Hecta (les enragées)

Lenteur infime à la gestuelle méticuleuse du souffle d'air lissant la toile de ce paysage en attente. Des bords de l'infiniment sage, se profile une frêle silhouette, vêtue légère, le visage radieux, serti des perles de ses yeux profonds. Par sa fine bouche entrouverte sort en elle, un chant nostalgique, lancinant, une ode mélancolique triste et douce, d'une chamelle émotion ...
voix off (LE TEXTE ! LE TEXTE !!)... pardon, d'une charnelle émotion. Les lèvres tremblent à chaque vibrato tenu par un souffle puissant. L'atmosphère troublant devient lent, de vivre ce moment paisible. Éveil des sens, les fleurs se redressent du repos nocturne, tendent vers elle leur fraîche corolle encore flétrit. Le soleil nouveau caresse timide les mains blanches de la fée...
« Coupez !
Quand je dis, le soleil nouveau, toi là haut tu m'envoies le projo blanc pas le bleu ! Quelle bande d'incapables !
Bon... on reprend tantôt. Pause déjeuner. »
« Hecta, viens un peu par ici, ma beauté. Allons chez Gontrand ensemble. Un tablier de sapeur, ça te dit ? 
- Non, c'est trop gras. Une salade suffira. Comment étais-je ?
- Tout simplement sublissime, darling. Le costume, la voix, tout y était, hormis la lumière de ce bredin. Cet après-midi sera l'apothéose. »

Quittant le plateau, Nestor accompagna Hecta vers le musée, fameux bouchon lyonnais, situé tout près du tournage.
« Nous avons quelques petits détails à régler, ma chérie. Assieds-toi.
En premier lieu : je te veux toute et entière, corps et âme dans ce plan.
En second, tu dois suspendre le temps du spectateur par la profondeur de ton acte féerique.
Troisièmement, ton action nécessite une symbiose parfaite avec les éléments techniques qui t'entourent, c'est pour cette raison que j'ai interrompu le tournage.
Quatrième point : TU es la vedette. Tout tourne autour de TOI. TON sang bout, la caméra tourne... A peine, TU respires, le son prend forme....un clignement de TES yeux et c'est l'ombre qui passe sur la forêt...TU es l'origine de la vie...de l'émotion des sentiments propulsés par TES gestes lents et précis...TES cheveux retiennent les étoiles...TES mains diffusent la chaleur des rayons du soleil...TA grâce ponctue le trait du photographe d'une douce ambiance feutrée...l'énergie passe par TES yeux vifs, incandescents...
Cinquième temps : je te fais totale confiance, car je crois en toi.
Comprends-tu ce que je veux que tu me montres ? »
Relevant le nez de la carte proposée par la patronne, Hecta tranche : 
« Une salade lyonnaise pour moi. Tu préfères un simple beaujolais blanc, ou un petit Côte, mon choux ? »
- Le beaujolais est horrible cette année. Va pour le Côte du Rhône. 
- Juste une question mon choux, pourquoi je dois chanter du Fado ?
- Pour la force, la douceur aigre des humbles, face aux puissants. Les indiens Hopis en Arizona chantaient le matin pour faire pousser le maïs. Toi, à capela tu décroches la timbale darling, chez tous les fleuristes. C'est toi que je voulais, c'est toi que j'ai eu.
- Au fait, un petit truc, comme ça, au passage pendant que j'y pense : tu peux me faire une avance, là ? J'ai une grosse dette à éponger. »
Le portable de Nestor vibre (Pronto...impossible... non...on se rappelle...tchao)
« Et pour mon petit acompte, mon choux ?
- Pas de problème, vois avec Mariane, c'est elle qui s'occupe de...
- Ce n'est pas d'elle dont j'ai besoin ! Mais de toi, tout de suite, là maintenant à présent sur le champ donne moi du fric, vite, ou je t'implose une durite interne, en direct, devant le parterre de minables qui me regardent crier ! Aboule, j'en ai pour une minute. »
Déconfit, Nestor lui tend son porte-feuille d'une main tremblante.
« Ben voilà, il a compris l'angoisse, le petit choux. Je reviens, je vais faire MA provision de lumière personnelle. »

Ça s'est passé comme ça pour Hecta.

A propos des Hopis, connais-tu le roman "Dans l'or du temps" de Claudie Gallay (au Rouergue)? Elle leur rend un magnifique hommage (je le tiens à ta disposition, si jamais).

J'aime beaucoup les interruptions que tu glisses dans ton texte. En particulier le "ton texte, ton texte!".
Je me suis demandée si le texte n'aurait pas gagné en force en s'arrêtant à "Une salade lyonnaise pour moi" (impression toute personnelle, je précise si besoin en était), et en même temps, la suite apporte une dimension différente à Hecta de celle qui aurait été sienne si tout s'était arrêté là. De la grande actrice sobre et hautaine qu'on pourrait imaginer au début, tu en fais un personnage platement banal, presque vulgaire. La suite apporte donc un éclairage nouveau, c'est bien vu.

C'est très imagé (théâtral et /ou cinématographique). Les personnages sont bien dépeints, un peu caricaturals. J'ai rit et passé, du coup, un bon moment de détente. C'est plus leger que ce que tu as pu écrire dernièrement. C'est différent, et tout aussi bien traité. Merci.

c'est bien écrit, juste et les enchainements sont clairs, ce qui n'était pas forcément évident avec la voix off ... mais, un peu de mal à me passionner pour ton texte, peut être simplement le sujet qui m'intéresse moyennement.

J'ai bien aimé ta recherche sur une thématique qui ne colle pas forcément avec ton écriture: bel effort car tout cela se lit bien.