de masse de se développer.
- Comment ferais-tu ça ? Lui demanda-t-il en souriant.
- Déjà, Charlotte est mon amie et c’est elle qui fait la promo des sites. J’arriverais à la faire changer d’avis si tu me laisses découvrir par moi-même ces contrées.
- Sandra, si le tourisme de masse vient un jour jusqu’ici, c’est qu’il aura déjà perverti bien des endroits reculés du monde et je ne crois pas que ta volonté, ni celle de ton amie, influence beaucoup ce phénomène. Enfin, je peux bien t’emmener jusqu’aux deux rivières où je compte me rendre en premier.
- Merci Lionel, vraiment !
- Il y a peut-être six jours pour se rendre aux deux rivières. Tu devrais faire prévenir ton amie. Aussi il faut prendre le minimum d’affaires.
- Ok
- Ce ne sera pas dangereux mais on ne sait jamais. As-tu une bonne assurance voyage ?
- Oui, bien sûr, mentit Sandra.
- Donc demain, sept heures.
- Pétante, à demain Lionel.
Le lendemain, par un petit sentier, Sandra et Lionel s’enfonçaient dans la montagne. Ils passèrent dans un village Hô dont les maisons de pisé étaient entourées de grosses pierres qui interdisaient le passage des animaux de la forêt. Le sentier grimpait ensuite fortement. L’altitude des monts entourant Phongsaly ne dépassent pas deux mille mètres mais le relief est très accidenté, escarpé, pentu. Il n’y avait pas un arpent de terre plate. Ils montaient et descendaient toujours, inévitablement. Enfin, ils dégringolèrent vers un petit village construit sur pilotis. Lionel était venu la veille pour négocier son trajet en bateau. Ils embarquèrent.
Charlotte ne fut pas longue à trouver l’hôtel. Sandra était assise à une table dans le hall avec un livre.
- Ça va, les vacances ? lui lança-t-elle.
Quand Sandra leva les yeux sur Charlotte, elle ne put s’empêcher de pousser un cri de joie et sauta de sa chaise jusque dans ses bras.
- Je pensais ne jamais te retrouver, s’écria-t-elle ! J’attends assise là depuis trois jours !
- Ça n’a pas été difficile, encore fallait-il que je sois en Thaïlande.
- Ouf, mon dieu ! J’ai trop l’air d’une conne. Je suis obligée de m’exprimer en mîmes. J’ai honte.
- Pourquoi es-tu parties sans rien dire à personne ? Est-ce que tu as enfin donner des nouvelles ?
- Non.
- Et ça ne te fait rien que les gens s’inquiètent pour toi ?
- Qui s’inquiète à part toi ? demanda Sandra.
- Mais je ne sais pas, tes parents ?
- Non.
- Alban ?
- Non !
- Des amis alors ?
- Non, personne ne s’inquiète. Je sais, j’ai été folle de partir comme ça. J’étais très angoissée dans l’avion mais c’était trop tard. Je suis partie au lieu de me jeter par la fenêtre si tu veux savoir. Et je suis bien contente si quelques personnes s’inquiètent mais je n’y crois pas, surtout pas Alban, il doit être soulagé. Alors, je ne suis pas trop débrouillarde mais ça va venir, j’en suis sûre. Jamais je ne regretterai d’avoir enfin mis les pieds dans le monde. Il y a trop longtemps que j’en rêvais, finalement, sans en avoir conscience. Maintenant je suis là, et tu es là, je suis heureuse !
Après quelques jours dans la capitale, Charlotte et Sandra s’enfuirent dans les provinces rurales de l’Isan. Elles visitèrent des sites historiques de l’ancien empire Siam mais les pierres ne leur confièrent rien car les filles ne connaissaient pas leur histoire. Elles se rendirent ensuite dans un parc national protégé où se trouvaient des animaux tels que des éléphants et des tigres. Elles virent des animaux, en effet, des rats par centaines, dans une vallée étrange et interdite au public où les hôtels jetaient leurs déchets… Par ailleurs, suivre des touristes dont les sacs étaient portés par des larbins ne leur plaisait guère. Elles parcoururent encore des contrées lointaines, échappant ainsi aux flux touristiques et recherchant l’authenticité. Elles ne trouvèrent que l’occidentalisation surtout dans les paysages urbains et les manifestations des plus humbles. Les coutumes exotiques jaillissaient devant leurs yeux parfois comme peuvent le faire les geysers : des fêtes bouddhistes dans les rues et des gestes centenaires dans les champs appartenant seulement à ce type d’environnement. Elles se rendirent à l’évidence ; il faudrait des années pour découvrir l’essence de ces peuples, ce qui les anime, leur héritage culturel et philosophique. Ces richesses ne sautaient évidemment pas aux yeux du premier couillon venu. Peu de voyageurs avaient la faculté de les saisir car le voyage, se dit Sandra, n’est qu’un déplacement pour voir, non pas analyser et comprendre, surtout sans connaissance préalable. L’aventure, l’exotisme et l’authenticité exigent des mystères pour apparaître mais ces artifices ne sont encore que de l’émotion, rien d’autre, de la consommation d’émotions sans cesse renouvelées par le déplacement. Dans ce nouveau bus climatisé, Sandra commençait déjà, après seulement deux semaines, à avoir des pensées mornes d’une petite bourgeoise blasée. Elle en avait conscience mais n’osait pas en faire part à son amie qui trouvait exaltant tous ces paysages exotiques et verdoyants.
- Ça ne te dirait pas Sandra de partir à l’aventure en randonnée, au hasard d’une de ces vallées sauvages ?
- On rencontrerait peut-être des gens avec des plumes dans le cul, ironisa Sandra.
- Pourquoi tu dis ça, tu es bizarre aujourd’hui.
- Non, pour rien, je rigole c’est tout.
- Tu as cassé l’ambiance. De toute façon, on n’a pas de toile de tente et j’ai oublié mon anti-moustique à l’hôtel.
Charlotte avait rendez-vous avec cette ONG au nord du Laos à la fin du mois d’octobre. Elles décidèrent donc d’avancer tranquillement dans cette direction. A Ventiane, capitale minuscule du Laos, les communautés blanches et bourgeoises locales se donnaient rendez-vous dans une boîte de nuit qu’on aurait au mieux trouvée ringarde en France. C’est là qu’elles passèrent leur première soirée, prometteuse. Elles logeaient chez un ami dans une jolie résidence près du Mékong. Celui-ci passait l’essentiel de ses journées et des ses nuits devant son ordinateur à jouer en réseaux. Il constituait, pour vivre, un guide du pays avec le mérite étonnant de n’en pas connaître une parcelle. Un temple bouddhiste laissait échapper des gongs parfois, alors, les petits bonhommes oranges passaient devant les maisons et recueillaient des dons de nourriture pour la journée, composés essentiellement de riz et de bananes. Un peu plus loin, un marché de quartier se dressait sous des tôles, les filles se promenaient dans ses allées pittoresques où débordait la pacotille chinoise. Elles achetèrent de la viande malgré le manque d’hygiène évident.
- Je ne mangerai pas de votre viande, disait leur hôte qui préférait, chaque jour depuis dix ans, partager avec son chien des boites de raviolis made in Europe.
- Pourtant, j’ai choisi la meilleure, lui répondit Charlotte, celle où il y avait le plus de mouches comme ça, je suis sûre de ne pas m’intoxiquer avec les insecticides qu’ils mettent dessus pour la conserver…
Une semaine après, elles se rendirent dans un écolodge en campagne.. Un écolodge est un hôtel construit et animé sur des bases écologiques et équitables. Il était tenu par une autre connaissance de Charlotte, Julia, qui avait la double nationalité Franco Lao. Les locaux qui travaillaient dans cet hôtel contribuaient, avec leur petit salaire, à développer leur village. En premier lieu, les téléphones portables et les télévisions. Aussi, les touristes venaient prendre des photos. Alors les villageois posaient, déguisés, avec un outil à la main. Autant, ils auraient désiré construire de nouvelles maisons en dur avec l’argent mais ils étaient biens conscients que les touristes arrêteraient instantanément de les prendre en photo. Du béton, ça résiste aux intempéries mais ce n’est pas authentique. Tout cela, Sandra l’apprit sans le vouloir en bredouillant avec la femme de ménage. Elles riaient ensemble aujourd’hui mais au premier jour, Sandra avait tellement eu honte de faire nettoyer sa chambre par une domestique qu’elle en avait pleuré. La jeune femme lui avait dit son salaire, trente euros par mois et Sandra avait été écoeurée. Du coup, elle ne vit plus l’écolodge du même œil et voulu s’expliquer avec Julia. Elle ne trouva que Christophe, un entomologiste engagé ici pour répertorier des insectes incroyables et les exhiber au public une fois rendus dans le formol, empaillés ou encore dans des aquariums. Intéressé et intéressant, il n’en était pas moins coupable lui aussi car les enfants des environs lui ramenaient avec ardeur toutes sortes d’affreuses bestioles plus dangereuses les unes que les autres, en échange de quelques centimes. Lui se contentait de les assassiner méticuleusement pour ne pas les abîmer. Il gardait vivant les serpents et les araignées afin d’impressionner davantage les visiteurs. Le tourisme provoque des situations paradoxales, pensa Sandra. Un hôtel ventant l’écologie et le développement durable coûte quarante dollars la nuit et rapporte une misère au village et aux employés. Quelle hypocrisie ! Charlotte fut bien obligée de l’admettre. Ensemble, elles allèrent trouver Julia. Celle-ci leur expliqua que bien qu’ayant monté le projet, à la base beaucoup plus respectueux, elle n’en avait jamais eu le contrôle. Les véritables responsables venaient de temps et temps. Ils étaient une dizaine à avoir investi, des Français et des Suisses, et manageaient l’hôtel à distance, lui donnant la marche à suivre pour continuer de recevoir son salaire. Si Julia n’était pas d’accord, elle pouvait partir, de nombreuses autres personnes étaient capables de la remplacer. Alors, elle gardait sa place sans faire d’histoire, d’ailleurs c’était déjà mieux que rien pour le village disait-elle. Aussi l’herbe poussait très bien ici et cela arrondissait ses fins de mois.
Charlotte et Sandra prirent un bus en direction du nord. Elles effectuèrent six heures de routes incroyablement sinueuses à travers des paysages de nature sauvage pour se rendre dans l’ancienne capitale royale, Louang Prabang, inscrite au patrimoine de l’UNESCO, et dont les anciens temples bouddhistes sont très préservés. Charlotte les ayant déjà vu, et Sandra n’émettant pas particulièrement le désir de les visiter, elles ne s’arrêtèrent qu’une nuit dans cette ville et continuèrent la route toujours vers le nord. Le nouveau bus qui les transportait tomba en panne après deux heures de trajet dans une zone aussi peuplée que le reste du pays. Personne à des dizaines de kilomètres à la ronde. Il fallut réparer avec les moyens du bord, sans outil mis à part quelques clés, c’est pourquoi, de nouveau le bus s’immobilisa un peu plus loin. Condamnés à attendre on ne savait quoi, les filles comme les locaux, s’installèrent à l’abri des arbres et du soleil pour faire la sieste. Personne ne s’énerva ou n’imagina s’en prendre aux chauffeurs. Ceux-ci tentaient le tout pour le tout en désarticulant le moteur, ainsi ils espéraient trouver une pièce de rechange, quitte à rouler ensuite sans frein ou sans embrayage. Bien plus tard, le bus d’une autre compagnie se présenta. Comme ils ne pouvaient pas tous monter dedans, tout naturellement, les gens réveillèrent Charlotte et Sandra, les seuls occidentaux présents, et leur dirent qu’elles devaient partir. « Pourquoi nous, demanda Sandra ? » Et s’entendit répondre : « Vous êtes toujours pressés les touristes et vous avez beaucoup de choses à faire ! » Sans avoir le temps de répliquer, elles se virent pousser à l’intérieur et offrir des places à l’avant, les meilleures aux yeux des locaux !
La route continua sur près de deux cent kilomètres entre les ravins et les précipices. Très peu de d’habitations étaient visibles. Une nouvelle nuit dans un petit hôtel et elles continuèrent jusqu’à leur destination finale : Phongsaly, encore à une journée entière de transport à l’arrière d’une camionnette dans la poussière et l’inconfort puisque la route n’était plus asphaltée et contenait des nids de poule dans lesquelles on pouvait dissimuler des éléphants. Enfin, se dessina au coucher du soleil, la petite ville de Phongsaly sur une colline dominant le paysage. Elles étaient au bout du monde.
L’association Phong Khok Na Ko avait été créée afin d’apporter des solutions aux problèmes économiques des populations pauvres et des minorités ethniques montagnardes de la région nord du Laos. Elle avait deux branches distinctes : l’éducation et le tourisme. Elle finançait la construction des écoles et l’achat du matériel scolaire. Aussi, en partenariat avec les acteurs locaux et les ministères concernés, elle finançait la construction des structures d’accueil et le développement du tourisme. Charlotte fut affectée comme prévu à cette seconde tâche. Avec du personnel local, elle devait se rendre dans les sites potentiellement exploitables, prendre des photos, créer des circuits, des fiches, faire des rapports et enfin garnir le site Internet prévu à cet effet. Des agences spécialisées, locales nationales ou encore internationales, viendraient ensuite exploiter ces richesses si elle réussissait à les mettre en valeur, pour le bien de tous. C’était un projet de dix semaines où elle n’était pas payée en argent mais profitait d’avantages en nature tels que la nourriture et le logement. Sandra quant à elle, n’avait finalement pas sa place dans cette association. Elle squattait le logement de Charlotte et partait avec elle, lorsque cela se révélait possible, lors de ces déplacements.
Elles découvrirent ensemble la diversité des ethnies présentes dans la région. De nombreux groupes Akha farouches qui installaient leur village en haut des collines, les Taï Lü préférant le fond des vallées, les Hö pacifiques… Elles n’avaient pas encore rencontré les Mhong, les Lolo, les Yao, les Sila… Charlotte imaginait développer dans cette région bien évidemment le trek puisque de toute façon, il n’y avait pas de route pour circuler ni de site historique ou culturel remarquable. Aussi, lors d’un déplacement, elles découvrirent l’éblouissante vallée de la Nam Ou. Le village, le seul d’où l’on pouvait accéder aux rives de cette rivière par une piste praticable, possédait un petit marché qui attirait des producteurs de villages voisins, perdus dans la jungle. Des embarcations descendaient la rivière à la haute saison à travers des paysages karstiques jusqu’à la ville de Muang Khua à plus de cent kilomètres. En amont, le débit des eaux, voir les rapides, ne permettaient pas la navigation. Le dernier village relié au monde était celui-ci. Plus au nord, et ce, jusqu’à la frontière de la Chine à plus de cent cinquante kilomètres, il n’existait aucun moyen de transport, ni aucune route.
- C’est par-là qu’il faut se rendre, leur dit en français un jeune occidental, en montrant la direction du nord. Il était installé sur la table d’une gargote, en short, son sac à dos à ses pieds.
- Et comment, demanda Sandra ?
- A pieds, dit-il.
- Ok, dit Sandra, quand tu veux !
- Je pars demain mais je ne peux pas vous emmener.
- Pourquoi, demanda Charlotte ?
- Je n’ai pas envie de m’encombrer de touristes tout simplement.
- Et toi, tu n’es pas un touriste par hasard, lui rétorqua Sandra.
- Non, je ne me considère pas vraiment comme un touriste.
- Et bien nous non plus, dit Charlotte, on travaille pour une asso à Phongsaly. On peut donc venir avec toi. D’ailleurs, ce serait vraiment génial d’ouvrir des circuits de treks dans ces villages, quelle authenticité, les touristes afflueraient !
Le jeune les regarda d’un mauvais œil tout à coup, on sentait sa colère, il se leva et partit payer sa soupe au coriandre à la petite dame. Puis, il revint vers les filles :
- Vous comptez développer le tourisme dans cette région, leur dit-il tout simplement, ne comptez pas sur moi pour vous aider. Je haïs le tourisme et les touristes, je haïs votre développement, je haïs vos méthodes, votre fric. Les villages ici sont pauvres mais ils ne sont pas pollués, les habitants ne sont pas cupides, ils ont des valeurs culturelles millénaires que votre tourisme va salir et exploiter pour son plus grand profit. Vous allez leur montrer avec votre fric leur propre misère dont ils n’ont pas forcément conscience et avec laquelle ils vivent néanmoins heureux parce qu’ils vivent en famille, cultivent en famille, produisent juste le nécessaire et ne sont pas individualistes comme vous et votre fric. Vous voulez les ensorceler pour qu’ils ne se contentent plus de rien, qu’ils descendent dans les villes habiter dans des ghettos, apprennent le vol et la mendicité, deviennent au mieux des consommateurs pour vos marchés. Putain de touristes, putain d’associations, vous ne pouvez pas leur foutre la paix ! Et que Phongsaly devienne comme Vang Vieng, Phuket ou Chiang Mai. Merde alors ! Connasses !
Et il partit. Charlotte resta abasourdi. Sandra courut derrière lui.
- Excuse-nous, on ne voulait pas te fâcher. Et avant que Phongsaly devienne touristique, il va se passer des années. Sans doute ça n’arrivera jamais.
Le mec continuait sa route tout droit vers la rivière sans se retourner.
- Un minimum de tourisme peut-être profitable pour la population si c’est bien géré, continua-t-elle. Tu ne peux pas dire le contraire. L’association construit des écoles, elle parle d’un hôpital. Comment font les gens pour se soigner s’il n’y a pas d’hôpitaux à moins de deux cent kilomètres dit-elle enfin ?
Le mec se retourna. Il regarda Sandra dans les yeux et lui dit tout net :
- Les gens n’ont pas besoin de vos hôpitaux ni de vos écoles, ni de votre science ! Ils vivent ainsi depuis la nuit des temps et c’est très bien comme ça. Parmi le peu de bénéfices obtenus avec votre développement, il y a surtout le vice et la servitude. Il n’y a pas besoin d’être un géni pour se rendre compte des dégâts irrémédiables de votre supposée évolution. C’est une pourriture pour ces peuples. Adieu.
Sandra le regarda partir jusqu’à ce qu’elle ne le vit plus, caché par les arbres. Alors, elle rejoignit Charlotte, pensive.
- Sandra, ce mec est un égoïste lui dit Charlotte. Il veut garder pour lui toutes ces merveilles. Les touristes qui se donneront la peine de venir jusqu’ici seront sans nul doute respectueux de l’environnement et des populations. Comme imagine-t-il que les familles ne veuillent pas soigner leurs enfants malades et les regardent mourir dans leurs bras ? Comment imagine-t-il l’évolution de ces villages ? Moi, je pense qu’ils vont finir par disparaître dans l’anonymat. Tu as bien vu comment ils luttent pour survivre, comment ils sont enchantés de voir se construire des écoles. Les gens d’ici ne participent pas à l’évolution parce qu’on ne leur en donne pas la possibilité mais ils demandent de pouvoir envoyer leurs enfants à l’école pour échapper à cette vie trop difficile. Ils sont contents d’obtenir un peu d’argent pour acheter de la nourriture différente de leur quotidien. Ils souhaitent avoir accès aux soins, mais aussi à la télévision. On ne peut pas empêcher cela. Le rêve occidental est déjà là, soit-en sûre, et ce n’est pas les soins, l’éducation ou les téléphones portables qui vont leur faire abandonner leurs montagnes et leurs cultures.
- Tu as sans doute raison Charlotte, pourtant ce mec avait l’air de bien connaître la région et il ne leur souhaitait pas ça. J’aimerais le retrouver et essayer de parler avec lui sans le fâcher. Il a certainement de nombreuses choses à nous apprendre. Et pour ne pas te mentir, je partirais bien avec lui vers le nord le long de cette rivière. Ça me frustre d’être bloquée ici à deux pas de terres inexplorées sur des centaines de kilomètres. De plus, les populations sont pacifiques et même si elles ne sont pas toujours accueillantes, on peut certainement leur rendre visite surtout si ce gars parle la langue et c’est bien possible. Il faut que je le retrouve.
- Et comment tu comptes t’y prendre, demanda Charlotte ?
- Je vais rester ici à l’attendre, il a parlé de partir demain. On verra bien. Au moins, j’aurais essayé.
- Comme tu veux, moi je retourne à Phongsaly, j’ai du travail. Fais attention à toi.
Charlotte partie, Sandra commanda une soupe car elle mourrait de faim. Des bus retourneraient sans doute à Phongsaly le lendemain et il y avait des chambres à louer ici chez l’habitant. Sandra en trouva une correcte mais sans toilettes. Apparemment, personne n’avait de toilettes dans ce village car elle avait vu les gens se diriger vers la rivière avec leur serviette et leur brosse à dents. Elle descendit, elle aussi, vers la rivière et tenta de remonter un peu son cours pour espérer se baigner tranquillement. L’eau était assez claire et le fond sableux. Elle était douce et tiède. Les boues de la mousson ne viendraient pas avant mai. Quel calme se dit-elle une fois assise dans la nature à écouter le roulis de l’eau sur les galets.. Peu de temps après, elle s’assoupit. Soudain, des bruits de pas vinrent à ses oreilles. Elle se couvrit d’une serviette et attendit sans être rassurée. Elle était un peu à l’écart. Enfin, un homme parut, c’était le jeune français coléreux. Celui-ci voulut éviter Sandra et ne lui adressa pas la parole mais c’était sans compter sur sa ténacité.
- Attends ! Ne te sauve pas ! lui dit-elle, j’aimerais beaucoup parler avec toi. Je suis sûre que tu as raison mais il faut m’en dire plus.
Le mec s’arrêta et réfléchit un moment avant de s’approcher. Il y avait derrière son air farouche une sensation de grande sensibilité. Son visage était doux et ses yeux francs.
- Lionel, dit-il pour se présenter. Et il s’assit près d’elle.
- Moi c’est Sandra ; tu te fâches toujours comme ça Lionel ?
- Non, je ne me fâche pas souvent mais j’ai trop vu de sites magnifiques et de populations pourris par le tourisme. Cela fait des années que je m’approche doucement des villages cachés dans ces forêts, j’apprends leurs langues et leurs coutumes pour pouvoir me présenter à eux sans faire trop d’âneries. Des années, vois-tu, et ça me met en colère des gens comme vous qui venaient et pourrissaient tout en deux minutes.
- Oui, je comprends, le rassura Sandra. Et tu travailles pour une organisation ? Tu prépares une thèse ?
- Non, je le fais pour moi. Aussi, je publie parfois des données pour les spécialistes. Derrière ces forêts, il y a des mondes préservés et d’une grande richesse ethnologique. Peu de personnes sont parvenues à les découvrir. Certains villages vivent du commerce de l’opium et ils ont peur d’être découverts par les autorités. Aussi, ils sont très indépendants et parfois farouches. Mais, je pense que nous devons retourner au village avant la nuit.
Lionel expliquait à Sandra certains des usages et des comportements de ces peuples que peut-être, il était seul à connaître. Il avait déjà parcouru les environs pendant des semaines. Cette fois, il souhaitait se rendre plus à l’est vers la frontière du Vietnam :
- Là, ne sont que forêts primaires sur quatre vingt dix-huit pour cent de la surface et il n'y a presque aucun sentier permettant d'y pénétrer. J’ai appris très récemment qu’au moins deux villages de populations Hmong, s'y trouveraient. C'est là qu'il faut absolument aller. Demain, je rejoins un bled plus haut d’où je partirai en pirogue.
- Je croyais que les bateaux ne pouvaient pas aller dans cette direction ? demanda Sandra.
- Quelques pilotes s’y risquent pourtant, lui signifia-t-il.
- Quelle aventure Lionel, ça me plairait tellement, emmène-moi avec toi !
- Impossible Sandra, désolé, je ne peux pas.
- Juste quelques jours ! Ensuite, je te laisserai tranquille. Laisse moi découvrir ces territoires et je serai ton porte-parole pour empêcher le tourisme de masse de se développer.
- Comment ferais-tu ça ? Lui demanda-t-il en souriant.
- Déjà, Charlotte est mon amie et c’est elle qui fait la promo des sites. J’arriverais à la faire changer d’avis si tu me laisses découvrir par moi-même ces contrées.
- Sandra, si le tourisme de masse vient un jour jusqu’ici, c’est qu’il aura déjà perverti bien des endroits reculés du monde et je ne crois pas que ta volonté, ni celle de ton amie, influence beaucoup ce phénomène. Enfin, je peux bien t’emmener jusqu’aux deux rivières où je compte me rendre en premier.
- Merci Lionel, vraiment !
- Il y a peut-être six jours pour se rendre aux deux rivières. Tu devrais faire prévenir ton amie. Aussi il faut prendre le minimum d’affaires.
- Ok
- Ce ne sera pas dangereux mais on ne sait jamais. As-tu une bonne assurance voyage ?
- Oui, bien sûr, mentit Sandra.
- Donc demain, sept heures.
- Pétante, à demain Lionel.
Le lendemain, par un petit sentier, Sandra et Lionel s’enfonçaient dans la montagne. Ils passèrent dans un village Hô dont les maisons de pisé étaient entourées de grosses pierres qui interdisaient le passage des animaux de la forêt. Le sentier grimpait ensuite fortement. L’altitude des monts entourant Phongsaly ne dépassent pas deux mille mètres mais le relief est très accidenté, escarpé, pentu. Il n’y avait pas un arpent de terre plate. Ils montaient et descendaient toujours, inévitablement. Enfin, ils dégringolèrent vers un petit village construit sur pilotis. Lionel était venu la veille pour négocier son trajet en bateau. Ils embarquèrent.
Dilo- Nombre de messages : 65
Age : 46
Date d'inscription : 08/02/2010
Re: Passion dissidente
daignédénié
ca fait bizarre dans le dialogue, pas sure qu'on dirait ca vraiment ainsi_ Tu as cassé l’ambiance.
En fait, entre le moment ou les deux jeunes femmes se rejoignent et la rencontre avec Lionel, le décor est certe planté ( paysage, voyage en bus ect ) mais ca parait un peu long et trés détaillé, ce qui peut décourager.
mais on sens le vécu dans ces lignes, comme un carnet de voyage que tu aurais romancé
Passage criant de vérité !Les villages ici sont pauvres mais ils ne sont pas pollués, les habitants ne sont pas cupides, ils ont des valeurs culturelles millénaires que votre tourisme va salir et exploiter pour son plus grand profit. Vous allez leur montrer avec votre fric leur propre misère dont ils n’ont pas forcément conscience et avec laquelle ils vivent néanmoins heureux parce qu’ils vivent en famille, cultivent en famille, produisent juste le nécessaire et ne sont pas individualistes comme vous et votre fric. Vous voulez les ensorceler pour qu’ils ne se contentent plus de rien, qu’ils descendent dans les villes habiter dans des ghettos, apprennent le vol et la mendicité, deviennent au mieux des consommateurs pour vos marchés."
Iryane- Nombre de messages : 314
Age : 44
Localisation : là où je dois être ...enfin, sans certitude.
Date d'inscription : 26/01/2010
passion dissidente (3)
Le lendemain, par un petit sentier, Sandra et Lionel s’enfonçaient dans la montagne. Ils passèrent dans un village Hô dont les maisons de pisé étaient entourées de grosses pierres qui interdisaient le passage des animaux de la forêt. Le sentier grimpait ensuite fortement. L’altitude des monts aux alentours ne dépassaient pas deux mille mètres mais le relief était très accidenté, escarpé, pentu. Il n’y avait pas un arpent de terre plate. Le sentier montait et descendait toujours, inévitablement. Enfin, ils dégringolèrent vers un petit village construit sur pilotis. Lionel était venu la veille pour négocier son trajet en bateau. Ils embarquèrent.
Ils étaient quatre sur la pirogue, un des hommes se trouvait à l'arrière au moteur et gouvernail, l'autre devant, souvent debout, en équilibre à l'extrême proue à sonder les fonds rocheux à l'aide d'une longue perche en bambou. Sandra était derrière Lionel au milieu de l’embarcation. Ils étaient tous deux accoudés aux bas flancs. A chaque rapide, elle s’agrippait à lui. Le reste du temps, la rivière était calme, il n’y avait qu’à regarder les paysages défiler, cheveux dans le vent.
Une heure plus tard, les piroguiers les déposèrent sur un banc de sable et firent demi-tour. Ils étaient arrivés à destination. Malheureusement, il n’y avait là qu’un hameau d'une dizaine de très misérables baraques sur pilotis. Les villageois étaient désemparés face à leur arrivée, d'autant que beaucoup d'hommes semblaient absents. De plus, Lionel n’arrivait pas à se faire comprendre. Enfin, un monsieur âgé quitta sa minuscule échoppe et vint à leur secours. Après quelques minutes de palabres, ils se dirigèrent ensemble vers la rive pour observer les embarcations disponibles. Il n'y avait que trois pirogues dans ce village et l’une d'entre elles semblait définitivement hors d'état de flotter. Sculptées à la hache, dans un seul tronc de bois, elles étaient destinées à des déplacements de proximité, pour la pêche. Finalement, un accord fut conclu. Le vieux père, comme l’appellerait dorénavant Lionel, les emmènerait jusqu’au village suivant, à plus de quatre heures de navigation.
Bientôt, la pirogue s’éloigna du petit village. Elle flottait au raz de l’eau épaisse et large de la rivière. Un énorme poisson montra son dos à la surface, ce qui excita les deux piroguiers. Plus périlleux encore que le premier trajet, des jets d’eau les éclaboussaient dans les rapides, d’autant que la pirogue était plus petite et plus archaïque. Un peu plus loin, ils cassèrent l'hélice du moteur. Heureusement, une de rechange avait été emportée. La réparation et le remplacement de l'objet s'effectua dans l'eau en quelques minutes seulement. L’aventure pouvait continuer. Tout doucement, en remontant cette rivière, ils s’éloignèrent de la civilisation.
En fin d’après-midi, sur la rive droite de la Nam Ou, les premières habitations depuis leur départ se dessinèrent. Dès leur arrivée, la population les reçut avec beaucoup de chaleur et de sympathie. Le village était imposant, les maisons très longues, elles hébergeaient chacune une cinquantaine de personnes. Toutes les femmes portaient l'habit traditionnel, une superposition de jupes et jupons de coton tissé sur place et méticuleusement brodé de symboles qui traitaient de la création de l’univers. Ces peuples étaient en effet originaires de contrées lointaines, leurs croyances s’apparentaient aux religions archaïques chinoises et tibétaines. Tous différents, ils ne se mélangeaient en aucun cas et parcouraient chaque année de longues distances, lors des fêtes de printemps, pour se marier sans consanguinité.
Lionel donnait ces explications à Sandra pendant leur promenade à travers le village. Celui-ci était étalé, dispersé, sur un vaste terrain vallonné, dégagé au beau milieu de la forêt. L’ombre de grands arbres apportait ici et là un peu de fraîcheur. Des palissades de bambous tressés entouraient chaque jardin où l’on trouvait de l'ananas, de la canne à sucre, de petites aubergines, des papayers, bananiers et de nombreux légumes et herbes inconnus. Lionel poursuivait ses commentaires :
- Les Hmong sont les meilleurs producteurs d'opium. La plupart des hommes sont partis, pour plusieurs jours, travailler dans les champs de pavot installés en altitude au milieu de la forêt, et à des emplacements connus d'eux seuls. C’est une source de revenu bien plus importante que celle du riz. Aussi, ils en consomment. Tu verras ce soir, ils ne se cachent pas. Mais en réalité, seulement les anciens sont autorisés à fumer. L’opium contient de la morphine, c’est leur anti-douleur. C’est d’ailleurs considéré comme un médicament. Évidemment, ils sont conscients des dangers de l’accoutumance et, lorsqu’on trouve de jeunes opiomanes dans les villages, c’est qu’ils ont été, à un moment de leur vie, gravement malades. Ce qui est intéressant, c’est que les villageois s’occupent d’eux car ils ne peuvent plus être autonomes.
Le chef du village les avait invité à passer la nuit dans sa maison. Cet homme était aussi chaman. Dans la soirée, il effectua un rituel de guérison : assis près du foyer, il tenait une dent d'ours dans chaque main. Il cracha alors dessus puis les porta au-dessus des flammes en marmonnant des sons, en psalmodiant des paroles incompréhensibles. Enfin, il caressa avec les dents fumantes sous les aisselles d'un jeune homme assis en face de lui, d'où des croûtes et une infection s'étendaient dangereusement. Puis les mêmes gestes furent répétés sur l'œil d'un bébé porté par sa mère, dont la paupière inférieure était bleuâtre et surtout enflée de manière inquiétante.
- Dans quelques jours ou semaines peut-être, dit Lionel, mais en tout cas comme d'habitude lorsqu'il sera déjà trop tard, et aussi lorsqu’ils parviendront à réunir la somme nécessaire, ils se décideront, après constat de l'inévitable échec de la sorcellerie, à effectuer le voyage vers le petit hôpital de Phongsaly.
- Tu me disais toi-même que les hôpitaux n’étaient pas nécessaires ?
- J’étais fâché et bête à ce moment là…
Le vieux père avait accepté de continuer avec eux la tribulation. Le lendemain, ils avaient embarqué une dizaine d’hélices, un fusil, des gamelles, deux jerricans d'essence, de la nourriture, des machettes, des cordages et ils partaient à deux de plus, c’est à dire à six. Sandra s’inquiétait de plus en plus. Rapidement, après seulement vingt minutes de navigation, le ton fut donné : au détour d'un coude, des rapides démentiels leur faisaient face. L’embarcation semblait tout à coup extrêmement frêle. La pirogue s'élança en pleine puissance, le moteur vrombissait et crachait une fumée noire et épaisse. Le premier homme maniait la perche de bambou à une allure folle pour en permanence sonder les fonds, détecter les rochers et conseiller les voies à prendre. Les deux autres ramaient comme des forcenés, à une vitesse démentielle. Il fallait parfois se faufiler entre d'énormes rochers. Ces passages étaient les plus délicats car les masses d'eau canalisées s’opposaient à eux de toute leur violence. Sandra commençait à sincèrement regretter l'expédition. Plus loin, dans une zone calme, elle se vit proposer à Lionel de faire demi-tour mais elle n’osa pas. Et puis, maintenant entamée, elle savait que si elle n’allait pas jusqu'au bout de cette aventure, elle en garderait longtemps le regret et la frustration.
Après environ une heure de rapides de moindres importances mais aussi de zones de calme, un sourd grondement se fit entendre. À trois cents mètres au devant, l'énorme masse d'eau tombait, dévalait sur eux. Pour Sandra, c'était clair, on ne passerait pas. Les hommes criaient d'un bout à l'autre de l'embarcation. Après plusieurs minutes de palabres, ils prirent une décision : il fallait alléger la pirogue et protéger les étrangers. Sandra et Lionel se virent alors déposer sur les rochers avec la consigne de longer la rivière. En cas d'éventuel accident, on leur avait laissé leur sac et celui du grand-père. Des hommes partirent faire une reconnaissance. Ils tentaient d’estimer ce qu'il était possible de faire. Sandra et Lionel sautaient de rochers en rochers. Du haut de leur promontoire, ils observaient la scène terrible et hallucinante qui se passait dans l’eau. Les quatre hommes halaient la pirogue à l'aide de cordes. Ils se tenaient sur les rochers émergeant, s'agrippaient en luttant contre l'impressionnante violence du courant qui les submergeait presque. C'était un spectacle ahurissant, semblant d'un autre âge. Dans ce passage, c’était des remous terribles, des cascades, des explosions d'eau permanentes. Tous les hommes y dépensaient une énergie incroyable à avancer, centimètre par centimètre. Après une heure de combat contre les forces de la nature, ils relancèrent le moteur et à nouveau à pleine puissance, passèrent en force les derniers rapides. Là oui, tout au long de cette opération, il y avait eu réels dangers de mort et cette fois Lionel regrettait de les avoir tous embarqué dans cette aventure.
La pirogue les récupéra ensuite. L’eau, comme par magie, devint d’un calme étonnant mais plus tard, dans quatre autres cas extrêmes, Sandra et Lionel durent à nouveau être débarqués sur les berges pour alléger le bateau. Dans ces autres passages de gros rapides, il fallait parfois encore haler l'embarcation mais le plus souvent, ainsi allégés, les quatre navigateurs restants passaient en force, le moteur à pleine puissance et la rame et la perche de bambou maniées à des allures frénétiques. Les quatre hommes, en short et torses nus, possédaient des musculatures très développées de tout leur corps, des muscles saillants incroyablement sous l'effort. C’était de véritables prouesses qu'ils réalisaient. Sandra les voyait comme dans un rêve. Elle repensait aux touristes croisés auparavant qui lui avaient racontés avec passion leurs aventures sur la soi-disant turbulente rivière Nam Ou, après Hat Sa, là où Lionel affirmait qu’elle était large et confortable. L’un d’entre eux revenait particulièrement à sa mémoire : il était le profil parfait de l’étalon voyageur : Tiberland greffées aux pieds, les yeux flottants dans le vague comme s’il vivait constamment l’expérience : tir de mortier sur mon 4*4 ensablé jusqu’aux portières et sortie in extrémiste une seconde avant l’explosion fatale. Il était aussi poète : avec lui le soleil « rougeoyait » constamment sur les montagnes « inviolées » et le regard des femmes était toujours « embué par l’émotion de celles qui se savent mortelles »… Sandra souriait au vent de cette vallée, elle avait l’impression de n’être pas ici, de n’être pas elle-même mais seulement emportée dans ses rêves, au musée, devant le radeau de la méduse. L’angoisse de l’instant l’empêchait toujours de le vivre pleinement mais Lionel la rappela à la réalité :
- Ouvre les yeux Sandra, on n’est pas encore morts !
Partout, de part et d'autres de la rivière, c’était deux frondaisons, très pentues et accidentées, de verdure. Les arbres géants étaient situés un peu plus en hauteur car, juste sur les berges, ils n'avaient pas le temps de croître, emportés par les puissantes crues annuelles. Nature riche, dense, variée, intacte, primaire. Il n'y avait pas une seule trace humaine, pas un seul village, pas même une hutte, pas un seul départ de sentier, pas une seule culture de visible sur les flancs des montagnes alentours. Ce n’était que des arbres gigantesques, des forêts de bambous géants qui s'élançaient en hauts panaches et d’envahissantes lianes et plantes rampantes. Quand un petit ruisseau se jetait là dans la rivière, il formait une baie protectrice où l’on pouvait débarquer. Les hommes en profitaient alors pour écoper, inspecter et bricoler la pirogue puis ils pêchaient et se baignaient sans bruit dans les trous d'eau claire. Les oiseaux sifflaient autour d’eux. Le bruissement des insectes les rappelait à la nature sauvage et impénétrable qui les entourait. Il était temps de repartir.
De nouveau, alternativement, des zones de calme et de rapides. Soudain, en pleine lutte contre le courant, l’hélice se rompit. L'embarcation partit alors à la dérive. Les hommes tentèrent de la contrôler à la force des bras. Mais ils s'échouèrent violemment contre deux rochers émergeant. Il fallait descendre pour alléger l’embarcation mais cette fois, ils se trouvaient au beau milieu de la rivière. Un homme sauta dans l’eau et fut tout de suite emporté par le courant. Enfin, il réussit à s’agripper et sortir. C’était au tour de Lionel. Courageux, il sauta lui aussi et nagea de longues minutes avant de rejoindre enfin la berge. Finalement, Sandra, tremblante, resterait dans le bateau pendant la manœuvre. Enfin, ils réussirent à changer l’hélice, puis forcèrent le rapide avant de récupérer tout le monde.
Ils s’arrêtèrent pour le repas. Au menu, une partie des cinq kilos de riz gluant cuit, emporté dans le traditionnel pot de vannerie de bambou et les poissons tout juste pêchés. Mais deux des hommes, équipés du fusil, s'enfoncèrent dans la forêt, par le creux du dense talweg déversant ici un petit ruisseau. Vingt minutes passèrent et Bang ! Un coup de feu. Enfin, ils réapparurent traînant un jeune cerf sur leurs épaules. La bête fut immédiatement dépecée. Un feu était déjà allumé. Ils cuirent puis mangèrent les parties les plus périssables de l'animal : les abats, les tripes, le foie, cœur et poumons sur deux feuilles de bananier posées au sol qui leur servaient de table et où ils trempaient les boulettes de riz gluant dans la sauce coagulante de viande. Pour tout dire, ils se gavèrent mais les hommes avaient besoin de reprendre des forces. Une fois repu, l’un d’eux fit une prière tout en déposant sur un rocher tout proche un peu de riz, quelques morceaux de viande et trois gros bâtons d’encens. Ce rituel était destiné à ne pas fâcher les esprits de la forêt d'avoir prélevé un animal.
Derrière eux, quelques feuilles de bananiers souillées, un foyer encore fumant et le plus gros rocher du lieu dégoulinant de sang. Lionel était aux anges. C’était pour lui un voyage féerique dans cette zone totalement inhabitée et probablement même jamais parcourue par des Européens. Seuls deux murs verdoyants et emplis d’oiseaux les cernaient. Il n’y avait eu aucune trace humaine depuis plusieurs jours. Mais enfin, un premier affluent déboucha. Il était signe de vie. Sa vue provoqua une animation joyeuse. Très vite, un pêcheur sur sa pirogue se montra. Un peu plus loin, des femmes lavaient leurs linges dans l’eau de la rivière. C’était la fin du périple. Sandra priait pour la première fois, elle remerciait les esprits de la forêt de les avoir laissé en vie.
Ils arrivaient à Ban Nong. Déjà l'alerte avait été donnée : des étrangers arrivaient par la rivière. C’était la première fois qu’une telle chose se produisait. On voyait sur les regards l’admiration des villageois. De plus, ils étaient sous la protection des héros piroguiers qui avaient mené l'embarcation. Néanmoins, les villageois, après être revenus de leur surprise, se demandaient pourquoi ces étrangers étaient venus jusqu’ici ? Lionel dut alors montrer patte blanche, dire qu’ils étaient des touristes, qu’ils ne travaillaient surtout pas pour le gouvernement enfin qu’ils étaient neutre et ne s’intéressaient pas à leur plantation, ni à leur commerce. Perplexes quant à l’utilité d’un tel voyage, les villageois les entraînèrent pour manger et fêter leur arrivée. À nouveau, ce fut un festin de cerf et de poissons. Ils burent du lao lao, de l'alcool de riz et, fatigue aidant, furent vite ivres. Les deux plus jeunes piroguiers, heureux de la perspective de s'encanailler, entraînèrent Lionel avec eux. Celui-ci paya des bières afin d’aller taquiner des phou sào, des jeunes filles, les vendeuses de l'échoppe chinoise. Pour se faire, il leur paya des bonbons vietnamiens périmés. Avec son large sourire ivre, il dit à Sandra que cela marchait à tous les coups. Puis il commença de mettre la zizanie dans le village en criant aux filles se tenant plus loin, des paroles que les gamins lui dictaient à l'oreille. C’était un jeu à succès puisque tous les villageois hurlaient de rire. Sandra, assise devant le spectacle, se laissait caresser les cheveux par les plus jeunes filles. Celles-ci voulaient échanger leurs magnifiques parures contre le pauvre gilet en polyester qu’elle portait et qui sentait la vase. Enfin, à la nuit tombée, ils allèrent retrouver leur fine natte posée à même le sol.
Au petit déjeuner, du cerf ! Il fallait le terminer, il n’y avait en effet pas de congélateur ici. Sandra détesterait définitivement le goût de cet animal. Puis les piroguiers repartirent. Lionel pleurait presque lorsqu’il leur fit ses adieux. Il leur dit qu'un jour, il tâcherait de leur remettre la photo prise lorsqu’ils portaient le cerf abattu devant la rivière Nam Ou. Sandra et Lionel se quittaient aussi ce matin là. Lui continuait sa route vers le nord par des chemins inconnus et difficiles. Sandra se souvint lorsqu’il leur avait signifié avec Charlotte qu’il ne se considérait pas vraiment comme un touriste. Mais quel genre d’homme était-il ? Il avait tellement de facilité à entrer en contact avec ces populations. Il avait tellement de joie à partager avec elles, il prenait tellement de risques pour obtenir ces renseignements qu’il inscrivait à mesure sur son carnet de bord : populations, mœurs, particularités et mille autres choses encore. Sandra n’avait pas brillé d’énergie et de vaillance pendant ces quelques jours. Elle avait été trop impressionnée pour être détendue. Pourtant, Lionel était fier d’elle, l’avait vraiment appréciée et, pour lui dire adieu, il l’avait invitée à le rejoindre, un jour, dans un mystérieux village…
Pour son retour, Sandra accompagnait un petit groupe avec un cheval qui se rendait au marché de la ville où se trouvait la piste à une vingtaine de kilomètres. Le sentier était fabuleux, d'autant plus appréciable que la pluie du matin avait finalement cessé. Ils longèrent des crêtes plusieurs heures avant de descendre dans un vallon et remonter un torrent. De temps en temps, ils s'arrêtaient pour cueillir des champignons et des baies, pour laisser brouter le cheval, pour se débarrasser des sangsues, pour se rafraîchir dans les ruisseaux et pour fumer dans une pipe à eau.
Au repas, à nouveau du riz gluant mais cette fois avec des champignons crus tout juste cueillis. Ce champignon était chargé d'une sève blanche qui suintait. Sandra faisait la grimace. Les autres riaient. Puis ils grignotèrent quelques baies dont la chair était acide. Enfin, ils repartirent pour la descente définitive. Elle se présenta escarpée et glissante. La nature environnante était grandiose et intacte. Il y avait de nombreux fromagers géants reconnaissables par leurs racines envahissantes qui retombaient directement des premières branches, et formaient une voûte volumineuse. Parmi les autres types de végétation, Sandra repéra de grandioses fougères arborescentes, des bosquets de bambous géants et de ces sortes de palmiers déployant de gigantesques feuilles en formes d'éventails. Au sol, les sangsues se trouvaient à profusion. Alors que les locaux, en tongs, les repéraient facilement et pouvaient s'en débarrasser rapidement, une douzaine d'entre elles se réfugiaient régulièrement sous les sandales de Sandra et elle devait alors complètement les ôter pour les en dénicher et les arracher de leurs féroces embrassades avec la peau. Puis ça y était, au détour d'un flanc abrupt, Sandra aperçut les premières habitations et reconnut le grondement sourd des véhicules. Enfin, dans la nuit, elle parvint à Phongsaly dans une benne de camion et courut chez Charlotte qu’elle réveilla pour lui annoncer la nouvelle :
- J’ai trouvé un superbe plan pour tes touristes !
< Vos textes ont été regroupés dans un seul sujet pour des questions de catalogage.
La Modération >
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Ils étaient quatre sur la pirogue, un des hommes se trouvait à l'arrière au moteur et gouvernail, l'autre devant, souvent debout, en équilibre à l'extrême proue à sonder les fonds rocheux à l'aide d'une longue perche en bambou. Sandra était derrière Lionel au milieu de l’embarcation. Ils étaient tous deux accoudés aux bas flancs. A chaque rapide, elle s’agrippait à lui. Le reste du temps, la rivière était calme, il n’y avait qu’à regarder les paysages défiler, cheveux dans le vent.
Une heure plus tard, les piroguiers les déposèrent sur un banc de sable et firent demi-tour. Ils étaient arrivés à destination. Malheureusement, il n’y avait là qu’un hameau d'une dizaine de très misérables baraques sur pilotis. Les villageois étaient désemparés face à leur arrivée, d'autant que beaucoup d'hommes semblaient absents. De plus, Lionel n’arrivait pas à se faire comprendre. Enfin, un monsieur âgé quitta sa minuscule échoppe et vint à leur secours. Après quelques minutes de palabres, ils se dirigèrent ensemble vers la rive pour observer les embarcations disponibles. Il n'y avait que trois pirogues dans ce village et l’une d'entre elles semblait définitivement hors d'état de flotter. Sculptées à la hache, dans un seul tronc de bois, elles étaient destinées à des déplacements de proximité, pour la pêche. Finalement, un accord fut conclu. Le vieux père, comme l’appellerait dorénavant Lionel, les emmènerait jusqu’au village suivant, à plus de quatre heures de navigation.
Bientôt, la pirogue s’éloigna du petit village. Elle flottait au raz de l’eau épaisse et large de la rivière. Un énorme poisson montra son dos à la surface, ce qui excita les deux piroguiers. Plus périlleux encore que le premier trajet, des jets d’eau les éclaboussaient dans les rapides, d’autant que la pirogue était plus petite et plus archaïque. Un peu plus loin, ils cassèrent l'hélice du moteur. Heureusement, une de rechange avait été emportée. La réparation et le remplacement de l'objet s'effectua dans l'eau en quelques minutes seulement. L’aventure pouvait continuer. Tout doucement, en remontant cette rivière, ils s’éloignèrent de la civilisation.
En fin d’après-midi, sur la rive droite de la Nam Ou, les premières habitations depuis leur départ se dessinèrent. Dès leur arrivée, la population les reçut avec beaucoup de chaleur et de sympathie. Le village était imposant, les maisons très longues, elles hébergeaient chacune une cinquantaine de personnes. Toutes les femmes portaient l'habit traditionnel, une superposition de jupes et jupons de coton tissé sur place et méticuleusement brodé de symboles qui traitaient de la création de l’univers. Ces peuples étaient en effet originaires de contrées lointaines, leurs croyances s’apparentaient aux religions archaïques chinoises et tibétaines. Tous différents, ils ne se mélangeaient en aucun cas et parcouraient chaque année de longues distances, lors des fêtes de printemps, pour se marier sans consanguinité.
Lionel donnait ces explications à Sandra pendant leur promenade à travers le village. Celui-ci était étalé, dispersé, sur un vaste terrain vallonné, dégagé au beau milieu de la forêt. L’ombre de grands arbres apportait ici et là un peu de fraîcheur. Des palissades de bambous tressés entouraient chaque jardin où l’on trouvait de l'ananas, de la canne à sucre, de petites aubergines, des papayers, bananiers et de nombreux légumes et herbes inconnus. Lionel poursuivait ses commentaires :
- Les Hmong sont les meilleurs producteurs d'opium. La plupart des hommes sont partis, pour plusieurs jours, travailler dans les champs de pavot installés en altitude au milieu de la forêt, et à des emplacements connus d'eux seuls. C’est une source de revenu bien plus importante que celle du riz. Aussi, ils en consomment. Tu verras ce soir, ils ne se cachent pas. Mais en réalité, seulement les anciens sont autorisés à fumer. L’opium contient de la morphine, c’est leur anti-douleur. C’est d’ailleurs considéré comme un médicament. Évidemment, ils sont conscients des dangers de l’accoutumance et, lorsqu’on trouve de jeunes opiomanes dans les villages, c’est qu’ils ont été, à un moment de leur vie, gravement malades. Ce qui est intéressant, c’est que les villageois s’occupent d’eux car ils ne peuvent plus être autonomes.
Le chef du village les avait invité à passer la nuit dans sa maison. Cet homme était aussi chaman. Dans la soirée, il effectua un rituel de guérison : assis près du foyer, il tenait une dent d'ours dans chaque main. Il cracha alors dessus puis les porta au-dessus des flammes en marmonnant des sons, en psalmodiant des paroles incompréhensibles. Enfin, il caressa avec les dents fumantes sous les aisselles d'un jeune homme assis en face de lui, d'où des croûtes et une infection s'étendaient dangereusement. Puis les mêmes gestes furent répétés sur l'œil d'un bébé porté par sa mère, dont la paupière inférieure était bleuâtre et surtout enflée de manière inquiétante.
- Dans quelques jours ou semaines peut-être, dit Lionel, mais en tout cas comme d'habitude lorsqu'il sera déjà trop tard, et aussi lorsqu’ils parviendront à réunir la somme nécessaire, ils se décideront, après constat de l'inévitable échec de la sorcellerie, à effectuer le voyage vers le petit hôpital de Phongsaly.
- Tu me disais toi-même que les hôpitaux n’étaient pas nécessaires ?
- J’étais fâché et bête à ce moment là…
Le vieux père avait accepté de continuer avec eux la tribulation. Le lendemain, ils avaient embarqué une dizaine d’hélices, un fusil, des gamelles, deux jerricans d'essence, de la nourriture, des machettes, des cordages et ils partaient à deux de plus, c’est à dire à six. Sandra s’inquiétait de plus en plus. Rapidement, après seulement vingt minutes de navigation, le ton fut donné : au détour d'un coude, des rapides démentiels leur faisaient face. L’embarcation semblait tout à coup extrêmement frêle. La pirogue s'élança en pleine puissance, le moteur vrombissait et crachait une fumée noire et épaisse. Le premier homme maniait la perche de bambou à une allure folle pour en permanence sonder les fonds, détecter les rochers et conseiller les voies à prendre. Les deux autres ramaient comme des forcenés, à une vitesse démentielle. Il fallait parfois se faufiler entre d'énormes rochers. Ces passages étaient les plus délicats car les masses d'eau canalisées s’opposaient à eux de toute leur violence. Sandra commençait à sincèrement regretter l'expédition. Plus loin, dans une zone calme, elle se vit proposer à Lionel de faire demi-tour mais elle n’osa pas. Et puis, maintenant entamée, elle savait que si elle n’allait pas jusqu'au bout de cette aventure, elle en garderait longtemps le regret et la frustration.
Après environ une heure de rapides de moindres importances mais aussi de zones de calme, un sourd grondement se fit entendre. À trois cents mètres au devant, l'énorme masse d'eau tombait, dévalait sur eux. Pour Sandra, c'était clair, on ne passerait pas. Les hommes criaient d'un bout à l'autre de l'embarcation. Après plusieurs minutes de palabres, ils prirent une décision : il fallait alléger la pirogue et protéger les étrangers. Sandra et Lionel se virent alors déposer sur les rochers avec la consigne de longer la rivière. En cas d'éventuel accident, on leur avait laissé leur sac et celui du grand-père. Des hommes partirent faire une reconnaissance. Ils tentaient d’estimer ce qu'il était possible de faire. Sandra et Lionel sautaient de rochers en rochers. Du haut de leur promontoire, ils observaient la scène terrible et hallucinante qui se passait dans l’eau. Les quatre hommes halaient la pirogue à l'aide de cordes. Ils se tenaient sur les rochers émergeant, s'agrippaient en luttant contre l'impressionnante violence du courant qui les submergeait presque. C'était un spectacle ahurissant, semblant d'un autre âge. Dans ce passage, c’était des remous terribles, des cascades, des explosions d'eau permanentes. Tous les hommes y dépensaient une énergie incroyable à avancer, centimètre par centimètre. Après une heure de combat contre les forces de la nature, ils relancèrent le moteur et à nouveau à pleine puissance, passèrent en force les derniers rapides. Là oui, tout au long de cette opération, il y avait eu réels dangers de mort et cette fois Lionel regrettait de les avoir tous embarqué dans cette aventure.
La pirogue les récupéra ensuite. L’eau, comme par magie, devint d’un calme étonnant mais plus tard, dans quatre autres cas extrêmes, Sandra et Lionel durent à nouveau être débarqués sur les berges pour alléger le bateau. Dans ces autres passages de gros rapides, il fallait parfois encore haler l'embarcation mais le plus souvent, ainsi allégés, les quatre navigateurs restants passaient en force, le moteur à pleine puissance et la rame et la perche de bambou maniées à des allures frénétiques. Les quatre hommes, en short et torses nus, possédaient des musculatures très développées de tout leur corps, des muscles saillants incroyablement sous l'effort. C’était de véritables prouesses qu'ils réalisaient. Sandra les voyait comme dans un rêve. Elle repensait aux touristes croisés auparavant qui lui avaient racontés avec passion leurs aventures sur la soi-disant turbulente rivière Nam Ou, après Hat Sa, là où Lionel affirmait qu’elle était large et confortable. L’un d’entre eux revenait particulièrement à sa mémoire : il était le profil parfait de l’étalon voyageur : Tiberland greffées aux pieds, les yeux flottants dans le vague comme s’il vivait constamment l’expérience : tir de mortier sur mon 4*4 ensablé jusqu’aux portières et sortie in extrémiste une seconde avant l’explosion fatale. Il était aussi poète : avec lui le soleil « rougeoyait » constamment sur les montagnes « inviolées » et le regard des femmes était toujours « embué par l’émotion de celles qui se savent mortelles »… Sandra souriait au vent de cette vallée, elle avait l’impression de n’être pas ici, de n’être pas elle-même mais seulement emportée dans ses rêves, au musée, devant le radeau de la méduse. L’angoisse de l’instant l’empêchait toujours de le vivre pleinement mais Lionel la rappela à la réalité :
- Ouvre les yeux Sandra, on n’est pas encore morts !
Partout, de part et d'autres de la rivière, c’était deux frondaisons, très pentues et accidentées, de verdure. Les arbres géants étaient situés un peu plus en hauteur car, juste sur les berges, ils n'avaient pas le temps de croître, emportés par les puissantes crues annuelles. Nature riche, dense, variée, intacte, primaire. Il n'y avait pas une seule trace humaine, pas un seul village, pas même une hutte, pas un seul départ de sentier, pas une seule culture de visible sur les flancs des montagnes alentours. Ce n’était que des arbres gigantesques, des forêts de bambous géants qui s'élançaient en hauts panaches et d’envahissantes lianes et plantes rampantes. Quand un petit ruisseau se jetait là dans la rivière, il formait une baie protectrice où l’on pouvait débarquer. Les hommes en profitaient alors pour écoper, inspecter et bricoler la pirogue puis ils pêchaient et se baignaient sans bruit dans les trous d'eau claire. Les oiseaux sifflaient autour d’eux. Le bruissement des insectes les rappelait à la nature sauvage et impénétrable qui les entourait. Il était temps de repartir.
De nouveau, alternativement, des zones de calme et de rapides. Soudain, en pleine lutte contre le courant, l’hélice se rompit. L'embarcation partit alors à la dérive. Les hommes tentèrent de la contrôler à la force des bras. Mais ils s'échouèrent violemment contre deux rochers émergeant. Il fallait descendre pour alléger l’embarcation mais cette fois, ils se trouvaient au beau milieu de la rivière. Un homme sauta dans l’eau et fut tout de suite emporté par le courant. Enfin, il réussit à s’agripper et sortir. C’était au tour de Lionel. Courageux, il sauta lui aussi et nagea de longues minutes avant de rejoindre enfin la berge. Finalement, Sandra, tremblante, resterait dans le bateau pendant la manœuvre. Enfin, ils réussirent à changer l’hélice, puis forcèrent le rapide avant de récupérer tout le monde.
Ils s’arrêtèrent pour le repas. Au menu, une partie des cinq kilos de riz gluant cuit, emporté dans le traditionnel pot de vannerie de bambou et les poissons tout juste pêchés. Mais deux des hommes, équipés du fusil, s'enfoncèrent dans la forêt, par le creux du dense talweg déversant ici un petit ruisseau. Vingt minutes passèrent et Bang ! Un coup de feu. Enfin, ils réapparurent traînant un jeune cerf sur leurs épaules. La bête fut immédiatement dépecée. Un feu était déjà allumé. Ils cuirent puis mangèrent les parties les plus périssables de l'animal : les abats, les tripes, le foie, cœur et poumons sur deux feuilles de bananier posées au sol qui leur servaient de table et où ils trempaient les boulettes de riz gluant dans la sauce coagulante de viande. Pour tout dire, ils se gavèrent mais les hommes avaient besoin de reprendre des forces. Une fois repu, l’un d’eux fit une prière tout en déposant sur un rocher tout proche un peu de riz, quelques morceaux de viande et trois gros bâtons d’encens. Ce rituel était destiné à ne pas fâcher les esprits de la forêt d'avoir prélevé un animal.
Derrière eux, quelques feuilles de bananiers souillées, un foyer encore fumant et le plus gros rocher du lieu dégoulinant de sang. Lionel était aux anges. C’était pour lui un voyage féerique dans cette zone totalement inhabitée et probablement même jamais parcourue par des Européens. Seuls deux murs verdoyants et emplis d’oiseaux les cernaient. Il n’y avait eu aucune trace humaine depuis plusieurs jours. Mais enfin, un premier affluent déboucha. Il était signe de vie. Sa vue provoqua une animation joyeuse. Très vite, un pêcheur sur sa pirogue se montra. Un peu plus loin, des femmes lavaient leurs linges dans l’eau de la rivière. C’était la fin du périple. Sandra priait pour la première fois, elle remerciait les esprits de la forêt de les avoir laissé en vie.
Ils arrivaient à Ban Nong. Déjà l'alerte avait été donnée : des étrangers arrivaient par la rivière. C’était la première fois qu’une telle chose se produisait. On voyait sur les regards l’admiration des villageois. De plus, ils étaient sous la protection des héros piroguiers qui avaient mené l'embarcation. Néanmoins, les villageois, après être revenus de leur surprise, se demandaient pourquoi ces étrangers étaient venus jusqu’ici ? Lionel dut alors montrer patte blanche, dire qu’ils étaient des touristes, qu’ils ne travaillaient surtout pas pour le gouvernement enfin qu’ils étaient neutre et ne s’intéressaient pas à leur plantation, ni à leur commerce. Perplexes quant à l’utilité d’un tel voyage, les villageois les entraînèrent pour manger et fêter leur arrivée. À nouveau, ce fut un festin de cerf et de poissons. Ils burent du lao lao, de l'alcool de riz et, fatigue aidant, furent vite ivres. Les deux plus jeunes piroguiers, heureux de la perspective de s'encanailler, entraînèrent Lionel avec eux. Celui-ci paya des bières afin d’aller taquiner des phou sào, des jeunes filles, les vendeuses de l'échoppe chinoise. Pour se faire, il leur paya des bonbons vietnamiens périmés. Avec son large sourire ivre, il dit à Sandra que cela marchait à tous les coups. Puis il commença de mettre la zizanie dans le village en criant aux filles se tenant plus loin, des paroles que les gamins lui dictaient à l'oreille. C’était un jeu à succès puisque tous les villageois hurlaient de rire. Sandra, assise devant le spectacle, se laissait caresser les cheveux par les plus jeunes filles. Celles-ci voulaient échanger leurs magnifiques parures contre le pauvre gilet en polyester qu’elle portait et qui sentait la vase. Enfin, à la nuit tombée, ils allèrent retrouver leur fine natte posée à même le sol.
Au petit déjeuner, du cerf ! Il fallait le terminer, il n’y avait en effet pas de congélateur ici. Sandra détesterait définitivement le goût de cet animal. Puis les piroguiers repartirent. Lionel pleurait presque lorsqu’il leur fit ses adieux. Il leur dit qu'un jour, il tâcherait de leur remettre la photo prise lorsqu’ils portaient le cerf abattu devant la rivière Nam Ou. Sandra et Lionel se quittaient aussi ce matin là. Lui continuait sa route vers le nord par des chemins inconnus et difficiles. Sandra se souvint lorsqu’il leur avait signifié avec Charlotte qu’il ne se considérait pas vraiment comme un touriste. Mais quel genre d’homme était-il ? Il avait tellement de facilité à entrer en contact avec ces populations. Il avait tellement de joie à partager avec elles, il prenait tellement de risques pour obtenir ces renseignements qu’il inscrivait à mesure sur son carnet de bord : populations, mœurs, particularités et mille autres choses encore. Sandra n’avait pas brillé d’énergie et de vaillance pendant ces quelques jours. Elle avait été trop impressionnée pour être détendue. Pourtant, Lionel était fier d’elle, l’avait vraiment appréciée et, pour lui dire adieu, il l’avait invitée à le rejoindre, un jour, dans un mystérieux village…
Pour son retour, Sandra accompagnait un petit groupe avec un cheval qui se rendait au marché de la ville où se trouvait la piste à une vingtaine de kilomètres. Le sentier était fabuleux, d'autant plus appréciable que la pluie du matin avait finalement cessé. Ils longèrent des crêtes plusieurs heures avant de descendre dans un vallon et remonter un torrent. De temps en temps, ils s'arrêtaient pour cueillir des champignons et des baies, pour laisser brouter le cheval, pour se débarrasser des sangsues, pour se rafraîchir dans les ruisseaux et pour fumer dans une pipe à eau.
Au repas, à nouveau du riz gluant mais cette fois avec des champignons crus tout juste cueillis. Ce champignon était chargé d'une sève blanche qui suintait. Sandra faisait la grimace. Les autres riaient. Puis ils grignotèrent quelques baies dont la chair était acide. Enfin, ils repartirent pour la descente définitive. Elle se présenta escarpée et glissante. La nature environnante était grandiose et intacte. Il y avait de nombreux fromagers géants reconnaissables par leurs racines envahissantes qui retombaient directement des premières branches, et formaient une voûte volumineuse. Parmi les autres types de végétation, Sandra repéra de grandioses fougères arborescentes, des bosquets de bambous géants et de ces sortes de palmiers déployant de gigantesques feuilles en formes d'éventails. Au sol, les sangsues se trouvaient à profusion. Alors que les locaux, en tongs, les repéraient facilement et pouvaient s'en débarrasser rapidement, une douzaine d'entre elles se réfugiaient régulièrement sous les sandales de Sandra et elle devait alors complètement les ôter pour les en dénicher et les arracher de leurs féroces embrassades avec la peau. Puis ça y était, au détour d'un flanc abrupt, Sandra aperçut les premières habitations et reconnut le grondement sourd des véhicules. Enfin, dans la nuit, elle parvint à Phongsaly dans une benne de camion et courut chez Charlotte qu’elle réveilla pour lui annoncer la nouvelle :
- J’ai trouvé un superbe plan pour tes touristes !
< Vos textes ont été regroupés dans un seul sujet pour des questions de catalogage.
La Modération >
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Dilo- Nombre de messages : 65
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Re: Passion dissidente
Bon, je viens de lire ton dépit d'absence de com' sur "Conversations", alors, me voici, me voila : tadaaam ! Bon c'est vrai que la longueur et le côté "pavé" de tes textes rebute un peu car, comme tu le dis, lire sur internet est plus favorable aux textes et extraits plus courts. Ceci dit, pense à aérer la présentation : l'œil fatigue et zappe si trop dense.
Je n'ai pas lu les précédents extraits : je prends le train en marche mais hélas, j'avoue que je n'ai pas tout lu.
J'ai eu le sentiment de lire un récit documentaire et la tonalité générale, bien trop didactique et "monocorde", m'a vite fait décrocher. Manque sans doute quelque chose de plus vivant, dynamique ou plus attachant. Là, on reste "sur la rive", le bateau passe, est passé, voilà. Je cherche ce qui pourrait peut-être apporter un plus : peut-être faire parler les habitants du village, rentrer dans la description d'actions en leur donnant "vie" et dynamisme (l'imparfait convient mal pour cela et je crois que le présent serait plus vivant), et alléger le descriptif "paysage" qui reste assez lourd quand même. Désolée si peu d'enthousiasme...
Je n'ai pas lu les précédents extraits : je prends le train en marche mais hélas, j'avoue que je n'ai pas tout lu.
J'ai eu le sentiment de lire un récit documentaire et la tonalité générale, bien trop didactique et "monocorde", m'a vite fait décrocher. Manque sans doute quelque chose de plus vivant, dynamique ou plus attachant. Là, on reste "sur la rive", le bateau passe, est passé, voilà. Je cherche ce qui pourrait peut-être apporter un plus : peut-être faire parler les habitants du village, rentrer dans la description d'actions en leur donnant "vie" et dynamisme (l'imparfait convient mal pour cela et je crois que le présent serait plus vivant), et alléger le descriptif "paysage" qui reste assez lourd quand même. Désolée si peu d'enthousiasme...
demi-lune- Nombre de messages : 795
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Date d'inscription : 07/11/2009
Re: Passion dissidente
Le point positif du texte, à mon avis, est qu'il pose une problématique vraiment intéressante. Ses points négatifs, en revanche, me paraissent nombreux :
- personnages souvent caricaturaux
- narration maladroite, par moments moralisatrice
- longueurs
- nombreuses erreurs de langue
Pour celles-ci, voici mes remarques :
« elle habitait en colocation (et non « collocation ») »
« finissait une histoire avec l’une d’elles (puisqu’il y a plusieurs personnes) »
« Sandra avait donc saisi (et non « saisit ») l’occasion »
« des tarés psychopathes »
« Petit boulot sur petit boulot, presque autant que de mecs et tout aussi débiles (parce qu’il y a en tout plusieurs petits boulots) »
« les pauvres filles se boufferaient entre elles »
« qu’il y en ait[b] qui profite[b]nt (pareil, y en a plusieurs qui profitent) »
« Je ferais (le conditionnel s’impose ici, non le futur) mieux de dormir »
« je suis désolée »
« c’est pas pour ça que tu appelle »
« Tu as des ennuis (et non « ennuies ») »
« Pas grand-chose »
« Ça te ferait du bien »
« Appelle-moi quand tu y es, je viendrai (et non « viendrais », le futur s’impose ici et non le conditionnel) »
« Ça fait au moins trois ans »
« Appelle si tu as quelque chose »
« - Bisou » : manque le point en fin de phrase
« notamment de sa grand-mère. »
« elle se rendait de bonne heure »
« Va à la gare et prends un train »
« Ça va bien se passer »
« Et Sandra dans un demi-sourire » : manque un signe de ponctuation (« : », typiquement) pour introduire la suite du dialogue
« Au-dessus, »
« leurs premières amours »
« ce fauteuil griffé par le chat »
« le trou de la VMC noirci (noircie ? C’est la VMC ou le trou qui est noirci(e) ?) au plafond »
« Elle alla jeter (essayez de remplacer par un autre verbe : « elle alla vendre des moules » ; la forme à employer opur le verbe est donc l’infinitif) un œil »
« quand elle avait un (et non « une ») coup de blues »
« jeta quelques affaires dans son sac et partit »
« Sandra pouvait sentir toute l’angoisse de sa vie se détacher (même principe, remplacez par un autre verbe ; « Sandra pouvait sentir l’angoisse la mordre » ; la forme à employer est donc l’infinitif) et flotter (et ici aussi) devant ses yeux »
« A pied (et non « A pieds »), elles traversèrent »
« elle la (et non « l’a ») trouvait belle »
« Elles n’avaient plus grand-chose en commun »
« tant cela l’avait marquée (cela avait marqué qui ? « l’ », mis pour Charlotte, situé avant le verbe ; le participe passé conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet s’il est placé avant le verbe) »
« Qu’est-ce qu’il fait »
« Ça doit être dur »
« que révèle l’hindouisme »
« En Asie du sud-est »
« en Asie du sud-est »
« Ça m’a beaucoup aidée (ça a aidé une femme, le participe passé s’acorde avec le complément d’objet direct placé avant le verbe) »
« tes divagations philosophiques, garde-les pour une autre fois »
« Qu’est-ce que je vais faire »
« ce vert de (des ?) montagnes est si apaisant »
« Elle était positive ainsi que Charlotte l’avait toujours connue (le participe passé conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet direct du verbe s’il est placé avant le verbe, ce qui est le cas ici) »
« Il était trop tard ce soir-là »
« Vers dix-huit heures »
« à dix-neuf heures »
« elle se ravisa (et non « ravisât » qui est la forme du subjonctif imparfait) »
« changée comme je ne l’avais pas vue (le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet direct si celui-ci est placé avant le verbe, ce qui est le cas ici) depuis longtemps »
« Mais assieds-toi »
« Jamais en France, (pourquoi une virgule ici ?) elle n’avait pris de taxi »
« Après avoir dégusté (et non « dégustée ») son premier repas thaï »
« une connaissance avait daigné penser à elle »
« Viens me chercher, je t’en prie, faite que (? Je ne comprends pas cette formulation ; voulez-vous dire « pourvu que » ?) tu reçoives ce message »
« Ça va, les vacances »
« pour s’agripper à son cou (et non « coup ») »
« Ça fait trois jours »
« Ça n’a pas été difficile »
« J’ai trop l’air d’une conne »
« obligée de m’exprimer en mime »
« Pourquoi tu es partie (et non « parties ») »
« Est-ce que tu as enfin donné (essayez de remplacer par un autre verbe : « Est-ce que tu as vendu ton bateau ? » ; la forme à employer est donc le participe passé) des nouvelles »
« Et ça ne te (et non « te ne ») fait rien »
« Charlotte n’avait rien à ajouter (essayez de changer de verbe : « Charlotte n’avait rien à vendre » ; la forme à employer est donc l’infinitif du verbe) »
« son amie qui trouvait exaltants (ce sont les paysages qui sont exaltants) tous ces paysages »
« les petits bonhommes orange (et non « oranges » ; quand on utilise un nom commun comme qualificatif de couleur, on le laisse invariable, sauf pour rose, fauve, écarlate, mauve, indogo, pourpre… mais pas orange) »
« des boîtes de raviolis »
« ils étaient bien (et non « biens ») conscients »
« Sandra avait été écœurée »
« elle ne vit plus l’écolodge du même œil et voulut s’expliquer avec Julia »
« Il gardait vivants (ce sont les serpents et les araignées qui sont vivants) les serpents et les araignées »
« Un hôtel vantant l’écologie »
« Charlotte les ayant déjà vus (le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet direct, ici « les », mis pour les temples, si celui-ci est placé avant le verbe, ce qui est le cas ici) »
« Très peu de d’habitations »
« des nids de poule dans lesquels (et non « lesquelles », c’est un nid-de-poule) »
« le débit des eaux, voire les rapides »
« C’est par là (sans trait d’union) qu’il faut se rendre »
« A pied (et non « A pieds »), dit-il. »
« Eh bien nous non plus »
« sa soupe à la coriandre à la petite dame »
« Je hais le tourisme et les touristes, je hais votre développement, je hais vos méthodes »
« Charlotte resta abasourdie »
« Un minimum de tourisme peut être (sans trait d’union ici, ce n’est pas « peut-être » dans le sens de « peut-être que oui, peut-être que non ») profitable »
« à moins de deux cents kilomètres »
« Il n’y a pas besoin d’être un génie »
« jusqu’à ce qu’elle ne le vît (ou « voie », mais en tout cas in faut un subjonctif, imparfait ou présent, pas un passé simple) plus »
« Le rêve occidental est déjà là, sois-en sûre »
« Au moins, j’aurai essayé (et non « j’aurais essayé », c’est le futur antérieur qui s’impose ici et non le conditionnel passé) »
« Sandra commanda une soupe car elle mourait (et non « mourrait » qui est la forme du conditionnel) de faim »
« c’était le jeune Français coléreux »
« quatre-vingt-dix-huit pour cent »
« J’ai appris très récemment qu’au moins deux villages de populations Hmong, (pourquoi une virgule ici ?) s'y trouveraient »
« J’arriverai (pour la concordance des temps, le futur s’impose ici et non le conditionnel « J’arriverais » : « Si tu viens, il sera content ») à la faire changer d’avis si tu me laisses découvrir par moi-même ces contrées »
« L’altitude des monts entourant Phongsaly ne dépasse (et non « dépassent », c’est l’altitude qui ne dépasse pas deux mille mètres) pas deux mille mètres »
« Le chef du village les avait invités (le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet direct du verbe quand celui-ci est placé avant le verbe, ce qui est le cas ici) »
« Sandra et Lionel sautaient de rocher en rocher (et non « de rochers en rochers », ils sautent chacun d’un rocher à la fois sur un autre) »
« il y avait eu réels dangers (je pense que « réel danger » serait plus correct) de mort »
« Lionel regrettait de les avoir tous embarqués (le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet direct, ici « les », si celui-ci est placé avant le verbe, ce qui est le cas ici) »
« Elle repensait aux touristes croisés auparavant qui lui avaient raconté (et non « racontés ») avec passion leurs aventures »
« sortie in extremis une seconde »
« de part et d'autre (et non « d’autres ») de la rivière »
« elle remerciait les esprits de la forêt de les avoir laissés (le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet si celui-ci est placé avant le verbe, ce qui est le cas ici) en vie »
« Sandra et Lionel se quittaient aussi ce matin-là »
- personnages souvent caricaturaux
- narration maladroite, par moments moralisatrice
- longueurs
- nombreuses erreurs de langue
Pour celles-ci, voici mes remarques :
« elle habitait en colocation (et non « collocation ») »
« finissait une histoire avec l’une d’elles (puisqu’il y a plusieurs personnes) »
« Sandra avait donc saisi (et non « saisit ») l’occasion »
« des tarés psychopathes »
« Petit boulot sur petit boulot, presque autant que de mecs et tout aussi débiles (parce qu’il y a en tout plusieurs petits boulots) »
« les pauvres filles se boufferaient entre elles »
« qu’il y en ait[b] qui profite[b]nt (pareil, y en a plusieurs qui profitent) »
« Je ferais (le conditionnel s’impose ici, non le futur) mieux de dormir »
« je suis désolée »
« c’est pas pour ça que tu appelle »
« Tu as des ennuis (et non « ennuies ») »
« Pas grand-chose »
« Ça te ferait du bien »
« Appelle-moi quand tu y es, je viendrai (et non « viendrais », le futur s’impose ici et non le conditionnel) »
« Ça fait au moins trois ans »
« Appelle si tu as quelque chose »
« - Bisou » : manque le point en fin de phrase
« notamment de sa grand-mère. »
« elle se rendait de bonne heure »
« Va à la gare et prends un train »
« Ça va bien se passer »
« Et Sandra dans un demi-sourire » : manque un signe de ponctuation (« : », typiquement) pour introduire la suite du dialogue
« Au-dessus, »
« leurs premières amours »
« ce fauteuil griffé par le chat »
« le trou de la VMC noirci (noircie ? C’est la VMC ou le trou qui est noirci(e) ?) au plafond »
« Elle alla jeter (essayez de remplacer par un autre verbe : « elle alla vendre des moules » ; la forme à employer opur le verbe est donc l’infinitif) un œil »
« quand elle avait un (et non « une ») coup de blues »
« jeta quelques affaires dans son sac et partit »
« Sandra pouvait sentir toute l’angoisse de sa vie se détacher (même principe, remplacez par un autre verbe ; « Sandra pouvait sentir l’angoisse la mordre » ; la forme à employer est donc l’infinitif) et flotter (et ici aussi) devant ses yeux »
« A pied (et non « A pieds »), elles traversèrent »
« elle la (et non « l’a ») trouvait belle »
« Elles n’avaient plus grand-chose en commun »
« tant cela l’avait marquée (cela avait marqué qui ? « l’ », mis pour Charlotte, situé avant le verbe ; le participe passé conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet s’il est placé avant le verbe) »
« Qu’est-ce qu’il fait »
« Ça doit être dur »
« que révèle l’hindouisme »
« En Asie du sud-est »
« en Asie du sud-est »
« Ça m’a beaucoup aidée (ça a aidé une femme, le participe passé s’acorde avec le complément d’objet direct placé avant le verbe) »
« tes divagations philosophiques, garde-les pour une autre fois »
« Qu’est-ce que je vais faire »
« ce vert de (des ?) montagnes est si apaisant »
« Elle était positive ainsi que Charlotte l’avait toujours connue (le participe passé conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet direct du verbe s’il est placé avant le verbe, ce qui est le cas ici) »
« Il était trop tard ce soir-là »
« Vers dix-huit heures »
« à dix-neuf heures »
« elle se ravisa (et non « ravisât » qui est la forme du subjonctif imparfait) »
« changée comme je ne l’avais pas vue (le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet direct si celui-ci est placé avant le verbe, ce qui est le cas ici) depuis longtemps »
« Mais assieds-toi »
« Jamais en France, (pourquoi une virgule ici ?) elle n’avait pris de taxi »
« Après avoir dégusté (et non « dégustée ») son premier repas thaï »
« une connaissance avait daigné penser à elle »
« Viens me chercher, je t’en prie, faite que (? Je ne comprends pas cette formulation ; voulez-vous dire « pourvu que » ?) tu reçoives ce message »
« Ça va, les vacances »
« pour s’agripper à son cou (et non « coup ») »
« Ça fait trois jours »
« Ça n’a pas été difficile »
« J’ai trop l’air d’une conne »
« obligée de m’exprimer en mime »
« Pourquoi tu es partie (et non « parties ») »
« Est-ce que tu as enfin donné (essayez de remplacer par un autre verbe : « Est-ce que tu as vendu ton bateau ? » ; la forme à employer est donc le participe passé) des nouvelles »
« Et ça ne te (et non « te ne ») fait rien »
« Charlotte n’avait rien à ajouter (essayez de changer de verbe : « Charlotte n’avait rien à vendre » ; la forme à employer est donc l’infinitif du verbe) »
« son amie qui trouvait exaltants (ce sont les paysages qui sont exaltants) tous ces paysages »
« les petits bonhommes orange (et non « oranges » ; quand on utilise un nom commun comme qualificatif de couleur, on le laisse invariable, sauf pour rose, fauve, écarlate, mauve, indogo, pourpre… mais pas orange) »
« des boîtes de raviolis »
« ils étaient bien (et non « biens ») conscients »
« Sandra avait été écœurée »
« elle ne vit plus l’écolodge du même œil et voulut s’expliquer avec Julia »
« Il gardait vivants (ce sont les serpents et les araignées qui sont vivants) les serpents et les araignées »
« Un hôtel vantant l’écologie »
« Charlotte les ayant déjà vus (le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet direct, ici « les », mis pour les temples, si celui-ci est placé avant le verbe, ce qui est le cas ici) »
« Très peu de d’habitations »
« des nids de poule dans lesquels (et non « lesquelles », c’est un nid-de-poule) »
« le débit des eaux, voire les rapides »
« C’est par là (sans trait d’union) qu’il faut se rendre »
« A pied (et non « A pieds »), dit-il. »
« Eh bien nous non plus »
« sa soupe à la coriandre à la petite dame »
« Je hais le tourisme et les touristes, je hais votre développement, je hais vos méthodes »
« Charlotte resta abasourdie »
« Un minimum de tourisme peut être (sans trait d’union ici, ce n’est pas « peut-être » dans le sens de « peut-être que oui, peut-être que non ») profitable »
« à moins de deux cents kilomètres »
« Il n’y a pas besoin d’être un génie »
« jusqu’à ce qu’elle ne le vît (ou « voie », mais en tout cas in faut un subjonctif, imparfait ou présent, pas un passé simple) plus »
« Le rêve occidental est déjà là, sois-en sûre »
« Au moins, j’aurai essayé (et non « j’aurais essayé », c’est le futur antérieur qui s’impose ici et non le conditionnel passé) »
« Sandra commanda une soupe car elle mourait (et non « mourrait » qui est la forme du conditionnel) de faim »
« c’était le jeune Français coléreux »
« quatre-vingt-dix-huit pour cent »
« J’ai appris très récemment qu’au moins deux villages de populations Hmong, (pourquoi une virgule ici ?) s'y trouveraient »
« J’arriverai (pour la concordance des temps, le futur s’impose ici et non le conditionnel « J’arriverais » : « Si tu viens, il sera content ») à la faire changer d’avis si tu me laisses découvrir par moi-même ces contrées »
« L’altitude des monts entourant Phongsaly ne dépasse (et non « dépassent », c’est l’altitude qui ne dépasse pas deux mille mètres) pas deux mille mètres »
« Le chef du village les avait invités (le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet direct du verbe quand celui-ci est placé avant le verbe, ce qui est le cas ici) »
« Sandra et Lionel sautaient de rocher en rocher (et non « de rochers en rochers », ils sautent chacun d’un rocher à la fois sur un autre) »
« il y avait eu réels dangers (je pense que « réel danger » serait plus correct) de mort »
« Lionel regrettait de les avoir tous embarqués (le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet direct, ici « les », si celui-ci est placé avant le verbe, ce qui est le cas ici) »
« Elle repensait aux touristes croisés auparavant qui lui avaient raconté (et non « racontés ») avec passion leurs aventures »
« sortie in extremis une seconde »
« de part et d'autre (et non « d’autres ») de la rivière »
« elle remerciait les esprits de la forêt de les avoir laissés (le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet si celui-ci est placé avant le verbe, ce qui est le cas ici) en vie »
« Sandra et Lionel se quittaient aussi ce matin-là »
Invité- Invité
Re: Passion dissidente
L’association Phong Khok Na Ko où travaillait toujours Charlotte venait de commémorer son école. Elle avait été construite dans une zone stratégique au carrefour de plusieurs villages et regrouperait ainsi plus de cent vingt élèves dans trois classes. Évidement, aucun professeur d’état n’acceptait de venir prodiguer ses cours dans cette extrémité du pays. On fit appel à d’anciens militaires revenus, à la retraite, dans leur région d’origine et qui avaient le mérite de savoir lire et écrire dans la langue officielle.
Cependant ce problème majeur, la formation des instituteurs, n’était que la partie visible de l’iceberg. Le plus difficile avait été de faire accepter aux parents d’envoyer leurs enfants à l’école alors qu’ils n’en voyaient pas toujours l’intérêt et surtout de regrouper des enfants de plusieurs ethnies différentes qui ne le souhaitaient pas volontiers. L’association et les autorités n’avaient trouvé qu’un moyen : distribuer de l’argent aux familles ! Mais pour combien de temps ? Sans doute, tant que l’association étrangère serait là pour payer.
Après cinq semaines de travail, Charlotte avait regroupé suffisamment d’informations et de photos pour présenter des projets. Déjà, des agences de voyage étudiaient la possibilité d’investir dans la région. L’état, avec l’aide d’investissements privés, avait également fait construire un hôtel correct et plusieurs particuliers possédaient des logements à louer aux touristes.
Sandra, revenue de sa conquête, ne pouvait s’empêcher de comparer les arguments de Lionel et l’aventure qu’ils avaient partagée, aux propos de Charlotte et des organisations humanitaires.
Finalement, le développement prenait forme assurément. Sans doute, un jour, les autorités locales auraient les moyens de financer elles-mêmes ces écoles avec l’argent du tourisme notamment.
Lionel se trompait particulièrement sur un point : l’opium qui permettait une certaine indépendance, n’apporterait jamais aucune évolution. Ce qui était certain, aucune région du monde n’était à l’abri du changement. Positif ou négatif, qui pouvait répondre à cela ? Les deux sans doute. La science occidentale, l’éducation, le progrès médical, les outils qui amélioraient et facilitaient l’agriculture, tout ceci n’arrivait pas sans leurs congénères : arrogance de l’argent, individualisme et uniformité pour ne citer qu’eux…
- Tu ne veux pas parler de choses moins sérieuses, Sandra ? demanda Julien, un des jeunes architectes qui avait dessiné et construit l’école de l’association.
- Comme quoi ?
- Je ne sais pas, on pourrait faire l’amour, ça nous détendrait !
- Tu n’es pas maqué Julien ? Tu m’as pourtant bien parlé d’une certaine Aurélie, non ?
- Oui, mais je ne sais pas ce qu’elle fait, elle, et puis, je viens de terminer un livre très intéressant qui prétend que la réussite de la vie moderne dépendait exclusivement de sensations de liberté et de mouvements…
- La liberté de mouvement tu veux dire, en opposition à l’immobilité forcée par exemple à ceux qui sont bloqués aux frontières. J’ai lu ça, je crois, un certain Bauman. Mais je n’adhère pas forcément à cette thèse. Pour moi la félicité est dans l’amitié, la fidélité, la confiance, et peut être aussi la famille. Excuse-moi de n’être pas moderne…
- Oui, conservatrice même, tu ne voterais pas à droite ?
- Je n’ai jamais voté… Tous ces guignols ! Dorénavant les décisions comme les institutions politiques devraient être mondiales, l’économie l’est, c’est elle qui dirige et les états obéissent.
- Tu recommences à parler sérieusement. Ton petit air formel n’a rien pour me déplaire. Mais tu te prends trop au sérieux.. Le monde est tel qu’il est, tu n’y changeras rien.
- Tu as raison Julien, faisons l’amour.
- Non, tu rigoles !
- Oui ! Je rigole. Je ne vote pas à droite, je n’aime pas consommer, encore moins l’amour, désolée.
- Tu n’es vraiment pas drôle ! Si tu veux parler sérieusement, pourquoi restes-tu là à ne rien faire, pourquoi ne participes-tu pas à l’association avec Charlotte, pourquoi tu ne fais pas de l’humanitaire !
- C’est ça que tu appelles changer le monde ? L’humanitaire, pour moi, c’est mettre des pansements sur des blessures pour que les pauvres puissent continuer de crever à petit feu et à être exploités. Votre développement, c’est de la poudre aux yeux ; conjuguer tant de passions, de force et d’argent pour construire une école sans instituteur alors qu’il en faudrait des milliers, c’est navrant.
- Tu racontes n’importe quoi ! Tous ces gens qui se battent pour sauver et aider les autres, c’est la plus belle démonstration d’humanité, c’est déjà ce qui fait la différence.
- Tu parles, vous vous sauvez vous-même, vous sauvez votre conscience.
- Non Sandra, il n’y a pas que ça, tu te trompes ! dit sérieusement Julien
- Bien sûr Julien, je voulais juste te faire réagir et puis t’enlever l’envie de faire l’amour, je crois que j’ai réussi, n’est-ce pas ? Il n’empêche, même si toute cette aide est nécessaire, le monde ne s’arrange pas, on va continuer d’embaucher dans l’humanitaire. Si je participais à une organisation, elle aurait pour but de renverser la situation, changer le cap de cette mondialisation pour la mettre au service des populations et non pas de ceux qui sont déjà riches.
- Le discours conventionnel, émotif, défendre les persécutés, quelle belle cause. Tu me fais penser à un ami, Charles, il y a quelques années, on avait eu cette discussion comme avec toi, il était très sérieux et un jour il m’a confié sa participation à une sorte de réseau.
- Tu crois que je pourrais le rencontrer ?
- Si tu vas à Kuala Lumpur, il y sera peut-être encore, il s’appelle Charles Ritz et habitait à l’époque en centre ville. Je dois avoir l’adresse quelque part. Mais il va te falloir payer…
Cependant ce problème majeur, la formation des instituteurs, n’était que la partie visible de l’iceberg. Le plus difficile avait été de faire accepter aux parents d’envoyer leurs enfants à l’école alors qu’ils n’en voyaient pas toujours l’intérêt et surtout de regrouper des enfants de plusieurs ethnies différentes qui ne le souhaitaient pas volontiers. L’association et les autorités n’avaient trouvé qu’un moyen : distribuer de l’argent aux familles ! Mais pour combien de temps ? Sans doute, tant que l’association étrangère serait là pour payer.
Après cinq semaines de travail, Charlotte avait regroupé suffisamment d’informations et de photos pour présenter des projets. Déjà, des agences de voyage étudiaient la possibilité d’investir dans la région. L’état, avec l’aide d’investissements privés, avait également fait construire un hôtel correct et plusieurs particuliers possédaient des logements à louer aux touristes.
Sandra, revenue de sa conquête, ne pouvait s’empêcher de comparer les arguments de Lionel et l’aventure qu’ils avaient partagée, aux propos de Charlotte et des organisations humanitaires.
Finalement, le développement prenait forme assurément. Sans doute, un jour, les autorités locales auraient les moyens de financer elles-mêmes ces écoles avec l’argent du tourisme notamment.
Lionel se trompait particulièrement sur un point : l’opium qui permettait une certaine indépendance, n’apporterait jamais aucune évolution. Ce qui était certain, aucune région du monde n’était à l’abri du changement. Positif ou négatif, qui pouvait répondre à cela ? Les deux sans doute. La science occidentale, l’éducation, le progrès médical, les outils qui amélioraient et facilitaient l’agriculture, tout ceci n’arrivait pas sans leurs congénères : arrogance de l’argent, individualisme et uniformité pour ne citer qu’eux…
- Tu ne veux pas parler de choses moins sérieuses, Sandra ? demanda Julien, un des jeunes architectes qui avait dessiné et construit l’école de l’association.
- Comme quoi ?
- Je ne sais pas, on pourrait faire l’amour, ça nous détendrait !
- Tu n’es pas maqué Julien ? Tu m’as pourtant bien parlé d’une certaine Aurélie, non ?
- Oui, mais je ne sais pas ce qu’elle fait, elle, et puis, je viens de terminer un livre très intéressant qui prétend que la réussite de la vie moderne dépendait exclusivement de sensations de liberté et de mouvements…
- La liberté de mouvement tu veux dire, en opposition à l’immobilité forcée par exemple à ceux qui sont bloqués aux frontières. J’ai lu ça, je crois, un certain Bauman. Mais je n’adhère pas forcément à cette thèse. Pour moi la félicité est dans l’amitié, la fidélité, la confiance, et peut être aussi la famille. Excuse-moi de n’être pas moderne…
- Oui, conservatrice même, tu ne voterais pas à droite ?
- Je n’ai jamais voté… Tous ces guignols ! Dorénavant les décisions comme les institutions politiques devraient être mondiales, l’économie l’est, c’est elle qui dirige et les états obéissent.
- Tu recommences à parler sérieusement. Ton petit air formel n’a rien pour me déplaire. Mais tu te prends trop au sérieux.. Le monde est tel qu’il est, tu n’y changeras rien.
- Tu as raison Julien, faisons l’amour.
- Non, tu rigoles !
- Oui ! Je rigole. Je ne vote pas à droite, je n’aime pas consommer, encore moins l’amour, désolée.
- Tu n’es vraiment pas drôle ! Si tu veux parler sérieusement, pourquoi restes-tu là à ne rien faire, pourquoi ne participes-tu pas à l’association avec Charlotte, pourquoi tu ne fais pas de l’humanitaire !
- C’est ça que tu appelles changer le monde ? L’humanitaire, pour moi, c’est mettre des pansements sur des blessures pour que les pauvres puissent continuer de crever à petit feu et à être exploités. Votre développement, c’est de la poudre aux yeux ; conjuguer tant de passions, de force et d’argent pour construire une école sans instituteur alors qu’il en faudrait des milliers, c’est navrant.
- Tu racontes n’importe quoi ! Tous ces gens qui se battent pour sauver et aider les autres, c’est la plus belle démonstration d’humanité, c’est déjà ce qui fait la différence.
- Tu parles, vous vous sauvez vous-même, vous sauvez votre conscience.
- Non Sandra, il n’y a pas que ça, tu te trompes ! dit sérieusement Julien
- Bien sûr Julien, je voulais juste te faire réagir et puis t’enlever l’envie de faire l’amour, je crois que j’ai réussi, n’est-ce pas ? Il n’empêche, même si toute cette aide est nécessaire, le monde ne s’arrange pas, on va continuer d’embaucher dans l’humanitaire. Si je participais à une organisation, elle aurait pour but de renverser la situation, changer le cap de cette mondialisation pour la mettre au service des populations et non pas de ceux qui sont déjà riches.
- Le discours conventionnel, émotif, défendre les persécutés, quelle belle cause. Tu me fais penser à un ami, Charles, il y a quelques années, on avait eu cette discussion comme avec toi, il était très sérieux et un jour il m’a confié sa participation à une sorte de réseau.
- Tu crois que je pourrais le rencontrer ?
- Si tu vas à Kuala Lumpur, il y sera peut-être encore, il s’appelle Charles Ritz et habitait à l’époque en centre ville. Je dois avoir l’adresse quelque part. Mais il va te falloir payer…
Dilo- Nombre de messages : 65
Age : 46
Date d'inscription : 08/02/2010
Re: Passion dissidente
J'aime toujours la problématique que vous posez, peut-être de manière un peu brutale (comme dans un essai et non une fiction, je trouve), et je vous félicite pour les progrès en orthographe !
Deux petites remarques :
« l’opium qui permettait une certaine indépendance, (je ne suis pas sûre de l’utilité de la virgule ici, je trouve qu’elle brise la phrase) n’apporterait jamais aucune évolution »
« vous vous sauvez vous-mêmes »
Deux petites remarques :
« l’opium qui permettait une certaine indépendance, (je ne suis pas sûre de l’utilité de la virgule ici, je trouve qu’elle brise la phrase) n’apporterait jamais aucune évolution »
« vous vous sauvez vous-mêmes »
Invité- Invité
Re: Passion dissidente
Dilo, j'ai imprimé les... 24 pages (ouaips)... que je lirai ce soir
Reginelle- Nombre de messages : 1753
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Localisation : au fil de l'eau
Date d'inscription : 07/03/2008
Re: Passion dissidente
Bon...
trois premières pages. (mais j'ai survolé le tout pour avoir une idée d'ensemble)
Je ne peux pas (et ne veux pas) dire si le sujet (pour ce que j'en ai compris jusqu'ici) est bon ou mauvais. Du moment qu'il te tient visiblement à coeur, il n'y a pas de raison de ne pas aller au bout.
Les fautes d'orthographe, vrai que c'est pénible. Mais bon, j'en vois même dans des bouquins édités par de "grandes" maisons... N'empêche que, faire l'effort de s'améliorer c'est bien aussi pour soi.
^Pour la forme, à mon avis (qui vaut ce qu'il vaut) il y a du travail à faire dessus pour que "ça coule mieux". Des précisions inutiles aussi, qui alourdissent ou distraient de l'essentiel.
"elle sirotait un thé avec sa clope et sa télécommande" : dans cette tournure, (et il faudrait voir si d'autres le sentent aussi) on dirait qu'elle sirote son thé "à l'aide" de sa cigarette et de sa télécommande.
Pourquoi ne pas dire tout simplement, elle sirotait un thé tout en fumant une clope... ou le contraire, elle fumait une clope, tout en sirotant un thé.
Et la télécommande, on se demande ce qu'elle vient faire là. Il n'est dit nulle part qu'elle regarde aussi la télé.
des flics et des tarés psychopathes... les psychopates ne sont-ils pas considérés comme tarés ? des flics et des psychopathes ne suffirait-il pas ?
ce que je veux dire, c'est que le plus gros travail maintenant c'est de voir comment "simplifier" les phrases pour qu'elles rendent au mieux, au plus fort, au plus juste les idées qu'on veut transmettre.
Voilà pour le moment.
à lire ce que tu en penses, toi
trois premières pages. (mais j'ai survolé le tout pour avoir une idée d'ensemble)
Je ne peux pas (et ne veux pas) dire si le sujet (pour ce que j'en ai compris jusqu'ici) est bon ou mauvais. Du moment qu'il te tient visiblement à coeur, il n'y a pas de raison de ne pas aller au bout.
Les fautes d'orthographe, vrai que c'est pénible. Mais bon, j'en vois même dans des bouquins édités par de "grandes" maisons... N'empêche que, faire l'effort de s'améliorer c'est bien aussi pour soi.
^Pour la forme, à mon avis (qui vaut ce qu'il vaut) il y a du travail à faire dessus pour que "ça coule mieux". Des précisions inutiles aussi, qui alourdissent ou distraient de l'essentiel.
"elle sirotait un thé avec sa clope et sa télécommande" : dans cette tournure, (et il faudrait voir si d'autres le sentent aussi) on dirait qu'elle sirote son thé "à l'aide" de sa cigarette et de sa télécommande.
Pourquoi ne pas dire tout simplement, elle sirotait un thé tout en fumant une clope... ou le contraire, elle fumait une clope, tout en sirotant un thé.
Et la télécommande, on se demande ce qu'elle vient faire là. Il n'est dit nulle part qu'elle regarde aussi la télé.
des flics et des tarés psychopathes... les psychopates ne sont-ils pas considérés comme tarés ? des flics et des psychopathes ne suffirait-il pas ?
ce que je veux dire, c'est que le plus gros travail maintenant c'est de voir comment "simplifier" les phrases pour qu'elles rendent au mieux, au plus fort, au plus juste les idées qu'on veut transmettre.
Voilà pour le moment.
à lire ce que tu en penses, toi
Reginelle- Nombre de messages : 1753
Age : 74
Localisation : au fil de l'eau
Date d'inscription : 07/03/2008
Re: Passion dissidente
Sandra avait réussi à convaincre Charlotte, à la fin de sa mission, de l’accompagner sur le chemin du village dont Lionel avait parlé. Elle n’osait pas réaliser cette aventure seule. Pourtant, un désir était né en elle de revoir cet homme avec qui elle avait partagé des moments inoubliables. Une complicité s’était créée entre eux sans jamais la moindre allusion au sexe. Voilà bien ce qu’elle aimait. Et c’était sans doute pour cela, alors que sur le moment elle n’y avait pas pensé, qu’elle revoyait aujourd’hui leur baignade dans le torrent cette fois où, un peu à l’écart des autres, ils s’étaient mis nus et s’étaient parfois frôlés en nageant, avec tant de gêne, que ces images prenaient aujourd’hui un sens érotique. Sandra ne confia pas ces détails à Charlotte mais celle-ci ne se gênait pas de le lui faire entendre :
- Le loup est dans la bergerie, n’est ce pas Sandra, se moquait-elle ?
Enfin, Charlotte accepta. Elle n’avait d’ailleurs rien d’urgent à faire. Aucune obligation immédiate si ce n’était certaines connaissances à visiter. La curiosité la poussait aussi autant que la jalousie de voir son amie s’énamourer alors que son homme à elle ne donnait plus aucune nouvelle. Enfin, si Lionel pouvait remplacer Alban dans le cœur de Sandra, Charlotte s’en réjouissait pour elle.
Lionel avait donné quelques informations vagues concernant le village comme s’il n’y avait jamais été lui-même : des noms de lieu, de rivières et la zone approximative où il devait se trouver. Aucun transport en commun n’y parvenait. Elles devaient payer cher un transport privé ou louer un véhicule pour s’y rendre. Finalement un scooter ferait l’affaire. Elles se procurèrent des bidons d’eau et d’essence, une chambre à air de rechange et quelques outils.
- Tu as bien changé Sandra depuis les Pyrénées, lui fit remarquer Charlotte en lui rappelant ses petites bras blancs et ses yeux si tristes. Aujourd’hui, bronzée, souriante, tu respires la santé et la vie, et je trouve que tu pousses la témérité un peu loin à mon goût. Je ne sais pas ce que t’a fait ce mec mais quand je te vois t’activer ainsi pour te perdre dans la jungle, je me dis qu’il ne t’aurai pas fait jouir comme un grizzli, tu ne courais pas ainsi après lui.
- C’est ça, rétorqua Sandra, en attendant, au lieu de me regarder en racontant des conneries, prends la ficelle là et aide-moi plutôt à attacher ce bidon !
La piste était lamentable et poussiéreuse, elle quittait la ville de Pa Boun et contournait le lac de Nam Ggum avant de disparaître dans la jungle. Ce lac aux mille îles dont certaines avaient servi de camp de redressement pendant les différentes dictatures, comme le leur avaient appris les femmes des villages de pêcheurs lorsqu’elles s’arrêtèrent manger et boire l’inévitable alcool de riz capable de vous rendre aveugle. Elles leur avaient même assurées, peut-être pour leur faire peur, entendre encore l’écho des suppliciés se répercuter dans la nuit !
Plus loin, la piste était coupée, interrompue par une rivière dont le pont avait cédé. Un autre en bois avait été construit succinctement à quelques kilomètres en amont. Premier détour. Ensuite, ce fut les arbres abattus qui parfois nécessitaient de descendre dans les fossés pour les contourner et de s’empêtrer dans les hautes herbes. Heureusement, ce petit verre de laolao leur donnait le courage de pousser le scooter mais surtout il les avait soûlées. Charlotte avait un large sourire et Sandra chantait à tue-tête.
Bientôt, la piste devint rouge et la végétation dense et impénétrable. Elle montait, descendait, zigzaguait et quelques fois disparaissait ou se terminait au milieu d’un champ. Les filles faisaient alors demi-tour pour repérer l’intersection manquée ou éventuellement, elles demandaient leur route à des enfants pataugeant avec leurs bœufs dans la boue des rizières.
- Ban pak nok tak, prononçaient-t-elles aux enfants avec des signes de la main.
- Non, par là Bak Pak Nok, répondaient-ils en leur indiquaient un nouvelle direction.
Le rouge de la piste s’enfonçait à nouveau dans le vert de la végétation. Bientôt le vert remplit tout l’espace, le ciel avait disparu, la voûte s’était refermée. Les insectes criaient. Il n’y avait que des arbres et puis ce petit chemin, étroit, long, très long, infini. Mais soudain, la vue s’élargit brutalement, la soleil éblouit alors, elles entendirent le vrombissement de l’eau. Une cascade se mêlait au ciel.
Pour traverser cette nouvelle rivière, elles descendirent en aval et trouvèrent un gué. Dans l’eau jusqu’aux genoux, Charlotte se demandait s’il ne pouvait pas se trouver, dans ces rivières, quelques caïmans.
- On aurait du prendre un peu de laolao pour la route, pensa-t-elle tout haut…
- Charlotte, tu as une bonne assurance voyage ? lui demanda Sandra qui décidément ne se passait plus de Lionel jusque dans ses expressions.
- Oui, bien sûre, j’en ai une, répondit Charlotte mais jamais personne ne viendra nous chercher ici !
Le scooter était japonais, un bon modèle d’après ce que leur avait assuré le loueur. Sans doute n’avait-il pas menti car il ne tomba pas en panne. Qu’en aurait-il été autrement ? Dormir dans la jungle ? Trouver à se faire héberger dans les villages invisibles de la forêt sans parler la langue ? Pourquoi pas, pensait Sandra qui regrettait presque que ce ne fut pas arrivé quand on leur affirma qu’elle parviendraient bientôt à ce qu’elles cherchaient.
Et ce fut le cas. Pourtant les gens ne savaient pas même où elles se rendaient mais apparemment, ils s’en doutaient car ils continuaient de les diriger assurément. Où pouvait-elles se rendre d’autre ? Et après encore une ou deux mauvaises pistes, une rivière traversée en pirogue avec des pêcheurs, elles passèrent une grande porte sculptée en bois représentant des divinités bouddhistes ou hindoues. La piste s’élargissait ensuite entre deux rangées rouges d’eucalyptus en fleurs. Elles étaient arrivées dans la ville cachée de Lolcity.
- Le loup est dans la bergerie, n’est ce pas Sandra, se moquait-elle ?
Enfin, Charlotte accepta. Elle n’avait d’ailleurs rien d’urgent à faire. Aucune obligation immédiate si ce n’était certaines connaissances à visiter. La curiosité la poussait aussi autant que la jalousie de voir son amie s’énamourer alors que son homme à elle ne donnait plus aucune nouvelle. Enfin, si Lionel pouvait remplacer Alban dans le cœur de Sandra, Charlotte s’en réjouissait pour elle.
Lionel avait donné quelques informations vagues concernant le village comme s’il n’y avait jamais été lui-même : des noms de lieu, de rivières et la zone approximative où il devait se trouver. Aucun transport en commun n’y parvenait. Elles devaient payer cher un transport privé ou louer un véhicule pour s’y rendre. Finalement un scooter ferait l’affaire. Elles se procurèrent des bidons d’eau et d’essence, une chambre à air de rechange et quelques outils.
- Tu as bien changé Sandra depuis les Pyrénées, lui fit remarquer Charlotte en lui rappelant ses petites bras blancs et ses yeux si tristes. Aujourd’hui, bronzée, souriante, tu respires la santé et la vie, et je trouve que tu pousses la témérité un peu loin à mon goût. Je ne sais pas ce que t’a fait ce mec mais quand je te vois t’activer ainsi pour te perdre dans la jungle, je me dis qu’il ne t’aurai pas fait jouir comme un grizzli, tu ne courais pas ainsi après lui.
- C’est ça, rétorqua Sandra, en attendant, au lieu de me regarder en racontant des conneries, prends la ficelle là et aide-moi plutôt à attacher ce bidon !
La piste était lamentable et poussiéreuse, elle quittait la ville de Pa Boun et contournait le lac de Nam Ggum avant de disparaître dans la jungle. Ce lac aux mille îles dont certaines avaient servi de camp de redressement pendant les différentes dictatures, comme le leur avaient appris les femmes des villages de pêcheurs lorsqu’elles s’arrêtèrent manger et boire l’inévitable alcool de riz capable de vous rendre aveugle. Elles leur avaient même assurées, peut-être pour leur faire peur, entendre encore l’écho des suppliciés se répercuter dans la nuit !
Plus loin, la piste était coupée, interrompue par une rivière dont le pont avait cédé. Un autre en bois avait été construit succinctement à quelques kilomètres en amont. Premier détour. Ensuite, ce fut les arbres abattus qui parfois nécessitaient de descendre dans les fossés pour les contourner et de s’empêtrer dans les hautes herbes. Heureusement, ce petit verre de laolao leur donnait le courage de pousser le scooter mais surtout il les avait soûlées. Charlotte avait un large sourire et Sandra chantait à tue-tête.
Bientôt, la piste devint rouge et la végétation dense et impénétrable. Elle montait, descendait, zigzaguait et quelques fois disparaissait ou se terminait au milieu d’un champ. Les filles faisaient alors demi-tour pour repérer l’intersection manquée ou éventuellement, elles demandaient leur route à des enfants pataugeant avec leurs bœufs dans la boue des rizières.
- Ban pak nok tak, prononçaient-t-elles aux enfants avec des signes de la main.
- Non, par là Bak Pak Nok, répondaient-ils en leur indiquaient un nouvelle direction.
Le rouge de la piste s’enfonçait à nouveau dans le vert de la végétation. Bientôt le vert remplit tout l’espace, le ciel avait disparu, la voûte s’était refermée. Les insectes criaient. Il n’y avait que des arbres et puis ce petit chemin, étroit, long, très long, infini. Mais soudain, la vue s’élargit brutalement, la soleil éblouit alors, elles entendirent le vrombissement de l’eau. Une cascade se mêlait au ciel.
Pour traverser cette nouvelle rivière, elles descendirent en aval et trouvèrent un gué. Dans l’eau jusqu’aux genoux, Charlotte se demandait s’il ne pouvait pas se trouver, dans ces rivières, quelques caïmans.
- On aurait du prendre un peu de laolao pour la route, pensa-t-elle tout haut…
- Charlotte, tu as une bonne assurance voyage ? lui demanda Sandra qui décidément ne se passait plus de Lionel jusque dans ses expressions.
- Oui, bien sûre, j’en ai une, répondit Charlotte mais jamais personne ne viendra nous chercher ici !
Le scooter était japonais, un bon modèle d’après ce que leur avait assuré le loueur. Sans doute n’avait-il pas menti car il ne tomba pas en panne. Qu’en aurait-il été autrement ? Dormir dans la jungle ? Trouver à se faire héberger dans les villages invisibles de la forêt sans parler la langue ? Pourquoi pas, pensait Sandra qui regrettait presque que ce ne fut pas arrivé quand on leur affirma qu’elle parviendraient bientôt à ce qu’elles cherchaient.
Et ce fut le cas. Pourtant les gens ne savaient pas même où elles se rendaient mais apparemment, ils s’en doutaient car ils continuaient de les diriger assurément. Où pouvait-elles se rendre d’autre ? Et après encore une ou deux mauvaises pistes, une rivière traversée en pirogue avec des pêcheurs, elles passèrent une grande porte sculptée en bois représentant des divinités bouddhistes ou hindoues. La piste s’élargissait ensuite entre deux rangées rouges d’eucalyptus en fleurs. Elles étaient arrivées dans la ville cachée de Lolcity.
Dilo- Nombre de messages : 65
Age : 46
Date d'inscription : 08/02/2010
Re: Passion dissidente
Vraiment, vous avez fait de très gros progrès dans la maîtrise de la langue ! L'histoire se continue agréablement, j'aime bien et c'est sympa d'apprendre que les grizzlys ont une vie sexuelle si épanouie, cela dit, la ville cachée de Lolcity, vous êtes dur, là, on se retrouve d'un coup en plein burlesque ! Est-ce volontaire ?
Quelques remarques :
« Et c’était sans doute pour cela, alors que sur le moment elle n’y avait pas pensé, qu’elle revoyait aujourd’hui leur baignade dans le torrent cette fois où, un peu à l’écart des autres, ils s’étaient mis nus et s’étaient parfois frôlés en nageant, avec tant de gêne, que ces images prenaient aujourd’hui un sens érotique. » : la gêne correspond-elle au moment où a eu lieu la baignade, ou bien à celui où Sandra se la rappelle ? La phrase, je trouve, ne l’indique pas clairement
« celle-ci ne se gênait pas de le lui faire entendre » : je pense qu’on dit plutôt « ne se gênait pas pour le lui faire entendre » (et puis attention à la répétition du verbe gêner, elle se voit à mon avis
« n’est-ce pas Sandra »
« je me dis qu’il ne t’aurait pas fait jouir comme un grizzli, tu ne courrais (conditionnel : deux « r » à courrait, contre un seul au futur) pas ainsi »
« Elles leur avaient même assuré (et non « assurées », parce qu’on assure quelque chose à quelqu’un ; le complément d’objet direct situé avant le verbe, avec quoi s’accorderait le verbe conjugué avec avoir, serait ici la proposition infinitive « entendre encore l’écho », etc., et non « leur », mis pour les nénettes) »
« zigzaguait et quelquefois (et non « quelques fois ») »
« prononçaient-elles (et non « prononçaient-t-elles » ; et puis on ne prononce pas à quelqu’un, ce n’est pas la bonne construction) aux enfants »
« répondaient-ils en leur indiquant (et non « indiquaient ») une nouvelle direction »
« On aurait dû prendre »
« Oui, bien sûr (et non « bien sûr »), j’en ai une »
« pensait Sandra qui regrettait presque que ce ne fût pas arrivé »
« Où pouvait-elles se rendre ailleurs (et non « d’autre ») »
Quelques remarques :
« Et c’était sans doute pour cela, alors que sur le moment elle n’y avait pas pensé, qu’elle revoyait aujourd’hui leur baignade dans le torrent cette fois où, un peu à l’écart des autres, ils s’étaient mis nus et s’étaient parfois frôlés en nageant, avec tant de gêne, que ces images prenaient aujourd’hui un sens érotique. » : la gêne correspond-elle au moment où a eu lieu la baignade, ou bien à celui où Sandra se la rappelle ? La phrase, je trouve, ne l’indique pas clairement
« celle-ci ne se gênait pas de le lui faire entendre » : je pense qu’on dit plutôt « ne se gênait pas pour le lui faire entendre » (et puis attention à la répétition du verbe gêner, elle se voit à mon avis
« n’est-ce pas Sandra »
« je me dis qu’il ne t’aurait pas fait jouir comme un grizzli, tu ne courrais (conditionnel : deux « r » à courrait, contre un seul au futur) pas ainsi »
« Elles leur avaient même assuré (et non « assurées », parce qu’on assure quelque chose à quelqu’un ; le complément d’objet direct situé avant le verbe, avec quoi s’accorderait le verbe conjugué avec avoir, serait ici la proposition infinitive « entendre encore l’écho », etc., et non « leur », mis pour les nénettes) »
« zigzaguait et quelquefois (et non « quelques fois ») »
« prononçaient-elles (et non « prononçaient-t-elles » ; et puis on ne prononce pas à quelqu’un, ce n’est pas la bonne construction) aux enfants »
« répondaient-ils en leur indiquant (et non « indiquaient ») une nouvelle direction »
« On aurait dû prendre »
« Oui, bien sûr (et non « bien sûr »), j’en ai une »
« pensait Sandra qui regrettait presque que ce ne fût pas arrivé »
« Où pouvait-elles se rendre ailleurs (et non « d’autre ») »
Invité- Invité
Re: Passion dissidente
Lolcity était une petite bourgade de néo mondialistes considérant que la terre appartenait à ceux qui la cultivaient. Ils s’étaient chèrement offerts cet îlot de jungle protégé et s’astreignaient à le conserver aussi bien des touristes curieux que des autorités hostiles. La venue de ses deux demoiselles au gré du hasard comme elles le prétendaient, provoqua un séisme dans la gouvernance du village. Après délibération, elles étaient dans la possibilité de rester au moins pendant une période d’essai et ce, grâce à l’insistance de la gente masculine qui avait vu dans le fruit de ce hasard l’opportunité « d’augmenter l’ADN disponible. » Elles s’étaient vues alors affecter une petite maison et décideraient bientôt du travail qu’elles effectueraient pour le bien public.
Lolcity n’était pas différent des villages Lao. Il croissait sur le bord d’une rivière à flanc de colline, les maisons faites de bois étaient clairsemées à travers de nombreux jardins et cultures. Cependant, le village était propre, fleuri, on y trouvait d’innombrables œuvres d’art plus ou moins harmonieuses sur les chemins et devant les maisons. L’architecture des habitations et des bâtiments publics comportait des innovations originales : la beauté dans la simplicité, l’art dans la commodité. Comme dans tout bon paradis, il faisait beau et chaud, des cocotiers ombrageaient les places, les enfants couraient nus et se jetaient dans une rivière limpide.
La majorité de la population était blanche. Environ mille personne. La plupart des pays du nord était représenté avec une légère domination française. Des commerçants Lao des villages alentours venaient ici échanger du riz principalement contre d’autres légumes ou céréales cultivées par les occidentaux. Pour tout dire, le village était un havre de paix. Pourtant un jour de sécheresse, une vache avait sauté sur une mine anti-personnelle en s’éloignant du troupeau. Cette petite incartade avait rappelé à chacun la prudence qu’il fallait observer notamment lors des défrichages et des laboures.
Ces mines dataient de la guerre du Vietnam, quand les États-Unis luttaient contre des groupes communistes réfugiés dans ces régions. Cette explosion, comme de nombreuses autres autour des villages Lao, avait rappelé également aux membres de Lolcity que les Américains avaient aspergé le pays d’ « agent orange », défoliant mortel et inaltérable qui s’était répandu notamment dans les rivières. Après analyses, effectivement, ce paradis était infecté et on pouvait craindre une proportion de cancers plus élevée qu’ailleurs. Et alors ? La plupart avait choisi de rester. Ici ou ailleurs, quelle importance !
Sandra, en apprenant la nouvelle, pensa à Lionel bien qu’elle ne l’avait malheureusement pas retrouvé ici, et ses potes Hmong qui fumaient de l’opium pour apaiser les douleurs. Sans doute, un jour, dans ce village, on cultiverait le pavot. Mais c’était quand même incroyable, avait rappelé un jeune Américain, que mon pays, après avoir bombardé vingt-deux états du monde en cinquante ans, ne soit parvenu à faire émerger directement aucune démocratie !
Charlotte et Sandra se partageaient donc une petite maison au bord de la rivière. Pour s’intégrer, elles avaient notamment signer une close qui leur interdisait dans un premier temps, de signaler la présence du village si elles décidaient un jour d’en sortir. Aussi, elles se devaient pour rester, d’accepter l’ordre établi. Cette politique constituait vaguement le b.a-ba répandu dans nos pays : une démocratie participative, amélioration possible car locale de notre démocratie représentative. Travailler pour manger, s’instruire, avoir des loisirs, commercer, regrouper des fonds pour développer les biens publics et les entretenir, comme les chemins après la saison des pluies. Acheter du matériel agricole, un véhicule tout terrain, promouvoir les échanges et la culture avec les villages autochtones, construire et améliorer les écoles, la bibliothèque, espérer en construire dans les villages les plus proches…
Charlotte avait choisi d’enseigner dans un village Lao avec l’aide d’une des filles du chef local. Le programme avait été développé par la communauté. On y apprenait l’anglais et finalement les morales chrétiennes et bouddhistes Theravada à travers des textes mythologiques, aussi les bases du calcul, la littérature, Balzac…, enfin il y avait beaucoup de temps pour les jeux ludiques et la création artistique. Plus grands, les enfants travaillaient avec leurs parents et de ce fait, ne se rendaient plus à l’école. Cependant, il arrivait que la communauté organise des stages pratiques et d’utilisation des machines agricoles. En échange, certains occidentaux se formaient chez les locaux aux cultures ou méthodes naturelles ancestrales.
Sandra, de son côté avait choisi d’aider un jeune agriculteur finlandais qui cultivait et faisait de l’élevage. Elle prenait beaucoup de plaisir à se lever à l’aube travailler la terre, conduire des bœufs, voir s’élever les jeunes pousses ou naître les agneaux et les veaux. De plus, Markus était un garçon particulièrement sympathique et pour ne rien gâcher séduisant. Il était aussi habile de ses mains, et possédait une solide connaissance de l’agriculture apprise dans son enfance avec son père.
Chaque jour, il faisait découvrir et partager à Sandra son métier. Lui n’était pas particulièrement enthousiaste de le faire car il le trouvait dur et ingrat. Il se considérait surtout comme un paysan arriéré et avait d’ailleurs quitté la ferme familiale pour y échapper. Au fond de lui sans doute, il appréciait que Sandra prenne tant de plaisir à apprendre de la nature et la travailler. Elle s’initiait aux caprices des aubergines, aux gourmandises des tomates, à la personnalité des animaux et enfin aux aléas du temps. Elle lui disait chaque jour qu’il avait tort et que c’était à ses yeux le plus beau et le plus sage métier du monde. Elle devint d’ailleurs très vite une bonne paysanne dans le meilleur sens du terme. Elle était infatigable. A l’ancienne, elle trayait, elle désherbait, elle faisait vêler, elle repiquait, elle démariait…
La fille du chef Lao avec qui Charlotte travaillait, Jin, une adolescente de quatorze ans fluette et mignonne comme tout, venait souvent coucher chez les filles. Elle était douée et connaissait bien l’anglais à défaut de tout comprendre en français. Son père était un chef ouvert au progrès et désireux de voir sa fille réussir. C’est pourquoi, il la laissait faire. Et celle-ci rêvait d’aller à la capitale et ensuite à l’étranger, en France, en Amérique. Elle piquait des vêtements aux filles, se comportait comme elles, et finalement se détachait de sa famille en s’attachant à elles à tel point qu’elle aurait pu les renier si Charlotte ne lui ordonnait pas de rentrer chez elle régulièrement.
Cependant, les journées passaient entre les cours de Charlotte et le travail à la ferme de Sandra. Celle-ci participa bientôt à la gestion de Lolcity. Markus l’avait introduite après avoir constaté ses qualités d’organisation. Il était lui-même administrateur de l’ensemble du matériel agricole, de l’agro-alimentaire et de l'aménagement des sols. Son père aurait été fier de lui sans doute en l’admirant monter à la tribune officielle et haranguer la foule. Chose étonnante, c’était un des rares moments ou il réussissait à vaincre sa timidité. Il se concentrer alors sur l’essentiel, sur la finalité et la qualité de son travail, ce qui lui permettait de trouver à chaud, sans préparation, les arguments irréfutables qui défendaient sa théorie.
Son poste, il ne le devait pas seulement à ses capacités de le conduire mais aussi à sa probité que personne ne pouvait mettre en doute. Jamais, il ne pensait à autre chose qu’au bien être de tous, jamais il n’aurait eu la bassesse de favoriser de quelques manières que ce soit sa ferme ou son élevage ou celui d’un de ses amis. Sa sincérité transpirait de son être. D’ailleurs, chaque fois qu’une partie des habitants s’opposait à ses décisions, il allait lui-même expliquer, prouver, trouver des compromis et améliorer son programme. Bien entendu il pouvait faire cela seulement puisque le village était minuscule et il n’y avait eu que rarement des malentendus au point de séparer les personnes en groupes opposés.
La possession des terres, du moins ici, le droit à chacun de les exploiter, pouvait être un sujet de discorde important. D’ailleurs dans la vraie vie, la propriété était la première des remises en cause lors d’une insurrection populaire. Mais ici, à Lolcity, ce n’était pas le sujet des principaux débats. Les premiers habitants avaient imaginé et fondé à l’époque une certaine philosophie qu’ils s’étaient jurés de préserver. Elle était à base de bouddhisme mêlée de prières, de méditation obligatoire et d’une forme non-aboutie d’anarchisme même si elle s’en défendait. Passée mille personnes, une idéologie unique n’était plus concevable surtout en considérant la personnalité et la liberté d’esprit évidente de ceux qui se trouvaient là. Donc la tête du groupe concentrait toujours les plus conservateurs et les plus fervents, ils continuaient d’exiger aveuglement leurs préceptes mais une partie des habitants de plus en plus grande s’éloignait irrémédiablement de ces doctrines tout en laissant supposer qu’ils y adhéraient toujours pour éviter les confrontations inutiles car perdues d’avance. C’est dans ce contexte que Sandra entra dans l’administration de la ville.
Tout se passa bien pendant les premières mois. Avec Markus, ils se relayaient pour passer chaque jour quelques heures dans la salle citoyenne. Markus organisait avec d’autres les programmes agricoles. Sandra participait à l’élaboration des événements culturels de la ville : théâtre, concerts et jeux inter-cités. Un peu plus tard, Charlotte entra à son tour dans la vie publique au niveau des secteurs sociaux et éducatifs. Toutes deux se passionnèrent très vite de leurs engagements. Elles prenaient des initiatives, apportaient des idées nouvelles et collaboraient toujours avec plus de zèle sans toutefois encore oser défendre des points de vue non officiels.
Lolcity n’était pas différent des villages Lao. Il croissait sur le bord d’une rivière à flanc de colline, les maisons faites de bois étaient clairsemées à travers de nombreux jardins et cultures. Cependant, le village était propre, fleuri, on y trouvait d’innombrables œuvres d’art plus ou moins harmonieuses sur les chemins et devant les maisons. L’architecture des habitations et des bâtiments publics comportait des innovations originales : la beauté dans la simplicité, l’art dans la commodité. Comme dans tout bon paradis, il faisait beau et chaud, des cocotiers ombrageaient les places, les enfants couraient nus et se jetaient dans une rivière limpide.
La majorité de la population était blanche. Environ mille personne. La plupart des pays du nord était représenté avec une légère domination française. Des commerçants Lao des villages alentours venaient ici échanger du riz principalement contre d’autres légumes ou céréales cultivées par les occidentaux. Pour tout dire, le village était un havre de paix. Pourtant un jour de sécheresse, une vache avait sauté sur une mine anti-personnelle en s’éloignant du troupeau. Cette petite incartade avait rappelé à chacun la prudence qu’il fallait observer notamment lors des défrichages et des laboures.
Ces mines dataient de la guerre du Vietnam, quand les États-Unis luttaient contre des groupes communistes réfugiés dans ces régions. Cette explosion, comme de nombreuses autres autour des villages Lao, avait rappelé également aux membres de Lolcity que les Américains avaient aspergé le pays d’ « agent orange », défoliant mortel et inaltérable qui s’était répandu notamment dans les rivières. Après analyses, effectivement, ce paradis était infecté et on pouvait craindre une proportion de cancers plus élevée qu’ailleurs. Et alors ? La plupart avait choisi de rester. Ici ou ailleurs, quelle importance !
Sandra, en apprenant la nouvelle, pensa à Lionel bien qu’elle ne l’avait malheureusement pas retrouvé ici, et ses potes Hmong qui fumaient de l’opium pour apaiser les douleurs. Sans doute, un jour, dans ce village, on cultiverait le pavot. Mais c’était quand même incroyable, avait rappelé un jeune Américain, que mon pays, après avoir bombardé vingt-deux états du monde en cinquante ans, ne soit parvenu à faire émerger directement aucune démocratie !
Charlotte et Sandra se partageaient donc une petite maison au bord de la rivière. Pour s’intégrer, elles avaient notamment signer une close qui leur interdisait dans un premier temps, de signaler la présence du village si elles décidaient un jour d’en sortir. Aussi, elles se devaient pour rester, d’accepter l’ordre établi. Cette politique constituait vaguement le b.a-ba répandu dans nos pays : une démocratie participative, amélioration possible car locale de notre démocratie représentative. Travailler pour manger, s’instruire, avoir des loisirs, commercer, regrouper des fonds pour développer les biens publics et les entretenir, comme les chemins après la saison des pluies. Acheter du matériel agricole, un véhicule tout terrain, promouvoir les échanges et la culture avec les villages autochtones, construire et améliorer les écoles, la bibliothèque, espérer en construire dans les villages les plus proches…
Charlotte avait choisi d’enseigner dans un village Lao avec l’aide d’une des filles du chef local. Le programme avait été développé par la communauté. On y apprenait l’anglais et finalement les morales chrétiennes et bouddhistes Theravada à travers des textes mythologiques, aussi les bases du calcul, la littérature, Balzac…, enfin il y avait beaucoup de temps pour les jeux ludiques et la création artistique. Plus grands, les enfants travaillaient avec leurs parents et de ce fait, ne se rendaient plus à l’école. Cependant, il arrivait que la communauté organise des stages pratiques et d’utilisation des machines agricoles. En échange, certains occidentaux se formaient chez les locaux aux cultures ou méthodes naturelles ancestrales.
Sandra, de son côté avait choisi d’aider un jeune agriculteur finlandais qui cultivait et faisait de l’élevage. Elle prenait beaucoup de plaisir à se lever à l’aube travailler la terre, conduire des bœufs, voir s’élever les jeunes pousses ou naître les agneaux et les veaux. De plus, Markus était un garçon particulièrement sympathique et pour ne rien gâcher séduisant. Il était aussi habile de ses mains, et possédait une solide connaissance de l’agriculture apprise dans son enfance avec son père.
Chaque jour, il faisait découvrir et partager à Sandra son métier. Lui n’était pas particulièrement enthousiaste de le faire car il le trouvait dur et ingrat. Il se considérait surtout comme un paysan arriéré et avait d’ailleurs quitté la ferme familiale pour y échapper. Au fond de lui sans doute, il appréciait que Sandra prenne tant de plaisir à apprendre de la nature et la travailler. Elle s’initiait aux caprices des aubergines, aux gourmandises des tomates, à la personnalité des animaux et enfin aux aléas du temps. Elle lui disait chaque jour qu’il avait tort et que c’était à ses yeux le plus beau et le plus sage métier du monde. Elle devint d’ailleurs très vite une bonne paysanne dans le meilleur sens du terme. Elle était infatigable. A l’ancienne, elle trayait, elle désherbait, elle faisait vêler, elle repiquait, elle démariait…
La fille du chef Lao avec qui Charlotte travaillait, Jin, une adolescente de quatorze ans fluette et mignonne comme tout, venait souvent coucher chez les filles. Elle était douée et connaissait bien l’anglais à défaut de tout comprendre en français. Son père était un chef ouvert au progrès et désireux de voir sa fille réussir. C’est pourquoi, il la laissait faire. Et celle-ci rêvait d’aller à la capitale et ensuite à l’étranger, en France, en Amérique. Elle piquait des vêtements aux filles, se comportait comme elles, et finalement se détachait de sa famille en s’attachant à elles à tel point qu’elle aurait pu les renier si Charlotte ne lui ordonnait pas de rentrer chez elle régulièrement.
Cependant, les journées passaient entre les cours de Charlotte et le travail à la ferme de Sandra. Celle-ci participa bientôt à la gestion de Lolcity. Markus l’avait introduite après avoir constaté ses qualités d’organisation. Il était lui-même administrateur de l’ensemble du matériel agricole, de l’agro-alimentaire et de l'aménagement des sols. Son père aurait été fier de lui sans doute en l’admirant monter à la tribune officielle et haranguer la foule. Chose étonnante, c’était un des rares moments ou il réussissait à vaincre sa timidité. Il se concentrer alors sur l’essentiel, sur la finalité et la qualité de son travail, ce qui lui permettait de trouver à chaud, sans préparation, les arguments irréfutables qui défendaient sa théorie.
Son poste, il ne le devait pas seulement à ses capacités de le conduire mais aussi à sa probité que personne ne pouvait mettre en doute. Jamais, il ne pensait à autre chose qu’au bien être de tous, jamais il n’aurait eu la bassesse de favoriser de quelques manières que ce soit sa ferme ou son élevage ou celui d’un de ses amis. Sa sincérité transpirait de son être. D’ailleurs, chaque fois qu’une partie des habitants s’opposait à ses décisions, il allait lui-même expliquer, prouver, trouver des compromis et améliorer son programme. Bien entendu il pouvait faire cela seulement puisque le village était minuscule et il n’y avait eu que rarement des malentendus au point de séparer les personnes en groupes opposés.
La possession des terres, du moins ici, le droit à chacun de les exploiter, pouvait être un sujet de discorde important. D’ailleurs dans la vraie vie, la propriété était la première des remises en cause lors d’une insurrection populaire. Mais ici, à Lolcity, ce n’était pas le sujet des principaux débats. Les premiers habitants avaient imaginé et fondé à l’époque une certaine philosophie qu’ils s’étaient jurés de préserver. Elle était à base de bouddhisme mêlée de prières, de méditation obligatoire et d’une forme non-aboutie d’anarchisme même si elle s’en défendait. Passée mille personnes, une idéologie unique n’était plus concevable surtout en considérant la personnalité et la liberté d’esprit évidente de ceux qui se trouvaient là. Donc la tête du groupe concentrait toujours les plus conservateurs et les plus fervents, ils continuaient d’exiger aveuglement leurs préceptes mais une partie des habitants de plus en plus grande s’éloignait irrémédiablement de ces doctrines tout en laissant supposer qu’ils y adhéraient toujours pour éviter les confrontations inutiles car perdues d’avance. C’est dans ce contexte que Sandra entra dans l’administration de la ville.
Tout se passa bien pendant les premières mois. Avec Markus, ils se relayaient pour passer chaque jour quelques heures dans la salle citoyenne. Markus organisait avec d’autres les programmes agricoles. Sandra participait à l’élaboration des événements culturels de la ville : théâtre, concerts et jeux inter-cités. Un peu plus tard, Charlotte entra à son tour dans la vie publique au niveau des secteurs sociaux et éducatifs. Toutes deux se passionnèrent très vite de leurs engagements. Elles prenaient des initiatives, apportaient des idées nouvelles et collaboraient toujours avec plus de zèle sans toutefois encore oser défendre des points de vue non officiels.
Dilo- Nombre de messages : 65
Age : 46
Date d'inscription : 08/02/2010
Re: Passion dissidente
Bon, là j'ai un problème : je trouve totalement invraisemblable la présence de ce phalanstère en pleine jungle vietnamienne... mais cela m'intéresse de voir comment l'Utopie va foirer (car, si tout se passe bien les premiers mois, ça veut dire qu'ensuite ça foire, non ?).
Mes remarques :
« Ils s’étaient chèrement offert (et non « offerts », car le complément d’objet diret du verbe est ici l’îlot de jungle) cet îlot de jungle »
« La venue de ces (démonstratif, non possessif) deux demoiselles »
« grâce à l’insistance de la gent (et non « gente », eh oui) masculine »
« La plupart des pays du nord était représenté (je crois qu’en général, avec « la plupart », on accorde au pluriel : « téaient représentés ») avec une légère domination française »
« contre d’autres légumes ou céréales cultivés (et non « cultivées », les légumes aussi sont cultivés, pas les seules céréales) par les occidentaux »
« une mine anti-personnel (et non « anti-personnelle », bien qu’il s’agisse d’une mine : c’est une mine contre les personnes, contre le personnel de l’armée si vous voulez)) en s’éloignant du troupeau. Cette petite incartade avait rappelé à chacun la prudence qu’il fallait observer notamment lors des défrichages et des laboures »
« La plupart avait (même remarque pour « la plupart » : « avaient choisi », de préférence, je pense) choisi de rester »
« pensa à Lionel bien qu’elle ne l’ait (« bien que » est suivi du subjonctif) malheureusement pas retrouvé ici »
« elles avaient notamment signé une clause »
« C’est pourquoi, (tenez-vous à la virgule ici ?) il la laissait faire »
« Il se concentrait alors sur l’essentiel »
« Jamais, (tenez-vous à la virgule ici ?) il ne pensait à autre chose qu’au bien-être (trait d’union) de tous »
« favoriser de quelque manière (et non « quelques manières », dans ce cas de figure) que ce soit sa ferme »
« une certaine philosophie qu’ils s’étaient juré (et non « jurés » ; si vous conjuguez le verbe pronominal comme un non-pronominal, ils avaient juré à qui ? à eux-mêmes ; donc le « s’ » de « s’étaient juré » ne correspond pas à un complément d’objet direct, mais indirect du verbe : le participe passé ne s’accorde pas) de préserver »
« Passé (et non « Passée ») mille personnes »
« la personnalité et la liberté d’esprit évidentes (à cause de la conjonction de coordination « et », « évidentes » se rapporte à la fois à la personnalité et à la liberté d’esprit) de ceux qui se trouvaient là »
« ils continuaient d’exiger aveuglément leurs préceptes »
« Tout se passa bien pendant les premiers mois »
« Toutes deux se passionnèrent très vite pour leurs engagements »
Mes remarques :
« Ils s’étaient chèrement offert (et non « offerts », car le complément d’objet diret du verbe est ici l’îlot de jungle) cet îlot de jungle »
« La venue de ces (démonstratif, non possessif) deux demoiselles »
« grâce à l’insistance de la gent (et non « gente », eh oui) masculine »
« La plupart des pays du nord était représenté (je crois qu’en général, avec « la plupart », on accorde au pluriel : « téaient représentés ») avec une légère domination française »
« contre d’autres légumes ou céréales cultivés (et non « cultivées », les légumes aussi sont cultivés, pas les seules céréales) par les occidentaux »
« une mine anti-personnel (et non « anti-personnelle », bien qu’il s’agisse d’une mine : c’est une mine contre les personnes, contre le personnel de l’armée si vous voulez)) en s’éloignant du troupeau. Cette petite incartade avait rappelé à chacun la prudence qu’il fallait observer notamment lors des défrichages et des laboures »
« La plupart avait (même remarque pour « la plupart » : « avaient choisi », de préférence, je pense) choisi de rester »
« pensa à Lionel bien qu’elle ne l’ait (« bien que » est suivi du subjonctif) malheureusement pas retrouvé ici »
« elles avaient notamment signé une clause »
« C’est pourquoi, (tenez-vous à la virgule ici ?) il la laissait faire »
« Il se concentrait alors sur l’essentiel »
« Jamais, (tenez-vous à la virgule ici ?) il ne pensait à autre chose qu’au bien-être (trait d’union) de tous »
« favoriser de quelque manière (et non « quelques manières », dans ce cas de figure) que ce soit sa ferme »
« une certaine philosophie qu’ils s’étaient juré (et non « jurés » ; si vous conjuguez le verbe pronominal comme un non-pronominal, ils avaient juré à qui ? à eux-mêmes ; donc le « s’ » de « s’étaient juré » ne correspond pas à un complément d’objet direct, mais indirect du verbe : le participe passé ne s’accorde pas) de préserver »
« Passé (et non « Passée ») mille personnes »
« la personnalité et la liberté d’esprit évidentes (à cause de la conjonction de coordination « et », « évidentes » se rapporte à la fois à la personnalité et à la liberté d’esprit) de ceux qui se trouvaient là »
« ils continuaient d’exiger aveuglément leurs préceptes »
« Tout se passa bien pendant les premiers mois »
« Toutes deux se passionnèrent très vite pour leurs engagements »
Invité- Invité
Re: Passion dissidente
""s’astreignaient à le conserver aussi bien des touristes curieux que des autorités hostiles""
Plutôt "préserver", non ?
Plutôt "préserver", non ?
Re: Passion dissidente
Ma foi...ça décolle quand, ce long pastisson ?
On dirait une rédac' de troisième : " Imaginez une communauté culturellement européenne implantée en territoire asiatique, à l'endroit de votre choix. Vous évoquerez et développerez toutes les problématiques - choc culturel, charte interne, mode de gestion, consensus, difficultés en essayant de rendre l'exposé vivant."
C'est par là que ça pèche.
On dirait une rédac' de troisième : " Imaginez une communauté culturellement européenne implantée en territoire asiatique, à l'endroit de votre choix. Vous évoquerez et développerez toutes les problématiques - choc culturel, charte interne, mode de gestion, consensus, difficultés en essayant de rendre l'exposé vivant."
C'est par là que ça pèche.
silene82- Nombre de messages : 3553
Age : 67
Localisation : par là
Date d'inscription : 30/05/2009
Re: Passion dissidente
J'aime bien; car c'est bien documenté, ceci dit il faudrait faire basculer le tout dans la fiction une fois pour toute.
Invité- Invité
Re: Passion dissidente
DEUXIEME PASSE DU ROMAN
Chapitre 1
La métamorphose
C’était l’heure préférée de Sandra. Allongée sur son lit, en chemise de nuit, elle sirotait un thé avec sa clope et sa télécommande. Alban était parti travailler à vingt heures trente et elle était enfin tranquille. Depuis qu’elle n’avait plus de boulot, Alban la prenait pour sa boniche. Il aurait voulu en plus qu’elle lui prépare des petits plats. Elle se tapait déjà ses lessives avec ses chaussettes puantes, elle faisait les courses, le ménage, la vaisselle… En fait, tous ce qu’elle détestait et c’était la base de leurs engueulades.
Mais entre eux, dorénavant, toutes les excuses étaient bonnes pour s’engueuler. Après les premiers mois de folie succédèrent les mois de guerre. En ce moment, c’était la guerre froide. Les reproches fusaient et le mépris perçait les cœurs.
A la télé, comme toujours, des films avec des flics et des tueurs psychopathes. La météo annonçait encore du froid et de la grisaille. Quelle vie de merde ! A vingt-cinq ans, Sandra se disait qu’elle n’avait encore rien fait de constructif. Petit boulot sur petit boulot, presque autant que de mecs et tout aussi débiles. Alban était gentil. Ouvrier en usine, il passait ses nuits à tordre des bouts de ferraille, toujours les mêmes, avec une machine. Mais pour tout le monde, il travaillait dans l’aéronautique, une place rare. Maintenant c’était sûr, il ferait cela toute sa vie. A moins qu’un jour, peut-être demain, la société délocalise et le foute dehors. C’est ce qui pouvait lui arriver de mieux. Quoique, se dit-elle : « c’est ce qui est arrivé à mon père et depuis il est sous anti-dépresseurs ». Elle éteignit la télé avec rage. « Ils feraient mieux de cultiver les gens au lieu de les abrutir avec ces conneries ! »
Elle revenait de se brosser les dents quand son téléphone sonna : « ma mère, il ne manquait plus qu’elle ! »
- Allô Maman !
- …
- Oui je suis allée à l’entretien
- …
- Non, ça s’est mal passé. Je connais ce boulot. Emballer des Cds toute la journée dans un entrepôt pas même chauffé.
- …
- Oui je sais maman, si tu veux, je suis une feignante, mais je préfère ne rien foutre pour le même prix. Je gagne même plus avec les assedic. En plus c’est une ambiance de merde, les pauvres filles se boufferaient entre elles pour avoir la chance de rester.
- …
- Faut bien qu’il y en ait qui profitent. D’ailleurs papa dit toujours qu’il n’y a que les bougnoules qui en profitent et c’est toujours les mêmes qui bossent. Il est bien content de recevoir le chômage en ce moment !
- …
- C’est ça, j’ai toujours raison. En attendant, je ne vous demande rien, et surtout bosse pour que je puisse bouffer avec tes impôts !
« Elle a raccroché, tant mieux, toujours à me prendre la tête ! » Elle jeta son téléphone sur son lit et prit un livre. « Je ferais mieux de dormir, dormir indéfiniment. »
J’ai écris ce livre à la mémoire de mes deux mamans. Et je le dédie à mes frères.
Dans le monde où nous vivons, il est bon, je crois, de se rappeler d’où l’on vient, l’histoire de nos familles. Surtout quand elle est liée, comme vous n’êtes pas sans le savoir, à ce que nous sommes aujourd’hui, à notre société, à l’évolution chaotique mais inéluctable des dernières décennies qui nous a mené ici, au commencement, du moins beaucoup l’espère, d’une nouvelle ère.
Il y a trente ans, trente ans seulement, c’est si proche et pourtant si lointain à la mesure des événements qui se sont traduits, deux femmes se retrouvaient et leur vie prenait une tournure tout à fait spéciale que je vais tenter de reconstituer ici grâce aux souvenirs qu’elles ont bien voulu me conter lorsque j’étais enfant et que ma mémoire ressasse depuis comme un film qui ne cesserait de tourner en boucle.
Ce livre n’est que ma contribution, si bénigne soit-elle, mais elle permettra d’apporter aux historiens, aux curieux et aux intéressés, ma vision des faits telle que je l’ai perçue directement des jupons de ces femmes d’exceptions.
A Pierre surtout, mon plus jeune frère, dont l’exercice de la vie s’apparente à une guerre dont il croit avoir hérité. Il trouvera à travers ce livre je l’espère la force et la sagesse d’anticiper ces actes avec l’aide et la réflexion de ses aïeux dont j’ai retracé ici le souffle et peut-être une part de la philosophie.
Enfin, à travers ce livre et bien que ce n’est pas été ma pensée première, le lecteur trouvera à corriger bon nombre de préjugés et de mensonges qui ont été élevés au cour du temps à la gloire des vivants et à la mémoire des morts.
Pour la vérité.
Votre obligé.
Simon.
Le réveil hurla. Cinq heures du matin. Charlotte s’assit au bord du lit et se frotta les yeux. Elle faisait partie des gens qui ne lézardaient pas sous la couette mais sautaient dans la douche à peine le réveil sonnait. Souriante, dynamique, c’était une petite femme qu’on aimait côtoyer dans la vie. Avec sa chevelure brune ébouriffée du matin, sa chemise de nuit claire sur son joli corps doré, elle portait un visage d’une grande douceur avec deux yeux marrons verts à peine relevés par des sourcils légers, des pommettes où perçaient quelques tâches de rousseur et deux fossettes que le moindre sourire naissant faisait apparaître. Elle se dirigea vers la salle de bain, prit sa douche et commençait de se brosser les cheveux quand son téléphone sonna :
- Allô Sandra ! qu’est ce qu’il t’arrive ?
- Je n’arrive pas à dormir et je pensais à toi. Tu es en France depuis plusieurs mois et tu n’es même pas venue me voir.
- Je sais Sandra, je suis désolée, je n’ai pas pris le temps mais je viendrai. Enfin, ce n’est pas pour ça que tu appelles à cinq heures du matin. Tu as des ennuis ?
- Non, je me fais chier. On n’arrête pas de s’engueuler avec Alban. Je n’ai pas de boulot et je n’ai pas envie d’en chercher. Tout va bien quoi !
- Tu sais à quoi tu me fais penser ; à toutes ces petites françaises pourries gâtées.
- Je sais, tu vas me ressortir tes pays pauvres où les enfants aimeraient aller à l’école… mais même eux, je suis sûre, ne sont pas aussi abandonnés que moi.
- Peut-être bien mais ce n’est pas une raison pour se laisser aller. Pourquoi tu ne viendrais pas me voir puisque tu ne travailles pas ? Ca te ferait du bien de changer d’air.
- Je ne sais pas, je n’y avais pas pensé.
- Jeudi, je ne travaille pas, je te remonterai le moral.
- Ok, je vais voir, tu crèches où ?
- Saint-Lary-Soulan, dans les pyrénées.
- Je fais comment de Paris ?
- Ma parole, tu n’es jamais sortie de chez toi ! Tu prends un train pour Tarbes. Tu auras certainement un changement à Bordeaux. Puis, de Tarbes tu trouveras un bus à la sortie de la gare.
- Tu sais, je n’ai pas souvent pris le train. Ca fait au moins trois ans que je ne suis pas sortie de Paris. Mais je vais y arriver. Je me demande si je ne vais pas partir aujourd’hui. Bon je te laisse, Alban va arriver du boulot. On va voir comment ça va se passer mais je suis motivée.
- Alors à ce soir Sandra.
Sandra restait indécise. Alban avait refusé qu’elle s’en aille mais là n’était pas la question, il lui manquait le courage. Elle regardait la grisaille parisienne à travers la fenêtre puis la pièce autour d’elle. La pendule du salon prenait son temps ce matin. Sur la télévision, traînait une photo d’elle avec Alban et ces jolis sourires de leurs premières amours. Ils étaient sur la pelouse du parc de Vincennes, c’était l’été. Ils posaient tous les deux joue contre joue. Les cheveux blonds et courts de Sandra faisaient ressortir deux yeux bleus immenses de son visage pâle de Parisienne qu’une robe blanche, serrée, amplifiait encore. Elle prit la photo dans ses mains pour la regarder de plus près et se trouva blafarde et maigre. Pourtant, un rayon de soleil suffisait à dorer sa peau. Elle alla dans la salle de bain et se regarda dans la glace. Elle était encore plus blanche que sur la photo. Maladive. Seuls, ses lèvres vermeils légèrement entrouvertes et ses grands yeux bleus vivaient encore et rendaient cette fragilité particulièrement troublante.
Elle alla jeter un œil dans la chambre. Alban dormait paisiblement, fatigué par sa nuit de travail. Il était irrésistible de ne pas s’allonger contre lui, elle alla se blottir un instant. Mais elle ne pouvait dormir. Elle avait envie de se bouger aujourd’hui, d’aller s’acheter des fringues. C’était souvent ce qu’elle faisait quand elle avait un coup de blues. « Je vais trouver du travail » se dit-elle, puis « je pars en vacances chez Charlotte, ensuite je trouverai du travail. » Motivée par sa décision, elle écrivit un mot à Alban, jeta quelques affaires dans son sac et partit.
Par la fenêtre du train, les paysages défilaient. D’abord l’agglomération de Paris puis les vastes paysages de Beauce. Sandra se demandait ce qu’il pouvait bien y avoir à faire dans une telle campagne. Jamais elle n’irait vivre en province. Née et grandie à Paris, elle ne supportait pas les grands espaces sur lesquels le soleil se couche. Après Poitiers, elle vit défiler les prairies avec leurs vaches immobiles. Déjà, Sandra pouvait sentir toute l’angoisse de sa vie se détacher et flotter devant ses yeux. Mais elle ne voulait pas y penser. Elle voulait éviter cela à tout prix depuis qu’elle avait passé la porte de chez elle. Elle s’obstinait pour s’occuper, à observer les gens autours d’elle et à essayer d’imaginer leur vie. Tous avaient une tête différente seulement, elle n’arrivait pas à leur donner une vie différente. Ces messieurs devaient travailler dans des usines et ces dames emballer des packs de Cds. C’était tout ce qu’elle concevait pour eux.
Après le changement de train à Bordeaux, elle traversa les Landes. Ce paysage monotone ne l’aidait pas. Elle finit par se laisser aller à ses pensées. Celles qui concernaient sa vie. Il devait bien y avoir une issue à tant d’ennuis. Elle devrait bien un jour prendre les décisions qui rendraient les jours neufs, le réveil impatient, l’émotion vraie, le ciel bleu et le soleil moins tristes. Mais quelles étaient ces décisions ?
Enfin, à Tarbes, le bus l’attendait, et la route s’enfonça dans les montagnes où le soleil ne parvenait déjà plus. Elle ne vit pas Charlotte en descendant du bus. Après cinq minutes d’attente, elle se dirigea vers un petit banc et s’assit. Elle se sentait abandonnée. Son petit sac serré entre ses jambes tremblantes. Les gens la regardaient en passant. Elle écrasa sa troisième cigarette. La nuit tombait.
Enfin Charlotte arriva. A pied, elles traversèrent la petite ville et prirent la direction du hameau où elle habitait. Sandra dit qu’elle avait l’habitude de marcher dans Paris la nuit. Elle ajouta qu’elle n’avait jamais vu un endroit aussi tranquille et silencieux, pour ne pas dire effrayant.
- Je ne pourrai jamais habiter à la campagne dit Sandra pour elle-même.
- Et moi, je ne m’installerai plus jamais en ville, rétorqua Charlotte. J’ai vécu dans de grandes capitales comme Istanbul et Delhi. Vivre dans une capitale est envoûtant mais malgré tout, j’aime trop la qualité de vie en campagne. La tranquillité, le silence, les gens sont moins stressés et plus souriants. Souvent j’ai envie d’être déjà vieille quand je vois les mamies toutes tranquilles avec leurs petites habitudes. Leurs traits sur leur visage me font penser qu’elles ont déjà tout vu, tout vécu, et que finalement elles n’aspiraient qu’à une seule chose : le calme d’un jardin, des occupations utiles et quotidiennes. Bref, je n’en suis pas là mais souvent je trouve ma vie un peu speed.
- Tout le contraire de moi, souffla Sandra, j’ai l’impression d’être déjà vieille. Je fais toujours la même chose et souvent rien. Les saisons passent mais je ne les vois pas. Ne rien faire. Regarder les émissions de retraités à la télé.
- Il faudrait échanger nos places mais comment fais-tu pour t’ennuyer ? Alors que moi, j’aimerais en savoir davantage sur un tas de choses et je n’ai pas le temps de m’y intéresser. J’ai la peinture, je fais des expositions, j’organise des vernissages, je participe à des cours, j’en donne moi-même dans une association, je voyage, je travaille…
Sandra n’écoutait plus. Elle en avait suffisamment entendu et de toute façon, elle était bien incapable d’en faire autant. Et en la regardant ce soir, en plus, elle la trouvait belle. Belle comme peuvent l’être les personnes épanouies, naturelles et ayant, à n’en pas douter, une vie saine, sportive et exaltante.
Le silence s’installa. Elles n’avaient plus grand chose en commun. Depuis toutes petites et jusqu’à l’âge de quinze ans, leurs parents passaient leurs vacances ensemble près de Narbonne. A l’époque, Sandra était la plus vive. Aussi la plus dévergondée. C’est elle qui menait les autres. Charlotte revoyait comme si c’était hier, tant cela l’avait marquée, les fois où elles avaient fait le mur la nuit pour retrouver leurs amis. Leurs cheveux longs mêlés dans le vent qui soufflait sur les rues. Leurs rires ininterrompus de pétasses qui résonnaient dans la nuit. Les flammes du feu, les guitares. Les jeunes hommes aux yeux brillants. Le premier baiser, le cœur battant dont elles ne cessaient de parler ensuite des journées durant allongées sur le sable. Enfin, les séparations, la tristesse de partir et la fin des vacances.
Elles arrivaient maintenant devant chez Charlotte. Malgré le peu de lumière, on pouvait observer les fleurs dans le jardin. Il y en avait tant qu’il paraissait abandonné aux mauvaises herbes. En réalité, c’était une jachère contrôlée et merveilleuse sous le soleil : des coloquintes s’enroulaient sur les poteaux de bois, des géraniums habillaient toutes les fenêtres, des rosiers magnifiques parfumaient toute la maison. Sur la terrasse, une sculpture en verre rivalisait de couleurs avec une toile inachevée laissée sur un chevalet. A l’intérieur, on trouvait ça et là des abat-jour d’Asie, des chaises africaines, des tapis d’Orient, des tentures indiennes… L’ensemble, bien qu’hétéroclite, arrivait à se marier d’une manière agréable et donnait une certaine chaleur à l’appartement.
- Tu vis seule Charlotte demanda Sandra ?
- Oui, enfin j’ai un ami mais on ne se voit pas souvent. Il travaille à l’étranger.
- Ça doit être dur de ne pas le voir.
- Oui un peu mais lorsque l’on se retrouvera, ce sera toujours comme au premier jour.
Charlotte n’en dit pas plus. C’était un peu compliqué d’expliquer leur histoire à Sandra. Richard et elle s’étaient rencontrés dans une sorte de secte en Inde, un ashram. Ils avaient vécu leurs premières amours sous le signe de la renonciation et de l’abstinence. Bien qu’ils aient rompu avec cette idée d’ascétisme, ils étaient toujours un peu marqués par cette espèce d’illusion de la vie matérielle que révèle l’hindouisme.
Le lendemain à cinq heures, Sandra peina à sortir du lit et ne dit pas un mot avant la fin de la matinée. Elles étaient alors en pleine montagne avec le groupe à qui Charlotte servait de guide pour la randonnée. Le chemin, sur cette portion, était large et suivait une vallée par ses hauteurs.
- Tout va bien Sandra ? demanda-t-elle en se rapprochant de son amie.
- Oui, merci Charlotte répondit celle-ci avec un léger sourire.
- Tu ne parles pas beaucoup, remarqua-t-elle.
- Non, c’est vrai, mais ça va, je t’assure. D’ailleurs, je pensais à toi, c’est sympa comme boulot guide de montagne. Tu fais ça tous les jours ?
- Oui, enfin pendant l’été.
- Et ensuite, tu pars en voyage ?
- L’hiver oui.
Sandra marchait en regardant ses pieds pour ne pas trébucher avec les pierres qui barraient le chemin. Elle avait fini par ôter son pull-over et laissait apparaître ses bras blancs comme neige qui semblaient fragiles. Enfin, la marche avait donné à son visage des couleurs. Luisant ainsi, il paraissait moins triste.
- J’aimerais bien voyager comme toi Charlotte, dit-elle.
- Eh bien voyage !
- Ce n’est pas aussi simple objecta-t-elle, j’ai trop de choses à quitter. C’était juste un rêve que j’ai fait cette nuit après avoir écouté tes récits.
- Oui un rêve que peu de personnes osent transformer en réalité, pensa Charlotte.
- Tu vas où pour ton prochain voyage, s’enquit Sandra ?
- En Asie du sud-est. Je vais visiter la Thaïlande puis participer à un projet au Laos.
- Un projet ?
- Oui, de développement du tourisme dans les montagnes au nord du pays.
- Et tu n’as pas peur ?
- Peur de quoi ?
- Je ne sais pas, des gens, de la maladie.
- Non, en Asie du sud-est, c’est assez développé et partout dans le monde, les gens sont généreux et hospitaliers. Mais je ne peux pas tout t’expliquer, il faut partir. Il faut voyager dans la vie. C’est une bonne formation et ça te permettrait de te retrouver toi-même.
- Je ne suis pas perdue, n’exagère pas, protesta Sandra !
- Excuse-moi, mais je ne te trouve pas au mieux de ta forme. Certaines personnes vivent de leurs passions, d’autres de leurs occupations, de leurs enfants ou encore de leur travail. Moi, j’ai eu besoin de partir. Ça m’a beaucoup aidée. J’ai pris du recul sur la vie et j’ai pu ainsi mieux l’envisager, la cerner et voir l’essentiel. S’éloigner pour mieux voir. Monter sur la montagne pour apercevoir l’horizon au lieu de rester coincé dans la gorge. Mais je m’égare. Tu ne m’as pas encore parlé de toi, de Paris, de tes soucis ? Tu es venue pour ça. Ne te sens-tu pas mieux depuis ton départ ?
- Peut-être répondit Sandra loin pourtant d’être persuadée.
- Alors c’est toujours pareil, continua Charlotte. Ce n’est pas forcément fuir, c’est prendre du recul, de la hauteur. Un peu comme ce paysage. Là haut, c’est le pic d’Escalet. Dans la vallée coule la Neste. On aperçoit le pont de Soubiron et quand on le sait, on entend la cascade de Pichaleyt. Mais parfois, ce n’est qu’un murmure de notre esprit car on ne l’entend plus vraiment. Tout dépend d’où l’on se trouve, dans quelle direction on regarde et où l’on veut aller. Si on a la tête dans ces campanules ou le cul dans les chardons, on ne voit et on n’entend pas la même chose. Tout est question de point de vue. Si on veut voir, on lève la tête sinon on la laisse baissée, on regarde ses godasses et on ne sent plus que le goût de la sueur aux coins des lèvres. Tout le monde prend pourtant le même chemin mais personne ne voit ni ne ressent la même chose…
- Je ne comprends rien à ce que tu dis, coupa Sandra. Des fois, je me demande si tu ne te racontes pas des histoires. Tu fabules ma pauvre Charlotte. Trop de montagnes dans la tête, reviens sur Terre. Moi, j’ai mon couple qui bat de l’aile, je n’ai pas de boulot, pas d’appartement, alors tes divagations philosophiques, garde-les pour une autre fois. Là, il me faut des réponses claires ! Qu’est ce que je vais faire en redescendant de tes nuages ?
- Je ne sais pas Sandra mais pour le moment tu es là alors profites-en.
- J’aimerais bien Charlotte mais ça me pèse, tu peux comprendre.
- Un mec, un boulot, un appartement, quoi de plus matérialiste ? Ce ne sont pour moi que des liens dont on exagère l’importance car on est amené à en changer pour différentes raisons, et on en trouve souvent de mieux. Il y a juste ce moment de rupture difficile à passer comme pour toi aujourd’hui, avec la nécessité de prendre une décision alors que tu as encore cette réalité devant les yeux comme des œillères et pas d’autres opportunités qui se sont présentées.
Voilà pourquoi, pensait Charlotte, venir ici pouvait l’aider à y voir plus clair ou tout au moins lui faire du bien en cessant quelques jours de se morfondre.
- Laisse-toi un peu aller, continua-t-elle, fait de nouveaux rêves. Marcher est bon pour ce que tu as, d’autant plus dans les montagnes. Aller ma Sandra, positive !
- Facile à dire. Mais je sais que tu as raison. C’est un passage de ma vie désespérant à mourir mais qui ne peut que s’arranger même si je n’envisage pas encore comment. D’ailleurs, je ne résoudrai rien en ressassant sans cesse, conclut-elle en levant enfin la tête.
Puis après encore quelques minutes concentrée sur le bruit des pierres qui roulaient sous ses pieds, Sandra entendit le vent dans les pins, elle sentit qu’il s’était tiédi depuis le matin, elle commença de regarder autour d’elle et de profiter ainsi de la balade. Enfin, un peu avant midi, elle rejoignit Charlotte au devant de la troupe et lui cria :
- Et puis merde, tu as raison, je vais tout envoyer chier !
A cette exclamation, Charlotte sourit, Sandra avait passé un cap et tout en marchant d’un pas décidé, elle ne regardait plus ses pieds mais l’horizon :
- Ces montagnes sont vraiment chouettes continua-t-elle après un moment, avec ces lacs translucides, ces fleurs, cette herbe fine et piquante. Ça donne envie de s’allonger, de rouler dedans jusqu’à en perdre toute notion. Ça doit me fait du bien ces paysages, le bleu du ciel extraordinaire et ce vert des montagnes est si apaisant. Je ne sais pas si je suis en train de relativiser comme tu dis mais je me sens un peu mieux, mes petits soucis sont là mais ne sont pas omniprésents. Bref, je ne sens plus seule à ruminer dans mon coin. Ça donne envie de vivre ce printemps, de s’amuser et de rire. J’irai bien boire un verre ce soir !
La montagne avait vaincu.
Après quelques jours de vacances et de plein air, la soupape de pression s’était tout à fait envolée. Sandra avait retrouvé sa joie d’enfant et concevait ses ennuies avec plus de désinvolture. Elle avait réussi avec cette escapade à prendre la vie du bon côté. Elle était positive ainsi que Charlotte l’avait toujours connue. D’ailleurs, la métamorphose était incroyable. A tel point que celle-ci, malgré ses voyages et ses connaissances, revenait naturellement sous l’attraction et le pouvoir de fascination de son amie d’enfance. La force de Sandra émanait du plus profond d’elle-même, son aisance, son charisme et sa bonté sincère en ressortaient plus vifs comme après une période d’hibernation. Quand ses deux grands yeux bleus se plantaient dans les vôtres, il n’y avait plus qu’à consentir. Si seulement, elle réussissait à s’épanouir, à diriger cette intelligence spontanée pour devenir dans la vie et dans la société un être au niveau réel de ses valeurs aujourd’hui inexploitées !
Lors de son retour à Paris, Sandra retrouva Alban un peu aigri mais elle sut très bien se faire pardonner. Elle avait compris, pendant ces quelques jours, une chose qu’elle croyait essentielle : il fallait avoir des projets dans la vie. Malheureusement, des projets, elle n’en avait pas seule et ils n’en avaient pas ensemble. Dès son entrée dans l’appartement, elle eut l’impression de se jeter dans une toile d’araignée qui l’empêcherait à jamais de se mouvoir et dont les fils se confondaient avec chaque aspect que composait leur vie.
Le quotidien la reprit aussi vite qu’elle s’en était défait une fois un petit boulot trouvé, et quelques visites à ses amis et sa famille. Il ne fallut pas trois semaines pour qu’à nouveau, elle déprime. La situation était moins dramatique qu’avant son départ chez Charlotte mais sa lassitude était encore plus profonde. Au lieu de se laisser aller à flotter au milieu d’un calme océan qui la berçait doucement de ses futilités, elle partait à la dérive dans une tempête psychologique infernale qui la menait assurément à la dépression. Elle désespérait de passer ses journées à faire un travail non pas pénible mais répétitif avec des gens détestables. Des filles rabat-joie et tellement superficielles qu’elle en avait pitié.
Les relations avec Alban s’étaient calmées. Mais de ce calme qui précède l’orage. Elle pensait ne plus l’aimer d’amour mais d’habitude. L’aimer comme on peut aimer toujours, en contrôlant la lassitude. Mais était-ce vraiment cela l’amour ? Sans joie et sans partage. Alban n’avait aucune ambition mis à part de laver sa belle voiture le week-end - voiture dans laquelle il ne mettait pas de musique pour profiter pleinement du ronronnement de son moteur - et de partager des bières avec ses potes pendant les matchs de foot. Choses qui ne la dérangeaient pas outre mesure si seulement, il y avait des moments de vie à deux mais non. Leur complicité s’amenuisait au niveau zéro. Il y avait déjà un moment qu’ils n’avaient pas fait l’amour. « Si tu penses me faire des câlins le seul matin qu’on passe ensemble le dimanche avant ton foot, tu peux rêver. Je trouve ça navrant. Excuse-moi. » Alban partait en claquant la porte et le soir une fois calmé, il remettait ça et parfois, à cause des remords, elle se laissait faire. Il n’y était pour rien le pauvre d’être si navrant. Il sentait la bière et s’endormait vite. Elle avait tant envie de parler, de se confier à quelqu’un, de faire entendre sa détresse. Elle se mettait alors à sangloter comme une gamine et pensait à Charlotte mais n’osait pas se rendre encore ridicule devant celle qui, dans sa montagne et tout autour du monde, menait si bien sa vie.
Charlotte travailla jusqu’au dernier jour. La fin de semaine se déroula avec la compagnie d’un groupe de bons randonneurs. Elle les mena en Espagne dans l’univers fantasmagorique calcaire et minéral du cirque d’Armenia où l’eau avait sculpté les roches. De retour chez elle, encore toute perchée dans ses paysages, elle prépara son sac de voyage et organisa son départ. Enfin, elle finit par s’apercevoir qu’elle avait des messages. Trois de Sandra. Le premier, celle-ci demandait à Charlotte de la rappeler. Le deuxième, elle pleurait et disait avoir besoin de ses conseils. Le troisième, sa détresse était palpable et tragique. Sandra était tout à fait à bout une nouvelle fois.
Il était trop tard ce soir-là pour la rappeler et de toute façon son dernier appel remontait au vendredi. Comme elle devait se rendre à Paris pour prendre l’avion, Charlotte décida de partir rapidement et d’aller passer un peu de temps avec elle.
Une fois à Paris, elle se rendit chez Sandra et frappa à la porte persuadée qu’elle ne trouverait personne en pleine journée. Mais elle insista tout de même, insista encore et se prit à avoir un doute, une sensation étrange, elle cria presque « Sandra, ouvre, c’est moi Charlotte, je t’en prie, est-ce que tu es là, réponds-moi, tu me fais peur » en vain. Alors, elle redescendit les escaliers et partit patienter sur la terrasse d’un bar voisin. Vers dix-huit heures, elle remonta frapper, à dix-neuf heures aussi mais toujours personne. Elle commençait à désespérer. Le téléphone ne répondait jamais non plus. Enfin, elle dut laisser tomber afin de ne pas arriver trop tard chez les amis qui l’hébergeaient.
Chapitre 1
La métamorphose
C’était l’heure préférée de Sandra. Allongée sur son lit, en chemise de nuit, elle sirotait un thé avec sa clope et sa télécommande. Alban était parti travailler à vingt heures trente et elle était enfin tranquille. Depuis qu’elle n’avait plus de boulot, Alban la prenait pour sa boniche. Il aurait voulu en plus qu’elle lui prépare des petits plats. Elle se tapait déjà ses lessives avec ses chaussettes puantes, elle faisait les courses, le ménage, la vaisselle… En fait, tous ce qu’elle détestait et c’était la base de leurs engueulades.
Mais entre eux, dorénavant, toutes les excuses étaient bonnes pour s’engueuler. Après les premiers mois de folie succédèrent les mois de guerre. En ce moment, c’était la guerre froide. Les reproches fusaient et le mépris perçait les cœurs.
A la télé, comme toujours, des films avec des flics et des tueurs psychopathes. La météo annonçait encore du froid et de la grisaille. Quelle vie de merde ! A vingt-cinq ans, Sandra se disait qu’elle n’avait encore rien fait de constructif. Petit boulot sur petit boulot, presque autant que de mecs et tout aussi débiles. Alban était gentil. Ouvrier en usine, il passait ses nuits à tordre des bouts de ferraille, toujours les mêmes, avec une machine. Mais pour tout le monde, il travaillait dans l’aéronautique, une place rare. Maintenant c’était sûr, il ferait cela toute sa vie. A moins qu’un jour, peut-être demain, la société délocalise et le foute dehors. C’est ce qui pouvait lui arriver de mieux. Quoique, se dit-elle : « c’est ce qui est arrivé à mon père et depuis il est sous anti-dépresseurs ». Elle éteignit la télé avec rage. « Ils feraient mieux de cultiver les gens au lieu de les abrutir avec ces conneries ! »
Elle revenait de se brosser les dents quand son téléphone sonna : « ma mère, il ne manquait plus qu’elle ! »
- Allô Maman !
- …
- Oui je suis allée à l’entretien
- …
- Non, ça s’est mal passé. Je connais ce boulot. Emballer des Cds toute la journée dans un entrepôt pas même chauffé.
- …
- Oui je sais maman, si tu veux, je suis une feignante, mais je préfère ne rien foutre pour le même prix. Je gagne même plus avec les assedic. En plus c’est une ambiance de merde, les pauvres filles se boufferaient entre elles pour avoir la chance de rester.
- …
- Faut bien qu’il y en ait qui profitent. D’ailleurs papa dit toujours qu’il n’y a que les bougnoules qui en profitent et c’est toujours les mêmes qui bossent. Il est bien content de recevoir le chômage en ce moment !
- …
- C’est ça, j’ai toujours raison. En attendant, je ne vous demande rien, et surtout bosse pour que je puisse bouffer avec tes impôts !
« Elle a raccroché, tant mieux, toujours à me prendre la tête ! » Elle jeta son téléphone sur son lit et prit un livre. « Je ferais mieux de dormir, dormir indéfiniment. »
J’ai écris ce livre à la mémoire de mes deux mamans. Et je le dédie à mes frères.
Dans le monde où nous vivons, il est bon, je crois, de se rappeler d’où l’on vient, l’histoire de nos familles. Surtout quand elle est liée, comme vous n’êtes pas sans le savoir, à ce que nous sommes aujourd’hui, à notre société, à l’évolution chaotique mais inéluctable des dernières décennies qui nous a mené ici, au commencement, du moins beaucoup l’espère, d’une nouvelle ère.
Il y a trente ans, trente ans seulement, c’est si proche et pourtant si lointain à la mesure des événements qui se sont traduits, deux femmes se retrouvaient et leur vie prenait une tournure tout à fait spéciale que je vais tenter de reconstituer ici grâce aux souvenirs qu’elles ont bien voulu me conter lorsque j’étais enfant et que ma mémoire ressasse depuis comme un film qui ne cesserait de tourner en boucle.
Ce livre n’est que ma contribution, si bénigne soit-elle, mais elle permettra d’apporter aux historiens, aux curieux et aux intéressés, ma vision des faits telle que je l’ai perçue directement des jupons de ces femmes d’exceptions.
A Pierre surtout, mon plus jeune frère, dont l’exercice de la vie s’apparente à une guerre dont il croit avoir hérité. Il trouvera à travers ce livre je l’espère la force et la sagesse d’anticiper ces actes avec l’aide et la réflexion de ses aïeux dont j’ai retracé ici le souffle et peut-être une part de la philosophie.
Enfin, à travers ce livre et bien que ce n’est pas été ma pensée première, le lecteur trouvera à corriger bon nombre de préjugés et de mensonges qui ont été élevés au cour du temps à la gloire des vivants et à la mémoire des morts.
Pour la vérité.
Votre obligé.
Simon.
Le réveil hurla. Cinq heures du matin. Charlotte s’assit au bord du lit et se frotta les yeux. Elle faisait partie des gens qui ne lézardaient pas sous la couette mais sautaient dans la douche à peine le réveil sonnait. Souriante, dynamique, c’était une petite femme qu’on aimait côtoyer dans la vie. Avec sa chevelure brune ébouriffée du matin, sa chemise de nuit claire sur son joli corps doré, elle portait un visage d’une grande douceur avec deux yeux marrons verts à peine relevés par des sourcils légers, des pommettes où perçaient quelques tâches de rousseur et deux fossettes que le moindre sourire naissant faisait apparaître. Elle se dirigea vers la salle de bain, prit sa douche et commençait de se brosser les cheveux quand son téléphone sonna :
- Allô Sandra ! qu’est ce qu’il t’arrive ?
- Je n’arrive pas à dormir et je pensais à toi. Tu es en France depuis plusieurs mois et tu n’es même pas venue me voir.
- Je sais Sandra, je suis désolée, je n’ai pas pris le temps mais je viendrai. Enfin, ce n’est pas pour ça que tu appelles à cinq heures du matin. Tu as des ennuis ?
- Non, je me fais chier. On n’arrête pas de s’engueuler avec Alban. Je n’ai pas de boulot et je n’ai pas envie d’en chercher. Tout va bien quoi !
- Tu sais à quoi tu me fais penser ; à toutes ces petites françaises pourries gâtées.
- Je sais, tu vas me ressortir tes pays pauvres où les enfants aimeraient aller à l’école… mais même eux, je suis sûre, ne sont pas aussi abandonnés que moi.
- Peut-être bien mais ce n’est pas une raison pour se laisser aller. Pourquoi tu ne viendrais pas me voir puisque tu ne travailles pas ? Ca te ferait du bien de changer d’air.
- Je ne sais pas, je n’y avais pas pensé.
- Jeudi, je ne travaille pas, je te remonterai le moral.
- Ok, je vais voir, tu crèches où ?
- Saint-Lary-Soulan, dans les pyrénées.
- Je fais comment de Paris ?
- Ma parole, tu n’es jamais sortie de chez toi ! Tu prends un train pour Tarbes. Tu auras certainement un changement à Bordeaux. Puis, de Tarbes tu trouveras un bus à la sortie de la gare.
- Tu sais, je n’ai pas souvent pris le train. Ca fait au moins trois ans que je ne suis pas sortie de Paris. Mais je vais y arriver. Je me demande si je ne vais pas partir aujourd’hui. Bon je te laisse, Alban va arriver du boulot. On va voir comment ça va se passer mais je suis motivée.
- Alors à ce soir Sandra.
Sandra restait indécise. Alban avait refusé qu’elle s’en aille mais là n’était pas la question, il lui manquait le courage. Elle regardait la grisaille parisienne à travers la fenêtre puis la pièce autour d’elle. La pendule du salon prenait son temps ce matin. Sur la télévision, traînait une photo d’elle avec Alban et ces jolis sourires de leurs premières amours. Ils étaient sur la pelouse du parc de Vincennes, c’était l’été. Ils posaient tous les deux joue contre joue. Les cheveux blonds et courts de Sandra faisaient ressortir deux yeux bleus immenses de son visage pâle de Parisienne qu’une robe blanche, serrée, amplifiait encore. Elle prit la photo dans ses mains pour la regarder de plus près et se trouva blafarde et maigre. Pourtant, un rayon de soleil suffisait à dorer sa peau. Elle alla dans la salle de bain et se regarda dans la glace. Elle était encore plus blanche que sur la photo. Maladive. Seuls, ses lèvres vermeils légèrement entrouvertes et ses grands yeux bleus vivaient encore et rendaient cette fragilité particulièrement troublante.
Elle alla jeter un œil dans la chambre. Alban dormait paisiblement, fatigué par sa nuit de travail. Il était irrésistible de ne pas s’allonger contre lui, elle alla se blottir un instant. Mais elle ne pouvait dormir. Elle avait envie de se bouger aujourd’hui, d’aller s’acheter des fringues. C’était souvent ce qu’elle faisait quand elle avait un coup de blues. « Je vais trouver du travail » se dit-elle, puis « je pars en vacances chez Charlotte, ensuite je trouverai du travail. » Motivée par sa décision, elle écrivit un mot à Alban, jeta quelques affaires dans son sac et partit.
Par la fenêtre du train, les paysages défilaient. D’abord l’agglomération de Paris puis les vastes paysages de Beauce. Sandra se demandait ce qu’il pouvait bien y avoir à faire dans une telle campagne. Jamais elle n’irait vivre en province. Née et grandie à Paris, elle ne supportait pas les grands espaces sur lesquels le soleil se couche. Après Poitiers, elle vit défiler les prairies avec leurs vaches immobiles. Déjà, Sandra pouvait sentir toute l’angoisse de sa vie se détacher et flotter devant ses yeux. Mais elle ne voulait pas y penser. Elle voulait éviter cela à tout prix depuis qu’elle avait passé la porte de chez elle. Elle s’obstinait pour s’occuper, à observer les gens autours d’elle et à essayer d’imaginer leur vie. Tous avaient une tête différente seulement, elle n’arrivait pas à leur donner une vie différente. Ces messieurs devaient travailler dans des usines et ces dames emballer des packs de Cds. C’était tout ce qu’elle concevait pour eux.
Après le changement de train à Bordeaux, elle traversa les Landes. Ce paysage monotone ne l’aidait pas. Elle finit par se laisser aller à ses pensées. Celles qui concernaient sa vie. Il devait bien y avoir une issue à tant d’ennuis. Elle devrait bien un jour prendre les décisions qui rendraient les jours neufs, le réveil impatient, l’émotion vraie, le ciel bleu et le soleil moins tristes. Mais quelles étaient ces décisions ?
Enfin, à Tarbes, le bus l’attendait, et la route s’enfonça dans les montagnes où le soleil ne parvenait déjà plus. Elle ne vit pas Charlotte en descendant du bus. Après cinq minutes d’attente, elle se dirigea vers un petit banc et s’assit. Elle se sentait abandonnée. Son petit sac serré entre ses jambes tremblantes. Les gens la regardaient en passant. Elle écrasa sa troisième cigarette. La nuit tombait.
Enfin Charlotte arriva. A pied, elles traversèrent la petite ville et prirent la direction du hameau où elle habitait. Sandra dit qu’elle avait l’habitude de marcher dans Paris la nuit. Elle ajouta qu’elle n’avait jamais vu un endroit aussi tranquille et silencieux, pour ne pas dire effrayant.
- Je ne pourrai jamais habiter à la campagne dit Sandra pour elle-même.
- Et moi, je ne m’installerai plus jamais en ville, rétorqua Charlotte. J’ai vécu dans de grandes capitales comme Istanbul et Delhi. Vivre dans une capitale est envoûtant mais malgré tout, j’aime trop la qualité de vie en campagne. La tranquillité, le silence, les gens sont moins stressés et plus souriants. Souvent j’ai envie d’être déjà vieille quand je vois les mamies toutes tranquilles avec leurs petites habitudes. Leurs traits sur leur visage me font penser qu’elles ont déjà tout vu, tout vécu, et que finalement elles n’aspiraient qu’à une seule chose : le calme d’un jardin, des occupations utiles et quotidiennes. Bref, je n’en suis pas là mais souvent je trouve ma vie un peu speed.
- Tout le contraire de moi, souffla Sandra, j’ai l’impression d’être déjà vieille. Je fais toujours la même chose et souvent rien. Les saisons passent mais je ne les vois pas. Ne rien faire. Regarder les émissions de retraités à la télé.
- Il faudrait échanger nos places mais comment fais-tu pour t’ennuyer ? Alors que moi, j’aimerais en savoir davantage sur un tas de choses et je n’ai pas le temps de m’y intéresser. J’ai la peinture, je fais des expositions, j’organise des vernissages, je participe à des cours, j’en donne moi-même dans une association, je voyage, je travaille…
Sandra n’écoutait plus. Elle en avait suffisamment entendu et de toute façon, elle était bien incapable d’en faire autant. Et en la regardant ce soir, en plus, elle la trouvait belle. Belle comme peuvent l’être les personnes épanouies, naturelles et ayant, à n’en pas douter, une vie saine, sportive et exaltante.
Le silence s’installa. Elles n’avaient plus grand chose en commun. Depuis toutes petites et jusqu’à l’âge de quinze ans, leurs parents passaient leurs vacances ensemble près de Narbonne. A l’époque, Sandra était la plus vive. Aussi la plus dévergondée. C’est elle qui menait les autres. Charlotte revoyait comme si c’était hier, tant cela l’avait marquée, les fois où elles avaient fait le mur la nuit pour retrouver leurs amis. Leurs cheveux longs mêlés dans le vent qui soufflait sur les rues. Leurs rires ininterrompus de pétasses qui résonnaient dans la nuit. Les flammes du feu, les guitares. Les jeunes hommes aux yeux brillants. Le premier baiser, le cœur battant dont elles ne cessaient de parler ensuite des journées durant allongées sur le sable. Enfin, les séparations, la tristesse de partir et la fin des vacances.
Elles arrivaient maintenant devant chez Charlotte. Malgré le peu de lumière, on pouvait observer les fleurs dans le jardin. Il y en avait tant qu’il paraissait abandonné aux mauvaises herbes. En réalité, c’était une jachère contrôlée et merveilleuse sous le soleil : des coloquintes s’enroulaient sur les poteaux de bois, des géraniums habillaient toutes les fenêtres, des rosiers magnifiques parfumaient toute la maison. Sur la terrasse, une sculpture en verre rivalisait de couleurs avec une toile inachevée laissée sur un chevalet. A l’intérieur, on trouvait ça et là des abat-jour d’Asie, des chaises africaines, des tapis d’Orient, des tentures indiennes… L’ensemble, bien qu’hétéroclite, arrivait à se marier d’une manière agréable et donnait une certaine chaleur à l’appartement.
- Tu vis seule Charlotte demanda Sandra ?
- Oui, enfin j’ai un ami mais on ne se voit pas souvent. Il travaille à l’étranger.
- Ça doit être dur de ne pas le voir.
- Oui un peu mais lorsque l’on se retrouvera, ce sera toujours comme au premier jour.
Charlotte n’en dit pas plus. C’était un peu compliqué d’expliquer leur histoire à Sandra. Richard et elle s’étaient rencontrés dans une sorte de secte en Inde, un ashram. Ils avaient vécu leurs premières amours sous le signe de la renonciation et de l’abstinence. Bien qu’ils aient rompu avec cette idée d’ascétisme, ils étaient toujours un peu marqués par cette espèce d’illusion de la vie matérielle que révèle l’hindouisme.
Le lendemain à cinq heures, Sandra peina à sortir du lit et ne dit pas un mot avant la fin de la matinée. Elles étaient alors en pleine montagne avec le groupe à qui Charlotte servait de guide pour la randonnée. Le chemin, sur cette portion, était large et suivait une vallée par ses hauteurs.
- Tout va bien Sandra ? demanda-t-elle en se rapprochant de son amie.
- Oui, merci Charlotte répondit celle-ci avec un léger sourire.
- Tu ne parles pas beaucoup, remarqua-t-elle.
- Non, c’est vrai, mais ça va, je t’assure. D’ailleurs, je pensais à toi, c’est sympa comme boulot guide de montagne. Tu fais ça tous les jours ?
- Oui, enfin pendant l’été.
- Et ensuite, tu pars en voyage ?
- L’hiver oui.
Sandra marchait en regardant ses pieds pour ne pas trébucher avec les pierres qui barraient le chemin. Elle avait fini par ôter son pull-over et laissait apparaître ses bras blancs comme neige qui semblaient fragiles. Enfin, la marche avait donné à son visage des couleurs. Luisant ainsi, il paraissait moins triste.
- J’aimerais bien voyager comme toi Charlotte, dit-elle.
- Eh bien voyage !
- Ce n’est pas aussi simple objecta-t-elle, j’ai trop de choses à quitter. C’était juste un rêve que j’ai fait cette nuit après avoir écouté tes récits.
- Oui un rêve que peu de personnes osent transformer en réalité, pensa Charlotte.
- Tu vas où pour ton prochain voyage, s’enquit Sandra ?
- En Asie du sud-est. Je vais visiter la Thaïlande puis participer à un projet au Laos.
- Un projet ?
- Oui, de développement du tourisme dans les montagnes au nord du pays.
- Et tu n’as pas peur ?
- Peur de quoi ?
- Je ne sais pas, des gens, de la maladie.
- Non, en Asie du sud-est, c’est assez développé et partout dans le monde, les gens sont généreux et hospitaliers. Mais je ne peux pas tout t’expliquer, il faut partir. Il faut voyager dans la vie. C’est une bonne formation et ça te permettrait de te retrouver toi-même.
- Je ne suis pas perdue, n’exagère pas, protesta Sandra !
- Excuse-moi, mais je ne te trouve pas au mieux de ta forme. Certaines personnes vivent de leurs passions, d’autres de leurs occupations, de leurs enfants ou encore de leur travail. Moi, j’ai eu besoin de partir. Ça m’a beaucoup aidée. J’ai pris du recul sur la vie et j’ai pu ainsi mieux l’envisager, la cerner et voir l’essentiel. S’éloigner pour mieux voir. Monter sur la montagne pour apercevoir l’horizon au lieu de rester coincé dans la gorge. Mais je m’égare. Tu ne m’as pas encore parlé de toi, de Paris, de tes soucis ? Tu es venue pour ça. Ne te sens-tu pas mieux depuis ton départ ?
- Peut-être répondit Sandra loin pourtant d’être persuadée.
- Alors c’est toujours pareil, continua Charlotte. Ce n’est pas forcément fuir, c’est prendre du recul, de la hauteur. Un peu comme ce paysage. Là haut, c’est le pic d’Escalet. Dans la vallée coule la Neste. On aperçoit le pont de Soubiron et quand on le sait, on entend la cascade de Pichaleyt. Mais parfois, ce n’est qu’un murmure de notre esprit car on ne l’entend plus vraiment. Tout dépend d’où l’on se trouve, dans quelle direction on regarde et où l’on veut aller. Si on a la tête dans ces campanules ou le cul dans les chardons, on ne voit et on n’entend pas la même chose. Tout est question de point de vue. Si on veut voir, on lève la tête sinon on la laisse baissée, on regarde ses godasses et on ne sent plus que le goût de la sueur aux coins des lèvres. Tout le monde prend pourtant le même chemin mais personne ne voit ni ne ressent la même chose…
- Je ne comprends rien à ce que tu dis, coupa Sandra. Des fois, je me demande si tu ne te racontes pas des histoires. Tu fabules ma pauvre Charlotte. Trop de montagnes dans la tête, reviens sur Terre. Moi, j’ai mon couple qui bat de l’aile, je n’ai pas de boulot, pas d’appartement, alors tes divagations philosophiques, garde-les pour une autre fois. Là, il me faut des réponses claires ! Qu’est ce que je vais faire en redescendant de tes nuages ?
- Je ne sais pas Sandra mais pour le moment tu es là alors profites-en.
- J’aimerais bien Charlotte mais ça me pèse, tu peux comprendre.
- Un mec, un boulot, un appartement, quoi de plus matérialiste ? Ce ne sont pour moi que des liens dont on exagère l’importance car on est amené à en changer pour différentes raisons, et on en trouve souvent de mieux. Il y a juste ce moment de rupture difficile à passer comme pour toi aujourd’hui, avec la nécessité de prendre une décision alors que tu as encore cette réalité devant les yeux comme des œillères et pas d’autres opportunités qui se sont présentées.
Voilà pourquoi, pensait Charlotte, venir ici pouvait l’aider à y voir plus clair ou tout au moins lui faire du bien en cessant quelques jours de se morfondre.
- Laisse-toi un peu aller, continua-t-elle, fait de nouveaux rêves. Marcher est bon pour ce que tu as, d’autant plus dans les montagnes. Aller ma Sandra, positive !
- Facile à dire. Mais je sais que tu as raison. C’est un passage de ma vie désespérant à mourir mais qui ne peut que s’arranger même si je n’envisage pas encore comment. D’ailleurs, je ne résoudrai rien en ressassant sans cesse, conclut-elle en levant enfin la tête.
Puis après encore quelques minutes concentrée sur le bruit des pierres qui roulaient sous ses pieds, Sandra entendit le vent dans les pins, elle sentit qu’il s’était tiédi depuis le matin, elle commença de regarder autour d’elle et de profiter ainsi de la balade. Enfin, un peu avant midi, elle rejoignit Charlotte au devant de la troupe et lui cria :
- Et puis merde, tu as raison, je vais tout envoyer chier !
A cette exclamation, Charlotte sourit, Sandra avait passé un cap et tout en marchant d’un pas décidé, elle ne regardait plus ses pieds mais l’horizon :
- Ces montagnes sont vraiment chouettes continua-t-elle après un moment, avec ces lacs translucides, ces fleurs, cette herbe fine et piquante. Ça donne envie de s’allonger, de rouler dedans jusqu’à en perdre toute notion. Ça doit me fait du bien ces paysages, le bleu du ciel extraordinaire et ce vert des montagnes est si apaisant. Je ne sais pas si je suis en train de relativiser comme tu dis mais je me sens un peu mieux, mes petits soucis sont là mais ne sont pas omniprésents. Bref, je ne sens plus seule à ruminer dans mon coin. Ça donne envie de vivre ce printemps, de s’amuser et de rire. J’irai bien boire un verre ce soir !
La montagne avait vaincu.
Après quelques jours de vacances et de plein air, la soupape de pression s’était tout à fait envolée. Sandra avait retrouvé sa joie d’enfant et concevait ses ennuies avec plus de désinvolture. Elle avait réussi avec cette escapade à prendre la vie du bon côté. Elle était positive ainsi que Charlotte l’avait toujours connue. D’ailleurs, la métamorphose était incroyable. A tel point que celle-ci, malgré ses voyages et ses connaissances, revenait naturellement sous l’attraction et le pouvoir de fascination de son amie d’enfance. La force de Sandra émanait du plus profond d’elle-même, son aisance, son charisme et sa bonté sincère en ressortaient plus vifs comme après une période d’hibernation. Quand ses deux grands yeux bleus se plantaient dans les vôtres, il n’y avait plus qu’à consentir. Si seulement, elle réussissait à s’épanouir, à diriger cette intelligence spontanée pour devenir dans la vie et dans la société un être au niveau réel de ses valeurs aujourd’hui inexploitées !
Lors de son retour à Paris, Sandra retrouva Alban un peu aigri mais elle sut très bien se faire pardonner. Elle avait compris, pendant ces quelques jours, une chose qu’elle croyait essentielle : il fallait avoir des projets dans la vie. Malheureusement, des projets, elle n’en avait pas seule et ils n’en avaient pas ensemble. Dès son entrée dans l’appartement, elle eut l’impression de se jeter dans une toile d’araignée qui l’empêcherait à jamais de se mouvoir et dont les fils se confondaient avec chaque aspect que composait leur vie.
Le quotidien la reprit aussi vite qu’elle s’en était défait une fois un petit boulot trouvé, et quelques visites à ses amis et sa famille. Il ne fallut pas trois semaines pour qu’à nouveau, elle déprime. La situation était moins dramatique qu’avant son départ chez Charlotte mais sa lassitude était encore plus profonde. Au lieu de se laisser aller à flotter au milieu d’un calme océan qui la berçait doucement de ses futilités, elle partait à la dérive dans une tempête psychologique infernale qui la menait assurément à la dépression. Elle désespérait de passer ses journées à faire un travail non pas pénible mais répétitif avec des gens détestables. Des filles rabat-joie et tellement superficielles qu’elle en avait pitié.
Les relations avec Alban s’étaient calmées. Mais de ce calme qui précède l’orage. Elle pensait ne plus l’aimer d’amour mais d’habitude. L’aimer comme on peut aimer toujours, en contrôlant la lassitude. Mais était-ce vraiment cela l’amour ? Sans joie et sans partage. Alban n’avait aucune ambition mis à part de laver sa belle voiture le week-end - voiture dans laquelle il ne mettait pas de musique pour profiter pleinement du ronronnement de son moteur - et de partager des bières avec ses potes pendant les matchs de foot. Choses qui ne la dérangeaient pas outre mesure si seulement, il y avait des moments de vie à deux mais non. Leur complicité s’amenuisait au niveau zéro. Il y avait déjà un moment qu’ils n’avaient pas fait l’amour. « Si tu penses me faire des câlins le seul matin qu’on passe ensemble le dimanche avant ton foot, tu peux rêver. Je trouve ça navrant. Excuse-moi. » Alban partait en claquant la porte et le soir une fois calmé, il remettait ça et parfois, à cause des remords, elle se laissait faire. Il n’y était pour rien le pauvre d’être si navrant. Il sentait la bière et s’endormait vite. Elle avait tant envie de parler, de se confier à quelqu’un, de faire entendre sa détresse. Elle se mettait alors à sangloter comme une gamine et pensait à Charlotte mais n’osait pas se rendre encore ridicule devant celle qui, dans sa montagne et tout autour du monde, menait si bien sa vie.
Charlotte travailla jusqu’au dernier jour. La fin de semaine se déroula avec la compagnie d’un groupe de bons randonneurs. Elle les mena en Espagne dans l’univers fantasmagorique calcaire et minéral du cirque d’Armenia où l’eau avait sculpté les roches. De retour chez elle, encore toute perchée dans ses paysages, elle prépara son sac de voyage et organisa son départ. Enfin, elle finit par s’apercevoir qu’elle avait des messages. Trois de Sandra. Le premier, celle-ci demandait à Charlotte de la rappeler. Le deuxième, elle pleurait et disait avoir besoin de ses conseils. Le troisième, sa détresse était palpable et tragique. Sandra était tout à fait à bout une nouvelle fois.
Il était trop tard ce soir-là pour la rappeler et de toute façon son dernier appel remontait au vendredi. Comme elle devait se rendre à Paris pour prendre l’avion, Charlotte décida de partir rapidement et d’aller passer un peu de temps avec elle.
Une fois à Paris, elle se rendit chez Sandra et frappa à la porte persuadée qu’elle ne trouverait personne en pleine journée. Mais elle insista tout de même, insista encore et se prit à avoir un doute, une sensation étrange, elle cria presque « Sandra, ouvre, c’est moi Charlotte, je t’en prie, est-ce que tu es là, réponds-moi, tu me fais peur » en vain. Alors, elle redescendit les escaliers et partit patienter sur la terrasse d’un bar voisin. Vers dix-huit heures, elle remonta frapper, à dix-neuf heures aussi mais toujours personne. Elle commençait à désespérer. Le téléphone ne répondait jamais non plus. Enfin, elle dut laisser tomber afin de ne pas arriver trop tard chez les amis qui l’hébergeaient.
Dilo- Nombre de messages : 65
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Re: Passion dissidente
A sa descente de l’avion, Charlotte sentit la chaleur et l’humidité tropicale recouvrir son corps et s’introduire sous ses vêtements. C’était une sensation divine qui faisait ressurgir en elle les souvenirs de voyage et de liberté. Elle visitait la Thaïlande pour la première fois et trouva tout de suite ce pays accueillant et chaleureux. Tout était prévu pour les touristes dès la sortie de l’aéroport.
Elle avait quand même acheté un guide de voyage. Le fameux Lonely Planet. Celui qu’utilisaient les aventuriers du XXIème siècle pour faire exactement le contraire. Qui ne voyage pas de nos jours, pensa-t-elle ? Les prix dans les pays du sud sont si peu élevés. Un commerçant habile dans ces pays n’aura pourtant jamais l’occasion de visiter l’Europe se dit-elle encore.
Charlotte prit ensuite un taxi pour se rendre à l’hôtel. Un taxi ! Jamais en France elle n’avait pris de taxis. Et ici, elle en prendrait tous les jours ! Après avoir dégusté son premier repas thaï, elle se dirigea comme bon nombre de touristes, des heures durant, dans un cybercafé donner des nouvelles à sa famille. Le fameux « je suis bien arrivée » tant attendu. Et toujours la curiosité de savoir si un ami, une connaissance, avait daigné penser à elle. En effet, elle avait un nouveau message. C’était Sandra ! « Charlotte, j’ai pris un avion mardi pour la Thaïlande sur un coup de tête. Je pensais te retrouver là-bas mais c’est impossible ! Je suis vraiment perdue et bête. Je ne parle même pas anglais. Les gens sont souriants mais je n’ose pas sortir dans les rues, c’est si différent. Viens me chercher, je t’en prie, pourvu que tu reçoives ce message, je suis au Pranee Building à Kasemsan, mais je ne sais pas du tout où c’est. Chambre 7. A très bientôt j’espère. Sandra. »
Charlotte ne fut pas longue à trouver l’hôtel. Sandra était assise à une table dans le hall avec un livre.
- Ça va, les vacances ? lui lança-t-elle.
Quand Sandra leva les yeux sur Charlotte, elle ne put s’empêcher de pousser un cri de joie et sauta de sa chaise jusque dans ses bras.
- Je pensais ne jamais te retrouver, s’écria-t-elle ! J’attends assise là depuis trois jours !
- Ça n’a pas été difficile, encore fallait-il que je sois en Thaïlande.
- Ouf, mon dieu ! J’ai trop l’air d’une conne. Je suis obligée de m’exprimer en mime. J’ai honte.
- Pourquoi tu es partie sans rien dire à personne ? Est-ce que tu as enfin donné des nouvelles ?
- Non.
- Et ça ne te fait rien que les gens s’inquiètent pour toi ?
- Qui s’inquiète à part toi ? demanda Sandra.
- Mais je ne sais pas, tes parents ?
- Non.
- Alban ?
- Non !
- Des amis alors ?
- Non, personne ne s’inquiète. Je sais, j’ai été folle de partir comme ça. J’étais très angoissée dans l’avion mais c’était trop tard. Je suis partie au lieu de me jeter par la fenêtre si tu veux savoir. Et je suis bien contente si quelques personnes s’inquiètent mais je n’y crois pas, surtout pas Alban, il doit être soulagé. Alors, je ne suis pas trop débrouillarde mais ça va venir, j’en suis sûre. Jamais je ne regretterai d’avoir enfin mis les pieds dans le monde. Il y a trop longtemps que j’en rêvais, finalement, sans en avoir conscience. Maintenant je suis là, tu es là et je suis heureuse !
Après quelques jours de balades dans la capitale et sur les méandres de son fleuve, dans les marchés flottants, Charlotte et Sandra s’enfuirent dans les provinces rurales de l’Isan. Elles visitèrent des sites historiques de l’ancien empire Siam mais les pierres ne leur confièrent rien car les filles ne connaissaient pas leur histoire. Charlotte regrettait alors de ne pas avoir pris le temps cet hiver de se documenter un peu plus sur ce pays qu’elle allait visiter. Son guide de voyage leur apprenait bien quelques brides de savoir mais il y a avait tellement à découvrir.
Un jour qu’elles se trouvaient dans un village au bord d’un parc national où elles avaient prévu de se rendre le lendemain. Elle dégotèrent un petit chalet loué par des habitants au fond de leur jardin sur les rives de quelques étangs. Un endroit merveilleux et tranquille où Charlotte disait qu’elle serait bien restée plus longtemps si la découverte d’autres sites ne la rongeait pas de désirs insupportables. Sandra, elle, suivait docilement pour une fois sa maîtresse de voyage et posait seulement de nombreuses questions :
- Charlotte, pourquoi le monsieur de cette maison nous fait chaque fois qu’il nous voit le salut militaire ? C’est frustrant de ne pas savoir ce qu’il pense. Il a bien toujours le sourire mais un sourire asiatique que j’ai du mal à cerner et puis c’est surtout cette jambe en moins qui me rend triste. Il l’a sûrement perdue à la guerre. Sais-tu de quelle guerre il s’agit ?
- Je ne suis pas sûre mais vu son âge, c’est peut-être la guerre d’Indochine.
- C’est où l’Indochine, demanda Sandra alors que Charlotte se moquait déjà de sa parfaite ignorance.
Mais bientôt, le monsieur unijambiste profita de ce que sa femme « colonel » soit partie, pour leur apporter un régiment de bananes. De celles que les Thaïlandais raffolent. Il n’y eut toujours pas de communication mais seulement le salut militaire accompagné d’un sourire qu’elles crurent cette fois sincère. Non, vraiment elles avaient eu tord d’imaginer qu’il en voulait aux Français. D’ailleurs, l’histoire était toujours si complexe. S’était-il rallié ensuite aux communistes ou aux Américains ? Etait-il vraiment Thaïlandais ou un Lao immigré comme bon nombre dans la région ? Peut-être ça n’avait été qu’un accident de la route tout simplement. Enfin, cette anecdote décida Sandra de se jeter sur tous les livres qu’elle pouvait acheter, notamment aux autres voyageurs et même en anglais, langue qu’elle désirait comprendre absolument parfaitement et le plus rapidement possible, pour démêler l’histoire de ces pays d’Asie du sud-est dont la plupart avait été colonisé par la France.
Pendant ce temps, elles continuaient les visites. Surtout celles faites à la nature si riche et extraordinaire de ces contrées tropicales humides qui ne nécessitaient pas de connaissances historiques mais botaniques, par ailleurs qu’elles pouvaient apprécier tout de même. Dans un de ces parcs nationaux protégés, elles virent enfin des animaux mais seulement dans une vallée étrange et interdite au public où elles se rendirent malgré tout, pour s’apercevoir que c’était l’endroit où les hôtels jetaient leurs déchets immondes. Du coup, la visite des parcs nationaux ne leur tînt plus à coeur. Par ailleurs, suivre des files de touristes dont les sacs étaient portés par des larbins ne leur plaisait guère.
Elles s’intéressèrent alors aux villageois des régions lointaines, échappant ainsi aux flux touristiques et recherchèrent l’authenticité. Elles ne trouvèrent souvent que l’occidentalisation, surtout dans les paysages urbains modernes faits de grues et de bétons qui remplaçaient les maisons en bois sur pilotis. Les coutumes exotiques jaillissaient devant leurs yeux parfois comme peuvent le faire les geysers : des fêtes bouddhistes dans les rues et des gestes centenaires dans les champs appartenant seulement à ce type d’environnement. Le reste du temps, les voitures, les portables et les télévisions occupaient les Thaïlandais de la même façon que les Français.
- Je ne pensais pas trouver un pays si développé finit par confier Charlotte à Sandra. Mais la véritable différence, mis à part le climat, se trouve dans la façon de penser et de concevoir les choses. Malheureusement il faut des années pour découvrir l’essence des peuples, ce qui les anime, leur héritage culturel et philosophique.
- Oui, j’imagine bien, répondit Sandra, que ces richesses ne sautent pas aux yeux du premier couillon venu.
Finalement, elles se rendirent à l’évidence. Peu de voyageurs avait effectivement la faculté de les saisir car le voyage n’était qu’un déplacement pour voir, non pas analyser et comprendre, surtout sans connaissance préalable. L’aventure, l’exotisme et l’authenticité exigeaient des mystères pour apparaître mais ces artifices n’étaient encore que de l’émotion, rien d’autre, de la consommation d’émotions sans cesse renouvelées par le déplacement.
Dans ce nouveau bus climatisé, Charlotte surtout, commençait à avoir des pensées mornes d’une petite bourgeoise blasée. Elle se demandait si la France, finalement, ne lui manquait pas. Mais c’était surtout tout ce temps perdu dans les nombreux déplacements qu’elles effectuaient seulement pour aller « voir » qui la gênait alors qu’elle manquait de temps en France pour entreprendre tout ce qu’elle voulait effectuer chaque jour. Elle en avait conscience mais n’osait pas en faire part à Sandra qui continuait d’être émerveillée malgré tout et c’était bien normal, pensait-elle, pour son premier voyage. C’était exaltant pour elle qui découvrait en sortant de Paris tous ces paysages exotiques et verdoyants.
- Ça ne te dirait pas Charlotte de partir à l’aventure en randonnée, au hasard d’une de ces vallées sauvages lui demanda Sandra ?
- On rencontrerait peut-être des gens avec des plumes dans le cul, ironisa Charlotte qui s’était pourtant promise de ne rien laisser paraître de sa lassitude.
- Pourquoi dis-tu ça ? Tu es bizarre aujourd’hui.
- Non, pour rien, je rigole c’est tout.
- De toute façon, on n’a pas de toile de tente et j’ai oublié mon anti-moustique à l’hôtel.
- Ah ! Sandra, tu as encore beaucoup de choses à apprendre, finit par lui dire Charlotte avant de lui expliquer finalement pourquoi cette lassitude dont elle était désolée.
Elles décidèrent donc ensemble de passer au Laos. A Ventiane, capitale minuscule, les communautés blanches et bourgeoises locales se donnaient rendez-vous dans une boîte de nuit qu’on aurait au mieux trouvée ringarde en France. C’est là qu’elles passèrent leur première soirée accompagnées de leur hôte, un ami de Charlotte et de nombreux autres expatriés. Charlotte, devant l’air navré de Sandra promit de lui en reparler plus tard. Il y avait en effet certains d’entres eux, âgés, qui se trouvaient avec de jeunes, trop jeunes mais très jolies Laotiennes.
A Ventiane, elles logeaient donc chez Julien, cet ami de Charlotte, un Français, dans une jolie résidence près du Mékong. Celui-ci passait l’essentiel de ses journées devant son ordinateur à jouer en réseaux. Aussi, il constituait pour vivre, un guide du pays avec le mérite étonnant de n’en pas connaître une parcelle. En effet, il n’aimait pas les voyages. Expliquer comme il était arrivé là était trop compliqué, il disait seulement qu’il avait peut-être enfin trouvé la femme de sa vie et c’était bien le principal à ses yeux où qu’il puisse se trouver.
Sandra découvrait jour après jour les nombreux aspects du voyage et de la vie à l’étranger en général. Elle savourait la liberté, la rencontre de nouvelles personnes, les changements de paysage et de lieux, l’échange avec les locaux, l’émotion que créaient parfois la joie ou la pauvreté ambiante. Elle ne pensait tout de même pas qu’il y avait autant de Français à Ventiane. Charlotte lui expliqua que c’était ainsi sans doute partout dans le monde.
- Il y a certes les vieux blancs qui aiment les jeunes filles mais pas seulement. Aussi de nombreux jeunes travaillent dans des associations, des entreprises, des ambassades et toutes sortes d’organisations comme le centre culturel français.
Pour appuyer ses dires, elles allèrent le visiter. Il exposait à ce moment là un peintre local doué qui peignait les visages des Lao un peu à la Modigliani, d’après Charlotte. Sandra put constater par ailleurs le soutien qu’apportait le Centre aux projets culturels originaux.
De retour chez Julien, le temps passait simplement à ne rien faire. Lire un peu, discuter tranquillement dans le jardin. Un temple bouddhiste proche laissait échapper des gongs puis les petits bonhommes orange passaient devant les maisons et recueillaient des dons de nourriture. Un peu plus loin, un marché de quartier se dressait sous des tôles, les filles se promenèrent dans ses allées pittoresques où débordait la pacotille chinoise. Elles achetèrent de la viande malgré le manque d’hygiène évident.
- Je ne mangerai pas de votre viande, prévint Julien écoeuré en les regardant préparer le repas. Il préférait, chaque jour depuis dix ans au Laos, partager avec son chien des boîtes de raviolis made in Europe.
- Pourtant, j’ai choisi la meilleure, insista Charlotte pour le dégoûter davantage, celle où il y avait le plus de mouches ! Ainsi pensait-elle, je ne m’intoxiquerai pas avec les insecticides qu’ils mettent dessus pour la conserver…
Sur la route du nord, à une centaine de kilomètres de capitale, se trouvait un écolodge sur les rives d’une rivière. Un hôtel construit et animé sur des bases écologiques et équitables. Il était tenu par une autre connaissance de Charlotte, Julia, qui avait la double nationalité Franco Lao.
Des locaux travaillaient dans cet hôtel et contribuaient avec leur salaire, à développer leur village. Une manne d’argent qui leur avait permis d’avoir l’eau courante, l’électricité et même une école. Parfois, les touristes sortaient du complexe et venaient les prendre en photos. Les villageois posaient alors, déguisés et avec un outil à la main. Autant, ils auraient désiré construire de nouvelles maisons en dur avec l’argent mais ils étaient bien conscients que les touristes arrêteraient instantanément de les photographier. Du béton, ça résiste aux intempéries mais ce n’est pas authentique.
Cela, Sandra l’apprit en bredouillant avec la femme de ménage. Elles riaient ensemble aujourd’hui mais au premier jour, elle avait tellement eu honte de faire nettoyer sa chambre par une domestique qu’elle en avait pleuré. La jeune femme lui avait dit son salaire, trente euros et Sandra avait été écœurée. Du coup, elle ne vit plus l’écolodge du même œil et voulut s’expliquer avec Julia.
Elle trouva Christophe, un entomologiste engagé ici pour répertorier des insectes incroyables et les exhiber au public une fois rendus dans le formol, empaillés ou encore dans des aquariums. Intéressé et intéressant, il n’en était pas moins coupable lui aussi car les enfants des environs lui ramenaient avec ardeur toutes sortes d’affreuses bestioles plus dangereuses les unes que les autres, en échange de quelques centimes. Lui se contentait de les assassiner méticuleusement pour ne pas les détériorer. Il gardait vivants les serpents et les araignées afin d’impressionner davantage les visiteurs.
- Le tourisme provoque des situations vraiment paradoxales, lui dit Sandra : d’un côté cet hôtel permet au village d’obtenir du travail, de l’argent, l’eau et l’électricité mais d’un autre, l’écologie et le développement durable coûtent quarante dollars la nuit aux touristes et rapportent en comparaison une misère au village et aux employés.
- Oui, l’eau et l’électricité sont depuis longtemps amortis, avoua-t-il.
- Quelle hypocrisie ! scanda Sandra à Charlotte qui arrivait.
Charlotte ne dit rien, elle était bien d’accord, elle le savait depuis longtemps. Ensemble, elles allèrent trouver Julia. Sandra voulait en découdre mais celle-ci lui expliqua simplement que bien qu’ayant monté le projet, à la base beaucoup plus respectueux, elle n’en avait jamais eu le contrôle. Les véritables responsables venaient de temps et temps. Ils étaient une dizaine d’investisseurs, des Français et des Suisses. L’hôtel leur appartenait et ils le manageaient à distance, lui donnant la marche à suivre pour continuer de recevoir son salaire. Si elle n’était pas d’accord, elle pouvait partir, de nombreuses autres personnes étaient capables de la remplacer. Alors, elle gardait sa place sans faire d’histoire.
- D’ailleurs c’est déjà mieux que rien pour le village conclut-elle.
- C’est vrai, lui dit alors Charlotte en médisant, surtout que l’herbe pousse très bien ici et cela arrondit les fins de mois, n’est ce pas ? Ah ! Sandra, continua-t-elle, c’est bien, ta conscience de petite française s’exalte, l’injustice te révolte, mais tu n’as pas fini de raller dans ce monde. Crois-moi. Ici, au moins, les locaux ont eu une part, mais c’est rarement le cas !
Sandra était dégoûté. Ses grands yeux bleus décrochaient des éclairs à qui voulait bien les voir. Tout juste sortie du pays de la liberté et de l’égalité, du moins, c’est l’impression qu’elle en avait, elle ne pouvait concevoir que des gens profitent du tourisme dans des pays qui n’étaient pas les leurs, « juste » parce qu’ils possédaient l’argent pour investir. En échange de quoi ? Julia avait même dit qu’ils ne payaient pas le moindre impôt pendant dix ans parce qu’ils avaient apporté du travail aux locaux. Charlotte avait ajouté que finalement, un jour l’hôtel appartiendrait à l’état Lao, c’était comme ça qu’on attirait l’argent des étrangers quand on ne possédait pas de richesses dans les sols. Sandra ne voulait plus rien savoir, une nuit d’un seul touriste payait le salaire mensuel d’une boniche qui se tapait toutes les chambres à nettoyer. C’était trop pour elle, trop flagrant. Un esclavage palpable, identifié dans sa propre chambre. Il ne manquerait plus qu’un des bons gros occidentaux investisseurs viennent devant elle tripoter les gamines pour qu’elle le tue de sang froid. Elle affirma à Charlotte qu’elle voulait partir au plus tôt.
Le lendemain, elles tracèrent directement dans le nord où Charlotte devait débuter son contrat prochainement. Elles y parvinrent enfin après trois jours de bus sur des routes incroyablement sinueuses, pas toujours asphaltées, à travers des paysages vierges et infinis et après avoir dormi dans des hôtels plus ou moins salubres. Sandra s’était calmée. Il avait croisé déjà tant de misère depuis un mois qu’elle se prenait parfois à compatir. Chose qu’il ne fallait surtout pas car ce n’était pas normal à ses yeux. Dans un monde si riche, où certains dépensent de l’argent si ostensiblement, c’était odieux. Ou alors, elle ne comprenait rien. Le monde est si grand, pensait-elle encore, pour elle qui n’avait jamais imaginé qu’une telle surface ne représentait qu’un point minuscule sur une carte du monde…
La petite ville de Phongsaly s’accrochait sur des collines qui dominaient un paysage entièrement recouvert de végétation et de montagnes. Dans une des petites rues en pente, l’association Phong Khok Na Ko tentait d’apporter des solutions aux problèmes économiques des populations pauvres et des minorités ethniques montagnardes de la région. Elle avait deux branches distinctes : l’éducation et le tourisme. Elle finançait la construction des écoles et l’achat du matériel scolaire. Aussi, en partenariat avec les acteurs locaux et les ministères concernés, elle finançait la construction des structures d’accueil et le développement du tourisme.
Charlotte fut affectée comme prévu à cette seconde tâche. Avec du personnel local, elle devait se rendre dans les sites potentiellement exploitables, prendre des photos, créer des circuits, des fiches, faire des rapports et enfin garnir le site Internet prévu à cet effet. Des agences spécialisées, locales, nationales ou encore internationales, viendraient ensuite exploiter ces richesses si Sandra réussissait à les mettre en valeur, pour le bien de tous.
C’était un projet de dix semaines où elle n’était pas payée mais profitait d’avantages en nature tels que la nourriture et le logement. Sandra quant à elle, n’avait finalement pas sa place dans cette association. Elle squattait le logement de Charlotte et partait avec elle, lorsque cela se révélait possible, lors de ces déplacements.
De nombreuses ethnies étaient présentes dans la région. Des groupes Akha farouches qui installaient leur village en haut des collines, les Taï Lü préférant le fond des vallées, les Hö pacifiques… Elles n’avaient pas encore rencontré les Mhong, les Lolo, les Yao, les Sila… Charlotte imaginait développer dans cette région bien évidemment le trek puisque de toute façon, il n’y avait pas de route pour circuler ni de site historique ou culturel remarquable. Aussi, lors d’une visite, elles découvrirent l’éblouissante vallée de la Nam Ou.
Le village de Ta Lang sur les rives de cette rivière était le seul endroit d’où l’on pouvait y accéder par une piste praticable. Il était charmant, loin de tout et possédait un petit marché qui attirait des producteurs de villages voisins, perdus dans la jungle. Des embarcations descendaient la rivière à la haute saison à travers des paysages karstiques jusqu’à la ville de Muang Khua à plus de cent kilomètres. En amont, le débit des eaux, voire les rapides, ne permettaient pas la navigation. Le dernier village relié au monde était celui-ci.
Plus au nord, et ce, jusqu’à la frontière de la Chine à plus de cent cinquante kilomètres, il n’existait aucun moyen de transport, ni aucune route.
- C’est par là qu’il faut se rendre, leur dit en français un jeune occidental, en montrant la direction du nord. Il était installé sur la table d’une gargote, en short, son sac à dos à ses pieds.
- Et comment, demanda Sandra ?
- A pied, dit-il.
- Ok, dit Charlotte, quand tu veux !
- Je pars demain mais je ne peux pas vous emmener.
- Pourquoi, demanda Charlotte ?
- Je n’ai pas envie de m’encombrer de touristes tout simplement.
- Et toi, tu n’es pas un touriste par hasard, lui rétorqua Sandra.
- Non, je ne me considère pas vraiment comme un touriste.
- Nous non plus, dit Charlotte, on travaille dans une asso à Phongsaly et ce serait vraiment génial d’ouvrir des circuits de treks dans ces villages, quelle authenticité, les touristes afflueraient !
Charlotte lança cette dernière phrase sans réfléchir. En réalité, elle avait bien conscience que les touristes n’afflueraient jamais dans un lieu si éloigné même si privilégié au niveau de l’environnement. Pour autant, son rôle, qu’elle prenait dorénavant à cœur, était d’en ramener au moins quelques-uns avec des dollars.
Mais le jeune les regarda d’un mauvais œil tout à coup, on sentait sa colère, il se leva et partit payer sa soupe à la petite dame. Puis, il revint vers les filles et leur parla en pesant ces mots :
- Vous comptez développer le tourisme dans cette région, leur dit-il d’un ton du quel on maudit ou l’on crache habituellement, ne comptez pas sur moi pour vous aider. Je hais le tourisme et les touristes, je hais votre développement, je hais vos méthodes, votre fric. Les villages ici sont pauvres mais ils ne sont pas pollués, les habitants ne sont pas cupides, ils ont des valeurs culturelles millénaires que votre tourisme va salir et exploiter pour son plus grand profit. Vous allez leur montrer avec votre fric leur propre misère dont ils n’ont pas forcément conscience et avec laquelle ils vivent néanmoins heureux parce qu’ils vivent en famille, cultivent en famille, produisent juste le nécessaire et ne sont pas individualistes comme vous et votre fric. Vous voulez les ensorceler pour qu’ils ne se contentent plus de rien, qu’ils descendent dans les villes habiter dans des ghettos, apprennent le vol et la mendicité, deviennent au mieux des consommateurs pour vos marchés. Putain de touristes, putain d’associations, vous ne pouvez pas leur foutre la paix ! Et que Phongsaly devienne comme Vang Vieng, Phuket ou Chiang Mai. Merde alors ! Connasses !
Et il partit son sac sur l’épaule sans se retourner. Charlotte resta pensive. Sandra courut derrière lui.
- Eh, Oh ! Attends ! On ne voulait pas te fâcher. Et avant que Phongsaly devienne touristique, il va se passer des années. Sans doute ça n’arrivera jamais.
Le mec continuait sa route tout droit vers la rivière.
- Un minimum de tourisme peut être profitable pour la population si c’est géré par les locaux, continua-t-elle. Tu ne peux pas dire le contraire. L’association construit des écoles, elle parle d’un hôpital. Comment font les gens pour se soigner s’il n’y a pas d’hôpitaux à moins de deux cents kilomètres dit-elle enfin ?
Le mec se retourna. Il regarda Sandra dans les yeux et lui dit tout net :
- Les gens n’ont pas besoin de vos hôpitaux ni de vos écoles, ni de votre science ! Ils vivent ainsi depuis la nuit des temps et c’est très bien comme ça. Parmi le peu de bénéfices obtenus avec votre développement, il y a surtout le vice et la servitude. Il n’y a pas besoin d’être un génie pour se rendre compte des dégâts irrémédiables de votre supposée évolution. C’est une pourriture pour ces peuples. Adieu.
Sandra le regarda partir jusqu’à ce qu’elle ne le vît plus, caché par les arbres. Alors, elle rejoignit Charlotte, assise tranquillement sur un muret d’où elle appréciait la vue.
- Sandra, ce mec est un peu égoïste, la rassura Charlotte. Il veut garder pour lui toutes ces merveilles. Les touristes qui se donneront la peine de venir jusqu’ici seront sans nul doute respectueux de l’environnement et des populations. Et puis, c’est leur seule chance d’accéder à quelques moyens. Comment imagine-t-il que les gens puissent continuer de voir leurs enfants mourir dans leurs bras de maladie soignées par la médecine occidentale depuis des lustres ? Comment imagine-t-il l’évolution de ces villages ? Moi, je pense qu’ils vont finir par disparaître dans l’anonymat. Tu as bien vu comment ils luttent pour survivre, comment ils sont enchaînés à leur cultures misérables qui parfois ne leur donnent pas suffisamment à manger. Le développement du tourisme va permettre de construire des écoles et un jour un véritable hôpital.
- Tu as sans doute raison, répondit Sandra pourtant ce mec a l’air de bien connaître la région et il ne leur souhaite pas ça.
- Dans un sens je le comprends expliqua Charlotte mais c’est facile pour lui de rentrer en France quand il est malade. On est nombreux, devant l’extension de nos modèles de vie pas vraiment idéals, à vouloir préserver des poches de vie autochtones. C’est tellement touchant ces gens qui vivent presque nus et qui triment pour faire pousser leur nourriture. C’est tellement authentique ! Mais c’est injuste. On est pas au zoo. Les gens d’ici ne participent pas à l’évolution parce qu’on ne leur en donne pas la possibilité mais ils demandent de pouvoir envoyer leurs enfants à l’école pour échapper à cette vie trop difficile. Ils souhaitent avoir accès aux soins, mais aussi à la télévision et au téléphone portable. Le rêve occidental est déjà là, c’est trop tard. Pour autant, ce n’est pas parce qu’ils vont avoir accès aux soins et à l’éducation qu’ils vont forcément abandonner leurs montagnes et leurs cultures.
- Je vais quand même le retrouver et essayer de parler avec lui, annonça SAndra. Il a certainement de nombreuses choses à nous apprendre. Et pour ne pas te mentir, je partirais bien avec lui vers le nord le long de cette rivière. Ça me frustre d’être bloquée ici à deux pas de terres inexplorées sur des centaines de kilomètres. Tu as raison c’est du voyeurisme. Mais n’a t-on pas encore en nous ce besoin de simplicité, de sentir la terre juste sous nos pieds ? Si ce gars parle la langue et c’est bien possible, ça peut-être vraiment intéressant. Il faut que je le retrouve.
- Et comment tu comptes t’y prendre, demanda Charlotte ?
- Je vais rester ici à l’attendre, il a parlé de partir demain. On verra bien. Au moins, j’aurai essayé.
- Comme tu veux, moi je retourne à Phongsaly, j’ai du travail. Fais attention à toi.
Charlotte partie, Sandra commanda une soupe car elle mourait de faim. Des bus retourneraient sans doute à Phongsaly le lendemain et il y avait des chambres à louer ici chez l’habitant. Sandra en trouva une correcte mais sans toilettes. Apparemment, personne n’avait de toilettes dans ce village car elle avait vu les gens se diriger vers la rivière avec leur serviette et leur brosse à dents.
Elle descendit, elle aussi, vers la rivière et tenta de remonter un peu son cours pour espérer se baigner tranquillement. L’eau était assez claire et le fond sableux. Elle était douce et tiède. Les boues de la mousson ne la troublait pas à cette époque. Quel calme se dit-elle une fois assise dans la nature à écouter le roulis de l’eau sur les galets. Peu de temps après, elle s’assoupit.
Soudain, des bruits de pas parvinrent à ses oreilles. Elle se couvrit d’une serviette. Elle était un peu à l’écart et n’était donc pas rassurée. Enfin, un homme parut, c’était le jeune Français coléreux. Celui-ci voulut l’éviter et ne lui adressa pas la parole mais c’était sans compter sur sa ténacité.
- Attends ! Ne te sauve pas ! lui dit-elle, j’aimerais beaucoup parler avec toi. Je suis sûre que tu as raison mais il faut m’en dire plus.
Le mec s’arrêta et réfléchit un moment avant de s’approcher. Il y avait derrière son air farouche une sensation de grande sensibilité. Son visage était doux et ses yeux francs.
- Lionel, dit-il pour se présenter. Et il s’assit près d’elle.
- Moi c’est Sandra ; tu te fâches toujours comme ça Lionel ?
- Non, je ne me fâche pas souvent mais j’ai trop vu de sites magnifiques et de populations pourris par le tourisme. Cela fait des années que je m’approche doucement des villages cachés dans ces forêts, j’apprends leurs langues et leurs coutumes pour pouvoir me présenter à eux sans faire trop d’âneries. Des années, vois-tu, et ça me met en colère des gens comme vous qui venaient et pourrissaient tout en deux minutes.
- Oui, je comprends, le rassura Sandra. Et tu travailles pour une organisation ? Tu prépares une thèse ?
- Non, je le fais pour moi. Aussi, je publie parfois des données pour les spécialistes. Derrière ces forêts, il y a des mondes préservés et d’une grande richesse ethnologique. Peu de personnes sont parvenues à les découvrir. Certains villages vivent du commerce de l’opium et ils ont peur d’être ennuyés par les autorités. Aussi, ils sont très indépendants et parfois farouches. Mais, je pense que nous devons retourner au village avant la nuit.
Lionel expliquait à Sandra certains des usages et des comportements de ces peuples que peut-être, il était seul à connaître. Il avait déjà parcouru les environs pendant des semaines. Cette fois, il souhaitait se rendre plus à l’est vers la frontière du Vietnam :
- Là, ne sont que forêts primaires sur quatre-vingt-dix-huit pour cent de la surface et il n'y a presque aucun sentier permettant d'y pénétrer. J’ai appris très récemment qu’au moins deux villages de populations Hmong s'y trouvaient. C'est là qu'il faut absolument aller. Demain, je rejoins un bled plus haut d’où je partirai en pirogue.
- Je croyais que les bateaux ne pouvaient pas aller dans cette direction ? demanda Sandra.
- Quelques pilotes s’y risquent pourtant, lui signifia-t-il.
- Quelle aventure Lionel, ça me plairait tellement, emmène-moi avec toi !
- Impossible Sandra, désolé, je ne peux pas.
- Juste quelques jours ! Ensuite, je te laisserai tranquille. Laisse moi découvrir ces territoires et je serai ton porte-parole pour empêcher le tourisme de masse de se développer.
- Comment ferais-tu ça ? Lui demanda-t-il en souriant.
- Déjà, Charlotte est mon amie et c’est elle qui fait la promo des sites. J’arriverai à la faire changer d’avis si tu me laisses découvrir par moi-même ces contrées.
- Sandra, si le tourisme de masse vient un jour jusqu’ici, c’est qu’il aura déjà perverti bien des endroits reculés du monde et je ne crois pas que ta volonté, ni celle de ton amie, influence beaucoup ce phénomène. Enfin, je peux bien t’emmener jusqu’aux deux rivières où je compte me rendre en premier.
- Merci Lionel, vraiment !
- Il y a peut-être six jours pour se rendre aux deux rivières. Tu devrais faire prévenir ton amie. Aussi faut-il prendre le minimum d’affaires.
- Ok
- Ce ne sera pas dangereux mais on ne sait jamais. As-tu une bonne assurance voyage ?
- Oui, bien sûr, mentit Sandra.
- Donc demain, sept heures.
- Pétante, à demain Lionel.
Le lendemain, par un petit sentier, Sandra et Lionel s’enfoncèrent dans la montagne. Ils passèrent dans un village Hô dont les maisons de pisé étaient entourées de grosses pierres qui interdisaient le passage des animaux de la forêt. Le sentier grimpait ensuite fortement. L’altitude des monts aux alentours ne dépassait pas deux mille mètres mais le relief était très accidenté, escarpé, pentu. Il n’y avait pas un arpent de terre plate. Le sentier montait et descendait toujours, inévitablement. Enfin, ils dégringolèrent vers un petit village construit sur pilotis. Lionel était venu la veille pour négocier son trajet en bateau. Ils embarquèrent.
Ils étaient quatre sur la pirogue, un des hommes se trouvait à l'arrière au moteur et gouvernail, l'autre devant, souvent debout, en équilibre à l'extrême proue à sonder les fonds rocheux à l'aide d'une longue perche en bambou. Sandra était derrière Lionel au milieu de l’embarcation. Ils étaient tous deux accoudés aux bas flancs. A chaque rapide, elle s’agrippait à lui. Le reste du temps, la rivière était calme, il n’y avait qu’à regarder les paysages défiler, cheveux dans le vent.
Une heure plus tard, les piroguiers les déposèrent sur un banc de sable et firent demi-tour. Ils étaient arrivés à destination. Malheureusement, il n’y avait là qu’un hameau d'une dizaine de très misérables baraques sur pilotis. Les villageois étaient désemparés face à leur arrivée, d'autant que beaucoup d'hommes semblaient absents. De plus, Lionel n’arrivait pas à se faire comprendre.
Enfin, un monsieur âgé quitta sa minuscule échoppe et vint à leur secours. Après quelques minutes de palabres, ils se dirigèrent ensemble vers la rive pour observer les embarcations disponibles.
Il n'y avait que trois pirogues et l’une d'entre elles semblait définitivement hors d'état de flotter. Sculptées à la hache, dans un seul tronc de bois, elles étaient destinées à des déplacements de proximité, pour la pêche. Finalement, un accord fut conclu. Le vieux père, comme l’appellerait dorénavant Lionel, les emmènerait jusqu’au village suivant, à plus de quatre heures de navigation.
Bientôt, la pirogue s’éloigna du petit village. Elle flottait au raz de l’eau épaisse et large de la rivière. Un énorme poisson montra son dos à la surface et excita les deux piroguiers. Plus périlleux encore que le premier trajet, des jets d’eau les éclaboussaient dans les rapides, d’autant que la pirogue était plus petite et plus archaïque. Un peu plus loin, ils cassèrent l'hélice du moteur. Heureusement, une de rechange avait été emportée. La réparation et le remplacement de l'objet s'effectua dans l'eau en quelques minutes seulement. L’aventure pouvait continuer. Tout doucement, en remontant cette rivière, ils s’éloignaient de la civilisation.
En fin d’après-midi, sur la rive droite de la Nam Ou, les premières habitations depuis leur départ se dessinèrent. Dès leur arrivée, la population les reçut avec beaucoup de chaleur et de sympathie. Le village était imposant, les maisons très longues, elles hébergeaient chacune une cinquantaine de personnes. Toutes les femmes portaient l'habit traditionnel, une superposition de jupes et jupons de coton tissé sur place et méticuleusement brodé de symboles qui traitaient de la création de l’univers. Ces peuples étaient en effet originaires de contrées lointaines, leurs croyances s’apparentaient aux religions archaïques chinoises et tibétaines. Tous différents, ils ne se mélangeaient en aucun cas et parcouraient chaque année de longues distances, lors des fêtes de printemps, pour se marier sans consanguinité.
Lionel donnait ces explications à Sandra pendant leur promenade à travers le village. Celui-ci était étalé, dispersé, sur un vaste terrain vallonné, dégagé au beau milieu de la forêt. L’ombre de grands arbres apportait ici et là un peu de fraîcheur. Des palissades de bambous tressés entouraient chaque jardin où l’on trouvait de l'ananas, de la canne à sucre, de petites aubergines, des papayers, bananiers et de nombreux légumes et herbes inconnus. Lionel poursuivait ses commentaires :
- Les Hmong sont les meilleurs producteurs d'opium. La plupart des hommes sont partis, pour plusieurs jours, travailler dans les champs de pavot installés en altitude au milieu de la forêt, et à des emplacements connus d'eux seuls. C’est une source de revenu bien plus importante que celle du riz. Aussi, ils en consomment. Tu verras ce soir, ils ne se cachent pas. Mais en réalité, seulement les anciens sont autorisés à fumer. L’opium contient de la morphine, c’est leur anti-douleur. C’est d’ailleurs considéré comme un médicament.
- Mais c’est une drogue en réalité intervint Sandra, ne tombent-ils pas dépendants ?
- Evidemment si, même s’ils sont conscients des dangers de l’accoutumance. Parfois, on trouve de jeunes opiomanes dans les villages, mais c’est qu’ils ont été, à un moment de leur vie, gravement malades, en ont consommé trop longtemps et sont donc maintenant dépendants à vie.
- Et que deviennent-ils alors demanda Sandra ?
- Les villageois s’occupent d’eux toute leur vie, très courte, car ils ne peuvent plus être autonomes, conclut Lionel.
Le chef du village les avait invités à passer la nuit dans sa maison. Cet homme était aussi chaman. Dans la soirée, il effectua un rituel de guérison : assis près du foyer, il tenait une dent d'ours dans chaque main. Il cracha alors dessus puis les porta au-dessus des flammes en marmonnant des sons, en psalmodiant des paroles incompréhensibles. Enfin, il caressa avec les dents fumantes sous les aisselles d'un jeune homme assis en face de lui, d'où des croûtes et une infection s'étendaient dangereusement. Puis les mêmes gestes furent répétés sur l'œil d'un bébé porté par sa mère, dont la paupière inférieure était bleuâtre et surtout enflée de manière inquiétante.
- Dans quelques jours ou semaines peut-être, chuchota Lionel à Sandra qui se trouvait tout près de lui, mais en tout cas comme d'habitude lorsqu'il sera déjà trop tard, et aussi lorsqu’ils parviendront à réunir la somme nécessaire, ils se décideront, après constat de l'inévitable échec de la sorcellerie, à effectuer le voyage vers le petit hôpital de Phongsaly.
- Tu me disais toi-même que les hôpitaux n’étaient pas nécessaires, s’étonna Sandra ?
- J’étais fâché et bête à ce moment là…
Le vieux père avait accepté de continuer avec eux l’aventure. Le lendemain, ils avaient embarqué une dizaine d’hélices de rechange, un fusil, des gamelles, deux jerricans d'essence, de la nourriture, des machettes, des cordages et ils partaient à deux de plus, c’est à dire à six. Sandra s’inquiétait sans rien dire de la préparation et du sérieux que prenait dorénavant l’expédition. Elle craignait des dangers certains et n’était pas sûre d’être à même de les surmonter. Mais elle prit place dans la pirogue et celle-ci fut poussée dans la rivière par les hommes restés à quai.
Rapidement, après seulement vingt minutes de navigation, le ton était donné : au détour d'un coude, des rapides démentiels leur faisaient face. L’embarcation semblait tout à coup extrêmement frêle. La pirogue s'élança en pleine puissance, le moteur vrombissait et crachait une fumée noire et épaisse. Le premier homme maniait la perche de bambou à une allure folle pour en permanence sonder les fonds, détecter les rochers et conseiller les voies à prendre. Les deux autres ramaient comme des forcenés, à une vitesse démentielle. Il fallait parfois se faufiler entre d'énormes rochers. Ces passages étaient les plus délicats car les masses d'eau canalisées s’opposaient à eux de toute leur violence. Sandra commençait sincèrement à regretter sa décision d’accompagner Lionel. Plus loin, dans une zone calme, elle se vit lui demander de faire demi-tour mais devant sa joie peu contenue, elle n’osa pas. Et puis, maintenant entamée, elle savait que si elle n’allait pas jusqu'au bout de cette aventure, elle en garderait longtemps le regret et la frustration.
Debout lui aussi, Lionel ne pouvait s’empêcher d’aider les hommes à ramer, à pousser, à vérifier s’il ne se trouvait des rochers à éviter. Il discutait avec le vieux père, seul à connaître aussi des mots dans différents dialectes. Ensuite il traduisait à Sandra. Tel arbre leur servait à faire des outils, tel autre, sa sève permettait de coller, d’étanchéifier. Le vieux père leur racontait aussi que le gouvernement souhaitait les voir descendre de leurs montagnes vers les vallées en leur promettant de belles maisons et de l’argent mais eux, les vieux, ne voulaient pas. Certaines familles étaient parties. Ensuite, elles n’avaient même pas pu revenir tant elles étaient devenues pauvres. A la ville, elles ne possédaient rien si ce n’est quelques bâches pour protéger de la pluie. Ils n’avaient surtout plus d’accès à la terre pour la cultiver. Elle appartenaient, dans les grandes vallées fertiles plus habitées, à des propriétaires et étaient sillonnées par des machines agricoles. Il n’y avait pas de travail pour eux. Finalement, même si c’était parfois très difficile dans les montagnes, le vieux père pensait que là était leur place, là était leur vie, la terre de leurs aïeux, et où les esprits des ancêtres veillaient continuellement sur eux.
Lionel qui le faisait parler et raconter ces histoires, n’obtenait pas toujours de réponse, surtout par rapport à l’opium. Le gouvernement savait bien qu’ils cultivaient. Là n’était pas le problème. Les échanges se faisaient par les frontières avec le Vietnam et la Chine et donc le gouvernement ne prenait rien dessus. Lionel pensait que c’était réellement cela le problème.
Après environ une heure de rapides de moindres importances mais aussi de zones de calme, un sourd grondement se fit entendre. À trois cents mètres au devant, l'énorme masse d'eau tombait, dévalait sur eux. Pour Sandra, c'était clair, on ne passerait pas. Les hommes criaient d'un bout à l'autre de l'embarcation. Après plusieurs minutes de palabres, ils prirent une décision : il fallait alléger la pirogue et protéger les étrangers. Sandra et Lionel se virent alors déposer sur les rochers. En cas d'éventuel accident, on leur avait laissé leur sac. Des hommes partirent faire une reconnaissance. Ils tentaient d’estimer ce qu'il était possible de faire.
Sandra et Lionel sautaient de rocher en rocher, escaladaient. Parfois, du haut de leur promontoire, ils observaient la scène terrible et hallucinante qui se passait dans l’eau. Les quatre hommes halaient la pirogue à l'aide de cordes. Ils se tenaient sur les rochers émergeant, s'agrippaient en luttant contre l'impressionnante violence du courant qui les submergeait presque. C'était un spectacle ahurissant, semblant d'un autre âge. Dans ce passage, c’était des remous terribles, des cascades, des explosions d'eau permanentes. Tous les hommes y dépensaient une énergie incroyable à avancer, centimètre par centimètre.
Après une heure de combat contre les forces de la nature, ils relancèrent le moteur et à nouveau à pleine puissance, passèrent en force les derniers rapides. Là oui, tout au long de cette opération, il y avait eu réel danger de mort et cette fois Lionel, qui avait rechigné au début de ne pas pouvoir les aider, avait eu peur pour eux et regrettait de les avoir tous embarqués dans cette aventure.
La pirogue les récupéra enfin. L’eau, comme par magie, devint d’un calme étonnant mais plus tard, dans quatre autres cas extrêmes, Sandra et Lionel durent à nouveau être débarqués sur les berges pour alléger le bateau. Dans ces autres passages de gros rapides, il fallait parfois encore haler l'embarcation mais le plus souvent, ainsi allégés, les quatre navigateurs restants passaient en force, le moteur à pleine puissance et la rame et la perche de bambou maniées à des allures frénétiques.
Les quatre hommes, en short et torses nus, possédaient des musculatures très développées de tout leur corps, des muscles saillants incroyablement sous l'effort. C’était de véritables prouesses qu'ils réalisaient. Sandra les voyait comme dans un rêve. Elle repensait aux touristes croisés auparavant qui lui avaient raconté avec passion leurs aventures sur la soi-disant turbulente rivière Nam Ou, après Hat Sa, là où Lionel affirmait qu’elle était large et confortable.
L’un d’entre eux revenait particulièrement à sa mémoire : Grégoire, rencontré à Ventiane. Il était le profil parfait de l’étalon voyageur : Tiberland greffées aux pieds, les yeux flottants dans le vague comme s’il vivait constamment l’expérience : tir de mortier sur mon 4*4 ensablé jusqu’aux portières et sortie in extremis avant l’explosion fatale. Il était aussi poète : avec lui le soleil « rougeoyait » constamment sur les montagnes « inviolées » et le regard des femmes était toujours « embué par l’émotion de celles qui se savent mortelles »… Le type d’homme qui ne pouvait s’empêcher devant les autres de transformer le moindre incident de sa vie en aventure extraordinaire. A force de romancer ses histoires, peut-être finissait-il pas y croire lui-même ?
Sandra souriait au vent de cette vallée, elle avait l’impression de n’être pas ici, de n’être pas elle-même mais seulement emportée dans ses rêves, au musée, devant le radeau de la méduse. L’angoisse de l’instant l’empêchait toujours de le vivre pleinement mais Lionel la rappela à la réalité :
- Ouvre les yeux Sandra, on n’est pas encore morts !
Partout, de part et d'autre de la rivière, c’était deux frondaisons, très pentues et accidentées, de verdure. Nature riche, dense, variée, intacte, primaire. Il n'y avait pas une seule trace humaine, pas un seul village, pas même une hutte, pas un seul départ de sentier, pas une seule culture de visible sur les flancs des montagnes alentours. Ce n’était que des arbres gigantesques, des forêts de bambous géants qui s'élançaient en hauts panaches et d’envahissantes lianes et plantes rampantes.
Quand un petit ruisseau se jetait là dans la rivière, il formait une baie protectrice où l’on pouvait débarquer. Ils en profitaient alors pour écoper, inspecter et bricoler la pirogue puis ils pêchaient et se baignaient sans bruit dans les trous d'eau claire. Les oiseaux sifflaient autour d’eux. Le bruissement des insectes les rappelait à la nature sauvage et impénétrable qui les entourait. Il était temps de repartir.
De nouveau, alternativement, des zones de calme et de rapides. Soudain, en pleine lutte contre le courant, l’hélice se rompit. L'embarcation partit alors à la dérive. Les hommes tentèrent de la contrôler à la force des bras. Mais ils s'échouèrent violemment contre deux rochers émergeant. Il fallait descendre pour alléger l’embarcation mais cette fois, ils se trouvaient au beau milieu de la rivière. Un homme sauta dans l’eau et fut tout de suite emporté par le courant. Enfin, il réussit à s’agripper et sortir. Courageux, Lionel sauta lui aussi et nagea de longues minutes avant de rejoindre enfin la berge. Finalement, Sandra resterait dans le bateau pendant la manoeuvre. Enfin, ils réussirent à changer l’hélice, puis forcèrent le rapide avant de récupérer tout le monde.
Lors d’un repas, au menu, toujours le riz gluant cuit, emporté dans le traditionnel pot de vannerie de bambou et les poissons tout juste pêchés. Mais deux des hommes, équipés du fusil, s'enfoncèrent dans la forêt, par le creux du dense talweg déversant ici un petit ruisseau. Vingt minutes passèrent et Bang ! Un coup de feu. Enfin, ils réapparurent traînant un jeune cerf sur leurs épaules. La bête fut immédiatement dépecée. Un feu était déjà allumé. Ils cuirent puis mangèrent les parties les plus périssables de l'animal : les abats, les tripes, le foie, cœur et les poumons sur deux feuilles de bananier posées au sol qui leur servaient de table et où ils trempaient les boulettes de riz gluant dans la sauce coagulante de viande.
Une fois repu, le vieux père fit une prière tout en déposant sur un rocher tout proche un peu de riz, quelques morceaux de viande et trois gros bâtons d’encens. Ensuite, il leur expliqua que ce rituel était destiné à ne pas fâcher les esprits de la forêt d'avoir prélevé un animal. Ils devaient respecter la nature car elle leur offrait naturellement tout ce dont ils aveint besoin. C’était pour cela qu’il ne fallait pas abuser d’elle, en prendre trop, ou mal, mais seulement le stricte nécessaire.
Derrière eux, quelques feuilles de bananiers souillées, un foyer encore fumant et le plus gros rocher du lieu dégoulinant de sang. Lionel était aux anges. C’était pour lui un voyage féerique dans cette zone totalement inhabitée et probablement même jamais parcourue par des Européens. Seuls deux murs verdoyants et emplis d’oiseaux les cernaient. Il n’y avait eu aucune trace humaine depuis plusieurs jours. Malgré les quelques difficultés rencontrées, ils avaient parcouru une longue distance et arriveraient sans doute bientôt dans d’autres foyers de vie.
La proximité dans laquelle ils s’étaient trouvés pendant ces quelques jours avait permis de nombreux échanges avec une meilleure compréhension. Lionel et Sandra avaient beaucoup appris des Lao des montagnes, de leur vie si sauvage et proche de la nature. Les locaux, quant à eux avaient corrigé quelques préjugés concernant la vie occidentale transmise ici de la télé aux vallées et des vallées aux montagnes par la forêt. De quoi transformer une réalité déjà compromise par la télévision. A la grande surprise de Sandra, ces gens croyaient dur comme fer qu’il n’existait pas de pauvres dans son pays. Et à Lionel de tenter de leur expliquer que les pauvres de chez lui, nombreux, étaient parfois biens plus pauvres qu’eux, les Lao des montagnes, et encore plus du fait qu’ils côtoyaient de près la richesse des autres. Le vieux père avait du mal à tout comprendre : comme expliquer en effet que la pauvreté était aussi un rapport entre les plus riches et les plus pauvres, rapport qui était sans doute plus extrême dans les pays occidentaux. Ce qu’il avait retenu lui, tout simplement, c’était qu’un paquet de cigarettes chose commune par ici avec la proximité de la Chine, pouvait coûter cent vingt mille kip en France ! A cause de cela seulement, leur promit-il, il n’enverrait jamais ses enfants se jeter sur une coque de noix pour tenter, avec le hasard des courants, d’échouer sur une côte occidentale…
Dans l’après-midi du jour suivant, enfin, un premier affluent déboucha. Il était signe de vie. Sa vue provoqua une animation joyeuse. Très vite, un pêcheur sur sa pirogue se montra. Un peu plus loin, des femmes lavaient leurs linges dans l’eau de la rivière. C’était la fin du périple. Sandra priait pour la première fois, elle remerciait les esprits de la forêt de les avoir laissés en vie.
Ils arrivaient à Ban Nong. Déjà l'alerte avait été donnée : des étrangers arrivaient par la rivière. C’était la première fois qu’une telle chose se produisait. On voyait sur les regards l’admiration des villageois. De plus, ils étaient sous la protection des héros piroguiers qui avaient menés l'embarcation. Néanmoins, les villageois, après être revenus de leur surprise, se demandaient pourquoi ces étrangers étaient venus jusqu’ici ? Lionel dut alors montrer patte blanche, dire qu’ils étaient des touristes, qu’ils ne travaillaient surtout pas pour le gouvernement enfin qu’ils étaient neutres et ne s’intéressaient pas à leurs plantations, ni à leur commerce. Perplexes quant à l’utilité d’un tel voyage, les villageois les entraînèrent pour manger et fêter leur arrivée. À nouveau, ce fut un festin de cerf et de poissons. Ils burent du lao lao, de l'alcool de riz et, fatigue aidant, furent vite ivres.
Elle avait quand même acheté un guide de voyage. Le fameux Lonely Planet. Celui qu’utilisaient les aventuriers du XXIème siècle pour faire exactement le contraire. Qui ne voyage pas de nos jours, pensa-t-elle ? Les prix dans les pays du sud sont si peu élevés. Un commerçant habile dans ces pays n’aura pourtant jamais l’occasion de visiter l’Europe se dit-elle encore.
Charlotte prit ensuite un taxi pour se rendre à l’hôtel. Un taxi ! Jamais en France elle n’avait pris de taxis. Et ici, elle en prendrait tous les jours ! Après avoir dégusté son premier repas thaï, elle se dirigea comme bon nombre de touristes, des heures durant, dans un cybercafé donner des nouvelles à sa famille. Le fameux « je suis bien arrivée » tant attendu. Et toujours la curiosité de savoir si un ami, une connaissance, avait daigné penser à elle. En effet, elle avait un nouveau message. C’était Sandra ! « Charlotte, j’ai pris un avion mardi pour la Thaïlande sur un coup de tête. Je pensais te retrouver là-bas mais c’est impossible ! Je suis vraiment perdue et bête. Je ne parle même pas anglais. Les gens sont souriants mais je n’ose pas sortir dans les rues, c’est si différent. Viens me chercher, je t’en prie, pourvu que tu reçoives ce message, je suis au Pranee Building à Kasemsan, mais je ne sais pas du tout où c’est. Chambre 7. A très bientôt j’espère. Sandra. »
Charlotte ne fut pas longue à trouver l’hôtel. Sandra était assise à une table dans le hall avec un livre.
- Ça va, les vacances ? lui lança-t-elle.
Quand Sandra leva les yeux sur Charlotte, elle ne put s’empêcher de pousser un cri de joie et sauta de sa chaise jusque dans ses bras.
- Je pensais ne jamais te retrouver, s’écria-t-elle ! J’attends assise là depuis trois jours !
- Ça n’a pas été difficile, encore fallait-il que je sois en Thaïlande.
- Ouf, mon dieu ! J’ai trop l’air d’une conne. Je suis obligée de m’exprimer en mime. J’ai honte.
- Pourquoi tu es partie sans rien dire à personne ? Est-ce que tu as enfin donné des nouvelles ?
- Non.
- Et ça ne te fait rien que les gens s’inquiètent pour toi ?
- Qui s’inquiète à part toi ? demanda Sandra.
- Mais je ne sais pas, tes parents ?
- Non.
- Alban ?
- Non !
- Des amis alors ?
- Non, personne ne s’inquiète. Je sais, j’ai été folle de partir comme ça. J’étais très angoissée dans l’avion mais c’était trop tard. Je suis partie au lieu de me jeter par la fenêtre si tu veux savoir. Et je suis bien contente si quelques personnes s’inquiètent mais je n’y crois pas, surtout pas Alban, il doit être soulagé. Alors, je ne suis pas trop débrouillarde mais ça va venir, j’en suis sûre. Jamais je ne regretterai d’avoir enfin mis les pieds dans le monde. Il y a trop longtemps que j’en rêvais, finalement, sans en avoir conscience. Maintenant je suis là, tu es là et je suis heureuse !
Après quelques jours de balades dans la capitale et sur les méandres de son fleuve, dans les marchés flottants, Charlotte et Sandra s’enfuirent dans les provinces rurales de l’Isan. Elles visitèrent des sites historiques de l’ancien empire Siam mais les pierres ne leur confièrent rien car les filles ne connaissaient pas leur histoire. Charlotte regrettait alors de ne pas avoir pris le temps cet hiver de se documenter un peu plus sur ce pays qu’elle allait visiter. Son guide de voyage leur apprenait bien quelques brides de savoir mais il y a avait tellement à découvrir.
Un jour qu’elles se trouvaient dans un village au bord d’un parc national où elles avaient prévu de se rendre le lendemain. Elle dégotèrent un petit chalet loué par des habitants au fond de leur jardin sur les rives de quelques étangs. Un endroit merveilleux et tranquille où Charlotte disait qu’elle serait bien restée plus longtemps si la découverte d’autres sites ne la rongeait pas de désirs insupportables. Sandra, elle, suivait docilement pour une fois sa maîtresse de voyage et posait seulement de nombreuses questions :
- Charlotte, pourquoi le monsieur de cette maison nous fait chaque fois qu’il nous voit le salut militaire ? C’est frustrant de ne pas savoir ce qu’il pense. Il a bien toujours le sourire mais un sourire asiatique que j’ai du mal à cerner et puis c’est surtout cette jambe en moins qui me rend triste. Il l’a sûrement perdue à la guerre. Sais-tu de quelle guerre il s’agit ?
- Je ne suis pas sûre mais vu son âge, c’est peut-être la guerre d’Indochine.
- C’est où l’Indochine, demanda Sandra alors que Charlotte se moquait déjà de sa parfaite ignorance.
Mais bientôt, le monsieur unijambiste profita de ce que sa femme « colonel » soit partie, pour leur apporter un régiment de bananes. De celles que les Thaïlandais raffolent. Il n’y eut toujours pas de communication mais seulement le salut militaire accompagné d’un sourire qu’elles crurent cette fois sincère. Non, vraiment elles avaient eu tord d’imaginer qu’il en voulait aux Français. D’ailleurs, l’histoire était toujours si complexe. S’était-il rallié ensuite aux communistes ou aux Américains ? Etait-il vraiment Thaïlandais ou un Lao immigré comme bon nombre dans la région ? Peut-être ça n’avait été qu’un accident de la route tout simplement. Enfin, cette anecdote décida Sandra de se jeter sur tous les livres qu’elle pouvait acheter, notamment aux autres voyageurs et même en anglais, langue qu’elle désirait comprendre absolument parfaitement et le plus rapidement possible, pour démêler l’histoire de ces pays d’Asie du sud-est dont la plupart avait été colonisé par la France.
Pendant ce temps, elles continuaient les visites. Surtout celles faites à la nature si riche et extraordinaire de ces contrées tropicales humides qui ne nécessitaient pas de connaissances historiques mais botaniques, par ailleurs qu’elles pouvaient apprécier tout de même. Dans un de ces parcs nationaux protégés, elles virent enfin des animaux mais seulement dans une vallée étrange et interdite au public où elles se rendirent malgré tout, pour s’apercevoir que c’était l’endroit où les hôtels jetaient leurs déchets immondes. Du coup, la visite des parcs nationaux ne leur tînt plus à coeur. Par ailleurs, suivre des files de touristes dont les sacs étaient portés par des larbins ne leur plaisait guère.
Elles s’intéressèrent alors aux villageois des régions lointaines, échappant ainsi aux flux touristiques et recherchèrent l’authenticité. Elles ne trouvèrent souvent que l’occidentalisation, surtout dans les paysages urbains modernes faits de grues et de bétons qui remplaçaient les maisons en bois sur pilotis. Les coutumes exotiques jaillissaient devant leurs yeux parfois comme peuvent le faire les geysers : des fêtes bouddhistes dans les rues et des gestes centenaires dans les champs appartenant seulement à ce type d’environnement. Le reste du temps, les voitures, les portables et les télévisions occupaient les Thaïlandais de la même façon que les Français.
- Je ne pensais pas trouver un pays si développé finit par confier Charlotte à Sandra. Mais la véritable différence, mis à part le climat, se trouve dans la façon de penser et de concevoir les choses. Malheureusement il faut des années pour découvrir l’essence des peuples, ce qui les anime, leur héritage culturel et philosophique.
- Oui, j’imagine bien, répondit Sandra, que ces richesses ne sautent pas aux yeux du premier couillon venu.
Finalement, elles se rendirent à l’évidence. Peu de voyageurs avait effectivement la faculté de les saisir car le voyage n’était qu’un déplacement pour voir, non pas analyser et comprendre, surtout sans connaissance préalable. L’aventure, l’exotisme et l’authenticité exigeaient des mystères pour apparaître mais ces artifices n’étaient encore que de l’émotion, rien d’autre, de la consommation d’émotions sans cesse renouvelées par le déplacement.
Dans ce nouveau bus climatisé, Charlotte surtout, commençait à avoir des pensées mornes d’une petite bourgeoise blasée. Elle se demandait si la France, finalement, ne lui manquait pas. Mais c’était surtout tout ce temps perdu dans les nombreux déplacements qu’elles effectuaient seulement pour aller « voir » qui la gênait alors qu’elle manquait de temps en France pour entreprendre tout ce qu’elle voulait effectuer chaque jour. Elle en avait conscience mais n’osait pas en faire part à Sandra qui continuait d’être émerveillée malgré tout et c’était bien normal, pensait-elle, pour son premier voyage. C’était exaltant pour elle qui découvrait en sortant de Paris tous ces paysages exotiques et verdoyants.
- Ça ne te dirait pas Charlotte de partir à l’aventure en randonnée, au hasard d’une de ces vallées sauvages lui demanda Sandra ?
- On rencontrerait peut-être des gens avec des plumes dans le cul, ironisa Charlotte qui s’était pourtant promise de ne rien laisser paraître de sa lassitude.
- Pourquoi dis-tu ça ? Tu es bizarre aujourd’hui.
- Non, pour rien, je rigole c’est tout.
- De toute façon, on n’a pas de toile de tente et j’ai oublié mon anti-moustique à l’hôtel.
- Ah ! Sandra, tu as encore beaucoup de choses à apprendre, finit par lui dire Charlotte avant de lui expliquer finalement pourquoi cette lassitude dont elle était désolée.
Elles décidèrent donc ensemble de passer au Laos. A Ventiane, capitale minuscule, les communautés blanches et bourgeoises locales se donnaient rendez-vous dans une boîte de nuit qu’on aurait au mieux trouvée ringarde en France. C’est là qu’elles passèrent leur première soirée accompagnées de leur hôte, un ami de Charlotte et de nombreux autres expatriés. Charlotte, devant l’air navré de Sandra promit de lui en reparler plus tard. Il y avait en effet certains d’entres eux, âgés, qui se trouvaient avec de jeunes, trop jeunes mais très jolies Laotiennes.
A Ventiane, elles logeaient donc chez Julien, cet ami de Charlotte, un Français, dans une jolie résidence près du Mékong. Celui-ci passait l’essentiel de ses journées devant son ordinateur à jouer en réseaux. Aussi, il constituait pour vivre, un guide du pays avec le mérite étonnant de n’en pas connaître une parcelle. En effet, il n’aimait pas les voyages. Expliquer comme il était arrivé là était trop compliqué, il disait seulement qu’il avait peut-être enfin trouvé la femme de sa vie et c’était bien le principal à ses yeux où qu’il puisse se trouver.
Sandra découvrait jour après jour les nombreux aspects du voyage et de la vie à l’étranger en général. Elle savourait la liberté, la rencontre de nouvelles personnes, les changements de paysage et de lieux, l’échange avec les locaux, l’émotion que créaient parfois la joie ou la pauvreté ambiante. Elle ne pensait tout de même pas qu’il y avait autant de Français à Ventiane. Charlotte lui expliqua que c’était ainsi sans doute partout dans le monde.
- Il y a certes les vieux blancs qui aiment les jeunes filles mais pas seulement. Aussi de nombreux jeunes travaillent dans des associations, des entreprises, des ambassades et toutes sortes d’organisations comme le centre culturel français.
Pour appuyer ses dires, elles allèrent le visiter. Il exposait à ce moment là un peintre local doué qui peignait les visages des Lao un peu à la Modigliani, d’après Charlotte. Sandra put constater par ailleurs le soutien qu’apportait le Centre aux projets culturels originaux.
De retour chez Julien, le temps passait simplement à ne rien faire. Lire un peu, discuter tranquillement dans le jardin. Un temple bouddhiste proche laissait échapper des gongs puis les petits bonhommes orange passaient devant les maisons et recueillaient des dons de nourriture. Un peu plus loin, un marché de quartier se dressait sous des tôles, les filles se promenèrent dans ses allées pittoresques où débordait la pacotille chinoise. Elles achetèrent de la viande malgré le manque d’hygiène évident.
- Je ne mangerai pas de votre viande, prévint Julien écoeuré en les regardant préparer le repas. Il préférait, chaque jour depuis dix ans au Laos, partager avec son chien des boîtes de raviolis made in Europe.
- Pourtant, j’ai choisi la meilleure, insista Charlotte pour le dégoûter davantage, celle où il y avait le plus de mouches ! Ainsi pensait-elle, je ne m’intoxiquerai pas avec les insecticides qu’ils mettent dessus pour la conserver…
Sur la route du nord, à une centaine de kilomètres de capitale, se trouvait un écolodge sur les rives d’une rivière. Un hôtel construit et animé sur des bases écologiques et équitables. Il était tenu par une autre connaissance de Charlotte, Julia, qui avait la double nationalité Franco Lao.
Des locaux travaillaient dans cet hôtel et contribuaient avec leur salaire, à développer leur village. Une manne d’argent qui leur avait permis d’avoir l’eau courante, l’électricité et même une école. Parfois, les touristes sortaient du complexe et venaient les prendre en photos. Les villageois posaient alors, déguisés et avec un outil à la main. Autant, ils auraient désiré construire de nouvelles maisons en dur avec l’argent mais ils étaient bien conscients que les touristes arrêteraient instantanément de les photographier. Du béton, ça résiste aux intempéries mais ce n’est pas authentique.
Cela, Sandra l’apprit en bredouillant avec la femme de ménage. Elles riaient ensemble aujourd’hui mais au premier jour, elle avait tellement eu honte de faire nettoyer sa chambre par une domestique qu’elle en avait pleuré. La jeune femme lui avait dit son salaire, trente euros et Sandra avait été écœurée. Du coup, elle ne vit plus l’écolodge du même œil et voulut s’expliquer avec Julia.
Elle trouva Christophe, un entomologiste engagé ici pour répertorier des insectes incroyables et les exhiber au public une fois rendus dans le formol, empaillés ou encore dans des aquariums. Intéressé et intéressant, il n’en était pas moins coupable lui aussi car les enfants des environs lui ramenaient avec ardeur toutes sortes d’affreuses bestioles plus dangereuses les unes que les autres, en échange de quelques centimes. Lui se contentait de les assassiner méticuleusement pour ne pas les détériorer. Il gardait vivants les serpents et les araignées afin d’impressionner davantage les visiteurs.
- Le tourisme provoque des situations vraiment paradoxales, lui dit Sandra : d’un côté cet hôtel permet au village d’obtenir du travail, de l’argent, l’eau et l’électricité mais d’un autre, l’écologie et le développement durable coûtent quarante dollars la nuit aux touristes et rapportent en comparaison une misère au village et aux employés.
- Oui, l’eau et l’électricité sont depuis longtemps amortis, avoua-t-il.
- Quelle hypocrisie ! scanda Sandra à Charlotte qui arrivait.
Charlotte ne dit rien, elle était bien d’accord, elle le savait depuis longtemps. Ensemble, elles allèrent trouver Julia. Sandra voulait en découdre mais celle-ci lui expliqua simplement que bien qu’ayant monté le projet, à la base beaucoup plus respectueux, elle n’en avait jamais eu le contrôle. Les véritables responsables venaient de temps et temps. Ils étaient une dizaine d’investisseurs, des Français et des Suisses. L’hôtel leur appartenait et ils le manageaient à distance, lui donnant la marche à suivre pour continuer de recevoir son salaire. Si elle n’était pas d’accord, elle pouvait partir, de nombreuses autres personnes étaient capables de la remplacer. Alors, elle gardait sa place sans faire d’histoire.
- D’ailleurs c’est déjà mieux que rien pour le village conclut-elle.
- C’est vrai, lui dit alors Charlotte en médisant, surtout que l’herbe pousse très bien ici et cela arrondit les fins de mois, n’est ce pas ? Ah ! Sandra, continua-t-elle, c’est bien, ta conscience de petite française s’exalte, l’injustice te révolte, mais tu n’as pas fini de raller dans ce monde. Crois-moi. Ici, au moins, les locaux ont eu une part, mais c’est rarement le cas !
Sandra était dégoûté. Ses grands yeux bleus décrochaient des éclairs à qui voulait bien les voir. Tout juste sortie du pays de la liberté et de l’égalité, du moins, c’est l’impression qu’elle en avait, elle ne pouvait concevoir que des gens profitent du tourisme dans des pays qui n’étaient pas les leurs, « juste » parce qu’ils possédaient l’argent pour investir. En échange de quoi ? Julia avait même dit qu’ils ne payaient pas le moindre impôt pendant dix ans parce qu’ils avaient apporté du travail aux locaux. Charlotte avait ajouté que finalement, un jour l’hôtel appartiendrait à l’état Lao, c’était comme ça qu’on attirait l’argent des étrangers quand on ne possédait pas de richesses dans les sols. Sandra ne voulait plus rien savoir, une nuit d’un seul touriste payait le salaire mensuel d’une boniche qui se tapait toutes les chambres à nettoyer. C’était trop pour elle, trop flagrant. Un esclavage palpable, identifié dans sa propre chambre. Il ne manquerait plus qu’un des bons gros occidentaux investisseurs viennent devant elle tripoter les gamines pour qu’elle le tue de sang froid. Elle affirma à Charlotte qu’elle voulait partir au plus tôt.
Le lendemain, elles tracèrent directement dans le nord où Charlotte devait débuter son contrat prochainement. Elles y parvinrent enfin après trois jours de bus sur des routes incroyablement sinueuses, pas toujours asphaltées, à travers des paysages vierges et infinis et après avoir dormi dans des hôtels plus ou moins salubres. Sandra s’était calmée. Il avait croisé déjà tant de misère depuis un mois qu’elle se prenait parfois à compatir. Chose qu’il ne fallait surtout pas car ce n’était pas normal à ses yeux. Dans un monde si riche, où certains dépensent de l’argent si ostensiblement, c’était odieux. Ou alors, elle ne comprenait rien. Le monde est si grand, pensait-elle encore, pour elle qui n’avait jamais imaginé qu’une telle surface ne représentait qu’un point minuscule sur une carte du monde…
La petite ville de Phongsaly s’accrochait sur des collines qui dominaient un paysage entièrement recouvert de végétation et de montagnes. Dans une des petites rues en pente, l’association Phong Khok Na Ko tentait d’apporter des solutions aux problèmes économiques des populations pauvres et des minorités ethniques montagnardes de la région. Elle avait deux branches distinctes : l’éducation et le tourisme. Elle finançait la construction des écoles et l’achat du matériel scolaire. Aussi, en partenariat avec les acteurs locaux et les ministères concernés, elle finançait la construction des structures d’accueil et le développement du tourisme.
Charlotte fut affectée comme prévu à cette seconde tâche. Avec du personnel local, elle devait se rendre dans les sites potentiellement exploitables, prendre des photos, créer des circuits, des fiches, faire des rapports et enfin garnir le site Internet prévu à cet effet. Des agences spécialisées, locales, nationales ou encore internationales, viendraient ensuite exploiter ces richesses si Sandra réussissait à les mettre en valeur, pour le bien de tous.
C’était un projet de dix semaines où elle n’était pas payée mais profitait d’avantages en nature tels que la nourriture et le logement. Sandra quant à elle, n’avait finalement pas sa place dans cette association. Elle squattait le logement de Charlotte et partait avec elle, lorsque cela se révélait possible, lors de ces déplacements.
De nombreuses ethnies étaient présentes dans la région. Des groupes Akha farouches qui installaient leur village en haut des collines, les Taï Lü préférant le fond des vallées, les Hö pacifiques… Elles n’avaient pas encore rencontré les Mhong, les Lolo, les Yao, les Sila… Charlotte imaginait développer dans cette région bien évidemment le trek puisque de toute façon, il n’y avait pas de route pour circuler ni de site historique ou culturel remarquable. Aussi, lors d’une visite, elles découvrirent l’éblouissante vallée de la Nam Ou.
Le village de Ta Lang sur les rives de cette rivière était le seul endroit d’où l’on pouvait y accéder par une piste praticable. Il était charmant, loin de tout et possédait un petit marché qui attirait des producteurs de villages voisins, perdus dans la jungle. Des embarcations descendaient la rivière à la haute saison à travers des paysages karstiques jusqu’à la ville de Muang Khua à plus de cent kilomètres. En amont, le débit des eaux, voire les rapides, ne permettaient pas la navigation. Le dernier village relié au monde était celui-ci.
Plus au nord, et ce, jusqu’à la frontière de la Chine à plus de cent cinquante kilomètres, il n’existait aucun moyen de transport, ni aucune route.
- C’est par là qu’il faut se rendre, leur dit en français un jeune occidental, en montrant la direction du nord. Il était installé sur la table d’une gargote, en short, son sac à dos à ses pieds.
- Et comment, demanda Sandra ?
- A pied, dit-il.
- Ok, dit Charlotte, quand tu veux !
- Je pars demain mais je ne peux pas vous emmener.
- Pourquoi, demanda Charlotte ?
- Je n’ai pas envie de m’encombrer de touristes tout simplement.
- Et toi, tu n’es pas un touriste par hasard, lui rétorqua Sandra.
- Non, je ne me considère pas vraiment comme un touriste.
- Nous non plus, dit Charlotte, on travaille dans une asso à Phongsaly et ce serait vraiment génial d’ouvrir des circuits de treks dans ces villages, quelle authenticité, les touristes afflueraient !
Charlotte lança cette dernière phrase sans réfléchir. En réalité, elle avait bien conscience que les touristes n’afflueraient jamais dans un lieu si éloigné même si privilégié au niveau de l’environnement. Pour autant, son rôle, qu’elle prenait dorénavant à cœur, était d’en ramener au moins quelques-uns avec des dollars.
Mais le jeune les regarda d’un mauvais œil tout à coup, on sentait sa colère, il se leva et partit payer sa soupe à la petite dame. Puis, il revint vers les filles et leur parla en pesant ces mots :
- Vous comptez développer le tourisme dans cette région, leur dit-il d’un ton du quel on maudit ou l’on crache habituellement, ne comptez pas sur moi pour vous aider. Je hais le tourisme et les touristes, je hais votre développement, je hais vos méthodes, votre fric. Les villages ici sont pauvres mais ils ne sont pas pollués, les habitants ne sont pas cupides, ils ont des valeurs culturelles millénaires que votre tourisme va salir et exploiter pour son plus grand profit. Vous allez leur montrer avec votre fric leur propre misère dont ils n’ont pas forcément conscience et avec laquelle ils vivent néanmoins heureux parce qu’ils vivent en famille, cultivent en famille, produisent juste le nécessaire et ne sont pas individualistes comme vous et votre fric. Vous voulez les ensorceler pour qu’ils ne se contentent plus de rien, qu’ils descendent dans les villes habiter dans des ghettos, apprennent le vol et la mendicité, deviennent au mieux des consommateurs pour vos marchés. Putain de touristes, putain d’associations, vous ne pouvez pas leur foutre la paix ! Et que Phongsaly devienne comme Vang Vieng, Phuket ou Chiang Mai. Merde alors ! Connasses !
Et il partit son sac sur l’épaule sans se retourner. Charlotte resta pensive. Sandra courut derrière lui.
- Eh, Oh ! Attends ! On ne voulait pas te fâcher. Et avant que Phongsaly devienne touristique, il va se passer des années. Sans doute ça n’arrivera jamais.
Le mec continuait sa route tout droit vers la rivière.
- Un minimum de tourisme peut être profitable pour la population si c’est géré par les locaux, continua-t-elle. Tu ne peux pas dire le contraire. L’association construit des écoles, elle parle d’un hôpital. Comment font les gens pour se soigner s’il n’y a pas d’hôpitaux à moins de deux cents kilomètres dit-elle enfin ?
Le mec se retourna. Il regarda Sandra dans les yeux et lui dit tout net :
- Les gens n’ont pas besoin de vos hôpitaux ni de vos écoles, ni de votre science ! Ils vivent ainsi depuis la nuit des temps et c’est très bien comme ça. Parmi le peu de bénéfices obtenus avec votre développement, il y a surtout le vice et la servitude. Il n’y a pas besoin d’être un génie pour se rendre compte des dégâts irrémédiables de votre supposée évolution. C’est une pourriture pour ces peuples. Adieu.
Sandra le regarda partir jusqu’à ce qu’elle ne le vît plus, caché par les arbres. Alors, elle rejoignit Charlotte, assise tranquillement sur un muret d’où elle appréciait la vue.
- Sandra, ce mec est un peu égoïste, la rassura Charlotte. Il veut garder pour lui toutes ces merveilles. Les touristes qui se donneront la peine de venir jusqu’ici seront sans nul doute respectueux de l’environnement et des populations. Et puis, c’est leur seule chance d’accéder à quelques moyens. Comment imagine-t-il que les gens puissent continuer de voir leurs enfants mourir dans leurs bras de maladie soignées par la médecine occidentale depuis des lustres ? Comment imagine-t-il l’évolution de ces villages ? Moi, je pense qu’ils vont finir par disparaître dans l’anonymat. Tu as bien vu comment ils luttent pour survivre, comment ils sont enchaînés à leur cultures misérables qui parfois ne leur donnent pas suffisamment à manger. Le développement du tourisme va permettre de construire des écoles et un jour un véritable hôpital.
- Tu as sans doute raison, répondit Sandra pourtant ce mec a l’air de bien connaître la région et il ne leur souhaite pas ça.
- Dans un sens je le comprends expliqua Charlotte mais c’est facile pour lui de rentrer en France quand il est malade. On est nombreux, devant l’extension de nos modèles de vie pas vraiment idéals, à vouloir préserver des poches de vie autochtones. C’est tellement touchant ces gens qui vivent presque nus et qui triment pour faire pousser leur nourriture. C’est tellement authentique ! Mais c’est injuste. On est pas au zoo. Les gens d’ici ne participent pas à l’évolution parce qu’on ne leur en donne pas la possibilité mais ils demandent de pouvoir envoyer leurs enfants à l’école pour échapper à cette vie trop difficile. Ils souhaitent avoir accès aux soins, mais aussi à la télévision et au téléphone portable. Le rêve occidental est déjà là, c’est trop tard. Pour autant, ce n’est pas parce qu’ils vont avoir accès aux soins et à l’éducation qu’ils vont forcément abandonner leurs montagnes et leurs cultures.
- Je vais quand même le retrouver et essayer de parler avec lui, annonça SAndra. Il a certainement de nombreuses choses à nous apprendre. Et pour ne pas te mentir, je partirais bien avec lui vers le nord le long de cette rivière. Ça me frustre d’être bloquée ici à deux pas de terres inexplorées sur des centaines de kilomètres. Tu as raison c’est du voyeurisme. Mais n’a t-on pas encore en nous ce besoin de simplicité, de sentir la terre juste sous nos pieds ? Si ce gars parle la langue et c’est bien possible, ça peut-être vraiment intéressant. Il faut que je le retrouve.
- Et comment tu comptes t’y prendre, demanda Charlotte ?
- Je vais rester ici à l’attendre, il a parlé de partir demain. On verra bien. Au moins, j’aurai essayé.
- Comme tu veux, moi je retourne à Phongsaly, j’ai du travail. Fais attention à toi.
Charlotte partie, Sandra commanda une soupe car elle mourait de faim. Des bus retourneraient sans doute à Phongsaly le lendemain et il y avait des chambres à louer ici chez l’habitant. Sandra en trouva une correcte mais sans toilettes. Apparemment, personne n’avait de toilettes dans ce village car elle avait vu les gens se diriger vers la rivière avec leur serviette et leur brosse à dents.
Elle descendit, elle aussi, vers la rivière et tenta de remonter un peu son cours pour espérer se baigner tranquillement. L’eau était assez claire et le fond sableux. Elle était douce et tiède. Les boues de la mousson ne la troublait pas à cette époque. Quel calme se dit-elle une fois assise dans la nature à écouter le roulis de l’eau sur les galets. Peu de temps après, elle s’assoupit.
Soudain, des bruits de pas parvinrent à ses oreilles. Elle se couvrit d’une serviette. Elle était un peu à l’écart et n’était donc pas rassurée. Enfin, un homme parut, c’était le jeune Français coléreux. Celui-ci voulut l’éviter et ne lui adressa pas la parole mais c’était sans compter sur sa ténacité.
- Attends ! Ne te sauve pas ! lui dit-elle, j’aimerais beaucoup parler avec toi. Je suis sûre que tu as raison mais il faut m’en dire plus.
Le mec s’arrêta et réfléchit un moment avant de s’approcher. Il y avait derrière son air farouche une sensation de grande sensibilité. Son visage était doux et ses yeux francs.
- Lionel, dit-il pour se présenter. Et il s’assit près d’elle.
- Moi c’est Sandra ; tu te fâches toujours comme ça Lionel ?
- Non, je ne me fâche pas souvent mais j’ai trop vu de sites magnifiques et de populations pourris par le tourisme. Cela fait des années que je m’approche doucement des villages cachés dans ces forêts, j’apprends leurs langues et leurs coutumes pour pouvoir me présenter à eux sans faire trop d’âneries. Des années, vois-tu, et ça me met en colère des gens comme vous qui venaient et pourrissaient tout en deux minutes.
- Oui, je comprends, le rassura Sandra. Et tu travailles pour une organisation ? Tu prépares une thèse ?
- Non, je le fais pour moi. Aussi, je publie parfois des données pour les spécialistes. Derrière ces forêts, il y a des mondes préservés et d’une grande richesse ethnologique. Peu de personnes sont parvenues à les découvrir. Certains villages vivent du commerce de l’opium et ils ont peur d’être ennuyés par les autorités. Aussi, ils sont très indépendants et parfois farouches. Mais, je pense que nous devons retourner au village avant la nuit.
Lionel expliquait à Sandra certains des usages et des comportements de ces peuples que peut-être, il était seul à connaître. Il avait déjà parcouru les environs pendant des semaines. Cette fois, il souhaitait se rendre plus à l’est vers la frontière du Vietnam :
- Là, ne sont que forêts primaires sur quatre-vingt-dix-huit pour cent de la surface et il n'y a presque aucun sentier permettant d'y pénétrer. J’ai appris très récemment qu’au moins deux villages de populations Hmong s'y trouvaient. C'est là qu'il faut absolument aller. Demain, je rejoins un bled plus haut d’où je partirai en pirogue.
- Je croyais que les bateaux ne pouvaient pas aller dans cette direction ? demanda Sandra.
- Quelques pilotes s’y risquent pourtant, lui signifia-t-il.
- Quelle aventure Lionel, ça me plairait tellement, emmène-moi avec toi !
- Impossible Sandra, désolé, je ne peux pas.
- Juste quelques jours ! Ensuite, je te laisserai tranquille. Laisse moi découvrir ces territoires et je serai ton porte-parole pour empêcher le tourisme de masse de se développer.
- Comment ferais-tu ça ? Lui demanda-t-il en souriant.
- Déjà, Charlotte est mon amie et c’est elle qui fait la promo des sites. J’arriverai à la faire changer d’avis si tu me laisses découvrir par moi-même ces contrées.
- Sandra, si le tourisme de masse vient un jour jusqu’ici, c’est qu’il aura déjà perverti bien des endroits reculés du monde et je ne crois pas que ta volonté, ni celle de ton amie, influence beaucoup ce phénomène. Enfin, je peux bien t’emmener jusqu’aux deux rivières où je compte me rendre en premier.
- Merci Lionel, vraiment !
- Il y a peut-être six jours pour se rendre aux deux rivières. Tu devrais faire prévenir ton amie. Aussi faut-il prendre le minimum d’affaires.
- Ok
- Ce ne sera pas dangereux mais on ne sait jamais. As-tu une bonne assurance voyage ?
- Oui, bien sûr, mentit Sandra.
- Donc demain, sept heures.
- Pétante, à demain Lionel.
Le lendemain, par un petit sentier, Sandra et Lionel s’enfoncèrent dans la montagne. Ils passèrent dans un village Hô dont les maisons de pisé étaient entourées de grosses pierres qui interdisaient le passage des animaux de la forêt. Le sentier grimpait ensuite fortement. L’altitude des monts aux alentours ne dépassait pas deux mille mètres mais le relief était très accidenté, escarpé, pentu. Il n’y avait pas un arpent de terre plate. Le sentier montait et descendait toujours, inévitablement. Enfin, ils dégringolèrent vers un petit village construit sur pilotis. Lionel était venu la veille pour négocier son trajet en bateau. Ils embarquèrent.
Ils étaient quatre sur la pirogue, un des hommes se trouvait à l'arrière au moteur et gouvernail, l'autre devant, souvent debout, en équilibre à l'extrême proue à sonder les fonds rocheux à l'aide d'une longue perche en bambou. Sandra était derrière Lionel au milieu de l’embarcation. Ils étaient tous deux accoudés aux bas flancs. A chaque rapide, elle s’agrippait à lui. Le reste du temps, la rivière était calme, il n’y avait qu’à regarder les paysages défiler, cheveux dans le vent.
Une heure plus tard, les piroguiers les déposèrent sur un banc de sable et firent demi-tour. Ils étaient arrivés à destination. Malheureusement, il n’y avait là qu’un hameau d'une dizaine de très misérables baraques sur pilotis. Les villageois étaient désemparés face à leur arrivée, d'autant que beaucoup d'hommes semblaient absents. De plus, Lionel n’arrivait pas à se faire comprendre.
Enfin, un monsieur âgé quitta sa minuscule échoppe et vint à leur secours. Après quelques minutes de palabres, ils se dirigèrent ensemble vers la rive pour observer les embarcations disponibles.
Il n'y avait que trois pirogues et l’une d'entre elles semblait définitivement hors d'état de flotter. Sculptées à la hache, dans un seul tronc de bois, elles étaient destinées à des déplacements de proximité, pour la pêche. Finalement, un accord fut conclu. Le vieux père, comme l’appellerait dorénavant Lionel, les emmènerait jusqu’au village suivant, à plus de quatre heures de navigation.
Bientôt, la pirogue s’éloigna du petit village. Elle flottait au raz de l’eau épaisse et large de la rivière. Un énorme poisson montra son dos à la surface et excita les deux piroguiers. Plus périlleux encore que le premier trajet, des jets d’eau les éclaboussaient dans les rapides, d’autant que la pirogue était plus petite et plus archaïque. Un peu plus loin, ils cassèrent l'hélice du moteur. Heureusement, une de rechange avait été emportée. La réparation et le remplacement de l'objet s'effectua dans l'eau en quelques minutes seulement. L’aventure pouvait continuer. Tout doucement, en remontant cette rivière, ils s’éloignaient de la civilisation.
En fin d’après-midi, sur la rive droite de la Nam Ou, les premières habitations depuis leur départ se dessinèrent. Dès leur arrivée, la population les reçut avec beaucoup de chaleur et de sympathie. Le village était imposant, les maisons très longues, elles hébergeaient chacune une cinquantaine de personnes. Toutes les femmes portaient l'habit traditionnel, une superposition de jupes et jupons de coton tissé sur place et méticuleusement brodé de symboles qui traitaient de la création de l’univers. Ces peuples étaient en effet originaires de contrées lointaines, leurs croyances s’apparentaient aux religions archaïques chinoises et tibétaines. Tous différents, ils ne se mélangeaient en aucun cas et parcouraient chaque année de longues distances, lors des fêtes de printemps, pour se marier sans consanguinité.
Lionel donnait ces explications à Sandra pendant leur promenade à travers le village. Celui-ci était étalé, dispersé, sur un vaste terrain vallonné, dégagé au beau milieu de la forêt. L’ombre de grands arbres apportait ici et là un peu de fraîcheur. Des palissades de bambous tressés entouraient chaque jardin où l’on trouvait de l'ananas, de la canne à sucre, de petites aubergines, des papayers, bananiers et de nombreux légumes et herbes inconnus. Lionel poursuivait ses commentaires :
- Les Hmong sont les meilleurs producteurs d'opium. La plupart des hommes sont partis, pour plusieurs jours, travailler dans les champs de pavot installés en altitude au milieu de la forêt, et à des emplacements connus d'eux seuls. C’est une source de revenu bien plus importante que celle du riz. Aussi, ils en consomment. Tu verras ce soir, ils ne se cachent pas. Mais en réalité, seulement les anciens sont autorisés à fumer. L’opium contient de la morphine, c’est leur anti-douleur. C’est d’ailleurs considéré comme un médicament.
- Mais c’est une drogue en réalité intervint Sandra, ne tombent-ils pas dépendants ?
- Evidemment si, même s’ils sont conscients des dangers de l’accoutumance. Parfois, on trouve de jeunes opiomanes dans les villages, mais c’est qu’ils ont été, à un moment de leur vie, gravement malades, en ont consommé trop longtemps et sont donc maintenant dépendants à vie.
- Et que deviennent-ils alors demanda Sandra ?
- Les villageois s’occupent d’eux toute leur vie, très courte, car ils ne peuvent plus être autonomes, conclut Lionel.
Le chef du village les avait invités à passer la nuit dans sa maison. Cet homme était aussi chaman. Dans la soirée, il effectua un rituel de guérison : assis près du foyer, il tenait une dent d'ours dans chaque main. Il cracha alors dessus puis les porta au-dessus des flammes en marmonnant des sons, en psalmodiant des paroles incompréhensibles. Enfin, il caressa avec les dents fumantes sous les aisselles d'un jeune homme assis en face de lui, d'où des croûtes et une infection s'étendaient dangereusement. Puis les mêmes gestes furent répétés sur l'œil d'un bébé porté par sa mère, dont la paupière inférieure était bleuâtre et surtout enflée de manière inquiétante.
- Dans quelques jours ou semaines peut-être, chuchota Lionel à Sandra qui se trouvait tout près de lui, mais en tout cas comme d'habitude lorsqu'il sera déjà trop tard, et aussi lorsqu’ils parviendront à réunir la somme nécessaire, ils se décideront, après constat de l'inévitable échec de la sorcellerie, à effectuer le voyage vers le petit hôpital de Phongsaly.
- Tu me disais toi-même que les hôpitaux n’étaient pas nécessaires, s’étonna Sandra ?
- J’étais fâché et bête à ce moment là…
Le vieux père avait accepté de continuer avec eux l’aventure. Le lendemain, ils avaient embarqué une dizaine d’hélices de rechange, un fusil, des gamelles, deux jerricans d'essence, de la nourriture, des machettes, des cordages et ils partaient à deux de plus, c’est à dire à six. Sandra s’inquiétait sans rien dire de la préparation et du sérieux que prenait dorénavant l’expédition. Elle craignait des dangers certains et n’était pas sûre d’être à même de les surmonter. Mais elle prit place dans la pirogue et celle-ci fut poussée dans la rivière par les hommes restés à quai.
Rapidement, après seulement vingt minutes de navigation, le ton était donné : au détour d'un coude, des rapides démentiels leur faisaient face. L’embarcation semblait tout à coup extrêmement frêle. La pirogue s'élança en pleine puissance, le moteur vrombissait et crachait une fumée noire et épaisse. Le premier homme maniait la perche de bambou à une allure folle pour en permanence sonder les fonds, détecter les rochers et conseiller les voies à prendre. Les deux autres ramaient comme des forcenés, à une vitesse démentielle. Il fallait parfois se faufiler entre d'énormes rochers. Ces passages étaient les plus délicats car les masses d'eau canalisées s’opposaient à eux de toute leur violence. Sandra commençait sincèrement à regretter sa décision d’accompagner Lionel. Plus loin, dans une zone calme, elle se vit lui demander de faire demi-tour mais devant sa joie peu contenue, elle n’osa pas. Et puis, maintenant entamée, elle savait que si elle n’allait pas jusqu'au bout de cette aventure, elle en garderait longtemps le regret et la frustration.
Debout lui aussi, Lionel ne pouvait s’empêcher d’aider les hommes à ramer, à pousser, à vérifier s’il ne se trouvait des rochers à éviter. Il discutait avec le vieux père, seul à connaître aussi des mots dans différents dialectes. Ensuite il traduisait à Sandra. Tel arbre leur servait à faire des outils, tel autre, sa sève permettait de coller, d’étanchéifier. Le vieux père leur racontait aussi que le gouvernement souhaitait les voir descendre de leurs montagnes vers les vallées en leur promettant de belles maisons et de l’argent mais eux, les vieux, ne voulaient pas. Certaines familles étaient parties. Ensuite, elles n’avaient même pas pu revenir tant elles étaient devenues pauvres. A la ville, elles ne possédaient rien si ce n’est quelques bâches pour protéger de la pluie. Ils n’avaient surtout plus d’accès à la terre pour la cultiver. Elle appartenaient, dans les grandes vallées fertiles plus habitées, à des propriétaires et étaient sillonnées par des machines agricoles. Il n’y avait pas de travail pour eux. Finalement, même si c’était parfois très difficile dans les montagnes, le vieux père pensait que là était leur place, là était leur vie, la terre de leurs aïeux, et où les esprits des ancêtres veillaient continuellement sur eux.
Lionel qui le faisait parler et raconter ces histoires, n’obtenait pas toujours de réponse, surtout par rapport à l’opium. Le gouvernement savait bien qu’ils cultivaient. Là n’était pas le problème. Les échanges se faisaient par les frontières avec le Vietnam et la Chine et donc le gouvernement ne prenait rien dessus. Lionel pensait que c’était réellement cela le problème.
Après environ une heure de rapides de moindres importances mais aussi de zones de calme, un sourd grondement se fit entendre. À trois cents mètres au devant, l'énorme masse d'eau tombait, dévalait sur eux. Pour Sandra, c'était clair, on ne passerait pas. Les hommes criaient d'un bout à l'autre de l'embarcation. Après plusieurs minutes de palabres, ils prirent une décision : il fallait alléger la pirogue et protéger les étrangers. Sandra et Lionel se virent alors déposer sur les rochers. En cas d'éventuel accident, on leur avait laissé leur sac. Des hommes partirent faire une reconnaissance. Ils tentaient d’estimer ce qu'il était possible de faire.
Sandra et Lionel sautaient de rocher en rocher, escaladaient. Parfois, du haut de leur promontoire, ils observaient la scène terrible et hallucinante qui se passait dans l’eau. Les quatre hommes halaient la pirogue à l'aide de cordes. Ils se tenaient sur les rochers émergeant, s'agrippaient en luttant contre l'impressionnante violence du courant qui les submergeait presque. C'était un spectacle ahurissant, semblant d'un autre âge. Dans ce passage, c’était des remous terribles, des cascades, des explosions d'eau permanentes. Tous les hommes y dépensaient une énergie incroyable à avancer, centimètre par centimètre.
Après une heure de combat contre les forces de la nature, ils relancèrent le moteur et à nouveau à pleine puissance, passèrent en force les derniers rapides. Là oui, tout au long de cette opération, il y avait eu réel danger de mort et cette fois Lionel, qui avait rechigné au début de ne pas pouvoir les aider, avait eu peur pour eux et regrettait de les avoir tous embarqués dans cette aventure.
La pirogue les récupéra enfin. L’eau, comme par magie, devint d’un calme étonnant mais plus tard, dans quatre autres cas extrêmes, Sandra et Lionel durent à nouveau être débarqués sur les berges pour alléger le bateau. Dans ces autres passages de gros rapides, il fallait parfois encore haler l'embarcation mais le plus souvent, ainsi allégés, les quatre navigateurs restants passaient en force, le moteur à pleine puissance et la rame et la perche de bambou maniées à des allures frénétiques.
Les quatre hommes, en short et torses nus, possédaient des musculatures très développées de tout leur corps, des muscles saillants incroyablement sous l'effort. C’était de véritables prouesses qu'ils réalisaient. Sandra les voyait comme dans un rêve. Elle repensait aux touristes croisés auparavant qui lui avaient raconté avec passion leurs aventures sur la soi-disant turbulente rivière Nam Ou, après Hat Sa, là où Lionel affirmait qu’elle était large et confortable.
L’un d’entre eux revenait particulièrement à sa mémoire : Grégoire, rencontré à Ventiane. Il était le profil parfait de l’étalon voyageur : Tiberland greffées aux pieds, les yeux flottants dans le vague comme s’il vivait constamment l’expérience : tir de mortier sur mon 4*4 ensablé jusqu’aux portières et sortie in extremis avant l’explosion fatale. Il était aussi poète : avec lui le soleil « rougeoyait » constamment sur les montagnes « inviolées » et le regard des femmes était toujours « embué par l’émotion de celles qui se savent mortelles »… Le type d’homme qui ne pouvait s’empêcher devant les autres de transformer le moindre incident de sa vie en aventure extraordinaire. A force de romancer ses histoires, peut-être finissait-il pas y croire lui-même ?
Sandra souriait au vent de cette vallée, elle avait l’impression de n’être pas ici, de n’être pas elle-même mais seulement emportée dans ses rêves, au musée, devant le radeau de la méduse. L’angoisse de l’instant l’empêchait toujours de le vivre pleinement mais Lionel la rappela à la réalité :
- Ouvre les yeux Sandra, on n’est pas encore morts !
Partout, de part et d'autre de la rivière, c’était deux frondaisons, très pentues et accidentées, de verdure. Nature riche, dense, variée, intacte, primaire. Il n'y avait pas une seule trace humaine, pas un seul village, pas même une hutte, pas un seul départ de sentier, pas une seule culture de visible sur les flancs des montagnes alentours. Ce n’était que des arbres gigantesques, des forêts de bambous géants qui s'élançaient en hauts panaches et d’envahissantes lianes et plantes rampantes.
Quand un petit ruisseau se jetait là dans la rivière, il formait une baie protectrice où l’on pouvait débarquer. Ils en profitaient alors pour écoper, inspecter et bricoler la pirogue puis ils pêchaient et se baignaient sans bruit dans les trous d'eau claire. Les oiseaux sifflaient autour d’eux. Le bruissement des insectes les rappelait à la nature sauvage et impénétrable qui les entourait. Il était temps de repartir.
De nouveau, alternativement, des zones de calme et de rapides. Soudain, en pleine lutte contre le courant, l’hélice se rompit. L'embarcation partit alors à la dérive. Les hommes tentèrent de la contrôler à la force des bras. Mais ils s'échouèrent violemment contre deux rochers émergeant. Il fallait descendre pour alléger l’embarcation mais cette fois, ils se trouvaient au beau milieu de la rivière. Un homme sauta dans l’eau et fut tout de suite emporté par le courant. Enfin, il réussit à s’agripper et sortir. Courageux, Lionel sauta lui aussi et nagea de longues minutes avant de rejoindre enfin la berge. Finalement, Sandra resterait dans le bateau pendant la manoeuvre. Enfin, ils réussirent à changer l’hélice, puis forcèrent le rapide avant de récupérer tout le monde.
Lors d’un repas, au menu, toujours le riz gluant cuit, emporté dans le traditionnel pot de vannerie de bambou et les poissons tout juste pêchés. Mais deux des hommes, équipés du fusil, s'enfoncèrent dans la forêt, par le creux du dense talweg déversant ici un petit ruisseau. Vingt minutes passèrent et Bang ! Un coup de feu. Enfin, ils réapparurent traînant un jeune cerf sur leurs épaules. La bête fut immédiatement dépecée. Un feu était déjà allumé. Ils cuirent puis mangèrent les parties les plus périssables de l'animal : les abats, les tripes, le foie, cœur et les poumons sur deux feuilles de bananier posées au sol qui leur servaient de table et où ils trempaient les boulettes de riz gluant dans la sauce coagulante de viande.
Une fois repu, le vieux père fit une prière tout en déposant sur un rocher tout proche un peu de riz, quelques morceaux de viande et trois gros bâtons d’encens. Ensuite, il leur expliqua que ce rituel était destiné à ne pas fâcher les esprits de la forêt d'avoir prélevé un animal. Ils devaient respecter la nature car elle leur offrait naturellement tout ce dont ils aveint besoin. C’était pour cela qu’il ne fallait pas abuser d’elle, en prendre trop, ou mal, mais seulement le stricte nécessaire.
Derrière eux, quelques feuilles de bananiers souillées, un foyer encore fumant et le plus gros rocher du lieu dégoulinant de sang. Lionel était aux anges. C’était pour lui un voyage féerique dans cette zone totalement inhabitée et probablement même jamais parcourue par des Européens. Seuls deux murs verdoyants et emplis d’oiseaux les cernaient. Il n’y avait eu aucune trace humaine depuis plusieurs jours. Malgré les quelques difficultés rencontrées, ils avaient parcouru une longue distance et arriveraient sans doute bientôt dans d’autres foyers de vie.
La proximité dans laquelle ils s’étaient trouvés pendant ces quelques jours avait permis de nombreux échanges avec une meilleure compréhension. Lionel et Sandra avaient beaucoup appris des Lao des montagnes, de leur vie si sauvage et proche de la nature. Les locaux, quant à eux avaient corrigé quelques préjugés concernant la vie occidentale transmise ici de la télé aux vallées et des vallées aux montagnes par la forêt. De quoi transformer une réalité déjà compromise par la télévision. A la grande surprise de Sandra, ces gens croyaient dur comme fer qu’il n’existait pas de pauvres dans son pays. Et à Lionel de tenter de leur expliquer que les pauvres de chez lui, nombreux, étaient parfois biens plus pauvres qu’eux, les Lao des montagnes, et encore plus du fait qu’ils côtoyaient de près la richesse des autres. Le vieux père avait du mal à tout comprendre : comme expliquer en effet que la pauvreté était aussi un rapport entre les plus riches et les plus pauvres, rapport qui était sans doute plus extrême dans les pays occidentaux. Ce qu’il avait retenu lui, tout simplement, c’était qu’un paquet de cigarettes chose commune par ici avec la proximité de la Chine, pouvait coûter cent vingt mille kip en France ! A cause de cela seulement, leur promit-il, il n’enverrait jamais ses enfants se jeter sur une coque de noix pour tenter, avec le hasard des courants, d’échouer sur une côte occidentale…
Dans l’après-midi du jour suivant, enfin, un premier affluent déboucha. Il était signe de vie. Sa vue provoqua une animation joyeuse. Très vite, un pêcheur sur sa pirogue se montra. Un peu plus loin, des femmes lavaient leurs linges dans l’eau de la rivière. C’était la fin du périple. Sandra priait pour la première fois, elle remerciait les esprits de la forêt de les avoir laissés en vie.
Ils arrivaient à Ban Nong. Déjà l'alerte avait été donnée : des étrangers arrivaient par la rivière. C’était la première fois qu’une telle chose se produisait. On voyait sur les regards l’admiration des villageois. De plus, ils étaient sous la protection des héros piroguiers qui avaient menés l'embarcation. Néanmoins, les villageois, après être revenus de leur surprise, se demandaient pourquoi ces étrangers étaient venus jusqu’ici ? Lionel dut alors montrer patte blanche, dire qu’ils étaient des touristes, qu’ils ne travaillaient surtout pas pour le gouvernement enfin qu’ils étaient neutres et ne s’intéressaient pas à leurs plantations, ni à leur commerce. Perplexes quant à l’utilité d’un tel voyage, les villageois les entraînèrent pour manger et fêter leur arrivée. À nouveau, ce fut un festin de cerf et de poissons. Ils burent du lao lao, de l'alcool de riz et, fatigue aidant, furent vite ivres.
Dilo- Nombre de messages : 65
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Re: Passion dissidente
Un peu plus tard, les deux plus jeunes piroguiers, heureux de la perspective de s'encanailler, entraînèrent Lionel avec eux. Celui-ci paya des bières afin d’aller taquiner des phou sào, des jeunes filles, les vendeuses de l'échoppe chinoise. Pour se faire, il leur offrit des bonbons vietnamiens périmés. Avec son large sourire ivre, il dit à Sandra que cela marchait à tous les coups.
Puis il commença de mettre la zizanie dans le village en criant aux filles se tenant plus loin, des paroles que les gamins lui dictaient à l'oreille. C’était un jeu à succès puisque tous les villageois hurlaient de rire. Sandra, assise devant le spectacle, se laissait caresser les cheveux par les plus jeunes filles. Celles-ci voulaient échanger leurs magnifiques parures contre le pauvre gilet en polyester qu’elle portait et qui sentait la vase. Et ils montraient ses yeux bleus comme le ciel en lui faisant comprendre que seules les déesses pouvaient posséder de tels yeux. Enfin, à la nuit tombée, ils allèrent retrouver leur fine natte posée à même le sol et s’endormir comme des masses.
Au petit déjeuner, du cerf ! Il fallait le terminer, il n’y avait en effet pas de congélateur ici. Sandra détesterait définitivement le goût de cet animal. Puis les piroguiers repartirent. Lionel pleurait presque lorsqu’il leur fit ses adieux. Il leur dit qu'un jour, il tâcherait de leur remettre la photo prise lorsqu’ils portaient le cerf abattu devant la rivière Nam Ou.
Sandra et Lionel se quittaient aussi ce matin-là. Lui continuait sa route vers le nord par des chemins inconnus et difficiles. Sandra se souvint lorsqu’il leur avait signifié avec Charlotte qu’il ne se considérait pas vraiment comme un touriste. Mais quel genre d’homme était-il ? Il avait tellement de facilité à entrer en contact avec ces populations. Il avait tellement de joie à partager avec elles, il prenait tellement de risques pour obtenir ces renseignements qu’il inscrivait à mesure sur son carnet de bord : populations, mœurs, particularités et mille autres choses encore. Sandra n’avait pas brillé d’énergie et de vaillance pendant ces quelques jours. Elle avait été trop impressionnée pour être détendue. Pourtant, Lionel était fier d’elle, l’avait vraiment appréciée et, pour lui dire adieu, il l’avait invitée à le rejoindre, un jour, dans un mystérieux village…
Pour son retour, Sandra accompagnait un petit groupe avec un cheval qui se rendait au marché dans le bourg le plus proche et d’où partait une piste à une vingtaine de kilomètres. Le sentier était fabuleux, d'autant plus appréciable que la pluie du matin avait finalement cessé. Ils longèrent des crêtes plusieurs heures avant de descendre dans un vallon et remonter un torrent. De temps en temps, ils s'arrêtaient pour cueillir des champignons et des baies, pour laisser brouter le cheval, pour se débarrasser des sangsues, pour se rafraîchir dans les ruisseaux et pour fumer dans les pipes à eau.
Au repas, à nouveau du riz gluant mais cette fois avec des champignons crus tout juste cueillis. Ce champignon était chargé d'une sève blanche qui suintait. Sandra faisait la grimace. Les autres riaient et se moquaient gentiment. Le dégoût passa ensuite en grignotant quelques baies dont la chair était acide et qui tint lieu de dessert.
Enfin, parut la descente définitive. Elle se présenta escarpée et glissante. La nature environnante était grandiose et intacte. Il y avait de nombreux fromagers géants reconnaissables par leurs racines envahissantes qui retombaient directement des premières branches, et formaient une voûte volumineuse. Parmi les autres types de végétation, Sandra repéra de grandioses fougères arborescentes, des bosquets de bambous géants et de ces sortes de palmiers déployant de gigantesques feuilles en formes d'éventails.
Au sol, les sangsues se trouvaient à profusion. Alors que les locaux, en tongs, les repéraient facilement et pouvaient s'en débarrasser rapidement, une douzaine d'entre elles se réfugiaient régulièrement sous les sandales de Sandra et elle devait alors complètement les ôter pour les en dénicher et les arracher de leurs féroces embrassades avec la peau.
Puis ça y était, au détour d'un flanc abrupt, Sandra aperçut les premières habitations et reconnut le grondement sourd de quelques véhicules. Enfin, dans la nuit du jour suivant, elle parvint à Phongsaly dans une benne de camion qui l’avait prise en autostop et courut chez Charlotte qu’elle réveilla pour lui annoncer la nouvelle :
- J’ai trouvé un superbe plan pour tes touristes !
L’association Phong Khok Na Ko où travaillait toujours Charlotte venait de commémorer son école. Elle avait été construite dans une zone stratégique au carrefour de plusieurs villages et regroupait ainsi plus de cent vingt élèves dans trois classes. Evidement, aucun professeur d’état n’acceptait de venir prodiguer ses cours dans cette extrémité du pays. On fit appel à d’anciens militaires revenus, à la retraite, dans leur région d’origine et qui avaient le mérite de savoir lire et écrire dans la langue officielle.
Cependant ce problème majeur, la formation des instituteurs, n’était que la partie visible de l’iceberg. Le plus difficile avait été de faire accepter aux parents d’envoyer leurs enfants à l’école alors qu’ils n’en voyaient pas toujours l’intérêt et surtout de regrouper des enfants de plusieurs ethnies différentes qui ne le souhaitaient pas volontiers. L’association et les autorités n’avaient trouvé qu’un moyen : distribuer de l’argent aux familles ! Mais pour combien de temps ? Sans doute, tant que l’association étrangère serait là pour payer.
Après cinq semaines de travail, Charlotte avait regroupé suffisamment d’informations et de photos pour présenter des projets. Déjà, des agences de voyage étudiaient la possibilité d’investir dans la région. L’état, avec l’aide d’investissements privés, avait également fait construire un hôtel correct et plusieurs particuliers possédaient des logements à louer aux touristes.
Sandra, revenue de sa conquête, ne pouvait s’empêcher de comparer les arguments de Lionel et l’aventure qu’ils avaient partagée, aux propos de Charlotte et des organisations humanitaires. Finalement, le développement prenait forme assurément. Sans doute, un jour, les autorités locales auraient les moyens de financer elles-mêmes ces écoles avec l’argent du tourisme notamment.
Lionel se trompait particulièrement sur un point : la culture du pavot qui permettait une certaine indépendance et quelques revenus dans les villages de montagnes n’apporterait aucune amélioration réelle bien au contraire. Cela les enfoncerait toujours plus profondément dans la crainte du gouvernement et de la contrebande mafieuse parfois armée qui rodait dans les montagnes à la recherche de la drogue achetée le plus souvent à des prix extrêmement bas pour être revendue dix fois plus chère une fois la frontière passée.
Ce qui était certain, enfin, aucune région du monde n’était condamnée à l’immobilisme éternel. Amélioration du changement ou non, seul le temps permettrait d’en juger et ce, de façon différente par rapport à la région concernée. Sandra pensa que les vertus de la science occidentale, de l’éducation et des progrès de l’agriculture n’arriveraient pas sans leurs congénères biens connus de nos modes de vie : arrogance très forte de l’argent, chômage, individualisme et uniformité pour ne citer qu’eux. Les hommes descendus de la montagne on non devraient continuellement se battrent contre ceux, toujours à l’affût, qui ne cesserait jamais d’exploiter parfois même leurs propres frères pour en tirer le maximum de profits.
- Tu ne veux pas parler de choses moins sérieuses, Sandra ? demanda Charles, un des jeunes architectes qui avait dessiné et construit l’école de l’association.
- Comme quoi ?
- Je ne sais pas, on pourrait faire l’amour, ça nous détendrait !
- Tu n’es pas maqué Charles ? Tu m’as pourtant bien parlé d’une certaine Aurélie, non ?
- Oui, mais je ne sais pas ce qu’elle fait, elle, et puis, je viens de terminer un livre très intéressant qui prétend que la réussite de la vie moderne dépendait exclusivement de sensations de liberté et de mouvements…
- La liberté de mouvement tu veux dire, en opposition à l’immobilité forcée par exemple à ceux qui sont bloqués aux frontières. J’ai lu ça, je crois, un certain Bauman. Mais je n’adhère pas forcément à cette thèse. Pour moi la félicité est dans l’amitié, la fidélité, la confiance, et peut être aussi la famille. Excuse-moi de n’être pas moderne…
- Oui, conservatrice même, tu ne voterais pas à droite ?
- Je n’ai jamais voté… Tous ces guignols ! Dorénavant, j’ai l’impression que les décisions comme les institutions politiques et sociales devraient être mondiales, l’économie l’est, c’est elle qui dirige et les états obéissent.
- Tu recommences à parler sérieusement. Ton petit air formel n’a rien pour me déplaire. Mais tu te prends trop au sérieux.. Le monde est tel qu’il est, tu n’y changeras rien.
- Tu as raison Charles, faisons l’amour.
- Non, tu rigoles !
- Oui ! Je rigole. Je ne vote pas à droite, je n’aime pas consommer, encore moins l’amour, désolée.
- Tu n’es vraiment pas drôle ! Si tu veux parler sérieusement, pourquoi restes-tu là à ne rien faire, pourquoi ne participes-tu pas à l’association avec Charlotte, pourquoi ne fais-tu pas de l’humanitaire !
- C’est ça que tu appelles changer le monde ? L’humanitaire ! Pour moi, c’est mettre des pansements sur des blessures pour que les pauvres puissent continuer de crever à petit feu et à être exploités. Votre développement, c’est de la poudre aux yeux ; conjuguer tant de passions, de force et d’argent pour construire une école sans instituteur alors qu’il en faudrait des milliers, c’est navrant.
- Tu racontes n’importe quoi s’offusqua Charles ! Tous ces gens qui se battent pour sauver et aider les autres, c’est la plus belle démonstration d’humanité, c’est déjà ce qui fait la différence.
- Tu parles, vous vous sauvez vous-mêmes, vous sauvez votre conscience.
- Non Sandra, il n’y a pas que ça, tu te trompes !
- Bien sûr Charles, je voulais juste te faire réagir et puis t’enlever l’envie de faire l’amour, je crois que j’ai réussi, n’est-ce pas ? Il n’empêche, même si toute cette aide est nécessaire, le monde ne s’arrange pas, on va continuer d’embaucher dans l’humanitaire. Si je participais à une organisation, elle aurait pour but de renverser la situation, changer le cap de cette mondialisation pour la mettre au service des populations et non pas de ceux qui sont déjà riches. Les exemples qui le prouvent sont nombreux.
- Le discours conventionnel, émotif, défendre les persécutés, quelle belle cause. Tu me fais penser à un ami, il s’appelait Charles comme moi, il y a quelques années, on avait eu cette discussion comme avec toi, il était très sérieux et un jour il m’a confié sa participation à une sorte de réseau.
- Tu crois que je pourrais le rencontrer ?
- Si tu vas à Kuala Lumpur, il y sera peut-être encore, il s’appelle Charles Ritz et habitait à l’époque en centre ville. Je dois avoir l’adresse quelque part. Mais il va te falloir payer…
- T’es vraiment un pourri toi aussi.
- Aller, je rigole, ne chiale pas !
Charles sortit son porte feuille et fouilla à l’intérieur pour enfin trouver le petit papier froissé qui traînait à l’intérieur. Sandra n’imaginait pas encore que ce réseau allait influencer sa vie pendant des années ! Une fois le petit papier dans ses mains et après avoir pris connaissance de l’adresse, elle lui souffla avec ses plus beaux yeux pour le narguer un peu :
- Tu vois, tu me l’aurais donné sans rien demander, j’aurais peut-être accepté de me faire traire sur cette herbe au soleil. Aller fais pas la gueule, ce sera pour une prochaine fois. Il faut que je te laisse maintenant. Tchao…
Sandra avait réussi à convaincre Charlotte, à la fin de sa mission, de l’accompagner sur le chemin du village dont Lionel avait parlé. Elle n’osait pas réaliser cette aventure seule. Pourtant, un désir était né en elle de revoir cet homme avec qui elle avait partagé des moments inoubliables. Une complicité s’était créée entre eux sans jamais la moindre allusion au sexe. Voilà bien ce qu’elle aimait. Et c’était sans doute pour cela, alors que sur le moment elle n’y avait pas pensé, qu’elle revoyait aujourd’hui leur baignade dans le torrent cette fois où, un peu à l’écart des autres, ils s’étaient mis nus et s’étaient parfois, avec tant de gêne, frôlés en nageant, que ces images prenaient aujourd’hui un sens érotique. Sandra ne confia pas ces détails à Charlotte mais celle-ci ne s’embarrassait pas pour le lui faire entendre :
- Le loup est dans la bergerie, n’est-ce pas Sandra, se moquait-elle ?
Enfin, Charlotte accepta. Elle n’avait d’ailleurs rien d’urgent à faire. Aucune obligation immédiate si ce n’était certaines connaissances à visiter. La curiosité la poussait aussi autant que la jalousie de voir son amie s’énamourer alors que son homme à elle ne donnait plus aucune nouvelle. Enfin, si Lionel pouvait remplacer Alban dans le cœur de Sandra, Charlotte s’en réjouissait pour elle.
Lionel avait donné quelques informations vagues concernant le village comme s’il n’y avait jamais été lui-même : des noms de lieu, de rivières et la zone approximative où il devait se trouver. Aucun transport en commun n’y parvenait. Elles devaient payer cher un taxi privé ou louer un véhicule pour s’y rendre. Finalement un scooter ferait l’affaire. Elles se procurèrent des bidons d’eau et d’essence, une chambre à air de rechange et quelques outils.
- Tu as bien changé Sandra depuis les Pyrénées, lui fit remarquer Charlotte en lui rappelant ses petites bras blancs et ses yeux si tristes. Aujourd’hui, bronzée, souriante, tu respires la santé et la vie, et je trouve que tu pousses la témérité un peu loin à mon goût. Je ne sais pas ce que t’a fait ce mec mais quand je te vois t’activer ainsi pour te perdre dans la jungle, je me dis qu’il ne t’aurait pas fait jouir comme un grizzli, tu ne courrais pas ainsi après lui.
- C’est ça, rétorqua Sandra, en attendant, au lieu de me regarder en racontant des conneries, prends la ficelle là et aide-moi plutôt à attacher ce bidon !
La piste était lamentable et poussiéreuse, elle quittait la ville de Pa Boun et contournait le lac de Nam Ggum avant de disparaître dans la jungle. Ce lac aux mille îles dont certaines avaient servi de camp de redressement pendant les différentes dictatures, comme le leur avaient appris les femmes des villages de pêcheurs lorsqu’elles s’arrêtèrent manger et boire l’inévitable alcool de riz capable de vous rendre aveugle. Elles leur avaient même affirmé, peut-être pour leur faire peur, entendre encore l’écho des suppliciés se répercuter dans la nuit !
Plus loin, la piste était coupée, interrompue par une rivière dont le pont avait cédé. Un autre en bois avait été construit succinctement à quelques kilomètres en amont. Premier détour. Ensuite, ce fut les arbres abattus qui parfois nécessitaient de descendre dans les fossés pour les contourner et de s’empêtrer dans les hautes herbes. Heureusement, ce petit verre de laolao leur donnait le courage de pousser le scooter mais surtout il les avait soûlées. Sandra avait un large sourire et Charlotte chantait à tue-tête.
Bientôt, la piste devint rouge et la végétation dense et impénétrable. Elle montait, descendait, zigzaguait et quelquefois disparaissait ou se terminait au milieu d’un champ. Les filles faisaient alors demi-tour pour repérer l’intersection manquée ou éventuellement, elles demandaient leur route à des enfants pataugeant avec leurs bœufs dans la boue des rizières.
- Ban pak nok tak, articulaient-elles aux enfants avec des signes de la main.
- Non, par là Bak Pak Nok, répondaient-ils en leur indiquant une nouvelle direction.
Le rouge de la piste s’enfonçait à nouveau dans le vert de la végétation. Bientôt le vert emplit tout l’espace, le ciel avait disparu, la voûte s’était refermée. Les insectes criaient. Il n’y avait que les arbres et puis ce petit chemin, étroit, long, très long, infini. Mais soudain, la vue s’élargit brutalement, la soleil éblouit alors, elles entendirent le vrombissement de l’eau. Une cascade se mêlait au ciel.
Pour traverser cette nouvelle rivière, elles descendirent en aval et trouvèrent un gué. Dans l’eau jusqu’aux genoux, Charlotte se demandait s’il ne pouvait pas se trouver, dans ces rivières, quelques caïmans.
- On aurait dû prendre un peu de laolao pour la route, pensa-t-elle tout haut…
- Charlotte, tu as une bonne assurance voyage ? lui demanda Sandra qui décidément ne se passait plus de Lionel jusque dans ses expressions.
- Oui, bien sûr, j’en ai une, répondit Charlotte mais jamais personne ne viendra nous chercher ici !
Le scooter était japonais, un bon modèle d’après ce que leur avait assuré le loueur. Sans doute n’avait-il pas menti car il ne tomba pas en panne. Qu’en aurait-il été autrement ? Dormir dans la jungle ? Trouver à se faire héberger dans les villages invisibles de la forêt sans parler la langue ? Pourquoi pas, pensait Sandra qui regrettait presque que ce ne fût pas arrivé quand on leur affirma qu’elle parviendraient bientôt à ce qu’elles cherchaient.
Et ce fut le cas. Pourtant les gens ne savaient pas même où elles se rendaient mais apparemment, ils s’en doutaient car ils continuaient de les diriger assurément. Où pouvait-elles se rendre ailleurs ? Et après encore une ou deux mauvaises pistes, une rivière traversée en pirogue avec des pêcheurs, elles passèrent une grande porte sculptée en bois représentant des divinités bouddhistes ou hindoues. La piste s’élargissait ensuite entre deux rangées rouges d’eucalyptus en fleurs. Elles étaient arrivées dans la ville cachée de Lolcity.
Lolcity était une petite bourgade de néo mondialistes considérant que la terre appartenait à ceux qui la cultivaient. Ils s’étaient chèrement offert cet îlot de jungle protégé et s’astreignaient à le conserver aussi bien des touristes curieux que des autorités hostiles. La venue de ces deux demoiselles au gré du hasard comme elles le prétendaient, provoqua un séisme dans la gouvernance du village. Après délibération, elles étaient dans la possibilité de rester au moins pendant une période d’essai et ce, grâce à l’insistance de la gent masculine qui avait vu dans le fruit de ce hasard l’opportunité « d’augmenter l’ADN disponible. » Elles s’étaient vues alors affecter une petite maison et décideraient bientôt du travail qu’elles effectueraient pour le bien public.
Lolcity n’était pas différent des villages Lao. Il croissait sur le bord d’une rivière à flanc de colline, les maisons faites de bois étaient clairsemées à travers de nombreux jardins et cultures. Cependant, le village était propre, fleuri, on y trouvait d’innombrables œuvres d’art plus ou moins harmonieuses sur les chemins et devant les maisons. L’architecture des habitations et des bâtiments publics comportait des innovations originales : la beauté dans la simplicité, l’art dans la commodité. Comme dans tout bon paradis, il faisait beau et chaud, des cocotiers ombrageaient les places, les enfants couraient nus et se jetaient dans une rivière limpide.
La majorité de la population était blanche. Environ mille personne. La plupart des pays du nord étaient représentés avec une légère domination française. Des commerçants Lao des villages alentours venaient ici échanger du riz principalement contre d’autres légumes ou céréales cultivés par les occidentaux. Pour tout dire, le village était un havre de paix. Pourtant un jour de sécheresse, une vache avait sauté sur une mine anti-personnel en s’éloignant du troupeau. Cette petite incartade avait rappelé à chacun la prudence qu’il fallait observer notamment lors des défrichages et des laboures.
Ces mines dataient de la guerre du Vietnam, quand les Etats-Unis luttaient contre des groupes communistes réfugiés dans ces régions. Cette explosion, comme de nombreuses autres autour des villages Lao, avait rappelé également aux membres de Lolcity que les Américains avaient aspergé le pays d’ « agent orange », défoliant mortel et inaltérable qui s’était répandu notamment dans les rivières. Après analyses, effectivement, ce paradis était infecté et on pouvait craindre une proportion de cancers plus élevée qu’ailleurs. Et alors ? La plupart avaient choisi de rester. Ici ou ailleurs, quelle importance !
Sandra, en apprenant la nouvelle, pensa à Lionel bien qu’elle ne l’ait malheureusement pas retrouvé ici, et ses potes Hmong qui fumaient de l’opium pour apaiser les douleurs. Sans doute, un jour, dans ce village, on cultiverait le pavot. Mais c’était quand même incroyable, avait rappelé un jeune Américain, que mon pays, après avoir bombardé vingt-deux états du monde en cinquante ans, ne soit parvenu à faire émerger directement aucune démocratie !
Charlotte et Sandra se partageaient donc une petite maison au bord de la rivière. Pour s’intégrer, elles avaient notamment signé une clause qui leur interdisait dans un premier temps, de signaler la présence du village si elles décidaient un jour d’en sortir. Aussi, elles se devaient pour rester, d’accepter l’ordre établi. Cette politique constituait vaguement le b.a-ba répandu dans nos pays : une démocratie participative, amélioration possible car locale de notre démocratie représentative. Travailler pour manger, s’instruire, avoir des loisirs, commercer, regrouper des fonds pour développer les biens publics et les entretenir, comme les chemins après la saison des pluies. Acheter du matériel agricole, un véhicule tout terrain, promouvoir les échanges et la culture avec les villages autochtones, construire et améliorer les écoles, la bibliothèque, espérer en construire dans les villages les plus proches…
Charlotte avait choisi d’enseigner dans un village lao avec l’aide d’une des filles du chef local. Le programme avait été développé par la communauté. On y apprenait l’anglais et finalement les morales chrétiennes et bouddhistes Theravada à travers des textes mythologiques, aussi les bases du calcul, la littérature, Balzac…, enfin il y avait beaucoup de temps pour les jeux ludiques et la création artistique. Plus grands, les enfants travaillaient avec leurs parents et de ce fait, ne se rendaient plus à l’école. Cependant, il arrivait que la communauté organise des stages pratiques et d’utilisation des machines agricoles. En échange, certains occidentaux se formaient chez les locaux aux cultures ou méthodes naturelles ancestrales.
Sandra, de son côté avait choisi d’aider un jeune agriculteur finlandais qui cultivait et faisait de l’élevage. Elle prenait beaucoup de plaisir à se lever à l’aube travailler la terre, conduire des bœufs, voir s’élever les jeunes pousses ou naître les agneaux et les veaux. De plus, Markus était un garçon particulièrement sympathique et pour ne rien gâcher séduisant. Il était aussi habile de ses mains, et possédait une solide connaissance de l’agriculture apprise dans son enfance avec son père.
Chaque jour, il faisait découvrir et partager à Sandra son métier. Lui n’était pas particulièrement enthousiaste de le faire car il le trouvait dur et ingrat. Il se considérait surtout comme un paysan arriéré et avait d’ailleurs quitté la ferme familiale pour y échapper. Au fond de lui sans doute, il appréciait que Sandra prenne tant de plaisir à apprendre de la nature et la travailler. Elle s’initiait aux caprices des aubergines, aux gourmandises des tomates, à la personnalité des animaux et enfin aux aléas du temps. Elle lui disait chaque jour qu’il avait tort et que c’était à ses yeux le plus beau et le plus sage métier du monde. Elle devint d’ailleurs très vite une bonne paysanne dans le meilleur sens du terme. Elle était infatigable. A l’ancienne, elle trayait, elle désherbait, elle faisait vêler, elle repiquait, elle démariait…
La fille du chef Lao avec qui Charlotte travaillait, Jin, une adolescente de quatorze ans fluette et mignonne comme tout, venait souvent coucher chez les filles. Elle était douée et connaissait bien l’anglais à défaut de tout comprendre en français. Son père était un chef ouvert au progrès et désireux de voir sa fille réussir. C’est pourquoi il la laissait faire. Et celle-ci rêvait d’aller à la capitale et ensuite à l’étranger, en France, en Amérique. Elle piquait des vêtements aux filles, se comportait comme elles, et finalement se détachait de sa famille en s’attachant à elles à tel point qu’elle aurait pu les renier si Charlotte ne lui ordonnait pas de rentrer chez elle régulièrement.
Cependant, les journées passaient entre les cours de Charlotte et le travail à la ferme de Sandra. Celle-ci participa bientôt à la gestion de Lolcity. Markus l’avait introduite après avoir constaté ses qualités d’organisation. Il était lui-même administrateur de l’ensemble du matériel agricole, de l’agro-alimentaire et de l'aménagement des sols. Son père aurait été fier de lui sans doute en l’admirant monter à la tribune officielle et haranguer la foule. Chose étonnante, c’était un des rares moments ou il réussissait à vaincre sa timidité. Il se concentrait alors sur l’essentiel, sur la finalité et la qualité de son travail, ce qui lui permettait de trouver à chaud, sans préparation, les arguments irréfutables qui défendaient sa théorie.
Son poste, il ne le devait pas seulement à ses capacités de le conduire mais aussi à sa probité que personne ne pouvait mettre en doute. Jamais il ne pensait à autre chose qu’au bien-être de tous, jamais il n’aurait eu la bassesse de favoriser de quelque manière que ce soit sa ferme ou son élevage ou celui d’un de ses amis. Sa sincérité transpirait de son être. D’ailleurs, chaque fois qu’une partie des habitants s’opposait à ses décisions, il allait lui-même expliquer, prouver, trouver des compromis et améliorer son programme. Bien entendu il pouvait faire cela seulement puisque le village était minuscule et il n’y avait eu que rarement des malentendus au point de séparer les personnes en groupes opposés.
La possession des terres, du moins ici, le droit à chacun de les exploiter, pouvait être un sujet de discorde important. D’ailleurs dans la vraie vie, la propriété était la première des remises en question lors d’une insurrection populaire. Mais ici, à Lolcity, ce n’était pas le sujet des principaux débats. Les premiers habitants avaient imaginé et fondé à l’époque une certaine philosophie qu’ils s’étaient juré de préserver. Elle était à base de bouddhisme mêlée de prières, de méditation obligatoire et d’une forme ratée d’anarchisme même si elle s’en défendait. Passé mille personnes, une idéologie unique n’était plus concevable surtout en considérant la personnalité et la liberté d’esprit évidentes de ceux qui se trouvaient là. Donc la tête du groupe concentrait toujours les plus conservateurs et les plus fervents, ils continuaient d’exiger aveuglément leurs préceptes mais une partie des habitants de plus en plus grande s’éloignait irrémédiablement de ces doctrines tout en laissant supposer qu’ils y adhéraient toujours pour éviter les confrontations inutiles car perdues d’avance. C’est dans ce contexte que Sandra entra dans l’administration de la ville.
Tout se passa bien pendant les premiers mois. Avec Markus, ils se relayaient pour passer chaque jour quelques heures dans la salle citoyenne. Markus organisait avec d’autres les programmes agricoles. Sandra participait à l’élaboration des événements culturels de la ville : théâtre, concerts et jeux inter cités. Un peu plus tard, Charlotte entra à son tour dans la vie publique au niveau des secteurs sociaux et éducatifs. Toutes deux se passionnèrent très vite pour leurs engagements. Elles prenaient des initiatives, apportaient des idées nouvelles et collaboraient toujours avec plus de zèle sans toute fois encore oser défendre des points de vue non officiels.
Le temps passait toujours. Semblant immuable tant les saisons sont peu nuancées dans cette partie du monde. Au printemps, à la ferme, de nombreux veaux, agneaux et poussins virent le jour pour le plus grand bonheur de Sandra. L’été se déroula lui aussi avec une période de pluie généreuse. Jin partageait toujours autant leur vie. Avec Charlotte et Markus, ils passaient des moments extraordinaires ainsi qu’une petite famille aléatoirement reconstituée. Enfin, les récoltes d’automne arrivèrent, et ils réussirent à avoir cette année là des pommes de terre, des choux, des poireaux etc.
Comme un beau paysan solitaire, Markus ne dérogeait pas à la règle : il était réservé et timide. Il n’osait pas dévoiler son désir de voir Sandra rester avec lui et partager son intimité. Sandra n’était pas indifférente à cet amour discret et à cette tendresse. C’était l’amour dans « le meilleur des mondes » mais ils ne se marièrent et n’eurent aucun enfant. Il y avait une angoisse chez Sandra, une affaire irrésolue, un besoin de coupables. Elle ne parvenait pas à se laisser glisser dans la félicité comme dans un bain d’eau chaude, être simplement heureuse.
Côté administratif, cela se gâta à partir du moment où Charlotte défendit une thèse par laquelle la ville avait les moyens de créer une école gratuite en son sein, avec des logements décents, pour les locaux comme pour les occidentaux. Elle argumentait par ces propos :
- Nous ne pourrons avoir de rapports de confiance et d’amitié, voir de solidarité, avec les habitants du pays où nous vivons aujourd’hui qu’en permettant à leurs enfants de s’épanouir intellectuellement avec les nôtres. Sinon l’écart culturel, pour ne pas dire social, restera toujours une barrière entre nos communautés. Et je pense que c’est un handicap pour l’avenir. Notre prospérité héritée de la supériorité actuelle de nos techniques ne durera pas toujours. Pensez au moins en ce sens : Et si un jour, on n’avait besoin d’eux à notre tour ?
Bien entendu, cette vision de l’éducation pour tous ne plut pas à tout le monde, même si elle avait touché certainement une majorité silencieuse. C’était particulièrement pour une histoire de moyens que des personnes s’opposaient au projet. Heureusement, Lolcity n’était pas un village Roumain, par exemple, où les deux communautés Roms et Roumaines se haïssaient historiquement et parvenaient à collaborer seulement avec difficulté. Les relations entre les communautés Lao et Occidentales s’étaient toujours bien déroulées mais chacune, jusqu’à ce jour, était tranquillement restée chez soi mis à part quelques percées commerciales tout au moins nécessaires.
Charlotte n’avait pas fini de déstabiliser les préceptes de la communauté qui depuis sa création faisait en sorte d’être discrète et le moins possible investie dans les relations avec la région et le pays.
- Et je ne vous parle pas de la gratuité des soins et des médicaments qu’on devrait admettre aux villageois de cette vallée et même des zones plus éloignées comme Bak Noun. Réfléchissez, on n’est pas obligé de les laisser crever. Moi qui enseigne dans un de ces villages, je trouve désolant qu’on y meure encore d’une rage de dents ou de poliomyélite alors que pour cette dernière, abominable, nous sommes tous vaccinés. Et quand je rentre le soir et que je vois nos enfants en bonne santé à quelques centaines de mètres seulement d’autres qui souffrent inutilement, je trouve ça simplement injuste. Surtout pour des gens, comme vous, qui avez une idéologie un peu universaliste.
Voilà, Charlotte était rentrée dans le débat. A Lolcity, cela faisait bien longtemps qu’on avait remis en cause quoique ce soit de l’organisation. Ce fut l’étincelle. Chacun en allait de ses idées, de ses théories et de ses critiques. La vie citoyenne prenait une certaine effervescence. Très peu de temps après cet incident, les gens avaient tellement débattu, d’ailleurs le plus souvent de problèmes qui n’avaient pas encore été soumis à la critique, que les autorités et les représentants durent organiser des conférences, des débats puis finalement un référendum pour trancher quant à la proposition évoquée au départ par Charlotte et reprise ensuite par une partie de la population.
Finalement, un compromis fut trouvé. On créerait à la périphérie de Lolcity un centre de soin gratuit pour tous avec des médecins blancs et une petite école de médecine. Cette école et d’autres, pareillement spécialisées, seraient ouvertes aux locaux mais sur examens et pour le moment, les écoles primaires et secondaires resteraient dans les villages même si à partir de ce jour, la communauté de Lolcity voterait un budget conséquent pour les développer.
Cette première manifestation citoyenne à l’encontre de l’organisation rigide mise en place depuis de nombreuses années, dévoila de nombreux autres problèmes et améliorations possibles et nécessaires qui devaient être entrepris. Dans le conglomérat d’idées nouvelles, de réformes et de programmes innovants que cela avait suscité dans les esprits, personne ne réussissait à se faire entendre, à regrouper, à organiser et finalement à avancer. Les groupes séculiers furent abolis naturellement car absolument obsolètes mais il n’y avait personne pour les remplacer. Charlotte intervint pour donner l’idée de former des équipes distinctes de travail. A son tour Markus proposa une feuille de doléances qui permettrait de répertorier les idées et de les étudier ensuite. Une semaine que l’organisation de Lolcity avait été complètement remise en question. Une semaine que Markus et biens d’autres personnes avaient abandonné leur travail pour participer aux débats. C’était l’anarchie.
Personne n’avait vu Sandra depuis un moment. Charlotte et Markus imaginait bien pourquoi. Même si elle disait se concentrer sur son travail à la ferme qui était certes considérable, ses problèmes de cœur l’étaient tout autant. Elle ne comprenait pas pourquoi elle ne réussissait pas à s’abandonner aux bras de Markus qu’elle appréciait tant. Elle avait l’impression de n’être pas à sa place ici, d’avoir été stoppée dans sa quête sans pour autant avoir la moindre idée de ce qu’était cette quête exactement.
Puis il commença de mettre la zizanie dans le village en criant aux filles se tenant plus loin, des paroles que les gamins lui dictaient à l'oreille. C’était un jeu à succès puisque tous les villageois hurlaient de rire. Sandra, assise devant le spectacle, se laissait caresser les cheveux par les plus jeunes filles. Celles-ci voulaient échanger leurs magnifiques parures contre le pauvre gilet en polyester qu’elle portait et qui sentait la vase. Et ils montraient ses yeux bleus comme le ciel en lui faisant comprendre que seules les déesses pouvaient posséder de tels yeux. Enfin, à la nuit tombée, ils allèrent retrouver leur fine natte posée à même le sol et s’endormir comme des masses.
Au petit déjeuner, du cerf ! Il fallait le terminer, il n’y avait en effet pas de congélateur ici. Sandra détesterait définitivement le goût de cet animal. Puis les piroguiers repartirent. Lionel pleurait presque lorsqu’il leur fit ses adieux. Il leur dit qu'un jour, il tâcherait de leur remettre la photo prise lorsqu’ils portaient le cerf abattu devant la rivière Nam Ou.
Sandra et Lionel se quittaient aussi ce matin-là. Lui continuait sa route vers le nord par des chemins inconnus et difficiles. Sandra se souvint lorsqu’il leur avait signifié avec Charlotte qu’il ne se considérait pas vraiment comme un touriste. Mais quel genre d’homme était-il ? Il avait tellement de facilité à entrer en contact avec ces populations. Il avait tellement de joie à partager avec elles, il prenait tellement de risques pour obtenir ces renseignements qu’il inscrivait à mesure sur son carnet de bord : populations, mœurs, particularités et mille autres choses encore. Sandra n’avait pas brillé d’énergie et de vaillance pendant ces quelques jours. Elle avait été trop impressionnée pour être détendue. Pourtant, Lionel était fier d’elle, l’avait vraiment appréciée et, pour lui dire adieu, il l’avait invitée à le rejoindre, un jour, dans un mystérieux village…
Pour son retour, Sandra accompagnait un petit groupe avec un cheval qui se rendait au marché dans le bourg le plus proche et d’où partait une piste à une vingtaine de kilomètres. Le sentier était fabuleux, d'autant plus appréciable que la pluie du matin avait finalement cessé. Ils longèrent des crêtes plusieurs heures avant de descendre dans un vallon et remonter un torrent. De temps en temps, ils s'arrêtaient pour cueillir des champignons et des baies, pour laisser brouter le cheval, pour se débarrasser des sangsues, pour se rafraîchir dans les ruisseaux et pour fumer dans les pipes à eau.
Au repas, à nouveau du riz gluant mais cette fois avec des champignons crus tout juste cueillis. Ce champignon était chargé d'une sève blanche qui suintait. Sandra faisait la grimace. Les autres riaient et se moquaient gentiment. Le dégoût passa ensuite en grignotant quelques baies dont la chair était acide et qui tint lieu de dessert.
Enfin, parut la descente définitive. Elle se présenta escarpée et glissante. La nature environnante était grandiose et intacte. Il y avait de nombreux fromagers géants reconnaissables par leurs racines envahissantes qui retombaient directement des premières branches, et formaient une voûte volumineuse. Parmi les autres types de végétation, Sandra repéra de grandioses fougères arborescentes, des bosquets de bambous géants et de ces sortes de palmiers déployant de gigantesques feuilles en formes d'éventails.
Au sol, les sangsues se trouvaient à profusion. Alors que les locaux, en tongs, les repéraient facilement et pouvaient s'en débarrasser rapidement, une douzaine d'entre elles se réfugiaient régulièrement sous les sandales de Sandra et elle devait alors complètement les ôter pour les en dénicher et les arracher de leurs féroces embrassades avec la peau.
Puis ça y était, au détour d'un flanc abrupt, Sandra aperçut les premières habitations et reconnut le grondement sourd de quelques véhicules. Enfin, dans la nuit du jour suivant, elle parvint à Phongsaly dans une benne de camion qui l’avait prise en autostop et courut chez Charlotte qu’elle réveilla pour lui annoncer la nouvelle :
- J’ai trouvé un superbe plan pour tes touristes !
L’association Phong Khok Na Ko où travaillait toujours Charlotte venait de commémorer son école. Elle avait été construite dans une zone stratégique au carrefour de plusieurs villages et regroupait ainsi plus de cent vingt élèves dans trois classes. Evidement, aucun professeur d’état n’acceptait de venir prodiguer ses cours dans cette extrémité du pays. On fit appel à d’anciens militaires revenus, à la retraite, dans leur région d’origine et qui avaient le mérite de savoir lire et écrire dans la langue officielle.
Cependant ce problème majeur, la formation des instituteurs, n’était que la partie visible de l’iceberg. Le plus difficile avait été de faire accepter aux parents d’envoyer leurs enfants à l’école alors qu’ils n’en voyaient pas toujours l’intérêt et surtout de regrouper des enfants de plusieurs ethnies différentes qui ne le souhaitaient pas volontiers. L’association et les autorités n’avaient trouvé qu’un moyen : distribuer de l’argent aux familles ! Mais pour combien de temps ? Sans doute, tant que l’association étrangère serait là pour payer.
Après cinq semaines de travail, Charlotte avait regroupé suffisamment d’informations et de photos pour présenter des projets. Déjà, des agences de voyage étudiaient la possibilité d’investir dans la région. L’état, avec l’aide d’investissements privés, avait également fait construire un hôtel correct et plusieurs particuliers possédaient des logements à louer aux touristes.
Sandra, revenue de sa conquête, ne pouvait s’empêcher de comparer les arguments de Lionel et l’aventure qu’ils avaient partagée, aux propos de Charlotte et des organisations humanitaires. Finalement, le développement prenait forme assurément. Sans doute, un jour, les autorités locales auraient les moyens de financer elles-mêmes ces écoles avec l’argent du tourisme notamment.
Lionel se trompait particulièrement sur un point : la culture du pavot qui permettait une certaine indépendance et quelques revenus dans les villages de montagnes n’apporterait aucune amélioration réelle bien au contraire. Cela les enfoncerait toujours plus profondément dans la crainte du gouvernement et de la contrebande mafieuse parfois armée qui rodait dans les montagnes à la recherche de la drogue achetée le plus souvent à des prix extrêmement bas pour être revendue dix fois plus chère une fois la frontière passée.
Ce qui était certain, enfin, aucune région du monde n’était condamnée à l’immobilisme éternel. Amélioration du changement ou non, seul le temps permettrait d’en juger et ce, de façon différente par rapport à la région concernée. Sandra pensa que les vertus de la science occidentale, de l’éducation et des progrès de l’agriculture n’arriveraient pas sans leurs congénères biens connus de nos modes de vie : arrogance très forte de l’argent, chômage, individualisme et uniformité pour ne citer qu’eux. Les hommes descendus de la montagne on non devraient continuellement se battrent contre ceux, toujours à l’affût, qui ne cesserait jamais d’exploiter parfois même leurs propres frères pour en tirer le maximum de profits.
- Tu ne veux pas parler de choses moins sérieuses, Sandra ? demanda Charles, un des jeunes architectes qui avait dessiné et construit l’école de l’association.
- Comme quoi ?
- Je ne sais pas, on pourrait faire l’amour, ça nous détendrait !
- Tu n’es pas maqué Charles ? Tu m’as pourtant bien parlé d’une certaine Aurélie, non ?
- Oui, mais je ne sais pas ce qu’elle fait, elle, et puis, je viens de terminer un livre très intéressant qui prétend que la réussite de la vie moderne dépendait exclusivement de sensations de liberté et de mouvements…
- La liberté de mouvement tu veux dire, en opposition à l’immobilité forcée par exemple à ceux qui sont bloqués aux frontières. J’ai lu ça, je crois, un certain Bauman. Mais je n’adhère pas forcément à cette thèse. Pour moi la félicité est dans l’amitié, la fidélité, la confiance, et peut être aussi la famille. Excuse-moi de n’être pas moderne…
- Oui, conservatrice même, tu ne voterais pas à droite ?
- Je n’ai jamais voté… Tous ces guignols ! Dorénavant, j’ai l’impression que les décisions comme les institutions politiques et sociales devraient être mondiales, l’économie l’est, c’est elle qui dirige et les états obéissent.
- Tu recommences à parler sérieusement. Ton petit air formel n’a rien pour me déplaire. Mais tu te prends trop au sérieux.. Le monde est tel qu’il est, tu n’y changeras rien.
- Tu as raison Charles, faisons l’amour.
- Non, tu rigoles !
- Oui ! Je rigole. Je ne vote pas à droite, je n’aime pas consommer, encore moins l’amour, désolée.
- Tu n’es vraiment pas drôle ! Si tu veux parler sérieusement, pourquoi restes-tu là à ne rien faire, pourquoi ne participes-tu pas à l’association avec Charlotte, pourquoi ne fais-tu pas de l’humanitaire !
- C’est ça que tu appelles changer le monde ? L’humanitaire ! Pour moi, c’est mettre des pansements sur des blessures pour que les pauvres puissent continuer de crever à petit feu et à être exploités. Votre développement, c’est de la poudre aux yeux ; conjuguer tant de passions, de force et d’argent pour construire une école sans instituteur alors qu’il en faudrait des milliers, c’est navrant.
- Tu racontes n’importe quoi s’offusqua Charles ! Tous ces gens qui se battent pour sauver et aider les autres, c’est la plus belle démonstration d’humanité, c’est déjà ce qui fait la différence.
- Tu parles, vous vous sauvez vous-mêmes, vous sauvez votre conscience.
- Non Sandra, il n’y a pas que ça, tu te trompes !
- Bien sûr Charles, je voulais juste te faire réagir et puis t’enlever l’envie de faire l’amour, je crois que j’ai réussi, n’est-ce pas ? Il n’empêche, même si toute cette aide est nécessaire, le monde ne s’arrange pas, on va continuer d’embaucher dans l’humanitaire. Si je participais à une organisation, elle aurait pour but de renverser la situation, changer le cap de cette mondialisation pour la mettre au service des populations et non pas de ceux qui sont déjà riches. Les exemples qui le prouvent sont nombreux.
- Le discours conventionnel, émotif, défendre les persécutés, quelle belle cause. Tu me fais penser à un ami, il s’appelait Charles comme moi, il y a quelques années, on avait eu cette discussion comme avec toi, il était très sérieux et un jour il m’a confié sa participation à une sorte de réseau.
- Tu crois que je pourrais le rencontrer ?
- Si tu vas à Kuala Lumpur, il y sera peut-être encore, il s’appelle Charles Ritz et habitait à l’époque en centre ville. Je dois avoir l’adresse quelque part. Mais il va te falloir payer…
- T’es vraiment un pourri toi aussi.
- Aller, je rigole, ne chiale pas !
Charles sortit son porte feuille et fouilla à l’intérieur pour enfin trouver le petit papier froissé qui traînait à l’intérieur. Sandra n’imaginait pas encore que ce réseau allait influencer sa vie pendant des années ! Une fois le petit papier dans ses mains et après avoir pris connaissance de l’adresse, elle lui souffla avec ses plus beaux yeux pour le narguer un peu :
- Tu vois, tu me l’aurais donné sans rien demander, j’aurais peut-être accepté de me faire traire sur cette herbe au soleil. Aller fais pas la gueule, ce sera pour une prochaine fois. Il faut que je te laisse maintenant. Tchao…
Sandra avait réussi à convaincre Charlotte, à la fin de sa mission, de l’accompagner sur le chemin du village dont Lionel avait parlé. Elle n’osait pas réaliser cette aventure seule. Pourtant, un désir était né en elle de revoir cet homme avec qui elle avait partagé des moments inoubliables. Une complicité s’était créée entre eux sans jamais la moindre allusion au sexe. Voilà bien ce qu’elle aimait. Et c’était sans doute pour cela, alors que sur le moment elle n’y avait pas pensé, qu’elle revoyait aujourd’hui leur baignade dans le torrent cette fois où, un peu à l’écart des autres, ils s’étaient mis nus et s’étaient parfois, avec tant de gêne, frôlés en nageant, que ces images prenaient aujourd’hui un sens érotique. Sandra ne confia pas ces détails à Charlotte mais celle-ci ne s’embarrassait pas pour le lui faire entendre :
- Le loup est dans la bergerie, n’est-ce pas Sandra, se moquait-elle ?
Enfin, Charlotte accepta. Elle n’avait d’ailleurs rien d’urgent à faire. Aucune obligation immédiate si ce n’était certaines connaissances à visiter. La curiosité la poussait aussi autant que la jalousie de voir son amie s’énamourer alors que son homme à elle ne donnait plus aucune nouvelle. Enfin, si Lionel pouvait remplacer Alban dans le cœur de Sandra, Charlotte s’en réjouissait pour elle.
Lionel avait donné quelques informations vagues concernant le village comme s’il n’y avait jamais été lui-même : des noms de lieu, de rivières et la zone approximative où il devait se trouver. Aucun transport en commun n’y parvenait. Elles devaient payer cher un taxi privé ou louer un véhicule pour s’y rendre. Finalement un scooter ferait l’affaire. Elles se procurèrent des bidons d’eau et d’essence, une chambre à air de rechange et quelques outils.
- Tu as bien changé Sandra depuis les Pyrénées, lui fit remarquer Charlotte en lui rappelant ses petites bras blancs et ses yeux si tristes. Aujourd’hui, bronzée, souriante, tu respires la santé et la vie, et je trouve que tu pousses la témérité un peu loin à mon goût. Je ne sais pas ce que t’a fait ce mec mais quand je te vois t’activer ainsi pour te perdre dans la jungle, je me dis qu’il ne t’aurait pas fait jouir comme un grizzli, tu ne courrais pas ainsi après lui.
- C’est ça, rétorqua Sandra, en attendant, au lieu de me regarder en racontant des conneries, prends la ficelle là et aide-moi plutôt à attacher ce bidon !
La piste était lamentable et poussiéreuse, elle quittait la ville de Pa Boun et contournait le lac de Nam Ggum avant de disparaître dans la jungle. Ce lac aux mille îles dont certaines avaient servi de camp de redressement pendant les différentes dictatures, comme le leur avaient appris les femmes des villages de pêcheurs lorsqu’elles s’arrêtèrent manger et boire l’inévitable alcool de riz capable de vous rendre aveugle. Elles leur avaient même affirmé, peut-être pour leur faire peur, entendre encore l’écho des suppliciés se répercuter dans la nuit !
Plus loin, la piste était coupée, interrompue par une rivière dont le pont avait cédé. Un autre en bois avait été construit succinctement à quelques kilomètres en amont. Premier détour. Ensuite, ce fut les arbres abattus qui parfois nécessitaient de descendre dans les fossés pour les contourner et de s’empêtrer dans les hautes herbes. Heureusement, ce petit verre de laolao leur donnait le courage de pousser le scooter mais surtout il les avait soûlées. Sandra avait un large sourire et Charlotte chantait à tue-tête.
Bientôt, la piste devint rouge et la végétation dense et impénétrable. Elle montait, descendait, zigzaguait et quelquefois disparaissait ou se terminait au milieu d’un champ. Les filles faisaient alors demi-tour pour repérer l’intersection manquée ou éventuellement, elles demandaient leur route à des enfants pataugeant avec leurs bœufs dans la boue des rizières.
- Ban pak nok tak, articulaient-elles aux enfants avec des signes de la main.
- Non, par là Bak Pak Nok, répondaient-ils en leur indiquant une nouvelle direction.
Le rouge de la piste s’enfonçait à nouveau dans le vert de la végétation. Bientôt le vert emplit tout l’espace, le ciel avait disparu, la voûte s’était refermée. Les insectes criaient. Il n’y avait que les arbres et puis ce petit chemin, étroit, long, très long, infini. Mais soudain, la vue s’élargit brutalement, la soleil éblouit alors, elles entendirent le vrombissement de l’eau. Une cascade se mêlait au ciel.
Pour traverser cette nouvelle rivière, elles descendirent en aval et trouvèrent un gué. Dans l’eau jusqu’aux genoux, Charlotte se demandait s’il ne pouvait pas se trouver, dans ces rivières, quelques caïmans.
- On aurait dû prendre un peu de laolao pour la route, pensa-t-elle tout haut…
- Charlotte, tu as une bonne assurance voyage ? lui demanda Sandra qui décidément ne se passait plus de Lionel jusque dans ses expressions.
- Oui, bien sûr, j’en ai une, répondit Charlotte mais jamais personne ne viendra nous chercher ici !
Le scooter était japonais, un bon modèle d’après ce que leur avait assuré le loueur. Sans doute n’avait-il pas menti car il ne tomba pas en panne. Qu’en aurait-il été autrement ? Dormir dans la jungle ? Trouver à se faire héberger dans les villages invisibles de la forêt sans parler la langue ? Pourquoi pas, pensait Sandra qui regrettait presque que ce ne fût pas arrivé quand on leur affirma qu’elle parviendraient bientôt à ce qu’elles cherchaient.
Et ce fut le cas. Pourtant les gens ne savaient pas même où elles se rendaient mais apparemment, ils s’en doutaient car ils continuaient de les diriger assurément. Où pouvait-elles se rendre ailleurs ? Et après encore une ou deux mauvaises pistes, une rivière traversée en pirogue avec des pêcheurs, elles passèrent une grande porte sculptée en bois représentant des divinités bouddhistes ou hindoues. La piste s’élargissait ensuite entre deux rangées rouges d’eucalyptus en fleurs. Elles étaient arrivées dans la ville cachée de Lolcity.
Lolcity était une petite bourgade de néo mondialistes considérant que la terre appartenait à ceux qui la cultivaient. Ils s’étaient chèrement offert cet îlot de jungle protégé et s’astreignaient à le conserver aussi bien des touristes curieux que des autorités hostiles. La venue de ces deux demoiselles au gré du hasard comme elles le prétendaient, provoqua un séisme dans la gouvernance du village. Après délibération, elles étaient dans la possibilité de rester au moins pendant une période d’essai et ce, grâce à l’insistance de la gent masculine qui avait vu dans le fruit de ce hasard l’opportunité « d’augmenter l’ADN disponible. » Elles s’étaient vues alors affecter une petite maison et décideraient bientôt du travail qu’elles effectueraient pour le bien public.
Lolcity n’était pas différent des villages Lao. Il croissait sur le bord d’une rivière à flanc de colline, les maisons faites de bois étaient clairsemées à travers de nombreux jardins et cultures. Cependant, le village était propre, fleuri, on y trouvait d’innombrables œuvres d’art plus ou moins harmonieuses sur les chemins et devant les maisons. L’architecture des habitations et des bâtiments publics comportait des innovations originales : la beauté dans la simplicité, l’art dans la commodité. Comme dans tout bon paradis, il faisait beau et chaud, des cocotiers ombrageaient les places, les enfants couraient nus et se jetaient dans une rivière limpide.
La majorité de la population était blanche. Environ mille personne. La plupart des pays du nord étaient représentés avec une légère domination française. Des commerçants Lao des villages alentours venaient ici échanger du riz principalement contre d’autres légumes ou céréales cultivés par les occidentaux. Pour tout dire, le village était un havre de paix. Pourtant un jour de sécheresse, une vache avait sauté sur une mine anti-personnel en s’éloignant du troupeau. Cette petite incartade avait rappelé à chacun la prudence qu’il fallait observer notamment lors des défrichages et des laboures.
Ces mines dataient de la guerre du Vietnam, quand les Etats-Unis luttaient contre des groupes communistes réfugiés dans ces régions. Cette explosion, comme de nombreuses autres autour des villages Lao, avait rappelé également aux membres de Lolcity que les Américains avaient aspergé le pays d’ « agent orange », défoliant mortel et inaltérable qui s’était répandu notamment dans les rivières. Après analyses, effectivement, ce paradis était infecté et on pouvait craindre une proportion de cancers plus élevée qu’ailleurs. Et alors ? La plupart avaient choisi de rester. Ici ou ailleurs, quelle importance !
Sandra, en apprenant la nouvelle, pensa à Lionel bien qu’elle ne l’ait malheureusement pas retrouvé ici, et ses potes Hmong qui fumaient de l’opium pour apaiser les douleurs. Sans doute, un jour, dans ce village, on cultiverait le pavot. Mais c’était quand même incroyable, avait rappelé un jeune Américain, que mon pays, après avoir bombardé vingt-deux états du monde en cinquante ans, ne soit parvenu à faire émerger directement aucune démocratie !
Charlotte et Sandra se partageaient donc une petite maison au bord de la rivière. Pour s’intégrer, elles avaient notamment signé une clause qui leur interdisait dans un premier temps, de signaler la présence du village si elles décidaient un jour d’en sortir. Aussi, elles se devaient pour rester, d’accepter l’ordre établi. Cette politique constituait vaguement le b.a-ba répandu dans nos pays : une démocratie participative, amélioration possible car locale de notre démocratie représentative. Travailler pour manger, s’instruire, avoir des loisirs, commercer, regrouper des fonds pour développer les biens publics et les entretenir, comme les chemins après la saison des pluies. Acheter du matériel agricole, un véhicule tout terrain, promouvoir les échanges et la culture avec les villages autochtones, construire et améliorer les écoles, la bibliothèque, espérer en construire dans les villages les plus proches…
Charlotte avait choisi d’enseigner dans un village lao avec l’aide d’une des filles du chef local. Le programme avait été développé par la communauté. On y apprenait l’anglais et finalement les morales chrétiennes et bouddhistes Theravada à travers des textes mythologiques, aussi les bases du calcul, la littérature, Balzac…, enfin il y avait beaucoup de temps pour les jeux ludiques et la création artistique. Plus grands, les enfants travaillaient avec leurs parents et de ce fait, ne se rendaient plus à l’école. Cependant, il arrivait que la communauté organise des stages pratiques et d’utilisation des machines agricoles. En échange, certains occidentaux se formaient chez les locaux aux cultures ou méthodes naturelles ancestrales.
Sandra, de son côté avait choisi d’aider un jeune agriculteur finlandais qui cultivait et faisait de l’élevage. Elle prenait beaucoup de plaisir à se lever à l’aube travailler la terre, conduire des bœufs, voir s’élever les jeunes pousses ou naître les agneaux et les veaux. De plus, Markus était un garçon particulièrement sympathique et pour ne rien gâcher séduisant. Il était aussi habile de ses mains, et possédait une solide connaissance de l’agriculture apprise dans son enfance avec son père.
Chaque jour, il faisait découvrir et partager à Sandra son métier. Lui n’était pas particulièrement enthousiaste de le faire car il le trouvait dur et ingrat. Il se considérait surtout comme un paysan arriéré et avait d’ailleurs quitté la ferme familiale pour y échapper. Au fond de lui sans doute, il appréciait que Sandra prenne tant de plaisir à apprendre de la nature et la travailler. Elle s’initiait aux caprices des aubergines, aux gourmandises des tomates, à la personnalité des animaux et enfin aux aléas du temps. Elle lui disait chaque jour qu’il avait tort et que c’était à ses yeux le plus beau et le plus sage métier du monde. Elle devint d’ailleurs très vite une bonne paysanne dans le meilleur sens du terme. Elle était infatigable. A l’ancienne, elle trayait, elle désherbait, elle faisait vêler, elle repiquait, elle démariait…
La fille du chef Lao avec qui Charlotte travaillait, Jin, une adolescente de quatorze ans fluette et mignonne comme tout, venait souvent coucher chez les filles. Elle était douée et connaissait bien l’anglais à défaut de tout comprendre en français. Son père était un chef ouvert au progrès et désireux de voir sa fille réussir. C’est pourquoi il la laissait faire. Et celle-ci rêvait d’aller à la capitale et ensuite à l’étranger, en France, en Amérique. Elle piquait des vêtements aux filles, se comportait comme elles, et finalement se détachait de sa famille en s’attachant à elles à tel point qu’elle aurait pu les renier si Charlotte ne lui ordonnait pas de rentrer chez elle régulièrement.
Cependant, les journées passaient entre les cours de Charlotte et le travail à la ferme de Sandra. Celle-ci participa bientôt à la gestion de Lolcity. Markus l’avait introduite après avoir constaté ses qualités d’organisation. Il était lui-même administrateur de l’ensemble du matériel agricole, de l’agro-alimentaire et de l'aménagement des sols. Son père aurait été fier de lui sans doute en l’admirant monter à la tribune officielle et haranguer la foule. Chose étonnante, c’était un des rares moments ou il réussissait à vaincre sa timidité. Il se concentrait alors sur l’essentiel, sur la finalité et la qualité de son travail, ce qui lui permettait de trouver à chaud, sans préparation, les arguments irréfutables qui défendaient sa théorie.
Son poste, il ne le devait pas seulement à ses capacités de le conduire mais aussi à sa probité que personne ne pouvait mettre en doute. Jamais il ne pensait à autre chose qu’au bien-être de tous, jamais il n’aurait eu la bassesse de favoriser de quelque manière que ce soit sa ferme ou son élevage ou celui d’un de ses amis. Sa sincérité transpirait de son être. D’ailleurs, chaque fois qu’une partie des habitants s’opposait à ses décisions, il allait lui-même expliquer, prouver, trouver des compromis et améliorer son programme. Bien entendu il pouvait faire cela seulement puisque le village était minuscule et il n’y avait eu que rarement des malentendus au point de séparer les personnes en groupes opposés.
La possession des terres, du moins ici, le droit à chacun de les exploiter, pouvait être un sujet de discorde important. D’ailleurs dans la vraie vie, la propriété était la première des remises en question lors d’une insurrection populaire. Mais ici, à Lolcity, ce n’était pas le sujet des principaux débats. Les premiers habitants avaient imaginé et fondé à l’époque une certaine philosophie qu’ils s’étaient juré de préserver. Elle était à base de bouddhisme mêlée de prières, de méditation obligatoire et d’une forme ratée d’anarchisme même si elle s’en défendait. Passé mille personnes, une idéologie unique n’était plus concevable surtout en considérant la personnalité et la liberté d’esprit évidentes de ceux qui se trouvaient là. Donc la tête du groupe concentrait toujours les plus conservateurs et les plus fervents, ils continuaient d’exiger aveuglément leurs préceptes mais une partie des habitants de plus en plus grande s’éloignait irrémédiablement de ces doctrines tout en laissant supposer qu’ils y adhéraient toujours pour éviter les confrontations inutiles car perdues d’avance. C’est dans ce contexte que Sandra entra dans l’administration de la ville.
Tout se passa bien pendant les premiers mois. Avec Markus, ils se relayaient pour passer chaque jour quelques heures dans la salle citoyenne. Markus organisait avec d’autres les programmes agricoles. Sandra participait à l’élaboration des événements culturels de la ville : théâtre, concerts et jeux inter cités. Un peu plus tard, Charlotte entra à son tour dans la vie publique au niveau des secteurs sociaux et éducatifs. Toutes deux se passionnèrent très vite pour leurs engagements. Elles prenaient des initiatives, apportaient des idées nouvelles et collaboraient toujours avec plus de zèle sans toute fois encore oser défendre des points de vue non officiels.
Le temps passait toujours. Semblant immuable tant les saisons sont peu nuancées dans cette partie du monde. Au printemps, à la ferme, de nombreux veaux, agneaux et poussins virent le jour pour le plus grand bonheur de Sandra. L’été se déroula lui aussi avec une période de pluie généreuse. Jin partageait toujours autant leur vie. Avec Charlotte et Markus, ils passaient des moments extraordinaires ainsi qu’une petite famille aléatoirement reconstituée. Enfin, les récoltes d’automne arrivèrent, et ils réussirent à avoir cette année là des pommes de terre, des choux, des poireaux etc.
Comme un beau paysan solitaire, Markus ne dérogeait pas à la règle : il était réservé et timide. Il n’osait pas dévoiler son désir de voir Sandra rester avec lui et partager son intimité. Sandra n’était pas indifférente à cet amour discret et à cette tendresse. C’était l’amour dans « le meilleur des mondes » mais ils ne se marièrent et n’eurent aucun enfant. Il y avait une angoisse chez Sandra, une affaire irrésolue, un besoin de coupables. Elle ne parvenait pas à se laisser glisser dans la félicité comme dans un bain d’eau chaude, être simplement heureuse.
Côté administratif, cela se gâta à partir du moment où Charlotte défendit une thèse par laquelle la ville avait les moyens de créer une école gratuite en son sein, avec des logements décents, pour les locaux comme pour les occidentaux. Elle argumentait par ces propos :
- Nous ne pourrons avoir de rapports de confiance et d’amitié, voir de solidarité, avec les habitants du pays où nous vivons aujourd’hui qu’en permettant à leurs enfants de s’épanouir intellectuellement avec les nôtres. Sinon l’écart culturel, pour ne pas dire social, restera toujours une barrière entre nos communautés. Et je pense que c’est un handicap pour l’avenir. Notre prospérité héritée de la supériorité actuelle de nos techniques ne durera pas toujours. Pensez au moins en ce sens : Et si un jour, on n’avait besoin d’eux à notre tour ?
Bien entendu, cette vision de l’éducation pour tous ne plut pas à tout le monde, même si elle avait touché certainement une majorité silencieuse. C’était particulièrement pour une histoire de moyens que des personnes s’opposaient au projet. Heureusement, Lolcity n’était pas un village Roumain, par exemple, où les deux communautés Roms et Roumaines se haïssaient historiquement et parvenaient à collaborer seulement avec difficulté. Les relations entre les communautés Lao et Occidentales s’étaient toujours bien déroulées mais chacune, jusqu’à ce jour, était tranquillement restée chez soi mis à part quelques percées commerciales tout au moins nécessaires.
Charlotte n’avait pas fini de déstabiliser les préceptes de la communauté qui depuis sa création faisait en sorte d’être discrète et le moins possible investie dans les relations avec la région et le pays.
- Et je ne vous parle pas de la gratuité des soins et des médicaments qu’on devrait admettre aux villageois de cette vallée et même des zones plus éloignées comme Bak Noun. Réfléchissez, on n’est pas obligé de les laisser crever. Moi qui enseigne dans un de ces villages, je trouve désolant qu’on y meure encore d’une rage de dents ou de poliomyélite alors que pour cette dernière, abominable, nous sommes tous vaccinés. Et quand je rentre le soir et que je vois nos enfants en bonne santé à quelques centaines de mètres seulement d’autres qui souffrent inutilement, je trouve ça simplement injuste. Surtout pour des gens, comme vous, qui avez une idéologie un peu universaliste.
Voilà, Charlotte était rentrée dans le débat. A Lolcity, cela faisait bien longtemps qu’on avait remis en cause quoique ce soit de l’organisation. Ce fut l’étincelle. Chacun en allait de ses idées, de ses théories et de ses critiques. La vie citoyenne prenait une certaine effervescence. Très peu de temps après cet incident, les gens avaient tellement débattu, d’ailleurs le plus souvent de problèmes qui n’avaient pas encore été soumis à la critique, que les autorités et les représentants durent organiser des conférences, des débats puis finalement un référendum pour trancher quant à la proposition évoquée au départ par Charlotte et reprise ensuite par une partie de la population.
Finalement, un compromis fut trouvé. On créerait à la périphérie de Lolcity un centre de soin gratuit pour tous avec des médecins blancs et une petite école de médecine. Cette école et d’autres, pareillement spécialisées, seraient ouvertes aux locaux mais sur examens et pour le moment, les écoles primaires et secondaires resteraient dans les villages même si à partir de ce jour, la communauté de Lolcity voterait un budget conséquent pour les développer.
Cette première manifestation citoyenne à l’encontre de l’organisation rigide mise en place depuis de nombreuses années, dévoila de nombreux autres problèmes et améliorations possibles et nécessaires qui devaient être entrepris. Dans le conglomérat d’idées nouvelles, de réformes et de programmes innovants que cela avait suscité dans les esprits, personne ne réussissait à se faire entendre, à regrouper, à organiser et finalement à avancer. Les groupes séculiers furent abolis naturellement car absolument obsolètes mais il n’y avait personne pour les remplacer. Charlotte intervint pour donner l’idée de former des équipes distinctes de travail. A son tour Markus proposa une feuille de doléances qui permettrait de répertorier les idées et de les étudier ensuite. Une semaine que l’organisation de Lolcity avait été complètement remise en question. Une semaine que Markus et biens d’autres personnes avaient abandonné leur travail pour participer aux débats. C’était l’anarchie.
Personne n’avait vu Sandra depuis un moment. Charlotte et Markus imaginait bien pourquoi. Même si elle disait se concentrer sur son travail à la ferme qui était certes considérable, ses problèmes de cœur l’étaient tout autant. Elle ne comprenait pas pourquoi elle ne réussissait pas à s’abandonner aux bras de Markus qu’elle appréciait tant. Elle avait l’impression de n’être pas à sa place ici, d’avoir été stoppée dans sa quête sans pour autant avoir la moindre idée de ce qu’était cette quête exactement.
Dilo- Nombre de messages : 65
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Date d'inscription : 08/02/2010
Re: Passion dissidente
Je n'ai pas relu votre début retravaillé... parce que je connais déjà l'histoire. La fin que je n'avais pas encore lue est intéressante, je trouve, ça bouge au paradis.
Outre les remarques de langue ci-dessous, je vous signale qu'un trait d'union ("-"), selon les conventions typographiques françaises, ne suffit pas comme introduction de réplique dans un dialogue, il faut prévoir les quart- ou semi-cadratins (si c'est bien le terme, je ne suis jamais sûre) : "–" ou "—".
Mes remarques, donc :
« collaboraient toujours avec plus de zèle sans toutefois (et non « toute fois ») »
« rapports de confiance et d’amitié, voire de solidarité »
« Et si un jour, on avait (et non « n’avait », qui est le contraire de ce que vous voulez dire) besoin d’eux à notre tour »
« Lolcity n’était pas un village roumain (« Anton était Roumain », « Anton était un paysan roumain ») »
« les deux communautés roms et roumaines »
« cela faisait bien longtemps qu’on n’avait (là, c’est le contraire, le sens étant « depuis longtemps on ne remettait pas en cause », etc.) remis en cause quoi que (et non « quoique », qui est uniquement le synonyme de « bien que ») ce soit de l’organisation »
« Chacun en (« y », plutôt, je pense) allait de ses idées »
« un centre de soin gratuit » : je pense qu’ici « soins gratuits » serait préférable, il y en aura certainement plusieurs et de différentes sortes, des soins
« Les groupes séculiers furent abolis naturellement » : c’est quoi ? Je ne me rappelle plus si vous aviez donné l’explication avant
« Markus et bien (et non « biens », « bien », ici, est un adverbe) d’autres personnes »
« Charlotte et Markus imaginaient bien pourquoi. »
Outre les remarques de langue ci-dessous, je vous signale qu'un trait d'union ("-"), selon les conventions typographiques françaises, ne suffit pas comme introduction de réplique dans un dialogue, il faut prévoir les quart- ou semi-cadratins (si c'est bien le terme, je ne suis jamais sûre) : "–" ou "—".
Mes remarques, donc :
« collaboraient toujours avec plus de zèle sans toutefois (et non « toute fois ») »
« rapports de confiance et d’amitié, voire de solidarité »
« Et si un jour, on avait (et non « n’avait », qui est le contraire de ce que vous voulez dire) besoin d’eux à notre tour »
« Lolcity n’était pas un village roumain (« Anton était Roumain », « Anton était un paysan roumain ») »
« les deux communautés roms et roumaines »
« cela faisait bien longtemps qu’on n’avait (là, c’est le contraire, le sens étant « depuis longtemps on ne remettait pas en cause », etc.) remis en cause quoi que (et non « quoique », qui est uniquement le synonyme de « bien que ») ce soit de l’organisation »
« Chacun en (« y », plutôt, je pense) allait de ses idées »
« un centre de soin gratuit » : je pense qu’ici « soins gratuits » serait préférable, il y en aura certainement plusieurs et de différentes sortes, des soins
« Les groupes séculiers furent abolis naturellement » : c’est quoi ? Je ne me rappelle plus si vous aviez donné l’explication avant
« Markus et bien (et non « biens », « bien », ici, est un adverbe) d’autres personnes »
« Charlotte et Markus imaginaient bien pourquoi. »
Invité- Invité
Re: Passion dissidente
Une après-midi, après avoir passé la soirée de la veille proche de Markus, à son écoute, à ses petits soins, elle revînt finalement vers le lieu des débats. Charlotte savait qu’elle avait pris une décision. Elle était rassurée de la voir s’intéresser de nouveau à la cause publique, c’était sans doute qu’elle avait décidé de rester. Mais dans les yeux de Markus, sa crainte visible contredisait cette espérance. Charlotte ne les vit pas. Elle ne vit que Sandra, droite, calme, ses grands yeux pénétrants, sa passion et sa force condensées sous les traits sereins de son visage éclatant.
Finalement, quelques temps après, elle obtint la parole et monta à la tribune avec le micro. Doucement, le brouhaha habituel s’amenuisa jusqu’à ce que le silence s’installe. Elle n’avait pas dit un mot mais ses yeux, son regard, sa contenance imposaient le silence. Elle allait parler :
« Il y a dans ce village la possibilité de vivre dignement, simplement et avec beaucoup de bonheur dit-elle. Je pense qu’il faut se concentrer sur ce point. Qui en effet vous imposerait des lois ou des règles si ce n’est vous-même. Aujourd’hui, vous repartez de zéro, je pense que cette forme de pseudo dictature qui nous a été imposée jusque-là ne nous empêchait pas de vivre, ni d’être heureux ou malheureux. Une dictature vaut-elle tout autre système, je ne sais pas, peut-être ? Mais continuez de n’être pas d’accord, continuez de parler ainsi à tort et à travers, et vous aboutirez au pire. Le chaos peut-être car ce seront toujours les plus extrêmes, les plus violents dans leurs pensées qui auront le dernier mot. »
Sandra continua son discours tranquillement. Pour une fois, chacun écoutait :
« Tout le monde ne dirigera pas la ville pour l’orienter selon ses désirs personnels. Il faut dès maintenant élire plusieurs personnes, au hasard s’il le faut, pour s’occuper de cela et renvoyer tout le monde à son travail avant qu’il n’y est plus rien à manger. Ensuite seulement, une fois un peu d’ordre établi, vous trouverez les moyens de participer, chacun votre tour, ou par des votes, ou avec des groupes de travail, aux sujets spécifiques qu’il faut prendre un part un, de la vie public qui vous concerne tous. D’ailleurs, si vous en êtes là aujourd’hui, n’est-ce pas parce que vous avez laissé faire trop longtemps, sans vous préoccuper de rien, jusqu’à ce que la tempête arrive ? Sans doute est-ce la pire des choses. C’est pourquoi, vous devrez instauré par exemple à l’avenir que chacun se mêle de l’organisation de la communauté au moins un jour par mois. Mais aussi, vous devez partir de quelque chose de stable pour pouvoir l’améliorer, et d’après moi, de suffisamment rigide pour permettre d’avancer mais de suffisamment souple pour pouvoir être transformé au fur et à mesure de l’évolution et ceci sans entrave considérable. Bref, un système qui permettra à chacun, avec plaisir et détermination de venir échanger et débattre de l’orientation de la communauté et ce, à chaque instant j’oserais dire.
Enfin, vous êtes ici dans un petit coin de paradis, l’environnement est parfait, les habitants du pays sont calmes et non-violents. Il faut penser le monde que vous créez comme celui que vous auriez rêvé à l’extérieur. Pour moi, ce serait peut-être la simplicité, le minimum nécessaire à chacun selon ses aspirations, dans un environnement sain, un corps sain, une ambiance joyeuse, familiale, avec une réflexion et une anticipation par rapport à l’avenir. Les enfants doivent être le miroir de votre solidarité et de votre sympathie. Je pense aussi aux enfants hors de la ville. Leur épanouissement, leur éducation, leur formation devraient être votre principal souci. Construisez le meilleur des mondes pour eux et pour vous.
Je sais que certain d’entre vous appartiennent à des communautés depuis de nombreuses années. Votre expérience est très utile. Cependant, l’enthousiasme et la créativité des plus jeunes le sont tout autant. C’est pourquoi élisez un petit groupe dès maintenant puis repartez à vos occupations et attendez votre tour pour participer dans le temps à l’évolution. Voilà merci de m’avoir écouté. »
Sandra attendit un instant. Tout le monde la regardait et attendait une dernière parole :
« Je tenez enfin à dire au revoir à ceux que j’ai connus et aux autres. Il est temps pour moi de partir. Je vous souhaite bonne chance et surtout ne gâchez pas tout. »
Sandra fut applaudie chaudement. Des « bonne chance » furent criés dans toutes les langues. Charlotte avait les larmes aux yeux. Elle s’était trompée en premier lieu sur la décision de Sandra mais l’avait comprise dès ses premières paroles. Ce « vous », poli et trop peu intéressé n'admettait aucune ambiguïté. Elle pleurait car son amie la quittait et avait pourtant la sensation de l’abandonner elle, au monde, à l’ignoble monde. Qu’allait-il faire d’elle ? Sans un mot, sans échanger un regard, elles trouvèrent leurs mains jointes et la foule s’écarta sur leur passage.
Markus avait déjà disparu. Il était rentrer seul à la ferme. Il s’était assis sur son fauteuil en bambou près de la fenêtre sous la pergola, son chien entre ses jambes. Sandra n’emplirait plus ses nuits, ses jours, ses champs, sa maison, son espace, sa vie. Sandra dont les yeux riants suffisaient à éclaircir son cœur des nuages qui s’y glissaient parfois. Sandra dont la venue avait bouleversé sa raison même d’exister. Sandra, son âme sœur, arrivait.
Elle montait le petit chemin qu’elle avait déjà pris tant de fois cette année. Elle remontait vers cette maison qu’elle avait parfois imaginée sienne. Elle regardait maintenant cet homme dont les yeux ne pouvaient pas à cet instant soutenir sa vue. Cet homme dont les principes, le courage, la fermeté, la douceur auraient pu combler son cœur pour l’éternité.
- Que vas-tu faire maintenant Sandra, lui demanda-t-il simplement en levant la tête vers elle, les yeux brillants malgré lui ?
- Je ne sais pas. Sans doute aller au Cambodge puis en Malaisie. Tu sais cet homme dont je t’ai déjà parlé, un certain Ritz.
- Tu veux t’engager dans quelque chose qui n’existe peut-être même pas et alors que la vie n’a pas besoin de toi, protesta Markus. Laisse les choses se faire d’elles-mêmes. D’autres que toi seront plus à même de la construire meilleure.
- C’est trop facile de laisser faire les autres, rétorqua-t-elle et d’ailleurs rien ne change.
Markus la regardait tristement, il se foutait pas mal que le monde soit pire qu’avant. Et après de lourdes secondes de silence, il finit par lui dire :
- Tu n’es pas bien ici, au calme, dans une vie que sans doute plus personne n’aura jamais, avec Jin, avec Charlotte, avec moi ?
- Tu sais bien que ce n’est pas ça Markus, j’aimerais tant.
Et Sandra le regarda dans les yeux avec les siens si grands et si bleus où on pouvait lire peut-être autant de détermination que de tristesse, mais en tout cas une pure sincérité.
- Vous êtes les personnes que j’aime le plus au monde, dit-elle. Mais j’ai cette volonté au fond de moi qui m’obsède. Je ne peux pas rester ici, dans cet havre de paix, alors que partout c’est la merde. Rien que d’aller dans les villages éloignés me bouleverse. Leur dénouement, leur misère. Mais aussi, chaque fois, je reste émerveillée devant leurs joies éphémères mais tellement plus sincères parce que nées de la douleur. Je crois que la vie d’ici est pour moi trop à l’écart, elle est fade, on y attend la fin de nos jours en épargnant nos cœurs. Si elle avait été déjà longue et difficile, et si j’avais été déçue à l’extérieur, je serais sans doute heureuse ici et bien contente de m’y trouver mais aujourd’hui ce n’est pas le cas, j’ai besoin de me mêler au monde, de le comprendre et de me rendre compte s’il est vain de se battre au point de venir se cacher ici. De plus, que fait-on de ceux qu’on a laissé au dehors, tu sais bien que si vous avez limité l’installation de nouvelles personnes c’est que vous n’avez pas trouvé de réelles alternatives et vous avez peur de perdre le contrôle.
- Et bien dans ce cas, rétorqua Markus, reste pour aider à le réaliser ! Tout le monde s’est aperçu aujourd’hui que tu pouvais être cette leader qui nous émanciperait vers de nouveaux jours !
Sandra ne répondit pas. Sa décision était prise. Elle n’était pas ici la seule capable d’organiser une ville. D’autres participaient à son élaboration depuis des années et seraient plus à même de le faire. Cependant, Markus n’avait plus d’argument. Il savait qu’il n’y avait plus rien à faire. Sandra était une femme bien trop déterminée. Alors avait-il encore le droit de s’opposer, du moins, de tenter de la retenir ? Non, sa dernière arme, l’attendrissement, le chantage de l’amour, il ne l’utiliserait pas. Et sans doute eut-il bien fait car il ne déchira pas leur cœur à tout jamais.
- Et puis, il y a autre chose encore Markus dont je voulais te parler dit Sandra qui continuait de trouver des arguments et ainsi tentait de se déculpabiliser. En réalité, vous avez juste arrangé l’environnement, permis une vie de privilégiés au milieu de peuples miséreux. Sans les personnes extérieures qui vous envoient de l’argent, jamais vous ne pourriez acheter tout le matériel qui fait votre richesse comparée aux villages locaux. Sans cet argent, vous seriez condamnés à économiser vos semis, vous ne produiriez par assez pour vivre, ni vous soigner, ni acheter du pétrole pour les machines, encore moins, les ordinateurs, paraboles et télés que certains ont.
- C’est vrai, répondit Markus qui n’avait plus la force de lutter, mais avons-nous le choix ?
- Je ne sais pas, peut-être dit-elle en poursuivant sa pensée. Mais surtout et en réalité, vous êtes dépendants de ceux qui travaillent à l’extérieur, vous êtes dépendants du monde que vous méprisez. Si un jour celui-ci s’écroule, vous n’y survivrez pas.
- Oui, oui, Sandra, je sais et alors que veux-tu qu’on y fasse !
- Justement, reste ici toi qui ne demande qu’à vivre ton temps, moi je ne peux pas. Il faut que je me confronte, du moins à moi-même. Je veux essayer de me battre pour un monde meilleur. J’aimerais que votre village puisse s’intégrer parfaitement dans un système de mondialisation, sans que vous ayez à corrompre les fonctionnaires Lao pour rester ici, et acheter votre survie à des sociétés désengagées de toutes responsabilités humaines et environnementales à qui vous prenez vos graines stériles mais soi-disant bio et vos herbicides et pesticides sans lesquels vous cultiveriez moins suffisamment. Et ça, je ne suis pas d’accord et tu le sais.
Mais Markus avait baissé la tête. Il ne la regardait plus. Il voulait ne plus l’entendre. Pourquoi, si près du bonheur, on le lui enlevait. Pourquoi, avait-il quitté sa mère et son père, abandonné les siens si c’était pour souffrir encore. Depuis la venue de ce scooter, il avait été si heureux. Il avait eu tant d’espoir.
- Je suis désolée Markus souffla-t-elle en caressant sa joue humide de sa main rendue douce et chaude par l’émotion. J’aurais tant voulu n’être pas consciente de tout cela et vivre simplement heureuse à vos côtés. J’espère que tu me comprendras. Adieu Markus. Et je t’en pris, prends soin de toi et occupe-toi de Jin et de ma petite sœur Charlotte.
Sandra descendait déjà sur le chemin. Le chien la suivait en battant la queue et lui léchait la main. Markus n’avait pas bougé. Doucement, il leva la tête pour la regarder partir, ses yeux se brouillaient, il avait envie de crier très fort. Elle ne se retourna pas.
Finalement, quelques temps après, elle obtint la parole et monta à la tribune avec le micro. Doucement, le brouhaha habituel s’amenuisa jusqu’à ce que le silence s’installe. Elle n’avait pas dit un mot mais ses yeux, son regard, sa contenance imposaient le silence. Elle allait parler :
« Il y a dans ce village la possibilité de vivre dignement, simplement et avec beaucoup de bonheur dit-elle. Je pense qu’il faut se concentrer sur ce point. Qui en effet vous imposerait des lois ou des règles si ce n’est vous-même. Aujourd’hui, vous repartez de zéro, je pense que cette forme de pseudo dictature qui nous a été imposée jusque-là ne nous empêchait pas de vivre, ni d’être heureux ou malheureux. Une dictature vaut-elle tout autre système, je ne sais pas, peut-être ? Mais continuez de n’être pas d’accord, continuez de parler ainsi à tort et à travers, et vous aboutirez au pire. Le chaos peut-être car ce seront toujours les plus extrêmes, les plus violents dans leurs pensées qui auront le dernier mot. »
Sandra continua son discours tranquillement. Pour une fois, chacun écoutait :
« Tout le monde ne dirigera pas la ville pour l’orienter selon ses désirs personnels. Il faut dès maintenant élire plusieurs personnes, au hasard s’il le faut, pour s’occuper de cela et renvoyer tout le monde à son travail avant qu’il n’y est plus rien à manger. Ensuite seulement, une fois un peu d’ordre établi, vous trouverez les moyens de participer, chacun votre tour, ou par des votes, ou avec des groupes de travail, aux sujets spécifiques qu’il faut prendre un part un, de la vie public qui vous concerne tous. D’ailleurs, si vous en êtes là aujourd’hui, n’est-ce pas parce que vous avez laissé faire trop longtemps, sans vous préoccuper de rien, jusqu’à ce que la tempête arrive ? Sans doute est-ce la pire des choses. C’est pourquoi, vous devrez instauré par exemple à l’avenir que chacun se mêle de l’organisation de la communauté au moins un jour par mois. Mais aussi, vous devez partir de quelque chose de stable pour pouvoir l’améliorer, et d’après moi, de suffisamment rigide pour permettre d’avancer mais de suffisamment souple pour pouvoir être transformé au fur et à mesure de l’évolution et ceci sans entrave considérable. Bref, un système qui permettra à chacun, avec plaisir et détermination de venir échanger et débattre de l’orientation de la communauté et ce, à chaque instant j’oserais dire.
Enfin, vous êtes ici dans un petit coin de paradis, l’environnement est parfait, les habitants du pays sont calmes et non-violents. Il faut penser le monde que vous créez comme celui que vous auriez rêvé à l’extérieur. Pour moi, ce serait peut-être la simplicité, le minimum nécessaire à chacun selon ses aspirations, dans un environnement sain, un corps sain, une ambiance joyeuse, familiale, avec une réflexion et une anticipation par rapport à l’avenir. Les enfants doivent être le miroir de votre solidarité et de votre sympathie. Je pense aussi aux enfants hors de la ville. Leur épanouissement, leur éducation, leur formation devraient être votre principal souci. Construisez le meilleur des mondes pour eux et pour vous.
Je sais que certain d’entre vous appartiennent à des communautés depuis de nombreuses années. Votre expérience est très utile. Cependant, l’enthousiasme et la créativité des plus jeunes le sont tout autant. C’est pourquoi élisez un petit groupe dès maintenant puis repartez à vos occupations et attendez votre tour pour participer dans le temps à l’évolution. Voilà merci de m’avoir écouté. »
Sandra attendit un instant. Tout le monde la regardait et attendait une dernière parole :
« Je tenez enfin à dire au revoir à ceux que j’ai connus et aux autres. Il est temps pour moi de partir. Je vous souhaite bonne chance et surtout ne gâchez pas tout. »
Sandra fut applaudie chaudement. Des « bonne chance » furent criés dans toutes les langues. Charlotte avait les larmes aux yeux. Elle s’était trompée en premier lieu sur la décision de Sandra mais l’avait comprise dès ses premières paroles. Ce « vous », poli et trop peu intéressé n'admettait aucune ambiguïté. Elle pleurait car son amie la quittait et avait pourtant la sensation de l’abandonner elle, au monde, à l’ignoble monde. Qu’allait-il faire d’elle ? Sans un mot, sans échanger un regard, elles trouvèrent leurs mains jointes et la foule s’écarta sur leur passage.
Markus avait déjà disparu. Il était rentrer seul à la ferme. Il s’était assis sur son fauteuil en bambou près de la fenêtre sous la pergola, son chien entre ses jambes. Sandra n’emplirait plus ses nuits, ses jours, ses champs, sa maison, son espace, sa vie. Sandra dont les yeux riants suffisaient à éclaircir son cœur des nuages qui s’y glissaient parfois. Sandra dont la venue avait bouleversé sa raison même d’exister. Sandra, son âme sœur, arrivait.
Elle montait le petit chemin qu’elle avait déjà pris tant de fois cette année. Elle remontait vers cette maison qu’elle avait parfois imaginée sienne. Elle regardait maintenant cet homme dont les yeux ne pouvaient pas à cet instant soutenir sa vue. Cet homme dont les principes, le courage, la fermeté, la douceur auraient pu combler son cœur pour l’éternité.
- Que vas-tu faire maintenant Sandra, lui demanda-t-il simplement en levant la tête vers elle, les yeux brillants malgré lui ?
- Je ne sais pas. Sans doute aller au Cambodge puis en Malaisie. Tu sais cet homme dont je t’ai déjà parlé, un certain Ritz.
- Tu veux t’engager dans quelque chose qui n’existe peut-être même pas et alors que la vie n’a pas besoin de toi, protesta Markus. Laisse les choses se faire d’elles-mêmes. D’autres que toi seront plus à même de la construire meilleure.
- C’est trop facile de laisser faire les autres, rétorqua-t-elle et d’ailleurs rien ne change.
Markus la regardait tristement, il se foutait pas mal que le monde soit pire qu’avant. Et après de lourdes secondes de silence, il finit par lui dire :
- Tu n’es pas bien ici, au calme, dans une vie que sans doute plus personne n’aura jamais, avec Jin, avec Charlotte, avec moi ?
- Tu sais bien que ce n’est pas ça Markus, j’aimerais tant.
Et Sandra le regarda dans les yeux avec les siens si grands et si bleus où on pouvait lire peut-être autant de détermination que de tristesse, mais en tout cas une pure sincérité.
- Vous êtes les personnes que j’aime le plus au monde, dit-elle. Mais j’ai cette volonté au fond de moi qui m’obsède. Je ne peux pas rester ici, dans cet havre de paix, alors que partout c’est la merde. Rien que d’aller dans les villages éloignés me bouleverse. Leur dénouement, leur misère. Mais aussi, chaque fois, je reste émerveillée devant leurs joies éphémères mais tellement plus sincères parce que nées de la douleur. Je crois que la vie d’ici est pour moi trop à l’écart, elle est fade, on y attend la fin de nos jours en épargnant nos cœurs. Si elle avait été déjà longue et difficile, et si j’avais été déçue à l’extérieur, je serais sans doute heureuse ici et bien contente de m’y trouver mais aujourd’hui ce n’est pas le cas, j’ai besoin de me mêler au monde, de le comprendre et de me rendre compte s’il est vain de se battre au point de venir se cacher ici. De plus, que fait-on de ceux qu’on a laissé au dehors, tu sais bien que si vous avez limité l’installation de nouvelles personnes c’est que vous n’avez pas trouvé de réelles alternatives et vous avez peur de perdre le contrôle.
- Et bien dans ce cas, rétorqua Markus, reste pour aider à le réaliser ! Tout le monde s’est aperçu aujourd’hui que tu pouvais être cette leader qui nous émanciperait vers de nouveaux jours !
Sandra ne répondit pas. Sa décision était prise. Elle n’était pas ici la seule capable d’organiser une ville. D’autres participaient à son élaboration depuis des années et seraient plus à même de le faire. Cependant, Markus n’avait plus d’argument. Il savait qu’il n’y avait plus rien à faire. Sandra était une femme bien trop déterminée. Alors avait-il encore le droit de s’opposer, du moins, de tenter de la retenir ? Non, sa dernière arme, l’attendrissement, le chantage de l’amour, il ne l’utiliserait pas. Et sans doute eut-il bien fait car il ne déchira pas leur cœur à tout jamais.
- Et puis, il y a autre chose encore Markus dont je voulais te parler dit Sandra qui continuait de trouver des arguments et ainsi tentait de se déculpabiliser. En réalité, vous avez juste arrangé l’environnement, permis une vie de privilégiés au milieu de peuples miséreux. Sans les personnes extérieures qui vous envoient de l’argent, jamais vous ne pourriez acheter tout le matériel qui fait votre richesse comparée aux villages locaux. Sans cet argent, vous seriez condamnés à économiser vos semis, vous ne produiriez par assez pour vivre, ni vous soigner, ni acheter du pétrole pour les machines, encore moins, les ordinateurs, paraboles et télés que certains ont.
- C’est vrai, répondit Markus qui n’avait plus la force de lutter, mais avons-nous le choix ?
- Je ne sais pas, peut-être dit-elle en poursuivant sa pensée. Mais surtout et en réalité, vous êtes dépendants de ceux qui travaillent à l’extérieur, vous êtes dépendants du monde que vous méprisez. Si un jour celui-ci s’écroule, vous n’y survivrez pas.
- Oui, oui, Sandra, je sais et alors que veux-tu qu’on y fasse !
- Justement, reste ici toi qui ne demande qu’à vivre ton temps, moi je ne peux pas. Il faut que je me confronte, du moins à moi-même. Je veux essayer de me battre pour un monde meilleur. J’aimerais que votre village puisse s’intégrer parfaitement dans un système de mondialisation, sans que vous ayez à corrompre les fonctionnaires Lao pour rester ici, et acheter votre survie à des sociétés désengagées de toutes responsabilités humaines et environnementales à qui vous prenez vos graines stériles mais soi-disant bio et vos herbicides et pesticides sans lesquels vous cultiveriez moins suffisamment. Et ça, je ne suis pas d’accord et tu le sais.
Mais Markus avait baissé la tête. Il ne la regardait plus. Il voulait ne plus l’entendre. Pourquoi, si près du bonheur, on le lui enlevait. Pourquoi, avait-il quitté sa mère et son père, abandonné les siens si c’était pour souffrir encore. Depuis la venue de ce scooter, il avait été si heureux. Il avait eu tant d’espoir.
- Je suis désolée Markus souffla-t-elle en caressant sa joue humide de sa main rendue douce et chaude par l’émotion. J’aurais tant voulu n’être pas consciente de tout cela et vivre simplement heureuse à vos côtés. J’espère que tu me comprendras. Adieu Markus. Et je t’en pris, prends soin de toi et occupe-toi de Jin et de ma petite sœur Charlotte.
Sandra descendait déjà sur le chemin. Le chien la suivait en battant la queue et lui léchait la main. Markus n’avait pas bougé. Doucement, il leva la tête pour la regarder partir, ses yeux se brouillaient, il avait envie de crier très fort. Elle ne se retourna pas.
Dilo- Nombre de messages : 65
Age : 46
Date d'inscription : 08/02/2010
Re: Passion dissidente
Le ton du discours me paraît beaucoup trop pompeux, peu naturel... L'ensemble de ce passage, pour moi, donne trop dans le didactique l'heure-est-grave.
Mes remarques :
« elle revint (et non « revînt » qui est la forme du subjonctif imparfait) finalement vers le lieu des débats »
« Finalement, quelque (et non « quelques », le temps ici n’est pas dénombrable) temps après »
« des règles si ce n’est vous-mêmes (plusieurs personnes) »
« renvoyer tout le monde à son travail avant qu’il n’y ait plus rien à manger »
« aux sujets spécifiques qu’il faut prendre un par (et non « part ») un, de la vie publique »
« C’est pourquoi, (pourquoi une virgule ici ?) vous devrez instaurer par exemple »
« Je sais que certains (il y en a plusieurs) d’entre vous appartiennent à des communautés »
« Je tenais enfin à dire au revoir »
« Il était rentré seul à la ferme »
« D’autres que toi seront plus à même de la construire meilleure » : à quoi renvoie ce « la » ? Juste avant, on parle des choses
« rester ici, dans ce (et non « cet », le « h » de « havre » est aspiré, compte comme une consonne) havre de paix »
« Leur dénuement (et non « dénouement » qui, ici, ne veut rien dire), leur misère »
« que fait-on de ceux qu’on a laissés (on a laissé qui ? « qu’ », mis pour « ceux » ; le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet quand celui-ci est placé avant le verbe, ce qui est le cas ici) au dehors »
« Eh bien dans ce cas »
« Et sans doute eut-il bien fait (« fit-il bien » me paraît infiniment préférable, pourquoi coller un passé antérieur « eut-il bien fait » ici ?)(/b] car il ne déchira pas leur cœur à tout jamais »
« encore moins, [b](pourquoi une virgule ici ?) les ordinateurs »
« Je ne sais pas, peut-être (il me paraît important d’introduire ici une virgule pour séparer le dialogue rapporté de la didascalie) dit-elle en poursuivant sa pensée »
« reste ici toi qui ne demandes qu’à vivre ton temps »
« Pourquoi, (pourquoi une virgule ici ?) avait-il quitté sa mère et son père »
« Je suis désolée Markus (il me paraît important d’introduire ici une virgule pour séparer le dialogue rapporté de la didascalie) souffla-t-elle en caressant sa joue humide »
« Et je t’en prie »
Mes remarques :
« elle revint (et non « revînt » qui est la forme du subjonctif imparfait) finalement vers le lieu des débats »
« Finalement, quelque (et non « quelques », le temps ici n’est pas dénombrable) temps après »
« des règles si ce n’est vous-mêmes (plusieurs personnes) »
« renvoyer tout le monde à son travail avant qu’il n’y ait plus rien à manger »
« aux sujets spécifiques qu’il faut prendre un par (et non « part ») un, de la vie publique »
« C’est pourquoi, (pourquoi une virgule ici ?) vous devrez instaurer par exemple »
« Je sais que certains (il y en a plusieurs) d’entre vous appartiennent à des communautés »
« Je tenais enfin à dire au revoir »
« Il était rentré seul à la ferme »
« D’autres que toi seront plus à même de la construire meilleure » : à quoi renvoie ce « la » ? Juste avant, on parle des choses
« rester ici, dans ce (et non « cet », le « h » de « havre » est aspiré, compte comme une consonne) havre de paix »
« Leur dénuement (et non « dénouement » qui, ici, ne veut rien dire), leur misère »
« que fait-on de ceux qu’on a laissés (on a laissé qui ? « qu’ », mis pour « ceux » ; le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet quand celui-ci est placé avant le verbe, ce qui est le cas ici) au dehors »
« Eh bien dans ce cas »
« Et sans doute eut-il bien fait (« fit-il bien » me paraît infiniment préférable, pourquoi coller un passé antérieur « eut-il bien fait » ici ?)(/b] car il ne déchira pas leur cœur à tout jamais »
« encore moins, [b](pourquoi une virgule ici ?) les ordinateurs »
« Je ne sais pas, peut-être (il me paraît important d’introduire ici une virgule pour séparer le dialogue rapporté de la didascalie) dit-elle en poursuivant sa pensée »
« reste ici toi qui ne demandes qu’à vivre ton temps »
« Pourquoi, (pourquoi une virgule ici ?) avait-il quitté sa mère et son père »
« Je suis désolée Markus (il me paraît important d’introduire ici une virgule pour séparer le dialogue rapporté de la didascalie) souffla-t-elle en caressant sa joue humide »
« Et je t’en prie »
Invité- Invité
Re: Passion dissidente
Bus de brousse après bus de brousse, Sandra quitta le pays aux « millions d’éléphants » - terme employé par Auguste Pavie lors de sa traversée du Laos et toujours usité même s’il ne restait plus beaucoup d’éléphants sauvages, comme elle avait pu le constater - jusqu’à la frontière Cambodgienne.
Dans ce nouveau pays, la misère était flagrante. Sandra y rencontrait de nombreux enfants et adultes handicapés, mutilés par les guerres. La tuberculose faisait le plus de ravage alors qu’encore une fois, ainsi que l’avait dénoncée Charlotte, cette maladie était pour toujours éradiquée des pays riches.
Cependant, les cambodgiens lui parurent éminemment sympathiques, plus avenants que les timides Lao dont elle connaissait la discrétion naturelle, et pour tout dire entreprenant au point d’aller incessamment vers elle, la voir, discuter, se plaindre mais aussi la distraire et la faire rire. Cela, elle en avait besoin. Ce retour au monde ne pouvait mieux se dérouler qu’en entrant dans ce pays qui avait apparemment souffert mais dont les habitants ressortaient plus vifs, plus enthousiastes et finalement plus vivants que jamais. Leur joie de vivre débordait, leurs sourires : ils ne les comptaient pas et la jeunesse pullulait, bruyante, joyeuse dans les petites rues de la ville où elle était arrivée ce soir-là. Et c’était bon de se trouvait là.
Finalement, elle se rendit dans un petit hôtel dans le coin d’une rue. Dans cet hôtel, elle fut surprise d’entendre le gérant, un vieux monsieur, parlait la langue de Molière. Elle passa la soirée en sa compagnie. Après qu’elle lui ait confié certaines interrogations qu’elle se posait sur le pays, il lui exposa sans retenu et en quelques heures la longue et périlleuse histoire cambodgienne. Finalement, se dit-elle une fois seule dans sa chambre, s’il était encore en vie cet homme, cela tenait plus à son opportunisme qu’à ses opinions ou à sa volonté.
Sans qu’il lui ait donné ou qu’elle ait compris tous les détails, elle pouvait reconstituer sa vie de cette façon : il était né à l’ère des colonies françaises, était devenu adulte pendant les guerres d’Indochine et du Vietnam, avait prospéré sans doute aux côtés des Khmers rouges ou avec l’invasion vietnamienne et vivait dorénavant du tourisme au pays des perfusions onusiennes et de la corruption généralisée.
Les jours suivants, en visite à Phnom Penh la capitale du Cambodge, Sandra pensait toujours au destin de cet homme. Elle y pensa notamment pendant la visite du camp de la mort, le S-21 où les gens avaient été torturés et tués tout en étant pris en photos encore affichées sur les murs glauques de cette ancienne école. Elle y pensait toutes les nuits : devait-on lui en vouloir à ce simple homme d’avoir préféré collaborer sans doute plutôt que de se faire tuer ? Comment devant tant de tueries et d’horreur, on pouvait ne pas choisir d’avoir la vie sauve et celle de sa famille ? Qui dans de telles situations pourrait s’enorgueillir de s’opposer à la fatalité ? Et aujourd’hui qui pouvait-on juger à part les principaux chefs alors que des millions d’hommes et de femmes s’étaient transformés en assassins traitant leurs frères et leurs sœurs comme des bêtes de somme et dont la vie ne comptait plus au point d’en exterminer des centaines de milliers !
Sandra ne pouvait concevoir un tel cataclysme. Elle passa des journées dans la bibliothèque nationale et le centre culturelle français à déchiffrer l’Histoire. Il fallait remonter plus loin. A l’invasion des colonies françaises par les Japonais pendant la deuxième guerre mondiale. Puis la déclaration d’indépendance du Vietnam refusée par la France et le début de la guerre d’Indochine bientôt encadrée par les américains. Enfin leur échec et la prise de pouvoir par les communistes dont Pol Pot dans cette partie du monde déjà à feu et à sang. Puis les règlements de compte, l’extermination de ceux qui avaient collaboré avec les Français et avec les Américains, le S21, l’horreur des camps de redressements. La mort.
Pourtant, ça n’avait pas empêché l’occident quelques années après de soutenir Pol Pot lorsque les Vietnamiens envahirent à leur tour le Cambodge, et alors que le sang de ses crimes n’était pas encore sec ! Et qui avait-on jugé ? Les Français ? Les américains ? Non ! Pol Pot ? Oui, mais il s’était caché depuis longtemps !
Il fallait penser à autre chose. Tout cela était du passé. D’ailleurs la plupart des Cambodgiens en parlait librement et on sentait que leur seul souci était d’oublier, et surtout de réussir leur développement. Il faisait cette année là huit pour cent de croissance d’après les journaux. Et ce dynamisme provoquait naturellement une euphorie bien compréhensive. Le chômage avait enregistré sa première baisse. Les importations avaient déjà commencé et les Cambodgiens espéraient bientôt à leur tour pouvoir consommer allégrement comme le reste du monde.
En attendant, Sandra faisait son petit marché. Elle prenait depuis son arrivée ses légumes et son pain aux mêmes commerçants qu’elle avait trouvés sympathiques avant de retourner vers sa chambre les cuisiner. Feuilletant le journal de l’hôtel ce matin-là en buvant son café, elle s’aperçut que les français étaient les voyageurs les plus nombreux à être passés dans ce lieu ces six derniers mois. Les Anglais et les Allemands arrivaient juste derrière. A eux trois, ils représentaient soixante pour cent contre quarante donc pour le reste du monde. Mais qu’y avait-il donc à faire ici ? Venir ici comme on va voir la mer ? Se confronter à la misère pour se trouver bien chez soi ? Sentir l’odeur de la merde en vacances, quel privilège ! Mais surtout comment cette marée humaine encore si misérable qu’étaient la plupart des Cambodgiens dans la ville pouvaient-ils accepter de voir arriver chaque jour des bus entiers de blancs rutilants de frics et gros comme des porcs alors que quelques années auparavant, ils crevaient de faim au point de dévorer encore aujourd’hui des insectes ! Sandra se dit qu’ils étaient biens pacifiques, alors qu’elle, à leur place, les jetterait à la mer comme des rats. Mais elle savait bien que sa rage était exagérée et injustifiée, d’ailleurs elle était là elle aussi, une touriste, et puis quoi d’autre à part le tourisme pouvait amener une manne d’argent si considérable et à laquelle même le petit taximan pouvait accéder.
A propos de tourisme, se dit-elle, si j’allais maintenant à Siem Reap voir les fameux temples d’Angkor. Elle ne connaissait rien aux Khmers qui les avaient élevés mais la beauté de ces temples si renommés se passerait sans doute de commentaires. Et comme deux millions de touristes annuels, Sandra déambula à travers la jungle qui les avait cachés pendant plusieurs siècles jusqu’à ce qu’un explorateur les redécouvrit, c’était Henri Mouhot en 1861. Ensuite, apprit-elle et dès le début de la conquête par la France de la Cochinchine, les chaloupes déposèrent ceux qui échappaient par la fuite à la justice de la métropole, rebuts de tous les mondes, commerçants véreux, contrebandiers d’opium et d’armes, écumeurs de temples, trafiquants de bouddhas, chercheurs d’or ou de mains d’œuvre à bon compte, fervents de polygamie ou d’amour impubères, ils remontaient la piste liquide vers les terres du Laos, nouvel eldorado, exploré, conquis par quelques devanciers trop tôt disparus et dont les noms resteront à la postérité. Sandra se souvenait d’avoir visité le musée Guimet en France qui conservait certaines œuvres Khmères. Outre celui-ci et le musée national Cambodgien, le plus beau de l’art khmer ne se trouvait-il pas encore caché aujourd’hui dans des collections privées ? La mémoire des peuples colonisés et pillés se réveillerait-t-elle un jour, pensa encore Sandra ?
Au retour d’une de ses journées à visiter les temples les plus éloignés afin de profiter ainsi du calme et de la nature, elle fut attirée par les affiches annonçant un concert d’un certain Beat Richner. Elle s’attendait à entendre du violoncelle tout simplement et s’en réjouissait pour ne pas en avoir écouté depuis longtemps alors qu’elle aimait le son parfois mélancolique de cet instrument. Seulement, elle découvrit sur place que ce concert n’était autre qu’une conférence et que ce personnage étonnant, Beat Richner, était le directeur des seuls hôpitaux gratuits du Cambodge. Hôpitaux construits avec des dons récoltés lors des concerts qu’il donnait et en Suisse d’où il était originaire. Cet homme était violemment opposé à l’Organisation Mondiale de la Santé, l’OMS : il refusait d’utiliser des médicaments pour pauvres comme le chloramphénicol, interdit dans les pays riches pour sa toxicité mais utilisé par l’OMS dans les pays comme le Cambodge.
Sandra se sentit soulagée et motivée. Elle n’était pas seule sur terre à vouloir changer les choses. D’ailleurs, cet homme faisait réellement des miracles, incroyables, visibles, il était la preuve vivante de la réussite d’une organisation alternative puisqu’on ne comptait plus les enfants sauvés et soignés ainsi que les femmes en couches depuis que ces hôpitaux avaient été ouverts. Pour l’humour, noir certes, elle voulait retenir cette phrase particulière qui représentait symboliquement toute la perversité des pays occidentaux envers les pays du Sud : Même les poulets d’Asie pour l’exportation en Europe ne devaient être soignés avec le médicament utilisé par l’OMS pour les enfants du tiers monde !
Sandra quitta Siem Reap entre enthousiasme et dépit. Enthousiaste parce qu’elle avait rencontré un homme qui avait réalisé plus qu’aucun autre et qui continuait d’être soutenu. Ce qui la poussait à approfondir ses recherches et à espérer. Dépit pour tout ce qui restait à faire et qu’elle découvrait jour après jour, livre après livre, journaux après journaux. Des milliers d’injustices flagrantes.
Occupée par toutes ces pensées, c’était seulement lors des transports ou pendant les moments de solitude qu’il lui arrivait d’être triste et de se rappeler ceux qu’elle avait laissés là-bas dans le village caché au fin fond du Laos. Mais, il ne servait à rien de se remémorer ces instants de bonheur. C’était une période révolue de sa vie qui l’avait rendue heureuse mais qui été close comme tout doit un jour se terminer. Ces quelques semaines avaient déjà été si riches qu’elle ne pouvait regretter. Avant de partir pour la Malaisie à la recherche d’une hypothétique organisation, elle décida d’aller voir la mer.
Elle avait rencontré entre temps une personne sur cette côte magnifique du sud du Cambodge. Jean-Christophe possédait un voilier usé et rafistolé qu’il avait ramené de France après une grosse colère. Son voyage durait déjà depuis quatre années maintenant et Sandra pensait que la France ne le reverrait pas de sitôt. Il plantait son hamac chaque soir sur une des côtes ou des îles du pays, pour certaine encore vierges et paradisiaques. Ce jour là, il avait emmené Sandra toute une journée sur son rafio et de baptême de mer avait été magnifique.
- Bientôt mon hamac ne sera plus entre ces arbres, lui dit-il tout d’un coup très sérieusement. Bientôt, il n’y aura plus d’arbres.
Sandra le regarda avec étonnement. Ils étaient alors tous deux, les doigts de pieds en éventail devant un soleil qui n’en finissait pas se coucher, passant du rouge au rouge par mille déclinaisons.
- Tu vas trouver cela incroyable mais les investisseurs, étrangers évidement, se sont accaparés depuis peu tout cet espace. Tu vois ces plots qui séparent les parcelles là-bas ? Et s’ils me laissent encore me dorer ici, dans quelques temps, les grues et les travailleurs viendront élever les tours d’hôtels et bitumer les plages aujourd’hui désertes.
Sandra ne dit rien, c’était plus que probable vu la magnificence des lieux.
- L’île que tu vois là-bas appartient à un Russe, continua-t-il, un hôtel luxueux s’y cache comme il en existe peu où les Chinois et autres Hongkongais viennent faire du business. Après ces séances éprouvantes de vols organisés, ils se font envoyer des filles d’ici, douces et compréhensives et quelques enfants naissent du foutre de ces requins.
- Les hommes n’ont pas besoin d’être riches pour être ignobles, coupa Sandra
- C’est vrai, avoua-t-il, d’ailleurs ce paradis encore peu onéreux, n’est qu’un champ de tirs pour divorcés occidentaux, pervers et autres pédophiles. Et tu n’imagines pas leur nombre. Alcool, sexe, drogue et rock&roll. J’ai assez duré ici, ils me dégoûtent. Ils fêtent la vie chaque jour avant de s’apercevoir qu’il est trop tard, qu’ils se sont enfoncés trop loin dans le vice et ils finissent alors, quand ils ont assez de couilles, par se suicider. Certains mettent plus de temps, après leur arrivée, pour se pourrir mais la luxure est irrésistible. Ceux là, ceux qui ont des remords, souffrent comme des damnés. Les petites poupées prostituées ont des vies si dures qu’il est impossible pour les tendres occidentaux de ne pas tenter de les sauver et de n’en pas tomber fous amoureux.
- Seulement toutes ces gamines font vivres des familles entières, continua Sandra, leurs parents les poussent à se prostituer, il n’y pas d’amour pour elles et personne ne peut les sauver. Coucher avec le Blanc, même si elles doivent subir ses lamentations est toujours plus rentable qu’avec le local ou le Chinois qui paient rarement…
- Alors tu sais, lui dit Jean-Christophe ?
- Oui, un soir je suis allée dans cette rue où tous les bars appartiennent à des Français et où des dizaines de gamines se prostituent. Je n’aurais jamais cru ça possible. Pourtant j’ai réussi à garder mon sang froid et même à discuter avec certains des patrons et tu sais ce qu’ils m’ont répondue : « ces gamines ne nous ont pas attendu pour se prostituer, elles étaient là avant nous » et qui tu vois dans ces rues et dans ces hôtels miteux : des gros, des vieux et des militaires. Ça me dégoûte rien que d’en parler.
- L’enfer du Paradis !
Un ange passa
- Que vas-tu faire maintenant JC ?
- Je ne sais pas, mon bateau m’emmènera au large où je trouverai deux arbres pour étendre mon hamac et je continuerai de balader des touristes quand j’en aurai le cœur.
- So have a nice trip JC.
- Tout le plaisir a été pour moi Sandra. Peut-être à une prochaine fois. Bye.
Ah ! cher lecteur.
Pardonnez-moi d’intervenir ainsi dans cette histoire mais vous devrez dorénavant compter sur moi car à partir de ce jour, si les dates sont exactes, je suis passé de l’état de vulgaire spermatozoïde des couilles de mon père au corps divin et fertile de ma vénérable mère.
Vous devez trouver exagéré le côté pessimiste des pensées et des enchaînements de la vie de Sandra, mais c’est pourtant ce misérabilisme qui a fait l’histoire car il l’a influencée au plus haut point, au cœur de son âme et encore quelques années avant sa mort elle disait : « Je tempère le pessimisme de la raison par l’optimiste de la volonté. »
Méditez cela cher lecteur.
A très bientôt.
Simon.
Dans ce nouveau pays, la misère était flagrante. Sandra y rencontrait de nombreux enfants et adultes handicapés, mutilés par les guerres. La tuberculose faisait le plus de ravage alors qu’encore une fois, ainsi que l’avait dénoncée Charlotte, cette maladie était pour toujours éradiquée des pays riches.
Cependant, les cambodgiens lui parurent éminemment sympathiques, plus avenants que les timides Lao dont elle connaissait la discrétion naturelle, et pour tout dire entreprenant au point d’aller incessamment vers elle, la voir, discuter, se plaindre mais aussi la distraire et la faire rire. Cela, elle en avait besoin. Ce retour au monde ne pouvait mieux se dérouler qu’en entrant dans ce pays qui avait apparemment souffert mais dont les habitants ressortaient plus vifs, plus enthousiastes et finalement plus vivants que jamais. Leur joie de vivre débordait, leurs sourires : ils ne les comptaient pas et la jeunesse pullulait, bruyante, joyeuse dans les petites rues de la ville où elle était arrivée ce soir-là. Et c’était bon de se trouvait là.
Finalement, elle se rendit dans un petit hôtel dans le coin d’une rue. Dans cet hôtel, elle fut surprise d’entendre le gérant, un vieux monsieur, parlait la langue de Molière. Elle passa la soirée en sa compagnie. Après qu’elle lui ait confié certaines interrogations qu’elle se posait sur le pays, il lui exposa sans retenu et en quelques heures la longue et périlleuse histoire cambodgienne. Finalement, se dit-elle une fois seule dans sa chambre, s’il était encore en vie cet homme, cela tenait plus à son opportunisme qu’à ses opinions ou à sa volonté.
Sans qu’il lui ait donné ou qu’elle ait compris tous les détails, elle pouvait reconstituer sa vie de cette façon : il était né à l’ère des colonies françaises, était devenu adulte pendant les guerres d’Indochine et du Vietnam, avait prospéré sans doute aux côtés des Khmers rouges ou avec l’invasion vietnamienne et vivait dorénavant du tourisme au pays des perfusions onusiennes et de la corruption généralisée.
Les jours suivants, en visite à Phnom Penh la capitale du Cambodge, Sandra pensait toujours au destin de cet homme. Elle y pensa notamment pendant la visite du camp de la mort, le S-21 où les gens avaient été torturés et tués tout en étant pris en photos encore affichées sur les murs glauques de cette ancienne école. Elle y pensait toutes les nuits : devait-on lui en vouloir à ce simple homme d’avoir préféré collaborer sans doute plutôt que de se faire tuer ? Comment devant tant de tueries et d’horreur, on pouvait ne pas choisir d’avoir la vie sauve et celle de sa famille ? Qui dans de telles situations pourrait s’enorgueillir de s’opposer à la fatalité ? Et aujourd’hui qui pouvait-on juger à part les principaux chefs alors que des millions d’hommes et de femmes s’étaient transformés en assassins traitant leurs frères et leurs sœurs comme des bêtes de somme et dont la vie ne comptait plus au point d’en exterminer des centaines de milliers !
Sandra ne pouvait concevoir un tel cataclysme. Elle passa des journées dans la bibliothèque nationale et le centre culturelle français à déchiffrer l’Histoire. Il fallait remonter plus loin. A l’invasion des colonies françaises par les Japonais pendant la deuxième guerre mondiale. Puis la déclaration d’indépendance du Vietnam refusée par la France et le début de la guerre d’Indochine bientôt encadrée par les américains. Enfin leur échec et la prise de pouvoir par les communistes dont Pol Pot dans cette partie du monde déjà à feu et à sang. Puis les règlements de compte, l’extermination de ceux qui avaient collaboré avec les Français et avec les Américains, le S21, l’horreur des camps de redressements. La mort.
Pourtant, ça n’avait pas empêché l’occident quelques années après de soutenir Pol Pot lorsque les Vietnamiens envahirent à leur tour le Cambodge, et alors que le sang de ses crimes n’était pas encore sec ! Et qui avait-on jugé ? Les Français ? Les américains ? Non ! Pol Pot ? Oui, mais il s’était caché depuis longtemps !
Il fallait penser à autre chose. Tout cela était du passé. D’ailleurs la plupart des Cambodgiens en parlait librement et on sentait que leur seul souci était d’oublier, et surtout de réussir leur développement. Il faisait cette année là huit pour cent de croissance d’après les journaux. Et ce dynamisme provoquait naturellement une euphorie bien compréhensive. Le chômage avait enregistré sa première baisse. Les importations avaient déjà commencé et les Cambodgiens espéraient bientôt à leur tour pouvoir consommer allégrement comme le reste du monde.
En attendant, Sandra faisait son petit marché. Elle prenait depuis son arrivée ses légumes et son pain aux mêmes commerçants qu’elle avait trouvés sympathiques avant de retourner vers sa chambre les cuisiner. Feuilletant le journal de l’hôtel ce matin-là en buvant son café, elle s’aperçut que les français étaient les voyageurs les plus nombreux à être passés dans ce lieu ces six derniers mois. Les Anglais et les Allemands arrivaient juste derrière. A eux trois, ils représentaient soixante pour cent contre quarante donc pour le reste du monde. Mais qu’y avait-il donc à faire ici ? Venir ici comme on va voir la mer ? Se confronter à la misère pour se trouver bien chez soi ? Sentir l’odeur de la merde en vacances, quel privilège ! Mais surtout comment cette marée humaine encore si misérable qu’étaient la plupart des Cambodgiens dans la ville pouvaient-ils accepter de voir arriver chaque jour des bus entiers de blancs rutilants de frics et gros comme des porcs alors que quelques années auparavant, ils crevaient de faim au point de dévorer encore aujourd’hui des insectes ! Sandra se dit qu’ils étaient biens pacifiques, alors qu’elle, à leur place, les jetterait à la mer comme des rats. Mais elle savait bien que sa rage était exagérée et injustifiée, d’ailleurs elle était là elle aussi, une touriste, et puis quoi d’autre à part le tourisme pouvait amener une manne d’argent si considérable et à laquelle même le petit taximan pouvait accéder.
A propos de tourisme, se dit-elle, si j’allais maintenant à Siem Reap voir les fameux temples d’Angkor. Elle ne connaissait rien aux Khmers qui les avaient élevés mais la beauté de ces temples si renommés se passerait sans doute de commentaires. Et comme deux millions de touristes annuels, Sandra déambula à travers la jungle qui les avait cachés pendant plusieurs siècles jusqu’à ce qu’un explorateur les redécouvrit, c’était Henri Mouhot en 1861. Ensuite, apprit-elle et dès le début de la conquête par la France de la Cochinchine, les chaloupes déposèrent ceux qui échappaient par la fuite à la justice de la métropole, rebuts de tous les mondes, commerçants véreux, contrebandiers d’opium et d’armes, écumeurs de temples, trafiquants de bouddhas, chercheurs d’or ou de mains d’œuvre à bon compte, fervents de polygamie ou d’amour impubères, ils remontaient la piste liquide vers les terres du Laos, nouvel eldorado, exploré, conquis par quelques devanciers trop tôt disparus et dont les noms resteront à la postérité. Sandra se souvenait d’avoir visité le musée Guimet en France qui conservait certaines œuvres Khmères. Outre celui-ci et le musée national Cambodgien, le plus beau de l’art khmer ne se trouvait-il pas encore caché aujourd’hui dans des collections privées ? La mémoire des peuples colonisés et pillés se réveillerait-t-elle un jour, pensa encore Sandra ?
Au retour d’une de ses journées à visiter les temples les plus éloignés afin de profiter ainsi du calme et de la nature, elle fut attirée par les affiches annonçant un concert d’un certain Beat Richner. Elle s’attendait à entendre du violoncelle tout simplement et s’en réjouissait pour ne pas en avoir écouté depuis longtemps alors qu’elle aimait le son parfois mélancolique de cet instrument. Seulement, elle découvrit sur place que ce concert n’était autre qu’une conférence et que ce personnage étonnant, Beat Richner, était le directeur des seuls hôpitaux gratuits du Cambodge. Hôpitaux construits avec des dons récoltés lors des concerts qu’il donnait et en Suisse d’où il était originaire. Cet homme était violemment opposé à l’Organisation Mondiale de la Santé, l’OMS : il refusait d’utiliser des médicaments pour pauvres comme le chloramphénicol, interdit dans les pays riches pour sa toxicité mais utilisé par l’OMS dans les pays comme le Cambodge.
Sandra se sentit soulagée et motivée. Elle n’était pas seule sur terre à vouloir changer les choses. D’ailleurs, cet homme faisait réellement des miracles, incroyables, visibles, il était la preuve vivante de la réussite d’une organisation alternative puisqu’on ne comptait plus les enfants sauvés et soignés ainsi que les femmes en couches depuis que ces hôpitaux avaient été ouverts. Pour l’humour, noir certes, elle voulait retenir cette phrase particulière qui représentait symboliquement toute la perversité des pays occidentaux envers les pays du Sud : Même les poulets d’Asie pour l’exportation en Europe ne devaient être soignés avec le médicament utilisé par l’OMS pour les enfants du tiers monde !
Sandra quitta Siem Reap entre enthousiasme et dépit. Enthousiaste parce qu’elle avait rencontré un homme qui avait réalisé plus qu’aucun autre et qui continuait d’être soutenu. Ce qui la poussait à approfondir ses recherches et à espérer. Dépit pour tout ce qui restait à faire et qu’elle découvrait jour après jour, livre après livre, journaux après journaux. Des milliers d’injustices flagrantes.
Occupée par toutes ces pensées, c’était seulement lors des transports ou pendant les moments de solitude qu’il lui arrivait d’être triste et de se rappeler ceux qu’elle avait laissés là-bas dans le village caché au fin fond du Laos. Mais, il ne servait à rien de se remémorer ces instants de bonheur. C’était une période révolue de sa vie qui l’avait rendue heureuse mais qui été close comme tout doit un jour se terminer. Ces quelques semaines avaient déjà été si riches qu’elle ne pouvait regretter. Avant de partir pour la Malaisie à la recherche d’une hypothétique organisation, elle décida d’aller voir la mer.
Elle avait rencontré entre temps une personne sur cette côte magnifique du sud du Cambodge. Jean-Christophe possédait un voilier usé et rafistolé qu’il avait ramené de France après une grosse colère. Son voyage durait déjà depuis quatre années maintenant et Sandra pensait que la France ne le reverrait pas de sitôt. Il plantait son hamac chaque soir sur une des côtes ou des îles du pays, pour certaine encore vierges et paradisiaques. Ce jour là, il avait emmené Sandra toute une journée sur son rafio et de baptême de mer avait été magnifique.
- Bientôt mon hamac ne sera plus entre ces arbres, lui dit-il tout d’un coup très sérieusement. Bientôt, il n’y aura plus d’arbres.
Sandra le regarda avec étonnement. Ils étaient alors tous deux, les doigts de pieds en éventail devant un soleil qui n’en finissait pas se coucher, passant du rouge au rouge par mille déclinaisons.
- Tu vas trouver cela incroyable mais les investisseurs, étrangers évidement, se sont accaparés depuis peu tout cet espace. Tu vois ces plots qui séparent les parcelles là-bas ? Et s’ils me laissent encore me dorer ici, dans quelques temps, les grues et les travailleurs viendront élever les tours d’hôtels et bitumer les plages aujourd’hui désertes.
Sandra ne dit rien, c’était plus que probable vu la magnificence des lieux.
- L’île que tu vois là-bas appartient à un Russe, continua-t-il, un hôtel luxueux s’y cache comme il en existe peu où les Chinois et autres Hongkongais viennent faire du business. Après ces séances éprouvantes de vols organisés, ils se font envoyer des filles d’ici, douces et compréhensives et quelques enfants naissent du foutre de ces requins.
- Les hommes n’ont pas besoin d’être riches pour être ignobles, coupa Sandra
- C’est vrai, avoua-t-il, d’ailleurs ce paradis encore peu onéreux, n’est qu’un champ de tirs pour divorcés occidentaux, pervers et autres pédophiles. Et tu n’imagines pas leur nombre. Alcool, sexe, drogue et rock&roll. J’ai assez duré ici, ils me dégoûtent. Ils fêtent la vie chaque jour avant de s’apercevoir qu’il est trop tard, qu’ils se sont enfoncés trop loin dans le vice et ils finissent alors, quand ils ont assez de couilles, par se suicider. Certains mettent plus de temps, après leur arrivée, pour se pourrir mais la luxure est irrésistible. Ceux là, ceux qui ont des remords, souffrent comme des damnés. Les petites poupées prostituées ont des vies si dures qu’il est impossible pour les tendres occidentaux de ne pas tenter de les sauver et de n’en pas tomber fous amoureux.
- Seulement toutes ces gamines font vivres des familles entières, continua Sandra, leurs parents les poussent à se prostituer, il n’y pas d’amour pour elles et personne ne peut les sauver. Coucher avec le Blanc, même si elles doivent subir ses lamentations est toujours plus rentable qu’avec le local ou le Chinois qui paient rarement…
- Alors tu sais, lui dit Jean-Christophe ?
- Oui, un soir je suis allée dans cette rue où tous les bars appartiennent à des Français et où des dizaines de gamines se prostituent. Je n’aurais jamais cru ça possible. Pourtant j’ai réussi à garder mon sang froid et même à discuter avec certains des patrons et tu sais ce qu’ils m’ont répondue : « ces gamines ne nous ont pas attendu pour se prostituer, elles étaient là avant nous » et qui tu vois dans ces rues et dans ces hôtels miteux : des gros, des vieux et des militaires. Ça me dégoûte rien que d’en parler.
- L’enfer du Paradis !
Un ange passa
- Que vas-tu faire maintenant JC ?
- Je ne sais pas, mon bateau m’emmènera au large où je trouverai deux arbres pour étendre mon hamac et je continuerai de balader des touristes quand j’en aurai le cœur.
- So have a nice trip JC.
- Tout le plaisir a été pour moi Sandra. Peut-être à une prochaine fois. Bye.
Ah ! cher lecteur.
Pardonnez-moi d’intervenir ainsi dans cette histoire mais vous devrez dorénavant compter sur moi car à partir de ce jour, si les dates sont exactes, je suis passé de l’état de vulgaire spermatozoïde des couilles de mon père au corps divin et fertile de ma vénérable mère.
Vous devez trouver exagéré le côté pessimiste des pensées et des enchaînements de la vie de Sandra, mais c’est pourtant ce misérabilisme qui a fait l’histoire car il l’a influencée au plus haut point, au cœur de son âme et encore quelques années avant sa mort elle disait : « Je tempère le pessimisme de la raison par l’optimiste de la volonté. »
Méditez cela cher lecteur.
A très bientôt.
Simon.
Dilo- Nombre de messages : 65
Age : 46
Date d'inscription : 08/02/2010
Re: Passion dissidente
Ouais, Lonely Planet version géopolitique moralisatrice.
C'est plutôt soft et en dessous de la réalité, et la morale occidentalo-pouet-pouet me gonfle personnellement.
D'autant que Bodard, par exemple, montre bien, et avec lyrisme - même si je connais le nègre qui écrivait pour lui - que les bons sentiments européens font surtout rigoler là-bas : comment font les blancs pour être si naïfs ? Interrogation étonnée de tout asiatique normalement doué de raison.
Donc désolé, j'achète pas, même en solde.
C'est plutôt soft et en dessous de la réalité, et la morale occidentalo-pouet-pouet me gonfle personnellement.
D'autant que Bodard, par exemple, montre bien, et avec lyrisme - même si je connais le nègre qui écrivait pour lui - que les bons sentiments européens font surtout rigoler là-bas : comment font les blancs pour être si naïfs ? Interrogation étonnée de tout asiatique normalement doué de raison.
Donc désolé, j'achète pas, même en solde.
silene82- Nombre de messages : 3553
Age : 67
Localisation : par là
Date d'inscription : 30/05/2009
Re: Passion dissidente
J'aime que vous souleviez des questions même si c'est de manière peut-être un peu trop évidente et didactique.
Mes remarques :
« - terme employé par Auguste Pavie » : typographie, un trait d’union « - » ne suffit pas à introduire une incise, il faut « – » ou « — »
« comme elle avait pu le constater - » : typographie, un trait d’union « - » ne suffit pas à fermer une incise, il faut « – » ou « — »
« jusqu’à la frontière cambodgienne »
« ainsi que l’avait dénoncé (et non « dénoncée », ce n’est pas la maladie qu’a dénoncé Charlotte mais le fait qu’elle sévisse encore dans la région ; soit dit en passant, elle fait erreur, la tuberculose réapparaît, me semble-t-il, dans les pays riches, dans les populations pauvres, immigrées ; elle se présente notamment comme une des maladies opportunistes se greffant sur le SIDA) Charlotte »
« les Cambodgiens lui parurent éminemment sympathiques »
« pour tout dire entreprenants (les Cambodgiens) »
« c’était bon de se trouver (essayez de changer de verbe : « c’était bon de lui dire son fait » ; la forme à appliquer est l’infinitif) là »
« elle fut surprise d’entendre le gérant, un vieux monsieur, parlait la langue de Molière » : soit « elle fut surprise d’entendre que le gérant parlait », soit « elle fut surprise d’entendre le gérant parler », mais pas votre forme où deux verbes conjugués se partagent la même proposition
« Après qu’elle lui eut (« après que » est suivi de l’indicatif) confié certaines interrogations qu’elle se posait sur le pays, il lui exposa sans retenue »
« le centre culturel (et non « culturelle ») français »
« bientôt encadrée par les Américains »
« la prise du pouvoir par les communistes »
« le S21 (au-dessus, c’est « S-21 »), l’horreur des camps de redressement (et non « redressements ») »
« Les Français ? Les Américains »
« la plupart des Cambodgiens en parlait (plutôt « parlaient », d’ailleur plus loin dans la phrase vous parlez de « leur seul souci », et non de « son seul souci », ce qui correspondrait au verbe au singulier) librement »
« Il faisait cette année-là (trait d’union) »
« elle s’aperçut que les Français »
« jusqu’à ce qu’un explorateur les redécouvrît (ou « redécouvre », l’imparfait du subjonctif n’est jamais obligatoire) »
« fervents de polygamie ou d’amours impubères »
« nouvel Eldorado, exploré »
« certaines œuvres khmères »
« le musée national cambodgien »
« La mémoire des peuples colonisés et pillés se réveillerait-elle (et non « réveillerait-t-elle ») un jour »
« les enfants du tiers-monde (trait d’union) »
« Mais, (pourquoi une virgule ici ?) il ne servait à rien de se remémorer ces instants de bonheur »
« qui l’avait rendue heureuse mais qui était close »
« sur une des côtes ou des îles du pays, pour certaines encore vierges et paradisiaques. Ce jour-là (trait d’union) »
« toute une journée sur son rafiot et le baptême de mer »
« dans quelque (et non « quelques », ici le temps n’est pas dénombrable) temps, les grues et les travailleurs »
« d’être riches pour être ignobles, coupa Sandra » : manque le point en fin de phrase
« ce paradis encore peu onéreux, (pourquoi une virgule ici ?) n’est qu’un champ de tir (et non « tirs ») pour divorcés »
« Ceux-là (trait d’union), ceux qui ont des remords »
« ces gamines font vivre (et non « vivres ») des familles entières »
« tu sais ce qu’ils m’ont répondu (et non « répondue », on répond quelque chose à quelqu’un, le complément d’objet direct est ici « ce qu » et non « m’ » représentant Sandra »
« ces gamines ne nous ont pas attendu[b]s (elles n’ont pas attendu qui ? « nous », le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet placé avant le verbe) pour se prostituer »
« Un ange passa » : manque le point en fin de phrase
Mes remarques :
« - terme employé par Auguste Pavie » : typographie, un trait d’union « - » ne suffit pas à introduire une incise, il faut « – » ou « — »
« comme elle avait pu le constater - » : typographie, un trait d’union « - » ne suffit pas à fermer une incise, il faut « – » ou « — »
« jusqu’à la frontière cambodgienne »
« ainsi que l’avait dénoncé (et non « dénoncée », ce n’est pas la maladie qu’a dénoncé Charlotte mais le fait qu’elle sévisse encore dans la région ; soit dit en passant, elle fait erreur, la tuberculose réapparaît, me semble-t-il, dans les pays riches, dans les populations pauvres, immigrées ; elle se présente notamment comme une des maladies opportunistes se greffant sur le SIDA) Charlotte »
« les Cambodgiens lui parurent éminemment sympathiques »
« pour tout dire entreprenants (les Cambodgiens) »
« c’était bon de se trouver (essayez de changer de verbe : « c’était bon de lui dire son fait » ; la forme à appliquer est l’infinitif) là »
« elle fut surprise d’entendre le gérant, un vieux monsieur, parlait la langue de Molière » : soit « elle fut surprise d’entendre que le gérant parlait », soit « elle fut surprise d’entendre le gérant parler », mais pas votre forme où deux verbes conjugués se partagent la même proposition
« Après qu’elle lui eut (« après que » est suivi de l’indicatif) confié certaines interrogations qu’elle se posait sur le pays, il lui exposa sans retenue »
« le centre culturel (et non « culturelle ») français »
« bientôt encadrée par les Américains »
« la prise du pouvoir par les communistes »
« le S21 (au-dessus, c’est « S-21 »), l’horreur des camps de redressement (et non « redressements ») »
« Les Français ? Les Américains »
« la plupart des Cambodgiens en parlait (plutôt « parlaient », d’ailleur plus loin dans la phrase vous parlez de « leur seul souci », et non de « son seul souci », ce qui correspondrait au verbe au singulier) librement »
« Il faisait cette année-là (trait d’union) »
« elle s’aperçut que les Français »
« jusqu’à ce qu’un explorateur les redécouvrît (ou « redécouvre », l’imparfait du subjonctif n’est jamais obligatoire) »
« fervents de polygamie ou d’amours impubères »
« nouvel Eldorado, exploré »
« certaines œuvres khmères »
« le musée national cambodgien »
« La mémoire des peuples colonisés et pillés se réveillerait-elle (et non « réveillerait-t-elle ») un jour »
« les enfants du tiers-monde (trait d’union) »
« Mais, (pourquoi une virgule ici ?) il ne servait à rien de se remémorer ces instants de bonheur »
« qui l’avait rendue heureuse mais qui était close »
« sur une des côtes ou des îles du pays, pour certaines encore vierges et paradisiaques. Ce jour-là (trait d’union) »
« toute une journée sur son rafiot et le baptême de mer »
« dans quelque (et non « quelques », ici le temps n’est pas dénombrable) temps, les grues et les travailleurs »
« d’être riches pour être ignobles, coupa Sandra » : manque le point en fin de phrase
« ce paradis encore peu onéreux, (pourquoi une virgule ici ?) n’est qu’un champ de tir (et non « tirs ») pour divorcés »
« Ceux-là (trait d’union), ceux qui ont des remords »
« ces gamines font vivre (et non « vivres ») des familles entières »
« tu sais ce qu’ils m’ont répondu (et non « répondue », on répond quelque chose à quelqu’un, le complément d’objet direct est ici « ce qu » et non « m’ » représentant Sandra »
« ces gamines ne nous ont pas attendu[b]s (elles n’ont pas attendu qui ? « nous », le participe passé du verbe conjugué avec avoir s’accorde avec le complément d’objet placé avant le verbe) pour se prostituer »
« Un ange passa » : manque le point en fin de phrase
Invité- Invité
Re: Passion dissidente
Le contact de Sandra à Kuala Lumpur s’avéra absent. Elle se rendit plusieurs fois devant cette porte d’appartement et n’y trouva jamais personne. Depuis déjà deux jours, elle squattait chez un couple de Français expatrié inscrit sur un site Internet d’échange et d’accueil des voyageurs mais elle n’y pouvait pas rester indéfiniment. Elle décida d’une dernière tentative et se mit en marche. Cependant, il y avait une tête qu’elle venait d’apercevoir pour la seconde fois. Un fait étrange dans une si grande ville et dans des lieux chaque fois différents. Sans cette mémoire des visages qu’elle possédait, elle n’aurait rien remarqué. Tout en regardant derrière elle de temps en temps pour voir si elle n’était pas suivie, elle entra de nouveau dans le hall de l’immeuble et retourna sonner à la porte supposée de Charles Ritz. Toujours personne mais rien d’étonnant si toutefois elle était réellement observée.
Tout en redescendant dans la rue, elle se demanda ce qu’elle allait bien pouvoir faire maintenant si sa sensation d’être suivie provenait seulement du fruit de son imagination. Elle se revit quelques semaines auparavant dans les bras de Markus, lorsque pour la première fois ils s’étaient embrassés puis, au bas de la cascade, avaient fait l’amour, nus dans l’eau, nus comme les premiers Hommes, pénétrée dans les chutes, les sexes s’offrant aux étoiles alors que des planctons luminescents comme par magie diffusaient dans l’eau leurs scintillements féeriques à chacun de leurs mouvements, de leurs battements de cœur. Quel bien-être et quelle liberté cela avait été ! Comme l’aboutissement d’un long processus d’apprivoisement mutuel. Pourquoi n’avait-elle pas choisi de rester finalement dans les bras protecteurs de cet homme, quelle mouche l’avait piqué, comme si elle s’était jetée dans la fosse aux lions en espérant les dompter ? Mais qu’était-elle au milieu de ces immenses buildings qui s’élevaient jusqu’au ciel, qu’était-elle dans cette foule innombrable pour supposer s’investir d’une mission divine.
Cette fois, elle l’avait bien vu ! Derrière, à une certaine distance, mêlé à la foule. Elle n’avait pas peur, au contraire elle était soulagée de n’être peut-être pas venue pour rien. Il se passait quelque chose enfin. Elle se dirigea vers le quartier indien où l’homme ne pourrait plus si facilement passer inaperçu. Il était un européen plutôt grand et jeune et n’avait pas la tête d’un bandit mais seulement d’un intellectuel à lunettes. Dans un dédale de ruelles commerçantes proches de china town, il l’a perdit. Sandra, qui connaissait ce quartier pour s’y être promenée la veille, se trouva bientôt derrière lui. Un instant après, elle l’attrapait par l’épaule.
- Mr Ritz, demanda t-elle ?
- Euh ! Non ! Vous faites erreur, balbutia l’homme une fois remis de son émotion de trouver en face de lui la personne qu’il venait de perdre de vue.
- Pourquoi me suivez-vous alors ?
- C’est à dire, je ne sais pas, je… vous trouve séduisante.
- Et ça tombe bien qu’une femme séduisante vienne frapper chez vous. Alors pourquoi n’ouvrez-vous pas ?
- Mais qui êtes-vous, demanda-t-il semblant s’offusquer ? Qui vous a donné mon nom ? Comment connaissez-vous mon adresse ?
- Charles, un ami à vous que j’ai rencontré au hasard dans une association au Laos. Un architecte. Il pensait que vous accepteriez de me rencontrer.
- Bon, dit l’homme après un instant de réflexion, je vous offre un café ?
- Pourquoi pas.
- Oui, en effet, j’ai connu un Charles, architecte, mais cela fait bien deux ans que je n’ai pas de nouvelle de lui et je ne l’ai jamais entendu parler d’une association au Laos. Que vous a-t-il dit exactement ?
Il étaient seuls, assis à la terrasse d’un café. L’homme ne cessait d’observer autour de lui. Sandra, si curieuse habituellement, s’efforça de n’être pas trop indiscrète.
- Il a simplement dit que nous avions des idées en commun, dit-elle. Il avait l’impression de vous entendre en m’écoutant.
- Mais cela ne suffit pas pour se déplacer jusqu’ici, que vous a-t-il dit d’autre ?
- Juste ça.
Un silence s’installa. Les deux personnes en présence se toisaient. Ils attendaient une suite dont ni l’un ni l’autre ne voulait assumer la responsabilité.
- Écoutez…
- Sandra, dit elle
- Sandra, enchanté. Je m’appelle Charles moi aussi. Nos parents manquaient vraisemblablement d’imagination, n’est ce pas ? Comme notre ami en commun le souhaitait, faisons connaissance. Je suis professeur dans le lycée français de Kuala Lumpur depuis maintenant quatre années. J’aime ce pays. Mes élèves sont des adolescents doués et sérieux. Ce sont tous des enfants d’expatriés ou de Malais aisés. Je suis seul, je sors rarement et je dois être particulièrement inintéressant mais enfin si je peux vous rendre utile ?
- Pour être tout à fait honnête, Mr Ritz, je n’ai pas beaucoup de temps et à la vitesse où nous allons, nous n’aboutirons à rien. Charles m’a laissé entendre que vous apparteniez à un réseau. Je n’en sais pas davantage sur ce réseau. Aussi, je vois que vous êtes méfiants mais à partir de maintenant, soit vous me mettez dans la confidence et nous parlons sérieusement, soit nous arrêtons là !
- Écoutez Sandra, dit Charles après un instant, à voix basse et en se rapprochant d’elle, nos activités sont politiques et bien qu’intellectuelles, particulièrement dangereuses. Nous avons mis en place une organisation que certaines personnes ne peuvent souffrir. Mais ce n’est pas tout. Nous côtoyons, virtuellement bien entendu, des groupes qui eux, agissent. C’est pourquoi vous prenez un grand risque à en être simplement informée. Nos ennemis sont puissants et nous serons peut-être bientôt tous en prison. Si tu, je peux te tutoyer ?
Sandra acquiesça.
- Avant de pouvoir t’en dire plus, je dois m’en informer. Comme je ne te connais pas, je fais confiance à Charles. Je te propose de nous revoir ce soir, vers dix-neuf heures, au Bijan Bar dans la rue Jalan Pahabat où tu es déjà passée plusieurs fois pour te rendre chez moi. Autre chose, ne vient plus chez moi, je suis peut-être surveillé. A ce soir.
Charles Ritz paya les cafés et disparut. Sandra resta un moment à réfléchir. Elle avait établi le contact et elle était heureuse que ce réseau existe vraiment. Restait à convaincre ses hôtes de dormir une nuit de plus chez eux et surtout d’en apprendre davantage sur les activités exactes de ce réseau puis de savoir si elle pouvait y participer de quelque façon que ce soit. Pour ses hôtes, elle leur dirait tout simplement qu’elle avait trouver son ami, le rencontrait ce soir et qu’ensuite elle partirait. Pour le reste, il fallait prendre son mal en patience.
Elle se dirigea vers un musée au hasard, celui des arts musulmans. Il se trouvait sur une colline juste à l’extérieur du périphérique. Le bâtiment, moderne, était entouré d’un magnifique jardin. Elle s’assit sous un arbre où tombaient en grappes des litchis rouges sang. Toute proche, une eau invisible glougloutait sous les fougères. Une fois apaisée, reposée pas la tranquillité du parc, elle entra à l’intérieur du musée et y trouva tant de magnificences qu’elle y resta plusieurs heures. Elle était subjuguée par la calligraphie, par la beauté du sacré, la révélation délivrée, l’illusion de l’image par l’écriture.
Sortie finalement du tombeau de l’Histoire, et comme pour revenir fatalement à la réalité, elle prit le train futuriste reliant la ville de Putrajaya toute proche et se promena entre les architectures modernes alignées dans les jardins artificiels. Voilà ce que pouvait être un nouveau monde, se dit-elle, construit pour des humanoïdes transgéniques sans âme, comme cette ville. En marchant, elle réfléchissait à toute cette histoire. Comment pouvait-elle s’engager avec des gens dont elle ne connaissait ni les intentions, ni les procédés ? Pour le moment rien n’était fait mais elle espérait qu’ils acceptent de la mettre dans la confidence. Elle en tremblait déjà de peur mais surtout d’excitation. Elle pouvait enfin espérer se rendre utile et participer à l’agitation du monde.
A l’heure dite, elle pénétra dans le restaurant. C’était une grande salle simple et climatisée où l’ambiance était à la tranquillité autour de petites tables largement séparées. Quelques personnes se trouvaient ça et là et produisaient un discret ronronnement. Charles Ritz était assis seul et l’attendait.
- J’ai de bonnes nouvelles, dit-il, tu ne pouvais tomber sur un jour plus clément. Nous avons décidé de t’utiliser, enfin si tu désires toujours t’engager ?
- Mais déjà, demanda Sandra, c’est quoi votre organisation, qu’est-ce que vous faites exactement ?
- Des whistle blower ! Nous sommes des whistle blower. En français, on pourrait dire des lanceurs d’alertes. Plus exactement, le réseau se fait appeler l’ODIC, l’Organisation de Diffusion des Informations Confidentielles divulguées par les whistle blower. Et qui sont-ils ? Ce sont des cadres de grandes sociétés, des hauts fonctionnaires d’états, des responsables militaires, n’importe qui en réalité mais ce sont des personnes ayant des informations graves et souvent compromettantes à divulguer alors qu’elles sont astreintes au secret professionnel. Et pourquoi le font-elles ? Parce qu’elles sont opposées aux projets en question ou considèrent comme un crime de le taire.
- Et quels sont ces projets si confidentiels, demanda Sandra sur le même ton ?
- Pas seulement des projets mais aussi des secrets d’états, ou encore des crimes, de la corruption, des délits d’initiés, des marchés frauduleux, mafia et mafieux, de montrer les réalités sociales, environnementales et économiques de projets que les protagonistes ont tout intérêt à cacher.
- Donc l’ODIC, votre organisation, diffuse des informations, c’est tout ?
- De façon résumée, oui. Mais d’abord, il faut obtenir ces informations : enquêter, soudoyer, prêcher le faux pour avoir le vrai etc.. Ensuite, les vérifier, très important ! Et enfin les diffuser : relais, contacts comme toi si tu participes, puis journalistes, police, juges, tribunaux, etc.
- Je ne comprends pas exactement pourquoi vous vous cachez quelque soit comment vous obtenez les informations ? Beaucoup de gens écrivent des livres, des articles et dénoncent sans être inquiétés.
- En France peut-être. Et encore. Va en Chine, ou dans de nombreux autres pays. L’information est hyper-contrôlée. Elle ne perce pas ou très difficilement. Et même dans nos démocraties, il n’est pas toujours facile de savoir la vérité. Certains dossiers ne sont ré ouverts que vingt ou trente ans après les faits.
- C’était vrai, se dit-t-elle.
- Mais surtout et c’est important, les whistle blower qui trahissent leur société ou leur état restent anonymes grâce à nos services. Ils savent qu’en nous transmettant les informations, elles ont toutes les chances de faire leur chemin alors qu’en les donnant directement à des journalistes, elles peuvent être rangées dans un tiroir, oubliées, étouffées ou rachetées. Pire, ça peut leur retomber dessus. Et parfois, le plus souvent, ceux contre qui nous luttons ont d’immenses ressources et ils sont prêts à tout pour éliminer ces fuites.
- Peux-tu me donner un exemple précis d’une « fuite » ou d’une information compromettante qui a été connue grâce à vous ?
- Par exemple, nous surveillons les marchés : en échange d’investissements, les prêteurs : états, banques, fonds monétaires, exigent des concessions. Souvent de privatiser les exploitations de matière première, l’eau, l’énergie etc. Mais personne ne vérifie qui rachète, dans quelles conditions et surtout les prêteurs sont souvent de mèche avec les acheteurs. Du coup, ils s’engraissent doublement : avec les intérêts du crédit et avec les bénéfices des sociétés privatisées. Bien que ces mécanismes soient complexes pour les non-initiés, ils représentent des milliards de dollars volés. Et c’est aussi notre rôle de faire connaître ces abus.
- Je ne comprends malheureusement rien à tout ça, avoua Sandra.
- Ce n’était qu’un exemple. En voici un autre plus facile à interpréter : parfois des compagnies mettent sur le marché des produits toxiques, pour ce faire, ils achètent les dirigeants des institutions de contrôles. Ensuite ils osent faire de la publicité mensongère pour vendre leurs produits supposés sains. Des années plus tard, la communauté internationale s’aperçoit des dégâts commis sur l’environnement et des nombreux décès ou maladies apparus. Mais il est trop tard. Le mal est fait. La vache folle, les hormones de croissance, le roundup etc. De plus, les dirigeants qui ont négociés ces business ont été mutés pour organiser d’autres saloperies ailleurs. On juge alors la société comme personne morale et parfois elle paye mais toujours une misère par rapport aux profits que cette magouille a occasionnés.
- Maïs transgénique, lait contaminé, semis stériles pour que les gens doivent les racheter, continua-t-elle.
- Oui, il y a beaucoup d’exemples et ce n’est pas prêt de cesser. Il faut faire des profits quitte à polluer, à tuer même. Et c’est pourquoi, notre organisation, à mon sens est très importante. Réussir à dénoncer les faits au plus tôt. Réussir à provoquer des enquêtes, des recherches scientifiques indépendantes s’il se peut. Découvrir la vérité.
- Est-ce que je peux savoir comment vous fonctionnez, demanda Sandra ?
- Ce n’est plus un secret : nous utilisons Internet grâce à n’importe quel forum, blog ou site officiel à travers lequel nous filtrons les communiqués dans la masse d’informations. Mais il y a d’autres moyens et tu le verras par toi-même. L’ensemble de nos activités n’est pas arrêté. Il nous arrive même parfois de négocier, pour la bonne cause, avec des gens dont les idées, et pas seulement les idées, ne sont pas les nôtres, du moins pas les miennes. C’est à dire que nous échangeons parfois avec des terroristes, des dictateurs, des mercenaires, des extrémistes et j’en passe. Je te le dis car si tu te joins à nous, tu auras peut-être à faire à eux.
- Un bien grand dessein que voici mais qu’est-ce que je pourrais bien faire pour vous aider moi qui suis inculte et sotte ?
- Tu penses bien que si je t’ai raconté tout ça, ce n’est pas pour rien : nous avons parfois besoin de personnes comme toi, immaculées on pourrait dire, non fichées si tu préfères pour circuler sans crainte.
- Je ne vais pas servir de bombe humaine, c’est déjà ça.
- Pourquoi pas ! Enfin si, en quelque sorte. Une bombe à retardement qui explosera à la gueule de ceux qui sont exposés quand tu livreras le colis. Alors, oui ou non ?
- Que dois-je faire ?
- Livrer une enveloppe contenant des documents originaux qu’on ne peut pas envoyer.
- C’est tout.
- Oui, pour le moment.
- Alors d’accord.
- Extraordinaire ! Donc demain, tu pars à Jakarta. Il faut bien tout enregistrer, il n’y aura personne pour te le redire. Quartier Senayan, dans la rue Jalan Senopati, il y a un restaurant : le Émilie. Tu rentreras à dix-neuf heures heure locale avec les mêmes vêtements que tu portes aujourd’hui. On te donnera une enveloppe que tu dois remettre à Stockholm. En Suède, tu trouveras un pressing rue Karlavâgen à côté du musée d’Histoire. Tu remettras l’enveloppe à une femme. Elle se trouve dans ce pressing tous les jours. Ensuite, tu attends le lendemain, dans l’après-midi avant d’y retourner.
- Et ensuite demanda Sandra ?
- Ensuite, si tout se passe comme prévu, on te dirigera sur Beyrouth. Mais déjà ça. As-tu bien enregistré ?
- Oui, je crois, le Émilie puis le pressing mais comment je vais là-bas, je veux dire financièrement ?
- Prends déjà cet argent, ça devrait couvrir plusieurs jours, c’est des dollars, il te faudra les changer au fur et à mesure.
- Ouf ! je ne me voyais pas payer tous ces voyages.
- L’argent, c’est le problème. Ce que je t’ai donné, c’est le mien, celui que je gagne comme instituteur. Pour que les choses changent, c’est à nous de payer ! En fait, on te remettra de l’argent pour cette preuve, mais cet argent, il ne sera pas pour toi, du moins, juste une petite partie pour tes frais, le reste c’est pour acheter de nouvelles preuves. Voilà le système, le monde tourne ainsi, que veux-tu.
- Et la suite ?
- Je n’en sais pas plus, on te le fera savoir en temps voulu.
- Et comment je peux me rendre compte de toutes vos activités, il n’y a pas un site Internet dédié, un nom, une édition, un journal ?
- Non, ça nous démystifierait. Tes futures actions seront matérialisées sur de nombreux journaux mêlées à l’actualité en générale. Ce serait facile autrement de déterminer les agents qui travaillent avec nous et de les éliminer. Le but est d’informer et d’apporter les preuves sans être identifié. Mais avec l’habitude, en lisant l’actualité, tu sauras reconnaître la main du réseau. Il faut que je te laisse maintenant. Ça va aller ?
- Oui, je crois, enfin, on verra.
- Il le faut mais ne t’inquiète pas, aujourd’hui tu ne risques rien encore, tu n’es pas assez impliquée. Un dernière chose cependant, ne parle à personne de tes activités évidement et n’oublie pas que tes faits et gestes sont comptés. Ok ?
- OK.
- Aller, je dois partir maintenant, mieux vaut que je ne reste pas trop longtemps avec toi. Ce fut un plaisir de te rencontrer. Adieu Sandra, dit-il en lui serrant la main.
- Adieu Charles, oui, un plaisir de te rencontrer… enfin espérons.
Charles Ritz reprit sa petite mallette et passa la porte du restaurant avec un dernier sourire qui se voulait rassurant puis il disparut laissant Sandra seule et un peu éberluée. Son entretien avait été rapide. Elle leva la main pour commander une pression et ainsi fêter son embauche. Sa tête tournait déjà légèrement. Elle but quelques gorgées, respira très fort puis se leva et disparut à son tour dans la foule.
Tout en redescendant dans la rue, elle se demanda ce qu’elle allait bien pouvoir faire maintenant si sa sensation d’être suivie provenait seulement du fruit de son imagination. Elle se revit quelques semaines auparavant dans les bras de Markus, lorsque pour la première fois ils s’étaient embrassés puis, au bas de la cascade, avaient fait l’amour, nus dans l’eau, nus comme les premiers Hommes, pénétrée dans les chutes, les sexes s’offrant aux étoiles alors que des planctons luminescents comme par magie diffusaient dans l’eau leurs scintillements féeriques à chacun de leurs mouvements, de leurs battements de cœur. Quel bien-être et quelle liberté cela avait été ! Comme l’aboutissement d’un long processus d’apprivoisement mutuel. Pourquoi n’avait-elle pas choisi de rester finalement dans les bras protecteurs de cet homme, quelle mouche l’avait piqué, comme si elle s’était jetée dans la fosse aux lions en espérant les dompter ? Mais qu’était-elle au milieu de ces immenses buildings qui s’élevaient jusqu’au ciel, qu’était-elle dans cette foule innombrable pour supposer s’investir d’une mission divine.
Cette fois, elle l’avait bien vu ! Derrière, à une certaine distance, mêlé à la foule. Elle n’avait pas peur, au contraire elle était soulagée de n’être peut-être pas venue pour rien. Il se passait quelque chose enfin. Elle se dirigea vers le quartier indien où l’homme ne pourrait plus si facilement passer inaperçu. Il était un européen plutôt grand et jeune et n’avait pas la tête d’un bandit mais seulement d’un intellectuel à lunettes. Dans un dédale de ruelles commerçantes proches de china town, il l’a perdit. Sandra, qui connaissait ce quartier pour s’y être promenée la veille, se trouva bientôt derrière lui. Un instant après, elle l’attrapait par l’épaule.
- Mr Ritz, demanda t-elle ?
- Euh ! Non ! Vous faites erreur, balbutia l’homme une fois remis de son émotion de trouver en face de lui la personne qu’il venait de perdre de vue.
- Pourquoi me suivez-vous alors ?
- C’est à dire, je ne sais pas, je… vous trouve séduisante.
- Et ça tombe bien qu’une femme séduisante vienne frapper chez vous. Alors pourquoi n’ouvrez-vous pas ?
- Mais qui êtes-vous, demanda-t-il semblant s’offusquer ? Qui vous a donné mon nom ? Comment connaissez-vous mon adresse ?
- Charles, un ami à vous que j’ai rencontré au hasard dans une association au Laos. Un architecte. Il pensait que vous accepteriez de me rencontrer.
- Bon, dit l’homme après un instant de réflexion, je vous offre un café ?
- Pourquoi pas.
- Oui, en effet, j’ai connu un Charles, architecte, mais cela fait bien deux ans que je n’ai pas de nouvelle de lui et je ne l’ai jamais entendu parler d’une association au Laos. Que vous a-t-il dit exactement ?
Il étaient seuls, assis à la terrasse d’un café. L’homme ne cessait d’observer autour de lui. Sandra, si curieuse habituellement, s’efforça de n’être pas trop indiscrète.
- Il a simplement dit que nous avions des idées en commun, dit-elle. Il avait l’impression de vous entendre en m’écoutant.
- Mais cela ne suffit pas pour se déplacer jusqu’ici, que vous a-t-il dit d’autre ?
- Juste ça.
Un silence s’installa. Les deux personnes en présence se toisaient. Ils attendaient une suite dont ni l’un ni l’autre ne voulait assumer la responsabilité.
- Écoutez…
- Sandra, dit elle
- Sandra, enchanté. Je m’appelle Charles moi aussi. Nos parents manquaient vraisemblablement d’imagination, n’est ce pas ? Comme notre ami en commun le souhaitait, faisons connaissance. Je suis professeur dans le lycée français de Kuala Lumpur depuis maintenant quatre années. J’aime ce pays. Mes élèves sont des adolescents doués et sérieux. Ce sont tous des enfants d’expatriés ou de Malais aisés. Je suis seul, je sors rarement et je dois être particulièrement inintéressant mais enfin si je peux vous rendre utile ?
- Pour être tout à fait honnête, Mr Ritz, je n’ai pas beaucoup de temps et à la vitesse où nous allons, nous n’aboutirons à rien. Charles m’a laissé entendre que vous apparteniez à un réseau. Je n’en sais pas davantage sur ce réseau. Aussi, je vois que vous êtes méfiants mais à partir de maintenant, soit vous me mettez dans la confidence et nous parlons sérieusement, soit nous arrêtons là !
- Écoutez Sandra, dit Charles après un instant, à voix basse et en se rapprochant d’elle, nos activités sont politiques et bien qu’intellectuelles, particulièrement dangereuses. Nous avons mis en place une organisation que certaines personnes ne peuvent souffrir. Mais ce n’est pas tout. Nous côtoyons, virtuellement bien entendu, des groupes qui eux, agissent. C’est pourquoi vous prenez un grand risque à en être simplement informée. Nos ennemis sont puissants et nous serons peut-être bientôt tous en prison. Si tu, je peux te tutoyer ?
Sandra acquiesça.
- Avant de pouvoir t’en dire plus, je dois m’en informer. Comme je ne te connais pas, je fais confiance à Charles. Je te propose de nous revoir ce soir, vers dix-neuf heures, au Bijan Bar dans la rue Jalan Pahabat où tu es déjà passée plusieurs fois pour te rendre chez moi. Autre chose, ne vient plus chez moi, je suis peut-être surveillé. A ce soir.
Charles Ritz paya les cafés et disparut. Sandra resta un moment à réfléchir. Elle avait établi le contact et elle était heureuse que ce réseau existe vraiment. Restait à convaincre ses hôtes de dormir une nuit de plus chez eux et surtout d’en apprendre davantage sur les activités exactes de ce réseau puis de savoir si elle pouvait y participer de quelque façon que ce soit. Pour ses hôtes, elle leur dirait tout simplement qu’elle avait trouver son ami, le rencontrait ce soir et qu’ensuite elle partirait. Pour le reste, il fallait prendre son mal en patience.
Elle se dirigea vers un musée au hasard, celui des arts musulmans. Il se trouvait sur une colline juste à l’extérieur du périphérique. Le bâtiment, moderne, était entouré d’un magnifique jardin. Elle s’assit sous un arbre où tombaient en grappes des litchis rouges sang. Toute proche, une eau invisible glougloutait sous les fougères. Une fois apaisée, reposée pas la tranquillité du parc, elle entra à l’intérieur du musée et y trouva tant de magnificences qu’elle y resta plusieurs heures. Elle était subjuguée par la calligraphie, par la beauté du sacré, la révélation délivrée, l’illusion de l’image par l’écriture.
Sortie finalement du tombeau de l’Histoire, et comme pour revenir fatalement à la réalité, elle prit le train futuriste reliant la ville de Putrajaya toute proche et se promena entre les architectures modernes alignées dans les jardins artificiels. Voilà ce que pouvait être un nouveau monde, se dit-elle, construit pour des humanoïdes transgéniques sans âme, comme cette ville. En marchant, elle réfléchissait à toute cette histoire. Comment pouvait-elle s’engager avec des gens dont elle ne connaissait ni les intentions, ni les procédés ? Pour le moment rien n’était fait mais elle espérait qu’ils acceptent de la mettre dans la confidence. Elle en tremblait déjà de peur mais surtout d’excitation. Elle pouvait enfin espérer se rendre utile et participer à l’agitation du monde.
A l’heure dite, elle pénétra dans le restaurant. C’était une grande salle simple et climatisée où l’ambiance était à la tranquillité autour de petites tables largement séparées. Quelques personnes se trouvaient ça et là et produisaient un discret ronronnement. Charles Ritz était assis seul et l’attendait.
- J’ai de bonnes nouvelles, dit-il, tu ne pouvais tomber sur un jour plus clément. Nous avons décidé de t’utiliser, enfin si tu désires toujours t’engager ?
- Mais déjà, demanda Sandra, c’est quoi votre organisation, qu’est-ce que vous faites exactement ?
- Des whistle blower ! Nous sommes des whistle blower. En français, on pourrait dire des lanceurs d’alertes. Plus exactement, le réseau se fait appeler l’ODIC, l’Organisation de Diffusion des Informations Confidentielles divulguées par les whistle blower. Et qui sont-ils ? Ce sont des cadres de grandes sociétés, des hauts fonctionnaires d’états, des responsables militaires, n’importe qui en réalité mais ce sont des personnes ayant des informations graves et souvent compromettantes à divulguer alors qu’elles sont astreintes au secret professionnel. Et pourquoi le font-elles ? Parce qu’elles sont opposées aux projets en question ou considèrent comme un crime de le taire.
- Et quels sont ces projets si confidentiels, demanda Sandra sur le même ton ?
- Pas seulement des projets mais aussi des secrets d’états, ou encore des crimes, de la corruption, des délits d’initiés, des marchés frauduleux, mafia et mafieux, de montrer les réalités sociales, environnementales et économiques de projets que les protagonistes ont tout intérêt à cacher.
- Donc l’ODIC, votre organisation, diffuse des informations, c’est tout ?
- De façon résumée, oui. Mais d’abord, il faut obtenir ces informations : enquêter, soudoyer, prêcher le faux pour avoir le vrai etc.. Ensuite, les vérifier, très important ! Et enfin les diffuser : relais, contacts comme toi si tu participes, puis journalistes, police, juges, tribunaux, etc.
- Je ne comprends pas exactement pourquoi vous vous cachez quelque soit comment vous obtenez les informations ? Beaucoup de gens écrivent des livres, des articles et dénoncent sans être inquiétés.
- En France peut-être. Et encore. Va en Chine, ou dans de nombreux autres pays. L’information est hyper-contrôlée. Elle ne perce pas ou très difficilement. Et même dans nos démocraties, il n’est pas toujours facile de savoir la vérité. Certains dossiers ne sont ré ouverts que vingt ou trente ans après les faits.
- C’était vrai, se dit-t-elle.
- Mais surtout et c’est important, les whistle blower qui trahissent leur société ou leur état restent anonymes grâce à nos services. Ils savent qu’en nous transmettant les informations, elles ont toutes les chances de faire leur chemin alors qu’en les donnant directement à des journalistes, elles peuvent être rangées dans un tiroir, oubliées, étouffées ou rachetées. Pire, ça peut leur retomber dessus. Et parfois, le plus souvent, ceux contre qui nous luttons ont d’immenses ressources et ils sont prêts à tout pour éliminer ces fuites.
- Peux-tu me donner un exemple précis d’une « fuite » ou d’une information compromettante qui a été connue grâce à vous ?
- Par exemple, nous surveillons les marchés : en échange d’investissements, les prêteurs : états, banques, fonds monétaires, exigent des concessions. Souvent de privatiser les exploitations de matière première, l’eau, l’énergie etc. Mais personne ne vérifie qui rachète, dans quelles conditions et surtout les prêteurs sont souvent de mèche avec les acheteurs. Du coup, ils s’engraissent doublement : avec les intérêts du crédit et avec les bénéfices des sociétés privatisées. Bien que ces mécanismes soient complexes pour les non-initiés, ils représentent des milliards de dollars volés. Et c’est aussi notre rôle de faire connaître ces abus.
- Je ne comprends malheureusement rien à tout ça, avoua Sandra.
- Ce n’était qu’un exemple. En voici un autre plus facile à interpréter : parfois des compagnies mettent sur le marché des produits toxiques, pour ce faire, ils achètent les dirigeants des institutions de contrôles. Ensuite ils osent faire de la publicité mensongère pour vendre leurs produits supposés sains. Des années plus tard, la communauté internationale s’aperçoit des dégâts commis sur l’environnement et des nombreux décès ou maladies apparus. Mais il est trop tard. Le mal est fait. La vache folle, les hormones de croissance, le roundup etc. De plus, les dirigeants qui ont négociés ces business ont été mutés pour organiser d’autres saloperies ailleurs. On juge alors la société comme personne morale et parfois elle paye mais toujours une misère par rapport aux profits que cette magouille a occasionnés.
- Maïs transgénique, lait contaminé, semis stériles pour que les gens doivent les racheter, continua-t-elle.
- Oui, il y a beaucoup d’exemples et ce n’est pas prêt de cesser. Il faut faire des profits quitte à polluer, à tuer même. Et c’est pourquoi, notre organisation, à mon sens est très importante. Réussir à dénoncer les faits au plus tôt. Réussir à provoquer des enquêtes, des recherches scientifiques indépendantes s’il se peut. Découvrir la vérité.
- Est-ce que je peux savoir comment vous fonctionnez, demanda Sandra ?
- Ce n’est plus un secret : nous utilisons Internet grâce à n’importe quel forum, blog ou site officiel à travers lequel nous filtrons les communiqués dans la masse d’informations. Mais il y a d’autres moyens et tu le verras par toi-même. L’ensemble de nos activités n’est pas arrêté. Il nous arrive même parfois de négocier, pour la bonne cause, avec des gens dont les idées, et pas seulement les idées, ne sont pas les nôtres, du moins pas les miennes. C’est à dire que nous échangeons parfois avec des terroristes, des dictateurs, des mercenaires, des extrémistes et j’en passe. Je te le dis car si tu te joins à nous, tu auras peut-être à faire à eux.
- Un bien grand dessein que voici mais qu’est-ce que je pourrais bien faire pour vous aider moi qui suis inculte et sotte ?
- Tu penses bien que si je t’ai raconté tout ça, ce n’est pas pour rien : nous avons parfois besoin de personnes comme toi, immaculées on pourrait dire, non fichées si tu préfères pour circuler sans crainte.
- Je ne vais pas servir de bombe humaine, c’est déjà ça.
- Pourquoi pas ! Enfin si, en quelque sorte. Une bombe à retardement qui explosera à la gueule de ceux qui sont exposés quand tu livreras le colis. Alors, oui ou non ?
- Que dois-je faire ?
- Livrer une enveloppe contenant des documents originaux qu’on ne peut pas envoyer.
- C’est tout.
- Oui, pour le moment.
- Alors d’accord.
- Extraordinaire ! Donc demain, tu pars à Jakarta. Il faut bien tout enregistrer, il n’y aura personne pour te le redire. Quartier Senayan, dans la rue Jalan Senopati, il y a un restaurant : le Émilie. Tu rentreras à dix-neuf heures heure locale avec les mêmes vêtements que tu portes aujourd’hui. On te donnera une enveloppe que tu dois remettre à Stockholm. En Suède, tu trouveras un pressing rue Karlavâgen à côté du musée d’Histoire. Tu remettras l’enveloppe à une femme. Elle se trouve dans ce pressing tous les jours. Ensuite, tu attends le lendemain, dans l’après-midi avant d’y retourner.
- Et ensuite demanda Sandra ?
- Ensuite, si tout se passe comme prévu, on te dirigera sur Beyrouth. Mais déjà ça. As-tu bien enregistré ?
- Oui, je crois, le Émilie puis le pressing mais comment je vais là-bas, je veux dire financièrement ?
- Prends déjà cet argent, ça devrait couvrir plusieurs jours, c’est des dollars, il te faudra les changer au fur et à mesure.
- Ouf ! je ne me voyais pas payer tous ces voyages.
- L’argent, c’est le problème. Ce que je t’ai donné, c’est le mien, celui que je gagne comme instituteur. Pour que les choses changent, c’est à nous de payer ! En fait, on te remettra de l’argent pour cette preuve, mais cet argent, il ne sera pas pour toi, du moins, juste une petite partie pour tes frais, le reste c’est pour acheter de nouvelles preuves. Voilà le système, le monde tourne ainsi, que veux-tu.
- Et la suite ?
- Je n’en sais pas plus, on te le fera savoir en temps voulu.
- Et comment je peux me rendre compte de toutes vos activités, il n’y a pas un site Internet dédié, un nom, une édition, un journal ?
- Non, ça nous démystifierait. Tes futures actions seront matérialisées sur de nombreux journaux mêlées à l’actualité en générale. Ce serait facile autrement de déterminer les agents qui travaillent avec nous et de les éliminer. Le but est d’informer et d’apporter les preuves sans être identifié. Mais avec l’habitude, en lisant l’actualité, tu sauras reconnaître la main du réseau. Il faut que je te laisse maintenant. Ça va aller ?
- Oui, je crois, enfin, on verra.
- Il le faut mais ne t’inquiète pas, aujourd’hui tu ne risques rien encore, tu n’es pas assez impliquée. Un dernière chose cependant, ne parle à personne de tes activités évidement et n’oublie pas que tes faits et gestes sont comptés. Ok ?
- OK.
- Aller, je dois partir maintenant, mieux vaut que je ne reste pas trop longtemps avec toi. Ce fut un plaisir de te rencontrer. Adieu Sandra, dit-il en lui serrant la main.
- Adieu Charles, oui, un plaisir de te rencontrer… enfin espérons.
Charles Ritz reprit sa petite mallette et passa la porte du restaurant avec un dernier sourire qui se voulait rassurant puis il disparut laissant Sandra seule et un peu éberluée. Son entretien avait été rapide. Elle leva la main pour commander une pression et ainsi fêter son embauche. Sa tête tournait déjà légèrement. Elle but quelques gorgées, respira très fort puis se leva et disparut à son tour dans la foule.
Dilo- Nombre de messages : 65
Age : 46
Date d'inscription : 08/02/2010
Re: Passion dissidente
Ce qui m'ennuie dans cet exposé, c'est que cela donne une impression de cours, du style "les enfants, sortez vos cahiers, nous allons étudier la mécanique du monde et la géopolitique". Que nombre de faits soient avérés, dans toute l'économie du texte antérieure, et dans ce passage, j'entends bien. Et alors ? Que je sache, la dénonciation est bien présente dans Germinal, ou chez Jules Vallès. Mais ils font œuvre littéraire, et pas un copié-collé ou un écho plus ou moins fidèle des procédés des multinationales. J'aimerais bien voir des pourris, qui ricanent en évoquant la nouvelle Maserati que va leur valoir la coupe de forêts en Malaisie du Sud, la vraie vie, quoi...ou les nouveaux bars à putes qu'ils vont ouvrir à Kuala Lumpur.
Cet angélisme monotonal me fatigue un peu, personnellement.
Sinon, en dehors des fautes d'ortho, le texte se laisse lire, mais ne m'accroche pas.
Digo yo.
Cet angélisme monotonal me fatigue un peu, personnellement.
Sinon, en dehors des fautes d'ortho, le texte se laisse lire, mais ne m'accroche pas.
Digo yo.
silene82- Nombre de messages : 3553
Age : 67
Localisation : par là
Date d'inscription : 30/05/2009
Re: Passion dissidente
Moi je trouve la chose assez invraisemblable, non pas le principe de la société secrète, mais le fait qu'ils aient besoin de simples passeurs d'information, des courriers, quand la transmission de l'information de manière anonyme et dématérialisée est si aisée, je crois, de nos jours. Sinon, je vous félicite pour les énormes progrès que vous avez faits en orthographe ! Si je mets de larges extraits dans mes remarques, ci-dessous, c'est à cause des conventions typographiques sur les caractères introduisant les répliques dans un dialogue.
Donc, mes remarques :
« quelle mouche l’avait piquée (Sandra) »
« Dans un dédale de ruelles commerçantes proches de china town, il la (et non « l’a ») perdit »
- Mr Ritz, demanda t-elle ?
- Euh ! Non ! Vous faites erreur, balbutia l’homme une fois remis de son émotion de trouver en face de lui la personne qu’il venait de perdre de vue.
- Pourquoi me suivez-vous alors ?
- C’est à dire, je ne sais pas, je… vous trouve séduisante.
- Et ça tombe bien qu’une femme séduisante vienne frapper chez vous. Alors pourquoi n’ouvrez-vous pas ?
- Mais qui êtes-vous, demanda-t-il semblant s’offusquer ? Qui vous a donné mon nom ? Comment connaissez-vous mon adresse ?
- Charles, un ami à vous que j’ai rencontré au hasard dans une association au Laos. Un architecte. Il pensait que vous accepteriez de me rencontrer.
- Bon, dit l’homme après un instant de réflexion, je vous offre un café ?
- Pourquoi pas.
- Oui, en effet, j’ai connu un Charles, architecte, mais cela fait bien deux ans que je n’ai pas de nouvelles
(pour introduire des répliques de dialogue, le trait d’union « - » ne suffit pas, il faut prévoir « – » et « — »)
- Il a simplement dit que nous avions des idées en commun, dit-elle. Il avait l’impression de vous entendre en m’écoutant.
- Mais cela ne suffit pas pour se déplacer jusqu’ici, que vous a-t-il dit d’autre ?
- Juste ça.
(pour introduire des répliques de dialogue, le trait d’union « - » ne suffit pas, il faut prévoir « – » et « — »)
- Écoutez…
- Sandra, dit elle
- Sandra, enchanté. Je m’appelle Charles moi aussi. Nos parents manquaient vraisemblablement d’imagination, n’est ce pas ? Comme notre ami en commun le souhaitait, faisons connaissance. Je suis professeur dans le lycée français de Kuala Lumpur depuis maintenant quatre années. J’aime ce pays. Mes élèves sont des adolescents doués et sérieux. Ce sont tous des enfants d’expatriés ou de Malais aisés. Je suis seul, je sors rarement et je dois être particulièrement inintéressant mais enfin si je peux vous rendre utile ?
- Pour être tout à fait honnête, Mr Ritz, je n’ai pas beaucoup de temps et à la vitesse où nous allons, nous n’aboutirons à rien. Charles m’a laissé entendre que vous apparteniez à un réseau. Je n’en sais pas davantage sur ce réseau. Aussi, je vois que vous êtes méfiants mais à partir de maintenant, soit vous me mettez dans la confidence et nous parlons sérieusement, soit nous arrêtons là !
- Écoutez Sandra
(pour introduire des répliques de dialogue, le trait d’union « - » ne suffit pas, il faut prévoir « – » et « — »)
- Avant de pouvoir t’en dire plus, je dois m’en (pourquoi « m’een » ? Il doit s’informer de quoi ? Je pense qu’un « m’informer » serait suffisant) informer. Comme je ne te connais pas, je fais confiance à Charles. Je te propose de nous revoir ce soir, vers dix-neuf heures, au Bijan Bar dans la rue Jalan Pahabat où tu es déjà passée plusieurs fois pour te rendre chez moi. Autre chose, ne viens plus
(pour introduire des répliques de dialogue, le trait d’union « - » ne suffit pas, il faut prévoir « – » et « — »)
« elle leur dirait tout simplement qu’elle avait trouvé son ami »
« reposée par la tranquillité du parc »
- J’ai de bonnes nouvelles, dit-il, tu ne pouvais tomber sur un jour plus clément. Nous avons décidé de t’utiliser, enfin si tu désires toujours t’engager ?
- Mais déjà, demanda Sandra, c’est quoi votre organisation, qu’est-ce que vous faites exactement ?
- Des whistle blower ! Nous sommes des whistle blower. En français, on pourrait dire des lanceurs d’alertes. Plus exactement, le réseau se fait appeler l’ODIC, l’Organisation de Diffusion des Informations Confidentielles divulguées par les whistle blower. Et qui sont-ils ? Ce sont des cadres de grandes sociétés, des hauts fonctionnaires d’états, des responsables militaires, n’importe qui en réalité mais ce sont des personnes ayant des informations graves et souvent compromettantes à divulguer alors qu’elles sont astreintes au secret professionnel. Et pourquoi le font-elles ? Parce qu’elles sont opposées aux projets en question ou considèrent comme un crime de le taire.
- Et quels sont ces projets si confidentiels, demanda Sandra sur le même ton ?
- Pas seulement des projets mais aussi des secrets d’états, ou encore des crimes, de la corruption, des délits d’initiés, des marchés frauduleux, mafia et mafieux, de montrer les réalités sociales, environnementales et économiques de projets que les protagonistes ont tout intérêt à cacher.
- Donc l’ODIC, votre organisation, diffuse des informations, c’est tout ?
- De façon résumée, oui. Mais d’abord, il faut obtenir ces informations : enquêter, soudoyer, prêcher le faux pour avoir le vrai etc.. Ensuite, les vérifier, très important ! Et enfin les diffuser : relais, contacts comme toi si tu participes, puis journalistes, police, juges, tribunaux, etc.
- Je ne comprends pas exactement pourquoi vous vous cachez quelque soit comment(on écrit plutôt : « quelle que soit la manière dont ») vous obtenez les informations ? Beaucoup de gens écrivent des livres, des articles et dénoncent sans être inquiétés.
- En France peut-être. Et encore. Va en Chine, ou dans de nombreux autres pays. L’information est hyper-contrôlée. Elle ne perce pas ou très difficilement. Et même dans nos démocraties, il n’est pas toujours facile de savoir la vérité. Certains dossiers ne sont ré ouverts que vingt ou trente ans après les faits.
- C’était vrai, se dit-t-elle.
- Mais surtout et c’est important, les whistle blower qui trahissent leur société ou leur état restent anonymes grâce à nos services. Ils savent qu’en nous transmettant les informations, elles ont toutes les chances de faire leur chemin alors qu’en les donnant directement à des journalistes, elles peuvent être rangées dans un tiroir, oubliées, étouffées ou rachetées. Pire, ça peut leur retomber dessus. Et parfois, le plus souvent, ceux contre qui nous luttons ont d’immenses ressources et ils sont prêts à tout pour éliminer ces fuites.
- Peux-tu me donner un exemple précis d’une « fuite » ou d’une information compromettante qui a été connue grâce à vous ?
- Par exemple, nous surveillons les marchés : en échange d’investissements, les prêteurs : états, banques, fonds monétaires, exigent des concessions. Souvent de privatiser les exploitations de matière première, l’eau, l’énergie etc. Mais personne ne vérifie qui rachète, dans quelles conditions et surtout les prêteurs sont souvent de mèche avec les acheteurs. Du coup, ils s’engraissent doublement : avec les intérêts du crédit et avec les bénéfices des sociétés privatisées. Bien que ces mécanismes soient complexes pour les non-initiés, ils représentent des milliards de dollars volés. Et c’est aussi notre rôle de faire connaître ces abus.
- Je ne comprends malheureusement rien à tout ça, avoua Sandra.
- Ce n’était qu’un exemple. En voici un autre plus facile à interpréter : parfois des compagnies mettent sur le marché des produits toxiques, pour ce faire, ils achètent les dirigeants des institutions de contrôles. Ensuite ils osent faire de la publicité mensongère pour vendre leurs produits supposés sains. Des années plus tard, la communauté internationale s’aperçoit des dégâts commis sur l’environnement et des nombreux décès ou maladies apparus. Mais il est trop tard. Le mal est fait. La vache folle, les hormones de croissance, le roundup etc. De plus, les dirigeants qui ont négocié (et non « négociés », le business négociés étant situés après le participe passé qui ne s’accorde pas avec le complément d’objet direct placé après lui) ces business ont été mutés pour organiser d’autres saloperies ailleurs. On juge alors la société comme personne morale et parfois elle paye mais toujours une misère par rapport aux profits que cette magouille a occasionnés.
- Maïs transgénique, lait contaminé, semis stériles pour que les gens doivent les racheter, continua-t-elle.
- Oui, il y a beaucoup d’exemples et ce n’est pas près de cesser. Il faut faire des profits quitte à polluer, à tuer même. Et c’est pourquoi, notre organisation, à mon sens (je pense qu’une virgule ici serait intéressante, pour compléter l’incise) est très importante. Réussir à dénoncer les faits au plus tôt. Réussir à provoquer des enquêtes, des recherches scientifiques indépendantes s’il se peut. Découvrir la vérité.
- Est-ce que je peux savoir comment vous fonctionnez, demanda Sandra ?
- Ce n’est plus un secret : nous utilisons Internet grâce à n’importe quel forum, blog ou site officiel à travers lequel nous filtrons les communiqués dans la masse d’informations. Mais il y a d’autres moyens et tu le verras par toi-même. L’ensemble de nos activités n’est pas arrêté. Il nous arrive même parfois de négocier, pour la bonne cause, avec des gens dont les idées, et pas seulement les idées, ne sont pas les nôtres, du moins pas les miennes. C’est à dire que nous échangeons parfois avec des terroristes, des dictateurs, des mercenaires, des extrémistes et j’en passe. Je te le dis car si tu te joins à nous, tu auras peut-être affaire à eux.
- Un bien grand dessein que voici mais qu’est-ce que je pourrais bien faire pour vous aider moi qui suis inculte et sotte ?
- Tu penses bien que si je t’ai raconté tout ça, ce n’est pas pour rien : nous avons parfois besoin de personnes comme toi, immaculées on pourrait dire, non fichées si tu préfères pour circuler sans crainte.
- Je ne vais pas servir de bombe humaine, c’est déjà ça.
- Pourquoi pas ! Enfin si, en quelque sorte. Une bombe à retardement qui explosera à la gueule de ceux qui sont exposés quand tu livreras le colis. Alors, oui ou non ?
- Que dois-je faire ?
- Livrer une enveloppe contenant des documents originaux qu’on ne peut pas envoyer.
- C’est tout.
- Oui, pour le moment.
- Alors d’accord.
- Extraordinaire ! Donc demain, tu pars à Jakarta. Il faut bien tout enregistrer, il n’y aura personne pour te le redire. Quartier Senayan, dans la rue Jalan Senopati, il y a un restaurant : le Émilie. Tu rentreras à dix-neuf heures heure locale avec les mêmes vêtements que tu portes aujourd’hui. On te donnera une enveloppe que tu dois remettre à Stockholm. En Suède, tu trouveras un pressing rue Karlavâgen à côté du musée d’Histoire. Tu remettras l’enveloppe à une femme. Elle se trouve dans ce pressing tous les jours. Ensuite, tu attends le lendemain, dans l’après-midi avant d’y retourner.
- Et ensuite demanda Sandra ?
- Ensuite, si tout se passe comme prévu, on te dirigera sur Beyrouth. Mais déjà ça. As-tu bien enregistré ?
- Oui, je crois, le Émilie puis le pressing mais comment je vais là-bas, je veux dire financièrement ?
- Prends déjà cet argent, ça devrait couvrir plusieurs jours, c’est des dollars, il te faudra les changer au fur et à mesure.
- Ouf ! je ne me voyais pas payer tous ces voyages.
- L’argent, c’est le problème. Ce que je t’ai donné, c’est le mien, celui que je gagne comme instituteur. Pour que les choses changent, c’est à nous de payer ! En fait, on te remettra de l’argent pour cette preuve, mais cet argent, il ne sera pas pour toi, du moins, juste une petite partie pour tes frais, le reste c’est pour acheter de nouvelles preuves. Voilà le système, le monde tourne ainsi, que veux-tu.
- Et la suite ?
- Je n’en sais pas plus, on te le fera savoir en temps voulu.
- Et comment je peux me rendre compte de toutes vos activités, il n’y a pas un site Internet dédié, un nom, une édition, un journal ?
- Non, ça nous démystifierait. Tes futures actions seront matérialisées sur de nombreux journaux mêlées à l’actualité en générale. Ce serait facile autrement de déterminer les agents qui travaillent avec nous et de les éliminer. Le but est d’informer et d’apporter les preuves sans être identifié. Mais avec l’habitude, en lisant l’actualité, tu sauras reconnaître la main du réseau. Il faut que je te laisse maintenant. Ça va aller ?
- Oui, je crois, enfin, on verra.
- Il le faut mais ne t’inquiète pas, aujourd’hui tu ne risques rien encore, tu n’es pas assez impliquée. Un dernière chose cependant, ne parle à personne de tes activités évidement et n’oublie pas que tes faits et gestes sont comptés. Ok ?
- OK. (les deux n’ont pas la même graphie : « Ok » ou « OK » ?)
- Allez, je dois partir maintenant, mieux vaut que je ne reste pas trop longtemps avec toi. Ce fut un plaisir de te rencontrer. Adieu Sandra, dit-il en lui serrant la main.
- Adieu Charles, oui, un plaisir de te rencontrer… enfin espérons.
(pour introduire des répliques de dialogue, le trait d’union « - » ne suffit pas, il faut prévoir « – » et « — »)
Donc, mes remarques :
« quelle mouche l’avait piquée (Sandra) »
« Dans un dédale de ruelles commerçantes proches de china town, il la (et non « l’a ») perdit »
- Mr Ritz, demanda t-elle ?
- Euh ! Non ! Vous faites erreur, balbutia l’homme une fois remis de son émotion de trouver en face de lui la personne qu’il venait de perdre de vue.
- Pourquoi me suivez-vous alors ?
- C’est à dire, je ne sais pas, je… vous trouve séduisante.
- Et ça tombe bien qu’une femme séduisante vienne frapper chez vous. Alors pourquoi n’ouvrez-vous pas ?
- Mais qui êtes-vous, demanda-t-il semblant s’offusquer ? Qui vous a donné mon nom ? Comment connaissez-vous mon adresse ?
- Charles, un ami à vous que j’ai rencontré au hasard dans une association au Laos. Un architecte. Il pensait que vous accepteriez de me rencontrer.
- Bon, dit l’homme après un instant de réflexion, je vous offre un café ?
- Pourquoi pas.
- Oui, en effet, j’ai connu un Charles, architecte, mais cela fait bien deux ans que je n’ai pas de nouvelles
(pour introduire des répliques de dialogue, le trait d’union « - » ne suffit pas, il faut prévoir « – » et « — »)
- Il a simplement dit que nous avions des idées en commun, dit-elle. Il avait l’impression de vous entendre en m’écoutant.
- Mais cela ne suffit pas pour se déplacer jusqu’ici, que vous a-t-il dit d’autre ?
- Juste ça.
(pour introduire des répliques de dialogue, le trait d’union « - » ne suffit pas, il faut prévoir « – » et « — »)
- Écoutez…
- Sandra, dit elle
- Sandra, enchanté. Je m’appelle Charles moi aussi. Nos parents manquaient vraisemblablement d’imagination, n’est ce pas ? Comme notre ami en commun le souhaitait, faisons connaissance. Je suis professeur dans le lycée français de Kuala Lumpur depuis maintenant quatre années. J’aime ce pays. Mes élèves sont des adolescents doués et sérieux. Ce sont tous des enfants d’expatriés ou de Malais aisés. Je suis seul, je sors rarement et je dois être particulièrement inintéressant mais enfin si je peux vous rendre utile ?
- Pour être tout à fait honnête, Mr Ritz, je n’ai pas beaucoup de temps et à la vitesse où nous allons, nous n’aboutirons à rien. Charles m’a laissé entendre que vous apparteniez à un réseau. Je n’en sais pas davantage sur ce réseau. Aussi, je vois que vous êtes méfiants mais à partir de maintenant, soit vous me mettez dans la confidence et nous parlons sérieusement, soit nous arrêtons là !
- Écoutez Sandra
(pour introduire des répliques de dialogue, le trait d’union « - » ne suffit pas, il faut prévoir « – » et « — »)
- Avant de pouvoir t’en dire plus, je dois m’en (pourquoi « m’een » ? Il doit s’informer de quoi ? Je pense qu’un « m’informer » serait suffisant) informer. Comme je ne te connais pas, je fais confiance à Charles. Je te propose de nous revoir ce soir, vers dix-neuf heures, au Bijan Bar dans la rue Jalan Pahabat où tu es déjà passée plusieurs fois pour te rendre chez moi. Autre chose, ne viens plus
(pour introduire des répliques de dialogue, le trait d’union « - » ne suffit pas, il faut prévoir « – » et « — »)
« elle leur dirait tout simplement qu’elle avait trouvé son ami »
« reposée par la tranquillité du parc »
- J’ai de bonnes nouvelles, dit-il, tu ne pouvais tomber sur un jour plus clément. Nous avons décidé de t’utiliser, enfin si tu désires toujours t’engager ?
- Mais déjà, demanda Sandra, c’est quoi votre organisation, qu’est-ce que vous faites exactement ?
- Des whistle blower ! Nous sommes des whistle blower. En français, on pourrait dire des lanceurs d’alertes. Plus exactement, le réseau se fait appeler l’ODIC, l’Organisation de Diffusion des Informations Confidentielles divulguées par les whistle blower. Et qui sont-ils ? Ce sont des cadres de grandes sociétés, des hauts fonctionnaires d’états, des responsables militaires, n’importe qui en réalité mais ce sont des personnes ayant des informations graves et souvent compromettantes à divulguer alors qu’elles sont astreintes au secret professionnel. Et pourquoi le font-elles ? Parce qu’elles sont opposées aux projets en question ou considèrent comme un crime de le taire.
- Et quels sont ces projets si confidentiels, demanda Sandra sur le même ton ?
- Pas seulement des projets mais aussi des secrets d’états, ou encore des crimes, de la corruption, des délits d’initiés, des marchés frauduleux, mafia et mafieux, de montrer les réalités sociales, environnementales et économiques de projets que les protagonistes ont tout intérêt à cacher.
- Donc l’ODIC, votre organisation, diffuse des informations, c’est tout ?
- De façon résumée, oui. Mais d’abord, il faut obtenir ces informations : enquêter, soudoyer, prêcher le faux pour avoir le vrai etc.. Ensuite, les vérifier, très important ! Et enfin les diffuser : relais, contacts comme toi si tu participes, puis journalistes, police, juges, tribunaux, etc.
- Je ne comprends pas exactement pourquoi vous vous cachez quelque soit comment(on écrit plutôt : « quelle que soit la manière dont ») vous obtenez les informations ? Beaucoup de gens écrivent des livres, des articles et dénoncent sans être inquiétés.
- En France peut-être. Et encore. Va en Chine, ou dans de nombreux autres pays. L’information est hyper-contrôlée. Elle ne perce pas ou très difficilement. Et même dans nos démocraties, il n’est pas toujours facile de savoir la vérité. Certains dossiers ne sont ré ouverts que vingt ou trente ans après les faits.
- C’était vrai, se dit-t-elle.
- Mais surtout et c’est important, les whistle blower qui trahissent leur société ou leur état restent anonymes grâce à nos services. Ils savent qu’en nous transmettant les informations, elles ont toutes les chances de faire leur chemin alors qu’en les donnant directement à des journalistes, elles peuvent être rangées dans un tiroir, oubliées, étouffées ou rachetées. Pire, ça peut leur retomber dessus. Et parfois, le plus souvent, ceux contre qui nous luttons ont d’immenses ressources et ils sont prêts à tout pour éliminer ces fuites.
- Peux-tu me donner un exemple précis d’une « fuite » ou d’une information compromettante qui a été connue grâce à vous ?
- Par exemple, nous surveillons les marchés : en échange d’investissements, les prêteurs : états, banques, fonds monétaires, exigent des concessions. Souvent de privatiser les exploitations de matière première, l’eau, l’énergie etc. Mais personne ne vérifie qui rachète, dans quelles conditions et surtout les prêteurs sont souvent de mèche avec les acheteurs. Du coup, ils s’engraissent doublement : avec les intérêts du crédit et avec les bénéfices des sociétés privatisées. Bien que ces mécanismes soient complexes pour les non-initiés, ils représentent des milliards de dollars volés. Et c’est aussi notre rôle de faire connaître ces abus.
- Je ne comprends malheureusement rien à tout ça, avoua Sandra.
- Ce n’était qu’un exemple. En voici un autre plus facile à interpréter : parfois des compagnies mettent sur le marché des produits toxiques, pour ce faire, ils achètent les dirigeants des institutions de contrôles. Ensuite ils osent faire de la publicité mensongère pour vendre leurs produits supposés sains. Des années plus tard, la communauté internationale s’aperçoit des dégâts commis sur l’environnement et des nombreux décès ou maladies apparus. Mais il est trop tard. Le mal est fait. La vache folle, les hormones de croissance, le roundup etc. De plus, les dirigeants qui ont négocié (et non « négociés », le business négociés étant situés après le participe passé qui ne s’accorde pas avec le complément d’objet direct placé après lui) ces business ont été mutés pour organiser d’autres saloperies ailleurs. On juge alors la société comme personne morale et parfois elle paye mais toujours une misère par rapport aux profits que cette magouille a occasionnés.
- Maïs transgénique, lait contaminé, semis stériles pour que les gens doivent les racheter, continua-t-elle.
- Oui, il y a beaucoup d’exemples et ce n’est pas près de cesser. Il faut faire des profits quitte à polluer, à tuer même. Et c’est pourquoi, notre organisation, à mon sens (je pense qu’une virgule ici serait intéressante, pour compléter l’incise) est très importante. Réussir à dénoncer les faits au plus tôt. Réussir à provoquer des enquêtes, des recherches scientifiques indépendantes s’il se peut. Découvrir la vérité.
- Est-ce que je peux savoir comment vous fonctionnez, demanda Sandra ?
- Ce n’est plus un secret : nous utilisons Internet grâce à n’importe quel forum, blog ou site officiel à travers lequel nous filtrons les communiqués dans la masse d’informations. Mais il y a d’autres moyens et tu le verras par toi-même. L’ensemble de nos activités n’est pas arrêté. Il nous arrive même parfois de négocier, pour la bonne cause, avec des gens dont les idées, et pas seulement les idées, ne sont pas les nôtres, du moins pas les miennes. C’est à dire que nous échangeons parfois avec des terroristes, des dictateurs, des mercenaires, des extrémistes et j’en passe. Je te le dis car si tu te joins à nous, tu auras peut-être affaire à eux.
- Un bien grand dessein que voici mais qu’est-ce que je pourrais bien faire pour vous aider moi qui suis inculte et sotte ?
- Tu penses bien que si je t’ai raconté tout ça, ce n’est pas pour rien : nous avons parfois besoin de personnes comme toi, immaculées on pourrait dire, non fichées si tu préfères pour circuler sans crainte.
- Je ne vais pas servir de bombe humaine, c’est déjà ça.
- Pourquoi pas ! Enfin si, en quelque sorte. Une bombe à retardement qui explosera à la gueule de ceux qui sont exposés quand tu livreras le colis. Alors, oui ou non ?
- Que dois-je faire ?
- Livrer une enveloppe contenant des documents originaux qu’on ne peut pas envoyer.
- C’est tout.
- Oui, pour le moment.
- Alors d’accord.
- Extraordinaire ! Donc demain, tu pars à Jakarta. Il faut bien tout enregistrer, il n’y aura personne pour te le redire. Quartier Senayan, dans la rue Jalan Senopati, il y a un restaurant : le Émilie. Tu rentreras à dix-neuf heures heure locale avec les mêmes vêtements que tu portes aujourd’hui. On te donnera une enveloppe que tu dois remettre à Stockholm. En Suède, tu trouveras un pressing rue Karlavâgen à côté du musée d’Histoire. Tu remettras l’enveloppe à une femme. Elle se trouve dans ce pressing tous les jours. Ensuite, tu attends le lendemain, dans l’après-midi avant d’y retourner.
- Et ensuite demanda Sandra ?
- Ensuite, si tout se passe comme prévu, on te dirigera sur Beyrouth. Mais déjà ça. As-tu bien enregistré ?
- Oui, je crois, le Émilie puis le pressing mais comment je vais là-bas, je veux dire financièrement ?
- Prends déjà cet argent, ça devrait couvrir plusieurs jours, c’est des dollars, il te faudra les changer au fur et à mesure.
- Ouf ! je ne me voyais pas payer tous ces voyages.
- L’argent, c’est le problème. Ce que je t’ai donné, c’est le mien, celui que je gagne comme instituteur. Pour que les choses changent, c’est à nous de payer ! En fait, on te remettra de l’argent pour cette preuve, mais cet argent, il ne sera pas pour toi, du moins, juste une petite partie pour tes frais, le reste c’est pour acheter de nouvelles preuves. Voilà le système, le monde tourne ainsi, que veux-tu.
- Et la suite ?
- Je n’en sais pas plus, on te le fera savoir en temps voulu.
- Et comment je peux me rendre compte de toutes vos activités, il n’y a pas un site Internet dédié, un nom, une édition, un journal ?
- Non, ça nous démystifierait. Tes futures actions seront matérialisées sur de nombreux journaux mêlées à l’actualité en générale. Ce serait facile autrement de déterminer les agents qui travaillent avec nous et de les éliminer. Le but est d’informer et d’apporter les preuves sans être identifié. Mais avec l’habitude, en lisant l’actualité, tu sauras reconnaître la main du réseau. Il faut que je te laisse maintenant. Ça va aller ?
- Oui, je crois, enfin, on verra.
- Il le faut mais ne t’inquiète pas, aujourd’hui tu ne risques rien encore, tu n’es pas assez impliquée. Un dernière chose cependant, ne parle à personne de tes activités évidement et n’oublie pas que tes faits et gestes sont comptés. Ok ?
- OK. (les deux n’ont pas la même graphie : « Ok » ou « OK » ?)
- Allez, je dois partir maintenant, mieux vaut que je ne reste pas trop longtemps avec toi. Ce fut un plaisir de te rencontrer. Adieu Sandra, dit-il en lui serrant la main.
- Adieu Charles, oui, un plaisir de te rencontrer… enfin espérons.
(pour introduire des répliques de dialogue, le trait d’union « - » ne suffit pas, il faut prévoir « – » et « — »)
Invité- Invité
Re: Passion dissidente
Lala, le travail de Socque ! Total respect !
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
Re: Passion dissidente
J’ai lu la version remaniée d’une traite, je n’aime pas trop lire par épisodes. J’ai trouvé l’histoire pas mal, ça se tient et l'on a envie de connaître la suite. Par contre, le côté linéaire m’a un peu lassée, tout est dans l’ordre chronologique, c’est vraiment une histoire racontée comme on le ferait oralement. Donc, pour moi, le point de vue narratif de l’auteur devrait être plus présent, il faudrait peut-être accentuer le fait que le récit est tel parce qu’il est vu par ses yeux. Il me manque aussi un petit peu de couleur locale, quelques descriptions pour me faire voyager, rendre un peu plus l’ambiance des lieux. Pour le reste, je crois que tu tiens un bon sujet qui vaut certainement le temps que tu y consacres.
abstract- Nombre de messages : 1127
Age : 55
Date d'inscription : 10/02/2009
Re: Passion dissidente
Je profite que mon texte soit en haut...
Tout d'abord comme toujours, merci à vous Socque de me lire et de me corriger ainsi. J'espère que mon orthographe continuera de s'améliorer et ce grâce à vous, c'est certain.
Abstract, "le point de vue narratif de l'auteur devrait être plus présent", ça m'intéresse ! Je le pense aussi depuis un moment. J'ai d'ailleurs glissé une ou deux lettres de Simon mais en y repensant, c'est trop peu et je ne sais pas si c'est la bonne solution.
Sinon est-ce simplement de cette manière que je pourrais rendre le texte plus vivant, moins chronologique, didactique...? C'est une idée qui fait son chemin depuis un moment et je vais essayer.
Quelques souvenirs sympa, les passages le plus chiants ?
Merci en tout cas, c'est déjà beaucoup.
Tout d'abord comme toujours, merci à vous Socque de me lire et de me corriger ainsi. J'espère que mon orthographe continuera de s'améliorer et ce grâce à vous, c'est certain.
Abstract, "le point de vue narratif de l'auteur devrait être plus présent", ça m'intéresse ! Je le pense aussi depuis un moment. J'ai d'ailleurs glissé une ou deux lettres de Simon mais en y repensant, c'est trop peu et je ne sais pas si c'est la bonne solution.
Sinon est-ce simplement de cette manière que je pourrais rendre le texte plus vivant, moins chronologique, didactique...? C'est une idée qui fait son chemin depuis un moment et je vais essayer.
Quelques souvenirs sympa, les passages le plus chiants ?
Merci en tout cas, c'est déjà beaucoup.
Dilo- Nombre de messages : 65
Age : 46
Date d'inscription : 08/02/2010
Re: Passion dissidente
Bon, j'ai juste lu un petit passage pour me faire une idée : je suis rassuré sur ton emploi du mot "tafiole" : c'est de l'humour. Ouf !
Je deviens parano sur ces forums. C'est pire que la jungle où tu situe l'action du passage que je viens de lire. J'ai trouvé ça prenant. j'ai pas le temps de lire aujourd'hui. Mais je vais revenir.
Je deviens parano sur ces forums. C'est pire que la jungle où tu situe l'action du passage que je viens de lire. J'ai trouvé ça prenant. j'ai pas le temps de lire aujourd'hui. Mais je vais revenir.
Invité- Invité
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