Histoires brèves

Tom

Je suis bien sur mon vélo… Tiens, une dame et un petit chien qui traversent… sans regarder… de toute façon, à la vitesse où je vais… il n’y a pas de risque… Il ne pourrait pas m’arriver la même chose qu’à Tom… Tom ! Dire que je l’ai laissé tout à l’heure… Mais j’avais des courses à faire… le pauvre ! C’est trop bête quand même ! A cause de cette idiote de passante qui promenait son chien… avec des chaussures qui la déséquilibrait… Tombé de vélo… A priori, que des petites blessures superficielles… Et puis… à l’hôpital… le médecin qui s’affole… l’infirmière aussi… le verdict qui tombe… hémorragie interne… Il sait ce que ça veut dire, Tom… c’est un réalisateur… à chaque fois qu’il y a une hémorragie interne dans un film… dans un des siens ou dans un autre… à chaque fois, c’est la mort au bout… L’infirmière lui a dit d’être fort… qu’il était à l’hôpital… dans de bonnes mains… qu’il avait de la chance d’être là… Quand même… je me demande… Dire qu’il va falloir que j’attende ce soir pour savoir si l’opération a réussi… Je pense que oui, mais je n’en suis pas sûre… L’auteur ne nous ferait pas ce coup là quand même… Une histoire qui commence mal pour ses personnages, se doit de bien se terminer… mais bon… faudrait que j’attende ce soir pour finir mon livre.





Association de parents d’élève

Au début, elle a cherché à se défendre contre un sentiment amoureux naissant. Elle était mariée. Lui aussi. Ils habitaient le même quartier. Ils avaient des enfants dans la même école. Ils faisaient partie de la même association de parents d’élève (lui, beaucoup plus actif qu’elle, il était élu comme représentant).
Elle se trouvait ridicule. Il y avait peu de chance qu’il s’intéresse à elle, de toute façon. Et c’était gênant. Non, elle devait se raisonner. Il n’était même pas son genre.
En fait, au début, elle n’était même pas amoureuse. En le voyant, elle était envahie par quelque chose qu’elle ne comprenait pas. Une attirance dont elle ne voulait pas. Et puis, un jour, ils avaient longtemps discuté, et elle avait eu l’impression d’une grande intimité. Sa voix était belle et douce, d’une beauté et d’une douceur qui ne semblait n’être que pour elle. Alors, elle était tombée vraiment amoureuse et elle avait fini par ne plus lutter contre ses sentiments. Seulement, elle ne le voyait pas assez souvent. De temps en temps, elle le rencontrait dans le quartier, au supermarché, bonjour-bonsoir-comment-allez-vous ? Pas plus. Elle avait fini par prendre son courage à deux mains. Elle lui avait téléphoné pour une histoire de toilettes glissantes à l’école. Ils avaient discuté, assez longtemps. Mais elle n’avait pas ressenti d’émotion. Et, en raccrochant, elle s’était dit : « Il est sérieux… beaucoup trop sérieux… il est chiant en fait… ».
Du coup, toute cette fébrilité amoureuse qu’elle avait ressenti ces dernier temps était retombée.
D’un côté, elle se sentait soulagée. De l’autre, elle ressentait un manque.





Mail

Mon Julien,
Tu me demandes ce que je fais en ce moment. Je n’ai pas encore repris mon boulot, alors je me balade. Dans la rue, dans les parcs, dans les magasins, je vois des amoureux partout. Ils se tiennent par la main et je sais ce qui passe par ces deux mains là. Il n’y a pas que des petits jeunes, il y a même beaucoup de couples de nos âges. Je me demande alors si ce sont des amours qui durent depuis longtemps ou si ce sont des amours naissants. Je me demande si ce sont des couples légitimes ou non.
Avant, je ne voyais pas autant d’amoureux.
C’est comme lorsque j’étais enceinte. Je voyais des femmes enceintes partout.
Envoie-moi rapidement un mail en retour du mien.
Je tm
Sophie





Mathématiques

Laurence s’est décidée à parler à son « fiancé ». Elle voulait lui dire que leur relation ne la satisfaisait pas. Elle se sentait frustrée. Ce n’était pas la vie de couple dont elle avait rêvé. Elle lui a dit :
- On n’est pas deux, on est un plus un.
Il a haussé les épaules et a répondu sur un ton méprisant :
- Et alors ? Un plus un, ça fait deux que je sache !
La conversation en est restée là. Laurence n’arrivait plus à rajouter quoi que ce soit.

tes textes ne me touchent pas tellement mais j'ai l'impression qu'il s'en faudrait de peu.

Le premier je ne sais pas du tout les points de suspension entravent la lecture. Surtout à la fin je trouve qu'ils sont en trop. Au début peut-être pas..

3e texte :

Ils se tiennent par la main et je sais ce qui passe par ces deux mains là.

J'aime cette phrase. Beaucoup. Mais elle est perdue entre toutes les autres qui ont peu d'interet.

Quand au 4e l'idée est bonne. J'aime moins la manière dont tu l'as écris.

Voilà, j'espère que je suis pas brutale, j'essaye d'être objective. (être objective avec mon ressenti, contradiction dans les termes)

Le premier m'a surpris, je me disais, bon, pas crédible son truc... jusqu'à la chute, si j'ose dire. Bien joué. (Une faute de frappe, je crois, là: les chaussures qui la déséquilibraient)

J'ai aimé la distance des autres textes, l'absence de commentaire, de glose, la pseudo-froideur.

Bref, un (petit) ensemble qui vous va bien au teint.

[quote="pierre-henri"] (Une faute de frappe, je crois, là: les chaussures qui la déséquilibraient)
/quote]

Oups ! Une faute de frappe... tu es gentil. J'ai surtout pas assez bien relu.

Evanescent,
Non, tu n'es pas trop brutale. Tu exprimes ton ressenti, sans agressivité, sans ironie, sans méchanceté. Vos écrits est fait pour ça. C'est important pour l'auteur d'avoir le vrai ressenti des lecteurs. On n'est pas là pour se lancer des fleurs mais pour faire des critiques constructives.
Merci de ton message.

Un ton extrêmement juste dans ces textes tout simples et très expressifs. Je les ai trouvés vraiment très bien !

Bonjour, Anne
Ton premier texte a un ton qui fait très artificiel : le monologue intérieur est moins explicatif puisqu'intérieur; du coup il y a un côté bancal : ni tout à fait intérieur, ni adressé à quelqu'un. la chute est chouette, ça vaudrait le coup de retravailler en étant moins descriptivemais en suggérant, genre (!): "Mais elle peut pas faire attention, celle-là ! j'ai failli lui rentrer dedans ! m'aurait gâché ma promenade en vélo, ah non!"

Dans le deuxième, il me manque un tout petit soupçon de poivre.
J'aime bien le troisième. Et vraiment beaucoup le quatrième !
Le cinquième , quand ?

De la superficialité de l'être peut naitre la condescendance, si bienveillance et complaisance ne gardent pas l'esprit clair.
Tes personnages me donnent le sentiment d'une certaine retenue, certes polie, mais survivant toujours dans le regret de n'avoir pas pu s'exprimer librement en temps voulu.
Par là, tu réussis à leur donner une existence propre. Ce qui me pousserait à te conseiller la lecture de Carver Raymond, ( Parlez-moi d'amour, Les vitamines du bonheur) où à travers ses instantanés il arrive à installer un monde étonnant de simplicité.

coline Dé a écrit:Bonjour, Anne
Ton premier texte a un ton qui fait très artificiel : le monologue intérieur est moins explicatif puisqu'intérieur; du coup il y a un côté bancal : ni tout à fait intérieur, ni adressé à quelqu'un. la chute est chouette, ça vaudrait le coup de retravailler en étant moins descriptivemais en suggérant, genre (!): "Mais elle peut pas faire attention, celle-là ! j'ai failli lui rentrer dedans ! m'aurait gâché ma promenade en vélo, ah non!"

Dans le deuxième, il me manque un tout petit soupçon de poivre.
J'aime bien le troisième. Et vraiment beaucoup le quatrième !
Le cinquième , quand ?

Merci Colline,
Je suis d'accord avec toi, le premier texte ne ressemble pas assez à un monologue intérieur. J'ai commencé à réfléchir à la façon de le retravailler.
Quant au poivre, je vais y réfléchir. Je ne sais pas encore.
J'ai un cinquième texte, et même plein d'autres (69 pages...) J'ai déjà testé les premiers sur un autre site et ceux-là sont parmi les derniers.

bertrand-môgendre a écrit:(...) Ce qui me pousserait à te conseiller la lecture de Carver Raymond, ( Parlez-moi d'amour, Les vitamines du bonheur) où à travers ses instantanés il arrive à installer un monde étonnant de simplicité.

Merci. Oui, j'ai découvert Carver l'été dernier et j'aime beaucoup. Mais je n'ai pas encore tout lu et je vais essayer ces deux là.

J'aime bien ces courts-textages, très heureusement tournés.

Tes textes courts ont manqué, Anne ! Merci de ces petites tranches de vie.

Anne, j'apprécie toujours tes textes, j'aime beaucoup la distance que tu mets avec ce que tu écris, tes observations, tes réflexions... et pourtant l'ensemble est loin d'être froid. On te voit spectatrice du monde tel qu'il va au quotidien. Le 2è texte me fait inévitablement penser à La conversation amoureuse de A. Ferney, roman dont j'ai le sentiment qu'il te plairait si tu ne l'as déjà lu. Le premier texte me semble le moins réussi, un peu brouillon, il y manque un je ne sais quoi. J'aime particulièrement le 4 et le 2 pour sa brièveté cynique, tout est dit en quelques lignes.

Non, ce n'est pas de la froideur que je ressens dans tes textes mais cette distance polie que tu gardes avec tes personnages me parait la marque d'un grand respect. Comme si, t'approchant trop d'eux, tu craignais d'empiéter sur leur liberté. En te montrant plus familière tu nous priverais de leur mystère et de notre plaisir à les caresser du bout des yeux.

Merci pour vos remarques.

Island,
J'aime beaucoup Alice Ferney mais je n'ai pas lu la conversation amoureuse. Je le lirai.

Je ne sais pas si vous aller revenir sur ce post. Je vous mets quand même la version modifiée de la première histoire. Mieux ? Moins bien ?



Vélo

J’suis bien sur mon vélo… mon petit vélo… marrant ça… une dame et un petit chien qui traversent… sans regarder… une coïncidence… comme pour Tom… de toute façon, à la vitesse où je vais… y’a pas de risque… Pauvre Tom… trop bête… une chute de vélo pour un petit chien de rien du tout… Et puis… à l’hôpital… le médecin qui s’affole… l’infirmière aussi… hémorragie interne… pourvu qu’il s’en sorte… Dire que je l’ai laissé tout à l’heure… J’avais des courses à faire… je suis bête… j’aurais pu partir plus tard… attendre de savoir… Le pauvre ! Trop bête quand même ! Roulait peut-être trop vite… j’ai raison de pas aller vite… hémorragie interne… l’infirmière… lui a dit d’être fort… qu’il était dans de bonnes mains… quand même… j’espère qu’il va s’en sortir… dire qu’il faut attendre ce soir pour savoir… j’aurais pu attendre avant d’aller faire les courses… J’pense qu’il va s’en sortir… presque sûre… Peut pas mourir… L’auteur nous ferait pas ce coup là… Une histoire qui commence mal pour ses personnages… elle doit bien se terminer… mais bon… faudra que j’attende ce soir pour finir mon livre.

Je ne sais pas si c'est parce que je connais la chute (ça joue!) mais je trouve ça beaucoup mieux comme ça...

Oui, Anne, il me semble que le ton est plus proche de celui qu'on a quand on se parle à soi-même. Mais ça le raccourcit , non ?

Je me pose juste une question... et après j'arrête les commentaires parce que ça fait remonter le texte et qu'il en faut pour tout le monde...
C'est à propos du monologue intérieur. C'est sûr, d'un point de vue de l'écriture, ma deuxième version ressemble beaucoup plus à un monologue intérieur... et pourtant... quand je pense, j'ai quelquefois l'impression d'avoir des phrases très construites dans ma tête... pas tout le temps bien sûr... mais par moment...

T'en as parlé à un spécialiste de la tête ?

La relation entre Julien et Sophie doit être plus complexe qu'il n'y paraît, au vu du ton de la réponse de Sophie et de sa façon de répondre à celui à qui elle dit je t'aime. il me manque quelque chose dans leur univers, un soupçon de mystère teinté d'une autre forme de tendresse. C'est difficile à expliquer, désolée...

Le dernier, Mathématiques, sonne très juste, c'est réel et souvent vu ce "1+1" ne formant pourtant pas deux.

Le premier me laisse perplexe, mélange de voix d'enfant mêlée à une pensée d'adulte, ce n'est pas suffisamment abouti à mon goût.

Dans l'ensemble, je dénote une proximité et une distance au sujet et je ne sais si c'est volontaire ou si tu as du mal à choisir.
Tes personnages sont là, réels, palpables et tu sembles être attachée à eux. En même temps, il y a une forme de recul et/ou d'éloignement au sujet qui te permet de raconter des histoires d'un air extérieur (et ça, j'aime bien).

C'est étonnant, de mon point de vue, ces commentaires sur la distance, la froideur du texte. J'ai tellement la sensation du contraire ! Je me suis senti très près des personnages, et même dans leur coeur. Merci, Anne.

Merci de vos lectures à tous les deux et de vos remarques.
Concernant la distance, je ne me sens pas distante de mes personnages, seulement, j'ai fait le choix de faire court et d'écrire avec le moins de commentaires possibles.

j'aime bien le ton détaché choisi pour ces fragments de vie
une mention pour le premier texte

Merci Mentor.

Sahkti,
Je ne sais pas si tu vas revenir sur ce fil, mais j'essaie autre chose pour le texte "mail". Je l'ai peut-être réécrit un peu vite. Est-ce que c'est mieux pour toi ?




Julien

Julien chéri,
Je pense tellement à toi. Je pense tout le temps à toi. Je pense à nous, à ce qui nous est arrivé. Je sais que je ne dois pas t’écrire. Je sais que tu ne dois pas chercher à me joindre. On le savait tous les deux, dès le début. On savait qu’on retrouverait nos vies, notre mari ou notre femme, nos enfants.
N’empêche, je pense beaucoup à toi. Je pense à ce que je t’écrirais.
Je n’ai pas encore repris mon boulot, alors je me balade. Dans la rue, dans les parcs, dans les magasins, je vois des amoureux partout. Ils se tiennent par la main et je sais ce qui passe par ces deux mains là. Il n’y a pas que des petits jeunes, il y a même beaucoup de couples de nos âges. Je me demande alors si ce sont des amours qui durent depuis longtemps ou si ce sont des amours naissants. Je me demande si ce sont des couples légitimes ou non.
Avant, je ne voyais pas autant d’amoureux.
C’est comme lorsque j’étais enceinte. Je voyais des femmes enceintes partout.

A vrai dire Anne, je ne sais pas trop et en relisant les deux versions, je préfère tout de même la première, justement pour cette distance qu'elle renferme. Ce qui me gênait dans le premier texte, c'était les deux dernières phrases, qui brisaient cette distance. Dans la seconde version, ça devient une histoire courante, somme toute banale, il n'y a plus vraiment de mystère, or c'est ça qui m'a plu dans la première mouture.
Suis compliquée, hein :-)

Bonsoir, Anne
Je suis à moitié satisfaite de cette seconde mouture : elle en dit trop. Je crois que l'idéal serait de reprendre la première mouture en glissant seulement une allusion à peine esquissée à la situation archi banale que tu décris (pas banalement, justement) Il faudrait presque qu'on se demande si on a bien compris la situation, qu'il reste un doute... Pas forcément facile à faire - et peut-être aussi que je me plante !
D'autres, stp !

Alors, je peux garder la première version. De toute façon, ce qui m'a fait écrire c'est que la narratrice voit des amoureux partout, comme quand elle était enceinte, elle voyait des femmes enceintes partout. Je ne sais pas si ça ressort, mais c'est ça qui m'a fait écrire.