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Ndella (les enragées)

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elea
bertrand-môgendre
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Ndella (les enragées) Empty Ndella (les enragées)

Message  bertrand-môgendre Mer 16 Juin 2010 - 9:33

Ndella



« Théophile, je veux un enfant de toi.
— T'enceinter c'est facile, l'élever, je peux pas.
— Je sais. Je sais ce qui m'attend. Je suis pas compliquée, je veux un enfant de toi.
— Si présentement c'est bon, allons-y ma doudou, y a pas de problème. »

Des prisons du corps, l'obsession reste la plus tenace, âpre, ténue.

Ses jambes lianes autour des hanches de son homme, Ndella agrippait son corps amoureux. Cogner. La première jouissance n'eut rien d'élaboré dans son esprit, tout juste le passage d'un état solide à un autre, vaporeux. Ce fut lors du second assaut qu'elle s'accrocha telle coque au granit. À faire le sexe si fort, ses poils pubiens devenus byssus adhéraient au plus près d'un pieu velouté.
Joyeuse, leur tempête déferla vive, brève.
« Théophile ne pars pas si vite. »
Repu, fatigué, assoiffé, il rechargeait ses accus devant une bière Gazelle au goût fumée de chez Camel.
Ndella s'installa à la tête de la couche, à plat dos, jambes levées appliquées contre la cloison. Elle stabilisa sa position à l'équerre une bonne vingtaine de minutes, pour être certaine qu'aucun écoulement vaginal ne puisse s'échapper.
« Tu fais des abdos ma doudou ?
— Non. Je me concentre. »

Croque-jeunesse gagne en énergie la part belle des désirs d'amour.

Neuf mois plus tard, Diomaye pointait son nez. Dans la douleur. La césarienne non prévue prépara le terrain d'une infection postopératoire. Dès lors, Ndella se sentait vide de tout, vide d'énergie, vide d'envie. Un seul désir subsistait : celui de combler ce manque d'amour. Elle tenta désespérément de récupérer Théophile gérant sa seconde femme. Pour cela, elle préféra se décharger de son bébé fardeau en le confiant à sa sœur. Pendant trois ans, Diomaye fut choyé surtout par sa tante. Théophile mis en bière partit trop tôt. Il quitta la scène de sa vie les pieds devant. Ndella eut comme intention de s'éloigner de sa ville natale, Débourbeur, une sous-région mortelle, puis de s'installer à Dakar et surtout de quitter le Sénégal.
Son tremplin prit le nom de Jean-Paul le toubab. Les cigognes noires du Sénégal migrent en Alsace, elle, atterrit à Lutterbach. Dans ses bagots un petit cigogneau à langer répondait au doux nom de Jonathan.


***

Par la porte entrouverte, elle m'apparaît toute en longueur aussi maigre qu'est dur le bois d'ébène. Les angles vifs de son visage taillé à la machette coupent court à toute envie de rapprochement qu'il soit amical ou maternel. Ce sont des éclairs qui foudroient les inconscients qu'elle fixe avec des prunelles aussi puissantes qu'une décharge électrique. Un soufflet de forge dilate ses narines. Juste au-dessous, de l'ivoire dentelle son sourire large, encadré par de belles lèvres. Je les qualifierai de charnues car l'humain pulpe en elles, l'humain tremble en moi. Ndella affirme une partie de sa féminité dans l'élaboration structurée de sa chevelure. De fines stries tressées au ras de la peau sont dessinées à partir du front bien dégagé jusqu'à la base arrière de son crâne. L'ensemble des cheveux s'agglutine en un petit chignon collé contre la nuque à l'aide de minuscules pinces presque invisibles.
Féminin son bras, de l'épaule jusqu'à la croche de sa main. Féminine sa jambe, de l'orteil jusqu'à l'aine, creuse. Son pyjama de coton imprimé épouse le peu de muscles recouvrant ses cuisses. Si longues est déjà un adjectif élégant, il reste disproportionné lorsqu'elle se penche devant moi pour saisir une pièce de monnaie tombée à terre. La transparence du tissu accentue la seule rondeur existante en ce lieu : ses fesses. Elles paraissent menues, fermes et menues. Menues pour mes mains c'est suffisant, non ? Demi-sphères concaves au regard, qu'on vexe au toucher. Après tout, les désirs qu'on vise distordent la réalité.

« Je ne supporte plus Diomaye. Son regard me tue. Je le frappe parce qu'il me répond. Je le frappe avec le poing ! Il saigne de la bouche. Et puis après, je pleure. Jean-Paul son beau-père refuse de l'avoir chez lui. Il accepte Jonathan son enfant légitime, mais renie le mien. Il demande le divorce. C'est comme à l'hôpital, ils ne veulent plus me garder, je suis en fin de contrat.
(Elle sanglote). Il faut m'aider. »
Ses paroles ont dissipé mon désir remplacé par l'admiration pour cette mère avouant sa faiblesse.

« Il m'a dit : maman tu ne sers à rien. Je vais te tuer. Alors, j'ai frappé fort sans me retenir... Après je me suis couchée sur mon lit et je lui ai crié de se préparer à manger tout seul... Après, il a pris un sac et est parti en disant : je me tire ailleurs. J'ai dû courir dans la rue pour le rattraper. Jamais il ne pleure. Même lorsque je le frappe... Après, comme j'avais mal à la main, j'ai tapé avec le manche à balai. Regardez je l'ai cassé... le manche. Il ne m'écoute pas. Je vais le tuer un jour. Même son frère commence à crier plus fort que moi. »

Diomaye ne me regarde pas. Plusieurs traces fines et claires signent sur sa peau noire les stigmates d'anciennes blessures. Il dissimule son intérêt pour la conversation et joue avec son petit frère.
En parlant, Ndella me touchait le bras cherchant une accroche, une bouée. Elle me confie Diomaye espérant trouver chez moi un père de substitution, une autorité mâle, une poigne de fer alors que ce gamin ne demande que de la tendresse. Ndella affiche sa détresse.


Combien de mètres cubes d'eau se déversent du ciel ailleurs qu'ici ?


Diomaye sera pris en charge en urgence par les services de la protection de l'enfance. L'urgence éloignera l'enfant de sa mère une première semaine, avec un retour médiatisé progressif. L'enquête déterminera les possibilités de placement. Le juge décidera de retirer la garde du premier fils puis du second jusqu'à ce que la mère stabilise sa situation. Elle le fit, bien, en ne quittant plus son lit de la semaine attendant la visite de ses enfants un samedi sur deux.

* * *

La bailleresse lui demande une caution de deux mois. Le tour du propriétaire s'impose avant engagement définitif. L'agence lui confie les clefs. Le vestibule étroit invite à poursuivre la visite sans chaussures. Cuisine, salle à manger. Dans la mezzanine, le lit est déjà occupé.
Surprise.
Présentation timide chuchotée.
« Ndella...
— Jédaïas...
— Je peux rester encore là jusqu'à ce soir ? »
Elle tente d'ajuster son vêtement.
Lui constate qu'un boubou est fragile lorsque l'on tire dessus.
Des graines de beauté parsèment son corps comme des fourmis un éclair au chocolat.
Un meublé c'est le pied.
Ndella frise menu le bout de ses doigts tenant ferme la hampe qui gouverne le visiteur. Motte de beurre tendre, genre crème cafés mélangés, sous Nyiragongo en effervescence. Elle chevauche son impatience. Soudain, leur couche prend l'eau. Ndella se déverse autour d'eux. Dénué de peau son squelette se liquéfie. Comment femme si frêle peut-elle contenir tant de liquide ? Jédaïas visualise l'héroïne du film japonais De l'eau tiède sous un pont rouge. La sienne alimente leur union toujours plus ardente maculée de bistre où le cuivre grenache le frai. Elle bouge à genoux. Assise ou allongée, elle remue encore debout. Il tient entre ses mains tantôt ses côtes saillantes, tantôt ses hanches vaillantes. Il aspire à parcœuriser la sente pelvienne au risque de finir chocolatophile.

La propriétaire, voisine de palier, le hèle depuis la porte d'entrée.
« Monsieur ! J'aurais dû vous prévenir, l'électricité et le gaz sont coupés. Vous m'entendez ? On se voit à l'agence tout à l'heure. Prenez votre temps. Fermez bien derrière vous, je ne veux pas que l 'ancienne locataire revienne. Bye. »

Il attend pour garnir sans retenue son moelleux cacaoté.
« Jédaïas, je veux me marier avec toi ! »


Tout cela s'est-il vraiment passé comme ça pour Ndella ?
bertrand-môgendre
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Message  Invité Mer 16 Juin 2010 - 11:46

J'aime ce courage, effectivement, d'aborder le sujet de l'enfant battu du point de vue de la mère ! Dans l'ensemble, le personnage est attachant, sonne vrai. Je trouve que la partie sur la visite immobilière manque de transition avec le reste.
Cela dit, le côté érotisme exotique cheap du texte me gêne, je le trouve facile. Un extrait caractéristique pour moi de ce point de vue, qui m'a fait penser à ce que je trouve fort déplaisant (putassier) chez lol47 :
« Juste au-dessous, de l'ivoire dentelle son sourire large, encadré par de belles lèvres. Je les qualifierai de charnues car l'humain pulpe en elles, l'humain tremble en moi. »

Je ne vois pas l'utilité de la toute dernière phrase, la coda en italique.

Une remarque de langue :
« devant une bière Gazelle au goût fumé (et non « fumée », le goût est fumé) »

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Message  elea Mer 16 Juin 2010 - 19:40

J’aime énormément certains emplois de mots, détournements poétiques et imagés très forts. Je n’en cite pas, il y en a trop.
Ce texte est un bonheur à lire, il coule tout doucement, sans laisser au temps celui de se faire présent, j’aurai pu en lire des pages et des pages comme ça, sans m’ennuyer une seconde, sans envie de fin.
Le portrait sans concession d’une femme, que l’on adhère ou pas à cette personnalité et au fond du texte, la manière de le narrer est tellement prenante qu’on se laisse emporter.
Merci.

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Message  Invité Jeu 17 Juin 2010 - 6:09

Sans lire le commentaire de socque, j'ai aussi noté cet ovni des lèvres, mais je ne l'ai pas trouvé ceci ou celà. On dirait un rajout. Une prothèse.
. Le texte me plait, dans la continuité des enragées.

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Message  Invité Jeu 17 Juin 2010 - 9:52

Une façon délicate de dire, parfois d'effleurer, le beau comme le sordide, à la fois dans le choix des mots et dans la construction. Un bien beau texte abouti je trouve.

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Message  Invité Jeu 17 Juin 2010 - 15:15

Un texte abouti, comme dit Easter, je crois que c'est le mot ! Tout semble à sa place. Narration maîtrisée, et le style, surtout, ciselé.
J'ai aimé, rien à redire.

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Message  Rebecca Jeu 17 Juin 2010 - 19:09

Une belle écriture qui se laisse pénétrer ou qui nous pénètre , qui nous prend et nous emmène sur des rives un peu étranges mais passionnantes.
J'ai bien aimé ce moment de lecture. Merci.
Rebecca
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Message  CROISIC Ven 18 Juin 2010 - 10:01

Ecriture superbe ! Sujet bouleversant ! Mise en forme intéressante. J'ai vraiment beaucoup aimé.
CROISIC
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http://plumedapolline.canalblog.com/

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Message  Chako Noir Sam 19 Juin 2010 - 8:57

Au début, je m'étais dit que je ne le lirai pas, attendant le jour où le 2nd recueil fraîchement acheté tomberait dans ma boîte à lettres, et puis... Je vois que tes enragées nous emmènent sur d'autres terres que celles que nous connaissons habituellement, j'aime bien ce voyage avec mise en perspective sur la mère, son amant, le locataire, et le découpage.
Dans la section "ce qui laisse froid", ai noté également les lèvres en trop.
Pour le reste, rien à dire. L'érotisme pas trop affiché, quoiqu'un peu facile, me convient.

(socque : le coda en italique est récurrent des contes de B-Mô chez les enragé[e]s)
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Message  Invité Sam 19 Juin 2010 - 9:48

(Chako Noir : je m'en fous, je crois même que, si c'est systématique, cela m'agacera d'autant plus à la lecture... trop "procédé" pour moi.)

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Message  silene82 Lun 21 Juin 2010 - 7:41

Non seulement l'intérêt ne baisse pas, mais je trouve que ton écriture gagne en densité et en poésie, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'en avait pas auparavant. Je trouve souvent ta manière de conter un peu déroutante, car elle oblige à des retours, des supputations, des hypothèses : rien n'est donné d'emblée, bien des allusions donnent une sensation de private joke, ce que je ressens comme inconfortable, pour ma part, car je n'aime pas avoir le sentiment d'être tenu à l'écart ; cela participe en même temps au charme particulier de ton écriture, riche et pleine de résonances à des degrés divers.
Quand cette nouvelle cuvée sera-t-elle disponible en version papier ?
silene82
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