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Le murmure des bergers (VI) - Chap. 11, 12, 13

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Sahkti
Hellian
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Le murmure des bergers (VI) - Chap. 11, 12, 13 Empty Le murmure des bergers (VI) - Chap. 11, 12, 13

Message  Hellian Sam 18 Avr 2009 - 19:41

Chapitre 11 : Des vertus policières



- Mon cher Landrin, la patience est la vertu première d'un policier.
Ce qu'allait retenir Landrin de cet aphorisme, c'était surtout les trois premiers mots, « mon cher Landrin ». Ce n'était plus « Landrin », cette formulation sèche et administrative du patronyme qui dans la hiérarchie des cordialités se situait juste avant le numéro matricule. Le commissaire Gulliver venait de lui allouer une civilité teintée de considération. Cette fois, à n'en pas douter, ils faisaient équipe. Le temps viendrait peut-être où Gulliver se souviendrait de son prénom. En attendant, il lui fallait faire encore ses preuves. À propos de preuves, le moins que l'on pouvait dire, c'est qu'ils n'avançaient guère. Bellemare refusait obstinément de passer aux aveux.
« Puisque je vous dis que je n'ai rien fait !
- Nous avons tout notre temps, observa Landrin qui avait retenu la leçon.
Gulliver eut néanmoins envie de tempérer le propos de son subordonné. Certes, il venait de le dire, la patience... Mais le procureur n'était pas policier ni la patience sa vertu première. Quand il lui eût annoncé qu'il détenait un suspect, la réaction du magistrat avait été catégorique : « Des aveux et vite ! »

- Allons, monsieur Bellemare, la justice comprendrait très bien que vous ayez voulu venger l'honneur de votre fille. Ce ne serait pas la première fois qu'un père digne de ce nom commettrait un tel geste. D'ailleurs, je dois vous confier que moi-même j'ai une fille et si elle s'était trouvée dans cette situation, je ne sais pas ce que j'aurais fait.
L'argument semblait avoir porté. L'homme leva la tête et regarda Gulliver l'air étonné. Il n'avait donc pas seulement affaire à un policier, mais à un homme avec un coeur de père capable de comprendre la haine que lui inspirait ce freluquet prétentieux. Il se sentit en confiance et se crut autorisé à lâcher :
« Ce petit con n'a eu que ce qu'il mérite ! »
Landrin admira l'habileté de son commissaire. Décidément il ne regrettait pas d'être entré dans la police. Il voulut apporter sa contribution.
« Moi, c'est pareil. Si on faisait un coup comme ça à ma fille, je dis pas que je garderais mon calme.
-Vous avez une fille vous, Landrin ?
-Non, j'ai pas de fille, monsieur le commissaire. Je dis simplement que si j'en aurais une, je ne permettrais pas qu'un petit saligaud lui fasse un gosse et la laisse tomber. On a des principes quand même ! »
Bellemare regardait tour à tour les deux hommes pour lesquels il sentait monter une vraie sympathie. Les principes, ça le connaissait. Des hommes comme ça méritaient bien un petit effort.
« Alors, c'est vrai, vous pensez que j'aurais dû le faire ? »
Gulliver sentit qu'il mordait .
« Si vous auriez dû le faire ? Ah ça ! Qu'en pensez-vous Landrin ? »
Landrin jubilait. Il aimait ce jeu. N'était-il pas sur le point de vérifier son hypothèse. Il saisit la balle.
« Et comment ! Je dirais même plus, un homme, un vrai, l'aurait fait ! En tout cas, je devrais pas dire ça, mais on est entre nous, hein ? Moi, monsieur le commissaire - il baissa la voix - je l'aurais fait. »

Cet aveu de l'homme en uniforme troubla Bellemare. À coup sûr, il n'était plus en présence d'un commissaire et d'un agent de police, mais avec deux mecs et il ne voulait pas être en reste. Après tout, que risquait il ? Rien d'autre que de recueillir leur considération, alors que s'il continuait à nier, il passerait pour un minable. Il pensa à son grand-père maternel qui avait tenu le maquis pendant plus de dix ans pour une affaire d'honneur du côté de Bonifacio et qui passait encore aujourd'hui pour un héros dans la famille. Lui qui avait quitté l'île sous l'anathème en emportant dans ses bagages une valise de réprobation, pour rejoindre son père sur le continent, il avait là l'occasion de se réconcilier avec les mânes ancestrales, de récupérer l'estime perdue des oncles et cousins. Alors qu'il avait passé ses huit heures de garde à vue renfrogné et replié sur lui-même, une fierté soudaine le redressa .
« Bon, d'accord, c'est moi. »
Gulliver ne put retenir un « bravo ! » bien timbré qui eut l'avantage de satisfaire du même coup Bellemare et Landrin.
« Il ne vous reste plus qu'à prendre la déposition de monsieur Bellemare, mon cher Landrin. »
Tout guilleret, Landrin se mit au clavier et c'est avec le sourire qu'il recueillit les aveux de Bellemare aveux que celui-ci signa sans se faire prier, avec le sentiment du devoir accompli. Landrin le félicita et lui recommanda le nom de l'un de ses copains avocat.
« Vous allez voir, pour lui, une affaire comme ça ce sera du gâteau. Je dis pas que vous serez acquitté, mais ça sera du pareil. »
Gulliver partageait la satisfaction de son subordonné. Tout compte fait, cela aurait été dommage de rater une occasion comme ça. Lorsque l'escorte emmena leur prisonnier vers le tribunal pour être présenté au procureur, il se tourna vers Landrin :
« Voyez-vous, Raymond, eh bien, la seconde qualité d'un policier, c'est la psychologie. »
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Le murmure des bergers (VI) - Chap. 11, 12, 13 Empty Re: Le murmure des bergers (VI) - Chap. 11, 12, 13

Message  Hellian Sam 18 Avr 2009 - 19:53

Chapitre 12 - Une thérapie de choc

Dulouard s'assura de l'éloignement de madame Galichon au grincement de l'escalier. Il semblait mettre un malin plaisir à faire languir Sheppard qui pour une fois laissait percer son impatience. Il savait que son ami lui manifestait de l'estime, mais ce qui l'irritait et en même temps le séduisait chez lui, c'était cette manière de ne s'étonner de rien ce qui lui rendait l'admiration difficile. Or Dulouard avait besoin d'être admiré. Peut-être était-ce d'ailleurs ce déficit d'admiration de la part de Sheppard qui avait nourri leur relation par-delà les années. À ce moment précis, où le soleil allongeait les ombres dans la chambre du jeune homme, Sheppard était suspendu à ce qu'il allait dire. Enfin, il devenait pour lui sa le professeur Dulouard, celui dont la science étonnait le monde.

« Ce garçon a subi un choc majeur qui a provoqué une incompatibilité irréversible entre son contenu mémoriel et son être conscient. »
Le regard que porta Sheppard sur le professeur traduisait une certaine incompréhension.
« Ça t'ennuierait d'être plus clair ?
- Je m'explique ; notre conscience joue un rôle d'interface entre la réalité extérieure et la réalité intérieure. C'est la clef de voûte de l'équilibre. Ainsi s'effectue une sorte de régulation. Notre santé mentale dépend de cette régulation. Cela dit, le système possède ses limites.
- C'est-à-dire ?
- Notre conscience agit comme un filtre. Elle sélectionne les événements intérieurs comme les événements extérieurs à la mesure de notre aptitude à les intégrer. Or, s'il s'avère qu'une situation est trop violente pour elle, ou plus exactement pour notre structure mentale, elle va refuser d'accomplir le processus d'intégration. Cela se traduira par une occultation brutale de nos accès sensoriels. En d'autres termes, nous baissons le rideau et nous nous évanouissons. L'évanouissement est une réaction salutaire. Cependant, il peut arriver qu'un événement particulièrement violent franchisse nos défenses et s'incruste dans nos zones mémorielles.
- Et alors ?
- Alors, en pareille circonstance, nous devenons porteurs d'une charge émotionnelle trop forte. Et la conscience va jouer son rôle, mais de manière inverse. Autrement dit, elle ne va plus pouvoir accomplir son travail de filtre régulateur ou plutôt elle va continuer à le faire, mais à la manière d'un fusible, en coupant le courant. Ainsi, lorsque ton patient se réveille, les zones neuronales chargées de traumatismes déversent immédiatement leur contenu qui envahit la totalité de son champ de conscience. Il ne peut pas le supporter et... le fusible saute. C'est pourquoi il sombre dans le coma juste après avoir proféré le mot « malédiction ». C'est la seule façon pour lui de se protéger.
- Tu es sûr de cela ?
- Tu me fais de la peine. »
Sheppard n'avait jamais vraiment réfléchi à ces questions, plus habile à résoudre les affres de la chair que celles de l'esprit.
« Alors, tu penses qu'il s'est trouvé exposé à une agression dont il n'a pas supporté l'intensité ?
- Une agression, je ne peux pas l'affirmer, mais à un événement trop violent, certainement.
- J'ai eu de nombreuses fois l'occasion de traiter des victimes d'accidents ou d'agressions physiques et je n'ai jamais constaté de conséquences semblables. Et pourtant, crois-moi, en vingt-cinq ans de carrière, j'en ai vu..
- Moi aussi et peut-être plus que toi encore. J'ai déjà eu l'occasion d'observer ces formes de stupeur, chez des enfants victimes de chocs psychiques majeurs, notamment dans des situations de guerre ou de conflits génocidaires. »

La paix du soir qui tombait sur les collines de Belmont ne s'accordait guère avec une telle évocation.
« De quoi peut-il s'agir ?
- Tu suis ce garçon depuis longtemps ?
- Depuis l'accouchement de sa mère.
- Il ne t'a jamais semblé particulièrement émotif ou dépressif ?
- Tout le contraire. C'est un sujet plutôt équilibré avec un tempérament ouvert et communicatif. »
Dulouard s'abîma dans un long silence, abandonnant son interlocuteur à la perplexité. Il semblait plongé en lui-même.
« Il y aurait peut-être un moyen.
- Lequel ?
- Je ne sais pas si...
- Dis toujours !
- Tu as déjà pratiqué l'hypnose ?
Sheppard s'attendait à une proposition plus scientifique. Il n'accordait à l'hypnose qu'un intérêt anecdotique, la regardant comme un exercice de foire ou une attraction de cabaret, mais pas comme un moyen d'investigation médical.
« Oui, enfin, j'en ai entendu parler... »
Dulouard devina son embarras. Il décida d'anticiper ses questions.
- Un neuropsychiatre digne de ce nom et je m'autorise à penser que tu me reconnais cette qualité, ne peut délaisser l'étude de cet état modifié de la conscience. L'hypnose est étudiée et utilisée à des fins thérapeutiques depuis plus de trois siècles. Et je te surprendrai peut-être en te disant qu'elle a constitué l'une des premières techniques d'anesthésie opératoire. En 1843, un dentiste anglais du nom de John Braid n'a pas hésité à recourir à l'hypnose pour anesthésier ses patients lors des extractions. Plus près de nous, l'un des précurseurs de la psychiatrie moderne, le professeur Charcot, à l'hospice de la Salpétrière, en a fait un usage courant pour traiter les pathologies hystériques et Freud a commencé par utiliser l'hypnose comme moyen d'investigation de l'inconscient avant de développer ses théories psychanalytiques.

Dulouard avaient asséné ces références dans le souci de ménager la confiance de Sheppard . En fait les noms énoncés n'avaient que modérément rassuré ce dernier. Il n'attachait qu'un crédit relatif aux théories psychanalytiques et le fait qu'un arracheur de dents, britannique, se fût approprié l'hypnose pour mener à bien sa besogne ne lui paraissait qu'une errance supplémentaire de la science anglo-saxonne. Il commençait à regretter d'avoir mêlé Dulouard à cette affaire. Cependant, il n'avait plus le choix. Après tout, il était lui-même totalement démuni et Dulouard paraissait si sûr de lui...
« Donc, si j'ai bien compris tu veux soumettre ce garçon à une séance d'hypnose.
- À moins que tu n'aies une autre suggestion »
Dulouard percevait de plus en plus les réticences de son ami.
Non, Sheppard n'avait pas d'autre solution puisque précisément sa solution, c'était Dulouard.
« Et tu... tu sais comment faire ? »
Il avait posé la question presque avec répugnance, comme s'il avait craint que son ami ne se livrât à des pratiques honteuses. Imaginer Dulouard, le professeur Dulouard, s'adonnant à des exercices de saltimbanques étaient à l'opposé de l'idée qu'il s'en faisait. S'il n'avait pris soin de ne troubler la quiétude de la chambre, Dulouard qui semblait lire dans les pensées de son confrère, aurait éclaté de rire.
« Bien sûr, ignorais-tu que j'ai travaillé cinq ans dans un cirque ? Rassure-toi, je pratique l'hypnose de manière parfaitement maîtrisée. J'ai même dirigé une thèse sur la psychothérapie par hypnose régressive. »
Que l'hypnose puisse constituer un thème de recherche officiellement consacré par l'université lui conféra soudain aux yeux de Sheppard un statut moins péjoratif, même si l'épithète « régressive » laissait planer un léger trouble.
« Il y a quelque chose qui me tracasse. Lorsque je regarde ce gamin qui depuis presque huit jours se trouve transformé en zombie, j'imagine mal comment tu vas t'y prendre pour l'hypnotiser.
- J'ai mon idée. As-tu jamais entendu parler de l'ibogaïne ?
À l'expression de Sheppard, Dulouard comprit que l'ibogaïne et ses mystères n'avaient pas encore atteint Belmont. Décidément, il n'avait pas fini d'étonner son vieux copain. Aujourd'hui était donc un grand jour.
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Message  Hellian Sam 18 Avr 2009 - 20:08

Chapitre 13 - Jeune avocate pleine d'avenir

Jocelyne Riboud Marchal se donnait de l'assurance.
- Je suis avocate, répondit-elle à la voix nasillarde de l'interphone qui lui demandait de décliner son identité. Elle s'était appliquée à féminiser le mot faisant de ce féminin un mode d'appropriation intime de sa profession. Mais, paradoxalement, elle n'avait pu se retenir de teinter sa voix d'une note de virilité La maison d'arrêt dans laquelle elle se rendait pour la première fois appartenait à un univers masculin où la présence d'une femme avait couleur de provocation. Elle avait pourtant rêvé de vivre ce moment où la porte d'une prison s'ouvrirait devant elle pour lui permettre de consacrer à son client toute l'énergie qui l'habitait depuis sa décision d'entrer au barreau. Elle deviendrait, à elle seule, pour lui le chemin d'espérance. Maître Jocelyne Riboux Marchal avait de son métier une conception messianique. Défendre les humbles, sauver par la parole ceux que la vie avait meurtris, rendre par le droit sa dignité à l'homme, être pour les exclus du corps social, les broyés de la machine judiciaire, l'ultime lien avec le monde extérieur, telle était depuis trois mois qu'elle avait prêté serment, sa Mission . Aussi, lorsque son patron lui avait demandé de suivre l'instruction de cette affaire, elle avait eu le sentiment d'un accomplissement.
- Une affaire d'assises, ça vous intéresse ?
Et comment ! Autant demander à l'aveugle s'il souhaite la lumière. De toute son âme, Jocelyne voulait une affaire d'assises. Elle était convaincue qu'elle ne deviendrait vraiment avocate que le jour où lui serait confié un dossier criminel. Et voilà qu'au bout de trois mois, comme par miracle, il lui en tombait un. Son enthousiasme fut tempéré lorsque maître Bernabé lui précisa qu'il ne s'agirait pour elle que de suivre l'instruction. Elle avait dû mal cacher sa déception, car il avait tout de suite ajouté :
- vous m'accompagnerez à l'audience, bien sûr.
Elle aurait tant aimé affronter seule cet Everest de la profession, mais elle se contenterait du rôle de sherpa.

Derrière l'austère porte de métal des pas se firent entendre, puis un bruit de clé, de serrure que l'on ouvre, enfin dans un grincement s'entrebâilla le battant. Carte professionnelle en avant, elle franchit le seuil. Le surveillant s'empressa de refermer d'un double tour sinistre qui résonna dans le couloir menant vers le rond-point. Toute avocate qu'elle était, elle ne put s'affranchir d'une inquiétude : elle était enfermée. Bien que convaincue de l'évidence de sa prochaine sortie, elle dépendrait d'un autre puisqu'elle ne possédait pas la clé. Avec ses murs immenses couronnés de barbelés, l'endroit n'appartenait plus au monde. C'était un autre territoire, un lieu entre parenthèses, une brèche dans la cohérence de la vie. Jamais l'opposition entre le dehors et le dedans ne lui avait semblé aussi évidente, sauf que c'est la prison qui était le dehors. Il n'y avait d'autre horizon que ces murs entre lesquels, s'étendait telle une monstrueuse araignée de briques et de béton, un bâtiment presque aveugle perforé d'étroites fenêtres à barreaux. Cette rupture dans l'espace n'allait-elle pas s'accompagner d'une rupture du sens ? Dans cet endroit si hostile à la liberté, qu'allait devenir la sienne ? À chaque porte, il lui faudrait attendre le maître des clés. Parfois même, ils seraient deux pour une seule porte, deux avec d'énormes trousseaux, chacun de son côté synchronisant leurs gestes. Et au cœur de ce dispositif de verrous, dans le dedans du dehors, dans cette extériorité extrême du territoire humain, il y avait des hommes et parmi eux, son client. Parvenue au centre du bâtiment, dans un rond-point d'où partaient en étoile cinq galeries identiques à quatre niveaux de coursives, elle fit savoir à son guide qu'elle désirait voir monsieur Bellemare. Celui-ci lui expliqua que ce n'était pas de son ressort et qu'il lui fallait demander au chef de quartier. Comme l'espace, les fonctions étaient cloisonnées. Elle se dirigea vers une grande guérite vitrée au centre du rond-point. Un homme s'y tenait devant des écrans, comme un pilote face à un tableau de bord. Elle lui demanda timidement si elle pouvait voir son client. Il ne répondit pas immédiatement et continua d'écrire sur un registre. Puis, levant la tête, il la considéra un instant, lui fit répéter le nom, procéda à une vérification, se pencha vers un micro. Elle entendit dominant le brouhaha d'innombrables voix d'hommes, amplifié par un haut-parleur le nom de son client suivi du mot « avocat ». Elle se félicita, cette fois, de l'emploi du masculin

Encore, il lui fallut attendre. Autour d'elle, comme s'ils allaient à leurs affaires, des détenus passaient et repassaient, échangeant parfois avec les surveillants quelques propos dont le tutoiement n'était pas absent. Dans ce lieu clos, malgré leurs différences de statut s'était instaurée la familiarité de ceux qui partagent la même condition. Des regards sur son corps s'attardaient qui lui faisaient regretter de n'avoir pas su donner plus d'austérité à sa tenue. Elle avait pourtant pris soin de préférer le pantalon à la jupe et de dissimuler son buste sous une ample veste. La féminité de sa silhouette encore juvénile la trahissait en dépit des formes vagues des tissus. Ainsi exposée, elle s'en voulait d'être femme. La sensation lui venait que des cinq galeries qui convergeaient vers elle, se déversaient des nuées de désir. Devinant sa gêne, un surveillant lui proposa de s'installer dans l'une des cases latérales qui servaient de parloir aux avocats. La pièce qui ne faisait guère plus de quatre mètres carrés était encombrée d'une pauvre table et de deux chaises en vis-à-vis. Était-ce par souci d'économie ou pour manifester le peu de cas qu'elle fait des avocats, l'administration pénitentiaire avait excellé dans l'art du dénuement.

Sa solitude fut de courte durée. Un homme, d'un pas qu'elle jugea alerte, se dirigea vers le parloir. Pour montrer qu'elle tenait le lieu, elle ouvrit la porte et le fit entrer.
« Monsieur Bellemare ?
- On m'avait dit que ce serait un avocat !
- Mais je suis avocat. »
Elle crut bon d'abandonner définitivement le féminin.
« Non, mais je voulais dire un homme…
- Je suis la collaboratrice de maître Bernabé.
ajoutant pour se donner de l'autorité :
- Spécialiste en droit pénal. »
Bellemare n'avait que faire de la spécialiste. Il voyait face à lui une minette à peine plus âgée que sa fille et regrettait tout à coup d'avoir suivi le conseil de Landrin.
« Asseyez-vous, monsieur Bellemare. »
Il obtempéra. Jocelyne Riboux Marchal avait marqué un point. Elle voulut conserver l'avantage en restant debout. Posant les mains sur le dossier de sa chaise, elle enchaîna
« Maître Bernabé m'a confié le soin de suivre l'instruction de votre affaire. Il va falloir me parler en toute confiance. »
Autant Bellemare avait éprouvé du réconfort à parler aux policiers, autant il ressentait comme une trahison qu'on lui envoie cette gamine. Ça ne collait pas. Une affaire d'honneur se règle entre hommes. Il voulait bien endosser le coup, mais à condition que tout le monde joue le jeu.
« Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? »
Le ton n'avait rien d'aimable.
« Mais je ne veux rien, moi. C'est à vous de me dire ce que vous voulez.
- J'ai déjà tout dit. Je n'ai rien à dire de plus.
- Monsieur Bellemare, je suis là pour vous aider. Mais, si vous voulez que je vous aide, il faut de votre côté vous montrer coopératif. »

Coopératif, Bellemare l'avait été assez comme ça. Ce qu'il souhaitait désormais, c'était un jugement, un jugement en grand, avec journalistes. Jusqu'alors sa vie avait été terne, sans événement. Un mariage, un enfant, un boulot, le foot le dimanche, quelques virées le samedi soir avec les copains. Puis, les cheveux blancs, le bide qui s'épaissit. Le foot de moins en moins. Une femme qui rapidement s'était fanée et dont le petit minois chafouin et séduisant d'un soir de bal maintenant faisait masse avec le cou. Il avait eu un temps la nostalgie de sa jeunesse, de l'île heureuse où jeune homme aux cheveux corbeau il séduisait les filles qu'il emmenait sur les falaises ; il avait regretté son départ pour ces contrées sans soleil. Puis, la nostalgie à son tour l'avait abandonné en même temps que l'espoir d'une autre vie. Il s'était résigné à n'être que lui-même n'ayant plus guère que sa fille où placer sa fierté. Et voilà qu'elle aussi l'avait trahi se laissant engrosser par un jeune connard incapable d'assumer les conséquences de ses actes. Curieusement, depuis son arrestation sa vie semblait avoir repris sens. Enfin, quelque chose était arrivé et il se trouvait au centre de l'événement. Aussi ces préliminaires commençaient à l'ennuyer. Il n'avait pas soupçonné cet entêtement de la justice à vouloir tout savoir : comment il s'y était pris, où il s'était procuré le coupe-papier, à quelle heure, ce qu'il avait fait, mangé, bu dans les heures précédant les faits. Cette meute de questions le fatiguaient tant elles étaient inutiles. Ne pouvait-on simplement le croire, comme avait fait le policier. Il n'avait pas mégoté, lui. On avait voulu que ce fût lui, il avait répondu présent.. Cela avait arrangé tout le monde et la justice en particulier. On lui devait donc bien quelque chose et ce quelque chose tardait à venir. Or, voici qu'on lui envoyait une pisseuse avec des questions et surtout cette manie de vouloir l'aider. Mais il n'avait pas besoin de sa compassion. En réalité, c'est lui qui l'aidait comme il aidait la justice en leur faisant don de sa personne.

« C'est moi qui a fait le coup. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise de plus ?
- Eh bien, pourquoi vous l'avez fait par exemple.
- Je l'ai déjà dit : pour venger l'honneur de ma fille. C'est pas une bonne raison ?
Jocelyne Riboux Marchal se rendit compte qu'elle n'en obtiendrait rien de plus. Cependant, quelque chose la tracassait.
« De toute façon, il est pas mort ce petit connard.
- Lui non, mais madame Schaefer oui !
- Ça, c'est pas mon affaire.
- C'est ce que vous croyez, monsieur Bellemare, mais moi, j'ai bien peur que cela ne le devienne. »
Bellemare la regarda d'un air étonné.
- Ah bon et pourquoi ça ?
- Il faut que je vous dise qu'après votre interpellation, il y a eu une perquisition chez vous.
- Et alors ?
- Alors, on a trouvé des éléments, ou plutôt un élément assez embêtant. »
Bellemare sentait que quelque chose lui échappait. Jusqu'alors il avait à peu près maîtrisé la situation. Le scénario lui convenait. Mais là, ça commençait à déraper. Soudain l'avocate l'intéressait. Au front de l'homme qui se plissait, maître Riboux Marchal sentit qu'elle marquait un nouveau point. Elle le regarda longuement en silence, laissant monter l'angoisse jusqu'à l'inévitable question.
« Et c'est quoi qu'on a trouvé ?
- L'autre partie du cordon !
- Quel cordon ?
- Allons, monsieur Bellemare, ne faites pas semblant ! »
Bellemare s'énerva.
- Quel cordon, bon dieu ?
- Eh bien le cordon dont l'autre bout a été retrouvé dans la main de madame Schaefer assassinée.
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Le murmure des bergers (VI) - Chap. 11, 12, 13 Empty Re: Le murmure des bergers (VI) - Chap. 11, 12, 13

Message  Invité Sam 18 Avr 2009 - 20:14

Le deuxième chapitre est peut-être un poil verbeux, mais cela convient au personnage de Dulouard, c'est logique. J'attends évidemment la suite !

Une remarque :
"Dulouard avait asséné ces références" (et non "avaient", bien sûr).

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Le murmure des bergers (VI) - Chap. 11, 12, 13 Empty Re: Le murmure des bergers (VI) - Chap. 11, 12, 13

Message  Sahkti Sam 18 Avr 2009 - 20:34

Haaa je l'attendais cette suite ! :-)

Des vertus policières
J'aime bien le rapport entre Landrin et Gulliver, chacun étant l'idiot de l'autre. Tu en joues sans trop tirer sur la corde, c'est bien dosé et efficace.
PS: dans la bouche de Landrin, cette faute Je dis simplement que si j'en aurais une, elle est volontaire? ;-)


Une thérapie de choc
Tiens, un truc me chipote: Sheppard n'aime pas que ses patientes doutent de son diagnostic, or lui-même demande à Dulouard si il est bien sûr du sien. D'ailleurs, dans l'ensemble, est-ce que Sheppard ne se fait pas passer pour plus bête qu'il n'est face à son confrère? Il est tout de même médecin lui aussi.
Je retrouve également ici une caractéristique que j'avais pointée dans les chapitres précédents, c'est le déséquilibre de taille et de fond dès que tu parles des toubibs, par rapport aux autres personnages. Tu passes assez vite sur les aveux du père, l'interrogatoire, etc. mais ici, tu détailles absolument tout et si je tiens compte des parties précédentes, je trouve que tu accordes beaucoup de place à la médecine. Or le reste compte aussi, cette gouaille, ces anecdotes, ces petites histoires qui font la grande trame du récit. Attention à ne pas trop déstabiliser le rythme.

Jeune avocate pleine d'avenir
Tu rétablis un peu l'équilibre, en taille et sur le fond, avec ce troisième chapitre de la partie 6. Un nouveau personnage arrive, encore à développer mais prometteur. Tu arrives également à maintenir totalement le suspense à la fin avec cette histoire de cordon, c'est bien joué.

Bravo Hellian, c'est vraiment une série que j'aime beaucoup depuis le début !
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Le murmure des bergers (VI) - Chap. 11, 12, 13 Empty Re: Le murmure des bergers (VI) - Chap. 11, 12, 13

Message  mentor Sam 18 Avr 2009 - 20:50

mûr pour attaquer un Fred LOISEAU, Hellian ! ;-)

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Message  Roz-gingembre Dim 19 Avr 2009 - 9:28

Toujours intéressant et plaisant de te lire. Décidément cette histoire est bien ficelée et tu excelles dans le suspense que tu nous imposes.
Deux trois petites choses que je te soumets.

Chapitre 12 : Il faudrait développer davantage le début, sur la relation Dulouard et Sheppart, ce besoin d'admiration. On aimerait en savoir plus ou alors le dire de manière plus simple. Un petit truc à travailler par là.

un petit problème toujours dans ce même paragraphe :
Enfin, il devenait pour lui sa le professeur Dulouard
une phrase tronquée probablement.

J'ai trouvé très crédible ta description de la prison vue par une jeune avocate. Une oppression que l'on partage bien.

Repérées quelques fautes aussi mais je ne les pas notées au fur et à mesure alors je laisse la main aux spécialistes.

Bon j'attends la suite!
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Message  Invité Dim 19 Avr 2009 - 20:10

Juste quelques détails :

Chp 11 :

"Quand il lui et annoncé qu'il détenait un suspect" ("eut", sans accent ici)
"Je dis simplement que si j'en aurais une, je ne permettrais pas"


j'imagine que la faute est volontairement attribuée au personnage mais je la trouve quand même un peu énorme.

Chp 12

Enfin, il devenait pour lui sa le professeur Dulouard, celui dont la science étonnait le monde.

Il doit manquer un mot


un dentiste anglais du nom de John Braid n'a pas hésité à recourir à l'hypnose pour anesthésier ses patients lors des extractions.

Je ne sais pas à quel point tu souhaites conserver l'exactitude des faits, mais James Braid était écossais (ne jamais dire à un écossais qu'il est anglais !) et médecin.

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Message  Sahkti Lun 20 Avr 2009 - 5:24

Easter(Island) a écrit:(ne jamais dire à un écossais qu'il est anglais !)
Vrai :-)))
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Message  Soliflore Sam 11 Juil 2009 - 15:27

Un pan de l'univers carcéral, vu côté avocat, c'est intéressant.

Bon, l'enquête piétine.

Vous me faites languir Me Héllian!
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Message  Halicante Dim 6 Sep 2009 - 15:40

Chapitre 11 :
« Ce qu'allait retenir Landrin de cet aphorisme, c'était surtout les trois premiers mots, « mon cher Landrin ». » : c’étaient ? (p 60)

« À coup sûr, il n'était plus en présence d'un commissaire et d'un agent de police, mais avec deux mecs et il ne voulait pas être en reste. » mais de deux mecs ? (p 63)

Chapitre 12 :
« Il semblait mettre un malin plaisir à faire languir Sheppard qui pour une fois laissait percer son impatience. » : prendre un malin plaisir ? (p 65)

« Enfin, il devenait pour lui sa le professeur Dulouard, celui dont la science étonnait le monde. » (p 65)

« Dulouard avaient asséné ces références dans le souci de ménager la confiance de Sheppard . » : avait (p 68)

Chapitre 13 :
« Elle deviendrait, à elle seule, pour lui le chemin d'espérance. » : j’aurais placé « pour lui » en début de phrase (sinon « son client » auquel cela fait référence me semble trop éloigné dans la phrase précédente). Par ailleurs, je ne sais pas pourquoi "le chemin d'espérance" sonne un peu étrange à mes oreilles : Pour lui, elle deviendrait à elle seule le chemin de l'espérance (?). (p 70)
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