Bistrot: Même pas peur!
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Bistrot: Même pas peur!
Même pas peur!
Un campeur
Au fond, à droite, un homme, un Ricard, des cacahuètes. Le tee-shirt crotté, le short décontracté, c’est, à n’en pas douter, un campeur. Il en existe deux sortes : le vrai, le pur, le dur, l’amoureux de la nature, celui qui part le sac sur le dos, la lampe au front et dort sous une toile de tente. L’homme au Ricard-cacahuètes n’est pas de ceux-là ; il fait plutôt partie des amateurs de caravane, voir de camping-car bref des campeurs suffisamment intrépides pour décapsuler une bière à l’aide d’un couteau multifonctions mais pas assez pour oser déféquer en pleine forêt. Je mettrais ma main à couper que des WC chimiques, un vaisselier pliable et une télé portative dorment au fond de son garage jusqu’à l’été prochain.
Destination ? La Bourboule, pourquoi pas. En tout cas la même depuis des années. Même camping donc, même emplacement aussi, mêmes voisins de campement, mêmes partenaires de pétanque, même tout.
Alors bien sûr le campeur n’est campeur qu’une partie de l’année, le reste du temps, il attend devant un petit jaune s’offrant comme la réminiscence de vacances révolues. Là, dans ce bar, il rêve déjà à juillet prochain et espère que les jours ne seront pas trop longs.
Un rappeur
Derrière le campeur, dos à lui, le nez dans un whisky, un rappeur. Enfin je crois que c’en est un. A vrai dire, il est difficilement identifiable comme tel. D’habitude les rappeurs je les reconnais à leur jogging jaune remonté à la mi-mollet et élégamment rentré dans la chaussette gauche. Celui-ci porte bien une casquette quoique pas à l’envers et un pantalon plus ample que nécessaire mais rien qui puisse corroborer avec certitude ma thèse du rappeur.
Cet homme là n’est pas tout à fait de ceux qui scratchent, plutôt de ceux qui affectionnent les clips où des femmes nues exhibent des poitrines outrageuses autour de voitures qui ne le sont pas moins. Bien sûr, il ne comprend pas un traître mot du message que tente d’articuler la canaille gourmetée mais qu’importe puisque la tribu de seins nus s’agite à tire larigot.
Peut-être s’est-il essayé lui-même à rimer sur des rythmes scandés et qui sait s’il ne s’est pas roulé un jour sur son tapis de douche pour risquer un free-style sur des sons hip-hop? Mais à le voir là, dans ce bistrot, le pif dans le whisky et l’âme en peine, je dirais qu’il n’y est pas parvenu.
Un auto stoppeur
A ma gauche, dans l’angle, un jus d’orange, un autostoppeur. Lui, c’est facile, je l’ai reconnu de suite à sa « Guide du routard attitude ». Tout d’abord, il est raide comme un piquet parce qu’il est impératif de, je cite, « se tenir bien droit et non avachi »* quand on fait du stop. Ensuite, il a le sourire crispé car il s’efforce de « paraître détendu » même après avoir fait le pied de grue trois heures durant sur une bretelle d’autoroute. Autre signe distinctif, il a les yeux plissés parce « qu’il ne faut jamais stopper avec des lunettes de soleil » et ce afin d’établir un contact visuel avec l’automobiliste. Bien sûr, l’autostoppeur ne fume pas parce que ça ne fait pas sérieux. Et puis il porte une chemise de couleur claire, de préférence blanche pour qu’on le repère de loin. Mais le Guide du routard n’est pas catégorique à ce sujet, en effet « une certaine forme d’originalité dans l’habillement n’est pas à bannir » ; l’autostoppeur peut, s’il le souhaite, opter pour un tee-shirt coloré au risque de passer pour un « petit-rigolo-qui-a-l’air-bien-sympathique », ce qui est déconseillé mais non rédhibitoire.
Enfin, l’autostoppeur a l’air niais, sinon pourquoi le manuel prendrait-il la peine de préciser les règles de bases de la débrouillardise en ne manquant pas de lui rappeler de « penser à la pancarte désignant la destination » ?
Sans aucun doute, l’homme à gauche, dans l’angle, est un auto-stoppeur.
* Les citations se réfèrent aux préconisations du Guide du routard : http://www.routard.com/guide_voyage_detail/id/24.htm
Un sapeur
Pile en face, penché sur un verre d’eau, un sapeur pompier. Le vrai, le courageux, celui qui fonce tête baissée au secours des chats perchés et part vaillamment à l’assaut des nids de guêpes. Rasé de près, torse bombé, épaules musclées… Je regrette que ce ne soit pas ce genre de type qui pose pour les calendriers.
C’est vrai, j’écope toujours des almanachs où une caserne de moustachus alignés en rang d’oignons sourit devant une belle brochette de camions rouges. Ce serait tellement plus chouette si le gars assis là en face de moi s’enroulait nu dans sa lance à incendie pour égayer un peu mon mois de janvier.
J’étais déjà en train d’imaginer Monsieur Février dans une pose exhibant une épaisse musculature abdominale à peine dissimulée dans sa partie inférieure par un casque en acier lorsque je me suis souvenue que j’avais un texte à finir. J’ai donc renoncé au dix derniers mois de l’année pour maintenir mes neurones en éveil et finir ce que j’avais commencé.
Et moi, et moi, et moi…
En réalité, pas de campeur, de rappeur, d’autostoppeur ni de sapeur dans le café. Mais il avait dit :
« Adonc, et si ça vous dit, 5 x 1500 signes maxi avec dans les rôles principaux, secondaires, comme vous voulez : bistrot et peur ».
Alors je me suis arrêtée au « Rendez-vous du boulon » à l’entrée de Grenade en me disant que j’allais bien trouver matière. Sauf que je suis arrivée et rien, juste cinq camionneurs et même pas peur.
J’ai bien observé et je me suis dit que tous ces gens avaient sans doute une vie cachée et pourquoi pas une vie en « peur » puisque de ça, il me fallait. Alors voilà, j’ai contemplé, parce que c’est comme ça qu’il faut faire il parait quand on écrit. Regarder, prendre l’air inspiré, fumer (indispensable pour la crédibilité) et griffonner sur le carnet, Moleskine si possible.
Et donc j’étais là, la clope au bec et le Waterman à la main quand je me suis rendue compte que j’avais dix paires d’yeux braquées sur moi. Et sentant d’un coup les effluves de testostérone immerger le bar et se concentrer autour de la table à laquelle j’étais assise, j’ai commencé à me sentir mal et me suis dit que quand même, écrire c’était sacrément dangereux.
Même pas peur, même pas peur, même pas peur…
Re: Bistrot: Même pas peur!
Tu m'as bien bluffée Christelle. Moi qui n'étais pas trop emballée par les descriptions....c'était sans savoir que c'était voulu, le passage obligé pour amener la fin du texte. Excellente, savoureuse, très fine.
Zou- Nombre de messages : 5470
Age : 62
Localisation : Poupée nageuse n°165, Bergamini, Italie, 1950-1960
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Bistrot: Même pas peur!
De prime abord peu emballée par le campeur et le rappeur, j'ai été séduite par l'auto-stoppeur (ton texte, pas le bonhomme), et bien surprise par la petite chute, et surtout comme tu nous as bien emballés, je n'y avais vu que du feu, heureusement que tu n'avais pas oublié le sapeur!
Re: Bistrot: Même pas peur!
Je me demandais où tu nous emmenais avec tes descriptions un peu bizarres, pas vraiment drôles mais souriantes tout de même et puis tout s'illumine et la fin justifie les moyens. Une chute bien amenée, originale et réussie!
Il me semble, mais ce n'est qu'une impression perso, que ton style a un peu changé, une écriture plus mûre, plus grave, avec des phrases plus courtes et une manière efficace de situer les ambiances. Une bonne évolution quoi!
Il me semble, mais ce n'est qu'une impression perso, que ton style a un peu changé, une écriture plus mûre, plus grave, avec des phrases plus courtes et une manière efficace de situer les ambiances. Une bonne évolution quoi!
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Bistrot: Même pas peur!
Drôles, si si si, très drôles tes descriptions, notamment l'auto-stoppeur et le sapeur. J'aime toujours autant ton humour moi. C'est comme ça.
Et la peur, ben on l'oublie parce que les descriptions font très bonne diversion, sans ennui. Même si on ne sait pas trop où tu nous emmènes avec tout ça.
Et ce final astucieux qui m'a bien plu, digne détournement de contrainte à la Yali qui se termine pas un magistral "écrire c’est sacrément dangereux."...
Bien vu Krystelle.
Et la peur, ben on l'oublie parce que les descriptions font très bonne diversion, sans ennui. Même si on ne sait pas trop où tu nous emmènes avec tout ça.
Et ce final astucieux qui m'a bien plu, digne détournement de contrainte à la Yali qui se termine pas un magistral "écrire c’est sacrément dangereux."...
Bien vu Krystelle.
Re: Bistrot: Même pas peur!
À croquer !
Je me dis souvent ça en lisant tes textes ; tu croques et c'est mordant.
Et moi je savoure avec le sourire.
(et puis celui qui a déjà rencontré un français au bout du monde qui vous cite la page 78 du « guide du routard » pour vous raconter sa journée, ne pourra qu'apprécier le chapitre auto stoppeur.)
PS : cela dit, la fin et les cinq camionneurs ; ça ressemble plus à un fantasme qu'à une peur
Je me dis souvent ça en lisant tes textes ; tu croques et c'est mordant.
Et moi je savoure avec le sourire.
(et puis celui qui a déjà rencontré un français au bout du monde qui vous cite la page 78 du « guide du routard » pour vous raconter sa journée, ne pourra qu'apprécier le chapitre auto stoppeur.)
PS : cela dit, la fin et les cinq camionneurs ; ça ressemble plus à un fantasme qu'à une peur
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Bistrot: Même pas peur!
Sourire, que peut-on faire sinon sourire en sortant de là-dedans ? Ou se marrer franchement à la description de l’auteur au bistrot, oui bien croqué !
Je rejoins Sahkti dans son commentaire, le style s’affermit et ce n’en est que plus agréable.
Je rejoins Sahkti dans son commentaire, le style s’affermit et ce n’en est que plus agréable.
Yali- Nombre de messages : 8624
Age : 59
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Bistrot: Même pas peur!
Un ton un peu différent cette fois, Krystelle, plus direct moins ambigu, moins original aussi je trouve. Je préférais nettement tes derniers autres textes, plus intéressants à mes yeux car dégageant une atmosphère, un je-ne-sais-quoi de très perso. Cependant ça fonctionne quand même et l’idée est pas mal trouvée.
Kilis- Nombre de messages : 6085
Age : 78
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Bistrot: Même pas peur!
Je suis partagé sur ce texte! J'ai apprécié l'une ou l'autre descriptions bien senties, surtout celle du sapeur savoureuse. Mais je n'ai pas retrouvé l'humour grinçant et les situations souvent cocasses qui caractérise tes textes. Reste la chute qui évidemment m'a fait sourire -)
Nothingman- Nombre de messages : 747
Age : 44
Localisation : diabolo menthe
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Bistrot: Même pas peur!
C'est super marrant, c'est d'ailleurs un peu du gaspillage d'avoir tant de si bonnes idées juste pour un exercice. J'ai pas arreté de rigoler, que ce soit le campeur pas assez campeur pour déféquer en forêt, ton délire avec le guide du routard, le sapeur et le calendrier,... c'est étonnant car ça part dans tout les sens, c'est le genre d'humour que j'aime bien.
Saule- Nombre de messages : 81
Localisation : Bruxelles, Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Bistrot: Même pas peur!
Je ne savais pas exactement où tu voulais en venir avec tes descriptions. Pas qu'elles étaient inintéressantes, même que je les trouvais fort bien réussie, mais ça devenait répétitif. La plupart ont applaudi ta fin, mais moi j'ai certaines réserves J'aurais préféré que tu en restes à la fiction. Que ton écrivain soit un personnage, question de ne pas faire éclater la bulle de mon rêve de lecteur. Bref, un texte qui m'a laissé un peu perplexe, je dois l'avouer...
Jonjon- Nombre de messages : 2908
Age : 40
Date d'inscription : 21/12/2005
Re: Bistrot: Même pas peur!
Peur ! Mais c'est du génie ! :0) Je viens de comprendre en relisant la fin (oui je sais, je suis lente) mais excellent ! Trés bien trouvé !
Il va sans dire que, ce que j'ai préféré, c'est le sapeur entouré de sa lance :0) Ahhhhhh, les pompiers ! m'en faut un
J'aime aussi beaucoup la description de l'autostoppeur avec les références au guide du routard, beaucoup d'humour (qu'est-ce qu'il a l'air con ce guide !).
Oui, bien aimé ce petit texte, belle chute, je ne m'y attendais pas, ça relève le tout, sacrément bien pensé !
Trés visuel aussi, surtout la dernière scène, alors que bizarrement, c'est la moins descriptive.
Il va sans dire que, ce que j'ai préféré, c'est le sapeur entouré de sa lance :0) Ahhhhhh, les pompiers ! m'en faut un
J'aime aussi beaucoup la description de l'autostoppeur avec les références au guide du routard, beaucoup d'humour (qu'est-ce qu'il a l'air con ce guide !).
Oui, bien aimé ce petit texte, belle chute, je ne m'y attendais pas, ça relève le tout, sacrément bien pensé !
Trés visuel aussi, surtout la dernière scène, alors que bizarrement, c'est la moins descriptive.
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