Anne (les enragées)
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bertrand-môgendre
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Anne (les enragées)
Anne
(les enragées)
(les enragées)
On entendait la voix par la fenêtre...
Et le diable des soirs conquis
Avec ses pâleurs de rescousse
Et le squale des paradis
Dans le milieu mouillé de mousse
Reviens fille verte des fjords
Reviens violon des violonades
Dans le port fanfarent les cors
Pour le retour des camarades"
J'imaginais son visage, et en montant les escaliers, je pensais... "
Ne plus y penser.
— Tu me sens bien là ?
Oublier mon nom.
— Ouarf ! La vache, c'est bon !
Effacer mon image.
— Cigarette ?
Restait présente sur ma peau la mémoire de ses caresses, la lente agonie de son souffle devenu rare après la tempétueuse effervescence de ses vagues de fond qui transformèrent la plage en tourbière, les roches en girondes gluantes.
— Parle-moi tudieu !
Demeuraient entêtants les parfums de sa chair, les senteurs subtiles de nos sécrétions amoureuses. Pour eux, je ne me doucherai pas.
— Tire-toi. Va en voir un autre qui saura te délier la langue.
Et je compris la lenteur des tortues lorsqu'en apnée sur mon palier, j'imaginais ardue la survie en ce monde.
— T'es chiante pauvre conne.
...et en montant les escaliers, je pensais...
La voisine d'en haut écoutait le piano de l'étudiant du quatrième qui jouait pour être entendu de son ami indifférent à toute œuvre autre que culinaire. Se taire entretenait le risque d'indifférence. Autant saluer son entourage. Autant retourner un sourire au geste amical adressé par l'homme grisonnant en appui sur la marche d'escalier qui semblait gêné par mon immobilisme. La clef en main je n'osai brouiller les pistes. Un contact coupé reprit vigueur au premier réveil des sens à l'instant précis où je fixais mes doigts prisonniers de leur maladive inutilité. Où se cachent-ils donc ceux qui, nous ressemblant, s'emmêlaient fin en comparant leurs empans respectifs ?
— Bonjour mademoiselle. Tout va bien ?
J'avais perdu la notion d'espace. Ma relation avec le rationnel se murait d'hébétude prolongée. Hors de ma robe, deux de mes jambes supplantaient le paillasson. Le brouillard se dissipa un peu. L'approche de ce voilier fut submergée par la vague descendante. La demoiselle Touvabien lui répondit :
— Bonjour môssieur Çava. Oui merci. Bonne journée.
Et l'énergie ? Comment économiser mon énergie pour ne pas perdre un grain de sueur ? S'allonger doucement. La porte franchie je retrouvais le lit dans le même état que la fois d'avant. Geignante et mue je m'y glissais sous un seul drap, celui qui, bouchonné à force d'irrespect solitaire conservait intact mes fougueuses atteintes à la pudeur. Je m'y blottis.
... je pensais...
La voisine d'en haut devait dévorer le son du piano de l'étudiant du quatrième qui lui, pédalait devant le mur de l'indifférence. Le petit ami, goujat en puissance, rotait son plaisir d'assister à l'arrivée du tour de France. Je haïssais l'homme en sa bassesse. J'admirai l'adrénaline liée à la puissance créatrice des artistes contemporaines. Je pissais debout dans la baignoire un verre de vin à la main :
— Bienvenue Bâtard-Montrachet !
Le néon grignotait l'ombre. Sinistre.
Me parvinrent de la porte des tocs en bois de teck. Des pieds nus, il m'en restait deux utiles. Mouvement. Une robe soutane rendit ses grâces aux visiteurs. Les colocataires m'invitaient à la soirée gentils voisins.
Moule à gâteau. Four chaud. Quarante-trois minutes. Jolie tarte, cuite à coeur. Un carré de soie rapiéçait mes cheveux, un autre plus large dissimulait mon corps. Transparence. Coteaux du layon. Je souhaitais m'abandonner aux délices de l'existence hédoniste des croqueuses de lotus.
En noir et blanc, le film de la soirée débitait convivial les politesses de circonstance. Mon sourire affiché large entre les pommettes et le menton acquiesçait. Ronds de jambe. Gentillesses. Nonchalance. La voisine du haut caraco satiné, jupe serrée pianotait sur le dos de l'étudiant du quatrième qui pompait les paroles de son ami le beauf de service. L'homme aux cheveux grisonnants restait, en appui sur ma présence. Ses yeux vitreux.
— Une silhouette de rêve ?
Je maintenais en alerte la ronde tatin.
— Des lèvres qui attendent qu'on les embrasse ?
Les siennes en forme de bouche d'égout.
— Il fait doux ce soir. Vous seriez pas un peu cuite ?
Entre mes plis de soie, ses mains poilues tentèrent une percée. Les miennes décidées apprécièrent la portée d'une tarte bien molle sur un visage rougeaud. Jamais dessert ne me parut plus succulent.
— À point môssieur Çava.
L'alcool accentuait nos différences de proximité liées à l'immeuble de bas étage. Si dans mon cercle se pointe une flèche, je brise menue l'intrusion. La voisine du haut, visage défait, partagea mon envie de silence. Quand une bulle épouse la mienne, je décloisonne aussitôt. Je m'ouvris. Nos airs se mélangèrent lorsqu'il fallut consoler l'étudiant en rupture d'inspiration.
...et en montant les escaliers...
De retour au gîte, ma porte grinça. Mon appart' ment. Tel quel, le lit fut louché-touché-coulé. Oubliés entre bras et jambes mêlées, au petit matin nous étions trois en un.
D'amour il n'est plus question lorsque la tendresse s'installe. Un dimanche d'après fête reste aussi mortel avec ou sans compagnie. Eux partis, je décidais d'accrocher ma vie au plafonnier. J'entendais la voix de Ferré par la fenêtre :
Et le diable des soirs conquis
Avec ses pâleurs de rescousse
Et le squale des paradis
Dans le milieu mouillé de mousse
Reviens fille verte des fjords
Reviens violon des violonades
Dans le port fanfarent les cors
Pour le retour des camarades"
J'y laissais ma peau, car la cordelette de rideau me brula le cou avant de rompre. Demain sera bien.
Je déménage chez lui.
Je descendis l'escalier sans penser à rien.
Naufrage.
*contraintes : photo du décor "fenêtre sur cour" et paroles de Ferré
bertrand-môgendre- Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007
Re: Anne (les enragées)
Oui. C'est tout parce que plus dérobe la teneur.
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
Re: Anne (les enragées)
J’ai eu un peu de mal avec le premier dialogue, je ne savais pas qui était qui, perturbant, mais à la suite de ma lecture je me suis dit que cet effet de désorientation collait bien avec le reste du texte. L’ambiance immeuble, voisins-voisines est bien rendue, les fins de soirées aussi. Et puis surtout l’image :
Presque, envie de te la voler celle-là.Le néon grignotait l'ombre. Sinistre.
abstract- Nombre de messages : 1127
Age : 55
Date d'inscription : 10/02/2009
Re: Anne (les enragées)
Oh ! Que je suis émue par ton texte !
Je le trouve en tous points magnifique.
Magnifique dans sa justesse !
Magnifique dans sa tristesse !
Magnifique dans ce semblant d'espoir qui apparaît à la fin... mais, j'anticipe en me disant que tout ne sera toujours que désillusion pour la narratrice.
Il nous donne assez pour lire ce qui n'est pas dit.
Bravo !
Merci beaucoup bertrand-môgendre.
Je le trouve en tous points magnifique.
Magnifique dans sa justesse !
Magnifique dans sa tristesse !
Magnifique dans ce semblant d'espoir qui apparaît à la fin... mais, j'anticipe en me disant que tout ne sera toujours que désillusion pour la narratrice.
Il nous donne assez pour lire ce qui n'est pas dit.
Bravo !
Merci beaucoup bertrand-môgendre.
Mure- Nombre de messages : 1478
Age : 47
Localisation : Dans vos pensées burlesques.
Date d'inscription : 12/06/2009
Re: Anne (les enragées)
J'aime bien, Bertrand, quand tu fais de la musique avec des ellipses concertantes !
C'est dans ce registre que je te préfère.
C'est dans ce registre que je te préfère.
Invité- Invité
Re: Anne (les enragées)
Quelle belle façon elliptique de raconter, BM, bravo vraiment !! Je suis conquise par la sobriété de l'ensemble et par certaines formules en particulier. Ma préférée : "Un carré de soie rapiéçait mes cheveux,"
NB : un chapeau n'est pas de trop quand on brûle :-)
NB : un chapeau n'est pas de trop quand on brûle :-)
Invité- Invité
Re: Anne (les enragées)
Un texte quelque peu différent de ce que tu nous as déjà proposé, plus poétique, sensible, avec une justesse dans le ton et une émotion à fleur de peau. Il y a beaucoup de suggestivité, une écriture posée et plus aboutie.
Attention toutefois à ne pas exclure le lecteur en raison du caractère parfois trop intimiste de l'ensemble, particularité qui ne me déplaît pas mais peut maintenir en dehors.
Attention toutefois à ne pas exclure le lecteur en raison du caractère parfois trop intimiste de l'ensemble, particularité qui ne me déplaît pas mais peut maintenir en dehors.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Anne (les enragées)
Vrai, c'est un autre registre que tes "anciens" enragés. Un nouveau recueil serait-il attendu?
Chako Noir- Nombre de messages : 5442
Age : 34
Localisation : Neverland
Date d'inscription : 08/04/2008
Re: Anne (les enragées)
J'ai décroché ici : "Autant retourner un sourire au geste amical adressé par l'homme grisonnant en appui sur la marche d'escalier qui semblait gêné par mon immobilisme.", la phrase pourtant pas si élaborée m'a paru pompeuse, peut-être l'ai-je ressentie artificielle, en décalage dans les pensées du narrateur... Comme le texte avant ne me passionnait pas, ce léger agacement a suffi à me faire renoncer, désolée.
Invité- Invité
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