Exo journal : Journal d’une électrone libre

Kakano, 21 mars antidaté

Cher décor,
Je sors de la résidence HAVL SPIN 1/2. Il est 7h30. Depuis hier nous avons quitté l’axe de la ligne solaire en éclipse sur Maginot mais l’air est saturé de Thorium 250. J’aime ça. Les petites brûlures excitantes dans mes narines, rougies par l’éclatement quotidien de mes vaisseaux sanguins, me font oublier ce point de côté lancinant qui m’empêche de porter des strings compacts rétractables 100%. Le ciel est tendu au maximum d’un revêtement cobalt passé à la lixiviation. Gérard, le gardien grassement payé en stocks options, a dû replacer quelques chants d’oiseaux dans les branches plastifiées car j’entends le ronron familier de la pie voleuse. A moins que ce ne soit le compteur Geiger-Müller branché sur les résidents ? Je ne me lasse pas d’écouter le grésillement des radionucléides et l’affolement d’un locataire quand on lui découvre un taux anormal de rayons gamma. Empaquetage immédiat et direction la cellule d’isolement. La plupart du temps un appartement se libère et je peux de la sorte choisir mes voisins. Gain de rencontres et d’obligations sociales. Je me sens d’une humeur gonflée à l’hélium. Le printemps synthétique me fait encore cet effet là, grâce aux hormones retraitées et réinjectées après prélèvement sur porteur sain. J’ai le privilège d’être suivie par le grand Nesol spécialiste des implantations.
Si je m’écoutais, je marcherais d’un bon pas en flânant. Depuis combien de temps n’ai-je pas regardé les aérosols le long de la rue ? La dernière fois c’était en…J’étais encore une gamine à vrais poumons et orteils souples. Je pouvais courir sans m’essouffler. Si je me souviens correctement il me semble même que je riais. Quelques spécimens de philosophes conservés dans nos laboratoires répètent à l’envi et sur nos portables nano cellulaires, que le rire est le syndrome du bonheur. Nous laissons dire, la pensée étant obsolète elle ne peut nuire à l’IA que nous implantons dans les cortex. L’ennui avec la saison que ces vieux machins surnomment « printemps » c’est qu’elle s’accompagne de scories : fuite du temps relatif et non quantique, flots de gribouillis derrière les yeux, et vagues pincements de l’aorte. Passons.
Ce matin la brise artificielle me renvoie un parfum suave de jonquilles piquées dans les massifs désamiantés. Mêlé à un je ne sais quoi d’oublié un peu écœurant.

Parfum de la terre ou parfum délétère ? Je n'ai pas la réponse mais j'adore cette ambiance.

Un texte pas piqué des jonquilles ! M’est pourtant avis que peu de choses poussent dans ce monde, excepté les membres peut-être ?

Gérard est-il hormoné ?

Sans compter le fait que je n'ai pas compris la moitié des termes du texte (je suis un pur littéraire...), j'ai bien aimé son développement et l'idée qu'elle propose. Tu maîtrises le sujet technique, mais aussi cette nostalgie des sentiments qui est compréhensible.

Ba.
Tu veux pas être ma mère ?
mes vieux je ne sais pas pourquoi je ne les comprends pas
avec toi, ce serait plus clair.

Cher moi,
Je m’appelle Becreline de la Fissure, spécialiste en fission nucléaire accidentelle. Parvenue à la quarantaine rugissante, je fraye au dernier étage du siège social. Je suis devenue, depuis trois jours, la vice-présidente du consortium « Caser les stériles non exploitables » en Afrique. Que me reste-t-il à ronger ? Plus grand-chose. J’ai adroitement liquidé mes partenaires sociaux, le reste d’une famille encombrante clouée à la vertu du tout « biomasse », et délocalisé la concurrence en terre Adélie. J’attends que le n°1, Fred le Baso, achève ses soins palliatifs en caisson plombé afin de pouvoir essuyer mes talons sur sa moquette.
Je suis la meilleure dans le secteur. La plus moche, mais la meilleure.
Je prends soin tous les soirs de poser un masque élastique sur mon visage. Quelques séances de blépharoplastie, une ou deux injections d’acide hyaluronique et me voilà lisse, vierge, et inoffensive. Je fais vingt ans tout compris !
Quelle jouissance que de voir l’hôtesse d’accueil Adeline Tomic me saluer en craquant des reins. Quel sentiment de puissance quand je sens le souffle caramélisé et acide de Kafadette Aldente, le délégué libyen à l’énergie atomique.
Au passage, il faudra lui fourguer deux centrales à celui-là. Nos derniers modèles périmés n’ont pas trouvé preneur en Haïti, à cause de qui ? A cause de cet incapable de Thomas d’Aquin, BTS de fusion fictive, pauvre moule ! A expédier au service « liquidation »…Dès la mort du cancéreux, son père adoptif.
Bref.
Me voilà en vue de mon bureau au 18ème étage, tour nord. Tomic doit sûrement me guetter…

Découvert dans la perfusion de Becreline :

Sonnet saturé

Mon déchet, mon neutron
La rage folle m'enivre
De ne pouvoir survivre
Au dernier électron

Dans une rime cellophane
Suinte la déjoint’ hure
De la molle aventure
Du rire d’Aristophane

Ô graphite, ma graphiste !
Diamant noir ou beau kyste
Déjà césium transporte

Ficelé dans l’atome
Le creuset de l’angiome
Au visage de la morte

Tomic Aline, hôtesse service accueil, dédié(e) à Becreline de la Fissure n°2 de la hiérarchie, avec tout son amour atomisé.

Ah, voilà enfin une histoire d'amour fissionnel !

Quel monde sympathique et convivial ! On brûle d'envie d'y partir en excursion. Avec bobonne, les marmots, la beldoche, le hamster et les poissons rouges. Aucune ressemblance avec celui où nous vivons, naturellement, sauf pure coïncidence. Au retour on oublierait là-bas le hamster et la beldoche. Au moins. Jamais pu supporter cette sale bête au poil mité, aux dents jaunes et aux yeux vicieux en boutons de bottine. Je veux parler du hamster naturellement. Quoique...

Le sonnet de Miss A. Tomic vaut son pesant de plutonium...

Jouissif ! Encore...

Mieux que Dallas ton univers impitoyable

Je viens de relire, histoire de bien commencer la journée : c'est vraiment très très drôle, Ba ! Tu devrais nous en faire plus souvent.

Coucou !
Parfois Coline a raison (...): oui, inventifs, fins et drôles, tes textes. J'aime particulièrement les trouvailles du premier.
Bravo!

Sine die

Qu’est-ce que je disais, la petite Tomic me fait de plus en plus du « rentre ailleurs », je dois dire qu’elle tente le tout pour le tout, la dernière en date, ce délicieux texte sur pixel, un sonnet paraît-il. Je me demande si je vais répondre par une invitation au self du centre de dépression. Ma position ne me permet pas de me compromettre avec une subalterne, mais en même temps il serait bon que j’amortisse mes piqures et mes succions. Cela dit Kafadette est aussi tentant dans un autre genre et beaucoup plus rembourré côté avenir.
Regarde, mon alter, comme elle plie l’échine quand je pénètre dans le hall. Elle en fait trop. Ça sent le radium. Tu ajoutes une pincée de pollen reconstitué et tes glandes salivaires crèvent la zone d’alerte. D’un autre côté, qui ne piste rien… Elle me suit des yeux. Je sens mes genoux ligamenteux tricoter un doucereux porridge. Je ne vais pas trébucher tout de même. Si, j’ai manqué la borne identitaire. Elle doit bien rire la petite grue hormonée. « Ne te retourne pas Becreline, regarde où tu plantes tes aiguilles » Ah, je sens mon plastique thiroydal décongeler du globule, une fragmentation irradie mes cervicales, je picote sur le haut voltage, que dis-je, j’exalte mes dernières plaquettes, je brûle mes condensateurs, je tourbillonne de la molécule, ah…

Trouvé sur le disque dur de Becreline :
Je me demande si je ne suis pas entrain de couver un vicieux folliculaire…

Cher centrino,

Je suis Aline Tomic, débutante au service accueil de l’immense tour HAVL SPIN 1/1. Tu sais, toi qui me connais bien, combien je suis fière d’appartenir par tous les atomes crochus, à cette société. Il m’a fallu avaler bien des électrons pour me hisser à ce poste, mais le « voleur n’attend pas le nombre des damnés » comme dit Becreline la boss de l’ultime strate. Je finirai bien par l’avoir elle aussi, comme tous les autres que j’ai croqués en deux coups de gencives.
La patience est la mère des tutus. Je commence en douceur, genre trucs à la guimauve sonnés. Pour ça la vieille de « l’escalator zone est » m’est bien utile. A ce qu’elle raconte elle aurait écrit jadis sur un site mort « VE », intraduisible acronyme : « vol enterré ? » « Valeur éléphantesque ? » « Vivez entiers ? », encore une vieille qui n’a plus toute sa tête, elle se croit toujours dans un jeu virtuel « Je tais un autre ». Enfin, pour écrire cette m…à Becreline il m’a fallu supporter trois séances de versification sur le rondeau de Saucisselle, illustre inconnu du siècle passé, trois leçons sur l’heptamètre bancal, et tendre ma joue abricot à ses chicots. Pouah !. Mes efforts ont été récompensés car depuis que la boss a glissé son œil, enfin ce qui lui sert d’œil, sur mon poème, elle me regarde autrement. Suffit de claquer de la moelle pour qu’elle s’imagine que l’on va fusionner. Douce gourde en eau lourde ! J’aurais préféré « l’adopté » du super boss, mais il paraît qu’il préfère les automates russes.
Tiens, la voilà qui arrive montée sur ses échasses, moches jambes en poteau, gueule de travers, bouche immonde sans lèvres, " allez courage Adeline, courbe ton joli dos devant le spectre qui passe"...

Quand c’est bien fait, le parallèle entre deux pensées qui se télescopent sur un même fait est un régal. Ici c’est un divin banquet !

Ve ? Vertige électronique ? Virus endogéne qui rend jubilatoire l'acquisition de données essentielles telles que " la patience est la mère des tutus"

VE... en fusion totale ! j'ai fait l'acquisition d'un compteur Geiger pour pouvoir te lire sans explosion fatale.

On vient de me transporter dans la boîte 2032, casier 18, rangée 8540, couloir B, escalator D. J’ai perdu mes soupapes de sécurité dès que je suis entrée dans le sas de vérification Césium 137. Il paraît que mes globules se sont affolés à la vue de Tomic Adeline, la jeune hôtesse d’accueil. Incompréhensible. Gérard vient d’être démis de ses fonctions de gardien à cause de l’idée saugrenue d’installer un printemps « comme si vous y étiez » moins les allergisants. L’air trop aéré m’a été fatal. Nesol est penché au-dessus de ma cage thoracique reconstituée et branle du chef. Sale figure. Je sens comme la roue qui tourne sans la souris. Suis-je la souris absente désormais ? Quelqu’un tripote mes articulations en TEP, on me prépare au clampage aortique avant hypoxie.
Quelqu’un chuchote sous l’éclairage que cette fois-ci je suis bonne pour la casse malgré mes 22 victoires sur les accidents nucléaires. Ce serait bien ridicule de s’affaisser parvenue au dernier étage, non ?
Si j’en réchappe, comme les autres fois, je jure devant le grand dividende, de ne plus lire de poésie aussi artificielle que l’air qu’on m’intube.
Que crèvent les bulles de sel d’uranium dans le Bug Crunch ! Que crèvent les battements irradiés de nos moteurs à implosion ! La rage m’étouffe sans m’ouvrir de perspectives. Je me sens aussi land qu’un terrain accidenté après météore. Vide et à poil de plastique.
J’entends comme un drôle de bruit, une roulette ? Une scie ? Oh non, ce n’est pas possible, pas maintenant, pas moi, pas devant vous…

J'aime vraiment. Encore, encore... ça sent le roman (feuilleton), cet exo !

Nous approchons du dénouement aléatoire voici les prémisses du printemps œstrogène


Je pense que l’on devrait retraiter ces déchets, je n’ai pas envie de payer l’amende « pollue toi toi-même », ni même m’enfermer deux jours dans ma cellule rédemptrice. Qu’elle drôle d’idée que de déposer le container devant ma porte. Ce n’est pas parce que je suis employé de la résidence que je dois traiter tous les cas, nom d’un radon ! Bon, ce que je gagne, c’est son appartement avec vue sur lac artificiel, je suis libre de le louer à qui je veux, eh, pourquoi pas la petite Tomic ? Elle va gagner sa rangée de crocs celle-ci, foi de Gérard !

Trouvé sur le lobe temporal droit de Becreline de la Fissure

En Voiture Alfred de la Clausule:
Ma foi c’est fait de moi, car le boss Baso
M’a contraint de lui faire une miso.
Cela me met en gerbe extrême.
Quoi ! treize ions, huit en os, cinq on sème
Je lui ferai presto la figure du cabot.
En voilà cinq pourtant sous le manteau
Faisons-en sept à glisser sur le paletot
Et puis croûtons la parure Ana t’aime.
Ma foi, c’est cuit.
Si je pouvais encor de mon râteau
Sarcler cinq balles je serais chapiteau ;
Mais cependant je suis folle du onzième,
Et tâte sans un murmure la croupe du douzième ;
En voilà treize crottés de mon chapeau
Ma foi, c’est cuit.

Merci cher Voiture de m’avoir permis d’atteler un tel équipage !

T'as raison. Plus c'est haut, plus la vue est belle ! Sur quoi ? ça s'est ton problème, mais tu vas le résoudre quoi qu'il t'en coûte.

C’est toujours un régal, retraiter les déchets j’adore. Sacrée morale, parvenu au dernier étage, on retombe en déchet à cause d’une jeunesse aux dents longues…

Le temps est idéal pour une fin banale

Breloques et ravissements, je suis perdue.
Quelques jours de règne et le caisson fissure
Mon béton armé.
Ainsi futile je fus
Reine et manante déchue
Pourtant tout semblait sourire pyroxène : l'augite et les oranges
Le cobalt et l’escalator
Pourquoi faut-il sans cesse que cesse le comment ?
Je passais particules de vent
Suspendue au cintre de la gloire
En ogive; je passai.
Ainsi fut-elle
Ainsi futile
Lente et brève à la fois je mus
Sans émouvoir les rires et les breloques des courants d’air
Ainsi fut-elle
Ainsi futiles demeurent les passagères amnésiques ;-)

La-dessus, tu lances un pétard sous les fenêtres des lecteurs et tu cours aussi vite que la pluie sur ton botox...

Nous sommes si futiles avec nos zapettes à la main !
Joli boulot Ba. Gingko Biloba.

J'ai jeté un oeil sur ce texte et ainsi énucléée, je me suis pris le pétard dans l'autre.
Maintenant j'ai une confiance aveugle dans les ingénieurs qui sortent de Centrale.

Je déclare forfait : deux synapses se sont touchés en cours de lecture et une petite fumée à l'odeur électrique m'est sortie par l'oreille gauche. Je dois changer mes fusibles !

Et une petite pirouette pour clore le tout en beauté botoxée !

Ba, je te crédite de tout ce que je ne comprends pas : j'aime tellement ce que je comprends !