L'hiver est là, Monsieur X
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L'hiver est là, Monsieur X
L'hiver est là. Dans une ornière gelée, X taquine un serpent du bout de son bâton. Les cognes l'ont entouré quand il est entré dans la ville.
" J'espère que vous ne ferez que passer."
" Nous ne sommes que des passants, de toutes les façons."
" Très bien, mais pas de blagues, Monsieur le Philosophe, autrement ma matraque saura vous faire entendre raison"
Le corbeau avait de l'humour. Il l'aurait pris pour délit de vagabondage, s'il n'avait eu ce sou en poche. Pas de toit, le petit est à la cloche. Et gare, si le cogne est conciliant, il semble quand même ne pas goûter les provocations. Mieux vaut cacher donc ce sou luisant.
"Je ne ferai pas de vagues, rassurez-vous."
Dans son mouchoir bleu, il lui reste un quignon. Ce pain il l'a volé. Il le mangera ce soir, c'est mieux que de casser des pierres. Si les cognes l'avaient su, lui auraient-on coupé la main ? On amputait les parricides, mais c'était au siècle dernier. La Barbarie revient vite.
"C'est une ville tranquille ici, et vous n'êtes pas... désiré."
Les cognes s'éloignent, et tournent dans une autre rue. Il se rend dans un bar pour avoir un verre d'eau fraîche, amabilité gratuite. L'enseigne, suspendue à des chaines, grince avec le vent. Il entre, et demande à boire au patron.
"-Bière ? Absinthe ? Un gringalet comme toi, ça boit quoi ? "
"-Je prendrai un verre d'eau seulement, au nom de votre hospitalité."
"-Mon hospitalité, hein. T'es un marrant toi."
"-J'aime rire !"
"-Tu aimes rire... Je te sers, très bien mais bois vite, sinon pour toi ce sera rire avant que de pleurer."
Bizarrement, cette eau, on ne la lui tend jamais avec le sourire. S'il avait plus qu'un sou, il achèterait un café, lui aussi, et boirait au mazagran. Au moins il aurait chaud.Il achèterait le café, même si c'est une enseigne pourrie, et il flanquerait ce gros lard à la porte, à coup de pompe dans le derche.
"-Merci."
X porte le verre à sa bouche. Il louche sur son voisin, qui casse la coquille d'un œuf dur contre le comptoir en zinc, et le déshabille doucement. Il a faim, cette scène bruisse d'une manière terrible dans sa tête. Ah, le bruit du petit œuf dur...
"-Bon appétit."
Le voisin le toise. Hausse un sourcil. Ne répond pas. Le piano mécanique joue un air connu, et qui passe trop souvent. Deux poivrots hurlent, je passe leurs commentaires.
Au coin noir de la salle, deux joueurs de cartes, devant une bouteille de vin largement entamée, cachent chacun leur jeu.
X lève le coude, jusqu'à la dernière goutte. Il s'imagine boire du vin, mais rien que le goût de l'eau. Froide.
Deux femmes, assises sur un banc près de la fenêtre, en retrait du reste de salle, gloussent. Elles ont l'air sale. Et grossier, malgré leurs dentelles et leurs volants.
La porte s'ouvre. Ding dong. Le brouillard siffle. On change le papier à musique.
X pose son verre sur le comptoir.
-"Encore merci pour cette brève halte".
Le patron le retire, passe un rapide coup de chiffon pour effacer l'auréole humide qu'il a laissée.
-"Brève, tu l'as dit"
Regards rapides. Dont un du patron qui lui indique la sortie.
-"Au revoir"
-"Oui c'est ça gamin. Adieu"
Fin de l'entracte.
Enfant, à la pension, un camarade lui avait tatoué un amour sur le bras. Pour oublier le passé, X remonte sa manche. De toutes façons, c'est l'hiver en ce moment.
" J'espère que vous ne ferez que passer."
" Nous ne sommes que des passants, de toutes les façons."
" Très bien, mais pas de blagues, Monsieur le Philosophe, autrement ma matraque saura vous faire entendre raison"
Le corbeau avait de l'humour. Il l'aurait pris pour délit de vagabondage, s'il n'avait eu ce sou en poche. Pas de toit, le petit est à la cloche. Et gare, si le cogne est conciliant, il semble quand même ne pas goûter les provocations. Mieux vaut cacher donc ce sou luisant.
"Je ne ferai pas de vagues, rassurez-vous."
Dans son mouchoir bleu, il lui reste un quignon. Ce pain il l'a volé. Il le mangera ce soir, c'est mieux que de casser des pierres. Si les cognes l'avaient su, lui auraient-on coupé la main ? On amputait les parricides, mais c'était au siècle dernier. La Barbarie revient vite.
"C'est une ville tranquille ici, et vous n'êtes pas... désiré."
Les cognes s'éloignent, et tournent dans une autre rue. Il se rend dans un bar pour avoir un verre d'eau fraîche, amabilité gratuite. L'enseigne, suspendue à des chaines, grince avec le vent. Il entre, et demande à boire au patron.
"-Bière ? Absinthe ? Un gringalet comme toi, ça boit quoi ? "
"-Je prendrai un verre d'eau seulement, au nom de votre hospitalité."
"-Mon hospitalité, hein. T'es un marrant toi."
"-J'aime rire !"
"-Tu aimes rire... Je te sers, très bien mais bois vite, sinon pour toi ce sera rire avant que de pleurer."
Bizarrement, cette eau, on ne la lui tend jamais avec le sourire. S'il avait plus qu'un sou, il achèterait un café, lui aussi, et boirait au mazagran. Au moins il aurait chaud.Il achèterait le café, même si c'est une enseigne pourrie, et il flanquerait ce gros lard à la porte, à coup de pompe dans le derche.
"-Merci."
X porte le verre à sa bouche. Il louche sur son voisin, qui casse la coquille d'un œuf dur contre le comptoir en zinc, et le déshabille doucement. Il a faim, cette scène bruisse d'une manière terrible dans sa tête. Ah, le bruit du petit œuf dur...
"-Bon appétit."
Le voisin le toise. Hausse un sourcil. Ne répond pas. Le piano mécanique joue un air connu, et qui passe trop souvent. Deux poivrots hurlent, je passe leurs commentaires.
Au coin noir de la salle, deux joueurs de cartes, devant une bouteille de vin largement entamée, cachent chacun leur jeu.
X lève le coude, jusqu'à la dernière goutte. Il s'imagine boire du vin, mais rien que le goût de l'eau. Froide.
Deux femmes, assises sur un banc près de la fenêtre, en retrait du reste de salle, gloussent. Elles ont l'air sale. Et grossier, malgré leurs dentelles et leurs volants.
La porte s'ouvre. Ding dong. Le brouillard siffle. On change le papier à musique.
X pose son verre sur le comptoir.
-"Encore merci pour cette brève halte".
Le patron le retire, passe un rapide coup de chiffon pour effacer l'auréole humide qu'il a laissée.
-"Brève, tu l'as dit"
Regards rapides. Dont un du patron qui lui indique la sortie.
-"Au revoir"
-"Oui c'est ça gamin. Adieu"
Fin de l'entracte.
Enfant, à la pension, un camarade lui avait tatoué un amour sur le bras. Pour oublier le passé, X remonte sa manche. De toutes façons, c'est l'hiver en ce moment.
Nathanaël Zenou- Nombre de messages : 206
Age : 44
Date d'inscription : 02/05/2010
Re: L'hiver est là, Monsieur X
Parfois il y a ici des textes qui se suffisent à eux-memes, mais parfois on a la sensation qu'on commence un livre......et c'est ce que je ressens ici.
Le cadre (avec quelques détails du vocabulaire qui renvoient à un passé relativement ancien, mais sans altérer du tout le caractère de "présence" du récit), l'antériorité suggérée, tout place le lecteur dans la disposition d'un long récit. Et on en a envie parce que la façon dont se conduit et pense le héros a beaucoup de charme. Ta façon d'écrire a beaucoup de charme.
Le cadre (avec quelques détails du vocabulaire qui renvoient à un passé relativement ancien, mais sans altérer du tout le caractère de "présence" du récit), l'antériorité suggérée, tout place le lecteur dans la disposition d'un long récit. Et on en a envie parce que la façon dont se conduit et pense le héros a beaucoup de charme. Ta façon d'écrire a beaucoup de charme.
Re: L'hiver est là, Monsieur X
J'ai eu le même sentiment que Seyne en lisant ce texte... non seulement parce qu'on sent tout l'univers qu'il y a derrière chacun des mots, mais aussi parce qu'on a tout simplement envie de connaître l'avant, l'après, l'histoire, en somme.
J'ai beaucoup aimé te lire en tout cas, c'est fin, simple, et franc.
J'ai beaucoup aimé te lire en tout cas, c'est fin, simple, et franc.
Hue- Nombre de messages : 51
Age : 36
Date d'inscription : 31/08/2008
Re: L'hiver est là, Monsieur X
Nathanaël, ce texte figure parmi ceux que je préfère de toi : ce personnage est attachant, l'écriture va droit au but avec une belle efficacité. Je note deux petites choses qui m'interrogent :
Ce pain il l'a volé.(...) Si les cognes l'avaient su, lui auraient-on coupé la main ? On amputait les parricides, mais c'était au siècle dernier.
Je ne vois pas le rapport entre vol de pain et parricide
à la pension, un camarade lui avait tatoué un amour sur le bras. Pour oublier le passé, X remonte sa manche. De toutes façons, c'est l'hiver en ce moment.
Il la baisse, plutôt, non ?
Je suis toujours perplexe devant les variations qualitatives de ton écriture...
Ce pain il l'a volé.(...) Si les cognes l'avaient su, lui auraient-on coupé la main ? On amputait les parricides, mais c'était au siècle dernier.
Je ne vois pas le rapport entre vol de pain et parricide
à la pension, un camarade lui avait tatoué un amour sur le bras. Pour oublier le passé, X remonte sa manche. De toutes façons, c'est l'hiver en ce moment.
Il la baisse, plutôt, non ?
Je suis toujours perplexe devant les variations qualitatives de ton écriture...
Invité- Invité
re : L'hiver est là, monsieur X
On pense à Bruegel l'ancien, à Prévert, à Rutebeuf, Villon... Excuses-moi pour ces références mais elles disent mieux que moi. Donc un texte mâtiné d'ancien, mais pourtant résonnant des notes d'aujourd'hui. Ellipses des phrases nominatives. Un style singulier, dépaysant, surtout sur ce site. Agréable et violent cependant : jolie ambiguïté...
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: L'hiver est là, Monsieur X
Un univers sympathique avec la juste dose d'absurdité, c'est plaisant à lire et j'aime beaucoup ta manière de structurer le récit.
PS: merci de commenter aussi les autres membres du site, ça ne fonctionne pas à sens unique.
PS: merci de commenter aussi les autres membres du site, ça ne fonctionne pas à sens unique.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: L'hiver est là, Monsieur X
Oui, il a beaucoup de charme ce récit. C'est d'une grande finesse d'observation et on s'attend effectivement à ce que l'histoire se poursuive. Beaucoup aimé le titre aussi. Merci pour ce présent.
Invité- Invité
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