L'exilée du val perdu
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L'exilée du val perdu
Je me suis retirée du monde il y a deux ans. Tout y devenait trop agressif pour moi. J’absorbais le malheur comme une éponge et rien ne m’essorait jamais.
J’ai eu la chance de pouvoir tout quitter, un refuge m‘attendait en altitude. Mes grands-parents paternels ont acheté et retapé une bergerie dans les Pyrénées, perdue au milieu de nulle part, à plusieurs kilomètres de la route. Pas d’eau courante, pas d’électricité, chauffage au poêle.
Par la fenêtre de la grande pièce principale, on aperçoit les pics éternellement enneigés. Devant l’épaisse porte en bois – coupée en deux parce que d’un bloc elle serait trop lourde à pousser ou tirer – il y a un monticule de pierres plates qui fait office de banc. J’aime m’y asseoir avec une boisson chaude pour admirer la vue sur la vallée, devant, et les montagnes, en face. Quand le brouillard me le permet. Parfois il ne se lève pas de la journée, me coupe plus encore du monde, m’enveloppe dans un cocon blanc, humide et protecteur. J’aime. Et puis le lendemain il entoure un autre sommet de ses filaments de barbapapa.
Je descends rarement au village, j’ai l’avantage d’avoir un voisin qui produit presque tout lui-même. Il n’est avare en rien sauf en paroles : un signe de tête, une poignée de main, les billets glissés prestement dans la poche du gilet et un réajustement de la casquette en guise de salut. Le marché est conclu et terminé, je n’ai plus qu’à remonter le chemin des noisetiers qui sépare nos deux bergeries. Une petite heure de marche les bras chargés et parfois une vache qui me regarde passer du pré d’à côté.
La seule chose de ma vie d’avant à laquelle je n’ai pas renoncé c’est le café. Mon rituel du matin : mettre la cafetière italienne à bouillir sur le bigourdan, attendre son sifflement et respirer l’odeur du café frais avant de réchauffer mes lèvres dedans. La température intérieure excède rarement dix-huit, quand je chauffe bien. Le matin il manque souvent cinq degrés, je m’emmitoufle dans une immense robe de chambre en laine, j’enfile des bottes par-dessus mes deux paires de chaussettes et je vais nourrir le poêle à bois. Dès que le feu prend, je coupe une ou deux tranches de la miche enveloppée dans un torchon et je les fait griller dessus. L’odeur et le goût me rappellent l’enfance, l’insouciance des jours passés en famille dans la bergerie. Elle s’appelle la grange du retour aux sources. Un nom prédestiné. A moins qu’il n’ait influencé mon choix.
Je suis partie sans rien, j’ai tout bazardé, les meubles, les vêtements et les soucis. Ici je réapprends à vivre des choses simples. Chercher, ramener et couper du bois. Soigner les ampoules que la hache me laisse. Me battre avec le temps de cuisson du poêle pour parvenir à un compromis entre cru et calciné. Apprécier la chair fumée des patates sous la cendre. Patienter le temps de remplir le tub d’eau chauffée. Descendre de temps en temps au village faire le plein de bougies, de recharges de gaz pour les lampes, et d’un peu d’épicerie.
Le reste du temps je lis, j’écris, je joue au scrabble, main gauche contre main droite, je fais des parties de Yam’s, des réussites. Je contemple les choses sans penser. Je contemple mes pensées, vides et sereines.
Le silence m’apaise, le silence du monde. Sinon, les sons, ça ne manque pas dans la montagne : craquements, animaux, vent dans les précipices, bois qui se consume, poutres qui travaillent, semelles humides sur le lino, pluie sur le toit, goutte à goutte des stalactites dans l’herbe. Les bruits de la vie.
L’autre jour j’ai glissé sur la pente en allant remplir mon casier de bouteilles à la source. Des chevaux étaient passés par là, le grillage dont j’avais entouré l’entrée pour la retrouver au milieu des herbes folles était tout piétiné, quelques cadeaux de crottins signaient le vandalisme.
Je ne leur en ai pas tenu rigueur, j’ai été chercher ma cisaille et j’ai tout refait. Pour la septième fois, je suis devenue une pro.
Puis je me suis assise sur le petit tabouret de bois que j’emmène quand je vais là-bas et j’ai regardé le liquide couler, l’écoutant me raconter des histoires d‘eau. Comme toujours, avant de partir, j’ai remercié la terre d’étancher ma soif. C’est pas que j’y crois vraiment mais il parait qu’il faut le faire, une superstition du coin. La rumeur indique que c’est pour cette raison qu’aucune source ne s’est jamais tarie ici. Je ne voudrais pas irriter la rumeur, je l’alimente bien assez comme ça. Il paraitrait que j’ai eu un chagrin d’amour, je laisse dire, c’est plus facile à assumer qu’un chagrin de mort.
L’hiver dernier il a fait trop froid pour que j’aille dormir à l’étage, j’ai descendu un gros matelas que j’ai couché au pied du poêle. Le soir, juste après la tombée de la nuit, je me glissais sous les deux couettes, et je regardais les lueurs du feu agonisant danser sur les murs blancs. La chorégraphie me berçait et je finissais par m’endormir en voyant toujours des ombres orangées bouger sous mes yeux fermés.
Là c’est le début du printemps, les herbes et les fleurs sauvages sont au plus haut, l’écobuage n’a pas encore commencé. Elles forment un tapis coloré, ondulant sous la brise, recouvrent mes jambes jusqu’à mi-cuisses et exhalent leur parfum à chacun de mes pas. J’apprécie leur compagnie pendant mes balades.
Je suis encore novice, il me reste tout à apprendre de leur langage. La semaine dernière j’ai bien vu qu’elles avaient changé de comportement, elles penchaient bizarrement, d’un côté puis de l’autre, sans logique ni harmonie. Une heure après, à peine, il y a eu les premiers éclairs suivis d’un coup de tonnerre effarant, à faire trembler une armée de kamikazes. J’étais trop loin pour rebrousser chemin, une clairière sans arbre m‘a accueillie, je me suis couchée sur le sol et j’ai attendu sous l’averse. L’orage était sublime, impétueux, sûr de lui et de sa force. La terre vibrait à chaque déchirement sonore, les traits blancs s’incrustaient de longues secondes dans le ciel obscurcit, le vent couchait les herbes et l’eau ruisselait sous mon corps. J’étais bien. Il a cessé d’un coup et le soleil a de nouveau pointé son nez, pas assez fort pour me sécher mais suffisamment pour faire briller les fleurs trempées. Je suis rentrée en courant et en riant, dispersant des gouttelettes autour de moi, comme un jeune chien fou qui s’ébroue.
J’ai une toux grave depuis, caverneuse, plus impressionnante encore qu’à l’époque où je fumais deux paquets par jour. J’applique la thérapie locale, en attendant que ça passe : miel chaud et séchage des bronches au soleil. Heureusement il cogne ces jours-ci. J’ai sorti le fauteuil en rotin, et je fais la sieste dessus après midi. J’intrigue visiblement les coccinelles et les papillons qui viennent me faire loucher sur le bout du nez et repartent affolés quand je cligne de l’œil. J’ai aperçu une limace sur le bout de ma botte, elle passait en bavant. Et quand je ne bouge pas trop, les oiseaux osent braver ma présence pour picorer les miettes que je leur laisse sur le rebord du bac à eau.
Demain j’irai chercher une miche toute fraîche et un bidon de lait chaud. Au retour je me ferai une tartine de crème sur laquelle je décortiquerai quelques jeunes noisettes. Puis je m’installerai sur le banc de pierre, j’ouvrirai un livre et j’attendrai que le soleil se couche sur la montagne.
J’ai eu la chance de pouvoir tout quitter, un refuge m‘attendait en altitude. Mes grands-parents paternels ont acheté et retapé une bergerie dans les Pyrénées, perdue au milieu de nulle part, à plusieurs kilomètres de la route. Pas d’eau courante, pas d’électricité, chauffage au poêle.
Par la fenêtre de la grande pièce principale, on aperçoit les pics éternellement enneigés. Devant l’épaisse porte en bois – coupée en deux parce que d’un bloc elle serait trop lourde à pousser ou tirer – il y a un monticule de pierres plates qui fait office de banc. J’aime m’y asseoir avec une boisson chaude pour admirer la vue sur la vallée, devant, et les montagnes, en face. Quand le brouillard me le permet. Parfois il ne se lève pas de la journée, me coupe plus encore du monde, m’enveloppe dans un cocon blanc, humide et protecteur. J’aime. Et puis le lendemain il entoure un autre sommet de ses filaments de barbapapa.
Je descends rarement au village, j’ai l’avantage d’avoir un voisin qui produit presque tout lui-même. Il n’est avare en rien sauf en paroles : un signe de tête, une poignée de main, les billets glissés prestement dans la poche du gilet et un réajustement de la casquette en guise de salut. Le marché est conclu et terminé, je n’ai plus qu’à remonter le chemin des noisetiers qui sépare nos deux bergeries. Une petite heure de marche les bras chargés et parfois une vache qui me regarde passer du pré d’à côté.
La seule chose de ma vie d’avant à laquelle je n’ai pas renoncé c’est le café. Mon rituel du matin : mettre la cafetière italienne à bouillir sur le bigourdan, attendre son sifflement et respirer l’odeur du café frais avant de réchauffer mes lèvres dedans. La température intérieure excède rarement dix-huit, quand je chauffe bien. Le matin il manque souvent cinq degrés, je m’emmitoufle dans une immense robe de chambre en laine, j’enfile des bottes par-dessus mes deux paires de chaussettes et je vais nourrir le poêle à bois. Dès que le feu prend, je coupe une ou deux tranches de la miche enveloppée dans un torchon et je les fait griller dessus. L’odeur et le goût me rappellent l’enfance, l’insouciance des jours passés en famille dans la bergerie. Elle s’appelle la grange du retour aux sources. Un nom prédestiné. A moins qu’il n’ait influencé mon choix.
Je suis partie sans rien, j’ai tout bazardé, les meubles, les vêtements et les soucis. Ici je réapprends à vivre des choses simples. Chercher, ramener et couper du bois. Soigner les ampoules que la hache me laisse. Me battre avec le temps de cuisson du poêle pour parvenir à un compromis entre cru et calciné. Apprécier la chair fumée des patates sous la cendre. Patienter le temps de remplir le tub d’eau chauffée. Descendre de temps en temps au village faire le plein de bougies, de recharges de gaz pour les lampes, et d’un peu d’épicerie.
Le reste du temps je lis, j’écris, je joue au scrabble, main gauche contre main droite, je fais des parties de Yam’s, des réussites. Je contemple les choses sans penser. Je contemple mes pensées, vides et sereines.
Le silence m’apaise, le silence du monde. Sinon, les sons, ça ne manque pas dans la montagne : craquements, animaux, vent dans les précipices, bois qui se consume, poutres qui travaillent, semelles humides sur le lino, pluie sur le toit, goutte à goutte des stalactites dans l’herbe. Les bruits de la vie.
L’autre jour j’ai glissé sur la pente en allant remplir mon casier de bouteilles à la source. Des chevaux étaient passés par là, le grillage dont j’avais entouré l’entrée pour la retrouver au milieu des herbes folles était tout piétiné, quelques cadeaux de crottins signaient le vandalisme.
Je ne leur en ai pas tenu rigueur, j’ai été chercher ma cisaille et j’ai tout refait. Pour la septième fois, je suis devenue une pro.
Puis je me suis assise sur le petit tabouret de bois que j’emmène quand je vais là-bas et j’ai regardé le liquide couler, l’écoutant me raconter des histoires d‘eau. Comme toujours, avant de partir, j’ai remercié la terre d’étancher ma soif. C’est pas que j’y crois vraiment mais il parait qu’il faut le faire, une superstition du coin. La rumeur indique que c’est pour cette raison qu’aucune source ne s’est jamais tarie ici. Je ne voudrais pas irriter la rumeur, je l’alimente bien assez comme ça. Il paraitrait que j’ai eu un chagrin d’amour, je laisse dire, c’est plus facile à assumer qu’un chagrin de mort.
L’hiver dernier il a fait trop froid pour que j’aille dormir à l’étage, j’ai descendu un gros matelas que j’ai couché au pied du poêle. Le soir, juste après la tombée de la nuit, je me glissais sous les deux couettes, et je regardais les lueurs du feu agonisant danser sur les murs blancs. La chorégraphie me berçait et je finissais par m’endormir en voyant toujours des ombres orangées bouger sous mes yeux fermés.
Là c’est le début du printemps, les herbes et les fleurs sauvages sont au plus haut, l’écobuage n’a pas encore commencé. Elles forment un tapis coloré, ondulant sous la brise, recouvrent mes jambes jusqu’à mi-cuisses et exhalent leur parfum à chacun de mes pas. J’apprécie leur compagnie pendant mes balades.
Je suis encore novice, il me reste tout à apprendre de leur langage. La semaine dernière j’ai bien vu qu’elles avaient changé de comportement, elles penchaient bizarrement, d’un côté puis de l’autre, sans logique ni harmonie. Une heure après, à peine, il y a eu les premiers éclairs suivis d’un coup de tonnerre effarant, à faire trembler une armée de kamikazes. J’étais trop loin pour rebrousser chemin, une clairière sans arbre m‘a accueillie, je me suis couchée sur le sol et j’ai attendu sous l’averse. L’orage était sublime, impétueux, sûr de lui et de sa force. La terre vibrait à chaque déchirement sonore, les traits blancs s’incrustaient de longues secondes dans le ciel obscurcit, le vent couchait les herbes et l’eau ruisselait sous mon corps. J’étais bien. Il a cessé d’un coup et le soleil a de nouveau pointé son nez, pas assez fort pour me sécher mais suffisamment pour faire briller les fleurs trempées. Je suis rentrée en courant et en riant, dispersant des gouttelettes autour de moi, comme un jeune chien fou qui s’ébroue.
J’ai une toux grave depuis, caverneuse, plus impressionnante encore qu’à l’époque où je fumais deux paquets par jour. J’applique la thérapie locale, en attendant que ça passe : miel chaud et séchage des bronches au soleil. Heureusement il cogne ces jours-ci. J’ai sorti le fauteuil en rotin, et je fais la sieste dessus après midi. J’intrigue visiblement les coccinelles et les papillons qui viennent me faire loucher sur le bout du nez et repartent affolés quand je cligne de l’œil. J’ai aperçu une limace sur le bout de ma botte, elle passait en bavant. Et quand je ne bouge pas trop, les oiseaux osent braver ma présence pour picorer les miettes que je leur laisse sur le rebord du bac à eau.
Demain j’irai chercher une miche toute fraîche et un bidon de lait chaud. Au retour je me ferai une tartine de crème sur laquelle je décortiquerai quelques jeunes noisettes. Puis je m’installerai sur le banc de pierre, j’ouvrirai un livre et j’attendrai que le soleil se couche sur la montagne.
- Spoiler:
- Une suite est normalement prévue...
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: L'exilée du val perdu
Donc on attend la " suite " de cette " robinsonnade " volontaire et bien sentie.
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
Re: L'exilée du val perdu
Petite remarque à propos de cet extrait :
Là c’est le début du printemps, les herbes et les fleurs sauvages sont au plus haut. Tu situes la saison en montagne avec une végétation bien en avance digne d'un mois de juin.
J'ai du mal à croire que la personne en question puisse se chauffer, cuisiner avec un poêle en coupant à la hache le bois nécessaire. Ou alors, elle y passe une bonne partie de ses journées. Autre possibilité, le poêle bigourdan est de bonne qualité pour avaler le bois vert.
Sinon, la base du texte peut se prêter à une drôle d'aventure.
La suite est écrite ?
Là c’est le début du printemps, les herbes et les fleurs sauvages sont au plus haut. Tu situes la saison en montagne avec une végétation bien en avance digne d'un mois de juin.
J'ai du mal à croire que la personne en question puisse se chauffer, cuisiner avec un poêle en coupant à la hache le bois nécessaire. Ou alors, elle y passe une bonne partie de ses journées. Autre possibilité, le poêle bigourdan est de bonne qualité pour avaler le bois vert.
Sinon, la base du texte peut se prêter à une drôle d'aventure.
La suite est écrite ?
bertrand-môgendre- Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007
Re: L'exilée du val perdu
Parfois un tout petit peu trop descriptif et détaillé, mais à peine. Un texte à lire lentement, au rythme de cette vie solitaire qui sonne globalement si vrai. Un ou deux petits indices rapidement évoqués font bien leur boulot pour titiller la curiosité du lecteur pour le personnage.
Le soin apporté à l'écriture m'incite à faire quelques remarques de forme :
"ses filaments de barbapapa" ("barbe à papa" ; l'autre, en un mot, c'est le dessin animé, je crois)
"je coupe une ou deux tranches de la miche enveloppée dans un torchon et je les fait griller dessus" ("fais")
"La terre vibrait à chaque déchirement sonore, les traits blancs s’incrustaient de longues secondes dans le ciel obscurcit" (sans "t")
Le soin apporté à l'écriture m'incite à faire quelques remarques de forme :
"ses filaments de barbapapa" ("barbe à papa" ; l'autre, en un mot, c'est le dessin animé, je crois)
"je coupe une ou deux tranches de la miche enveloppée dans un torchon et je les fait griller dessus" ("fais")
"La terre vibrait à chaque déchirement sonore, les traits blancs s’incrustaient de longues secondes dans le ciel obscurcit" (sans "t")
Invité- Invité
Re: L'exilée du val perdu
Un exil qui intrigue et une suite attendue…
Heureuse de lire qu'il y a des éponges courageuses qui décident un jour d'aller s'assécher loin des déversoirs urbains!
Quelques petites remarques sur le texte lui-même :
"Mes grands-parents ont acheté…" :" auraient acheté" serait peut-être préférable.
Le "lino" dans une ferme isolée est un peu trop "moderne"
"…le silence du monde. Sinon les bruits ne manquent pas.." Je remplacerais sinon par pourtant et supprimerais "dans l'herbe" après stalactites.
J'ai tout refait, pour la septième fois. Je suis devenue une pro. (pour la ponctuation)
Bonne continuation!
Heureuse de lire qu'il y a des éponges courageuses qui décident un jour d'aller s'assécher loin des déversoirs urbains!
Quelques petites remarques sur le texte lui-même :
"Mes grands-parents ont acheté…" :" auraient acheté" serait peut-être préférable.
Le "lino" dans une ferme isolée est un peu trop "moderne"
"…le silence du monde. Sinon les bruits ne manquent pas.." Je remplacerais sinon par pourtant et supprimerais "dans l'herbe" après stalactites.
J'ai tout refait, pour la septième fois. Je suis devenue une pro. (pour la ponctuation)
Bonne continuation!
Clarisse- Nombre de messages : 227
Age : 72
Date d'inscription : 10/03/2011
Re: L'exilée du val perdu
Merci pour vos commentaires et corrections qui me permettent de me rendre compte que ce texte est plein de petits défauts. Voici une version améliorée par vous :-)
La suite n'est pas encore écrite, je ne sais pas moi-même vers où le texte va aller... Surprise ! Pour vous comme pour moi :-)
@ Ba :
je suis heureuse de savoir que je t’aurai comme lectrice
@ Bertrand :
merci pour la précision de saison, j’ai changé la phrase. Et j’ai aussi fait en sorte (enfin essayé) de mieux faire comprendre qu’elle a déjà un stock de bois mais qu’elle en ramène et coupe quand même pour ne pas trop l‘entamer.
@ Easter :
merci pour tes précieuses corrections, l’orthographe doit être en relation avec les goûts chez moi, je sais mieux écrire charlotte aux framboises que ce truc rose écœurant ! :-)
@ Clarisse :
Je m'étonne que le lino fasse moderne, la bergerie dont il est question existe, mes grands-parents l'ont achetée dans les années 70 et ils ont recouvert eux-mêmes le sol de lino.
Je ne comprends pas "auraient acheté" qui pour moi change le sens de la phrase.
Mais merci pour ces remarques, elles me permettent de voir ce qui ne fonctionne pas ou n’est pas clair.
Je me suis retirée du monde il y a deux ans. Tout y devenait trop agressif pour moi. J’absorbais le malheur comme une éponge et rien ne m’essorait jamais.
J’ai eu la chance de pouvoir facilement tout quitter : il y a une trentaine d’années, mes grands-parents paternels ont acheté et retapé une bergerie dans les Pyrénées. En altitude, perdue au milieu de nulle part, à plusieurs kilomètres de la route. Ils l’ont transformée en maison habitable bien que sans eau courante, sans électricité et avec chauffage au poêle uniquement. J’en ai hérité.
Par la fenêtre de la grande pièce principale, on aperçoit les pics éternellement enneigés. Devant l’épaisse porte en bois – coupée en deux parce que d’un bloc elle serait trop lourde à pousser ou tirer – il y a un monticule de pierres plates qui fait office de banc. J’aime m’y asseoir avec une boisson chaude pour admirer la vue sur la vallée, devant, et les montagnes, en face. Quand le brouillard me le permet. Parfois il ne se lève pas de la journée, me coupe plus encore du monde, m’enveloppe dans un cocon blanc, humide et protecteur. J’aime. Et puis le lendemain il entoure un autre sommet de ses filaments de barbe à papa.
Je descends rarement au village, j’ai l’avantage d’avoir un voisin qui produit presque tout lui-même. Il n’est avare en rien sauf en paroles : un signe de tête, une poignée de main, les billets glissés prestement dans la poche du gilet et un réajustement de la casquette en guise de salut. Le marché est conclu et terminé, je n’ai plus qu’à remonter le chemin des noisetiers qui sépare nos deux bergeries. Une petite heure de marche les bras chargés et parfois une vache qui me regarde passer du pré d’à côté.
La seule chose de ma vie d’avant à laquelle je n’ai pas renoncé c’est le café. Mon rituel du matin : mettre la cafetière italienne à bouillir sur le bigourdan, attendre son sifflement et respirer l’odeur du café frais avant de réchauffer mes lèvres dedans. La température intérieure excède rarement dix-huit, quand je chauffe bien. Le matin il manque souvent cinq degrés, je m’emmitoufle dans une immense robe de chambre en laine, j’enfile des bottes par-dessus mes deux paires de chaussettes et je vais nourrir le poêle à bois. Dès que le feu prend, je coupe une ou deux tranches de la miche enveloppée dans un torchon et je les fais griller dessus. L’odeur et le goût me rappellent l’enfance, l’insouciance des jours passés en famille dans la bergerie. Elle s’appelle la grange du retour aux sources. Un nom prédestiné. A moins qu’il n’ait influencé mon choix.
Je suis partie sans rien, j’ai tout bazardé, les meubles, les vêtements et les soucis. Ici je réapprends à vivre des choses simples. Chercher, ramener et couper du bois pour ne pas trop entamer la réserve. Soigner les ampoules que la hache me laisse. Me battre avec le temps de cuisson du poêle pour parvenir à un compromis entre cru et calciné. Apprécier la chair fumée des patates sous la cendre. Patienter le temps de remplir le tub d’eau chauffée. Descendre de temps en temps au village faire le plein de bougies, de recharges de gaz pour les lampes, et d’un peu d’épicerie.
Le reste du temps je lis, j’écris, je joue au scrabble, main gauche contre main droite, je fais des réussites. Je contemple les choses sans penser. Je contemple mes pensées, vides et sereines.
Le silence m’apaise. Le silence hors monde civilisé, car sinon, les sons ne manquent pas dans la montagne : craquements du bois, échos d’animaux, vent dans les précipices, semelles humides sur le vieux lino, goutte à goutte des stalactites. Les bruits de ma nouvelle vie.
L’autre jour j’ai glissé sur la pente en allant remplir mon casier de bouteilles à la source. Des chevaux étaient passés par là, le grillage dont j’avais entouré l’entrée pour la retrouver au milieu des herbes folles était tout piétiné, quelques cadeaux de crottins signaient le vandalisme.
Je ne leur en ai pas tenu rigueur, j’ai été chercher ma cisaille et j’ai tout refait, pour la septième fois. Je suis devenue une pro.
Puis je me suis assise sur le petit tabouret de bois que j’emmène quand je vais là-bas et j’ai regardé le liquide couler, l’écoutant me raconter des histoires d‘eau. Comme toujours, avant de partir, j’ai remercié la terre d’étancher ma soif. C’est pas que j’y crois vraiment mais il parait qu’il faut le faire, une superstition du coin. La rumeur indique que c’est pour cette raison qu’aucune source ne s’est jamais tarie ici. Je ne voudrais pas irriter la rumeur, je l’alimente bien assez comme ça. Il paraitrait que j’ai eu un chagrin d’amour, je laisse dire, c’est plus facile à assumer qu’un chagrin de mort.
L’hiver dernier il a fait trop froid pour que j’aille dormir à l’étage, j’ai descendu un gros matelas que j’ai couché au pied du poêle. Le soir, juste après la tombée de la nuit, je me glissais sous les deux couettes, et je regardais les lueurs du feu agonisant danser sur les murs blancs. La chorégraphie me berçait et je finissais par m’endormir en voyant toujours des ombres orangées bouger sous mes yeux fermés.
Là, c’est bientôt l‘été, les herbes et les fleurs sauvages sont au plus haut, l’écobuage n’a pas encore commencé. Elles forment un tapis coloré, ondulant sous la brise, recouvrent mes jambes jusqu’à mi-cuisses et exhalent leur parfum à chacun de mes pas. J’apprécie leur compagnie pendant mes balades. Mais je suis encore novice, il me reste tout à apprendre de leur langage. La semaine dernière j’ai bien vu qu’elles avaient changé de comportement, elles penchaient bizarrement, d’un côté puis de l’autre, sans logique ni harmonie. Une heure après, à peine, il y a eu les premiers éclairs suivis d’un coup de tonnerre effarant, à faire trembler une armée de kamikazes. J’étais trop loin pour rebrousser chemin, une clairière sans arbre m‘a accueillie, je me suis couchée sur le sol et j’ai attendu sous l’averse. L’orage était sublime, impétueux, sûr de lui et de sa force. La terre vibrait à chaque déchirement sonore, les traits blancs s’incrustaient de longues secondes dans le ciel obscurci, le vent couchait les herbes et l’eau ruisselait sous mon corps. J’étais bien. Il a cessé d’un coup et le soleil a de nouveau pointé son nez, pas assez fort pour me sécher mais suffisamment pour faire briller les fleurs trempées. Je suis rentrée en courant et en riant, dispersant des gouttelettes autour de moi, comme un jeune chien fou qui s’ébroue.
J’ai une toux grave depuis, caverneuse, plus impressionnante encore qu’à l’époque où je fumais deux paquets par jour. J’applique la thérapie locale, en attendant que ça passe : miel chaud et séchage des bronches au soleil. Heureusement il cogne ces jours-ci. J’ai sorti le fauteuil en rotin, et je fais la sieste dessus après midi. J’intrigue visiblement les coccinelles et les papillons qui viennent me faire loucher sur le nez et repartent affolés quand je cligne de l’œil. J’ai aperçu une limace sur le bout de ma botte, elle passait en bavant. Et quand je ne bouge pas trop, les oiseaux osent braver ma présence pour picorer les miettes que je leur laisse sur le rebord du bac à eau.
Demain j’irai chercher une miche toute fraîche et un bidon de lait chaud. Au retour je me ferai une tartine de crème sur laquelle je décortiquerai quelques jeunes noisettes. Puis je m’installerai sur le banc de pierre, j’ouvrirai un livre et j’attendrai que le soleil se couche sur la montagne.
La suite n'est pas encore écrite, je ne sais pas moi-même vers où le texte va aller... Surprise ! Pour vous comme pour moi :-)
@ Ba :
je suis heureuse de savoir que je t’aurai comme lectrice
@ Bertrand :
merci pour la précision de saison, j’ai changé la phrase. Et j’ai aussi fait en sorte (enfin essayé) de mieux faire comprendre qu’elle a déjà un stock de bois mais qu’elle en ramène et coupe quand même pour ne pas trop l‘entamer.
@ Easter :
merci pour tes précieuses corrections, l’orthographe doit être en relation avec les goûts chez moi, je sais mieux écrire charlotte aux framboises que ce truc rose écœurant ! :-)
@ Clarisse :
Je m'étonne que le lino fasse moderne, la bergerie dont il est question existe, mes grands-parents l'ont achetée dans les années 70 et ils ont recouvert eux-mêmes le sol de lino.
Je ne comprends pas "auraient acheté" qui pour moi change le sens de la phrase.
Mais merci pour ces remarques, elles me permettent de voir ce qui ne fonctionne pas ou n’est pas clair.
***
Je me suis retirée du monde il y a deux ans. Tout y devenait trop agressif pour moi. J’absorbais le malheur comme une éponge et rien ne m’essorait jamais.
J’ai eu la chance de pouvoir facilement tout quitter : il y a une trentaine d’années, mes grands-parents paternels ont acheté et retapé une bergerie dans les Pyrénées. En altitude, perdue au milieu de nulle part, à plusieurs kilomètres de la route. Ils l’ont transformée en maison habitable bien que sans eau courante, sans électricité et avec chauffage au poêle uniquement. J’en ai hérité.
Par la fenêtre de la grande pièce principale, on aperçoit les pics éternellement enneigés. Devant l’épaisse porte en bois – coupée en deux parce que d’un bloc elle serait trop lourde à pousser ou tirer – il y a un monticule de pierres plates qui fait office de banc. J’aime m’y asseoir avec une boisson chaude pour admirer la vue sur la vallée, devant, et les montagnes, en face. Quand le brouillard me le permet. Parfois il ne se lève pas de la journée, me coupe plus encore du monde, m’enveloppe dans un cocon blanc, humide et protecteur. J’aime. Et puis le lendemain il entoure un autre sommet de ses filaments de barbe à papa.
Je descends rarement au village, j’ai l’avantage d’avoir un voisin qui produit presque tout lui-même. Il n’est avare en rien sauf en paroles : un signe de tête, une poignée de main, les billets glissés prestement dans la poche du gilet et un réajustement de la casquette en guise de salut. Le marché est conclu et terminé, je n’ai plus qu’à remonter le chemin des noisetiers qui sépare nos deux bergeries. Une petite heure de marche les bras chargés et parfois une vache qui me regarde passer du pré d’à côté.
La seule chose de ma vie d’avant à laquelle je n’ai pas renoncé c’est le café. Mon rituel du matin : mettre la cafetière italienne à bouillir sur le bigourdan, attendre son sifflement et respirer l’odeur du café frais avant de réchauffer mes lèvres dedans. La température intérieure excède rarement dix-huit, quand je chauffe bien. Le matin il manque souvent cinq degrés, je m’emmitoufle dans une immense robe de chambre en laine, j’enfile des bottes par-dessus mes deux paires de chaussettes et je vais nourrir le poêle à bois. Dès que le feu prend, je coupe une ou deux tranches de la miche enveloppée dans un torchon et je les fais griller dessus. L’odeur et le goût me rappellent l’enfance, l’insouciance des jours passés en famille dans la bergerie. Elle s’appelle la grange du retour aux sources. Un nom prédestiné. A moins qu’il n’ait influencé mon choix.
Je suis partie sans rien, j’ai tout bazardé, les meubles, les vêtements et les soucis. Ici je réapprends à vivre des choses simples. Chercher, ramener et couper du bois pour ne pas trop entamer la réserve. Soigner les ampoules que la hache me laisse. Me battre avec le temps de cuisson du poêle pour parvenir à un compromis entre cru et calciné. Apprécier la chair fumée des patates sous la cendre. Patienter le temps de remplir le tub d’eau chauffée. Descendre de temps en temps au village faire le plein de bougies, de recharges de gaz pour les lampes, et d’un peu d’épicerie.
Le reste du temps je lis, j’écris, je joue au scrabble, main gauche contre main droite, je fais des réussites. Je contemple les choses sans penser. Je contemple mes pensées, vides et sereines.
Le silence m’apaise. Le silence hors monde civilisé, car sinon, les sons ne manquent pas dans la montagne : craquements du bois, échos d’animaux, vent dans les précipices, semelles humides sur le vieux lino, goutte à goutte des stalactites. Les bruits de ma nouvelle vie.
L’autre jour j’ai glissé sur la pente en allant remplir mon casier de bouteilles à la source. Des chevaux étaient passés par là, le grillage dont j’avais entouré l’entrée pour la retrouver au milieu des herbes folles était tout piétiné, quelques cadeaux de crottins signaient le vandalisme.
Je ne leur en ai pas tenu rigueur, j’ai été chercher ma cisaille et j’ai tout refait, pour la septième fois. Je suis devenue une pro.
Puis je me suis assise sur le petit tabouret de bois que j’emmène quand je vais là-bas et j’ai regardé le liquide couler, l’écoutant me raconter des histoires d‘eau. Comme toujours, avant de partir, j’ai remercié la terre d’étancher ma soif. C’est pas que j’y crois vraiment mais il parait qu’il faut le faire, une superstition du coin. La rumeur indique que c’est pour cette raison qu’aucune source ne s’est jamais tarie ici. Je ne voudrais pas irriter la rumeur, je l’alimente bien assez comme ça. Il paraitrait que j’ai eu un chagrin d’amour, je laisse dire, c’est plus facile à assumer qu’un chagrin de mort.
L’hiver dernier il a fait trop froid pour que j’aille dormir à l’étage, j’ai descendu un gros matelas que j’ai couché au pied du poêle. Le soir, juste après la tombée de la nuit, je me glissais sous les deux couettes, et je regardais les lueurs du feu agonisant danser sur les murs blancs. La chorégraphie me berçait et je finissais par m’endormir en voyant toujours des ombres orangées bouger sous mes yeux fermés.
Là, c’est bientôt l‘été, les herbes et les fleurs sauvages sont au plus haut, l’écobuage n’a pas encore commencé. Elles forment un tapis coloré, ondulant sous la brise, recouvrent mes jambes jusqu’à mi-cuisses et exhalent leur parfum à chacun de mes pas. J’apprécie leur compagnie pendant mes balades. Mais je suis encore novice, il me reste tout à apprendre de leur langage. La semaine dernière j’ai bien vu qu’elles avaient changé de comportement, elles penchaient bizarrement, d’un côté puis de l’autre, sans logique ni harmonie. Une heure après, à peine, il y a eu les premiers éclairs suivis d’un coup de tonnerre effarant, à faire trembler une armée de kamikazes. J’étais trop loin pour rebrousser chemin, une clairière sans arbre m‘a accueillie, je me suis couchée sur le sol et j’ai attendu sous l’averse. L’orage était sublime, impétueux, sûr de lui et de sa force. La terre vibrait à chaque déchirement sonore, les traits blancs s’incrustaient de longues secondes dans le ciel obscurci, le vent couchait les herbes et l’eau ruisselait sous mon corps. J’étais bien. Il a cessé d’un coup et le soleil a de nouveau pointé son nez, pas assez fort pour me sécher mais suffisamment pour faire briller les fleurs trempées. Je suis rentrée en courant et en riant, dispersant des gouttelettes autour de moi, comme un jeune chien fou qui s’ébroue.
J’ai une toux grave depuis, caverneuse, plus impressionnante encore qu’à l’époque où je fumais deux paquets par jour. J’applique la thérapie locale, en attendant que ça passe : miel chaud et séchage des bronches au soleil. Heureusement il cogne ces jours-ci. J’ai sorti le fauteuil en rotin, et je fais la sieste dessus après midi. J’intrigue visiblement les coccinelles et les papillons qui viennent me faire loucher sur le nez et repartent affolés quand je cligne de l’œil. J’ai aperçu une limace sur le bout de ma botte, elle passait en bavant. Et quand je ne bouge pas trop, les oiseaux osent braver ma présence pour picorer les miettes que je leur laisse sur le rebord du bac à eau.
Demain j’irai chercher une miche toute fraîche et un bidon de lait chaud. Au retour je me ferai une tartine de crème sur laquelle je décortiquerai quelques jeunes noisettes. Puis je m’installerai sur le banc de pierre, j’ouvrirai un livre et j’attendrai que le soleil se couche sur la montagne.
elea- Nombre de messages : 4894
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Re: L'exilée du val perdu
Je te lis avec beaucoup d'intérêt et de curiosité. Je serais bien incapable d'aller boire de l'eau dans un endroit montagneux ; donc ton histoire m'intéresse car aux antipodes de mes goûts. Je ne peux pas m'éloigner de la mer.
Je confirme que le lino est une vieille invention que l'on trouvait pratique et moderne dans les années 50/60 ; plus facile à poser que du carrelage.
Je confirme que le lino est une vieille invention que l'on trouvait pratique et moderne dans les années 50/60 ; plus facile à poser que du carrelage.
Re: L'exilée du val perdu
Oups, ce n'est pas "auraient "que je voulais écrire mais "avaient acheté "pour mettre un peu de temps entre l'achat et le moment où tu t'y installes.
Quant au lino, il me semble "moderne" par rapport à l'ancienneté de la bergerie, tout comme lle formica l'est encore pour moi ! La modernité des années cinquante, on est bien d'accord Croisic!
Mais tout ça n'est pas très important...
Quant au lino, il me semble "moderne" par rapport à l'ancienneté de la bergerie, tout comme lle formica l'est encore pour moi ! La modernité des années cinquante, on est bien d'accord Croisic!
Mais tout ça n'est pas très important...
Clarisse- Nombre de messages : 227
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Re: L'exilée du val perdu
Très joli ! Je fais un lien direct avec ce qu'on appelle la vie alternative, ces gens qui sortent du système pour construire un mode de vie totalement autonome et dont j'ai bien l'intention de faire partie d'ici 2 ou 3 ans... Ton personnage est beau par son authenticité, sa curiosité sans prétention, son ouverture d'esprit. Il se trouve en plus que ce texte est très bien écrit, avec de belles descriptions et une atmosphère prenante. J'attends la suite =)
Re: L'exilée du val perdu
moi aussi, j'aime! mais pour l'intrigue plutôt que pour le côté retour à la nature, qui ne me touche pas particulièrement. ça m'a fait aussi penser au film avec Mathilde Seigner et Serrault, "une hirondelle a fait le printemps". enfin, j'espère pouvoir lire bientôt ta suite!
jeanne75- Nombre de messages : 40
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Re: L'exilée du val perdu
Un bol d'air, enfin !
Ba- Nombre de messages : 4855
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Re: L'exilée du val perdu
Merci pour vos commentaires.
Croisic, l’eau toute fraîche d’une source est pourtant délicieuse, d’un goût du souvenir incomparable mais je partage aussi ton goût pour la mer.
Clarisse, je comprends le problème de temps, que j'espère résolu dans la modification.
Kash Prex et Jeanne75, dans mon esprit il s’agit moins d’un retour à la nature que d’une fuite vers la solitude mais je vois bien ce que vous voulez dire.
La suite donc.
J’étais pianiste avant. Avant le soir où mes doigts se sont crispés sur les touches et ont refusé d’en enfoncer une de plus. Un soir semblable aux autres pourtant. Je portais une longue robe noire aux manches courtes d’où dépassaient mes bras blancs. Une manière de souligner leur mouvement et de rappeler les couleurs de mon instrument. J’ai salué bien bas le public, selon mes habitudes, et je me suis nourrie des applaudissements, remerciements préliminaires indispensables, comme pour me récompenser à l’avance de ce que j’allais donner. Je me suis installée sur le banc, prenant le temps de positionner mes pieds contre les pédales, à la bonne distance. J’ai posé mes mains sur le clavier et j’ai laissé un temps s’écouler. Celui que le silence s’impose, que les oreilles soient suspendues aux premières notes, prêtes à les cueillir. Puis mes épaules ont pris de l’élan, entraînant les bras avec elles, les mains puis les doigts, qui ont commencé à délivrer la musique comme on libère les sens, pleinement, passionnément, rageusement.
Je ne sais pas quel couac est venu démonter l’engrenage. J’effleurais ou écrasais les blanches et les noires, mon corps accompagnait les mouvements, et au plein milieu de l’impromptu de Schubert, tout s’est figé. Je n’ai rien ressenti de particulier, ni douleur ni lassitude, ni trou noir ni colère. J’ai simplement arrêté de bouger. Tout mouvement devenu impossible. Le silence était terrible, pas une toux, ni un raclement de gorge. Jusqu’à ce que la pause devienne incongrue et que le vide sonore se remplisse de murmures. « qu’est-ce qu’elle a ? ». J’ai perçu des mouvements dans les coulisses, les pans du rideau pourpre – immobiles jusqu’alors – se sont mis à flotter, dans une inquiétude, puis un reproche. Je vivais tout cela d’en dehors, spectatrice au même titre que les autres, sans parvenir à ciller pour prouver que j’étais encore en vie. Arrimée à mon banc comme à une ancre, les bras ballants. Le rideau s’est refermé sur des cris de déception, mon manager est venu près de moi, m’a pris le bras pour m’aider à me lever et m’a accompagnée dans la loge.
C’est une fois là-bas, en croisant mon image dans le miroir, que je me suis aperçue que des larmes coulaient sur mes joues.
Mon entourage a pensé que j’avais repris la tournée trop tôt : il n’était mort que depuis quelques semaines. Mais en fait, depuis ce soir-là, je n’ai plus approché un piano. Parfois, quand je ne pense à rien, perdue dans le vague, assaillie d’images que je ne laisse pas dépasser le seuil de la conscience, il m’arrive de m’apercevoir que mes doigts jouent tout seuls. En les regardant je peux entendre le morceau qu’ils ont choisi. Alors ils s’arrêtent, comme pris en faute et je laisse mon esprit égrener les notes. Dans la journée je fredonne souvent, je chantonne parfois, mais le jeu ne me manque pas, l‘instrument non plus. Désormais je n’approche plus que les crapauds des herbes hautes. Et je ne les embrasse jamais : même s’ils se transformaient en charmant, dans mes contes à moi il semble que le prince meurt toujours avant la fin.
Croisic, l’eau toute fraîche d’une source est pourtant délicieuse, d’un goût du souvenir incomparable mais je partage aussi ton goût pour la mer.
Clarisse, je comprends le problème de temps, que j'espère résolu dans la modification.
Kash Prex et Jeanne75, dans mon esprit il s’agit moins d’un retour à la nature que d’une fuite vers la solitude mais je vois bien ce que vous voulez dire.
La suite donc.
***
J’étais pianiste avant. Avant le soir où mes doigts se sont crispés sur les touches et ont refusé d’en enfoncer une de plus. Un soir semblable aux autres pourtant. Je portais une longue robe noire aux manches courtes d’où dépassaient mes bras blancs. Une manière de souligner leur mouvement et de rappeler les couleurs de mon instrument. J’ai salué bien bas le public, selon mes habitudes, et je me suis nourrie des applaudissements, remerciements préliminaires indispensables, comme pour me récompenser à l’avance de ce que j’allais donner. Je me suis installée sur le banc, prenant le temps de positionner mes pieds contre les pédales, à la bonne distance. J’ai posé mes mains sur le clavier et j’ai laissé un temps s’écouler. Celui que le silence s’impose, que les oreilles soient suspendues aux premières notes, prêtes à les cueillir. Puis mes épaules ont pris de l’élan, entraînant les bras avec elles, les mains puis les doigts, qui ont commencé à délivrer la musique comme on libère les sens, pleinement, passionnément, rageusement.
Je ne sais pas quel couac est venu démonter l’engrenage. J’effleurais ou écrasais les blanches et les noires, mon corps accompagnait les mouvements, et au plein milieu de l’impromptu de Schubert, tout s’est figé. Je n’ai rien ressenti de particulier, ni douleur ni lassitude, ni trou noir ni colère. J’ai simplement arrêté de bouger. Tout mouvement devenu impossible. Le silence était terrible, pas une toux, ni un raclement de gorge. Jusqu’à ce que la pause devienne incongrue et que le vide sonore se remplisse de murmures. « qu’est-ce qu’elle a ? ». J’ai perçu des mouvements dans les coulisses, les pans du rideau pourpre – immobiles jusqu’alors – se sont mis à flotter, dans une inquiétude, puis un reproche. Je vivais tout cela d’en dehors, spectatrice au même titre que les autres, sans parvenir à ciller pour prouver que j’étais encore en vie. Arrimée à mon banc comme à une ancre, les bras ballants. Le rideau s’est refermé sur des cris de déception, mon manager est venu près de moi, m’a pris le bras pour m’aider à me lever et m’a accompagnée dans la loge.
C’est une fois là-bas, en croisant mon image dans le miroir, que je me suis aperçue que des larmes coulaient sur mes joues.
Mon entourage a pensé que j’avais repris la tournée trop tôt : il n’était mort que depuis quelques semaines. Mais en fait, depuis ce soir-là, je n’ai plus approché un piano. Parfois, quand je ne pense à rien, perdue dans le vague, assaillie d’images que je ne laisse pas dépasser le seuil de la conscience, il m’arrive de m’apercevoir que mes doigts jouent tout seuls. En les regardant je peux entendre le morceau qu’ils ont choisi. Alors ils s’arrêtent, comme pris en faute et je laisse mon esprit égrener les notes. Dans la journée je fredonne souvent, je chantonne parfois, mais le jeu ne me manque pas, l‘instrument non plus. Désormais je n’approche plus que les crapauds des herbes hautes. Et je ne les embrasse jamais : même s’ils se transformaient en charmant, dans mes contes à moi il semble que le prince meurt toujours avant la fin.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: L'exilée du val perdu
La suite donne un éclairage intéressant de la première partie qui m'a fait rêver ( vivre comme ça est un fantasme que je trimballe - trimballais serait plus juste, l'âge venant !!- depuis les années 70 où j'ai plus ou moins tenté de le réaliser, mais pas en montagne hélas !)
Peut-être un peu trop détaillée, cette première partie,
J'ai bien aimé l'épisode de l'orage, qui est d'une belle sensualité primitive. En revanche, je ne vois pas quel temps de cuisson est nécessaire pour un poêle : je n'ai jamais éprouvé le besoin d'en faire cuire.
Un texte prometteur.
Peut-être un peu trop détaillée, cette première partie,
J'ai bien aimé l'épisode de l'orage, qui est d'une belle sensualité primitive. En revanche, je ne vois pas quel temps de cuisson est nécessaire pour un poêle : je n'ai jamais éprouvé le besoin d'en faire cuire.
- Spoiler:
- ( je les préfère crus !)
Un texte prometteur.
Invité- Invité
Re: L'exilée du val perdu
J'oubliais deux critiques : le val perdu et au milieu de nulle part sont trop clichés.
Invité- Invité
Re: L'exilée du val perdu
Une remarque :
"Mon entourage a pensé que j’avais repris la tournée trop tôt : il n’était mort que depuis quelques semaines. Mais en fait, depuis ce soir-là, je n’ai plus approché un piano."
Je pense comprendre sans difficulté qu'il s'agit du soir du concert et non pas du soir de la mort mais la phrase ainsi tournée me semble sujette à interprétation. Peut-être la faute au choix du "Mais".
Une autre :
"même s’ils se transformaient en charmant, dans mes contes à moi il semble que le prince meurt toujours avant la fin."
Sur le coup, j'ai pensé que tu avais omis "prince" par erreur ; en lisant le reste de la phrase, je n'en suis pas si sûre, peut-être un souhait d'éviter la répétition ; en tout cas, ça me semble demander reformulation.
A part ces deux détails chipoteux, c'est tout bon, c'est très bon ; j'apprécie vraiment la rupture d'avec le passage précédent, d'être aussi complètement plongée dans un autre univers.
"Mon entourage a pensé que j’avais repris la tournée trop tôt : il n’était mort que depuis quelques semaines. Mais en fait, depuis ce soir-là, je n’ai plus approché un piano."
Je pense comprendre sans difficulté qu'il s'agit du soir du concert et non pas du soir de la mort mais la phrase ainsi tournée me semble sujette à interprétation. Peut-être la faute au choix du "Mais".
Une autre :
"même s’ils se transformaient en charmant, dans mes contes à moi il semble que le prince meurt toujours avant la fin."
Sur le coup, j'ai pensé que tu avais omis "prince" par erreur ; en lisant le reste de la phrase, je n'en suis pas si sûre, peut-être un souhait d'éviter la répétition ; en tout cas, ça me semble demander reformulation.
A part ces deux détails chipoteux, c'est tout bon, c'est très bon ; j'apprécie vraiment la rupture d'avec le passage précédent, d'être aussi complètement plongée dans un autre univers.
Invité- Invité
Re: L'exilée du val perdu
Si cette eau fraîche a le goût du souvenir... je n'ai plus rien à ajouter. Surtout pas un grain de sel (de mer) !
J'ai particulièrement apprécié cette "dernière" partie, si bien écrite, si à l'aise dans son sujet. J'aime tout spécialement ta dernière phrase.
J'ai particulièrement apprécié cette "dernière" partie, si bien écrite, si à l'aise dans son sujet. J'aime tout spécialement ta dernière phrase.
Re: L'exilée du val perdu
Pas de fausses notes pour cette deuxième partie qui se rattache habilement, en tout fin, à la première partie.
Particulièrement aimé la description du "blocage" sur scène puis plus loin, les doigts qui pianotent et s'arrêtent " pris en faute"...
Particulièrement aimé la description du "blocage" sur scène puis plus loin, les doigts qui pianotent et s'arrêtent " pris en faute"...
Clarisse- Nombre de messages : 227
Age : 72
Date d'inscription : 10/03/2011
Re: L'exilée du val perdu
Je ne parlerai que de la première partie qui me touche particulièrement. J'imagine que la bergerie en question se situe dans le val d'Azun que tu évoquais une fois, près de la vallée d'Ossau où je demeure. Je connais bien ces bergeries pour en avoir fréquenté plus d'unes transformées en refuges lors de mes randonnées. Certaines abritent encore le fameux poêle bigourdan à cercles concentriques, rudement efficace.
Tu as su restituer l'ambiance si particulière de ces retraites en montagne, mélange d'introspection et de contemplation béate. Rien de paradisiaque non plus dans ces moments de solitude. La montagne est belle, certes, mais les nuits sont froides, l'eau glacée, les bruits nocturnes inquiétants. Et puis il faut les meubler ces longues soirées en solitaire éclairées par les seules flammes des bougies ! Moi j'ai toujours une petite fiole de rhum dans ces cas là, chut...
Le passage de l'orage est bien rendu quand on connait son fracas et sa violence à ces altitudes. La plupart du temps on prie pour qu'il s'éloigne vite de nous ! Par contre je ne me suis jamais couché dessous, j'aurais plutôt tendance à détaler comme un lapin.
Tu as su restituer l'ambiance si particulière de ces retraites en montagne, mélange d'introspection et de contemplation béate. Rien de paradisiaque non plus dans ces moments de solitude. La montagne est belle, certes, mais les nuits sont froides, l'eau glacée, les bruits nocturnes inquiétants. Et puis il faut les meubler ces longues soirées en solitaire éclairées par les seules flammes des bougies ! Moi j'ai toujours une petite fiole de rhum dans ces cas là, chut...
Le passage de l'orage est bien rendu quand on connait son fracas et sa violence à ces altitudes. La plupart du temps on prie pour qu'il s'éloigne vite de nous ! Par contre je ne me suis jamais couché dessous, j'aurais plutôt tendance à détaler comme un lapin.
Jano- Nombre de messages : 1000
Age : 55
Date d'inscription : 06/01/2009
Re: L'exilée du val perdu
Merci pour vos retours.
Coline, je vais laisser ça tel quel, tant pis si on croit que c’est le poêle qui cuit, je trouve ça assez drôle finalement.
Quant au titre, je ne peux pas le changer, je pense que la suite expliquera pourquoi et quel jeu de mot il comporte.
J’ai le même fantasme, malheureusement la bergerie vient d’être vendue, ce qui, je pense, n’est pas étranger à mon texte et son inspiration. Si un jour je devais me retirer du monde, ce ne serait plus possible là-bas hélas.
Easter, j’ai modifié pour la première remarque, mais pour la seconde, étant donné qu’effectivement je voulais éviter la répétition, je ne sais pas trop comment faire, pire encore, j‘avoue que j‘aime bien comme ça :-) Mais j'y pense quand même.
Jano, oui c’est le val d’Azun, vallée d’Arrens, la bergerie se trouve au-dessus de 1000 mètres, après Arrens-Marsous, avant le col du Soulor. Voilà pour les précisions géographiques.
Personnellement, je ne me suis jamais couchée non plus sous un orage de montagne, trop les chocottes pour ça !
Coline, je vais laisser ça tel quel, tant pis si on croit que c’est le poêle qui cuit, je trouve ça assez drôle finalement.
Quant au titre, je ne peux pas le changer, je pense que la suite expliquera pourquoi et quel jeu de mot il comporte.
J’ai le même fantasme, malheureusement la bergerie vient d’être vendue, ce qui, je pense, n’est pas étranger à mon texte et son inspiration. Si un jour je devais me retirer du monde, ce ne serait plus possible là-bas hélas.
Easter, j’ai modifié pour la première remarque, mais pour la seconde, étant donné qu’effectivement je voulais éviter la répétition, je ne sais pas trop comment faire, pire encore, j‘avoue que j‘aime bien comme ça :-) Mais j'y pense quand même.
Jano, oui c’est le val d’Azun, vallée d’Arrens, la bergerie se trouve au-dessus de 1000 mètres, après Arrens-Marsous, avant le col du Soulor. Voilà pour les précisions géographiques.
Personnellement, je ne me suis jamais couchée non plus sous un orage de montagne, trop les chocottes pour ça !
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: L'exilée du val perdu
J'ai rarement l'habitude de lire ce genre de prose. Mais c'est plutôt bien réussie ; on entre dans l'intimité du personnage, on la suit. L'ensemble est plutôt bien écrit, mis à part quelques coquilles (enfin ça reste subjectif ).
J'ai fait un petit relevé:
J'ai fait un petit relevé:
Répétition du son "-ment". Je te conseille de modifier l'adverbe en "-ment" plutôt que le nom.prestement dans la poche du gilet et un réajustement de la casquette
"C'est le café". Je n'aime pas trop l'expression avec "c'est", je trouve qu'il est plus élégant de reformuler la phrase que d'employer ces expressions toutes simples.La seule chose de ma vie d’avant à laquelle je n’ai pas renoncé c’est le café.
J'aurais mis des majuscules.Elle s’appelle la grange du retour aux sources.
"En allant remplir", j'aurais reformulé la phrase pour que le "aller" n'apparaisse plus ^^en allant remplir mon casier de bouteilles à la source.
Pas très fan des participes présents que je trouve lourds à la lecture. Sauf dans certains cas intuitifsl’écoutant me raconter des histoires d‘eau.
"Le c'est" D'autant qu'il y en a un autre dans la phrase suivante.C’est pas que j’y crois vraiment mais il parait qu’il faut le faire,
IdemLà c’est le début du printemps, les herbes et les fleurs sauvages
Répétition du son "ement"changé de comportement, elles penchaient bizarrement,
Répétition de la sonorité "ant"Je suis rentrée en courant et en riant, dispersant des gouttelettes autour de moi,
Revan- Nombre de messages : 10
Age : 33
Localisation : Panmunjeon
Date d'inscription : 23/04/2011
Re: L'exilée du val perdu
Merci pour ton avis Revan.
Ce matin je suis retournée faire mes emplettes chez le voisin. Sans me regarder il m’a tendu une liasse de lettres. Il faut dire que je n’ai pas de véritable adresse et que le courrier me parvient à la poste du village. Comme je ne vais jamais le chercher et qu’il encombre le postier, il est venu le porter à la seule âme du coin dont on sait qu’elle me voit régulièrement. J’ai pris les lettres, me suis excusée de la gêne occasionnée et j’allais repartir avec mes victuailles quand j’ai entendu un gémissement. On aurait dit un la. C’était un chiot. Le seul aux yeux ouverts de toute une portée qui attendait dans une caisse qu’on décide de son sort. Un minuscule chien de montagne des Pyrénées, un patou comme on les appelle, ça devient immense ces bêtes-là mais en miniature il était tout mignon. Je n’aime pas les chiens, je n’en ai pas peur, mais rien ne m’attire vers eux.
– Vous allez en faire quoi de ces chiots ?
– Oh, les donner à ceux qu’en veulent et faire disparaître le reste.
Hors de question de laisser faire ça, un chiot musical ! Je ne suis pas particulièrement sensible au sort des bêtes mais concernant celui-là je n’ai pas supporté l‘idée. J’ai négocié pour le prendre avec moi. Pas négocié beaucoup il faut dire, en trois secondes son ancien propriétaire me l’avait collé dans les bras avant de retourner à ses tâches.
Je suis remontée plus lentement que d’habitude, le chiot, pas encore à l’aise sur ses pattes, me suivait difficilement. Je l’ai pris dans le panier quand il s’est étalé dans l’herbe et m’a regardé tout penaud, le museau recouvert de mousse.
– Ok, pour cette fois-ci je te porte, mais il va falloir apprendre à marcher mieux que ça mon grand.
Je vais l’appeler Chopin je crois. Mince, qu’est-ce que ça mange un chiot ?
J’ai jeté les lettres sans les lire après avoir vaguement examiné les expéditeurs, quelques fans, mon manager, des proches ; je sais d’avance ce qu’ils écrivent. Je ne souhaite aucunement revenir dans le tourbillon d’avant : répétitions, tournées, vie d’ascète sacrifiée à la musique. Je me suis souvent demandé s’il y avait un lien avec sa mort, seul dans notre lit alors que j’étais sous les hourras d’une foule mélomane exaltée. Je n’ai pas la réponse. Peu importe. Si j’avais décroché plus tôt nous aurions pu vivre d’autres instants magiques, ici-même pourquoi pas ? Mais cela ne sert plus à rien d’y penser. Je dois apprendre à faire avec comme je peux.
J’ai rencontré Valère dans une librairie. Il adorait que je l’appelle Val, pour l’ambiguïté du diminutif. Lui m’appelait Fred.
– On forme un beau couple, Valérie et Frédéric.
Et il souriait.
Quand je suis entrée, la clochette d’avertissement de la porte l’a fait lever les yeux de son livre, et nos regards se sont aimés. Le sien cachait un visage pâle, évanescent. Déjà malade mais je ne le savais pas encore. J’ai tourné un peu dans les rayons, puis parvenue à sa hauteur, j’ai jeté un coup d’œil sur le livre qu’il tenait :
– Dans la solitude des champs de coton ? C’est un texte magnifique, fort.
– Oui, vous avez raison, je suis en train de l’apprendre pour le jouer. L‘année prochaine probablement. Vous viendrez me voir ?
On s’est revu bien avant, et pas sur scène. Mais il aimait me réciter des passages, murmurés contre ma peau, la main posée sur ma hanche nue collée à son ventre.
J’aurais été sa seule spectatrice. J’entends encore ses intonations changeantes, selon le personnage qu’il jouait. Je sens encore son souffle et j’en pleure encore, mais pas pour les mêmes raisons.
Un couinement me sort de mes souvenirs, j’essuie mes joues et m’approche de Chopin en râlant
– Tu ne veux pas me laisser me noyer dans le passé hein ? T’as raison petite peluche, on va se faire un gueuleton et un câlin avant de dormir.
***
Ce matin je suis retournée faire mes emplettes chez le voisin. Sans me regarder il m’a tendu une liasse de lettres. Il faut dire que je n’ai pas de véritable adresse et que le courrier me parvient à la poste du village. Comme je ne vais jamais le chercher et qu’il encombre le postier, il est venu le porter à la seule âme du coin dont on sait qu’elle me voit régulièrement. J’ai pris les lettres, me suis excusée de la gêne occasionnée et j’allais repartir avec mes victuailles quand j’ai entendu un gémissement. On aurait dit un la. C’était un chiot. Le seul aux yeux ouverts de toute une portée qui attendait dans une caisse qu’on décide de son sort. Un minuscule chien de montagne des Pyrénées, un patou comme on les appelle, ça devient immense ces bêtes-là mais en miniature il était tout mignon. Je n’aime pas les chiens, je n’en ai pas peur, mais rien ne m’attire vers eux.
– Vous allez en faire quoi de ces chiots ?
– Oh, les donner à ceux qu’en veulent et faire disparaître le reste.
Hors de question de laisser faire ça, un chiot musical ! Je ne suis pas particulièrement sensible au sort des bêtes mais concernant celui-là je n’ai pas supporté l‘idée. J’ai négocié pour le prendre avec moi. Pas négocié beaucoup il faut dire, en trois secondes son ancien propriétaire me l’avait collé dans les bras avant de retourner à ses tâches.
Je suis remontée plus lentement que d’habitude, le chiot, pas encore à l’aise sur ses pattes, me suivait difficilement. Je l’ai pris dans le panier quand il s’est étalé dans l’herbe et m’a regardé tout penaud, le museau recouvert de mousse.
– Ok, pour cette fois-ci je te porte, mais il va falloir apprendre à marcher mieux que ça mon grand.
Je vais l’appeler Chopin je crois. Mince, qu’est-ce que ça mange un chiot ?
J’ai jeté les lettres sans les lire après avoir vaguement examiné les expéditeurs, quelques fans, mon manager, des proches ; je sais d’avance ce qu’ils écrivent. Je ne souhaite aucunement revenir dans le tourbillon d’avant : répétitions, tournées, vie d’ascète sacrifiée à la musique. Je me suis souvent demandé s’il y avait un lien avec sa mort, seul dans notre lit alors que j’étais sous les hourras d’une foule mélomane exaltée. Je n’ai pas la réponse. Peu importe. Si j’avais décroché plus tôt nous aurions pu vivre d’autres instants magiques, ici-même pourquoi pas ? Mais cela ne sert plus à rien d’y penser. Je dois apprendre à faire avec comme je peux.
J’ai rencontré Valère dans une librairie. Il adorait que je l’appelle Val, pour l’ambiguïté du diminutif. Lui m’appelait Fred.
– On forme un beau couple, Valérie et Frédéric.
Et il souriait.
Quand je suis entrée, la clochette d’avertissement de la porte l’a fait lever les yeux de son livre, et nos regards se sont aimés. Le sien cachait un visage pâle, évanescent. Déjà malade mais je ne le savais pas encore. J’ai tourné un peu dans les rayons, puis parvenue à sa hauteur, j’ai jeté un coup d’œil sur le livre qu’il tenait :
– Dans la solitude des champs de coton ? C’est un texte magnifique, fort.
– Oui, vous avez raison, je suis en train de l’apprendre pour le jouer. L‘année prochaine probablement. Vous viendrez me voir ?
On s’est revu bien avant, et pas sur scène. Mais il aimait me réciter des passages, murmurés contre ma peau, la main posée sur ma hanche nue collée à son ventre.
J’aurais été sa seule spectatrice. J’entends encore ses intonations changeantes, selon le personnage qu’il jouait. Je sens encore son souffle et j’en pleure encore, mais pas pour les mêmes raisons.
Un couinement me sort de mes souvenirs, j’essuie mes joues et m’approche de Chopin en râlant
– Tu ne veux pas me laisser me noyer dans le passé hein ? T’as raison petite peluche, on va se faire un gueuleton et un câlin avant de dormir.
elea- Nombre de messages : 4894
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Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: L'exilée du val perdu
ok j'aime suivre cette histoire, comprendre petit à petit le pourquoi du comment (le fameux jeu de mot du "Val perdu"). dans ton dernier extrait, le chiot musical m'a bien amusée
jeanne75- Nombre de messages : 40
Age : 47
Date d'inscription : 24/03/2011
Re: L'exilée du val perdu
Puisque je n'ai décidément rien à dire sur le fond (sauf que c'est trop court chaque fois !) je m'attache à la forme.
Il me semble que dans le paragraphe consacré à Val, j'utiliserais un plus-que-parfait puisque aussi le personnage est décédé. Par exemple :
J’ai rencontré Valère dans une librairie. ("javais rencontré")
Quand je suis entrée, la clochette d’avertissement de la porte l’a fait lever les yeux de son livre, et nos regards se sont aimés. ("Quand j'étais entrée", "l'avait fait lever", "nos regards s'étaient aimés")
J’ai tourné un peu dans les rayons, puis parvenue à sa hauteur, j’ai jeté un coup d’œil sur le livre qu’il tenait ("J'avais tourné", "j'avais jeté")
On s’est revu bien avant, ("On s'était revus")
Il me semble que dans le paragraphe consacré à Val, j'utiliserais un plus-que-parfait puisque aussi le personnage est décédé. Par exemple :
J’ai rencontré Valère dans une librairie. ("javais rencontré")
Quand je suis entrée, la clochette d’avertissement de la porte l’a fait lever les yeux de son livre, et nos regards se sont aimés. ("Quand j'étais entrée", "l'avait fait lever", "nos regards s'étaient aimés")
J’ai tourné un peu dans les rayons, puis parvenue à sa hauteur, j’ai jeté un coup d’œil sur le livre qu’il tenait ("J'avais tourné", "j'avais jeté")
On s’est revu bien avant, ("On s'était revus")
Invité- Invité
Re: L'exilée du val perdu
L’histoire n’est pas terminée, mais on peut déjà discerner quelques points forts de la trame.
Une femme, musicienne, pianiste, se met en retrait du monde ; elle renonce à sa carrière, aux concerts, à la scène pour mener une vie solitaire dans les montagnes pyrénéennes, après le décès de son amant, Valère, désigné par son diminutif, Val.
Elle n’abandonne pas la musique, mais son instrument, mais le jeu sur cet instrument ; elle quitte surtout le public, elle quitte les autres. Elle manifeste, par cet exil, la perte irremplaçable de l’être aimé, homme unique, Val perdu.
Elle illustre par sa vie solitaire le vers de Lamartine : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé »
Elle n’a pas fait son deuil de cette perte. Pour le retrouver, elle meurt aux autres, elle meurt à son public ; sur scène, elle meurt à la scène, cette scène où, Val, acteur, ne montera jamais.
Elle montera désormais ailleurs que sur scène, sur d’autres hauteurs, là où se contemplent « les pics éternellement enneigés », là où se trouvent des vals perdus et pour toujours retrouvés.
Un sentiment de culpabilité la pousse aussi à tout quitter pour retrouver Val du côté des neiges éternelles, il est mort seul, alors qu’elle se pavanait devant une foule d’admirateurs.
En suivant Val dans la mort, elle cherche une régénération, une renaissance, elle cherche à vivre authentiquement une vie qu’elle a l’impression d’avoir sacrifié à sa carrière de musicienne soliste, d’où son choix de résider dans « la grange du retour aux sources », qui est aussi le lieu d’un retour à l’enfance, d’un retour à la nature aussi, retour à l’innocence perdue en vue d’une renaissance à la vraie vie.
Elle ne joue plus sur un piano. Sur le clavier alternent les touches blanches et noires. Trop de noir, noir en trop. Elle interprète désormais une autre partition dans le « jeu » de la vie. Et ne la touche plus, pour la faire vibrer, que le blanc des sommets enneigés.
Bravo Elea. Je suis curieux de connaître la suite.
Une femme, musicienne, pianiste, se met en retrait du monde ; elle renonce à sa carrière, aux concerts, à la scène pour mener une vie solitaire dans les montagnes pyrénéennes, après le décès de son amant, Valère, désigné par son diminutif, Val.
Elle n’abandonne pas la musique, mais son instrument, mais le jeu sur cet instrument ; elle quitte surtout le public, elle quitte les autres. Elle manifeste, par cet exil, la perte irremplaçable de l’être aimé, homme unique, Val perdu.
Elle illustre par sa vie solitaire le vers de Lamartine : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé »
Elle n’a pas fait son deuil de cette perte. Pour le retrouver, elle meurt aux autres, elle meurt à son public ; sur scène, elle meurt à la scène, cette scène où, Val, acteur, ne montera jamais.
Elle montera désormais ailleurs que sur scène, sur d’autres hauteurs, là où se contemplent « les pics éternellement enneigés », là où se trouvent des vals perdus et pour toujours retrouvés.
Un sentiment de culpabilité la pousse aussi à tout quitter pour retrouver Val du côté des neiges éternelles, il est mort seul, alors qu’elle se pavanait devant une foule d’admirateurs.
En suivant Val dans la mort, elle cherche une régénération, une renaissance, elle cherche à vivre authentiquement une vie qu’elle a l’impression d’avoir sacrifié à sa carrière de musicienne soliste, d’où son choix de résider dans « la grange du retour aux sources », qui est aussi le lieu d’un retour à l’enfance, d’un retour à la nature aussi, retour à l’innocence perdue en vue d’une renaissance à la vraie vie.
Elle ne joue plus sur un piano. Sur le clavier alternent les touches blanches et noires. Trop de noir, noir en trop. Elle interprète désormais une autre partition dans le « jeu » de la vie. Et ne la touche plus, pour la faire vibrer, que le blanc des sommets enneigés.
Bravo Elea. Je suis curieux de connaître la suite.
Louis- Nombre de messages : 458
Age : 69
Date d'inscription : 28/10/2009
Re: L'exilée du val perdu
Bonsoir elea,
Je lis avec grand plaisir cette histoire. La forme du texte la sert avec élégance. Rien a décortiquer ... et puis, à ce niveau, c'est le lecteur qui doit s'adapter à l'écriture. Les dialogues bien construits donnent une respiration régulière à l'ensemble du texte.
Perdre l'amour ... abandonner la musique ... se retirer du monde ... s'imposer un animal ... autant de choix, autant de situations bien introduites et décrites avec justesse.
J'ai beaucoup aimé la rencontre dans la Librairie ...
Amicalement,
midnightrambler
Je lis avec grand plaisir cette histoire. La forme du texte la sert avec élégance. Rien a décortiquer ... et puis, à ce niveau, c'est le lecteur qui doit s'adapter à l'écriture. Les dialogues bien construits donnent une respiration régulière à l'ensemble du texte.
Perdre l'amour ... abandonner la musique ... se retirer du monde ... s'imposer un animal ... autant de choix, autant de situations bien introduites et décrites avec justesse.
J'ai beaucoup aimé la rencontre dans la Librairie ...
Amicalement,
midnightrambler
midnightrambler- Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010
Re: L'exilée du val perdu
J’ai essayé de faire un peu plus long pour Easter :-)
Jeanne et Louis, j’espère que la suite ne sera pas décevante.
Merci à vous tous ainsi qu’à Midnightrambler, la librairie oui, j’ai toujours trouvé que c’était un lieu propice à la rencontre.
Depuis plusieurs soirs je perçois un son incongru dans la montagne : quelques accords, une mélodie et une voix masculine qui l’ accompagne. Toujours à la nuit tombée et plus ou moins audible selon comment porte le vent, au point que parfois je me demande si ce n‘est pas dans ma tête. Le premier soir Chopin a aboyé, jaloux qu’un autre ose exprimer la moindre musicalité. J’ai posé la main sur lui pour le rassurer et il est venu recouvrir mes pieds de ses poils. Une chauffeuse attitrée.
Je passe devant les bergeries voisines lors de mes ballades, mais jusqu’alors elles étaient toutes fermées et semblaient à l’abandon. Il faut croire que l’une d’entre elles a trouvé un occupant. J’hésite entre être irritée de devoir partager mon bout de montagne et intriguée de savoir qui est ce guitariste noctambule.
Dans la matinée j’ai pris la cane sculptée par mon grand-père et je me suis dirigée vers le haut du chemin des noisetiers. Il mène, tout au bout, à une grande clairière qui sert de terrain de jeu à des poneys. J’aime aller les contempler. Au début, lorsque j’arrive, ils fuient à l’autre bout du pré ou partent se cacher dans les bois proches. Je m’installe sur un bout d’herbe, bien calée sur mon sac à dos, un livre à la main et je ne bouge plus. Peu à peu ils s’habituent à ma présence et ne font pas plus cas de moi que du paysage. Je peux alors à loisir observer leurs jeux, leurs rites, ou tout simplement leur façon de chasser les mouches continuellement fourrées sur eux. Le coup de queue est rapide pour brasser un peu l’air et déloger les plus peureuses. La crinière s’agite régulièrement, dans le même but, mais les obstinées reviennent toujours s’accrocher aux crins. Jusqu’à ce qu’un tas de crottin frais les attire irrémédiablement. A la manière de certains journalistes lorsque Val est mort.
Certains rêvent d’un mariage intime, j’aurais souhaité un enterrement loin de la foule. Pouvoir déposer un baiser sur son cercueil sans flashs avides d’immortaliser le geste. J’ai lu des histoires de veuves éplorées au bord de se jeter dans le trou avant qu’on ne le referme. Je n’ai rien ressenti de tel. Je n’en ai pas eu l’occasion, obsédée par le sentiment d’un devoir à accomplir : le protéger malgré moi de ma notoriété, lui offrir une dernière demeure – selon l’horrible terme consacré – digne et calme, sans les impudeurs des gens en mal de potins. Ce ne fut pas le cas, mais les charognards n’ont eu que le corps en image, et sa boite. L’âme est restée à moi. A moi seule. Ce que nous avons vécu ensemble je ne l’ai raconté à personne, ce n‘est pourtant pas faute d‘avoir été sollicitée. Le monde entier peut bien avoir nos biographies, il ne partagera jamais les secrets de l’alcôve, les fous-rires et les engueulades, la fusion et la passion. J’ai tout emporté avec moi dans la montagne, en écho.
– Il y a quelqu’un ? Frédérique vous êtes là ?
Zut ! C’est quoi ça ? On ne peut pas rester tranquillement enfermée pendant trois jours, à végéter en pyjama et chaussettes, le cheveux gras et le corps négligé sans devoir donner des réponses à des questions idiotes ? Bien sûr que je suis là, le poêle fume et la porte est ouverte. Je reste au lit, peut-être qu’il partira. Mais il ne part pas. Il entre le bougre, je l’entends couiner sur le sol. Au bruit je peux presque visualiser ses chaussures de ville, ridicules pour venir dans le coin. Je l’imagine aussi dans son sempiternel costume sombre, cravate délicatement resserrée autour d’un col amidonné. Tout d’un croque-mort.
– C’est François… Vous m’entendez ?
Il faudrait être sourde. Et nul besoin de se nommer, j’ai reconnu la voix. Pour un homme qui disait apprécier mon oreille musicale, il pose décidemment des questions bêtes.
Bon, la sieste est terminée, si je le laisse monter il va me faire tout un cinéma sur l’état des lieux, ni rangés ni convenables.
– Je ne suis pas présentable, laissez-moi un instant, j’arrive.
– Ah ! Je suis heureux de vous entendre, je vous attends dehors.
Fait donc ça oui. Et Chopin qu’est-ce qu’il fout ? Il ne pouvait pas se servir d’un bout de gras de mollet au passage, ou au moins entonner une héroïque en aboiements mineurs.
– Qu’est-ce que vous faites là ?
– Bonjour… Vous ne répondez pas à mes courriers, alors…
– Vous ne vous êtes pas dit qu’il y avait sans doute une raison ?
– Je n’attendais pas d’autre accueil de votre part Fred !
– Ne m’appelez pas comme ça !
– Pardon. Comment allez-vous ?
– Bien jusqu’à votre arrivée. Désolée… Ne faites pas cette tête, vous me connaissez non ?
– Oui…
– Je n’ai envie de voir personne, même pas vous, je pensais que vous l’aviez compris François.
– Bien sûr, mais vous ne pouvez pas m’en vouloir de m’inquiéter pour vous.
– Pour moi ou pour votre pianiste lucrative ?
– Eh bien, pour être franc… Un peu des deux.
Le soleil se couche. Chopin, très courageux, est réapparu dés que l’inconnu est parti. Il s’est avancé vers moi, la babine retroussée sur un rictus d’excuse.
Mon bout du monde est atteignable, je ne suis pas partie assez loin. Peut-être que si je me coupe quelques doigts à la hache il me laissera tranquille ? Voilà ce que j’aurais dû répliquer, mais l’énervement m’ôte souvent tout sens de la répartie. L’attendrissement a le même effet, et dieu sait que Valère savait jouer de cette faiblesse-là. En attendant j’ai dû supporter le discours de mon ancien manager, l’écouter insister et presque me supplier de faire ce concert d’adieu. « Le dernier Frédérique, pour dire au revoir convenablement ». Le dernier, ça veut dire le pouce et avant que je ne m’en sois aperçue il m’aura dévoré le bras. J’ai poliment et fermement refusé. Ce qui eut été convenable c’eut été de ne pas perdre l’homme de ma vie en quelques mois. Je me moque du public et plus encore de ceux qui ont vécu à mes crochets du temps glorieux. J’ai trop longtemps laissé les autres me grignoter, m’oubliant pour les satisfaire. J’ai désormais décidé d’apprendre à être égoïste. Tant pis si on ne le comprend pas. Je ne vais pas me justifier en plus.
Pourquoi je pleure alors ? Parce que ses mains me manquent. Il les posait sur mes yeux avant de m’embrasser, et tout ce qui n’était pas ses lèvres et sa langue disparaissait. Je pose mes mains sur mes yeux et ma bouche tremble. Et puis, toutes proches, les premières notes du concerto d’Aranjuez viennent apaiser ma peine. Baume, onguent. Cette lente montée de cordes pincées me fait le même effet à chaque fois. L’inconnu de la bergerie le joue divinement bien, il y met le sentiment qu’il faut. Peut-être a-t-il perçu mes sanglots et voulu me consoler. Peut-être que le bonheur est simple comme un rendez-vous musical nocturne avec un guitariste que je ne rencontrerai jamais…
Jeanne et Louis, j’espère que la suite ne sera pas décevante.
Merci à vous tous ainsi qu’à Midnightrambler, la librairie oui, j’ai toujours trouvé que c’était un lieu propice à la rencontre.
***
Depuis plusieurs soirs je perçois un son incongru dans la montagne : quelques accords, une mélodie et une voix masculine qui l’ accompagne. Toujours à la nuit tombée et plus ou moins audible selon comment porte le vent, au point que parfois je me demande si ce n‘est pas dans ma tête. Le premier soir Chopin a aboyé, jaloux qu’un autre ose exprimer la moindre musicalité. J’ai posé la main sur lui pour le rassurer et il est venu recouvrir mes pieds de ses poils. Une chauffeuse attitrée.
Je passe devant les bergeries voisines lors de mes ballades, mais jusqu’alors elles étaient toutes fermées et semblaient à l’abandon. Il faut croire que l’une d’entre elles a trouvé un occupant. J’hésite entre être irritée de devoir partager mon bout de montagne et intriguée de savoir qui est ce guitariste noctambule.
Dans la matinée j’ai pris la cane sculptée par mon grand-père et je me suis dirigée vers le haut du chemin des noisetiers. Il mène, tout au bout, à une grande clairière qui sert de terrain de jeu à des poneys. J’aime aller les contempler. Au début, lorsque j’arrive, ils fuient à l’autre bout du pré ou partent se cacher dans les bois proches. Je m’installe sur un bout d’herbe, bien calée sur mon sac à dos, un livre à la main et je ne bouge plus. Peu à peu ils s’habituent à ma présence et ne font pas plus cas de moi que du paysage. Je peux alors à loisir observer leurs jeux, leurs rites, ou tout simplement leur façon de chasser les mouches continuellement fourrées sur eux. Le coup de queue est rapide pour brasser un peu l’air et déloger les plus peureuses. La crinière s’agite régulièrement, dans le même but, mais les obstinées reviennent toujours s’accrocher aux crins. Jusqu’à ce qu’un tas de crottin frais les attire irrémédiablement. A la manière de certains journalistes lorsque Val est mort.
Certains rêvent d’un mariage intime, j’aurais souhaité un enterrement loin de la foule. Pouvoir déposer un baiser sur son cercueil sans flashs avides d’immortaliser le geste. J’ai lu des histoires de veuves éplorées au bord de se jeter dans le trou avant qu’on ne le referme. Je n’ai rien ressenti de tel. Je n’en ai pas eu l’occasion, obsédée par le sentiment d’un devoir à accomplir : le protéger malgré moi de ma notoriété, lui offrir une dernière demeure – selon l’horrible terme consacré – digne et calme, sans les impudeurs des gens en mal de potins. Ce ne fut pas le cas, mais les charognards n’ont eu que le corps en image, et sa boite. L’âme est restée à moi. A moi seule. Ce que nous avons vécu ensemble je ne l’ai raconté à personne, ce n‘est pourtant pas faute d‘avoir été sollicitée. Le monde entier peut bien avoir nos biographies, il ne partagera jamais les secrets de l’alcôve, les fous-rires et les engueulades, la fusion et la passion. J’ai tout emporté avec moi dans la montagne, en écho.
– Il y a quelqu’un ? Frédérique vous êtes là ?
Zut ! C’est quoi ça ? On ne peut pas rester tranquillement enfermée pendant trois jours, à végéter en pyjama et chaussettes, le cheveux gras et le corps négligé sans devoir donner des réponses à des questions idiotes ? Bien sûr que je suis là, le poêle fume et la porte est ouverte. Je reste au lit, peut-être qu’il partira. Mais il ne part pas. Il entre le bougre, je l’entends couiner sur le sol. Au bruit je peux presque visualiser ses chaussures de ville, ridicules pour venir dans le coin. Je l’imagine aussi dans son sempiternel costume sombre, cravate délicatement resserrée autour d’un col amidonné. Tout d’un croque-mort.
– C’est François… Vous m’entendez ?
Il faudrait être sourde. Et nul besoin de se nommer, j’ai reconnu la voix. Pour un homme qui disait apprécier mon oreille musicale, il pose décidemment des questions bêtes.
Bon, la sieste est terminée, si je le laisse monter il va me faire tout un cinéma sur l’état des lieux, ni rangés ni convenables.
– Je ne suis pas présentable, laissez-moi un instant, j’arrive.
– Ah ! Je suis heureux de vous entendre, je vous attends dehors.
Fait donc ça oui. Et Chopin qu’est-ce qu’il fout ? Il ne pouvait pas se servir d’un bout de gras de mollet au passage, ou au moins entonner une héroïque en aboiements mineurs.
– Qu’est-ce que vous faites là ?
– Bonjour… Vous ne répondez pas à mes courriers, alors…
– Vous ne vous êtes pas dit qu’il y avait sans doute une raison ?
– Je n’attendais pas d’autre accueil de votre part Fred !
– Ne m’appelez pas comme ça !
– Pardon. Comment allez-vous ?
– Bien jusqu’à votre arrivée. Désolée… Ne faites pas cette tête, vous me connaissez non ?
– Oui…
– Je n’ai envie de voir personne, même pas vous, je pensais que vous l’aviez compris François.
– Bien sûr, mais vous ne pouvez pas m’en vouloir de m’inquiéter pour vous.
– Pour moi ou pour votre pianiste lucrative ?
– Eh bien, pour être franc… Un peu des deux.
Le soleil se couche. Chopin, très courageux, est réapparu dés que l’inconnu est parti. Il s’est avancé vers moi, la babine retroussée sur un rictus d’excuse.
Mon bout du monde est atteignable, je ne suis pas partie assez loin. Peut-être que si je me coupe quelques doigts à la hache il me laissera tranquille ? Voilà ce que j’aurais dû répliquer, mais l’énervement m’ôte souvent tout sens de la répartie. L’attendrissement a le même effet, et dieu sait que Valère savait jouer de cette faiblesse-là. En attendant j’ai dû supporter le discours de mon ancien manager, l’écouter insister et presque me supplier de faire ce concert d’adieu. « Le dernier Frédérique, pour dire au revoir convenablement ». Le dernier, ça veut dire le pouce et avant que je ne m’en sois aperçue il m’aura dévoré le bras. J’ai poliment et fermement refusé. Ce qui eut été convenable c’eut été de ne pas perdre l’homme de ma vie en quelques mois. Je me moque du public et plus encore de ceux qui ont vécu à mes crochets du temps glorieux. J’ai trop longtemps laissé les autres me grignoter, m’oubliant pour les satisfaire. J’ai désormais décidé d’apprendre à être égoïste. Tant pis si on ne le comprend pas. Je ne vais pas me justifier en plus.
Pourquoi je pleure alors ? Parce que ses mains me manquent. Il les posait sur mes yeux avant de m’embrasser, et tout ce qui n’était pas ses lèvres et sa langue disparaissait. Je pose mes mains sur mes yeux et ma bouche tremble. Et puis, toutes proches, les premières notes du concerto d’Aranjuez viennent apaiser ma peine. Baume, onguent. Cette lente montée de cordes pincées me fait le même effet à chaque fois. L’inconnu de la bergerie le joue divinement bien, il y met le sentiment qu’il faut. Peut-être a-t-il perçu mes sanglots et voulu me consoler. Peut-être que le bonheur est simple comme un rendez-vous musical nocturne avec un guitariste que je ne rencontrerai jamais…
elea- Nombre de messages : 4894
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Date d'inscription : 09/04/2010
Re: L'exilée du val perdu
Quelques remarques non classées :
La présence du chien est difficile à avaler surtout quand Bethoven, l'illustre Saint Bernard, amuse les enfants. Chopin, le chien montagne des pyrénées appartient à la race des animaux recherchée pour ses qualités de gardien. Le patou se négocie cher (une saillie peut atteindre 400 euros, un petit sevré tout autant). Le voisin, celui qui ne parle pas, ne peut pas donner ce genre de chiot, surtout en devinant que sa nouvelle voisine est une célébrité au vu du courrier qu'elle reçoit. Le paysan est taciturne certes, mais un sou est un sou ; s'il vend du lait, du fromage, du pain, des légumes, des conserves, c'est donc aussi un commerçant. Le chien patou ne va pas le quitter sans monnayer une transaction honorable. Il est possible que ce soit un bâtard et là le voisin sera moins gourmand.
Un patou impressionne car par instinct il garde ce qui l'environne, ce peut être des brebis, des vaches, des enfants, des adultes. Lorsque un intru entre dans le cercle de proximité il aboie fort, et jeune il jappe vivement tout en protégeant son entourage.
Ce voisin m'intrigue. Les habitants des campagnes sont curieux de tout. Il ne manquera pas, même discrètement de poser des questions pour devenir aux yeux de la communauté l'homme qui a vu la femme. Bien ou mal, tout se sait, tout se dit.
Le passage avec les poney me surprend aussi.
Frédérique n'était pas assez forte pour affronter la douloureuse disparition dans son environnement habituel. Retirée du monde, cette femme ne pourra pas vivre sereinement son deuil sans une profonde déprime. La solitude pèse. La montagne ne fait pas de cadeaux. Le berger s'en tire à peu près bien parce qu'il se raccroche à ses occupations quotidiennes pendant l'estive, jamais en hiver. Une inconnue parachutée dans ce cadre hostile doit connaître des phases de déprime absolue.
C'est tout pour l'instant. Ce ne sont que des détails. J'aime te lire.
La présence du chien est difficile à avaler surtout quand Bethoven, l'illustre Saint Bernard, amuse les enfants. Chopin, le chien montagne des pyrénées appartient à la race des animaux recherchée pour ses qualités de gardien. Le patou se négocie cher (une saillie peut atteindre 400 euros, un petit sevré tout autant). Le voisin, celui qui ne parle pas, ne peut pas donner ce genre de chiot, surtout en devinant que sa nouvelle voisine est une célébrité au vu du courrier qu'elle reçoit. Le paysan est taciturne certes, mais un sou est un sou ; s'il vend du lait, du fromage, du pain, des légumes, des conserves, c'est donc aussi un commerçant. Le chien patou ne va pas le quitter sans monnayer une transaction honorable. Il est possible que ce soit un bâtard et là le voisin sera moins gourmand.
Un patou impressionne car par instinct il garde ce qui l'environne, ce peut être des brebis, des vaches, des enfants, des adultes. Lorsque un intru entre dans le cercle de proximité il aboie fort, et jeune il jappe vivement tout en protégeant son entourage.
Ce voisin m'intrigue. Les habitants des campagnes sont curieux de tout. Il ne manquera pas, même discrètement de poser des questions pour devenir aux yeux de la communauté l'homme qui a vu la femme. Bien ou mal, tout se sait, tout se dit.
Le passage avec les poney me surprend aussi.
Frédérique n'était pas assez forte pour affronter la douloureuse disparition dans son environnement habituel. Retirée du monde, cette femme ne pourra pas vivre sereinement son deuil sans une profonde déprime. La solitude pèse. La montagne ne fait pas de cadeaux. Le berger s'en tire à peu près bien parce qu'il se raccroche à ses occupations quotidiennes pendant l'estive, jamais en hiver. Une inconnue parachutée dans ce cadre hostile doit connaître des phases de déprime absolue.
C'est tout pour l'instant. Ce ne sont que des détails. J'aime te lire.
bertrand-môgendre- Nombre de messages : 7526
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Re: L'exilée du val perdu
Bonjour elea,
Ahhh ... les mains d'un homme ! ... et si, en plus, elles jouent de la guitare !
Amicalement,
midnightrambler
Ahhh ... les mains d'un homme ! ... et si, en plus, elles jouent de la guitare !
Amicalement,
midnightrambler
midnightrambler- Nombre de messages : 2606
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Re: L'exilée du val perdu
Là, je dois avouer craindre un peu la suite. J'espère que tu sauras nous surprendre et ne pas prendre la route toute tracée d'une rencontre (inévitable ?) entre ces deux musiciens retirés dans un monde de solitude....
Et merci pour ce passage plus fourni :-)
Et merci pour ce passage plus fourni :-)
Invité- Invité
Re: L'exilée du val perdu
On suit, on suit l'affaire ;-)
Ba- Nombre de messages : 4855
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Date d'inscription : 08/02/2009
Re: L'exilée du val perdu
Autant le patou est inventé et effectivement je n’y connais rien en chien (et je n’avais pas pensé à Beethoven), autant les poneys c’est du vécu.
Merci beaucoup Bertrand, tu viens de m’inspirer un bout de suite.
Là tu me vexes Easter ! (pour la forme). J’ai l’habitude de suivre les chemins tout tracés dans mes textes, à un ou deux près ? Je te rassure donc, ce n’est pas ce qui est prévu.
Merci de suivre Ba et Midnightrambler.
Merci beaucoup Bertrand, tu viens de m’inspirer un bout de suite.
Là tu me vexes Easter ! (pour la forme). J’ai l’habitude de suivre les chemins tout tracés dans mes textes, à un ou deux près ? Je te rassure donc, ce n’est pas ce qui est prévu.
Merci de suivre Ba et Midnightrambler.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: L'exilée du val perdu
Moi aussi je te lis, même si je ne commente pas chaque postage... j'attends la fin en fait ! Je ne suis pas pressée. Tu vas peut-être me faire envisager une balade en montagne...
Re: L'exilée du val perdu
Merci de ton mot Croisic, je serais heureuse de te faire aimer la montagne.
Henri L. est le maître de la montagne. Sa famille s’étend ici depuis des générations ; à force d’héritages, d’achats et de dons, elle est propriétaire de quasiment tous les pâturages et les bergeries du coin. Et quand elle ne possède pas les terrains, elle a droit de passage et d’estive dessus.
Quand mon grand-père est venu prospecter dans le coin pour chercher une bergerie à retaper, il a forcément fait la connaissance d’Henri. A l’époque celui-ci n’avait pas assez d’argent pour reprendre la Grange Du Retour Aux Sources. Je le soupçonne d’avoir laissé mon grand-père l’acquérir en se disant que ce citadin ne ferait pas long feu et finirait par la lui recéder à bon prix. C’était mal connaître mon aïeul ! Il était obsédé par ce coin de montagne, celui-là précisément, pas un autre. De souvenirs d’étés heureux dans la colonie paroissiale, en adultes randonnées, il s’était attaché à cette terre. Ma grand-mère, toujours le rire aux lèvres, prompte à se passionner et s’émerveiller, avait été, elle aussi, séduite par le paysage et l’âpreté de la vie à l’ancienne. Ils ont passé des mois à monter et poser tous les matériaux nécessaires pour rendre la grange habitable et un minimum confortable. Puis ils l’ont meublée et enfin habitée la moitié de l’année, à la bonne saison. Mais ils venaient aussi l’hiver, la voiture abandonnée près de la route, ils faisaient les kilomètres restant dans la neige, valises et victuailles posées sur une grande luge. J’ai moi aussi connu ces expéditions enneigées, bébé sur la luge puis, plus grande, aidant à la faire glisser. J’ai le souvenir d’épisodes de brouillard tellement épais que même les phares de la voiture n’arrivaient à le percer. On faisait le trajet à pied, pas à pas, avec des lampes torches puissantes pour éclairer un peu la route et ne pas finir dans un ravin ou sur les clôtures électriques. Une fois arrivés, les chaussettes et les gants trempés séchaient devant le bigourdan, on gardait les anoraks le temps que la température devienne correcte. Et dés le lendemain, on chaussait les skis de fond pour une ballade. Quand je suis revenue m’installer, en rangeant la remise pour trier les boites de conserve périmées et les vieilles bottes élimées, souvent dépareillées, j’ai retrouvé une paire de skis à attaches. Ils me servent bien l’hiver.
Dés mon arrivée je suis allée voir Henri, par habitude, parce que quand on venait on le prévenait toujours, comme si c’était réellement le maître et qu’il fallait son autorisation pour venir chez soi. Il m’a salué de son habituel « bonjour petite », peut-être parce qu’il m’a vu naître et pas grandir.
– Je suis juste passée prévenir que je monte.
– Vacances ?
– Non, définitif.
– Bon courage petite.
Et c’est sur ces mots d’encouragement que j’ai entamé la montée.
Il est comme ça Henri, il ne pose pas de questions, la vie des gens c’est sacré, intime, de toute manière il lit les journaux… Le seul sujet qu’il aborde quand il le faut c’est le prix de mise en vente et la date.
Il se fait vieux maintenant, ce n’est plus lui qui s’occupe des bêtes, des ruches ou du fromage, les enfants et petits-enfants ont pris la relève. Mais il reste dans sa ferme, à mi-chemin entre ses altitudes chéries et le village, et il vend ses produits à ceuss comme moi : les fous de la ville qui viennent butiner l’air pur un temps, avant de craquer et de s’en retourner vers des climats plus favorables et des bains chauds. Il n’a jamais été bavard, et pourtant il a, au fil des années et à mesure que son respect se taillait dans le roc pour lui, noué une solide amitié avec mon grand-père. Aussi volubile qu’il était taciturne, aussi affable qu’il était bougon. Les deux passaient de longues heures, vers la fin, assis sur un banc devant la table de la grande salle, à jouer aux dames ; ou bien partaient voir les troupeaux sur les hauteurs. Je n’ai jamais su ce qu’ils pouvaient bien se raconter, peut-être que l’un écoutait celui qui parlait. Ou bien peut-être est-ce dans le silence que les amitiés indéfectibles naissent. Je me plais à croire que chacun admirait en l’autre son opposé, ou son complément. Mais je n’ai jamais douté qu’Henri accueillerait « la petite » sans un mot, sans questions et les bras ouverts. Façon de parler. Jamais je ne me suis étonnée qu’il ait toujours à me vendre exactement ce qu’il me fallait pour me nourrir correctement. Je crois qu’Henri veille sur moi comme sur sa montagne, après tout en y vivant, je lui appartiens moi aussi un peu. Parfois j’observe le bâtard patou qu’il m’a donné et dans ses yeux, je croise son regard, « Henri c’est toi ? » il remue la queue et j’éclate de rire de mon idiotie.
Ce n’était pas un guitariste mais une. Un couple plus exactement, c’est la voix masculine qui m’a trompée, lui chante parfois pour accompagner sa femme mais c’est elle qui joue si bien. A vue de rides ils doivent avoir une quarantaine bien tassée, pour ne pas dire cinquante.
J’ai fini par être plus intriguée qu’irritée et j’ai fait le tour des bergeries voisines jusqu’à trouver celle abritant un peu de vie. Toute proche en fait, il suffisait de descendre puis monter la pente qui me la cachait, et de traverser, entre les deux, un petit torrent boueux, sans y laisser une botte dans la succion de la boue détrempée.
La femme était dehors, elle dégageait les bouses laissées au petit matin par les vaches d’Henri.
– Hello ! C’est vous la « petite » ?
Décidemment c’est devenu mon nom ici où personne ne me connait autrement que par l’affection de mon grand-père de substitution. J’apprendrais plus tard que ce sont des neveux d’Henri, des réfugiés de la ville, comme moi.
– Je suppose que c’est moi oui.
– Venez donc prendre une bonne tasse de bavardage devant une tisane.
J’ai accepté. C’est fou ce qu’une formulation peut faire tomber les résistances à toute forme de vie sociale, les miennes du moins. A moins que vivre deux ans en ourse ne m’ait redonné envie de croiser un peu d’humanité.
Voilà trois semaines que la tasse de bavardage est devenue rituelle. Mon couple de voisins mélomanes, prénommés Jacques et Nicole, se sont aussi installés à l’année. Nous avons construit un passage de planches en bois pour enjamber le torrent sans risque et petit à petit un chemin de traces de bottes s’est formé sur l’herbe en pente. Cette année l’hiver sera moins rude.
***
Henri L. est le maître de la montagne. Sa famille s’étend ici depuis des générations ; à force d’héritages, d’achats et de dons, elle est propriétaire de quasiment tous les pâturages et les bergeries du coin. Et quand elle ne possède pas les terrains, elle a droit de passage et d’estive dessus.
Quand mon grand-père est venu prospecter dans le coin pour chercher une bergerie à retaper, il a forcément fait la connaissance d’Henri. A l’époque celui-ci n’avait pas assez d’argent pour reprendre la Grange Du Retour Aux Sources. Je le soupçonne d’avoir laissé mon grand-père l’acquérir en se disant que ce citadin ne ferait pas long feu et finirait par la lui recéder à bon prix. C’était mal connaître mon aïeul ! Il était obsédé par ce coin de montagne, celui-là précisément, pas un autre. De souvenirs d’étés heureux dans la colonie paroissiale, en adultes randonnées, il s’était attaché à cette terre. Ma grand-mère, toujours le rire aux lèvres, prompte à se passionner et s’émerveiller, avait été, elle aussi, séduite par le paysage et l’âpreté de la vie à l’ancienne. Ils ont passé des mois à monter et poser tous les matériaux nécessaires pour rendre la grange habitable et un minimum confortable. Puis ils l’ont meublée et enfin habitée la moitié de l’année, à la bonne saison. Mais ils venaient aussi l’hiver, la voiture abandonnée près de la route, ils faisaient les kilomètres restant dans la neige, valises et victuailles posées sur une grande luge. J’ai moi aussi connu ces expéditions enneigées, bébé sur la luge puis, plus grande, aidant à la faire glisser. J’ai le souvenir d’épisodes de brouillard tellement épais que même les phares de la voiture n’arrivaient à le percer. On faisait le trajet à pied, pas à pas, avec des lampes torches puissantes pour éclairer un peu la route et ne pas finir dans un ravin ou sur les clôtures électriques. Une fois arrivés, les chaussettes et les gants trempés séchaient devant le bigourdan, on gardait les anoraks le temps que la température devienne correcte. Et dés le lendemain, on chaussait les skis de fond pour une ballade. Quand je suis revenue m’installer, en rangeant la remise pour trier les boites de conserve périmées et les vieilles bottes élimées, souvent dépareillées, j’ai retrouvé une paire de skis à attaches. Ils me servent bien l’hiver.
Dés mon arrivée je suis allée voir Henri, par habitude, parce que quand on venait on le prévenait toujours, comme si c’était réellement le maître et qu’il fallait son autorisation pour venir chez soi. Il m’a salué de son habituel « bonjour petite », peut-être parce qu’il m’a vu naître et pas grandir.
– Je suis juste passée prévenir que je monte.
– Vacances ?
– Non, définitif.
– Bon courage petite.
Et c’est sur ces mots d’encouragement que j’ai entamé la montée.
Il est comme ça Henri, il ne pose pas de questions, la vie des gens c’est sacré, intime, de toute manière il lit les journaux… Le seul sujet qu’il aborde quand il le faut c’est le prix de mise en vente et la date.
Il se fait vieux maintenant, ce n’est plus lui qui s’occupe des bêtes, des ruches ou du fromage, les enfants et petits-enfants ont pris la relève. Mais il reste dans sa ferme, à mi-chemin entre ses altitudes chéries et le village, et il vend ses produits à ceuss comme moi : les fous de la ville qui viennent butiner l’air pur un temps, avant de craquer et de s’en retourner vers des climats plus favorables et des bains chauds. Il n’a jamais été bavard, et pourtant il a, au fil des années et à mesure que son respect se taillait dans le roc pour lui, noué une solide amitié avec mon grand-père. Aussi volubile qu’il était taciturne, aussi affable qu’il était bougon. Les deux passaient de longues heures, vers la fin, assis sur un banc devant la table de la grande salle, à jouer aux dames ; ou bien partaient voir les troupeaux sur les hauteurs. Je n’ai jamais su ce qu’ils pouvaient bien se raconter, peut-être que l’un écoutait celui qui parlait. Ou bien peut-être est-ce dans le silence que les amitiés indéfectibles naissent. Je me plais à croire que chacun admirait en l’autre son opposé, ou son complément. Mais je n’ai jamais douté qu’Henri accueillerait « la petite » sans un mot, sans questions et les bras ouverts. Façon de parler. Jamais je ne me suis étonnée qu’il ait toujours à me vendre exactement ce qu’il me fallait pour me nourrir correctement. Je crois qu’Henri veille sur moi comme sur sa montagne, après tout en y vivant, je lui appartiens moi aussi un peu. Parfois j’observe le bâtard patou qu’il m’a donné et dans ses yeux, je croise son regard, « Henri c’est toi ? » il remue la queue et j’éclate de rire de mon idiotie.
Ce n’était pas un guitariste mais une. Un couple plus exactement, c’est la voix masculine qui m’a trompée, lui chante parfois pour accompagner sa femme mais c’est elle qui joue si bien. A vue de rides ils doivent avoir une quarantaine bien tassée, pour ne pas dire cinquante.
J’ai fini par être plus intriguée qu’irritée et j’ai fait le tour des bergeries voisines jusqu’à trouver celle abritant un peu de vie. Toute proche en fait, il suffisait de descendre puis monter la pente qui me la cachait, et de traverser, entre les deux, un petit torrent boueux, sans y laisser une botte dans la succion de la boue détrempée.
La femme était dehors, elle dégageait les bouses laissées au petit matin par les vaches d’Henri.
– Hello ! C’est vous la « petite » ?
Décidemment c’est devenu mon nom ici où personne ne me connait autrement que par l’affection de mon grand-père de substitution. J’apprendrais plus tard que ce sont des neveux d’Henri, des réfugiés de la ville, comme moi.
– Je suppose que c’est moi oui.
– Venez donc prendre une bonne tasse de bavardage devant une tisane.
J’ai accepté. C’est fou ce qu’une formulation peut faire tomber les résistances à toute forme de vie sociale, les miennes du moins. A moins que vivre deux ans en ourse ne m’ait redonné envie de croiser un peu d’humanité.
Voilà trois semaines que la tasse de bavardage est devenue rituelle. Mon couple de voisins mélomanes, prénommés Jacques et Nicole, se sont aussi installés à l’année. Nous avons construit un passage de planches en bois pour enjamber le torrent sans risque et petit à petit un chemin de traces de bottes s’est formé sur l’herbe en pente. Cette année l’hiver sera moins rude.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: L'exilée du val perdu
Eh bien, me voilà rassurée quant au déroulement du récit.
Beau portrait d'un homme pudique.
L'histoire progresse bien je trouve, l'écriture est concise, nette, sans bavures. Toutefois, comme précédemment (et comme dans la phrase qui précède aussi !), j'opterais pour un plus-que-parfait ici, puisque tu relates des évènements d'avant le temps de la narration :
Ils ont passé des mois à monter
Et peut-être même ici :
J’ai moi aussi connu ces expéditions enneigées,
Des exemples de cette concision, de la limpidité que j'aime :
Il m’a salué de son habituel « bonjour petite », peut-être parce qu’il m’a vu naître et pas grandir.
Et celle-ci, petit bijou de sagesse :
Ou bien peut-être est-ce dans le silence que les amitiés indéfectibles naissent.
C'est très bien elea, l'ensemble est jusqu'ici sincèrement très bon.
Beau portrait d'un homme pudique.
L'histoire progresse bien je trouve, l'écriture est concise, nette, sans bavures. Toutefois, comme précédemment (et comme dans la phrase qui précède aussi !), j'opterais pour un plus-que-parfait ici, puisque tu relates des évènements d'avant le temps de la narration :
Ils ont passé des mois à monter
Et peut-être même ici :
J’ai moi aussi connu ces expéditions enneigées,
Des exemples de cette concision, de la limpidité que j'aime :
Il m’a salué de son habituel « bonjour petite », peut-être parce qu’il m’a vu naître et pas grandir.
Et celle-ci, petit bijou de sagesse :
Ou bien peut-être est-ce dans le silence que les amitiés indéfectibles naissent.
C'est très bien elea, l'ensemble est jusqu'ici sincèrement très bon.
Invité- Invité
Re: L'exilée du val perdu
Bonjour Elea,
Je viens de parcourir avec plaisir l'ensemble de ton texte. C'est vraiment bien écrit, avec beaucoup de délicatesse. Les descriptions et les portraits sont justes, vivants, l'intrigue bien menée. J'ai plongé avec curiosité et facilité dans cette exil "into the wild". On s'identifie sans peine à la narratrice. Son deuil et cette tentative de poursuivre sa vie autrement me touchent particulièrement... j'attends donc moi aussi la suite avec impatience ! Merci.
Je viens de parcourir avec plaisir l'ensemble de ton texte. C'est vraiment bien écrit, avec beaucoup de délicatesse. Les descriptions et les portraits sont justes, vivants, l'intrigue bien menée. J'ai plongé avec curiosité et facilité dans cette exil "into the wild". On s'identifie sans peine à la narratrice. Son deuil et cette tentative de poursuivre sa vie autrement me touchent particulièrement... j'attends donc moi aussi la suite avec impatience ! Merci.
ombre77- Nombre de messages : 37
Age : 47
Localisation : Beyrouth
Date d'inscription : 10/02/2011
Re: L'exilée du val perdu
Bonsoir elea,
On ne se déshabille pas de son passé aussi facilement que cela ! Donner le nom de Chopin à son chien en était un signe évident. Ce sont les accords de guitare probablement un peu folklo qui attirent la rigueur pianistique ... et le guitariste est un couple aux mains de féminines ...
En arrière-plan la montagne est très belle !
Mais ce sont les femmes et les hommes qui font les histoires ... ils sont là, je crois !
Amicalement
midnightrambler
On ne se déshabille pas de son passé aussi facilement que cela ! Donner le nom de Chopin à son chien en était un signe évident. Ce sont les accords de guitare probablement un peu folklo qui attirent la rigueur pianistique ... et le guitariste est un couple aux mains de féminines ...
En arrière-plan la montagne est très belle !
Mais ce sont les femmes et les hommes qui font les histoires ... ils sont là, je crois !
Amicalement
midnightrambler
midnightrambler- Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010
Re: L'exilée du val perdu
Merci à tous pour vos commentaires.
Je vais essayer pour les temps mais je ne suis pas à l’aise dans celui-là, c’est pour ça que je triche :-)
L’été est reposant, je m’occupe moins du poêle. Je ramasse un peu de bois pour reconstituer la réserve mais il faudra songer à me faire monter une stère pour cet hiver. La fraîcheur de la bergerie, si dure quand les températures sont glaciales, est un havre lorsqu’elles sont clémentes. Il m’arrive d’oublier que dehors c’est la fournaise, dedans je dois toujours garder une « petite laine » comme disait ma grand-mère, je savoure moi qui ne supporte pas la chaleur. En revanche je suis victime des aoûtats, allergique à leurs piqûres, je pustule sur tout le corps et me réveille la nuit pour me gratter. Les crèmes n’y font rien, j’évite d’aller traîner dans l’herbe et n’oublie pas de sortir en bottes, le pantalon rentré dedans. Mais je vais quand même chercher des myrtilles, rien de tel qu’une tarte et une langue noire pour me faire sourire.
Nicole n’a jamais voulu exercer de métier, même pas celui d’artiste. Elle aurait pu donner des cours de guitare mais s’y est toujours refusée : « on ne monnaye pas une passion ». Elle se contentait d’apprendre les premiers accords aux enfants de ses amis, ou de jouer pour eux. Le reste du temps elle se perfectionnait toute seule, composait quelques mélodies et chansons et se produisait dans les fêtes de quartier ou lors de la fête de la musique. Lorsque Jacques a été victime de la crise et est tombé au chômage comme on dit – sacrée chute à presque cinquante ans dont trente dans la même entreprise – ils ont tenté tous les deux de rebondir, mais ont fini par se retrouver presque à la rue. Ils se sont tournés vers Henri qui leur a prêté la bergerie pour y vivre le temps qu’ils voudraient, celui de se retourner par exemple. Mais comme dit Nicole : « à nos âges on a plus vite le tournis que l’occasion de se retourner ». Alors ils se sont installés, Jacques aide son oncle à la fromagerie et elle l’attend tous les soirs, la guitare à la main, pour le délasser en musique de sa journée de labeur. « J’aimerais autant un massage » plaisante-t-il souvent, mais ses yeux lorsqu’elle joue, et sa belle voix grave qui ne peut s’empêcher de l’accompagner, disent le contraire. Ils n’ont pas d’enfants, c’est une faille, un sujet qu’ils abordent de temps en temps mais sans s’appesantir. J‘évite d‘en parler, je sais qu’ils s’étaient résolus à l’adoption juste avant que leurs ennuis commencent. Le projet est temporairement suspendu. Mais ils ont un équilibre que j’envie. Peut-être la force du temps qui a créé entre eux cette complicité sans heurts, cette tendresse loin des élans passionnés mais solide et sereine. Si sa maladie nous avait laissé vingt ans, peut-être qu’un jour Valère et moi aurions pu leur ressembler. Je lui jouais des morceaux de temps en temps, il s’asseyait toujours par terre, à mes pieds mais un peu de biais par rapport à moi.
– Tes notes m‘atteignent, j’ai besoin du sol pour qu’elles ne m’envolent pas.
Il aimait aussi que je pianote sur sa peau pendant qu’il écrivait des mots doux sur mon dos.
– Chacun son art ma Fred : j’écris, tu joues, et nos œuvres se racontent en caresses.
Je suppose que c’est un sentiment bien humain et compréhensible mais parfois je reste de longs jours sans leur rendre visite, jalouse de leur tranquillité à deux. Un peu honteuse aussi de ressentir un soupçon de rancœur face à ces deux êtres adorables dont la porte m’est toujours ouverte. Y compris pour ne rien dire mais simplement écouter quelques morceaux ou boire une liqueur de mûre.
J’ai beaucoup pensé à Valère ces dernières semaines. En dehors des tâches quotidiennes, je n’ai même pensé qu’à lui, à nous. Soit disant qu’avec le temps la douleur s’estompe, ce n’est pas vrai dans mon cas. Les contours de son visage se font plus flous, son sourire s‘évapore, les souvenirs sont moins précis, mais la vague de souffrance et de manque qui me prend toute entière et m’emporte violemment ne faibli pas elle. J’ai souvent l’impression de me noyer, d’étouffer, d’être engloutie. Dans ces moments-là même la présence de Chopin m’est insupportable, je le confie pour quelques jours à Nicole qui l’adore.
Il m’arrive de désirer très fort en finir. Je pars me promener sur le barrage du Tech et je m’arrête au centre, examinant le vide, comme hypnotisée par lui. J’imagine la longue chute, la violence de l’impact dans l’eau puis mon corps qui coule et, emporté par le courant, se glisse jusqu’à un torrent. Je me visualise poisson se faufilant entre les pierres, les yeux ouverts, un sourire figé sur les retrouvailles dans l’au-delà. Puis coincée contre un rocher plus gros, les remous venant se jeter sur moi et me laver de ma peine.
J’ai conscience que ces pensées sont glauques, mais le fait de savoir que si tout ça est trop pénible à supporter il me reste le choix de m’ôter la vie m’aide à tenir. C’est une porte de secours, une issue, qui me permet de me sentir moins prisonnière de son absence et de garder l’espoir que cela s‘atténue un jour. Tant pis si c’est dans la mort. La mienne au moins j‘aurai prise dessus.
Je reste des jours, enfermée avec ces pensées macabres, incapable de faire autre chose que pleurer. Parfois, au matin, je trouve un panier de bonnes choses devant la porte, sans petit mot, Henri n’aime pas plus l’écrit que l’oral. Et puis, lorsque mes yeux brûlent de trop, lorsque mon nez est irrité de s’être trop mouché, lorsque mon corps est courbatu de s’être trop crispé sur ma douleur, je me relève. Je sors un peu, je me pose devant l’entrée de la bergerie, je laisse le paysage m’envahir de douceur et l’eau glacée de la source recomposer mon visage. Peu à peu la vie se rappelle à moi, je passe récupérer mon chien chez mes amis. Il me fait une fête terrible, ils ne me posent pas de questions, ils savent. Ils sont d’accord pour le garder si un jour je ne revenais pas.
Je vais essayer pour les temps mais je ne suis pas à l’aise dans celui-là, c’est pour ça que je triche :-)
***
L’été est reposant, je m’occupe moins du poêle. Je ramasse un peu de bois pour reconstituer la réserve mais il faudra songer à me faire monter une stère pour cet hiver. La fraîcheur de la bergerie, si dure quand les températures sont glaciales, est un havre lorsqu’elles sont clémentes. Il m’arrive d’oublier que dehors c’est la fournaise, dedans je dois toujours garder une « petite laine » comme disait ma grand-mère, je savoure moi qui ne supporte pas la chaleur. En revanche je suis victime des aoûtats, allergique à leurs piqûres, je pustule sur tout le corps et me réveille la nuit pour me gratter. Les crèmes n’y font rien, j’évite d’aller traîner dans l’herbe et n’oublie pas de sortir en bottes, le pantalon rentré dedans. Mais je vais quand même chercher des myrtilles, rien de tel qu’une tarte et une langue noire pour me faire sourire.
Nicole n’a jamais voulu exercer de métier, même pas celui d’artiste. Elle aurait pu donner des cours de guitare mais s’y est toujours refusée : « on ne monnaye pas une passion ». Elle se contentait d’apprendre les premiers accords aux enfants de ses amis, ou de jouer pour eux. Le reste du temps elle se perfectionnait toute seule, composait quelques mélodies et chansons et se produisait dans les fêtes de quartier ou lors de la fête de la musique. Lorsque Jacques a été victime de la crise et est tombé au chômage comme on dit – sacrée chute à presque cinquante ans dont trente dans la même entreprise – ils ont tenté tous les deux de rebondir, mais ont fini par se retrouver presque à la rue. Ils se sont tournés vers Henri qui leur a prêté la bergerie pour y vivre le temps qu’ils voudraient, celui de se retourner par exemple. Mais comme dit Nicole : « à nos âges on a plus vite le tournis que l’occasion de se retourner ». Alors ils se sont installés, Jacques aide son oncle à la fromagerie et elle l’attend tous les soirs, la guitare à la main, pour le délasser en musique de sa journée de labeur. « J’aimerais autant un massage » plaisante-t-il souvent, mais ses yeux lorsqu’elle joue, et sa belle voix grave qui ne peut s’empêcher de l’accompagner, disent le contraire. Ils n’ont pas d’enfants, c’est une faille, un sujet qu’ils abordent de temps en temps mais sans s’appesantir. J‘évite d‘en parler, je sais qu’ils s’étaient résolus à l’adoption juste avant que leurs ennuis commencent. Le projet est temporairement suspendu. Mais ils ont un équilibre que j’envie. Peut-être la force du temps qui a créé entre eux cette complicité sans heurts, cette tendresse loin des élans passionnés mais solide et sereine. Si sa maladie nous avait laissé vingt ans, peut-être qu’un jour Valère et moi aurions pu leur ressembler. Je lui jouais des morceaux de temps en temps, il s’asseyait toujours par terre, à mes pieds mais un peu de biais par rapport à moi.
– Tes notes m‘atteignent, j’ai besoin du sol pour qu’elles ne m’envolent pas.
Il aimait aussi que je pianote sur sa peau pendant qu’il écrivait des mots doux sur mon dos.
– Chacun son art ma Fred : j’écris, tu joues, et nos œuvres se racontent en caresses.
Je suppose que c’est un sentiment bien humain et compréhensible mais parfois je reste de longs jours sans leur rendre visite, jalouse de leur tranquillité à deux. Un peu honteuse aussi de ressentir un soupçon de rancœur face à ces deux êtres adorables dont la porte m’est toujours ouverte. Y compris pour ne rien dire mais simplement écouter quelques morceaux ou boire une liqueur de mûre.
J’ai beaucoup pensé à Valère ces dernières semaines. En dehors des tâches quotidiennes, je n’ai même pensé qu’à lui, à nous. Soit disant qu’avec le temps la douleur s’estompe, ce n’est pas vrai dans mon cas. Les contours de son visage se font plus flous, son sourire s‘évapore, les souvenirs sont moins précis, mais la vague de souffrance et de manque qui me prend toute entière et m’emporte violemment ne faibli pas elle. J’ai souvent l’impression de me noyer, d’étouffer, d’être engloutie. Dans ces moments-là même la présence de Chopin m’est insupportable, je le confie pour quelques jours à Nicole qui l’adore.
Il m’arrive de désirer très fort en finir. Je pars me promener sur le barrage du Tech et je m’arrête au centre, examinant le vide, comme hypnotisée par lui. J’imagine la longue chute, la violence de l’impact dans l’eau puis mon corps qui coule et, emporté par le courant, se glisse jusqu’à un torrent. Je me visualise poisson se faufilant entre les pierres, les yeux ouverts, un sourire figé sur les retrouvailles dans l’au-delà. Puis coincée contre un rocher plus gros, les remous venant se jeter sur moi et me laver de ma peine.
J’ai conscience que ces pensées sont glauques, mais le fait de savoir que si tout ça est trop pénible à supporter il me reste le choix de m’ôter la vie m’aide à tenir. C’est une porte de secours, une issue, qui me permet de me sentir moins prisonnière de son absence et de garder l’espoir que cela s‘atténue un jour. Tant pis si c’est dans la mort. La mienne au moins j‘aurai prise dessus.
Je reste des jours, enfermée avec ces pensées macabres, incapable de faire autre chose que pleurer. Parfois, au matin, je trouve un panier de bonnes choses devant la porte, sans petit mot, Henri n’aime pas plus l’écrit que l’oral. Et puis, lorsque mes yeux brûlent de trop, lorsque mon nez est irrité de s’être trop mouché, lorsque mon corps est courbatu de s’être trop crispé sur ma douleur, je me relève. Je sors un peu, je me pose devant l’entrée de la bergerie, je laisse le paysage m’envahir de douceur et l’eau glacée de la source recomposer mon visage. Peu à peu la vie se rappelle à moi, je passe récupérer mon chien chez mes amis. Il me fait une fête terrible, ils ne me posent pas de questions, ils savent. Ils sont d’accord pour le garder si un jour je ne revenais pas.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: L'exilée du val perdu
Ce qui me charme surtout, outre cette écriture si limpide dont j'ai déjà parlé, c'est la finesse des réflexions, des détails sur les personnages, leur attitude, leur sentiments, des remarques disséminées ici et là. Je lis ce passage un peu comme une parenthèse, un retour sur soi de la narratrice, une pause. Une impression de calme, une tristesse qui ne s'impose pas et n'étouffe en tout cas pas pas le sentiment de sérénité ambiant.
soi-disant
mais la vague de souffrance [...] qui me prend toute entière et m’emporte violemment ne faiblit pas elle
soi-disant
mais la vague de souffrance [...] qui me prend toute entière et m’emporte violemment ne faiblit pas elle
Invité- Invité
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