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Monique (les enragées)

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yohanntv
Plotine
silene82
bertrand-môgendre
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Monique (les enragées) Empty Monique (les enragées)

Message  bertrand-môgendre Mer 7 Oct 2009 - 9:18



Monique

(les enragées)




... petit matin, frais dans le fond, lumineux sur les monts. Les brumes longues à dissiper s'effilochent à l'approche du soleil. Discrète, une biche dispute son carré d'herbe avec une cousine tout aussi furtive. Plus loin, la forêt recèle d'alertes arbustives.
Brouette au-devant d'elle, voilà ma voisine qui pousse sa joie sur le chemin de la maumariée. Monique disperse les mouches. L'une d'elles, incommodante, lui tambourine la zone oculaire droite que la douleur a cette nuit encore, hypertrophiée. Large sourire troué sur un visage encore ferme, la paysanne précède ses biquettes. Huit mères, trois jeunes et un bouc qui empeste par ses négligentes mictions. La première impression olfactive chatouille les narines de vagues émanations couleur noisette sur lit de feuilles. À l'approche de la bête, la senteur des sous-bois se transforme en humus pourri puis se concrétise au près, en véritable puanteur de fumier chaud, tout juste sorti de l'étable. Le bouc suinte la débauche des mâles négligés grisants les femelles en chaleur.
— Bonjour Monique. Où vas-tu si vite ?
— J'ai repéré une belle pierre dans le bois du puy. Je vais la ramener à la maison.
Les chèvres attaquent déjà les arbustes fleuris de la haie. Pfiout ! Oh qu'elles sont malignes ! J'y vais, sinon Bruno va m'attendre.
— C'est lui qui va t'aider à charger dans la brouette ?
— T'as qu'à croire. Il doit se préparer pour le rendez-vous !
— Vous sortez ?
— Non ! elle dit sous sa moustache duveteuse. Monique arbore un air radieux, une gaité inhabituelle trahit par des gestes vifs. C'est le notaire qui vient à la maison, me lance-t-elle à voix basse, contente, tout en regardant autour de nous si des oreilles indiscrètes ne l'avaient pas épiée. J'y vais et... faut rien dire à personne.
— Promis.

J'observe la bonne femme s'éloigner par le chemin où cailloux et ornières mettent à rude épreuve la brouette. Bruno, son frère, l'avait équipé d'une roue gonflable donnant ainsi un meilleur confort de conduite en pleine charge, mais à contrario moult rebonds difficilement maitrisables lorsque celle-ci était vide. Les biquettes, à la course aux nouveautés, telles commères du quartier, précédaient l'équipage. Les bottes vertes sales de Monique eurent été une excellente garantie contre la rosée si elles ne laissaient pas apparaître les talons nus de la fermière.
Fermière, une qualification qu'elle n'avait jamais souhaitée vraiment. Sa mère était morte en couche une heure après la mise au monde de Bruno. En tant que sœur de douze ans son ainée, elle se substitua à la maman. Une cousine éloignée vint aider ce ménage à trois, le temps du deuil. Le temps ne dure pas quand cuisine, lessive, traite et fromage occupent le quotidien d'une petite fille oubliant d'être jeune. Les bancs de l'école s'habituèrent à son absence, celui de l'étable à sa constance. Elle n'avait jamais vraiment pu guérir de ce mal que son père lui avait inoculé en la prenant pour béquille. Elle ne lui avait jamais autant parlé ni franchement que lorsqu'elle fut sûre qu'il ne l'entendit plus. Monique passa le plus clair de sa jeunesse à broyer du noir. Frère et sœur devinrent les inséparables, se rapprochant peu à peu elle de la retraite lui du mutisme le plus complet. Loin d'être dispendieuses, leurs activités agricoles leur rapportaient le juste nécessaire pour dégager de quoi vivre chichement.
Je n'étais pas présent lorsqu'en fin de matinée Monique repassa devant la maison, chargée vraisemblablement comme une mule, car pour elle il fallait rentabiliser chaque voyage, avec du bois sec, des pierres, des dents de lion pour ses lapins ou sa salade, voire même du sable récupéré sur le bord du ruisseau.

Quinze jours plus tard, je me présentais chez Bruno et Monique pour emprunter l'âne Zidane, un entier si doux qu'il en était presque amorphe devant les ânesses désireuses, elles, de conclure leur cycle annuel, si petit que, sans l'aide de la déclivité du terrain accidenté, la copulation aurait demandé force échasses. Monique assise sur un billot fustigeait les chiens prêts à me sauter à la gorge.
— Faut pas avoir peur. Ils sont gentils, bruyants, mais gentils quand même.
— Bonjour Monique. Tu vas bien ?
— Vous allez vous taire. Oust ! Foutez le camp !
— Quel accueil !
— Ils font leur travail de chien. Sans eux, nous aurions peur.
— Peur de quoi ?
— Oh ! Toutes espèces de maraudeurs la nuit et la sauvagine qui vient nous narguer jusque dans la cour. Elle posa sur le canard gras son couteau maculé de duvet et de sang, s'essuya la main droite contre son tablier à fleurs.
— Ça va Monique, et avec le notaire, vous avez fait affaire ?
— Oui, répondit-elle avec la brièveté nécessaire pour clore ainsi le sujet étiqueté Confidentiel. C'est bien de venir nous rendre visite. Vous voulez entrer boire quelque chose ?
— Non merci. Bruno n'est pas là ?
— Il doit pas être bien loin. Bruno ! crie-t-elle en direction de l'étable. Son appel me surprit tout comme les aboiements auparavant. Tout va bien à la Berchautière ? Qu'est-ce que tu fous, Bruno ! Sa voix déraillait dans les notes aiguës transformant son appel en cri-qui-tue. Bruno !
— Je veux pas déranger.
— Penses-tu, il est pas loin. Bruno ! Oui... On a de la chance d'avoir un soleil pareil... C'est bon pour le maïs... Bruno !

Mes hochements de tête affirmatifs écourtèrent rapidement le monologue entrecoupé de ses clabaudages en direction du fantôme de son frère définitivement invisible. Je remarquais la nouvelle œuvre de l'artiste déposée sur le muret qui longe le chemin vicinal. De ce granit bleu affleurant les crêts, le même qui défiait la solidité des charrues, Monique s'escrimait à en façonner les ronds en forme de tête du genre de celles qui décorent le haut des chapitaux des églises romanes ou modillons placés sous le larmier des corniches, modestes témoignages exaltant la verve du tailleur.
— Oh comme elle est belle celle-ci aussi ! Tu possèdes un vrai talent. Il faudrait les exposer Monique !
— Ici elles le sont exposées, au Soleil. Bruno non de d'là ! Y se cache où ? C'est pas possible.
— Ce n'est rien. Je voulais Zidane. Il n'aura qu'à l'apporter quand il aura le temps.
— C'est pour la mère qu'a eue son petit ?
— Oui, une belle femelle.
— Bon puisqu'il ne vient pas, je lui dirai. Il poussera son âne dans vot' champ dès ce soir.
— D'accord, on fait comme ça. Au revoir Monique.

Les doigts baillons : silence.
À l'heure de l'éclipse totale,
Resterez-vous sourd, aussi ?

En vol, la crécerelle clame :
Esprit sort de là !
Bruissement d'elle, je fonds.


Je repris la direction de la ferme de Monique et Bruno, accompagné de Zidane qui deux mois durant avait assuré son travail de géniteur. Des jonchées de feuilles mortes sur lesquelles s'ouvraient les bogues des châtaignes, étouffaient le chant des grillons.
Ma voisine s'escrimait dans son jardin à arracher la mauvaise herbe avec une hargne efficace.
— Tudieu ! Quel travail !
Les dix doigts accrochaient fermement la base de la tige d'une cardère qu'elle déterrait en secouant les racines contre ses bottes puis jetait par-dessus la haie. Le bien nommé cabaret des oiseaux finissait sa course de projectile sur le tas d'un compost déjà fort volumineux.
— Ouf, soupira-t-elle en se redressant mains sur les hanches. Feu ma mère disait toujours :
quand on est dans son jardin, on n'a pas le temps de dire du mal de son voisin.
— Jolie formule.

Les sculptures habituées à veiller sur le chemin ne semblaient ni expressives, ni immobiles, ni muettes, mais tout ensemble : absentes.
— Mais dis-moi, t'as vendu tes têtes de pierre ? Je t'en aurai bien acheté une pour l'installer près de ma boîte aux lettres.
— C'est vrai ? Alors, je t'en ferai une. La prochaine sera pour toi.
— Et les autres alors ?
— Tout a disparu. Faut croire que ça plaisait à celui qui les a prises. De toute manière, je les trouvais pas bien jolies. Moi, ça m'occupe de sculpter quand il pleut, alors si ça fait plaisir à quelqu'un, tant mieux.
Il semblait résulter chez elle un profond scepticisme sur la valeur réelle de certaines actions avec lesquelles on fait ordinairement bouillonner le sang d'un être humain, et une indifférence apathique qui jadis lui aurait fait mettre sa blouse de travers, et l’aurait empêché de dormir. En perdant ses premières passions, elle en a conquis d'autres plus raisonnables, celles du travail au plein-air, du doux vivre et du calme plat moral. Son abnégation aussi déconcertante qu'inhabituelle me laissa tout marri.
— Et Zidane, j'en fais quoi ?
— T'as qu'à le libérer là. Il va manger l'herbe du fossé. Bruno le rentrera bien.
— Je lui apporterai une bouteille.
— Bouht' ! Il a besoin de rien... si, peut-être pour passer la herse avant les semis je crois.
— Pas de problème, dis-lui de me téléphoner quand il est prêt à labourer. Et puis je compte sur la sculpture, d'accord ?
— La prochaine sera pour toi, et bonjour à ta petite femme.
Je repartis heureux de posséder bientôt une figurine que seuls les gens de peu savent dénicher au cœur du granit.

La crécerelle volait haut dans le ciel. Face au vent, l'oiseau poursuivait immobile sa traque. Surpris par l'ombre grandissante, un orvet se faufila entre les interstices du muret de pierres sèches.
Le soleil sera chaud. L'automne tout autant.

Tout cela s'est-il vraiment passé comme ça pour Monique ?
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Message  silene82 Mer 7 Oct 2009 - 9:30

Je l'ai lu vite, mais je n'ai pas vraiment retrouvé ton ton, celui des Enragés, que j'aime particulièrement, parce qu'il faut s'y accrocher, que ta prose est difficile, élusive, travaillée.
Rien à dire sur la forme, ça coule, le récit est bon; mais il me manque ce sel particulier d'autres de tes textes: celui-là est-il réellement fini, ou encore ne travail?
En tous cas, j'aime tes flashs et ta sensibilité si présente aux petites gens.
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Message  Invité Mer 7 Oct 2009 - 9:34

Quel portrait ! Elle est magnifique cette Monique, Bertrand ! Tu la fais tellement vivre que je pourrais la peindre, avec ses talons qui dépassent des bottes ( au passage, eussent serait mieux que eurent, je crois) et sa voix qui ressemble à celle de ma vieille voisine appelant sa chienne "Valseueueueuse ! Maudit garce ! Viens-tu ?!!" avec un son de pintade au micro !

J'adore ça : — Non ! elle dit sous sa moustache duveteuse. Monique arbore un air radieux, une gaité inhabituelle trahit par des gestes vifs. C'est le notaire qui vient à la maison, me lance-t-elle à voix basse, contente, tout en regardant autour de nous si des oreilles indiscrètes ne l'avaient pas épiée. J'y vais et... faut rien dire à personne. si justement observé, et plein d'autres petites pépites tout au long du texte...
Un de mes préférés avec Victorine.

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Message  Invité Mer 7 Oct 2009 - 9:42

Une belle chronique de campagne, d'où, pour moi, transparaît un sentiment de gâchis irréparable mais accepté, une résignation forte de son inconscience. Du beau boulot.

A la fin du texte, Monique tutoie le narrateur alors qu'elle le vouvoyait au début. S'agit-il d'une ellipse volontaire pour indiquer une évolution dans le voisinage ?

Remarques de langue :
"Le bouc suinte la débauche des mâles négligés grisant (et non "grisants" ; vu la structure de la phrase, il ne peut s'agir que d'un participe présent) les femelles en chaleur."
"une gaî(ou "gaieté") inhabituelle trahie par des gestes vifs"
"cailloux et ornières mettent à rude épreuve la brouette. Bruno, son frère, l'avait équipée (je ne suis pas sûre pour ce plus-que-parfait alors que cette partie du texte est au présent) d'une roue gonflable donnant ainsi un meilleur confort de conduite en pleine charge, mais a (et non pas "à", il s'agit d'une locution latine) contrario moult rebonds difficilement ma(b]î[/b]trisables"
"Les bottes vertes sales de Monique seraient (pour la concordance des temps avec le verbe plus loin ; on dirait qu'il y a hésitation entre le passé et le présent dans ce passage) une excellente garantie contre la rosée si elles ne laissaient pas apparaître"
"Sa mère était morte en couches"
"de douze ans son aînée"
"Bruno ! cria-t-elle"
"De ce granit bleu affleurant les crêts, le même qui défiait la solidité des charrues, Monique s'escrimait à en (je pense que le "De" et le "en", se rapportant au même élément, font ici double emploi... à voir, éventuellement) façonner les ronds en forme de tête"
"Bruno nom de d'là"
"C'est pour la mère qu'a eu (et non "eue") son petit"
"Les doigts bâillons"
"Des jonchées de feuilles mortes sur lesquelles s'ouvraient les bogues des châtaignes, (pourquoi cette virgule unique entre le sujet et son verbe ? A mon avis, il convient soit de compléter l'incise pour isoler la relative introduite par "sur lesquelles", soit d'ôter la virgule) étouffaient le chant des grillons"
"Je t'en aurais bien acheté une"

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Message  Plotine Mer 7 Oct 2009 - 11:42

Je trouve le début un petit peu maniéré pour une histoire de campagnarde, fut-elle artiste. En particulier ceci : " Discrète, une biche dispute son carré d'herbe avec une cousine tout aussi furtive. Plus loin, la forêt recèle d'alertes arbustives".
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Message  yohanntv Mer 7 Oct 2009 - 12:25

J'aime les premières phrases, qui posent le décor; puisqu'il n'y a que ces biches aux alentours; et que cette introduction donne une ambiance.
J'avoue ne pas avoir très bien saisi l'enjeu du personnage du notaire.
J'aime ton côté fouillé pour la psychologie de ton héroïne que tu racontes à merveille - et je sais de qui je parle...
J'ai été ému par ce qu'elle te répond quand elle t'apprend qu'on lui a volé ses statues.

Quand tu introduis l'âne Zidane, la première phrase le concernant est dure à digérer.

Mon impression générale est que ça ferait une belle bande dessinée; le jour où je n'ai plus aucune photo à prendre, je m'en charge.
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Message  Plotine Mer 7 Oct 2009 - 12:34

Tu dessines ?
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Message  Invité Mer 7 Oct 2009 - 16:27

Une petite ratée avec la mention du notaire, ou alors n'as-tu pas voulu livrer le secret de Monique ?

Une merveille ici :

Les bancs de l'école s'habituèrent à son absence,

Un portrait sensible, vrai :

Les dix doigts accrochaient fermement la base de la tige d'une cardère qu'elle déterrait en secouant les racines contre ses bottes

Un hommage.

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Message  Invité Jeu 8 Oct 2009 - 15:14

admiratif, je pense que ce portrait a beaucoup d'épaisseur.
Je commence à imaginer que tu devrais allonger la sauce.

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Message  Rebecca Jeu 8 Oct 2009 - 20:46

C'est remarquablement bien écrit .
Le portrait est saisissant, les descriptions font surgir de vraies images, les dialogues on s'y croirait. Franchement, je serai bien restée encore en compagnie de Monique!
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Message  Ba Ven 9 Oct 2009 - 16:37

Randonnée en rudesse et pays d'ailleurs, juste derrière les rochers.
Aucune butée sur le chemin.
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Message  Sahkti Lun 26 Oct 2009 - 15:34

Il y a dans ton texte toutes sortes de petits détails qui me font sourire, qui rendent ton récit humain et ton personnage attachant. C'est une façon de faire (d'écrire) que j'aime beaucoup chez toi, je trouve cela très sensible et ça crée une familiarité au sujet qui est plutôt plaisante. Sans compter la mention de la Berchautière...

quand on est dans son jardin, on n'a pas le temps de dire du mal de son voisin.
J'aime bien ça !

Un texte qui m'a fait du bien BM, je l'ai trouvé apaisant et sans soucis.
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Message  Roz-gingembre Lun 26 Oct 2009 - 17:07

Une ambiance à n'en pas douter,
une attention particulière surtout, l'intérêt portée par le narrateur pour Monique que je trouve très empathique.
Tout ça pour dire que j'ai passé un bon moment de lecture BM
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