Un cric dans le désert
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Un cric dans le désert
Il marchait sur la route poudreuse et interminable. Il en avait assez ! Le soleil déjà haut se faisait de plus en plus ardent.
Lui qui, depuis toujours, n’aspirait qu’à une vie tranquille et bien réglée, pourquoi fallait-il que sa femme le plonge systématiquement dans des situations invraisemblables ?
Au lieu de se contenter de la jolie route qui surplombe la mer, ils avaient poussé l’exploration sur un chemin de terre qui sinuait en contrebas avant de disparaître, conduisant à une crique improbable. Et voilà qu’ils venaient de crever en rase campagne, la roue de secours était dégonflée et, de toute évidence, elle avait oublié le cric dans un coin du garage.
Elle s’était proposée pour partir en éclaireuse jusqu’à la pointe voisine et, de retour, lui avait assuré qu’elle avait vu une maison se profiler au loin. Ils pourraient certainement demander du secours. Puis, comme toujours, elle l’avait désigné « volontaire ». Il avait donc laissé sa femme près du véhicule, inutile de faire la route à deux et mieux valait que l’un d’eux reste sur place. Sait-on jamais ?
Non, il en avait assez ! Chaque fois le même cinéma. Elle avait le don de reprendre ses yeux innocents et son sourire à fossettes. Il se laissait désarmer comme aux premiers jours. Mais cela ne pouvait plus durer, non, on ne l’y prendrait plus.
Il avançait et, à chaque pas, la terre poudreuse collait dans ses sandales, entre ses orteils. Le soleil était devenu cuisant pour son crâne dégarni, la sueur perlait de son front. Et pas le moindre filet d’eau pour humecter son gosier desséché. A gauche le maquis, des buissons plus grands, des buissons plus petits. A droite, des bouquets de pins d’où montait le chant des cigales. A travers les arbres, on apercevait la mer, la mer éblouissante et une frêle embarcation.
N’avait-elle pas failli le noyer déjà l’an dernier ? Ils étaient partis en voyage itinérant du côté de la Chalcidique. Il avait tout planifié, tout prévu, tout calculé. Et les vacances se déroulaient à merveille. Pourquoi fallait-il toujours qu’elle cherche à jouer aux explorateurs ? Arrivés dans un port idyllique où il aurait fait bon prendre son temps, siroter un café frappé et déguster une bonne pâtisserie locale, elle s’était littéralement émerveillée devant une rangée d’esquifs surmontés d’une petite bâche. Sur une pancarte on lisait : « Location à la journée ». Elle lui avait glissé un regard entendu, mais lui aussitôt s’était récrié : « Ah non alors ! Ce sont des barques à noyer les touristes ! » Puis elle était revenue à la charge et, finalement, ils avaient traversé l’anse pour atteindre les îlots d’en face. Après avoir caboté tant bien que mal, un vent s’était levé vers l’après-midi, un vent menaçant. Du bord de l’eau, un pêcheur leur avait fait comprendre, avec force gestes, qu’ils avaient intérêt à repartir au plus vite et à mettre le cap sur un amas de gros rochers plein sud. Cette fois, il avait pris le gouvernail. L’embarcation se tenait à grand peine sur les flots et, une vague sur deux, les hélices tournaient à vide, comme un mixer en folie. Ce jour-là, il l’aurait volontiers réduite en bouillie…
A présent, les cigales crissaient. Leur chant s’amplifiait et retentissait d’un point à l’autre de l’horizon. Il longea deux ou trois ruches et, instinctivement, allongea le pas. La sueur avait coulé jusqu’à ses sourcils et, par moments, l’aveuglait. Mais comment peut-on vivre dans ce trou perdu ? Décidément la situation n’est pas tout miel pour moi. Qui me dit d’ailleurs que je trouverai quelqu’un à l’arrivée ? Et si je crie dans le désert ? Espérons qu’on va m’ouvrir la porte, me parler. Et si l’homme tourne les talons ? Et s’il fait mine d’aller chercher quelque chose et revient les mains vides ? Zut alors ! C’est encore moi qui dois aller frapper chez des inconnus… Oh ! Cette chaleur, cet air qui tremble comme de la gélatine, on dirait un mirage. « Pardon, monsieur, auriez-vous un cric par hasard ?... Comment ? Vous n’avez pas compris ? C’est un cric, monsieur, qu’il me faut. Un cric, CRI-CRI-CRI !»
Il franchit les derniers mètres à la course, il cogne à la porte. Un pas furtif se fait entendre, la porte s’ouvre : des yeux innocents et un sourire à fossettes ! Il bondit comme un ressort et lui assène un direct du droit, suivi d’un uppercut bien placé. Elle s’effondre… sans un cri.
Lui qui, depuis toujours, n’aspirait qu’à une vie tranquille et bien réglée, pourquoi fallait-il que sa femme le plonge systématiquement dans des situations invraisemblables ?
Au lieu de se contenter de la jolie route qui surplombe la mer, ils avaient poussé l’exploration sur un chemin de terre qui sinuait en contrebas avant de disparaître, conduisant à une crique improbable. Et voilà qu’ils venaient de crever en rase campagne, la roue de secours était dégonflée et, de toute évidence, elle avait oublié le cric dans un coin du garage.
Elle s’était proposée pour partir en éclaireuse jusqu’à la pointe voisine et, de retour, lui avait assuré qu’elle avait vu une maison se profiler au loin. Ils pourraient certainement demander du secours. Puis, comme toujours, elle l’avait désigné « volontaire ». Il avait donc laissé sa femme près du véhicule, inutile de faire la route à deux et mieux valait que l’un d’eux reste sur place. Sait-on jamais ?
Non, il en avait assez ! Chaque fois le même cinéma. Elle avait le don de reprendre ses yeux innocents et son sourire à fossettes. Il se laissait désarmer comme aux premiers jours. Mais cela ne pouvait plus durer, non, on ne l’y prendrait plus.
Il avançait et, à chaque pas, la terre poudreuse collait dans ses sandales, entre ses orteils. Le soleil était devenu cuisant pour son crâne dégarni, la sueur perlait de son front. Et pas le moindre filet d’eau pour humecter son gosier desséché. A gauche le maquis, des buissons plus grands, des buissons plus petits. A droite, des bouquets de pins d’où montait le chant des cigales. A travers les arbres, on apercevait la mer, la mer éblouissante et une frêle embarcation.
N’avait-elle pas failli le noyer déjà l’an dernier ? Ils étaient partis en voyage itinérant du côté de la Chalcidique. Il avait tout planifié, tout prévu, tout calculé. Et les vacances se déroulaient à merveille. Pourquoi fallait-il toujours qu’elle cherche à jouer aux explorateurs ? Arrivés dans un port idyllique où il aurait fait bon prendre son temps, siroter un café frappé et déguster une bonne pâtisserie locale, elle s’était littéralement émerveillée devant une rangée d’esquifs surmontés d’une petite bâche. Sur une pancarte on lisait : « Location à la journée ». Elle lui avait glissé un regard entendu, mais lui aussitôt s’était récrié : « Ah non alors ! Ce sont des barques à noyer les touristes ! » Puis elle était revenue à la charge et, finalement, ils avaient traversé l’anse pour atteindre les îlots d’en face. Après avoir caboté tant bien que mal, un vent s’était levé vers l’après-midi, un vent menaçant. Du bord de l’eau, un pêcheur leur avait fait comprendre, avec force gestes, qu’ils avaient intérêt à repartir au plus vite et à mettre le cap sur un amas de gros rochers plein sud. Cette fois, il avait pris le gouvernail. L’embarcation se tenait à grand peine sur les flots et, une vague sur deux, les hélices tournaient à vide, comme un mixer en folie. Ce jour-là, il l’aurait volontiers réduite en bouillie…
A présent, les cigales crissaient. Leur chant s’amplifiait et retentissait d’un point à l’autre de l’horizon. Il longea deux ou trois ruches et, instinctivement, allongea le pas. La sueur avait coulé jusqu’à ses sourcils et, par moments, l’aveuglait. Mais comment peut-on vivre dans ce trou perdu ? Décidément la situation n’est pas tout miel pour moi. Qui me dit d’ailleurs que je trouverai quelqu’un à l’arrivée ? Et si je crie dans le désert ? Espérons qu’on va m’ouvrir la porte, me parler. Et si l’homme tourne les talons ? Et s’il fait mine d’aller chercher quelque chose et revient les mains vides ? Zut alors ! C’est encore moi qui dois aller frapper chez des inconnus… Oh ! Cette chaleur, cet air qui tremble comme de la gélatine, on dirait un mirage. « Pardon, monsieur, auriez-vous un cric par hasard ?... Comment ? Vous n’avez pas compris ? C’est un cric, monsieur, qu’il me faut. Un cric, CRI-CRI-CRI !»
Il franchit les derniers mètres à la course, il cogne à la porte. Un pas furtif se fait entendre, la porte s’ouvre : des yeux innocents et un sourire à fossettes ! Il bondit comme un ressort et lui assène un direct du droit, suivi d’un uppercut bien placé. Elle s’effondre… sans un cri.
Invité- Invité
Re: Un cric dans le désert
C'est vivant, rythmé, d'une charmante sagesse, mais... j'ai raté la marche pour mieux chuter. En d'autres mots, je n'ai pas compris. S'agit-il de sa femme qui ouvre la porte ? Téléportée alors ?
Invité- Invité
Re: Un cric dans le désert
On n'a jamais intérêt à ressembler à quelqu'un !
Pas mal, écriture vive, peut-être un poil de longueur entre les cigales et CRI CRI CRI ?
Pas mal, écriture vive, peut-être un poil de longueur entre les cigales et CRI CRI CRI ?
Invité- Invité
Re: Un cric dans le désert
Une écriture agréable et qui m’a bien fait entrer dans les pensées du mari à bout qui a un coup de chaud, dans tous les sens du terme. Bien aimé la construction, avec les éléments du paysage qui guident les pensées, comme la frêle embarcation rappelant les vacances précédentes ou les ruches induisant une allusion au miel, sans oublier le cric des cigales.
Les hélices mixer en folie qui lui donnent envie de la réduire en bouillie m’ont fait sourire.
En revanche la chute n’est pas d’une limpidité absolue, on comprend que la femme qui ouvre a le malheur d’avoir les mêmes yeux innocents et le sourire à fossettes qui le fait définitivement dérailler. Mais il manque peut-être un mot, une phrase pour ce soit évident, là j’ai dû relire. Ceci dit ça vient peut-être de moi.
Bienvenue !
Les hélices mixer en folie qui lui donnent envie de la réduire en bouillie m’ont fait sourire.
En revanche la chute n’est pas d’une limpidité absolue, on comprend que la femme qui ouvre a le malheur d’avoir les mêmes yeux innocents et le sourire à fossettes qui le fait définitivement dérailler. Mais il manque peut-être un mot, une phrase pour ce soit évident, là j’ai dû relire. Ceci dit ça vient peut-être de moi.
Bienvenue !
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
AW.
Bonjour,
La roue de secours dégonflée, le cric resté dans un coin du garage ... la voiture de madame, non ?
Le simple prêt d'un cric ne servirait à rien, il faudrait aussi une autre roue, gonflée celle-là !
Excellente description de la situation néammoins ...
Bienvenue sur VE !
Amicalement,
Midnightrambler
La roue de secours dégonflée, le cric resté dans un coin du garage ... la voiture de madame, non ?
Le simple prêt d'un cric ne servirait à rien, il faudrait aussi une autre roue, gonflée celle-là !
Excellente description de la situation néammoins ...
Bienvenue sur VE !
Amicalement,
Midnightrambler
midnightrambler- Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010
Re: Un cric dans le désert
J'ai trouvé que l'ambiance était très bien posée, on s'y croit vraiment. Cependant, la chute, je ne suis pas bien sûr d'avoir tout compris (c'est la même femme ou ça en est une autre) et puis, de toutes manières, elle est trop vite amenée, on a l'impression d'un truc bâclé pour boucler le tout.
Invité- Invité
Re: Un cric dans le désert
En fait, j'avais très envie de créer une ambiguité. Et si la chaleur donnait le vertige...
Invité- Invité
Re: Un cric dans le désert
Bonjour,
Cette lecture a été agréable.
J'aime comme l'ambiance est amenée, comme la chaleur et la solitude laissent libre cours aux souvenirs. Je ne doute pas qu'il n'y ait une roue de secours dans la voiture. Mais effectivement, la fin m'a un peu laissée sur ma faim. Délire dû à la chaleur, ou simple ressemblance? Elea a déjà tout dit et bien mieux que moi.
Merci de cette lecture.
Cette lecture a été agréable.
J'aime comme l'ambiance est amenée, comme la chaleur et la solitude laissent libre cours aux souvenirs. Je ne doute pas qu'il n'y ait une roue de secours dans la voiture. Mais effectivement, la fin m'a un peu laissée sur ma faim. Délire dû à la chaleur, ou simple ressemblance? Elea a déjà tout dit et bien mieux que moi.
Merci de cette lecture.
Aire__Azul- Nombre de messages : 474
Age : 58
Localisation : TOULOUSE
Date d'inscription : 30/03/2010
Re: Un cric dans le désert
Dans toute la partie du bateau, j'ai un peu regretté l'absence du passé simple, qui aurait posé des balises un peu plus franches dans ce récit qui va vite. J'ai imaginé ma fin bien entendu, dans le trouble de la rapidité. une fin de coquin; bien évidemment, mais vous avez commenté dans le sens d'une liberté d'interprétation, donc je garde la mienne. Bravo pour l'œil d'aigle de midnightrambler, à qui rien n'échappe.
Invité- Invité
Re: Un cric dans le désert
A-t-il une pompe au moins pour regonfler la roue ? :-)
La tension est là, tu joues avec ce ton crescendo qui doit faire comprendre au lecteur que la chaleur et la nervosité peuvent faire perdre tous ses moyens, au point de devenir dingo et/ou commettre l'irréparable. C'est justement cette manière de faire qui met en avant le gros déséquilibre entre le texte et les dernières lignes, celles qui devraient faire ouvrir la bouche de surprise ou d'admiration.
Les 4/5e du textes se perdent parfois en détails, tu tiens à tout prix à faire ressentir la chaleur, la torpeur, l'impuissance et tous ces sentiments qui s'emparent du bonhomme partis en quête du graal. Alors je me dis qu'autant d'efforts pour ça, c'est un peu dommage, presque du gâchis d'écriture. La fin aurait dû être plus percutante, ne pas espérer compter jouer sur l'ambiguïté pour être efficace mais être tout simplement efficace sans artifices. Du coup, j'ai l'impression que presque tout le texte n'est qu'un attrape-lecteur, histoire de le distraire, de détourner son attention de certaines faiblesses en espérant que la fin le clouera au sol... raté de mon côté, désolée. Sans doute conviendrait-il d'épurer quelque peu le début, histoire de rendre la fin plus dense et plus conforme au désir du texte, celui de surprendre.
La tension est là, tu joues avec ce ton crescendo qui doit faire comprendre au lecteur que la chaleur et la nervosité peuvent faire perdre tous ses moyens, au point de devenir dingo et/ou commettre l'irréparable. C'est justement cette manière de faire qui met en avant le gros déséquilibre entre le texte et les dernières lignes, celles qui devraient faire ouvrir la bouche de surprise ou d'admiration.
Les 4/5e du textes se perdent parfois en détails, tu tiens à tout prix à faire ressentir la chaleur, la torpeur, l'impuissance et tous ces sentiments qui s'emparent du bonhomme partis en quête du graal. Alors je me dis qu'autant d'efforts pour ça, c'est un peu dommage, presque du gâchis d'écriture. La fin aurait dû être plus percutante, ne pas espérer compter jouer sur l'ambiguïté pour être efficace mais être tout simplement efficace sans artifices. Du coup, j'ai l'impression que presque tout le texte n'est qu'un attrape-lecteur, histoire de le distraire, de détourner son attention de certaines faiblesses en espérant que la fin le clouera au sol... raté de mon côté, désolée. Sans doute conviendrait-il d'épurer quelque peu le début, histoire de rendre la fin plus dense et plus conforme au désir du texte, celui de surprendre.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
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